Cannibale est un roman de Didier DAENINCKX: Dans quelle mesure cette péripétie se situe-t-elle à l’intersection du narratif et de l’argumentatif ?
Publié le 18/06/2021
Extrait du document
«
CORRIGE Exemple de copie rédigée à partir d’une production d’élève
Cannibale est un roman de Didier DAENINCKX publié en 1998 .
L’écrivain y reprend un fait-
divers réel remontant à l’Exposition coloniale de 1931, lors de laquelle les organisateurs échangèrent
un groupe de Kanaks de leur village artificiel du zoo de Vincennes contre de crocodiles avec un Cirque
allemand , pour remplacer les leurs qui avaient crevé.
Le présent passage à commenter est à resituer
dans ce contexte, où deux personnages, Gocéné et Badimoin, cherchent une solution pour rejoindre
dans Paris d’autres Canaques objet de cet échange, dont Minoé, la fiancé du premier.
Ils viennent de
revenir au zoo et de capturer le gardien-chef, afin de lui soutirer, au besoin par la force, des
informations utiles.
Dans quelle mesure cette péripétie se situe-t-elle à l’intersection du narratif et
de l’argumentatif ? Pour répondre à cette question, nous examinerons successivement la méthode et
le mental des deux amis kanaks, puis le réquisitoire indirect que constitue cet extrait, visant les
préjugés et le racialisme de l’époque.
Les deux « sauvages » ou « cannibales » agissent ici d’une façon méthodique et efficace
digne de soldats occidentaux, de commandos : telle pourrait être la première impression du lecteur .
Ils ont fait preuve de courage, en revenant au zoo dont ils s’étaient échappés, et où ils ont subi divers
mauvais traitements, dont « des coups de matraque » (l 55/56).
Ensuite , comme des chasseurs, ils
ont suivi et pris leur proie par surprise, à savoir le gardien-chef qui les méprise comme tant de
Français, de métropolitains mais aussi de colons de l’époque.
Sa première réflexion peut d’ailleurs
exprimer sa suffisance à leur égard : « Vous n’oserez pas » (l 3 / 4).
La motivation des deux kanaks est
noble : solidarité et parole donnée.
Il se trouve en effet que Gocéné a promis de veiller en France sur
Minoé, sa fiancée et elle se retrouve « hors de sa promesse » (l 61).
Par ailleurs , il n‘est nullement
dans leur intention de faire mourir le gardien-chef, qu’ils cherchent juste à intimider , comme en
témoignent les paroles suivantes de Gocéné qui est aussi le narrateur : « Nous avions l’habitude de
cette manœuvre dont nous usions pour faire peur aux plus turbulents des enfants de la tribu ».
On comprend donc mieux la portée de la mise en scène dont fait les frais le gardien-chef,
métonymie vivante de tout le système administrativo-commercial qui exploite sans honte des
groupes d’indigènes de l’Empire français d’alors.
Sa peur est crédible car il croit vraiment que ces
« cannibales » vont le jeter aux crocodiles.
On observera que cette scène, et la situation sont
particulièrement savoureuses, quand on se rappelle que le groupe de Minoé est en cours d’échange
pour les crocodiles français trouvés morts un matin, avec ceux d’un cirque allemand.
A cet égard , les
verbes à l’impératif du Blanc n’expriment plus un ordre, mais une prière, dictée par la peur de
mourir : « Ne me lâchez pas ! » (l 11) ou « ne recommencez pas ! » (l 29).
Et ce, avant le retour au
mode indicatif, qui exprime sa capitulation : « je vais tout vous dire » (l 30).
Il y a donc un certain
réalisme psychologique dans l’écroulement du gardien-chef terrorisé.
Ce qui ne manque pas d’être
comique, du moins pour le lecteur d’aujourd’hui, qui apprécie l’inversion de la situation entre
dominant et dominé.
On vient donc de voir que l’embuscade qui permet aux deux évadés kanaks de
s’informer pour essayer de rejoindre le groupe de Minoé est un modèle d’interrogatoire et contredit
la conception racialiste d’êtres humains en tout inférieurs aux Blancs.
On va voir maintenant qu’ un
réquisitoire contre les préjugés est contenu dans cet extrait, et que l’auteur veut faire partager son
indignation rétroactive à ses lecteurs..
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