C. E. 3 juin 1938, SOCIÉTÉ « LA CARTONNERIE ET IMPRIMERIE SAINT-CHARLES » Rec. 521, concl. Dayras
Publié le 26/09/2022
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«
RESPONSABILITÉ - RISQUE
C.
E.
3 juin 1938, SOCIÉTÉ « LA CARTONNERIE
ET IMPRIMERIE SAINT-CHARLES » Rec.
521, concl.
Dayras
(D.
1938.3.65, note Appleton; S.
1939.3.9, concl.
Dayras;
R.
D.
P.
1938.375, note Jèze;
Dr.
Soc.
1938.241, concl.
Dayras)
Cons.
qu'en vertu de l'arrêté du 3 brum.
an 9, de la loi du 10 juin
1853, et des art.
104 et 105 de la loi du 5 avr.
1884, modifiée et
complétée par la loi du 8 mars 1908, il incombe aux agents de l'État et
non aux agents communaux de maintenir l'ordre sur le territoire de la
commune de Marseille; que, dès lors, et sans qu'il soit nécessaire de
justifier de circonstances exceptionnelles de nature à faire substituer la
responsabilité de l'État à celle de la commune, la Société « La Carton
nerie et Imprimerie de Saint-Charles » a dirigé à bon droit contre l'État
l'action fondée sur ce que les autorités chargées de la police dans le
territoire de Marseille ont laissé le personnel en grève occuper l'usine
pendant trois mois environ;
Cons.
qu'il résulte de l'instruction que l'occupation, quelque illicite
qu'elle fût, s'est effectuée et poursuivie dans des conditions qui ne
constituaient pas une atteinte à l'ordre public telle que les autorités
administratives chargées c;l'en assurer le maintien dans l'intérêt général,
n'auraient pu, sans méconnaître leurs obligations légales, se refuser à
intervenir; qu'ainsi, en l'absence de circonstances suffisant par elles
mêmes à rendre obligatoire l'intervention de la police, et tant qu'au
-eune décision de justice ordonnant l'expulsion,des occupants et consti
tuant un titre exécutoire au profit de la société n'avait encore été prise,
les autorités administratives avaient la faculté d'apprécier s'il y avait
lieu, ou non, de prêter leur concours à ladite société; qu'en s'abstenant
de donner satisfaction aux demandes que celle-ci leur avait adressées à
l'effet d'être remise en possession de ses locaux, elles n'ont fait qu'user
de leurs pouvoirs d'appréciation et que leur refus ne peut, P.endant
cette première période, engager la responsabilité pécuniaire de l'Etat;
Cons.
que, pour la période postérieure à l'ordonnance d'expulsion,
_ _ e,1 date du 28 juill.
1936, l'autorité administrative, requise d'assurer
l'exécution de cette ordonnance, était, en principe, tenue d'agir; que,
,toutefois, l'éventualité de troubles graves qu'aurait pu entraîner une
exécution forcée de ladite ordonnance a pu constituer une circonstance
exceptionnelle l'autorisant à différer son intervention; que,,compte tenu
de ces difficultés spéciales, son attitude ne saurait être regardée comme
'illégale;
Mais cons.
que le justiciable nanti d'une senténce judiciaire dûment
revêtue de la formuld exécutoire est en droit de compter sur l'appui de la
force publique pour assurer l'exécution du titre qui lui a été ainsi délivré;
que, si, comme il vient d'être indiqué, l'autorité admi7!_istrative a le devoir
d'apprécier les conditions de cette exécution et le âroit de refuser le
concours de la force publique tant qu'elle estime qu'il y a danger pour
l'ordre et la sécurité, le préjudice qui peut résulter de ce refus ne saurait
être regardé comme une charge incombant à l'intéressé que si la situation
ne s'est pas prolongée au-delà du délai dont l'administration doit norma
lement disposer, compte tenu des circonstances de la cause, pour exercer
son action;
Cons.
qu'il sera fait une juste appr�ciation des circonstances de la
cause en mettant à la charge de l'Etat l'obligation de réparer le
préjudice résultant directement de l'occupation de l'usine au-delà du
15 août 1936; que, dès lors, c'est à tort que le ministre de l'intérieur a
dénié à la société requérante tout droit à indemnité; qu'il y a lieu de
renvoyer ladite société devant le ministre de l'intérieur pour y être
procédé à la fixation des dommages-intérêts auxquels elle a droit : ...
(Décision en ce sens).
OBSERVATIONS
Les ouvriers de la société requérante s'étaient mis en grève et
avaieht occupé les installations de la société à partir du 3 juillet
1936.
La société s'adressa au préfet des Bouches-du-Rhône et
au ministre de l'intérieur pour obtenir d'être remise en posses
sion de son établissement.
Ces démarches étant demeurées
vaines, elle demanda, et obtint, une ordonnance de référé
prescrivant, le 28 juillet, l'expulsion des grévistes, avec injonc
tion à l'huissier désigné de mettre à exécution la décision prise.
Le préfet des Bouches-du-Rhône refusa cependant de mettre la
force publique à la disposition de l'huissier, car il estimait
préférable, pour éviter des troubles - les organisations syndi
cales et la population appuyaient les grévistes -, d'obtenir le
départ volontaire de ces derniers.
L'usine ne fut finalement
évacuée que le 28 septembre, après une seconde ordonnance de
référé intervenue le 18 août.
La.
société demanda, devant le
Con�eil d'État, une indemnité à la fois à la ville de Marseille et
à ,l'Etat.
La requête dirigée contre la ville de Marseille ne
pouvait qu'être rejetée, car elle était, à l'époque, de la compé
tence du conseil de préfecture, en vertu du décret du 5 mai
19J4.
C'est sur la requête dirigée contre l'État que le Conseil
d'Etat a rendu un arrêt de principe, dont la portée est double :
il régit d'abord la matière des interventions dè la police en cas
de grève avec occupation des lieux de travail; il fixa ensuite, à
la· suite du célèbre arrêt Couftéas * (C.E.
3() nov.
1923), la
jurisprudence relative au refus de l'administration de prêter
main-forte à l'exécution des décisions de justice.
1 ° La société reprochait à l'administration de ne pas être
intervenue, à la suite de ses demandes, en vue de la re�ettre en
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JUIN
1938,
CARTONNERIE ST-CHARLE S
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possession de ses locaux occupés par les grévistes.
Le problème
a été posé dans les termes suivants par le commissaire du
gouvernem ent Dayras : « Il faut rechercher si le fait de ne pas
tenter de mettre fin à une occupation d'usines constitue· ou non
une faute lourde,' suivant le principe adopté en matière de
·
police.
« Il est certain que la police, appelée par le chef de l'entreprise, peut légalement pénétrer dans une usine occupée et en
assurer l'évacuatio n; elle l'a, d'ailleurs, fait dans certains cas,
puisqu'en décembre 1937, en réponse à une question posée au
conseil municipal de Paris, le préfet de police fai~ait connaître
qu'il avait été procédé, au cours des six derniers mois, à
57 évacuation s d'usines, sans incidents, l'interventi on du commissaire de police ayant même suffi dans 26 cas.
- « Mais la police est-elle obligée d'interveni r sous peine de ne
pas remplir la fonction pour laquelle elle a été instituée et de
commettre une faute lourde engageant la responsabi lité de la
puissance publique?
« Réservant actuellement la question d'opportun ité, il nous
paraît impossible de répondre à cette question par une formule
absolue soit affirmative, soit négative;· le rôle essentiel de la
police est d'assurer le maintien de l'ordre public : mais les
occupation s d'usines se sont poursuivies avec des caractères très
différents et ont pu être soit paisibles, soit accompagn ées ou
non de violences et de délits, avec toutes les nuances intermédiaires possibles.
Or, si une occupation , même paisible, est une
atteinte au droit de propriété, de nombreux articles du code ont
été édictés pour définir, constater et réprimer les violations
d'un tel droit.
Le recours normal du propriétair e, c'est de
s'adresser à la justice plutôt qu'à la force armée, et une
ordonnanc e de référé est d'ailleurs obtenue très rapidemen t.
Une action même est théoriquem ent possible contre les vérita,bles auteurs du dommage; en pratique, son résultat sera le plus
souvent aléatoire.
·
« La puissance publique· n'est tenue d'agir que dans· la
,
mesure où les intérêts dont elle a la charge sont compromis;· les
services de police, en l'absence d'une décision de justice exécu·toire, ne sont obligés d'interveni r dans un litige entre un chef
d'entrepris è et ses ouvriers que si le conflit se développe dans
des conditions telles qu'il mette en péril l'ordre public.
Quelque
illégales que soient les occupation s d'usines, le fait de n'avoir
pas mis en mouvement la force armée pour assurer l'évacuation
des locaux ne paraît pas impliquer fatalement une faute lourde
de la part de la police, et il appartient au juge d'examine r
séparémen t les circonstances de fait de chaque conflit pour
apprécier, dans chaque cas, si la responsabi lité de la puissance
publique est ou non engagée.
»
Inversement, si l'autorité de police intervient d'elle-mêm e
dans un conflit du travail, elle ne peut « neutraliser » une usine
ou une ferme q�e si le maintien de l'ordre l'exige.
Comme l'a
dit le Conseil d'Etat dans l'arrêt de principe Loyeux du 27 déc.
1938 (Rec.
985; D.
1939.3.27,....
»
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