C. E. 26 juill. 1918, ÉPOUX LEMONNIER, Rec. 761, concl. Blum
Publié le 20/09/2022
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«
RESPONSABILITÉ
FAUTE PERSONNELLE ET FAUTE DE SERVICE
C.
E.
26 juill.
1918, ÉPOUX LEMONNIER, Rec.
761, concl.
Blum
(S.
1918-1919.3.41, concl.
Blum, note Hauriou;
D.
1918.3.9, concl.
Blum;
R.
D.
P.
1919.41, concl.
Blum, note Jèze)
Cons.
que les époux Lemonnier ont tout d'abord assigné devant le
tribunal civil, tout à la fois la commune de Roquecourbe et son maire,
le sieur Laur, pris personnellement, pour s'entendre condamner à leur
payer une indemnité à raison de l'accident dont la dame Lemonnier a
été victime; que la cour de Toulouse, par arrêt du 30 janv.
1913, tout
en reconnaissant l'incompétence de l'autorité judiciaire sur les conclu
sions dirigées contre le maire, a déclaré ce dernier responsable person
nellement et l'a condamné à payer aux époux Lemonnier une somme
de 12 000 F pour réparation du préjudice par eux souffert; qu'il a été
formé par le sieur Laur contre cet arrêt un recours sur lequel il n'a pas
encore été statué par la Cour de Cassation
Cons.
que les époux Lem�nnier ont, d'autre, part, introduit deux
pourvois devant le Conseil d'Etat, tendant, tous deux, à la condamna
tion de la commune de Roquecourbe à leur payer une indemnité de
15 000 F à raison du dommage résultant de l'accident précité et dirigés,
le premier contre la décision du conseil municipal, en date du 15 juin
1912, rejetant leur demande d'indemnité, le deuxième, en tant que de
besoin, contre la décision implicite de rejet résultant du silence du
conseil municipal au cas où le Conseil d'Etat ne considérerait pas la
délibération du 15 juin 1912 comme une décision susceptible de
recours;
Cons.
que les deux requêtes susmentionnées, n°• 49.595 et 51.240,
tendent l'une et l'autre aux mêmes fins; qu'il y a donc lieu de les
joindre et d'y statuer par une seule décision;
Sur la fin de non-recevoir tirée de ce que les consorts Lemonnier se
seraient pourvus tardivement contre les décisions leur refusant tout
droit à indemnité : Cons.
que les délibérations du conseil municipal de
la commune de Roquecourbe, en date des 12 mars et 4 juin 1911,
contestant aux requérants, à l'occasion de l'instance introduite par eux
devant le tribunal civil contre le maire personnellement et contre la
.commune, le droit de réclamer à cette dernière la réparation du
p;éjudice par eux subi, contiennent seulement l'énoncé des prétentions
qi:e la commune entendait soutenir au cours du procès et ne consti
tuaient pas des décisions administratives de rejet des demandes d'in
demnité des éP.OUX Lemonnier, pouvant faire courir le délai du recours
au Conseil d'État; que la première délibération du conseil municipal
ayant ce caractère est celle du 15 juin 1912, antérieure de moins de
deux mois à l'enregistrement de la requête, le 27 juill.
1912, au
secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat; que, par suite, la corn-
mune n'est pas fondée à soutenir que cette requête ait été tardivement
présentée;
Sur la fin de non-recevoir tirée par la commune de ce que les époux
Lemonnier, ayant obtenu des tribunaux civils, par la condamnation
prononcée contre le maire, le sieur Laur, personnellement, la répara
tion intégrale du préjudice par eux subi, ne seraient pas recevables à
poursuivre une seconde fois, par la voie d'une action devant le Conseil
d'État contre la commune, la réparation du même préjudice : Cons.
que
la circonstance que l'accident éprouvé serait la conséquence d'une faute
d'un agent administratif préposé à l'exécution d'un service public, laquelle
aurait le caractère d'un fait personnel de nature à entraîner la condam
nation de cet agent par les tribunaux de l'ordre judiciaire à des
dommages-intérêts, et que même cette condamnation aurait été effective
ment prononcée, ne saurait avoir pour wnséquence de priver la victime de
l'accident du droit de poursuivre directement, contre la personne publique
qui a la gestion du service incriminé, la réparation du préjudice souffert;
qu'il appartient seulement au juge administratif, s'il estime qu'il y a une
'faute de service de nature à engager la responsabilité de la personne
publique, de prendre, en déterminant la quotité et la forme de l'indemnité
par lui allouée, les mesures nécessaires, en vue d'empêcher que sa
décision n'ait pour effet de procurer à la victime, par suite des indemnités
qu'elle a pu ou qu'elle peut obtenir devant d'autres juridictions à raison
du même accident, une réparation supérieure à la valeur totale du
préjudice subi;
Au fond : Cons.
qu'il résulte de l'instruction que la dame Lemonnier
a été atteinte le 9 oct.
1910, alors qu'elle suivait la promenade qui longe
la rive gauche de I'Agout, d'une balle provenant d'un tir installé sur la
rive opposée avec buts flottants sur la rivière; que l'autorité municipale
chargée de veiller à la sécurité des voies publiques avait commis une
faute grave en autorisant l'établissement de ce tir sans s'être assurée que
les conditions de l'installation et l'emplacement offraient des garanties
suffisantes pour cette sécurité; qu'à raison de cette faute, la commune
doit être déclarée responsable de l'accident; qu'il sera fait une juste
appréciation du dommage subi par les époux Lemonnier et dont la
commune leur doit réparation intégrale en condamnant cette dernière à
leur payer la somme de 12 000 F, sous réserve, toutefois, que le
paiement en soit subordonné à la subrogation de la commune, par les
époux Lemonnier, jusqu'à concurrence de ladite somme, aux droits qui
résulteraient pour eux des condamnations qui auraient été ou qui
seraient définitivement prononcées à leur profit, contre le maire, le
sieur Laur, personnellement, à raison du même accident, par l'autorité
judiciaire;
Sur les intérêts et les intérêts des intérêts : Cons.
que le point de
départ des intérêts doit être fixé au 3 avr.
1911, date de l'assignation de
la commune devant le tribunal civil de Castres, assignation qui est le
premier acte équivalant à une sommation de payer dont il soit justifié
p"lr les époux Lemonnier;
Cons.
que les requérants ont demandé la capitalisation des intérêts
les 6 déc.
1913, 13 mars 1915 et 5 déc.
1916; qu'à chacune de ces dates,
il était dû plus d'une année d'intérêts; qu'il y a lieu, par suite, de faire
droit auxdites demandes; ...
(Annulation; indemnité de 12 000 F; subro
gation; intérêts et intérêts des intérêts).
OBSERVA TI ONS
« La responsabilité qui peut incomber à l'État pour des
dommages causés aux particuliers par le fait des personnes
qu'il emploie dans le service public ne peut être régie par les
principes qui sont établis dans le code civil, pour les rapports
de particulier à particulier.
Cette responsabilité n'est ni géné
rale, ni absolue; elle a ses règles spéciales qui varient suivant
les besoins du service et la nécessité de concilier les droits de
l'État avec les droits privés ».
Cette formule de l'arrêt Blanco* du 8 févr.
1873 montre
comment la considération des droits de l'État limita à l'origine
la mise en jeu de sa responsabilité.
Aujourd'hui c'est la cons
cience des devoirs de l'État qui en a élargi le domaine au-delà
des termes du droit civil.
Un des cheminements les plus
intéressants de cette évolution est certainement le développe
ment de la reconnaissance de la responsabilité de l'État en cas
de faute personnelle de son agent, distinguée de la faute de
service.
L'arrêt Lemonnier, rendu sur les conclusions du com
missaire du gouvernement Léon Blum, est l'un des principaux
jalons de ce développement.
1.
- A.
- La commune de Roquecourbe (Tarn) tint, le
9 oct..1910, sa fête annuelle.
Comme chaque année, l'une des
attractions les plus recherchées était un tir sur des buts flottants
sur la petite rivière de l' Agout.
Mais depuis l'année précédente
une promenade plantée d'arbres avait été ouverte sur la rive
opposée.
Déjà, dans l'après-midi, des promeneurs s'étaient
plaints des balles qui sifflaient à leurs oreilles; prévenu, le
maire de la commune, M.
Laur, avait simplement fait modifier
les conditions du tir, mais de manière sans doute insuffisante,
puisque la dame Lemonnier qui se promenait avec son mari
reçut dans la joue une balle qui vint se loger entre la colonne
vertébrale et le pharynx; le maire fit alors interrompre le tir.
Les époux Lemonnier, qui ignoraient que depuis l'a!rêt
Feutry * la responsabilité d'une collectivité autre que l'Etat
devait également être mise en jeu devant la juridiction adminis
trative, s'adressèrent au tribunal de Castres, qui se déclara
incompétent, pour des motifs inexacts d'ailleurs, le 9 nov.
1911.
Le 4 mai 1912 les époux Lemonnier demandèrent des dom
mages-intérêts au conseil municipal de la commune; _leur
dèmande ayant été rejetée, ils se pourvurent en Conseil d'Etat.
Mais, dans le même temps, l'appel du jugement du tribunal
de Castres venait devant la Cour de Toulouse, et, si celle-ci
confirmait ce jugement quant à la déclaration d'incompétence
sur la responsabilité administrative, elle l'infirmait en recon
naissant une responsabilité personnelle du maire pour laquelle
elle le condamnait à des dommages-intérêts.
C'est à ce moment que le pourvoi des époux Lemonnier,
tendant à la réparation du préjudice ,subi du fait de l'adminis
tration, fut examiné par le Conseil d'Etat.
B.
- La mise en jeu de la responsabilité des fonctionnaires
pour une faute de service avait été lontemps soumise au
système de la garantie administrative organisé par l'art.
75 de
la Constitution de l'an 8; pour éviter l'ingérence du pouvoir
judiciaire dans l'exercice du pouvoir administratif, l'autorisa
tion de l'administration était nécessaire pour entreprendre des
poursuites contre le fonctionnaire incriminé.
Toute la tradition
libérale du x1xe siècle s'élevait contre une protection souvent
abusive et le décret-loi du 19 sept.
1870 abrogea l'art.
75 de la
Constitution de l'an 8 et « toutes les....
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