C. E. 24 juin 1960, SOCIÉTÉ FRAMPAR ET SOCIÉTÉ FRANCE ÉDITIONS ET PUBLICATIONS, Rec. 412, concl. Heumann
Publié le 01/10/2022
Extrait du document
«
SAISIE DE JOURNAUX
POLICE ADMINISTRATIVE
ET POLICE JUDICIAIRE
C.
E.
24 jui n 1960, SOCIÉTÉ FRAMPAR
ET SOCIÉTÉ FRANCE ÉDITIONS ET PUBLICATIONS,
Rec.
412, concl.
Heumann
(S.
1960.348, note Debbasch; D.
1960.744, note Robert;
R.
D.
P.
1960.815, concl.
Heumann; J.
C.
P.
1960.Il.11743, note Gour;
A.
J.
1960.1.154, chr.
Combarnous et Galabert).
Sur la compétence :
Cons.
que, par les arrêtés attaqués en date des 29 déc.
1956 et 6 janv.
1957, le préfet d'Alger a ordonné la saisie des numéros en date des 30
et 31 déc.
1956 et des 6 et 7 janv.
1957 du journal «France-Soir»; que,
si lesdits arrêtés mentionnent, dans leurs visas, l'art.
80 du code pénal
ainsi que l'art.
10 du code d'instruction criminelle et si, conformément
à cette dernière disposition le préfet a avisé le procureur de la
République de l'intervention des mesures ainsi.
prises et lui a transmis
les pièces dans les vingt-quatre heures, il résulte manifestement de
/'ensemble des circonstances de chacune de ces affaires que les saisies
litigieuses ont eu pour objet, non de constater des c,rimes ou délits contre
la sûreté intérieure ou la sûreté extérieure de l'Etat et· d'en livrer les
auteurs aux· tribunaux chargés de les punir, mais d'empêcher la diffusion
dans le département d'Alger d'écrits insérés dans les numéros précités du
journal sus-mentionné; que dans ces conditions, nonobstant les visas des
arrêtés qui les ont ordonnées et la transmission des pièces au parquet, les
saisies dont s'agit présentent, en réalité, le caractère d� mesures adminis
tratives; que, par suite, il appartient à la juridiction administrative de
connaître de la demande tendant à l'annulation pour excès de pouvoir
des arrêtés contestés du préfet d'Alger; que, · dès lors, les sociétés
requérantes sont fondées à soutenir que c'est à tort que, par le
jugement attaqué, le tribunal administratif d'Alger s'est déclaré incompé
tent pour statuer sur ladite demande;
Cons.
que l'affaire est en état; qu'il y a lieu de statuer immédiate
ment sur la demande sus-mentionnée des Sociétés requérantes;
Sur la légalité des arrêtés attaqués :
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens invoqués par les
sociétés requérantes à l'appui de leurs conclusions;
Cons.
qu'il résulte de l'instruction qu'en ordonnant, par les arrêtés
attaqués, la saisie des deux numéros susmentionnés du journal « Fran
ce-Soir», le préfet d'Alger a eu pour but de prévenir les troubles que la
diffusion de ces écrits dans le département d'Alger lui paraissait de
nature à provoquer; que, pour atteindre cette fin, le préfet aurait pu,
s'il s'y était cru fondé, utiliser les pouvoirs qu'il détenait, par délégation
du gouverneur ,général de l'Algérie, des dispositions combinées de
l'art.
1er, 12° et de l'art.
10 1er alinéa, du décret du 17 mars 1956 relatif
aux mesures exceptionnelles tendant au rétablissement de l'ordre, à la
protection des personnes et des biens et à la sauvegarde du territoire de
l'Algérie; que, comme le soutiennent les sociétés requérantes, en écar
,tant cette procédure pour recourir à celle qui est prévue à l'art.
10 du
code d'instruction criminelle et dont le champ d'application est limité,
ainsi qu'il a été rappelé ci-dessus, aux actes nécessaires à l'effet de
constater les crimes et délits contre la sûreté intérieure ou la sûreté
extérieure de l'État et d'en livrer les auteurs aux tribunaux chargés de
les punir, le préfet d'Alger a commis un excès de pouvoir;
Sur les dépens de la première instance :
,Cons.
que, dans les circonstances de l'affaire, il y a lieu de mettre les
dépens de première instance à la charge de l'Algérie;...
(Annulation;
dépens de première instance à la charge de l'Algérie).
OBSERVATIONS
Les événements de ces dernières années ont fréquemment
conduit l'administration à ordonner la saisie de publication
imprimées, et notamment de journaux.
Peu de recours ont
cependant été portés devant les tribunaux, car les intéressés
craignaient, semble-t-il, outre l'inefficacité de sentences tardi
ves, la complexité et l'incertitude des solutions juridiques.
Assez
paradoxalement, en effet, la matière n'avait fait l'objet que
d'études peu nombreuses.
Aussi une clarification s'imposait
elle, dès lors que les saisies se multipliaieJJt.
Sur le plan
doctrinal, M.
Galmot, auditeur au Conseil d'Etat, fit le point
de la question, dans une étude sur Le contrôle juridictionnel des
saisies d'écrits imprimés (Et., et Doc.
1959.67).
Sur le plan
jurisprudentiel, le Conseil d'Etat, par deux arrêts du 24 juin
1960 (Société Frampar et S.
A.
R.
L.
Le Monde), a tranché
d'importantes questions de principe qui étaient jusque là obscu
res et confuses.
Par un arrêté du 29 déc: 1956, le préfet d'Alger avait
ordonné la saisie du numéro de France-Soir daté des 30-31 déc.
•1956; par un arrêté du 6 janv.
1957, le préfet d'Alger, sur les
instructions télégraphiques du ministre résidant en Algérie,
ordonnait la saisie des numéros des 6' et 7 janv.
du Monde, de
France-Soir et de Paris-Presse.
Dans les deux cas, la totalité de
l'édition destinée à la vente dans le département d'Alger fut
saisie aux Messageries Hachette à Alger.
Ces arrêté� visaient
l'art.
10 C.
instr.
crim.
(aujourd'hui art.
30 c.
proc.
pén.).
aux
termes duquel « les préfets des départements et le préfet de
police à Paris pourront, s'il y a urgence, faire personnellement
ou requérir les officiers de police judiciaire, chacun en ce qui
les concerne, de faire tous actes nécessaires à l'effet de consta
ter les crimes délits contre la sûreté intérieure ou la sûreté
extérieure de l'État et d'en livrer les auteurs aux tribunaux
, chargés de les punir».
Ils se référaient en l'espèce à l'art., 80 C.
\\pén.
relatif au crime d'atteinte à la sûreté extérieure de l'Etat et
Nprécisaient que les écrits contenus dans les numéros saisis
¼étaient de nature à porter atteinte à la sûreté extérieure de
l'État.
Conformément à l'art.
10 c instr.
crim., le préfet trans
mit, dans les 24 heures, les pièces au procureur de la Républi
que, lequel n'engagea cependant aucune poursuite.
Deux des quotidiens visés entamèrent alors diverses
instances : actions en indemnité devant les tribunaux judiciai
res, recours pour· excès de pouvoir devant la juridiction admi
nistrative contre les arrêtés du préfet d'Alger en date des
29 déc.
1956 et 6 janv.
1957.
Les tribunaux civils de la Seine et
d'Alger rejetèrent les premières pour incompétence.
Le tribunal
administratif d'Alger s'étant de son côté déclaré incompétent au
motif que les actes accomplis en vertu de l'art.
10 c instr.
crim.
constituaient les actes de police judiciaire relevant de la compé
tence des tribunaux judiciaires, les deux journaux portèrent
l'affaire en appel devant le Conseil d'État.
Le journal Le
Monde se contenta de demander l'annulation du jugement
d'incompétence du tribunal d'Alger, alors que France-Soir
réclamait également l'annulation des arrêtés préfectoraux de
saisie.
Cette circonstance explique pourquoi l'arrêt Société
Frampar se prononce à la fois sur le problème de compétence
et sur la légalité des l'arrêté de saisie, alors que la décision
S.
A.
R.
L.
Le Monde ne comporte qu'un considérant relatif à
la compétence.
) I.
- Pour bien comprendre la portée des arrêts du 24 juin
1960 il convient de rappeler les solutions admises jusque-là:
a) Si la saisie constituait une mesure de police administrative
destinée à assurer l'ordre public, elle n'était légale· qu'à une
double condition (C.E.
10 déc.
1958, Mezerna, Rec.
628):
- il fallait d'abord que la décision juridique de porter
atteinte à la liberté de la presse fût fondée sur une menace
suffisamment grave à l'ordre public compte tenu des circons
tances de temps et de lieu : il y avait là une application de la
jurisprudence classique en matière de police (C.E.
19 mai 1933,
Benjamin*, et nos observations; - 23 nov.
1951, Société
nouvelle d'imprimerie, d'éditions et de publicité, Rec.
553;
R.
D.
P.
1951.1098, concl.
Letourneur, note Waline);
- il fallait en second lieu que la saisie, mesure d'exécution
d'office, fût justifiée par l'urgence, sinon elle était constitutive
d'une voie de fait (T.
C.
8 avr.
1935, Action française*).
Si le juge administratif était compétent pour se prononcer sur
la légalité d'un arrêté de saisie (Mezerna, précité), l'autorité
judiciaire pouvait seule accorder une réparation pour une saisie
illégale, celle-ci constituant une voie de fait.
,
b) Lorsque, au contraire, la saisie était ordonnée par le
préfet sur la base de l'art.
10 C.
instr.
crim., elle était considé- 1
rée comme constituant une mesure de police judiciaire (T.
C.
25 mars 1889, Daifeuille, Rec.
412), et cela d'autant plus
qu'avec la transmission des pièces au parquet elle devenait
partie intégrante de la procédure pénale (T.
C.
3 nov.
1958,
Blanco, Rec.
796).
La compétence judiciaire était alors certaine
sur le plan théorique, mais elle n'avait que peu d'effets prati
ques, du fait de « la croyance très répandue dans l'opinion
qu'il est impossible d'obtenir réparation des dommages causés
par de tels actes» (Galmot, étude précitée; - cf.
Cass.
civ.
23 nov.
1956, Trésor public c.
Giry*, et nos observations).
Dans ces conditions il était tentant pour l'administration
d'invoquer toujours l'art.
10, puisque aussi bien elle s'assurait
ainsi une immunité de fait : effectivement, la quasi totalité des
saisies pratiquées au cours de ces dernières années se fondait
sur ce texte.
II.
- C'est pour déjouer ce calcul et établir un contrôle
juridictionnel plus efficace sur les mesures de saisies que le
Conseil d'État s'est engagé, par les arrêts Frampar et S.
A.
R.
L.
Lé Monde, dans une voie nouvelle.
Le commissaire du gouverne
ment, M.
Heumann, lui demandait de ne pas tenir compte ,
exclusivement du texte invoqué par l'administration : « l'aspect 1
extérieur d'une mesure ne traduit pas nécessairement sa réalité 1
profonde, et il convient, selon nous, de vérifier, en certains cas, la
nature et l'objet de l'opération de police...
Tendait-elle à constater
une infraction, à réunir les preuves de celle-ci, à livrer les auteurs à
la justice : c'est alors une mesure de police judiciaire.
Tendait-elle
au contraire à prévenir un trouble à l'ordre public : c'est une
mesure de police administrative».
En l'espèce, les arrêtés
n'avaient manifestement pas pour objet, en d_épit du visa de
l'art.
10, de constater une atteinte à la sûreté de l'Etat et d'en livrer....
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- C. E. 3 juin 1938, SOCIÉTÉ « LA CARTONNERIE ET IMPRIMERIE SAINT-CHARLES » Rec. 521, concl. Dayras
- C.E. 26 janv. 1968, SOCIÉTÉ « MAISON GENESTAL» Rec. 62, concl. Bertrand
- C. E. 31 juill. 1912, SOCIÉTÉ DES GRANITS PORPHYROÏDES DES VOSGES, Rec. 909, concl. Blum
- T. C. 2 déc. 1902, SOCIÉTÉ IMMOBILIÈRE DE SAINT-JUST Rec. 713, concl. Romieu
- C.E. 9 mars 1951, SOCIÉTÉ DES CONCERTS DU CONSERVATOIRE, Rec. 151