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C. E. 2 mars 1962, RUBIN DE SERVENS et autres, Rec. 143

Publié le 01/10/2022

Extrait du document

« ACTE DE GOUVERNEMENT POUVOIRS SPÉCIAUX DU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE C.

E.

2 mars 1962, RUBIN DE SERVENS et autres, Rec.

143 (S.

1962.147, note Bourdoncle; D.

1962.109, chr.

Morange; J.

C.

P.

196i.1.1111, chr.Lamarque; J.

C.

P.

1962.II.12613, concl.

Henry; R.

D.

P..

1962.288, note Berlia; R.

D.

P.

1962.294, concl.

Henry; A.

J.

1962.214, chr.

Galabert et Gentot). Cons.

que les requêtes sus'visées présentent à juger les mêmes questions; qu'il y a lieu de les joindre·pour y être statué par une ·seule décision; Cons.

que, par décision en date du 23 avr.

1961, prise après consultation officielle du Premier ministre et des présidents des Assem­ blées et après avis du Conseil Constitutionnel, le président de la République a mis en application l'art.

16 de la Constitution du 4 oct. 1958; que cette décision présente le çaractère d'un acte de gouvernement dont il n'appartient au Conseil d'Etat ni d'apprécier la légalité ni de · contrôler la durée d'application; que ladite décision a eu pour effet d'habiliter le président de la République à prendre toutes les mesures exigées par les circonstances qui l'ont motivée et, notamment, à exercer dans les matières énumérées à .l'art.

34 de la Constitution le pouvoir législatif et dans les matières prévues à l'art.

37 le pouvoir réglementaire; Cons.

qu'aux termes de l'art.

34 de la Constitution « la loi fixe les règles concernant...

la procédure pénale...

la création de nouveaux ordres de juridiction»; que la décision attaquée en date du 3 mai 1961, intervenue après consultation du Conseil Constitutionnel, tend d'une part à instituer un tribunal militaire à compétence spéciale et à créer ainsi un ordre de juridiction au sens de l'art.

34 précité, et, d'autre part, à fixer les règles de procédure pénale à suivre devant ce tribunal; qu'il s'ensuit que ladite décision, qui porte sur des matières législatives et qui a été prise par le président de la République pendant la période d'application des pouvoirs exceptionnels, présente le caractère d'un acte législatif dont il n'appartient pas au juge administratif de connaî­ tre; ...

(Rejet). OBSERVATIONS L - Parmi les innovations apportées dans le droit public français en 1958, l'art.

16 de la Constitution· du 4 oct.

1958 est sans doute l'une des plus marquantes.

Disposant notamment que « lorsque les institutions de la République, l'indépendance 1 510 LES GRANDS ARRÊTS ADMINISTRATIFS ( de la Nation, l'intégrité de son territoire ou l'exécution de ses engagements internationaux sont menacés d'une manière grave 1.

et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs r publics constitutionnels est interrompu, le président de la \ République prend les mesures exigées par ces circonstances, après consultation officielle du Premier ministre, des présidents des Assemblées ainsi que du Conseil Constitutionnel»; l'art.

16 de la Constitution a fort divisé la doctrine sur sa signification exacte comme sur sa portée éventuelle, et fit l'objet d'interprétations nettement divergentes; aussi ,attendait-on avec curiosité de connaître l'attitude du Conseil d'Etat. La tentative de putsch survenue à Alger au printemps 1961 fournit cette occasion : dès le 23 avril en effet, le président de la République décida, après avoir procédé aux consultations prévues, de recourir à l'art.

16; le putsch s'effondra dans la nuit du 25 au 26 et, dès le 26, les autorités légales furent rétablies en Algérie; l'art.

16 fut cependant maintenu en vigueur jusqu'au 29 sept.

1961, date à laquelle fut prise la décision d'en suspendre l'application.

. Des nombreuses « décisions » prises par le président de la République durant cette période en vertu de l'art.

16, l'une d'elles, en date du 3 mai, portant création d'un tribunal militaire spécial chargé de juger « les auteurs et complices de crimes et délits contre la sûreté de l'État et contre la discipline des armées » et fixant les règles de procédure à suivre devant ce tribunal, fut la première à permettre au juge d'apporter son interpr~tation de l'art.

16 et des décisions prises sur son fondement.

Deux requêtes furent en effet présentées aux fins d'annulation de cette décision, l'une par dix officiers du 1er R.

E.

P.

- dont le sieur Rubin de Servens - l'autre par les sieurs Sabouret, Garat de Nedde et Dupont, tous jugés par ledit tribunal et condamnés à diverses peines.

Ces requêtes s'articulaient autour de trois moyens.

Le premier moyen invitait le juge à déclarer que les conditions mises par l'art.

16' à son application n'étaient plus réunies à la date du 3 mai, lorsque fut prise la décision attaquée, aucune menace grave et immédiate telle que celles prévues par rart.

16 n'étant plus alors perceptible et les pouvoirs publics constitutionnels fonctionnant normalement à cette date; le second moyen était fondé sur la violation des principes généraux du droit pénal, particulièrement de la règle selon laquelle l'instruction des affaires crimi' •nelles est nécessairement confiée à un organe indépendant du J pouvoir exécutif - principe que consacrent l'art..

68 du nouveau code de procédure pénale (L.

31 déc.

1957), l'art.

42 du code de justice militaire et même l'ordonnance du 2 janv.

1959 sur la Haute Cour, mais qu'ignorait la décision attaquée, dont les art.

8, 9 et 10 confiaient l'instruction au ministère public; le troisième moyen était tiré du principe de non-rétroactivité de la r ! l 1 l\ \ l t 1 1 ' l 1 \ 1 ~ '1 l L \ \ l \ \ ! '1 ! 1 \ l loi pénale, la décision du 3 mai s'appliquant de toute évidence à des crimes et délits commis avant son entrée en vigueur et qui relevaient alors des tribunaux militaires. La chambre criminelle de la Cour de Cassation saisie par voie d'exception, se prononça dès le 21 août 1961; elle refusa d'apprécier la légalité interne de la décision attaquée et se limita à en examiner la légalité externe.

L'arrêt relève que, l'art.

16 ayant été régulièrement appliqué, la légalité de la décision attaquée ne peut être contestée devant l'autorité judi­ ciaire en raison de sa conformité à la Constitution; la Cour note en effet qu'il a été procédé aux consultations prévues et même que l'avis du Conseil Constitutionnel « énonce que les conditions exigées par la Constitution pour l'application de l'art.

16 se trouvent réunies», dépassant ainsi le simple contrôle de l'existence de la décision pour en esquisser un contrôle de légalité externe, d'ailleurs i;tssez vain (Cass.

crim. 2r août 1961, Fohran, Bull.

crim.

1961.695; v.

également Cass. crim.

10 mai 1962, Dovecar et Piegts, J.

C.

P.

1962.II.12736, note Michaud). Le Conseil d'État se trouva amené à se prononcer à son tour, à la fois sur sa propre compétence et sur la nature des décisions prises par le président de la République en vertu de l'art.

16. Rendu par l'assemblée plénière du contentieux conformément aux conclusions de M.

Henry, l'arrêt Rubin de Servens opère à cet égard une distinction capitale entre, d'une part, la décision initiale de recourir à l'art.

16 et, d'autre part, les décisions prises en vertu de l'art.

16 au cours de sa période d'application. IL - La décision initiale de mettre en application l'art.

16 de la Constitution présente, affirme le Conseil' d'État, le · « caractère d'un acte de gouvernement», dont il ne lui appar­ \ tient « ni d'apprécier la légalité, ni de contrôler la durée d'application». , A.

- La Constitution de 1958 attribue au président de la République un certain nombre de « pouvoirs propres», qu'il exerce sans contreseing ministériel, parmi lesquels figurent ceux définis par l'art.

16, dont les origines et la signification font l'objet d'une minutieuse analyse par le commissaire du gouver­ nement.

M.

Henry souligne que tous les actes accomplis en vertu de ces pouvoirs propres ne sont pas nécessairement qualifiables d'actes de gouvernement : ainsi le Conseil d'État serait-il compétent pour statuer par exemple sur la légalité du tableau d'avancement des magistrats du siège, qu'arrête sous sa seule signature le président de la République; d'autre PJ!rt, rappelle le commissaire du gouvernement, si le Conseil d'Etat se déclare aujourd'hui incompétent pour connaître de la déci­ sion de refuser une grâce, ce qui constitue un autre « pouvoir propre» du président de la République, c'est parce qu'un tel acte relève du domaine judiciaire de l'exécution des peines et non plus parce qu'il constituerait un acte de gouvernement (C.E.

28 mars 1947, Gombert, Rec.

138; S.

1947.3.89, concL Célier; R.

D.

P.

1947.95, note Waline).

Toutes les décisions prises par le président de la République dans l'exercice de ses pouvoirs propres ne çonstituent donc pas pour autant des actes de gouvernement.

Mais certains de ces pouvoirs intéressent les rapports du parlement et du gouvernement et, à ce titre, leur: exercice n'est évidemment pas susceptible d'être critiqué devant le juge, qui n'hésitera pas à qualifier d'actes de gouverne�ent les actes pris en vertu de ces pouvoirs :- c'est le cas des pouvoirs que le président de la République tient de l'art.

16.

L'arrêt Rubin de Servèns apporte à cet égard une solution qui ne peut guère être contestée : dans la mesure où la décision de recourir à l'art.

16 réalise immédiatement une confusion organique des pouvoirs au profit du président de la République, elle boule­ verse ipso facto la répartition ôes compétences entre les pou­ voirs constitutionnels, et se trouve dans le champ d'application classique de la notion d'acte de gouvernement (v.

C.E.

19 févr. 1875, Prince Napoléon* et nos observations). Il est remarquable qu'à cette occasion, le Conseil d'État ait employé les termes mêmes d'« acte de gouvernement», qu'il répugnait à utiliser et que l'on ne' rencontrait jusqu'à présent que dans la jurisprudence du Tribunal des Conflits (T.

C. 12 févr.

1953, Secrétaire du comité d'entreprise de la S.

N.

C.

.it.

S.

E., Rec.

585; - 24 juin 1954, Barbaran et autres, Rec.

712).

Peut-être faut-il y voir, la volonté de, réaffirmer l'existence d'une notion combattue par la doctrine en tant que théorie originale, dans un cadre institutionnel propice à un tel renouveau (v.

également C.E.

19 oct.

1962, Brocas, Rec.

553; S.

1962.307, concl.

Michel Bernard; D.

1964.701, concl.

Michel_ Bernard; A.

J.

1962.612, chr.

de Laubadère). S'interdisant ainsi d'apprécier la légalité interne de la déci­ sion· du 23 avr.

1961 et de l'examiner au fond, le Conseil d'État note cependant qu'elle a été « prise après consultation officielle du Pœmier ministre et des présidents des Assemblées et après avis du Conseil Constitutionnel», marquant ainsi, comme la 'Cour de Cassation, son désir d'en contrôler la régularité externe.

Encore convient-il de souligner qu'il s'agit tout au plus d'une constatation de l'existence de la décision et faut-il mar­ quer les limites d'un tel contrôle : le Conseil d'État n'apprécie pas en effet si les circonstances de fait permettaient le recours à l'art.

16 et si les conditions mises par celui-ci à son application étaient effectivement remplies; de plus, 'la simple constatation de la régularité formelle de la· décision ne constitue pas une garantie bien efficace : «, tout contrôle intervenant a posteriori » de la part du Conseil d'Etat « serait ou inutile - si la décision d'appliquer l'art.

16 est conforme à la Constitution - ou dérisoire - sj elle ne l'est pas» : on serait alors « en présence d'un coup d'Etat que le parlement n'aurait pu éviter et il serait trop tard pour le condamner» (concl.

Henry).

B.

- Les mêmes considérations ont éonduit le.

Conseil d'État à décider; comme le suggérait le commissaire du gouver­ nement et comme 'l'imposait la logique, qu'il ne saurait pas davantage ,contrôler la durée d'application ·de l'art.

16.

Le Conseil d'Etat s'est ainsi refusé à examiner lë moyen tiré de la prolongation, estimée abusive par les requérants, de l'applica­ tion de l'art.

16, écartant ainsi par avance sa compétence pour apprécier la décision par laquelle le président de la République met un terme à l'application de cette disposition.

La Haute assemblée n'a toutefois pas eu l'occasion de dire que cette décision avait le caractère d'un acte de gouvernement, sa jurisprudence ultérieure ayant seulement précisé que la décision du 29 sept, échappait à son contrôle en raison de sa nature législative, les décisions qu'elle maintenait en vigueur ayant elles-mêmes le caractère législatif (C.

E.

13 nov.

1964, Livet, Rec.

534; D.

1965.668, note Demichel; J.

C.

P.

1965.II.14286, note Langavant; A.

J.

1965.365, note A.

H.; - 22 mai 1968, Lagrange, A.

J.

1969.30). C.

- Ces précisions permettent de constater que, contraire­ ment à certains commentaires doctrinaux de l'art.

16 présentés en 1958, le Conseil d'État a écarté l'idée d'une application· possible, en ce domaine, de sa jurisprudence sur les circonstan­ ces exceptionnelles.

Si cela avait été le cas, il eût en effet contrôlé non seulement l'existence d'une situation susceptible de justifier la mise en œuvre'de l'art.

16 (donc si les conditions prévues 'à l'art.

16 étaient eff�ctivement remplies), mais aussi la réalité de la persistance de ces circonstances jusqu'à la date où l'art.

16 cessa d'être appliqué; de même aurait-il alors refusé toute valeur aux· décisions maintenues en vigueur après cette date (v.

C.

E.

16 avr.

1948, Laugier, Rec.

161; S.

1948.3.36, concl.

Letourneur; - 7 janv.

1955, Andriamisera, Rec.

13; R.

D.

P.

1955.709, note Waline; Rev.

jur.

et pol.

de l'Un.

fr. 1955.859, concl.

Mosset; - 13 déc.

1957, Barrot et autres, Rec. 675; - v.

C.

E.

28 juin 1918, Heyriès * et nos observations). ' III.

- Contrairement à la décision de recourir à l'art.

16, 1 · les décisions prises par le président de la République en cours d'application de l'art.

16 et en vertu de celuj-ci ne constituent pas des actes de gouvernement; le Conseil d'Etat ne pouvait en '., décider autrement, sauf à revenir à la théorie du mobile ' politique, abandonnée par la décision Prince Napoléon *.

Les conclusions du commissaire du gouvernement éclairent utile­ ment les motifs et les modalités du contrôle juridictionnel dont l'arrêt Rubin•de Servens définit ainsi les limites. A: - Le Conseil d'État a adopté une solution moyenne; s'il r,- a en effet refusé d'exercer à propos de l'art.

16.

le contrôle qu'il ' ) exerce - de façon indulgente sans doute mais dans sa pléni­ tude - dans le cadre de sa théorie des circonstances exception­ nelles, il a également écarté la théorie selon laquelfe la logique des institutions.... »

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