C. E. 19 févr. 1875, PRINCE NAPOLÉON Rec. 155, concl. David (D. 1875.3.18, concl. David) Cons.
Publié le 19/09/2022
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LES GRANDS ARRÊTS ADMINISTRATIFS
3
ACTES DE GOUVERNEMENT
C.
E.
19 févr.
1875, PRINCE NAPOLÉON
Rec.
155, concl.
David
(D.
1875.3.18, concl.
David)
Cons.
que pour demander l'annulation de la décision qui a refusé de
rétablir son nom sur la liste des généraux de division publiée dans
!'Annuaire militaire, le prince Nap9léon-Joseph Bonaparte se fonde sur
ce que le grade de général de division que !'Empereur, agissant en vertu
des pouvoirs qu'il tenait de l'art.
6 du sénatus-consulte du 7 nov.
1852,
lui avait conféré par le décret du 9 mars 1854, était un grade qui lui
était garanti par l'art.
l er de la loi du 19 mai 1834;
Mais cons.
que, si l'art.
6 du sénatus-consulte du 7 nov.
1852
donnait à !'Empereur le droit de fixer les titres et la condition des
membres de sa famille et de régler leurs devoirs et leurs obligations, cet
article disposait en ·même temps que !'Empereur avait pleine autorité
sur tous les membres de sa famille; que les situations qui pouvaient être
faites aux princes de la famille impériale en vertu de l'art.
6 du
sénatus-consulte du 7 nov.
1852, étaient donc toujours subordonnées à
la volonté de !'Empereur; que, dès lors, la situation faite au prince
Napoléon-Joseph Bonaparte par le décret du 9 mars 1854, ne constituait pas le grade dont la propriété définitive et irrévocable, ne pouvant
être enlevée que dans des cas spécialement déterminés, est garantie par
l'art.
1er de la loi du 19 mai 1834, et qui donne à l'officier qui en est
pourvu le droit de figurer sur la liste d'ancienneté publiée chaque année
dans !'Annuaire militaire; que, dans ces conditions, le prince Napoléon-Joseph Bonaparte n'est pas fondé à se plaindre de ce que son nom
a cessé d'être 'porté sur la liste de l'état-major général de l'armée; ...
(Rejet).
OBSERVATIONS
I.
Le prince Napoléon-Joseph Bonaparte avait été
nommé général de division en 1853 par Napoléon III, dont il
était le cousin.
L' Annuaire militaire, ·qui reparut pour la première fois, après la chute de l'Empire, en 1873, ne mentionna
pas son nom sur la liste des généraux.
Il demanda au ministre
de la guerre s'il s'agissait là d'une inadvertance ou d'une
omission volontaire.
Le ministre lui répondit que son nom
n'avait pu être porté sur l' Annuaire, parce que sa nomination,
irrégulière au regard des textes, « se rattache aux conditions
particulières d'un régime politique aujourd'hui disparu et dont
elle subit nécessairement la caducité».
C'est cette décision
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19 FÉV.
1875, PRINCE NAPOLÉON
15
refusant de rétablir son nom sur la !iste des généraux que le
prince Napoléon déféra au Conseil d'Etat.
Le ministre de la guerre opposa au recours le caractère
politique de la mesure attaquée, qui en faisait, selon lui, un
· acte de go-gvernement échappant au contrôle juridictionnel du
Conseil d'Etat.
Le commissaire du gouvernement David combattit cette thèse, en exposant ainsi la théorie des actes de
gouvernement : « Il est, en effet, de principe, d'après la
jurisprudence du Conseil, que, de même que les actes législatifs, les actes de gouvernement n~ peuvent donner lieu à aucun
recours contentieux, alors même qu'ils statuent sur des droits
individuels.
Mais si les actes qualifiés, dans la langué du droit,
actes de gouvernement, sont discrétionnaires de leur nature, la
sphère à laquelle appartient cette qualification ne saurait s'étendre arbitrairement au gré des gouvernants; elle est naturellement limitée aux objets pour lesquels la loi a jugé nécessaire de
confier au Gouvernement les pouvoirs généraux auxquels elle a
virtuellement subordon~é le droit particulier des citoyens dans
l'intérêt supérieur de l'Etat.
Tels sont les pouvoirs discrétionnaires que le Gouvernement tient en France, soit des lois
constitutionnelles, quand elles existent, pour le règlement et
l'exécution des conventions diplomatiques, soit des lois de
police ...
Il suit de là que, pour présenter le caractère exceptionnel
qui le mette en dehors et au-dessus de tout contrôle juridictionnel, il ne suffit pas qu'un acte, émané du Gouvernement ou de
l'un de.
ses représentants, ait été délibéré en conseil des ministres
ou qu'il ait été dicté par un intérêt politique.» Le Conseil d'État
consacra implicitement cette théorie dans sa décision, en examinant le recours au fond.
Le commissaire du gouvernement affirma que cette doctrine'
pouvait être dégagée de la jurisprudence antérieure du Conseil
d'État.
En réalité cette jurisprudence était fondée sur la théorie
traditionnelle du mobile politique comme critère des actes de
gouvernement, c'est-à-dire des actes échappant à tout contrôle
contentieux.
Pour ne prendre que deux exemples, le Conseil
d'État rejeta, sous la Restauration, le recours du banquier
Laffitte qui demandait le paiement d'arrérages d'une rente que ,
lui avait cédée la princesse Borghèse, membre de la famille
Bonaparte, par le motif que « la réèlamation du sieur Lafitte
tient à une question politique dont la décision appartient exclusivement au Gouver nement» (C.
E.
1er mai 1822, Laffitte, Rec.
1821-1825.202); de même, sous le Second Empire, la saisie d'un
ouvrage du duc d'Aumale et le refus de restituer les exemplaires
saisis sont considérés comme « des actes politiques qui ne sont
pas de nature à nous être déférés pour excès de pouvoir en
notre Conseil d'État par la voie contentieuse » (C.
E.
9 mai
1867, Duc d'Aumale et Michel Lévy, Rec.
472, concl.
Aucoc;
l'arrêt
de
que
donc
n'est
Ce
Aucoc).
S.
1867.2.124, concl.
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LES GRANDS ARRÊTS ADMINISTRATIFS
Prince Napoléon que date l'abando n de la théorie du mobile
politique, confirmé implicitement quelques années plus tard par
le Tribunal des Conflits, à propos d'une expulsion de jésuites
(T.
C.
5 nov.
1880, Marquigny, Rec.
800, concl.
Ronjat).
IL - Cet arrêt marque ainsi une étape extrêmement importante dans l'extension du contrôle des actes administratifs par
le Conseil d'État.
Jusqu'alo rs, dans le cadre d'une jusJice
administrative qui n'était encore que retenue, le Conseil d'Etat
ne pouvait connaître d'un acte dès lors qu'il avait un caractère
politique.
Désormais, le Consiil d'État, qui exerce depuis la loi
du 24 mai 1872 une justice déléguée, n'admet plus que la
nature ou l'objet polifique d'une décision la fasse échapper au
contrôle contentieux (v.
par ex.
C.E.
23 déc.
1949, Société
Comptoir de l'industrie cotonnière, Rec.
567, à propos de l'institution d'une taxe en Indochine).
Au contraire le but politique
sera bien souvent, par la suite, un motif d'annulat ion pour
détourne ment de pouvoir ou erreur de droit, l'adminis tration
ne devant pas prendre ses décisions, en règle générale, en
fonction de considérations de cette nature.
C'est ainsi qu'en
1954, le commissaire du gouvernement Letourneur et le Conseil
d'État statuant en assemblée plénière devaient réaffirmer avec
force qu'un candidat ne peut être exclu d'un concours donnant
accès à la fonction publique en raison de ses opinions politiques (28 mai 1954, Barel*).
La limitation plus étroite du domaine des actes de gouvernement s'insère dans le cadre d'une politique jurisprudentielle
qui, à la même époque et dans la période suivante, accrut la '
portée et l'efficacité du recours p~ur excès de pouvoir et de
l'action contentieuse du Conseil d'Etat : admission du détournement de pouvoir comme moyen d'annulat ion (C.E.
26 nov.
1875, Pariset*); abandon de la théorie du ministre-juge (C.E.
13 déc.
1889, Cadot *); élargissement de la notion d'intérêt
pour agir (C.E.
29 mars 1901, Casanova*); admission du
recours contre les règlements d'adminis tration publique (C.
E.
6 déc.
1907, Chemins de fer de l'Est*); contrôle, par le juge de
l'excès de pouvoir, de la qualification juridique, des faits (C.
E.
4 âvr.
1914, Gomel*) et de leur exactitude matérielle (C.E.
14 janv.
1916, Camino *).
Cependan t, l'arrêt Prince-Napoléon n'a pas supprimé complètement les actes de gouvernement; il s'est borné à en éliminer le
cütère ancien, excessivement large, tiré du mobile politique.
A
la vérité, ce critère n'a pas été remplacé depuis lors, de telle
sorte que les actes de gouvernement ne peuvent faire aujourd'hui l'objet d'une définition générale et théorique, mais seulement d'une liste établie d'après la jurisprudence.
Sur cette liste
figuraient, naguère encore, les actes accomplis par le chef de
TEtat dans l'exercice du droit de grâce (C.E.
30 juin 1893,
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19
FÉY.
1875,
PRINCE NAPOLÉON
17
Gugel, Rec.
544); mais cette jurispr udènce a été abando nnée
.89,
par l'arrêt Gombert du 28 mars 1947 (Rec.
138; S.
1947.3
concl.
Célier; R.
D.
P.
1947.95, note Waline), qui écarte, certes,
se
la compétence du Conseil d'État en la matière, mais enplus
fondan t sur le caractère judicia ire de ces décisions, et non
sur la théorie des actes de gouvernement.
III.
- La liste des actes de gouvernement ne compr end
plus, aujourd'.hui, que deux séries de mesures : les actes
et
concer nant les rappor ts du gouvernement avec le Parlement,
France
la
de
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relatio
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ment
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avec les puissances étrangères ou les organismes interna tionau
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1° Les actes concemanJ
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Consei
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a) des décisions prises par l'exécutif dans le cadre de
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de
refus
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tive
législa
n
partici pation à la fonctio
,
· Parlement un projet de loi (C.E.
18 juill.
1930, Rouché
janv.
19
(C.E.
retirer
le
de
ou
r
dépose
le
de
Rec.
771), décision
net,
1934, Compagnie Marseillaise de navigation à vapeur Fraissi ces
diligen
les
faire
de
refus
t),
Aliber
note
.41,
1937.3
Rec.
98; S.
nécessaires pour son adopti on rapide (C.
E.
25 juill.
1947..,
loi
Société /'Alfa, Rec.
344), décret de promu lgation d'une
note
.9,
1934.3
S.
993;
Rec.
,
meaux
(C.E.
3 nov.
1933, Desreu
Alibert; D.
1933.3.36, note Gros);
b) des décisions gouvernementales qui ne sont que le prélidès
minair e d'une décision du Parlement, ce....
»
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