Brise marine - Stéphane MALLARME (analyse linéaire)
Publié le 14/06/2021
Extrait du document
«
Brise marine
Texte : La chair est triste, hélas ! Et j'ai lu tous les livres.
Fuir ! Là-bas fuir! Je sens que des
oiseaux sont ivres D'être parmi l'écume inconnue et les cieux ! Rien, ni les vieux jardins reflétés par les
yeux Ne retiendra ce cœur qui dans la mer se trempe Ô nuits ! Ni la clarté déserte de ma lampe Sur le
vide papier que la blancheur défend Et ni la jeune femme allaitant son enfant.
Je partirai ! Steamer
balançant ta mâture, Lève l'ancre pour une exotique nature ! Un Ennui, désolé par les cruels espoirs,
Croit encore à l'adieu suprême des mouchoirs ! Et, peut-être, les mâts, invitant les orages, Sont-ils de
ceux qu'un vent penche sur les naufrages Perdus, sans mâts, sans mâts, ni fertiles îlots Mais, ô mon
cœur, entends le chant des matelots !
Analyse : Dès le 1° vers, nous sentons la déception du poète, son ennui face au monde connu.
« La
chair est triste » marque le désintérêt pour le sensible, la sensualité.
L’usage du présent de l’auxiliaire
« est » fait de ce constat une vérité générale.
Et l’interjection « hélas » vient renforcer le sentiment
que les choses sont ainsi et qu’elles ne changeront plus.
Déçu par les plaisirs du corps, le poète l’est
aussi par les plaisirs de l’esprit : « Et j’ai lu tous les livres ».
La forme hyperbolique « tous les livres
»ferme tout horizon d’espoir.
Par ailleurs l’utilisation du passé composé (« j’ai lu ») marque l’aspect
révolu, définitif de cette situation.
Il n’y a plus rien à attendre.
La symétrie entre les deux hémistiches
"La chair est triste, hélas ! Et j'ai lu tous les livres"(4/2/3/3) renforce une impression d’enfermement,
de clôture.
Et c’est bien le « je » du poète dont il s’agit : « j’ai lu ».
Le poème s’ouvre donc sur un
constat pessimiste ou l’Ennui, personnifié par une majuscule, règne en maitre.
On retrouve là une
forte influence Baudelairienne.
L’univers affectif, personnel ne suffit pas non plus.
Ainsi l’adverbe «
rien » placé au début du vers 11 ouvre une série de négation « ni les vieux jardins » ; « ni la clarté
déserte » de la lampe, « ni la jeune femme allaitant son enfant ».
C’est une description par la négative
d’un monde familier, intime.
Monde de la mémoire d’abord avec « les vieux jardins reflétés par les
yeux » qui suggèrent le souvenir (peut-être la mémoire douloureuse du poète qui a déjà perdu sa
mère sa sœur et son père) il s’agit en tous cas du monde « ancien ».
Puis c’est le monde de l’écriture,
traversé par l’angoisse de la page blanche, de l’inspiration absente : « ni la clarté déserte de ma
lampe Sur le vide papier que la blancheur défend ».
On a ici l’image du poète confronté à l’angoisse
de la page blanche, de l’absence d’inspiration « vide papier », sur lequel aucun mot ne s’écrit.
« clarté
déserte » (oxymore) charge négativement la lumière et indique également la stérilité, la difficulté,
voire l’impossibilité à créer.
Monde stérile donc qui s’oppose à « ce cœur qui dans la mer se trempe »,
mer qu’on peut alors associer à l’encre, à l’écriture, à l’inspiration.
En un vers (8) « ni la jeune femme
allaitant son enfant », le poète rejette aussi une image d’Epinal qui ne suffit pas à combler le poète.
L’emploi de l’article défini « la » et l’emploi de « jeune femme » mettent à distance cette vie intime
puisqu’il s’agit vraisemblablement de l’épouse de Mallarmé, Marie.
Par ailleurs, l’allaitement est traité
avec distanciation, froideur.
Il n’y a rien là qui puisse sauver le poète de son ennui.
Au contraire, on
peut même y voir le rejet de relations conjugales insignifiantes.
L’emploi du participe présent «
allaitant » insiste sur la durée.
Ainsi, le poème fait le constat d’un échec existentiel auquel rien ne.
»
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