Bernt Notke
Publié le 16/05/2020
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Bernt Notke
XVe siècle
Ce n'est qu'au XVe siècle que (abstraction faite de quelques rares précurseurs, comme, par exemple, Peter Parler), des noms desculpteurs, c'est-à-dire de personnalités artistiques douées d'une individualité marquée, s'imposent dans le gothique allemand.
EnAllemagne du Nord, c'est surtout Bernt Notke qui, parmi les premiers, se détourna résolument de l'attitude collective des tempsanciens.
Il est né à Lassan, petite ville de Poméranie et ne descendait pas d'une famille d'artisans, mais d'une lignée patricienne puissante, dontles membres étaient armateurs, grands marchands, fonctionnaires de l'administration, savants et hauts ecclésiastiques, dans les villeshanséatiques de Poméranie et de Livonie.
Formé selon toute vraisemblance à Greifswald, dans le cercle artistique qui s'y était constituéautour de l'Université, fondée en 1456, et de son fondateur, le duc Wartslaus IX de Wolgast, il trouva plus tard à Lübeck des conditionsidéales pour l'épanouissement de sa personnalité.
Dans cette ville libre, centre dominant de la ligue hanséatique, se réunissaient,depuis longtemps, les meilleurs artistes du nord-est de l'Allemagne, exportant de là leurs oeuvres dans les pays allemands riverains dela Baltique et bien au-delà.
A Lübeck et à Notke se sont adressés également, presque un demi-siècle durant, de 1464 à 1509, lescommettants les plus importants des pays nordiques, et, parmi eux, pour ne nommer que les principaux : au Danemark, la courroyale, l'évêque d'Aarhus et le chapitre de Lund ; à Reval, le bourgmestre ; en Suède l'archevêque d'Upsal et le vicaire du RoyaumeSten Sture, qui appela Notke à sa cour à Stockholm et, l'y ayant retenu pendant plus de dix ans, le récompensa par la charge demaître de la monnaie royale.
Jamais plus, un sculpteur ne devait occuper une place de cette importance en Scandinavie ; le DanoisBertel Thorwaldsen lui-même ne put y parvenir.
Si Notke s'éleva si haut, c'est non seulement parce qu'il recueillit l'héritage artistiquede Lübeck et le porta à son point de maturité, mais aussi grâce à d'autres circonstances.
Il avait obtenu du Conseil de la Ville —probablement en sa qualité de membre de la classe patricienne dominante — le privilège sans précédent d'exercer son art en dehorsde la corporation.
Sa personnalité l'y avait certainement aidé : ses rapports intimes avec les hommes de gouvernement de toutel'Europe septentrionale, sa culture, sans doute touchée par la Renaissance, son tempérament.
Ainsi que le montrent telles lettres deses contemporains, il est permis de parler à propos de lui, comme à propos de Michel-Ange, de terribilità.
Mais ce n'est pas seulement en tant qu'homme que Notke a franchi les bornes de la coutume régnant dans les pays du Nord mais aussien tant qu'artiste.
Manifestement, il connaissait les innovations qui donnaient, en ce temps-là, de nouveaux élans au gothique tardif, etil en tirait parti : retables sculptés et peints des Pays-Bas, gravure sur bois et sur cuivre de Hollande, de Cologne, de Mayence etd'Alsace, sculptures et peintures du Tyrolien Michel Pacher, et, dans le nord de l'Italie, les prémices de la Renaissance.
Il n'était pas seulement sculpteur, mais aussi grand peintre.
De plus, on sait qu'il projetait des séries de gravures sur bois destinées àl'illustration de livres, des dalles funéraires en laiton, des ouvrages d'orfèvrerie et des broderies.
La plus grandiose création de son génie est, sans aucun doute, le groupe de Saint Georges de l'église de Saint-Nicolas à Stockholm.
Il lui a été commandé par le vicaire du Royaume Sten Sture, afin de servir d'ornement à l'autel du saint, en signe de gratitude pour lavictoire de la bataille du Brunkeberg, qui délivra la Suède de la domination étrangère.
L'oeuvre, qui n'est plus tout à fait complèteaujourd'hui, était probablement placée devant le choeur dans la nef centrale de l'église, renouvelée au même moment en stylegothique tardif.
Le groupe du combat avec le dragon s'élève sur un socle que ceint une frise de bas-reliefs racontant la légende du saint.
Dans ce soclequi formait une petite chapelle était placé l'autel de saint Georges, sous lequel le donateur voulait être enterré.
L'ensemble étaitflanqué par une figure de la princesse Elya et par le modèle de sa ville natale Silène, posés, probablement, sur deux hautes colonnes,contre les piliers de la nef.
L'ensemble veut être à la fois tombeau et décoration d'autel, mais assurément décoration d'un caractèrehautement original, réellement unique.
Le groupe du cavalier et du dragon est déjà presque un monument indépendant selon la conception de la Renaissance, mais il estencore enserré par les colonnes, arcades, voûtes de l'édifice, incorporé à l'architecture gothique tardive de l'église un peu comme,dans les autels sculptés néerlandais, les petits groupes de figures placés dans des niches semblables à des chapelles.
Comme sur cesautels, tout est sculpté, doré et peint de vives couleurs, mais les personnages principaux sont de grandeur naturelle.
L'art du retablesculpté allemand et néerlandais atteint, dans cette oeuvre exceptionnelle, son point culminant.
Jamais plus, et nulle part, du bois dechêne dur n'a été sculpté avec tant de virtuosité, doré avec un tel éclat, peint avec un tel raffinement.
L'étendard de saint Georges esten parchemin ; pour les cornes du dragon, l'artiste s'est servi de vrai bois d'élan.
La délivrance de la princesse par saint Georges,Persée chrétien, nous est contée à la fois avec le ton pieux d'une légende moyenâgeuse et l'accent courtois et féerique des romans dechevalerie du Moyen Âge finissant.
Le miracle — la victoire miraculeuse remportée par un "miles christianus" sur un monstre — estplacé sous nos yeux comme un peu plus tard, dans la gravure de Durer : le Chevalier, la Mort et le Diable.
Le combattant de Dieu estun chevalier, beau, jeune, noble, plein de calme sérénité, le dragon un reptile furieux et repoussant.
Sur le socle du monument, dejeunes dragons sont en train de ronger des crânes et des ossements, motif macabre emprunté manifestement par Notke auxtombeaux et danses macabres du gothique tardif ; au-dessus, l'armure brillante, délicatement ouvragée, n'en resplendit que mieux.
La composition, dans son ensemble, a tout le charme de l'imagination bizarre qui anime les maîtres allemands de la dernière époquegothique.
Mais elle est claire, monumentale, dramatique.
Visiblement, Notke connaissait déjà la Renaissance italienne, sans doute Mantegna et son école de Ferrare, peut-être même les projetsde Léonard de Vinci pour le monument de Sforza.
D'éléments disparates, fondus avec un instinct supérieur, il a su faire une unitéartistique persuasive.
Le groupe de Stockholm est un chef-d'oeuvre, où s'incarnent l'esprit d'une société et d'une époque, en même temps que le génie d'untrès grand artiste..
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