Ben Jonson1572-1637N'eut-il été que le dramaturge, le poète, le prosateur,
Publié le 23/05/2020
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Ben Jonson
1572-1637
N’eut-il été que le dramaturge, le poète, le prosateur, le pamphlétaire et le critique qu'il fut,
Benjamin Jonson, dit Ben, ne se différencierait guère de bon nombre de ses contemporains,
et un Middleton, un Massinger, un Fletcher ou quelque autre ferait peut-être aujourd'hui
figure de “ plus grand après Shakespeare ”.
Mais il s'est trouvé que, dès le début de sa
carrière littéraire, les pédants de tous ordres reconnaissant en lui un des leurs, ce très
estimable auteur de quatre excellentes comédies a pu sans trop d'efforts usurper la place
de confrères plus ou aussi méritants, et devenir non seulement le premier dictateur
littéraire et le premier poète lauréat de l'Angleterre, mais aussi et surtout l'un des grands
noms de la littérature universelle...
Il avait, il le dit lui-même, une montagne pour ventre et, pour démarche, un disgracieux
dandinement de l'arrière-train, et son portrait montre une face puissante, de vigoureuses
mâchoires, des yeux enfoncés et durs, un cou de taureau tout couturé, paraît-il, par le
scorbut.
Voilà pour le physique...
Quant au moral, le poète écossais William Drummond,
qui hébergea pendant un mois Ben Jonson au cours du dernier voyage que fit celui-ci — à
pied, de Londres en Écosse et vice-versa, promenant sa bedaine humaniste de manoir en
manoir — a laissé sur un hôte vraisemblablement quelque peu éprouvant, des notes
dépourvues de tendresse mais qui sonnent singulièrement juste.
“ Ben Jonson, écrit
Drummond, était grand amoureux et louangeur de lui-même, plein de mépris et de dédain
pour autrui, plus volontiers disposé à perdre un ami qu'à renoncer à un jeu de mots, jaloux
de tout ce qui se faisait ou se disait autour de lui (surtout après avoir bu du vin, lequel était
l'élément ordinaire de sa vie)...
faisant peu de cas des qualités qu'il possédait et se vantant
de celles qu'il n'avait pas...
ne trouvant rien de bon que ce que lui ou ses amis ou ses
compatriotes avaient fait...
”
Cette masse de tripes en mouvement, ce rire outrecuidant et, au fond, amer, cette inégalité
d'humeur portant aussi bien à l'hypocondrie qu'aux joyeusetés de taverne, tout cela vous a
un petit côté Falstaff que vient encore accentuer ce parallèle établi entre Ben Jonson et
Shakespeare par un contemporain qui les voyait souvent discuter autour d'une bouteille à
la taverne de la Sirène : “ L'un est comme un grand galion espagnol et l'autre comme un
vaisseau de guerre anglais : Jonson étant le galion solide mais lourd dans ses évolutions,
Shakespeare, le vaisseau anglais, plus léger, virant de bord soudainement et profitant de
tous les temps grâce à la vivacité de son esprit et de son imagination.
” Et, de fait, le
falstaffien Jonson avait beau tirer de puissantes bordées, au nom des trois unités et des
classiques grecs, le dernier mot restait à son contradicteur qui, aux savantes théories,
opposait le simple génie.
On trouve, du reste, comme un écho perfide de ces discussions
dans le prologue de la seconde version d' Every man in his humour (A chacun sa manie), pièce
créée au Globe, qui était le propre théâtre de Shakespeare.
“ Notre poète, dit à peu près
Jonson en parlant de lui-même, n'est pas de ceux qui consentent, pour être joués, à flatter
les goûts du public dans ce qu'ils ont de plus hasardeux, ressuscitant par exemple, au
moyen de trois épées rouillées et de quelques mots longs d'un demi-pied ou d'un pied, les
innombrables querelles d'York et de Lancastre.
Et la pièce qu'il vous propose aujourd'hui
est telle que devraient être toutes les autres...
”.
»
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