Barthes: le tragique et la tragédie
Publié le 19/12/2021
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Barthes opère un rapprochement entre deux sujets : d’une part, le tragique et la
tragédie : c’est le propre de la pièce tragique que de raconter une histoire dont on
connaît la fin puisqu’elle s’appuie souvent sur un mythe connu (on a ainsi plusieurs
Antigone , plusieurs Electre …).
D’autre part, la lecture, qui a priori est justement l’inverse
de ce que suppose la tragédie : en effet une tragédie appartient au genre du théâtre et
se regarde en communauté ; tandis que la lecture concerne tous les genres littéraires,
s’opère dans la solitude et s’adresse à l’imagination.
On se demandera quelle pertinence a ce rapprochement entre deux approches du texte
éloignées, voire inverse.
I La spécificité de l'omniscience tragique au théâtre
_ le Ve siècle avant JC et le XVIIe siècle sont les grandes époques de la tragédie; les
pièces sont écrites en s'appuyant sur des mythes connus de tous, dans leur déroulement
et dans leur dénouement.
A tel point qu'au XVIIe, on ne va pas voir Phèdre pour
connaître l'histoire mais plusieurs Phèdre, chaque metteur en scène ayant la sienne
propre (tout comme aujourd'hui).
Eschyle, Sophocle et Euripide ont chacun écrit une
Electre .
La pièce tragique a cette particularité : on connaît déjà l'histoire et la fin
tragique, il n'y a donc pas l'importance (qu'on voit aujourd'hui dans le cinéma) du
"suspens".
_ elle a une fonction purgative : Aristote dans son Esthétique aborde la notion très
connue et très débattue de "catharsis" : le spectateur voit se dérouler sur scène (dans le
cas de la tragédie) des actions violentes, choquantes dans la vie réelle, voire
insupportables (voir l'inceste d'Oedipe) qui éveillent en lui des pulsions refoulées.
Le
théâtre tragique fournit un exutoire inoffensif à des pulsions que la société réprime.
Cet
exutoire repose sur deux émotions : l'horreur et la pitié.
Et sur un principe : le
spectateur connaît l'intrigue et la fin de la pièce.
C'est en effet cette omniscience qui lui
permet de prendre du recul face à ce à quoi il assiste, et d'éprouver l'horreur
(mouvement de rejet) et la pitié (mouvement d'adhésion).
II La re-définition de cette omniscience par Barthes : le tragique appliqué à la
lecture
_ une définition de la lecture : elle est définie comme un rite privé où on agit pour son
propre plaisir.
Barthes signale le lien intime qui existe entre le lecteur et sa lecture,
comme s'il s'agissait d'un acte incompréhensible pour autrui.
La dimension de "plaisir
pervers" qui se trouve dans cette lecture est cruellement soulignée, et rappelle
l'assimilation que fait Pierre-Aimé Touchard dans Dionysos : il classifie les plaisirs
spécifiques du théâtre, du cinéma et de la lecture en faisant une analogie avec les plaisirs
sexuels.
Le théâtre est comparé à l'acte amoureux (le spectateur affronte l'altérité des
comédiens) le cinéma est comparé au voyeurisme, et au viol.
Et la lecture, à la
masturbation : plaisir solitaire et caché.
_ une définition de la perversité : en lisant ce qu'on connaît déjà, on agit dans le refus de
la normalité.
Barthes entend qu'il est étrange, paradoxal et peut-être anormal, de
trouver son plaisir dans une lecture qui nie la découverte.
Ce plaisir s'apparente à celui
qu'éprouve l'enfant, dans le ressassement et la répétition des mêmes histoires.
Ce
ressassement a une utilité psychanalytique (analysée par Winnicott dans sa réflexion sur
le jeu) : l'enfant, en entendant une histoire sur laquelle il a prise (puisqu'il la connaît déjà
par coeur) apprend à maîtriser ses émotions, déclenchées de manière irraisonnée à la
première écoute (la peur du loup dans Le petit Chaperon Rouge) puis progressivement
dominées, jusqu'à n'être plus déclenchées que volontairement, de façon ludique (l'enfant
fait semblant d'avoir peur).
Ici intervient le "plaisir" dont parle Barthes: on a plaisir à se
faire peur quand on sait que "c'est pour rire".
_ une re-définition du tragique : le « tragique » peut se séparer de la tragédie, et son
atmosphère particulière, pour Barthes, provient de la connaissance qu’a le lecteur du
dénouement.
Cette omniscience rappelle la fatalité du Destin , telle qu’elle est exprimée
dans le prologue d’ Antigone de Jean Giraudoux : la tragédie y est comparée à une.
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