Auteurs: KANT
Publié le 02/12/2021
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L'image la plus éloquente de la philosophie kantienne est celle que Kant en donne lui-même, lorsqu'il compare sa méthode à la révolution copernicienne qui fit passer l'astronomie du géocentrisme à l'héliocentrisme.
Ce révolutionnaire, à la santé fragile et à la vie sans surprise, est né à Königsberg (Prusse orientale) en 1724, dans une famille très modeste. La piété profonde de sa mère lui inspire une horreur du mensonge et de la mauvaise foi, qu'il appliquera non seulement en morale mais également dans sa pensée spéculative.
Après des études de théologie et de philosophie, il devient précepteur en 1746, et s'introduit ainsi dans la bonne société de sa ville. Le penseur austère se double d'un homme raffiné dont l'esprit est apprécié dans les salons. En 1755, il devient privat dozent et entame 40 années d'enseignement. Il donne des cours de science, logique, métaphysique, théologie, anthropologie, pédagogie. En même temps, il développe sa recherche personnelle jusqu'à la publication tardive de ses grandes ouvres : en 1781, alors qu'il a presque 60 ans, paraît la Critique de la raison pure ; en 1788, la Critique de la raison pratique ; enfin, en 1790, la Critique de la faculté de juger. Cette intense création intellectuelle est soutenue par une vie parfaitement réglée : on raconte que seules la lecture d'une grande ouvre de Rousseau ou l'annonce de la Révolution française purent changer l'heure et le cours immuable de sa promenade quotidienne. Vers la fin de sa vie, Kant s'attache surtout à des questions religieuses, et s'efforce d'achever sa philosophie de la nature. Cette vie sereine, vouée au travail et agrémentée d'amitiés intellectuelles, s'achève en 1804, sur ces derniers mots : " es ist gut ", " c'est bien ".
Le but de la philosophie critique est d'établir si la métaphysique, qui cherche à connaître des objets au-delà du sensible, est possible comme science. Or, sur ces problèmes fondamentaux que sont l'existence de Dieu, l'immortalité de l'âme, et la liberté, il n'existe aucun accord entre les philosophies. Loin de progresser, comme le font la physique et la mathématique, la métaphysique est un champ de bataille sans arbitre. D'où la nécessité d'une critique, qui serve de tribunal où la raison elle-même juge ses prétentions et reconnaisse ses limites. Seule l'entreprise critique peut éviter que la philosophie s'épuise en vains conflits, et que le scepticisme triomphe ; elle seule est à même de redonner confiance à la raison et d'assurer son exercice légitime.
La critique propose une approche épistémologique qui légitime ou récuse les connaissances que nous possédons, en réfléchissant sur les conditions de possibilité de toute connaissance. C'est ce qui la définit comme philosophie transcendantale, c'est-à-dire comme une philosophie portant sur l'étude des conditions a priori de la connaissance, conditions qui sont universelles et nécessaires.
Ce retour de la pensée sur elle-même et sur son propre fonctionnement suppose un changement de perspective, analogue à la révolution copernicienne en astronomie : ce n'est plus la connaissance qui s'adapte aux objets qu'elle rencontre, mais les objets qui se règlent sur la forme de notre connaissance. Connaître n'est pas épouser la forme d'un objet déjà constitué, c'est construire cet objet selon les normes (jugements, catégories, schèmes et principes) que la raison tire d'elle-même, à partir d'une diversité donnée. L'objectivité résulte donc de la structure du sujet connaissant, ce qui à la fois rend possible une connaissance a priori, mais la voue à ne saisir que des phénomènes.
Cette redéfinition de la connaissance assigne pour premier travail à la Critique de la raison pure la description de ces structures qui déterminent le visage que nous offrent les choses. Ainsi, le temps et l'espace ne sont pas des propriétés réelles des choses, mais des formes de l'intuition qui conditionnent la perception que nous en avons.
De même, la connaissance rationnelle d'un objet n'est pas une adéquation entre le jugement et la chose jugée, mais la soumission ou la subsomption des intuitions sensibles sous des règles générales tirées de l'entendement : les catégories permettent de construire une expérience et donc de connaître un objet. Ainsi est garantie la légitimité de la connaissance dans le champ de l'expérience.
En contrepartie, ce qui ne relève pas de ce champ, comme les objets de la métaphysique traditionnelle, indique les limites de notre jugement, incapable de produire une connaissance solide dès qu'il se prive de l'appui de l'intuition, laquelle ne peut être pour nous que sensible.
Les conflits historiques de la métaphysique sont donc des illusions produites par l'usage illégitime d'une raison ignorante de ses propres limites. Toutefois, leur réduction critique ne signifie pas que les Idées de Dieu, de l'âme, et de l'univers soient données à la raison seulement pour la faire divaguer. Son échec à connaître le suprasensible indique que, par un usage théorique de ses Idées, la raison doit trouver une autre voie que celle de la connaissance pour satisfaire ses aspirations : cette voie sera la morale que Kant expose dans la Critique de la raison pratique publiée en 1788. L'usage de ces Idées est légitime lorsqu'il est pratique : Dieu, l'âme, et le monde ne sont pas des objets à connaître mais des postulats qu'il faut admettre pour diriger et donner sens à notre vie pratique. Ce passage de la philosophie de la connaissance à la philosophie pratique a pour conséquence de modifier l'approche des Idées de la Raison : elles ne constituent plus désormais des obstacles épistémologiques, mais des directions auxquelles le sujet doit conformer son action.
Ainsi, Kant ne borne notre connaissance que pour laisser notre raison s'épanouir comme raison pratique. Le XIXe siècle appauvrira le kantisme en le réduisant à une épistémologie qui nous prive de l'absolu : sa critique de la métaphysique et sa théorie de la connaissance ne se comprennent pleinement que dans la perspective de l'éthique.
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