Auguste Rodin

« Auguste Rodin (1840-1917) Certains artistes semblent éprouver un malin plaisir à se charger, volontairement ou incon­ sciemment, d'une telle somme de travail, d'un tel degré de difficulté, mais générateur d'un tel flot d'idées créatrices, que leur vie entière semble trop courte pour en venir à bout.

En 1880, Auguste Rodin avait quaran­ te ans.

Il y avait deux ans à peine que son nom avait acquis une certaine renommée.

Cette année-là, on lui avait confié la réalisa­ tion des portes de bronze destinées au futur musée des Arts décoratifs de Paris.

Rodin les qualifia de Portes de l'Enfer; elles lui inspirè­ rent quelques-unes de ses plus belles compo­ sitions, mais, près de quarante ans plus tard, l'année de sa mort, l'oeuvre était encore ina­ chevée et, de surcroît, inachevable.

Rodin était plutôt mauvais élève.

Il ne rêvait que de dessin, jusqu'au jour où il put enfin l'étudier à l'école des Frères à Paris.

Il entra par hasard dan 'ine classe où des élèves tra­ vaillaient l'argile et effectuaient des moula­ ges en plâtre. "Je voyais de l'argile pour la première fois de ma vie", écrira-t-il plus tard, "et il me semblait pénétrer enfin au pa­ radis." La sculpture venait de lui être révélée, mais il devra encore attendre de nombreuses années avant de pouvoir enfin extérioriser les oeu­ vres qu'il sentait en lui.

Pendant vingt ans, il effectua, pour des sculpteurs à la mode, de petits travaux peu intéressants. Cependant, âgé de trente-cinq ans, il eut l'occasion de vi­ siter l'Italie.

A Florence, il se sentit submergé par les statues de Michel-Ange et, en particu­ lier, par les nus, la Nuit et le Crépuscule de la chapelle Médicis, qui n'émergeaient que par­ tiellement d'un bloc de marbre grossièrement taillé. A son retour d'Italie, il sculpta une statue représentant un jeune soldat qu'il inti­ tula L'Age d'airain et qu'il présenta au Salon de Paris en 1874.

L'oeuvre fut acceptée, mais son réalisme saisissant suscita certaines ru­ meurs, selon lesquelles il aurait effectué ses moulages sur un modèle vivant.

Rodin en fut indigné, car il estimait, comme bon nombre de ses contemporains, que de telles pratiques étaient condamnables.

Les critères artisti­ ques de la sculpture étaient indigents au XIXe siècle, malgré la prolifération de grou­ pes allégoriques sur toutes les surfaces dispo­ nibles des façades des nouveaux immeubles.

Le comité d'admission du Salon avait recon­ nu les qualités exceptionnelles du soldat de Rodin; mais, au lieu de saluer cette oeuvre comme l'éclosion d'un talent génial, il A l'extrême droite: Le Baiser (1886), la plus sensuelle des nom­ breuses sculptures de couples pas­sionnés que Rodin créa. Cette oeuvre, parfois considérée com­ me la plus belle réussite de l'ar­ tiste, fut conçue pour la Porte de l'Enfer, où elle devait représenter Paolo et Francesca.

Ci-dessous: La Porte de l'Enfer.

Rodin s'inspira pour cette oeuvre de la Divine Comédie de Dante: "Vous qui entrez, laissez toute espérance. " soupçonna son auteur d'escroquerie.

Heu­ reusement, Rodin trouva des défenseurs, et le scandale eut également un effet positif, puisqu'il mit son nom sur toutes les bouches.

Beaucoup d'oeuvres de Rodin, tout au long de sa carrière, furent malheureusement accueillies de la même façon.

Rodin travailla à sa Porte de l'Enfer dans l'enthousiasme.

Dans un premier temps, il s'inspira des portes que Ghiberti avait conçues au XVe siècle pour le baptistère de Florence.

Rodin voulait orner son oeuvre d'i­ mages de désespoir et de souffrance.

Il se met à l'ouvrage dans une véritable frénésie créa­ trice. Les panneaux s'avérèrent rapidement trop petits, et une foule d'âmes tourmentées envahirent la totalité des portes jusque dans leurs moindres recoins, jetant la composition. »