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August Strindberg (1849-1912) Il naquit en 1849 à Stockholm.

Publié le 23/05/2020

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STRINDBERG Johan August. Ecrivain suédois. Né et mort à Stockholm (22 janvier 1849-14 mai 1912). Il est né dans une vieille maison de Riddarholmen, dans la partie la plus ancienne de Stockholm. Son père, Oskar Strindberg, était de bonne souche bourgeoise. Sa mère avait été fille d’auberge, avant de devenir la gouvernante, puis la maîtresse d'O). Stindberg qu’elle avait finalement épousé — d’où le titre que Strindberg donnera plus tard à son grand récit autobiographique Le Fils de la servante. Peu de temps après ce mariage, O. Strindberg avait fait faillite. Si l’on fait confiance à ses confessions (que démentent assez souvent les témoignages laissés par les sœurs de Strindberg), l’enfance du futur écrivain fut sombre.

Il prit rapidement conscience du contraste entre les classes supérieures (överklass) et les classes inférieures (underklass). Timide, gauche, il développa au sein de sa famille son esprit d’opposition. Son père se remarie après la mort de sa première femme. Le jeune Strindberg ne peut pas s’entendre avec sa belle-mère, il supporte malaisément l’autorité de son père. L’adolescence de Strindberg, moins sombre peut-être, elle aussi, qu’il n’a voulu la représenter, fut marquée par plusieurs crises morales et religieuses. Strindberg fut quelque temps piétiste, puis il lut avec passion les brochures du prédicant unitarien Parker; la confirmation de l’Êglise luthérienne d’Êtat le déçut, ne lui apportant pas les élans mystiques sur lesquels il avait compté. Face à son professeur de religion, il fit encore figure de révolté. En 1867, il commence ses études supérieures à Upsal. Mais il s’adapte mal au milieu universitaire; de plus les ressources financières lui manquent pour mener normalement ses études. Ici s’ouvre une période de tâtonnements, Strindberg ne sait vers quelle Profession il doit se tourner : il s’essaie à enseignement, il fait de très modestes débuts comme acteur au Théâtrè Royal Dramatique, il songe à se faire médecin. Une seule vocation s’affirme chez lui, celle d’auteur dramatique. Dès la fin de 1869, il compose une tragédie en vers, La Fin de l’Hellade, que couronne l’Académie suédoise. En 1869, ayant fait un petit héritage, il reprend ses études à Upsal. Il y fonde l’association Runa, vouée au culte du passé et de l’idéal nordiques. Il lit avec passion Les Brigands de Schiller, le Manfred de Byron. Il cherche à se pénétrer de la pensée de Kierkegaard. Si, littérairement, le séjour à Upsal est fécond — Strindberg y écrit trois drames, Le Libre Penseur , A Rome et Le Banni —, le jeune Strindberg reste psychologiquement instable. Il entre en conflit avec sa famille. Il ne mène Bas à bonne fin ses études, il quitte même Upsal sans avoir obtenu le moindre parchemin universitaire. Il devient journaliste et s’installe à Stockholm en 1872, bien décidé à y gagner sa vie. Mais il fréquente surtout les artistes et partage leur existence irrégulière. Il manifeste d’ailleurs lui-même, comme peintre de paysage, un talent vigoureux et original. Et ses premiers chefs-d’œuvre commencent à mûrir, Maître Olof et La Chambre rouge — ou mieux Le Cabinet rouge. En 1874, il entre, en qualité d’« ammanuens » (secrétaire ou attaché) à la Bibliothèque Royale, où il se livre à des recherches érudites, ce qui ne ralentit d’ailleurs pas son activité de publiciste et d’écrivain. Maître Olof ou L’Apostat est d’abord livré dans la version en prose (1872) que devait suivre, quatre ans plus tard, une seconde version, en vers. En 1876, Strindberg fait connaissance de la baronne Wrangel, née Siri von Essen, et de son mari, un officier de carrière. La baronne admire Strindberg, car il est auteur dramatique, alors qu’elle-même rêve de monter sur les planches. Strindberg s’éprend de la baronne. Celle-ci finira par divorcer, pour épouser Strindberg le 30 décembre 1877, après une longue série d’épisodes étranges ou semi-tragiques, dont les récits autobiographiques de Strindberg et surtout Le Plaidoyer d’un fou nous ont conservé plus ou moins fidèlement le souvenir. Les premières années du mariage furent heureuses, semble-t-il. Vers 1880, l’horizon commence à s’assombrir quelque peu, des dissentiments se font jour entre les époux, nous en trouvons les échos dès le drame La Femme de Sire Bengt [Her Bengts hustru, 1882]. Déjà Strindberg prend position contre les thèses d’Ibsen, très favorable à la cause féministe. Strindberg commence à cette époque la publication de récits historiques évoquant le passé national du peuple suédois : Le Peuple suédois [Svenska Oden och Âventyr]. Pour lui, l’histoire de la Suède se confond avec celle des petites gens, dont les souffrances et les sacrifices ne doivent jamais être oubliés. Strindberg met bien vite en péril la popularité que lui valent ces excellents récits. Il publie en effet Le Nouveau Royaume, roman satirique qui ridiculise la société suédoise et les institutions parlementaires récemment instaurées, mais qui contient aussi de désobligeantes (et transparentes) allusions personnelles. L’équilibre nerveux du poète paraît compromis dès 1883. Sa susceptibilité maladive l’oblige à quitter la Suède et il emmène avec lui sa famille. Il réside d’abord à Grez, près de Fontainebleau, au milieu d’une petite colonie d’artistes Scandinaves, puis à Passy, enfin à Neuilly. Il fait de sérieux efforts pour comprendre la vie spirituelle en France et pour apprendre le français de façon plus courante, il écrit dans diverses revues parisiennes. Nous retrouvons ensuite Strindberg en Suisse romande, à Ouchy, puis à Chexbres. Il publie en 1884 un recueil de nouvelles, Mariés, qui devait soulever des tempêtes; en effet, dans un de ces récits, Strindberg parle irrévérencieusement de la Cène luthérienne. Cité devant un tribunal à Stockholm, Strindberg accepte de comparaître, il se défend fort bien, il est acquitté (17 novembre 1884). Cependant son attitude antiféministe, plus accusée encore dans un second recueil de nouvelles (Mariés II, 1885), inquiète aussi bien son éditeur Bonnier que les écrivains de tendance radicale ou naturaliste de la «Jeune Suède». Jusqu’à ce moment penseur de tendance humanitaire, respectueux du Christ et de son enseignement, en dépit de certaines incartades, croyant en Dieu, Strindberg évolue ensuite rapidement et de façon déconcertante pendant ces années d’épreuves; nous le trouvons d’abord radical, se rapprochant des frères Brandès (les pontifes du radicalisme danois et Scandinave), affichant son athéisme, proclamant sa foi en la Science, désireux de faire œuvre positive, plutôt que de briller par son imagination (assez rapidement, aux approches des années quatre-vingt-dix, il tendra vers un aristocratisme intellectuel, s’éloignant alors du socialisme). Pour manifester sa ferveur positiviste, il se met à rédiger ses confessions (car on ne connaît vraiment qu’un être humain, soi-même, de plus Strindberg admire profondément Rousseau); c’est l’année 1886 qui voit paraître Le Fils de la servante et Fermentation, suivis de La Chambre rouge et de l'Ecrivain (rédigés en cette même année, mais publiés respectivement en 1887 et en 1909); il entreprend en 1886 également un voyage d’études en France, pour approcher de plus près les travailleurs de nos campagnes (Au milieu des paysans français, 1889). De plus en plus instable, le poète change perpétuellement de résidence; c’est sur les bords du lac de Constance que, pris de nostalgie pour l’archipel stockholmien, il écrit un de ses meilleurs romans, Les Habitants de Hemsô , c’est là aussi qu’il compose Père, et il oblige sa femme et ses enfants à partager sa vie errante et incertaine. L’harmonie a cessé progressivement de régner au sein d’une famille qui semble avoir connu environ sept années de bonheur. L’athéisme et l’antiféminisme agressifs de Strindberg choquent Siri. Elle regrette que son mari ne l’ait pas laissé poursuivre une carrière d’actrice, sur laquelle elle fondait les plus grands espoirs. Strindberg, qui, en ce temps, selon les dires de certains psychiatres, traversait une crise de type paranoïaque, détestait plusieurs personnes dans l’entourage de sa femme, notamment cette Marie David qui, d’après lui, incarnait le féminisme dans ce qu' il a de plus funeste, et qui servit de modèle au personnage d’Abel dans Les Camarades , il suspectait Siri, persuadé qu’elle le trompait. C’est dans cette atmosphère de suspicion et de combat que furent conçus et créés les chef-d’œuvre dramatiques de l’époque naturaliste, Père, Mademoiselle Julie, Créanciers, et toute une série de pièces en un acte, en particulier Le Lien [Bandet] et La Plus Forte. La lecture de Père avait suscité chez Emile Zola plus d’inquiétude que de sincère admiration (lettre à Strindberg du 14 décembre 1887). En revanche, Nietzsche, avec qui Strindberg était entré en relations grâce à Georg Brandès, appréciait beaucoup ce drame, et les deux hommes entamèrent une correspondance que devait interrompre un accès de folie du philosophe (1888). Strindberg découvrait dans les théories de Nietzsche (spécialement dans la notion du « surhomme ») une justification de sa propre philosophie, qui s’inspirait d’ailleurs des résultats acquis par la psychologie et la psychiatrie contemporaines. Strindberg fonde sa conception des rapports humains sur la notion de l’inégalité psychique entre les individus et sur l’importance de la suggestion dans la vie sociale; toute vie sociale art combat selon lui, et, dans le « combat des cerveaux », c’est toujours l’être psychiquement le plus fort qui l’emporte; la lutte, très âpre, peut s’achever en un « meurtre psychique » (v. le recueil d’essais et de nouvelles intitulé Vivisections). Mais Strindberg, hanté par ces idées hautaines, rendu d’autre part craintif et soupçonneux par la maladie mentale, faisait mener aux siens une vie de plus en plus pénible. Il fallut souvent changer de domicile. De l’automne 1887 au printemps 1889 Strindberg habita Copenhague ou sa banlieue; il y revint encore pour tenter de créer un théâtre Scandinave d’essai dans la capitale danoise, puis retourna s’installer en Suède, dans l’archipel de Stockholm, où il changea d’île à plusieurs reprises. Siri essaya de préserver le plus longtemps possible l’existence du foyer, mais Strindberg devint de plus en plus soupçonneux et blessant; la misère s’accroissait, car les éditeurs et les directeurs de théâtre suédois ne manifestaient aucun empressement pour accepter les ouvrages de ce poète à la réputation inquiétante. Finalement, Strindberg se sépara de sa femme et quitta non sans un terrible déchirement ses enfants, auxquels il demeura très attaché. Le divorce fut prononcé en 1891. Strindberg vécut alors à Brevik, se consolant de ses misères par la lecture de Balzac qu’il admira, et qui lui révéla, avec Séraphita, la grandeur de Swedenborg. Mais l’isolement lui pesait — on retrouve cette atmosphère pénible dans son roman Au bord de la vaste mer (1890) dont la première traduction française s’intitule Axel Borg. N’attendant plus rien de ses compatriotes ni des Danois, Strindberg avait l'impression qu’il était de nouveau condamné à quitter la Scandinavie. Il souhaitait se rendre en France, mais Antoine, qui devait monter Mademoiselle Julie, se faisait attendre. Strindberg écouta donc l’appel de son ami, le poète scanien Ola Hansson, qui lui chantait l’éloge du public allemand, et partit, un peu à contrecœur pour Berlin (septembre 1892). A Berlin, Strindberg aurait dû mettre à profit les succès qu’il ne tarda pas à remporter (Les Créanciers furent représentés soixante-dix fois au Residenz-Theater). Mais ses nerfs détraqués lui jouaient sans cesse de mauvais tours; il se brouilla avec tous ceux qui lui voulaient du bien. Sa vie privée était agitée. Il affectait de mépriser le naturalisme (encore en honneur en Allemagne, le naturalisme semblait déjà dépassé en Suède, où Verner von Heidenstam avait donné à la littérature une nouvelle orientation). Strindberg se considérait alors plutôt comme un savant voulant consacrer le meilleur de son temps à l’« hyperchimie ». Il courtisa une journaliste autrichienne de vingt et un ans, Frida Uhl, qu’il épousa à Heligoland, pendant l’été 1893. Le nouveau couple ne tarda pas à connaître diverses difficultés. Strindberg s’emporta parce que sa femme, malgré ses interdictions, eut l’audace de lire Le Plaidoyer d’un fou. Il rendit visite à ses beaux-parents en Autriche, mais eut tôt fait de se brouiller avec le père de Frida Uhl; il saisit la première occasion pour quitter la maison de famille. D’ailleurs les embarras d’argent empoisonnaient une fois de plus son existence. On trouve dans le drame Le Chemin de Damas l’écho de ces nombreuses tribulations. En août 1894, Strindberg vint s’installer à Paris. Sa femme le rejoignit en septembre, mais le quitta définitivement en novembre. L’union de Strindberg et de Frida Uhl ne devait être dissoute par le divorce qu’en 1897. Pendant son séjour, Strindberg multiplia les efforts pour « conquérir Paris ». Afin de punir sa patrie qui le méconnaissait, il souhaitait devenir écrivain français; c’était en français qu’il avait déjà rédigé naguère plusieurs mémoires scientifiques, puis l'ébauche du Plaidoyer d’un Fou (plus tard mise au point par Georges Loiseau); il avait traduit lui-même Père et Créanciers en français; de même il écrira en français Inferno. Au théâtre de l’Œuvre, Lugné-Poe fit triompher Créanciers, qui frappa la critique française plus que ne l’avaient fait Père ou même Mademoiselle Julie. Strindberg fit surtout sensation quand il publia de bruyants articles antiféministes, et il se trouva bientôt au centre de vives polémiques, auxquelles prit part G. Clemenceau lui-même. Strindberg continua à s’occuper d’hyperchimie et même d’occultisme. Cependant il ne réussit pas à s’imposer et sa notoriété s’estompa d’autant plus rapidement qu’il fut bientôt trahi par son état de santé. Il fut admis à l’hôpital Saint-Louis, souffrant d’une maladie de peau qui l’inquiétait (peut-être un psoriasis). En tout cas, Strindberg, dont l’existence avait déjà été troublée par une grave crise mentale au temps du procès de Mariés, traversa bientôt une série de redoutables malaises psychiques que l’on a désignés sous le nom de crise d’Inferno, car il en a consigné les épisodes les plus marquants dans son magnifique et terrible récit autobiographique. Ces crises, qui durèrent de juillet 1894 à novembre 1896, se présentent toutes à peu près de la même manière : le poète est d’abord saisi d’une vive agitation, le délire de la persécution l’habite, il menace de se suicider; puis c’est la rupture violente avec le milieu; Strindberg s’enfuit alors dans une nouvelle résidence, dont il ne communique pas l’adresse à ses proches. Enfin, ce fut le retour au calme. Mais la guérison plus complète ne survint qu’à Lund, petite ville universitaire du sud de la Suède, où des amis sûrs entouraient l’écrivain, qui trouva dans la lecture du mystique Swedenborg le réconfort, comme aussi l’explication de ses misères. Volontiers, il s’identifiait avec ce penseur, comme naguère il s’était identifié avec Kierkegaard, au temps où mûrissait Maître Olof. La crise d’Inferno amena une profonde transformation dans la vie spirituelle de Strindberg. Le poète rompit complètement avec le positivisme; en matière d’art, il chercha des voies nouvelles. Partout il crut découvrir des correspondances mystérieuses entre certains signes apparents et les événements qui suivent. Il se crut victime de forces occultes, les Puissances [Makterna]. Il lut avec passion la Bible, les écrits bouddhiques, fut impressionné par l’évolution de Huysmans et de Johannes Jörgensen. Toutefois il ne se convertit pas au catholicisme. En matière de religion, il resta, jusqu’à la fin de sa vie, partisan d’un syncrétisme hardi. Ce syncrétisme, très favorable à ses combinaisons poétiques, risque de dérouter tout exégète qui chercherait à cerner de plus près les opinions et la foi de Strindberg. Après sa guérison — à l’exception de quelques mois passés à Paris, de l’automne 1897 au printemps 1898 — l’écrivain demeura à Lund jusqu’à l’été 1899 : il s’installa alors, dès la Saint-Jean, à Furusund, dans l’archipel de Stockholm. Puis il s’établit à Stockholm, ville qu'il ne quitta plus jusqu’à sa mort, si l’on néglige un bref voyage au Danemark et une visite à Berlin en 1901, ainsi que quelques villégiatures d'été à Furusund. La crise d’Inferno avait donné un coup de fouet à Strindberg, qui produisit beaucoup pendant le séjour à Lund et les premières années qui suivirent son retour à Stockholm. Il consigna ses douloureuses expériences dans les récits Inferno, Légendes [1897] et le Combat de Jacob [1898]; elles lui fournirent aussi une matière à la trilogie du Chemin de Damas (I-II, 1898; III, 1904). On retrouve l’écho de ses déceptions anciennes ou récentes dans L’Avent (1898) — le premier des « mystères » que devait bientôt suivre Pâques [1901] — et La Danse de mort (1899), drame qui semble se relier à l’inspiration naturaliste tout autant qu’au courant « mystique ». Strindberg se tourna de nouveau vers le passé national qu’il avait quelque temps négligé, avec une série de drames historiques, la Saga des Folkung , Eric XIV, Gustave Vasa et Gustave-Adolphe (1899), et plus tard Charles XII (1901), Christine et Gustave III (1903). Strindberg menait à Stockholm la vie d’un misanthrope solitaire. Cependant, séduit par la grâce d’une jeune actrice norvégienne, Harriet Bosse, qui interprétait le rôle de la Dame dans Le Chemin de Damas, il demanda sa main et l’épousa le 6 mai 1901. Assez rapidement, la présence d’une femme auprès de lui sembla au poète une limitation intolérable de sa liberté individuelle, et les époux se séparèrent, peu après la naissance d’une petite fille (1902); le divorce ne devait cependant être prononcé qu’en 1904. Toutefois, avec le début de ce troisième mariage, coïncide un regain dans l’activité et l’inspiration du dramaturge — Svanevit, La Mariée à la couronne, et le plus fascinant peut-être de ses chefs-d’œuvre, Le Songe (1902). Strindberg ne négligeait pas non plus la littérature narrative; il revint, dans un esprit nouveau, à des thèmes anciens dans Baie de beauté, détroit de honte [ 1903]. Il alla s’installer dans un immeuble de Karlavägen qu’il baptisa « la tour bleue »; c’est l’époque des méditations philosophiques qu’il consigna dans les Livres bleus [I et II, 1907-08 et 1914]; il était retombé dans la solitude qui avait suivi le séjour à Lund et qu’il évoque dans son récit autobiographique intitulé Seul [ 1903]. Cependant, il voulait faire jouer les vingt-cinq drames qu’il avait écrits et qui n’avaient pas encore vu les feux de la rampe. Il ouvrit un petit théâtre d’essai à Stockholm, le Théâtre Intime, aidé par un jeune metteur en scène, Auguste Falck. Ce théâtre fonctionna de 1907 à 1910. Strindberg créa ses pièces intimes : Orage, Maison incendiée, Sonate des spectres, Le Pélican [1907]. A l’usage du personnel et des spectateurs, il dessina les grandes lignes de sa dramaturgie (Lettre ouverte aux membres du Théâtre Intime, 1908). Cependant, comme ses drames historiques n’avaient pas rencontré l’accueil qu’il souhaitait, son humeur satirique se réveilla; il écrivit deux romans assez violents qui nous ramènent aux outrances de La Chambre rouge et du Plaidoyer d’un fou; ce sont les Chambres gothiques et les Drapeaux noirs (écrits tous deux en 1904, le dernier publié seulement en 1907). Il reste un maître dans l’art de la nouvelle avec La Fête du couronnement de la maison [1906] et Le Bouc émissaire [1907]. Pendant ses dernières années, Strindberg fit œuvre de journaliste — ses articles furent recueillis en un volume : Discours à la nation suédoise (1910). Il attaquait la société bourgeoise de son temps dans des formes qui le rendirent sympathique à la jeunesse social-démocrate. Mais il ne se lia pas au destin du socialisme, dont le matérialisme lui répugnait. L’Académie suédoise ne le jugea pas digne du Prix Nobel, dont elle fit bénéficier Selma Lagerlôf. Cependant, l’écrivain prématurément vieilli eut encore la joie de recevoir l’hommage affectueux du peuple suédois et de cette ville de Stockholm qu’il avait tant aimée et si bien chantée. Une somme de quarante-cinq mille couronnes, fruit d’une collecte populaire, lui fut remise le 2 mars 1912 et il disposa immédiatement de ce don pour soutenir à son tour des institutions charitables. Une terrible maladie (le cancer) l’avait durement éprouvé. Il se montra courageux. Le 13 mai 1912, sentant la mort venir, il serra sur son cœur la Bible en murmurant : « Tout est expié. » Le lendemain, il rendait le dernier soupir. On peut difficilement porter un jugement d’ensemble sur une œuvre aussi vaste, aussi variée, et, à certains égards, aussi hétéroclite que celle de Strindberg : l’auteur suédois n’a pas écrit moins de cinquante-huit pièces de théâtre, sept ou huit grands romans, quelque douze recueils de nouvelles et, de plus, des études historiques, des essais scientifiques ou parascientifiques, des considérations fort aventureuses sur la linguistique historique, pour ne pas parler de ses articles de journaux et de revues, qui se comptent par dizaines. Malgré ces manifestations multiples et parfois quelque peu désordonnées du génie strindbergien, en dépit même de la coupure que forme la crise d’inferno, l’œuvre de Strindberg tout entière porte indiscutablement la marque de l’unité. Comme tous les écrivains vraiment grands, Strindberg se distingue de la masse parce qu’il possède l’art de dessiner des variations infinies sur quelques thèmes centraux, élémentaires, toujours les mêmes et toujours renouvelés, auxquels il ne cesse de s’intéresser et de nous intéresser. D’ailleurs toutes les œuvres majeures de Strindberg sont des confidences; on ne peut guère établir une distinction entre les œuvres autobiographiques et les œuvres de fiction. En effet, dans les premières Strindberg, bien souvent, mêle la fiction à la réalité; dans les secondes, nous retrouvons sans peine, derrière la fiction, les personnages, les événements, les amours et les ressentiments qui ont animé la conscience de Strindberg à une date plus ou moins récente. Il n’est pas jusqu’aux drames historiques qui ne doivent se soumettre à cette étrange obligation : Strindberg projette plus ou moins consciemment ses problèmes personnels sur les situations fournies par l’histoire de la Suède. Au centre de chaque œuvre nous retrouvons donc immanquablement le moi de Strindberg, victime de grandes ou de minuscules tribulations, à tout moment persécuté, en éternel procès avec lui-même, avec la Femme, avec les Puissances, proie magnifique pour les psychiatres qui se piquent de littérature. Les « pathograpnies » de Strindberg ne manquent pas; cependant, on ne peut pas dire qu’elles apportent à l’historien des lettres une aide appréciable. En effet, on aimerait que les psychiatres nous expliquent comment la tension nerveuse de Strindberg a pu se traduire dans le jeu des images, dans le chatoiement du vocabulaire, dans le rythme des répliques dramatiques, dans le mouvement du style. Mais, sur ce point, ils demeurent muets et ils étudient le « cas » Strindberg exactement comme ils feraient pour tel ou tel pensionnaire d’un de leurs asiles. De plus, ils prennent au pied de la lettre les récits que nous a laissés Strindberg : sous sa plume, les mots de « délire », « hallucination », « suggestion », « tension psychique » reviennent bien souvent ; il ne faut pas oublier que Strindberg a lu de très près les traités de psychologie et les ouvrages de psychiatrie qui lui sont tombés sous la main. Mais doit-on attribuer à ces mots, dans le texte de Strindberg, exactement la même valeur que leur donnent les médecins ? Faut-il faire confiance au diagnostic que formule un poète dont la science a été acquise bien hâtivement et qui était sans cesse obsédé par la crainte d’être enfermé dans un asile ? On constate en tout cas que la plupart des maladies mentales qu’on a pu lui attribuer (car les médecins n’ont pas pu se mettre d’accord sur le « cas » Strindberg) mènent normalement à la désagrégation de la personnalité. Or la personnalité de Strindberg, quelque insolite et inquiétante qu'elle puisse quelquefois paraître, ne semble jamais menacée de désagrégation; elle nous surprend même par sa cohérence et la constance de ses thèmes dominants. On s’est parfois demandé ce qu’il fallait placer au centre de l’œuvre : les romans ou bien les drames, ou encore les récits autobiographiques, et s’il fallait préférer la structure solide, la vigueur, la concentration des drames naturalistes aux assemblages plus lâches et aux spéculations plus hardies des drames oniriques qui apparaissent après la crise d'Inferno, ou des pièces intimes que joue le Théâtre Intime, à la fin de la carrière de l’auteur. En fait, on doit bien admettre, semble-t-il, que par don naturel Strindberg a été, avant tout, un maître du dialogue. Même dans son Journal occulte, qui n était pas destiné au public et qui reste impubliable, on découvre des dialogues. Ainsi s’explique que le drame constitue, comme l’a fort justement fait remarquer A. Jolivet, le noyau central de l’œuvre et que, dans les romans, les lecteurs sont tout particulièrement fascinés par la vigueur et le relief des dialogues. C’est d’ailleurs surtout le théâtre de Strindberg qui a rayonné sur l’Allemagne, puis sur toute l’Europe, et qui a fait naître l’expressionnisme dramatique de 1920, prolongement, écho affaibli du Chemin de Damas et du Songe — n’oublions pas cependant que Fr. Kafka admirait beaucoup les romans de Strindberg et surtout Au bord de la vaste mer ; on s’en apercevra si l’on compare ce récit angoissé au Château de Kafka. Strindberg, avec ses drames naturalistes ou paranaturalistes (nous songeons à La Danse de mort, qui fit en France une si forte impression), a fait surgir tout un théâtre cruel, tandis que ses « drames de rêve » qui paraissent anticiper sur les théories de Freud ont hanté poètes et dramaturges un peu partout dans le monde, en Allemagne au temps de Werfel, en France avec Lenormand, J. V. Pellerin et Gantillon; en Italie, Pirandello se situe, lui aussi, dans le prolongement de Strindberg; enfin il ne faut pas oublier les États-Unis où O’Neill se proclamait ouvertement le disciple du grand Suédois. Alors que, avec son « théâtre d’idées », Ibsen représente, dans l’art dramatique, l’équilibre, le mécanisme, la psychologie classique qui explique chaque personnage par ses antécédents et qui motive chaque acte de façon à nous satisfaire autant qu’il est possible, Strindberg inaugure un théâtre grinçant et désarticulé qui nous fait découvrir, par de brusques éclairs, des profondeurs abyssales : le théâtre de Strindberg, c’est peut-être déjà le théâtre d’aujourd’hui et de demain, image inquiétante d’un monde qui croit frôler à chaque instant la catastrophe et qui cherche péniblement à retrouver l'équilibre perdu.

« August Strindberg 1849-1912 Il naquit en 1849 à Stockholm.

Fils de la servante, c'est le nom qu'il se donne dans son autobiographie.

Mais ce n'était qu'une manière de parler ; sa mère était la fille d'un maître-artisan et son père descendait d'une famille bourgeoise de Stockholm.

Son enfance ne fut pas plus malheureuse que celle de tant d'autres à cette époque où l'industrialisation et les mouvements démocratiques commençaient à agiter la société suédoise.

Ce n'est pas, du reste, une enfance triste qu'il peint dans son autobiographie, c'est un enfant triste, tourmenté, nerveux. Étudiant à Upsala, le jeune Strindberg a déjà conscience de sa vocation littéraire et, bien qu'avec hésitation, il l'accepte.

La crise religieuse par laquelle il est passé a laissé des traces qui ne s'effaceront plus.

A plusieurs périodes de sa vie on voit reparaître chez lui ce moralisme nostalgique, héritage du piétisme, qui tend à dévaloriser toute activité esthétique.

A ces obstacles intérieurs s'ajoutent des difficultés pratiques : après les tâtonnements du début, il écrit à vingt-deux ans Maître Olof , qui reste l'un de ses chefs-d' œ uvre ; huit années passèrent pourtant avant que le drame ne soit porté à la scène, huit années de désillusions et de lutte qui feront de lui l'homme de révolte qu'il fut avant tout, celui pour qui m œ urs et idées sont à réviser pour la seule raison qu'elles sont admises et acceptées, donc périmées. Son premier succès le place sous le signe du naturalisme ; La Chambre Rouge fait de lui le chef de la jeune école littéraire qui s'est formée aux environs de 1880.

Viennent alors pour Strindberg des années d'exil volontaire qui le mènent en France, en Bavière, au Danemark. Ses difficultés matérielles grandissent ; il ne reste, avec sa famille, jamais plus de quelques mois au même endroit.

En dix ans Strindberg écrit une série de romans et de drames qui marquent les points culminants du mouvement naturaliste en Scandinavie.

Ses démêlés conjugaux s'ajoutent à ses ennuis et devaient aboutir en 1891 à la dissolution de son mariage avec l'actrice Strix von Essen. “ Courbe la tête, fier Sicambre ; brûle ce que tu as adoré, adore ce que tu as brûlé.

” Ce mot, qui sert d'épigraphe à Inferno , l'un des livres écrits en français par Strindberg, résume le drame de sa conversion.

On peut se demander comment un esprit aussi indiscipliné que le sien a pu jeter par-dessus bord son rationalisme et se réfugier dans des croyances de caractère primitif, superstitieuses même.

Ce problème de psychologie n'a pas sa place ici. On trouve chez Strindberg, même dans sa période la plus révoltée, un sentiment profond de culpabilité.

A tout prix il veut éviter de se donner tort à soi-même ; c'est pourquoi il s'acharne à charger les autres, la société, la vie.

Maintenant il voit l'autre face des choses et, dans sa vie passée, ne découvre que bassesse.

Il se fait pèlerin et pénitent.

Il s'agit toujours de se donner tort à soi-même. Il s'agit aussi d'échapper à la folie.

On a beaucoup discuté de la maladie psychique de Strindberg.

On lui a donné divers noms, également scientifiques.

Les faits sont pourtant assez simples.

Les idées de persécution qui s'emparent de Strindberg, surtout vers 1896, lui servent inconsciemment à écarter ses sentiments de culpabilité.

S'il est persécuté, c'est qu'il n'est pas coupable lui-même.

C'est une ruse psychologique.

Il l'a compris lui-même et dans. »

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