Article encyclopédique NAZISME

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Doctrine et régime politiques à caractère fasciste et totalitaire, mis en oeuvre en Allemagne, à partir de 1933, par Adolf Hitler. Le mot « nazisme » est une contraction de Nationalsozialismus (national-socialisme). Le « comment cela fut-il possible ? » est devenu le point de départ obligé de toute réflexion sur cette monstruosité qui fit de l'Allemagne la « patrie d'Auschwitz ». Depuis 1945, les tentatives de réponse n'ont pas manqué, empruntant principalement deux directions. Pour les uns, le nazisme est un débouché logique du « chemin particulier » (Sonderweg) suivi par l'histoire allemande. Pour les autres, il appartient à une famille européenne de phénomènes - le totalitarisme, le fascisme, la transition modernisatrice, c'est selon - qui ont touché toutes les sociétés, quoique de manière inégale. Il est patent que la première interprétation passe au noir les particularités allemandes en prenant pour étalon une voie « normale » bien difficile à situer historiquement et que la seconde nivelle les contextes nationaux et risque d'aplatir la spécificité des crimes nazis. Sans doute, les éléments européens dans le nazisme sont-ils bien présents et mériteraient d'être davantage soulignés. Cela est vrai pour l'idéologie nazie dont les ingrédients circulent à travers le continent depuis la fin du xixe siècle, qu'il s'agisse de l'antisémitisme ou du racisme, du darwinisme social ou de l'eugénisme ; autant de courants qui rompent ainsi avec l'humanitarisme des Lumières pour concevoir une espèce humaine qui serait divisée en collectivités fermées et hiérarchisées, biologiquement fondées et, comme telles, ouvertes à des mesures drastiques d'assainissement. Cela est vrai encore des idées de puissance nationale et d'expansion impériale qui trouvent leur haut point en Europe au tournant du siècle à la faveur du processus de « nationalisation des masses », tout comme des formes de mobilisation, d'encadrement et de contrôle de la population par un parti monopolisant le pouvoir, qui se répandent au lendemain de la Grande Guerre. Une configuration allemande. Ces éléments se sont cependant inscrits en Allemagne dans une configuration spécifique qui a facilité l'accession au pouvoir et l'acceptation par une large partie de la population d'un mouvement comme le parti nazi (NSDAP, Parti ouvrier allemand national-socialiste). Dans le moyen terme et tout en refusant toute logique de prédétermination, il faut bien parler des fragilités de l'expérience allemande : une unité nationale tardive, à la fin du xixe siècle, et qui ne parvient pas à ancrer un consensus sur les contours définitifs de l'ensemble allemand ; une démocratisation limitée, largement manipulée d'en haut, assurant une influence considérable à des couches préindustrielles comme la noblesse et facilitant la persistance dans la population de nostalgies passéistes et la familiarité avec l'autoritarisme, qui se traduisent notamment par l'attachement à un pouvoir personnalisé ; une industrialisation aussi forte que rapide, diffusant la peur d'un bouleversement social et fortifiant l'imaginaire d'une communauté nationale à forte cohérence, enjambant les clivages régionaux et confessionnels ; enfin, une vision des relations internationales marquée par l'idée de l'encerclement et d'une conspiration des puissances visant à priver le peuple allemand de sa « place au soleil », dont l'effet est de renforcer un état d'esprit nationaliste, militariste et impérialiste. Sans doute, d'autres forces - le libéralisme, le socialisme, la démocratie chrétienne -oeuvrent-elles à un avenir différent. Mais ces courants, d'ailleurs aux prises les uns avec les autres, peinent à s'affirmer et ne sont pas eux-mêmes exempts d'« illibéralisme ». Mis en selle par la défaite de 1918, ils rencontrent une conjoncture désastreuse qui, faisant rejouer les failles de l'expérience allemande, sera déterminante pour le succès nazi. Á la défaite et au refus majoritaire d'un règlement de paix tenu pour carthaginois (« Diktat ») se combine l'ébranlement social profond produit par la crise économique - la double crise qui encadre quelques années de prospérité entre l'hyperinflation de l'immédiat après-guerre et la dépression de la fin de la décennie. Prise sous le feu croisé des extrémistes de gauche et de droite, acceptée à contrecoeur par beaucoup, la démocratie de Weimar ne fut pas capable de satisfaire le souhait d'un retour à la normale et l'aspiration à une restauration, vaguement mais largement éprouvés. Paradoxalement, ce souhait de retour à la normale et ces aspirations restauratrices fonderont le succès du parti nazi qui saura se présenter, sur un mode brutal et hystérique, en agent de leur réalisation. Une fulgurante montée en puissance. Force marginale dans les années 1920, le nazisme devient en un temps record un puissant mouvement, accrédité par un gros tiers des électeurs (37,3 % en juillet 1932, au plus haut 43,9 % dans le cadre semi-libre des élections de mars 1933), avant tout au détriment des partis de droite et du centre, mais non sans mordre de plus en plus nettement sur l'électorat socialiste et catholique. Le pied lui fut mis à l'étrier par les conservateurs, désireux de l'utiliser pour effectuer à leur profit le passage à un régime autoritaire. Accepté entre la résignation et l'enthousiasme, bénéficiant d'un assez large préjugé favorable que n'encouragent pas peu le ralliement et le soutien des élites du pays, le gouvernement d'Adolf Hitler va non seulement monopoliser très rapidement le pouvoir, en poussant sur les bas-côtés les conservateurs, mais aussi attirer et lier à lui une grande partie de la population grâce à une politique qui propose une réponse à des attentes massives : le retour à l'ordre et la suppression de l'« agitation marxiste », la fin de l'insécurité sociale et économique grâce à une reprise tirée par le réarmement et les grands travaux, une ouverture sur la société de consommation et un espoir de plus grande mobilité sociale, enfin certaines satisfactions de fierté nationale par la revendication de l'égalité des droits avec les vainqueurs de la Grande Guerre, puis par les premiers succès extérieurs, habilement accompagnés de constantes assurances de paix. Un pouvoir extrémiste habillé en costume traditionnel. Tout cela présente diverses conséquences au niveau des perceptions : tendance à mettre en balance - en laissant un solde positif - les « bons » et les « mauvais » aspects du régime, inclination répandue à auréoler Hitler et à l'exempter des critiques que suscite l'action du gouvernement et du parti. Pouvoir extrémiste habillé en costume traditionnel, le régime nazi n'aurait évidemment pas réussi à susciter cette impression rassurante s'il n'y avait pas eu dans la population la base suffisante à un malentendu - le terme de « malentendu » disant aussi ici le désir de ne pas entendre - qui allait lui permettre d'avancer vers ses objectifs. Il est vrai que, au début du moins, ces objectifs furent rarement perçus dans toute leur radicalité (et à l'étranger comme en Allemagne), qu'il s'agisse de la volonté d'expansion, dépassant de loin la révision du traité de Versailles de 1919, voire la réunion de tous les Allemands dans un même État, ou de l'entreprise de remodelage racial qui devait s'étendre à l'ensemble du continent. Celle-ci commença pourtant dès l'arrivée au pouvoir et se traduisit - en même temps que par une discrimination progressive des Juifs et des Tsiganes - par l'épuration de la « race allemande » elle-même, par la stérilisation forcée de plus de 300 000 personnes souffrant de maladies déclarées héréditaires, puis, après l'éclatement de la guerre, par l'assassinat secret (un secret éventé) d'au moins 70 000 malades mentaux. Avec la guerre, le rythme de la persécution va se précipiter et son ampleur va prendre des formes aussi massives que visibles, à commencer par les déportations de centaines de milliers de Polonais vivant sur les territoires nouvellement annexés au Reich, puis par l'organisation à l'échelle continentale de la déportation et de l'extermination des Juifs. En vérité, pour qui voulait entendre, il était possible de comprendre dès le milieu des années 1930 que la militarisation intense de la société, jointe à l'obsession raciale et aux ambitions « millénaires » des nazis, faisait système et menait droit au bain de sang. De la même façon qu'il pouvait faire fond sur les besoins de sécurité et les ressentiments nationalistes de beaucoup d'Allemands, le régime pouvait ici encore exploiter des valeurs et des croyances diffuses. Des préjugés populaires contre les Juifs, les Tsiganes, les Slaves, les Polonais en particulier retrouveront ainsi de la vigueur, et plus largement une xénophobie s'exprimera à l'encontre des travailleurs étrangers emmenés de force en Allemagne pendant la guerre. Des préjugés à fondement pseudo-scientifique reçus dans les milieux cultivés, tels l'eugénisme et l'« hygiène raciale » dans les professions de la santé ou encore dans les sciences sociales, des modèles de pensée inspirés par le social-darwinisme et le racisme conduiront de nombreux universitaires (géographes, démographes, économistes, etc.) à mettre au service du régime une expertise justifiant et facilitant la réalisation de sa politique raciale. « Normalité » et monstruosité. Le régime nazi sait mettre à profit ces éléments propices à son succès, auxquels il donne une légitimité étatique. Il ne rencontre plus d'obstacles sur son chemin après la suppression du pluralisme d'opinion en 1933 et grâce au silence craintif des Églises (le clergé catholique, qui finit par protester en 1941 contre l'« euthanasie », se tait lors de la déportation des Juifs). Á l'intérieur même des institutions, la perte d'influence des conservateurs facilite la montée en puissance de la SS (Schutzstaffel) qui, devenant l'exécutant privilégié des conceptions raciales de Hitler, pousse dans la voie de la radicalisation. Une partie des formes extrêmes de cette radicalisation échappera à la perception du peuple allemand, à cause du contexte de la guerre totale qui permettra à Hitler de faire jouer à son profit, pratiquement jusqu'au bout, un nationalisme renforcé par la crainte des représailles des peuples occupés d'Europe, en particulier de celles que pourrait provoquer une victoire soviétique. La monstruosité nazie, loin d'être le produit de circonstances extraordinaires, d'une conjoncture militaire défavorable, réalisait tout simplement le potentiel meurtrier originel d'une idéologie. Mais cette monstruosité, si elle interpelle la conscience européenne sur des aberrations idéologiques qui sont aussi de sa création, offre en même temps matière à réflexion sur la « normalité » qui a permis à ces aberrations de se déployer dans la réalité. La trajectoire du régime nazi, et notamment sa popularité, montre que, dans des circonstances particulières, des motivations que l'on qualifierait de « normales » en comparaison historique (l'espoir d'une vie meilleure, le souhait de solidarité et de grandeur nationales), associées à des préjugés racistes et xénophobes banalisés puis officialisés, font un très efficace tremplin pour une politique radicale qui laisse derrière elle des dizaines de millions de morts et d'incommensurables souffrances. Philippe BURRIN ALLEMAGNE.