ARTICLE DE PRESSE: Washington contre le Japon
Publié le 10/12/2021
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28 juin 1995 - L'administration américaine a rendu publique, mardi 16 mai, la liste des sanctions que les Etats-Unis imposeront au Japon si un compromis n'est pas trouvé dans le différend sur l'automobile. Treize modèles de voitures de haut de gamme sont touchées, représentant 5,9 milliards de dollars d'importations en 1994. LA MAISON BLANCHE a exprimé son " inquiétude " de voir ce conflit affecter l'ensemble des relations entre Washington et Tokyo. L'OMC (Organisation mondiale du commerce), chargée de veiller sur la libre circulation des échanges pourrait arbitrer ce différend qui serait le premier soumis à la nouvelle institution succédant au GATT. Les relations entre les Etats-Unis et le Japon sont entrées dans une phase incertaine. Si l'actuel différend sur l'automobile devait déboucher sur une véritable " guerre commerciale ", il est probable que les liens historiques qui existent entre Washington et Tokyo et qui garantissent la sécurité du Japon en seraient affectés. Dans l'immédiat, l'épreuve de force entre les deux pays est d'ordre psychologique et tactique. C'est dans ce registre que s'inscrivent les mesures punitives annoncées, mardi 16 mai, par Mickey Kantor, le représentant américain pour le commerce. Faute d'accord, les Etats-Unis mettront en place un mécanisme de sanctions contre les importations de certaines voitures japonaises, qui seront frappées de droits de douane allant jusqu'à 100. Treize modèles d'automobiles de luxe sont visés, dont le prix, aux Etats-Unis, s'échelonne de 25 000 à 51 000 dollars (de 112 000 à 230 000 francs). En 1994, la valeur totale des importations de ces véhicules haut de gamme atteignait 5,9 milliards de dollars. En concentrant ses représailles sur un nombre restreint de produits, l'administration américaine entend signifier qu'il est vain d'espérer, comme ce fut le cas dans le passé, une révision à la baisse des sanctions. Avec une simple hausse de 20 % des taxes (normalement fixées à 2,5 %), une voiture de 50 000 dollars augmenterait de 10 000 dollars, devenant peu concurrentielle par rapport à d'autres modèles importés. Même si l'on peut supposer que d'autres considérations l'ont guidée, l'administration américaine déclare avoir choisi à dessein des voitures de luxe pour éviter de pénaliser un grand nombre de consommateurs américains. Les négociations bilatérales vont reprendre selon un calendrier relativement précis. Le Japon ayant annoncé qu'il saisirait dès mercredi l'Organisation mondiale du commerce (OMC), des consultations vont être organisées au cours des dix prochains jours. Si Mickey Kantor et Ryutaro Hashimoto, le ministre japonais de l'industrie et du commerce international, ne parviennent pas à s'entendre, Tokyo demandera à l'OMC la constitution d'une commission d'arbitrage, laquelle aura une vingtaine de jours pour faire connaître son verdict. Ce processus repousse au 28 juin la date à laquelle Washington mettra, éventuellement, sa menace à exécution, l'augmentation des droits de douane pouvant alors être appliquée début juillet. Les Américains ne souhaitent pas en arriver là. Une ultime occasion de parvenir à un compromis se présentera lors de la rencontre entre Bill Clinton et Tomiichi Murayama, le premier ministre nippon, à l'occasion du sommet du G7, le mois prochain, à Halifax (Nouvelle-Ecosse). Washington affiche une assurance un peu forcée quant à la décision que pourrait prendre l'OMC. L'Organisation, qui a succédé au GATT, a pour vocation d'arbitrer des conflits commerciaux internationaux, et l'on voit mal, dans un premier temps au moins, comment elle pourrait ne pas condamner une démarche unilatérale des Etats-Unis, a priori contraire au principe fondateur le multilatéralisme de l'OMC. Quant au conflit lui-même, il peut sembler paradoxal de voir deux pays qui ont fait du libre-échange un dogme économique s'accuser mutuellement de protectionnisme. L'administration américaine se fait fort de prouver que le marché automobile nippon empêche la libre importation de véhicules et de composants automobiles américains, mais elle se refuse à prendre en compte une réalité commerciale : la qualité des voitures américaines n'a pas toujours bonne réputation au Japon. A Washington, comme à Tokyo, les diplomates sont, par ailleurs, préoccupés par les conséquences possibles sur la " relation de sécurité " entre les Etats-Unis et le Japon. " Le parapluie militaire " La Maison Blanche a confirmé, mardi, qu'il s'agissait d'un " sujet d'inquiétude ", et Bill Clinton a souligné : " le gouvernement japonais a reconnu que nous avons d'importants intérêts de sécurité et d'autres intérêts en commun, et que nous ne pouvons laisser toute notre relation être ruinée [par le différend actuel]. " Jusque-là, Washington n'avait jamais clairement établi de parallèle entre les relations commerciales souvent difficiles entre les deux pays et le " parapluie " diplomatique et militaire des Etats-Unis. Celui-ci se manifeste, concrètement, par la présence, au Japon, de quelque 45 000 soldats et de navires de guerre américains. Avec la fin de la guerre froide, plusieurs pays asiatiques se sont interrogés sur la détermination américaine à maintenir une forte présence dissuasive dans la région. Aux Etats-Unis, la logique consistant à garantir la sécurité de pays dont la stratégie économique nuit aux intérêts commerciaux de l'Amérique est contestée. En février dernier, une étude du Pentagone a cependant réaffirmé la nécessité pour les Etats-Unis de maintenir au moins 100 000 soldats en Asie. Dans quelle mesure cet engagement pourrait-il pâtir d'une détérioration des relations diplomatiques entre Washington et Tokyo, qui serait nourrie d'un grave conflit commercial ? La question, en tout cas, ne semble plus tout à fait académique. LAURENT ZECCHINI Le Monde du 18 mai 1995
28 juin 1995 - L'administration américaine a rendu publique, mardi 16 mai, la liste des sanctions que les Etats-Unis imposeront au Japon si un compromis n'est pas trouvé dans le différend sur l'automobile. Treize modèles de voitures de haut de gamme sont touchées, représentant 5,9 milliards de dollars d'importations en 1994. LA MAISON BLANCHE a exprimé son " inquiétude " de voir ce conflit affecter l'ensemble des relations entre Washington et Tokyo. L'OMC (Organisation mondiale du commerce), chargée de veiller sur la libre circulation des échanges pourrait arbitrer ce différend qui serait le premier soumis à la nouvelle institution succédant au GATT. Les relations entre les Etats-Unis et le Japon sont entrées dans une phase incertaine. Si l'actuel différend sur l'automobile devait déboucher sur une véritable " guerre commerciale ", il est probable que les liens historiques qui existent entre Washington et Tokyo et qui garantissent la sécurité du Japon en seraient affectés. Dans l'immédiat, l'épreuve de force entre les deux pays est d'ordre psychologique et tactique. C'est dans ce registre que s'inscrivent les mesures punitives annoncées, mardi 16 mai, par Mickey Kantor, le représentant américain pour le commerce. Faute d'accord, les Etats-Unis mettront en place un mécanisme de sanctions contre les importations de certaines voitures japonaises, qui seront frappées de droits de douane allant jusqu'à 100. Treize modèles d'automobiles de luxe sont visés, dont le prix, aux Etats-Unis, s'échelonne de 25 000 à 51 000 dollars (de 112 000 à 230 000 francs). En 1994, la valeur totale des importations de ces véhicules haut de gamme atteignait 5,9 milliards de dollars. En concentrant ses représailles sur un nombre restreint de produits, l'administration américaine entend signifier qu'il est vain d'espérer, comme ce fut le cas dans le passé, une révision à la baisse des sanctions. Avec une simple hausse de 20 % des taxes (normalement fixées à 2,5 %), une voiture de 50 000 dollars augmenterait de 10 000 dollars, devenant peu concurrentielle par rapport à d'autres modèles importés. Même si l'on peut supposer que d'autres considérations l'ont guidée, l'administration américaine déclare avoir choisi à dessein des voitures de luxe pour éviter de pénaliser un grand nombre de consommateurs américains. Les négociations bilatérales vont reprendre selon un calendrier relativement précis. Le Japon ayant annoncé qu'il saisirait dès mercredi l'Organisation mondiale du commerce (OMC), des consultations vont être organisées au cours des dix prochains jours. Si Mickey Kantor et Ryutaro Hashimoto, le ministre japonais de l'industrie et du commerce international, ne parviennent pas à s'entendre, Tokyo demandera à l'OMC la constitution d'une commission d'arbitrage, laquelle aura une vingtaine de jours pour faire connaître son verdict. Ce processus repousse au 28 juin la date à laquelle Washington mettra, éventuellement, sa menace à exécution, l'augmentation des droits de douane pouvant alors être appliquée début juillet. Les Américains ne souhaitent pas en arriver là. Une ultime occasion de parvenir à un compromis se présentera lors de la rencontre entre Bill Clinton et Tomiichi Murayama, le premier ministre nippon, à l'occasion du sommet du G7, le mois prochain, à Halifax (Nouvelle-Ecosse). Washington affiche une assurance un peu forcée quant à la décision que pourrait prendre l'OMC. L'Organisation, qui a succédé au GATT, a pour vocation d'arbitrer des conflits commerciaux internationaux, et l'on voit mal, dans un premier temps au moins, comment elle pourrait ne pas condamner une démarche unilatérale des Etats-Unis, a priori contraire au principe fondateur le multilatéralisme de l'OMC. Quant au conflit lui-même, il peut sembler paradoxal de voir deux pays qui ont fait du libre-échange un dogme économique s'accuser mutuellement de protectionnisme. L'administration américaine se fait fort de prouver que le marché automobile nippon empêche la libre importation de véhicules et de composants automobiles américains, mais elle se refuse à prendre en compte une réalité commerciale : la qualité des voitures américaines n'a pas toujours bonne réputation au Japon. A Washington, comme à Tokyo, les diplomates sont, par ailleurs, préoccupés par les conséquences possibles sur la " relation de sécurité " entre les Etats-Unis et le Japon. " Le parapluie militaire " La Maison Blanche a confirmé, mardi, qu'il s'agissait d'un " sujet d'inquiétude ", et Bill Clinton a souligné : " le gouvernement japonais a reconnu que nous avons d'importants intérêts de sécurité et d'autres intérêts en commun, et que nous ne pouvons laisser toute notre relation être ruinée [par le différend actuel]. " Jusque-là, Washington n'avait jamais clairement établi de parallèle entre les relations commerciales souvent difficiles entre les deux pays et le " parapluie " diplomatique et militaire des Etats-Unis. Celui-ci se manifeste, concrètement, par la présence, au Japon, de quelque 45 000 soldats et de navires de guerre américains. Avec la fin de la guerre froide, plusieurs pays asiatiques se sont interrogés sur la détermination américaine à maintenir une forte présence dissuasive dans la région. Aux Etats-Unis, la logique consistant à garantir la sécurité de pays dont la stratégie économique nuit aux intérêts commerciaux de l'Amérique est contestée. En février dernier, une étude du Pentagone a cependant réaffirmé la nécessité pour les Etats-Unis de maintenir au moins 100 000 soldats en Asie. Dans quelle mesure cet engagement pourrait-il pâtir d'une détérioration des relations diplomatiques entre Washington et Tokyo, qui serait nourrie d'un grave conflit commercial ? La question, en tout cas, ne semble plus tout à fait académique. LAURENT ZECCHINI Le Monde du 18 mai 1995
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