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ARTICLE DE PRESSE: Les généraux restent plus que jamais les maîtres du pays

Publié le 10/12/2021

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16 novembre 1995 - Entrée en guerre par les urnes, en 1992, l'Algérie réussira-t-elle, en 1995, à retrouver la paix en usant du même moyen ? Telle est l'espérance, a priori paradoxale, de ceux qui ont participé, jeudi 16 novembre, au premier tour de l'élection présidentielle. Epuisés par près de quatre ans de violence, la plupart des Algériens sont restés sourds aux appels de l'opposition : le mot d'ordre de boycottage, lancé par les vainqueurs du scrutin de décembre 1991, n'a pas été suivi. A cet égard, le taux de participation de 75 % est éloquent. Quant aux " républicains démocrates ", dont le Kabyle Saïd Sadi a voulu se faire le héraut, ils n'ont pas non plus réussi à séduire massivement l'électorat arabisant. Certes, on risque d'entendre les déçus du scrutin hurler au bourrage des urnes. Hier, c'était aux anti-islamistes, paniqués par le succès du " parti de Dieu " et doutant des vertus salvatrices de la démocratie, de jouer cette partition. Aujourd'hui, les rôles sont inversés. Ce sera vraisemblablement aux vainqueurs de 1991, les " trois F " le Front islamique du salut (FIS), le FLN et le Front des forces socialistes (FFS) , d'emboucher ces trompettes. Mais les probables irrégularités qui ont entaché le vote de jeudi ne suffisent pas à masquer le réel engouement de la population. Les urnes contre la guerre ? Le slogan est passé. La réalité suivra-t-elle ? Rien n'est moins sûr. Cette victoire du régime est d'abord celle de l'armée. Les quelque 61,34 % de suffrages obtenus par Liamine Zeroual ont des allures de plébiscite. Prise en main par les militaires dès l'indépendance, l'Algérie vient, trente-trois ans plus tard, d'accorder à ses généraux un indéniable satisfecit. Y avait-il d'autre choix ? La parenthèse démocratique qu'a vécue le pays, entre 1989 et 1992, aura été trop brève. Cette " décompression autoritaire ", pour reprendre le mot de l'historien Mohamed Harbi, n'a pas permis aux Algériens de changer le cours des choses. A peine esquissé, l'apprentissage de la vie politique a été stoppé aussi brutalement qu'a été suspendu le processus électoral, le 11 janvier 1992. La lutte pour le pouvoir s'est retrouvée réduite à son équation coutumière, " la force et la ruse ", selon la formule du politologue Lahouari Addi. L'armada déployée pour protéger les bureaux de vote en dit long, à elle seule, sur les menaces que font encore peser les groupes islamistes armés. Force est de reconnaître, cependant, que ce dispositif a été efficace : aucune opération terroriste d'envergure n'a entravé le déroulement du scrutin. Les desperados se livreront-ils, comme promis, à des actes de représailles à l'encontre de populations isolées, " coupables " d'avoir participé à l'élection ? L'absence d'incident pendant le scrutin n'en trahit pas moins un affaiblissement de l'islamisme armé. Il sera d'autant plus remarqué, estime le chercheur en sciences politiques Luis Martinez, que les performances barbares de la guérilla islamiste ont été l'objet, sur les rives de la Méditerranée, d'une médiatisation " parfois outrancière ". L'élection présidentielle, tout en donnant une meilleure idée du rapport des forces, pourrait accélérer la " sanctuarisation " des maquis. Mais ce n'est pas à ces derniers, précise l'universitaire, que le " message " du 16 novembre s'adresse en priorité. L'enthousiasme de l'électorat traduirait, avant tout, un élargissement de l'assise sociale du régime. Il est vrai que la crise meurtrière qui déchire l'Algérie n'a pas fait que des martyrs. Nombre de petits entrepreneurs, hier alliés du FIS, ont vu leurs intérêts confortés à la fois par la guerre qui nuit principalement, dans le domaine économique, aux sociétés d'Etat, et par les nouvelles mesures libérales qui facilitent l'accès aux devises et le contact avec les administrations. Deuxième catégorie liée au régime : le " personnel sécuritaire ", hors l'armée. Le sort des gardes communaux, des membres de milices privées ou des indicateurs de police dépend, à l'évidence, du succès de la politique répressive. " Rentiers du nationalisme " Une partie de la base traditionnelle du FLN, enfin, comme les membres de l'Organisation des anciens moudjahidines combattants de la guerre d'indépendance , devrait compter parmi les soutiens du régime. L'ancien comme le nouveau. Pour ces " rentiers du nationalisme ", qu'importe le flacon... La thèse défendue par M. Martinez rejoint, par bien des aspects, celle de certains intellectuels algériens, qui pensent que la consécration de la caste militaire pourrait permettre, à terme, une restauration de l'Etat. Cette analyse laisse toutefois de côté la question des jeunes, majoritaires dans le pays, que la " nouvelle " équipe dirigeante aura du mal à détourner des dérives de la délinquance ou de la tentation du maquis. Est laissée aussi dans l'ombre la question de la cohésion de l'armée. Une fois passé l'état de grâce, les rivalités intestines ne risquent-elles pas de resurgir ? " Le problème, avec Zeroual, c'est qu'il ne sait ni bien dialoguer ni bien réprimer, confiait en privé, peu avant le scrutin, un proche des généraux. Il n'est pas certain, dans ces conditions, qu'il finisse son mandat... ". CATHERINE SIMON Le Monde du 18 novembre 1995

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