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ARTICLE DE PRESSE: L'économie japonaise émerge de quatre chocs successifs

Publié le 10/12/2021

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17 janvier 1995 - Baisse de la production industrielle, augmentation du chômage : les dernières nouvelles en provenance du Japon ne sont pas fameuses. En janvier, les usines ont nettement moins produit qu'en décembre ( 1,4 %) et le terrible tremblement de terre qui a ravagé les préfectures d'Osaka, de Hyogo et détruit Kobé, deuxième port du pays, n'expliquent pas tout, à peine la moitié de la perte. Déjà, en octobre et en décembre 1994, la production industrielle avait baissé. En fait, la reprise économique qui a commencé de se dessiner au début de l'année dernière ne s'affermit que difficilement, malgré un environnement mondial extrêmement porteur : très forte croissance en Asie et en Amérique du Nord, amorce d'une reprise solide en Europe. La production industrielle nippone, qui en janvier dernier chiffre connu dépassait tout de même de 5 % son niveau de janvier 1994, n'a toujours pas retrouvé les sommets de 1989-1990. C'est que la chute de 1992 et 1993 aura été sévère, représentant 10 % sur ces deux années noires, une contre-performance exceptionnelle, attestant de la sévérité d'une crise dont le Japon n'avait pas connu d'équivalent depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Les faillites se sont multipliées et le chômage a atteint 2,9 % de la population active en janvier dans un pays ou le phénomène était statistiquement du moins pratiquement inexistant (2 % en 1990 et 1991). Du coup, la croissance économique dont le Japon s'était fait le champion, avec des taux moyens de 4 à 5 % l'an au cours de la décennie 70, a été nulle en 1993, après avoir été de 1 % en 1992. Que serait-il arrivé si les pouvoirs publics, inquiets de la dégradation de l'activité, n'avaient décidé de soutenir l'activité au fil de quatre plans de relance successifs, dont le premier, massif, remonte à août 1992 et a représenté l'équivalent de 2 % du produit intérieur brut. Les trois plans qui suivirent au Japon ont grossi la mise, totalisant l'équivalent de 450 milliards de dollars de dépenses, celles-ci incluant l'utilisation de l'épargne privée gérée par la puissance publique, ce que l'on appelle là-bas le second budget. Au total, 10 % du PIB, sous des formes diverses, allant d'investissements publics dans les infrastructures aux prêts bonifiés aux entreprises, en passant par des subventions accordées aux firmes pour maintenir l'emploi malgré la baisse d'activité. Le quatrième plan, qui a juste un an, avait pour but de relancer la consommation en réduisant l'impôt sur le revenu de 20 %. C'est cette décision d'une ampleur assez inhabituelle qui a poussé les Japonais à beaucoup dépenser : les chiffres du troisième trimestre 1994 montrent un bond de la consommation de 4,5 % et de plus 2,5 % en moyenne sur toute l'année. Problème de fond Malgré l'efficacité de ce dernier plan de relance, la croissance n'aura pas dépassé 1 % l'année dernière, l'investissement des entreprises ayant continué de décliner rapidement pour la troisième année consécutive ( 20 % en volume sur la période). Il y a là, dans le comportement des firmes vis-à- vis d'investissements qui furent pendant longtemps excessifs et insuffisamment rentables, un problème de fond que le pays va devoir résoudre. Dire que l'économie japonaise arrive maintenant à maturité et se normalise ne suffit pas. En fait, le pays sort d'une période de quatre années au cours de laquelle il aura encaissé au moins quatre chocs capitaux qui l'ont profondément ébranlé et probablement transformé. Le premier remonte à 1990. Il est celui de l'éclatement d'une bulle financière née dans l'euphorie des années 80, une période qui aura vu le pouvoir d'achat moyen augmenter de presque 8 % par an. La bulle financière est née de liquidités trop abondantes, de taux d'intérêt très bas, d'une croissance démesurée du crédit, de la déréglementation, le tout favorisant une spéculation effrenée. Les prix des actifs titres ou terrains ont monté de façon vertigineuse avant de s'effondrer à partir de janvier 1990, lorsque la Bourse de Tokyo commença de perdre confiance. Le deuxième choc fut celui de la récession, que le Japon aurait de toute façon supportée comme les pays occidentaux, mais dont la violence a été accentuée par l'effondrement du prix des actifs et les moins-values enregistrées par de nombreuses entreprises, au premier rang desquelles les banques (dont les créances douteuses représenteraient la bagatelle de 500 à 600 milliards de dollars). La conséquence du double choc récession-chute du prix des actifs aura été un recul considérable de l'investissement industriel au Japon, qui, s'il se prolongeait, pourrait affecter durablement les ressorts de la croissance. Car, si le taux d'investissement productif a été pendant longtemps si élevé au Japon de l'ordre de 18 % du PIB contre 10 à 12 % aux Etats-Unis, c'est notamment, comme le rappelle dans Les chroniques de la SEDEIS Nicolas Thevenot, de la Banque Indosuez, à cause du bas coût du capital dans le pays. Or, souligne Françoise Nicolas, chargée de recherche à l'Institut français des relations internationales (IFRI), la principale conséquence de l'éclatement de la bulle spéculative " a été un renchérissement considérable du capital (...). Compte tenu des nouvelles conditions, les entreprises japonaises vont probablement revoir leur stratégie, fondée jusqu'alors sur la conquête de parts de marché par le biais d'importants investissements ". Boulversement de stratégie La hausse du yen à partir de 1993 est un troisième choc majeur. Car, si les entreprises avaient pu absorber sans grand dommage les précédentes envolées de la monnaie nationale, c'était bien à cause du bas coût du capital. Son augmentation va, cette fois, forcer les firmes nippones à faire de difficiles arbitrages entre compétitivité et rentabilité, bouleversant toute une stratégie fondée sur les bas prix et la conquête des marchés extérieurs. Une chose est à peu près certaine, le Japon va accentuer la délocalisation de ses usines en Asie pour économiser sur les coûts de revient. A la fin des années 80, 6 % seulement de la production japonaise était délocalisée, contre 25 % pour la production des Etats-Unis. Les experts sont à peu près tous d'accord pour dire qu'au début du siècle prochain plus de 20 % de la production japonaise sera délocalisée dans le monde, en Asie notamment. A ce rythme, les grandes entreprises tireront leur épingle du jeu, alors que les PME risquent d'éprouver bien des difficultés à survivre. Et, comme si tous ces chocs ne suffisaient pas, le Japon a vu mourir à l'été 1993, après quarante années de fonctionnement, un vieux système politique bâti sur le Parti libéral-démocrate, qui entretenait avec l'administration et le monde des affaires des relations d'intérêts trop étroites pour ne pas basculer dans la corruption. Le triangle constitué par l'administration, le PLD et le patronat s'est révélé incapable de réguler les excès (la bulle financière et les spéculations) aussi bien que de tracer au pays une claire vision en matière de politique intérieure et internationale. Le tremblement de terre du Kansaï va handicaper le Japon jusqu'à l'été. Entre 50 000 et 100 000 immeubles ont été détruits, le port de Kobé rendu inutilisable. Le montant des dégâts pourrait être compris entre 100 et 150 milliards de dollars, probablement plus, estime la Banque Indosuez dans une récente étude. Mais, à partir de l'été, la reconstruction des dégats causés par le séisme jouera le rôle de stimulant, notamment du fait de l'édification de logements et d'infrastructures. Le résultat le plus paradoxal de ce désastre sera le tort qu'il risque de faire aux Etats-Unis, qui pourront difficilement compter comme ils le faisaient jusqu'à présent sur l'épargne japonaise pour financer le déficit quasi chronique de leurs comptes extérieurs. Car les Japonais vont avoir besoin de leur épargne pour reconstruire. Peut-être aussi pour modifier quelques comportements... ALAIN VERNHOLES Le Monde du 2 mars 1995

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