ARTICLE DE PRESSE: Il était une fois la Yougoslavie
Publié le 10/12/2021
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1er novembre 1995 - Il était une fois la Yougoslavie, ci-devant Royaume des Serbes, des Croates et des Slovènes à sa naissance, en 1918, sur les décombres des empires austro-hongrois et ottoman. Serbes, Croates et Slovènes : trois peuples dominants pour une mosaïque ethnique allant des Hongrois aux Albanais, en passant par les Slovaques, Tchèques, Ruthènes, Roms, Valaques, Turcs, Roumains, Allemands, Italiens... que les trois régimes forts qui se sont pratiquement succédé depuis sa création (ceux des rois Pierre Ier et Alexandre, puis celui du maréchal Tito) avaient réussi à cimenter, à coups d'autoritarisme et de savants découpages et redécoupages territoriaux. En 1991, soixante-treize ans après sa création et suite à moult réorganisations, l'espace des " Slaves du Sud " était une fédération de six Républiques Serbie, Croatie, Slovénie, Bosnie-Herzégovine, Monténégro, Macédoine et deux territoires autonomes Kosovo et Voïvodine inclus dans la Serbie que se partageaient, selon la terminologie en vigueur et une stricte hiérarchie, des " peuples " ou " nations " Serbes, Croates, Slovènes, Macédoniens, Monténégrins, Musulmans et des " nationalités ", c'est-à-dire tous les autres, aux droits moindres que les " grands ". Avec ce montage ethnique et territorial compliqué, concrétisé par la Constitution de 1974 et vissé d'une poigne de fer, Tito était parvenu à tenir l'édifice debout. Il n'aura fallu qu'une dizaine d'années de post-titisme (le maréchal est mort en 1980) pour que le ciment se désagrège et que la savante construction s'écroule dans le sang, minée par de vieilles frustrations et d'aussi vieilles rancoeurs interethniques, nourries depuis le tout début, depuis 1918. Ainsi, par exemple, les Croates, dont quelques intellectuels étaient à l'origine de l'idée yougoslave d'union des peuples slaves du Sud en réaction à la domination austro-hongroise, se sont-ils toujours sentis floués en raison du rôle dirigeant joué par les Serbes. Ainsi, les Slovènes considéraient-ils que leur développement économique était mal payé de retour et jugeaient finalement la fédération comme un boulet. Ainsi, encore, les Serbes estimaient-ils souvent qu'ils avaient une espèce de droit naturel à gouverner les autres peuples, voyant dans tout particularisme un peu trop marqué un signe de sédition. Mais la Yougoslavie, c'était aussi cet anachronisme " autogestionnaire " et cette place particulière que tenait Belgrade sur la scène internationale depuis la seconde guerre mondiale. Entre Est et Ouest, cofondateur du Mouvement des non-alignés, aux côtés de l'Indien Nehru, de l'Egyptien Nasser, de l'Indonésien Soekarno et de l'Algérien Ben Bella, Tito a fait tenir à son pays un rôle dépassant largement l'espace balkanique. Tout en entretenant une paranoïa qui lui faisait développer un système de défense surdimensionné, à la mesure du système policier qui lui permettait de maintenir l' " ordre " à l'intérieur de la fédération. Depuis 1991, quatre ans et trois guerres ont passé, la mosaïque est devenue puzzle, aux pièces inégales et à l'avenir incertain. D'un Etat sont nés cinq pays indépendants la " Nouvelle Yougoslavie ", regroupant la Serbie et le Monténégro, la Croatie, la Slovénie, la Macédoine et la Bosnie. Sur le papier, le découpage entre ces entités est celui qui prévalait au sein de la fédération défunte. De délimitations " administratives ", on a fait des frontières internationales. Mais, sous cette apparente continuité, se cachent d'énormes contrastes. Car, si les offensives militaires serbes n'ont pu aboutir pour le moment à un remodelage des frontières, le " nettoyage ethnique ", lui, a fait son oeuvre, modifiant profondément la composition ethnique de certains des nouveaux Etats, au premier rang desquels la Bosnie et la Croatie. Des six Républiques fédérées de 1991, la Slovénie est la seule dont on peut dire qu'elle s'est sortie d'affaire au moindre coût. Sa très grande homogénéité ethnique et des atouts économiques supérieurs à la moyenne fédérale lui ont permis de presque oublier, aujourd'hui, qu'elle avait jamais été yougoslave. Tourné vers ses voisins septentrionaux et occidentaux, Ljubljana regarde avec condescendance ses anciens " frères " méridionaux, ce qui n'exclut pas quelques conflits frontaliers et d'intérêts avec Zagreb, sans compter des frictions passagères avec l'Italie. Deuxième victime en date après la Slovénie des foudres de Belgrade pour ses velléités indépendantistes, la Croatie s'en sort territorialement intacte, après s'être vue privée, pendant près de quatre ans, d'un quart de son territoire. Mais ce n'est pas seulement pour cette victoire (acquise sur le champ de bataille ou à la table de négociations) que le président Franjo Tudjman peut se féliciter de l'issue du conflit. En premier lieu, même si l'ancien partisan de Tito est signataire de l'accord de Dayton scellant officiellement les frontières de son Etat selon les anciennes lignes de partage, il sait qu'il a, de fait, déjà récupéré une bonne partie de l'Herzégovine occidentale et de la Bosnie centrale à majorité croate, dont les habitants viennent, d'ailleurs, de participer aux élections législatives de... Croatie. Des Herzégoviniens qui, en outre, se retrouvent en force dans l'appareil politique, militaire et économique de la Croatie. L'accomplissement du vieux rêve de réunion de tous les Croates dans un seul Etat se double d'un autre " succès ", inavoué mais tout aussi important : une Croatie débarrassée presque totalement de sa minorité serbe honnie, chassée par les combats et le " nettoyage ethnique ", après s'être rebellée, avec l'appui de Belgrade, contre l'autorité de Zagreb. Tout comme les Slovènes, les Croates regardent de façon insistante vers le Nord et l'Ouest, avec une soif inextinguible de reconnaissance internationale entrant parfois en conflit avec les moyens, souvent très balkaniques, qu'ils mettent en oeuvre pour régler leurs problèmes intérieurs, notamment vis-à-vis de la minorité serbe et de leurs " alliés " musulmans. Disposant de potentialités certaines (elle possède notamment la quasi-totalité du littoral ex-yougoslave), la Croatie n'en connaît pas moins de graves problèmes économiques, dus essentiellement à la guerre ainsi qu'aux difficultés à sortir, dans ces conditions, d'une économie intégrée. Principale victime du conflit, la Bosnie-Herzégovine n'est plus qu'une fiction, malgré les efforts désespérés de la diplomatie occidentale pour lui donner l'allure d'un Etat souverain aux frontières internationalement reconnues. Trois ans et demi de " nettoyage ethnique " ont transformé de larges espaces précédemment peuplés d'ethnies imbriquées les unes dans les autres en glacis homogènes, selon des lignes de partage dictées par les combats. Le montage constitutionnel extravagant concocté dans les grandes capitales parle de lui-même : la Bosnie serait un Etat, mais partagé en trois parties, dont deux (croate et musulmane) seraient liées par un accord de fédération, ce dernier ensemble étant lui-même voué, en principe, à se confédérer avec la Croatie. La centrifugeuse est en marche, puisque la troisième partie (serbe) est adossée à la mère patrie et a déjà annoncé son intention de la rejoindre. La Bosnie devrait, à terme, se limiter à un réduit peuplé de Musulmans, ces Slaves islamisés sous l'Empire ottoman et que Tito a hissés, en 1974, au rang de " peuple " pour les différencier des Serbes orthodoxes et des Croates catholiques. Les Bosniaques revendiquent hautement leur appartenance à l'Europe, et le choix de leur emblème national (la fleur de lys) ne doit rien au hasard. Mais, solidarité religieuse oblige, ils trouvent leurs principaux soutiens politiques, financiers et parfois militaires au sein des pays musulmans, de la Turquie à l'Indonésie en passant par le Proche-Orient. S'ils tiennent leurs promesses d'aide, en échange d'une certaine souplesse de la part de Sarajevo, les Etats-Unis devraient désormais jouer un rôle de premier plan, notamment en matière d'armement et de reconstruction. Un apport non négligeable, si l'on tient compte de la viabilité parfaitement aléatoire de la Bosnie, enclavée et réduite, en majeure partie, à un champ de ruines. Principaux responsables du conflit et collectionnant les criminels de guerre, les Serbes ont dû, malgré leurs succès militaires initiaux en Croatie et en Bosnie, réduire leurs ambitions territoriales et faire une croix au moins pour le moment sur leur dessein de " Grande Serbie " (dont la pointe occidentale chatouille, aux yeux de ses promoteurs, l'Adriatique). La Serbie peut néanmoins compter sur une part de Bosnie, même si elle doit en passer par quelque artifice constitutionnel. D'un autre côté, elle se retrouve confrontée à ses propres problèmes ethniques sur ses terres, essentiellement à cause du Kosovo et de ses Albanais, qui forment quelque 90 % de la population de ce territoire que les Serbes revendiquent comme leur " berceau " historique. Théâtre d'une défaite serbe majeure contre les armées ottomanes en 1389 commémorée chaque année par Belgrade, puisque érigée au rang de fête nationale , le régime de Slobodan Milosevic y entretient de très importantes forces pour dissuader toute tentative de sécession. Ce qui n'a pas empêché les Albanais kosovars de proclamer une " indépendance " toute théorique. Assuré d'une levée de l'embargo international qui pèse sur son pays et son appendice monténégrin, le président Slobodan Milosevic dispose d'un instrument sinistré mais qu'il espère remettre suffisamment d'aplomb pour assouvir une ambition qu'il n'a jamais cachée, celle de faire de la Serbie une sinon " la " puissance régionale dominante dans les Balkans. Tournée vers le Sud et l'Est, Belgrade sait faire jouer à merveille les affinités orthodoxes pour s'attirer les bonnes grâces de pays comme la Russie ou la Grèce. Seule des ex-Républiques yougoslaves à ne pas avoir été touchée par la guerre, la Macédoine n'en est pas, pour autant, sortie d'affaire, loin de là. Le président Kiro Gligorov est, certes, parvenu à maintenir la paix ethnique et sociale dans son pays en dépit de la présence de tous les ingrédients pour le faire exploser forte minorité albanaise, multiplicité de peuples, agitateurs nationalistes et difficultés économiques énormes. MAIS l'attentat dont il vient d'être victime est là pour souligner la fragilité de l'édifice. D'autant que Skopje doit compter avec un environnement loin d'être bien disposé à son égard. La longue crise avec la Grèce (qui l'accuse d'avoir usurpé un nom appartenant exclusivement, selon Athènes, au patrimoine hellène) ainsi que les tensions avec la Serbie (certains à Belgrade n'oublient pas que la Macédoine fut, un temps, la " Serbie du Sud " ) et l'Albanie (des dirigeants macédoniens accusent ouvertement Tirana de chercher à déstabiliser leur pays), de même que les ambiguïtés marquant les relations avec la Bulgarie sont là pour en témoigner. Sa situation peut amener la Macédoine à sombrer purement et simplement, dépecée par ses voisins. Dans le même temps, cette situation peut lui fournir l'occasion de jouer un rôle tampon et lui donner un statut de plaque tournante, de noeud de communications nord-sud (du Danube à la mer Egée) et est-ouest (du Bosphore à l'Adriatique). Mais deux conditions sont indispensables pour en arriver là : la survie d'un régime qui a fait la preuve de son habileté et la retenue de ses voisins toutes choses hautement aléatoires dans les Balkans. Le rêve yougoslave s'est fracassé pour tourner au cauchemar, malgré d'ultimes tentatives, en 1991, pour tisser de nouveaux liens plus lâches. Restent, aujourd'hui, des terres labourées par la haine et irriguées de sang. Quant à la pérennité des frontières issues de Dayton, elle est tout sauf assurée, comme la survie de certains des " héritiers " de la Yougoslavie. YVES HELLER Le Monde du 23 novembre 1995
1er novembre 1995 - Il était une fois la Yougoslavie, ci-devant Royaume des Serbes, des Croates et des Slovènes à sa naissance, en 1918, sur les décombres des empires austro-hongrois et ottoman. Serbes, Croates et Slovènes : trois peuples dominants pour une mosaïque ethnique allant des Hongrois aux Albanais, en passant par les Slovaques, Tchèques, Ruthènes, Roms, Valaques, Turcs, Roumains, Allemands, Italiens... que les trois régimes forts qui se sont pratiquement succédé depuis sa création (ceux des rois Pierre Ier et Alexandre, puis celui du maréchal Tito) avaient réussi à cimenter, à coups d'autoritarisme et de savants découpages et redécoupages territoriaux. En 1991, soixante-treize ans après sa création et suite à moult réorganisations, l'espace des " Slaves du Sud " était une fédération de six Républiques Serbie, Croatie, Slovénie, Bosnie-Herzégovine, Monténégro, Macédoine et deux territoires autonomes Kosovo et Voïvodine inclus dans la Serbie que se partageaient, selon la terminologie en vigueur et une stricte hiérarchie, des " peuples " ou " nations " Serbes, Croates, Slovènes, Macédoniens, Monténégrins, Musulmans et des " nationalités ", c'est-à-dire tous les autres, aux droits moindres que les " grands ". Avec ce montage ethnique et territorial compliqué, concrétisé par la Constitution de 1974 et vissé d'une poigne de fer, Tito était parvenu à tenir l'édifice debout. Il n'aura fallu qu'une dizaine d'années de post-titisme (le maréchal est mort en 1980) pour que le ciment se désagrège et que la savante construction s'écroule dans le sang, minée par de vieilles frustrations et d'aussi vieilles rancoeurs interethniques, nourries depuis le tout début, depuis 1918. Ainsi, par exemple, les Croates, dont quelques intellectuels étaient à l'origine de l'idée yougoslave d'union des peuples slaves du Sud en réaction à la domination austro-hongroise, se sont-ils toujours sentis floués en raison du rôle dirigeant joué par les Serbes. Ainsi, les Slovènes considéraient-ils que leur développement économique était mal payé de retour et jugeaient finalement la fédération comme un boulet. Ainsi, encore, les Serbes estimaient-ils souvent qu'ils avaient une espèce de droit naturel à gouverner les autres peuples, voyant dans tout particularisme un peu trop marqué un signe de sédition. Mais la Yougoslavie, c'était aussi cet anachronisme " autogestionnaire " et cette place particulière que tenait Belgrade sur la scène internationale depuis la seconde guerre mondiale. Entre Est et Ouest, cofondateur du Mouvement des non-alignés, aux côtés de l'Indien Nehru, de l'Egyptien Nasser, de l'Indonésien Soekarno et de l'Algérien Ben Bella, Tito a fait tenir à son pays un rôle dépassant largement l'espace balkanique. Tout en entretenant une paranoïa qui lui faisait développer un système de défense surdimensionné, à la mesure du système policier qui lui permettait de maintenir l' " ordre " à l'intérieur de la fédération. Depuis 1991, quatre ans et trois guerres ont passé, la mosaïque est devenue puzzle, aux pièces inégales et à l'avenir incertain. D'un Etat sont nés cinq pays indépendants la " Nouvelle Yougoslavie ", regroupant la Serbie et le Monténégro, la Croatie, la Slovénie, la Macédoine et la Bosnie. Sur le papier, le découpage entre ces entités est celui qui prévalait au sein de la fédération défunte. De délimitations " administratives ", on a fait des frontières internationales. Mais, sous cette apparente continuité, se cachent d'énormes contrastes. Car, si les offensives militaires serbes n'ont pu aboutir pour le moment à un remodelage des frontières, le " nettoyage ethnique ", lui, a fait son oeuvre, modifiant profondément la composition ethnique de certains des nouveaux Etats, au premier rang desquels la Bosnie et la Croatie. Des six Républiques fédérées de 1991, la Slovénie est la seule dont on peut dire qu'elle s'est sortie d'affaire au moindre coût. Sa très grande homogénéité ethnique et des atouts économiques supérieurs à la moyenne fédérale lui ont permis de presque oublier, aujourd'hui, qu'elle avait jamais été yougoslave. Tourné vers ses voisins septentrionaux et occidentaux, Ljubljana regarde avec condescendance ses anciens " frères " méridionaux, ce qui n'exclut pas quelques conflits frontaliers et d'intérêts avec Zagreb, sans compter des frictions passagères avec l'Italie. Deuxième victime en date après la Slovénie des foudres de Belgrade pour ses velléités indépendantistes, la Croatie s'en sort territorialement intacte, après s'être vue privée, pendant près de quatre ans, d'un quart de son territoire. Mais ce n'est pas seulement pour cette victoire (acquise sur le champ de bataille ou à la table de négociations) que le président Franjo Tudjman peut se féliciter de l'issue du conflit. En premier lieu, même si l'ancien partisan de Tito est signataire de l'accord de Dayton scellant officiellement les frontières de son Etat selon les anciennes lignes de partage, il sait qu'il a, de fait, déjà récupéré une bonne partie de l'Herzégovine occidentale et de la Bosnie centrale à majorité croate, dont les habitants viennent, d'ailleurs, de participer aux élections législatives de... Croatie. Des Herzégoviniens qui, en outre, se retrouvent en force dans l'appareil politique, militaire et économique de la Croatie. L'accomplissement du vieux rêve de réunion de tous les Croates dans un seul Etat se double d'un autre " succès ", inavoué mais tout aussi important : une Croatie débarrassée presque totalement de sa minorité serbe honnie, chassée par les combats et le " nettoyage ethnique ", après s'être rebellée, avec l'appui de Belgrade, contre l'autorité de Zagreb. Tout comme les Slovènes, les Croates regardent de façon insistante vers le Nord et l'Ouest, avec une soif inextinguible de reconnaissance internationale entrant parfois en conflit avec les moyens, souvent très balkaniques, qu'ils mettent en oeuvre pour régler leurs problèmes intérieurs, notamment vis-à-vis de la minorité serbe et de leurs " alliés " musulmans. Disposant de potentialités certaines (elle possède notamment la quasi-totalité du littoral ex-yougoslave), la Croatie n'en connaît pas moins de graves problèmes économiques, dus essentiellement à la guerre ainsi qu'aux difficultés à sortir, dans ces conditions, d'une économie intégrée. Principale victime du conflit, la Bosnie-Herzégovine n'est plus qu'une fiction, malgré les efforts désespérés de la diplomatie occidentale pour lui donner l'allure d'un Etat souverain aux frontières internationalement reconnues. Trois ans et demi de " nettoyage ethnique " ont transformé de larges espaces précédemment peuplés d'ethnies imbriquées les unes dans les autres en glacis homogènes, selon des lignes de partage dictées par les combats. Le montage constitutionnel extravagant concocté dans les grandes capitales parle de lui-même : la Bosnie serait un Etat, mais partagé en trois parties, dont deux (croate et musulmane) seraient liées par un accord de fédération, ce dernier ensemble étant lui-même voué, en principe, à se confédérer avec la Croatie. La centrifugeuse est en marche, puisque la troisième partie (serbe) est adossée à la mère patrie et a déjà annoncé son intention de la rejoindre. La Bosnie devrait, à terme, se limiter à un réduit peuplé de Musulmans, ces Slaves islamisés sous l'Empire ottoman et que Tito a hissés, en 1974, au rang de " peuple " pour les différencier des Serbes orthodoxes et des Croates catholiques. Les Bosniaques revendiquent hautement leur appartenance à l'Europe, et le choix de leur emblème national (la fleur de lys) ne doit rien au hasard. Mais, solidarité religieuse oblige, ils trouvent leurs principaux soutiens politiques, financiers et parfois militaires au sein des pays musulmans, de la Turquie à l'Indonésie en passant par le Proche-Orient. S'ils tiennent leurs promesses d'aide, en échange d'une certaine souplesse de la part de Sarajevo, les Etats-Unis devraient désormais jouer un rôle de premier plan, notamment en matière d'armement et de reconstruction. Un apport non négligeable, si l'on tient compte de la viabilité parfaitement aléatoire de la Bosnie, enclavée et réduite, en majeure partie, à un champ de ruines. Principaux responsables du conflit et collectionnant les criminels de guerre, les Serbes ont dû, malgré leurs succès militaires initiaux en Croatie et en Bosnie, réduire leurs ambitions territoriales et faire une croix au moins pour le moment sur leur dessein de " Grande Serbie " (dont la pointe occidentale chatouille, aux yeux de ses promoteurs, l'Adriatique). La Serbie peut néanmoins compter sur une part de Bosnie, même si elle doit en passer par quelque artifice constitutionnel. D'un autre côté, elle se retrouve confrontée à ses propres problèmes ethniques sur ses terres, essentiellement à cause du Kosovo et de ses Albanais, qui forment quelque 90 % de la population de ce territoire que les Serbes revendiquent comme leur " berceau " historique. Théâtre d'une défaite serbe majeure contre les armées ottomanes en 1389 commémorée chaque année par Belgrade, puisque érigée au rang de fête nationale , le régime de Slobodan Milosevic y entretient de très importantes forces pour dissuader toute tentative de sécession. Ce qui n'a pas empêché les Albanais kosovars de proclamer une " indépendance " toute théorique. Assuré d'une levée de l'embargo international qui pèse sur son pays et son appendice monténégrin, le président Slobodan Milosevic dispose d'un instrument sinistré mais qu'il espère remettre suffisamment d'aplomb pour assouvir une ambition qu'il n'a jamais cachée, celle de faire de la Serbie une sinon " la " puissance régionale dominante dans les Balkans. Tournée vers le Sud et l'Est, Belgrade sait faire jouer à merveille les affinités orthodoxes pour s'attirer les bonnes grâces de pays comme la Russie ou la Grèce. Seule des ex-Républiques yougoslaves à ne pas avoir été touchée par la guerre, la Macédoine n'en est pas, pour autant, sortie d'affaire, loin de là. Le président Kiro Gligorov est, certes, parvenu à maintenir la paix ethnique et sociale dans son pays en dépit de la présence de tous les ingrédients pour le faire exploser forte minorité albanaise, multiplicité de peuples, agitateurs nationalistes et difficultés économiques énormes. MAIS l'attentat dont il vient d'être victime est là pour souligner la fragilité de l'édifice. D'autant que Skopje doit compter avec un environnement loin d'être bien disposé à son égard. La longue crise avec la Grèce (qui l'accuse d'avoir usurpé un nom appartenant exclusivement, selon Athènes, au patrimoine hellène) ainsi que les tensions avec la Serbie (certains à Belgrade n'oublient pas que la Macédoine fut, un temps, la " Serbie du Sud " ) et l'Albanie (des dirigeants macédoniens accusent ouvertement Tirana de chercher à déstabiliser leur pays), de même que les ambiguïtés marquant les relations avec la Bulgarie sont là pour en témoigner. Sa situation peut amener la Macédoine à sombrer purement et simplement, dépecée par ses voisins. Dans le même temps, cette situation peut lui fournir l'occasion de jouer un rôle tampon et lui donner un statut de plaque tournante, de noeud de communications nord-sud (du Danube à la mer Egée) et est-ouest (du Bosphore à l'Adriatique). Mais deux conditions sont indispensables pour en arriver là : la survie d'un régime qui a fait la preuve de son habileté et la retenue de ses voisins toutes choses hautement aléatoires dans les Balkans. Le rêve yougoslave s'est fracassé pour tourner au cauchemar, malgré d'ultimes tentatives, en 1991, pour tisser de nouveaux liens plus lâches. Restent, aujourd'hui, des terres labourées par la haine et irriguées de sang. Quant à la pérennité des frontières issues de Dayton, elle est tout sauf assurée, comme la survie de certains des " héritiers " de la Yougoslavie. YVES HELLER Le Monde du 23 novembre 1995
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