Aragon disait : « Il n'y a poésie qu'autant qu'il y a méditation sur le langage, et à chaque pas réinvention de ce langage. Ce qui implique de briser les cadres fixes du langage, les règles de la grammaire, les lois du discours ». Cette conception permet-elle de rendre compte de la poésie d'Apollinaire dans Alcools ?
Publié le 09/12/2021
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II. "Briser les règles de la grammaire" : une langue bouleversée - Dans Sémiotique de la poésie, Riffaterre signale que le texte poétique est plus libre dans ses associations verbales : l'ordre des mots est bouleversé, la structure des phrases est plus libre, ainsi que la ponctuation. - Dans Structure du langage poétique, J. Cohen analyse la nature de la syntaxe poétique et signale que la poéticité d'un texte ne réside moins dans le choix de termes spécifiquement recherchés, que dans les relations syntaxiques établies entre eux. il donne comme exemple l'expression "cheveux blonds" qui n'est pas poétique et "blonds cheveux" qui elle est poétique: cela tient à au changement d'ordre des mots qui donne à voir une relation syntaxique inhabituelle (en l'occurrence, cette expression est devenue un cliché du langage poétique).
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Aragon disait : « Il n'y a poésie qu'autant qu'il y a méditation sur le langage, et à chaque pas réinvention de celangage.
Ce qui implique de briser les cadres fixes du langage, les règles de la grammaire, les lois du discours ».Cette conception permet-elle de rendre compte de la poésie d'Apollinaire dans Alcools ?
Trois notions : "méditation et réinvention" du langage; cette notion se décompose en : "briser les cadres fixes dulangage" qui fait allusion aux règles grammaticales et syntaxiques; et "briser les lois du discours", qui fait sans douteallusion à la loi selon laquelle le langage doit être référentiel, parler de quelque chose relevant du réel.
La poésieopère donc deux mouvements : déconstruire la grammaire et la syntaxe; et modifier les rapports du langage au réel.Ces deux opérations donnent lieu à une méditation sur le langage.La phrase d'Aragon traite de la poésie en général, il faut ici appliquer sa pensée à Apollinaire.
I.
"Briser les lois du discours" : affranchissement par rapport au réel
- Le poème en général : texte plus libre dans sa relation à un référent : dans Questions de poétique , Jakobson signale que le poème se caractérise par un affranchissement du rapport au référent; la parole est intransitive, ellene vaut que pour elle-même, elle "fait semblant de parler de quelque chose alors qu'elle est en fait sa seule véritablevisée.
Jakobson parle d' "autotélisme" poétique, de "auto", soi-même, et "telos", en grec "but" : être son propre but.- La vérité qui s'exprime dans la poésie est la vérité de l'imaginaire, qui est souvent à rebours de la vérité logiquehabituelle.
Gaston Bachelard parle par exemple de "la noirceur secrète du lait" : le noir peut-être la couleur du laitdans l'imaginaire poétique, qui s'affranchit de certaines règles de la réalité.- Dans le recueil Alcools , on peut penser au poème "Les sept épées" : le poète énumère sept noms d'épées et, sur la base de chaque nom inventé, développe une rêverie fantasque, qui ne s'appuie sur rien de réel, mais sur le purplaisir de la création par l'imaginaire.
L'association des mots "bleu féminin" par exemple ne correspond à aucuneréalité concrète, mais transmet l'impression d'une certaine couleur.
On peut prendre comme autre exemple lapremière strophe de la "Chanson du mal aimé" ("Voie lactée ô soeur lumineuse...") qui du point de vue du langageréférentiel ne "veut" rien dire.
II.
"Briser les règles de la grammaire" : une langue bouleversée
- Dans Sémiotique de la poésie, Riffaterre signale que le texte poétique est plus libre dans ses associations verbales : l'ordre des mots est bouleversé, la structure des phrases est plus libre, ainsi que la ponctuation.- Dans Structure du langage poétique , J.
Cohen analyse la nature de la syntaxe poétique et signale que la poéticité d'un texte ne réside moins dans le choix de termes spécifiquement recherchés, que dans les relations syntaxiquesétablies entre eux.
il donne comme exemple l'expression "cheveux blonds" qui n'est pas poétique et "blonds cheveux"qui elle est poétique: cela tient à au changement d'ordre des mots qui donne à voir une relation syntaxiqueinhabituelle (en l'occurrence, cette expression est devenue un cliché du langage poétique).- Dans Alcools cette liberté vis-à-vis du langage est visible : l'absence de ponctuation, qui provient d'une erreur d'édition mais a été conservée par Apollinaire, constitue une innovation par rapport aux règles de l'énonciation.
Laliberté syntaxique apparaît aussi clairement dans la première strophe du "Pont Mirabeau" : les deux derniers vers nesont pas reliés logiquement aux deux premiers, ni entre eux.- Apollinaire invente également des mots, des personnages fantastiques ou apparemment réels : ainsi les "Bé-Rieux"dans Les sept épées , ou le mot "passiflore" dans le poème "L'Ermite".
III.
Méditation sur le langage et la création chez Apollinaire
- Apollinaire écrit ses poèmes en réalisant des collages de textes déjà écrits, en ré-écrivant, en déformant desproverbes ou des expressions toutes faites.
Ce mode d'expression permet de réfléchir sur ce qu'est la création enpoésie : la poésie utilise le langage comme un matériau, une pâte déformable (comme la peinture pour un peintre).- Apollinaire brise aussi les cadres de la poésie traditionnelle : il fait des alexandrins mais les déforme, fait descésures atypiques, coupe l'alexandrins en deux vers de six syllabes.
Exemple : "Les Colchiques", v.
2 et 3.
Le v.8peut se lire comme un alexandrin ou comme un vers de 11 syllabes.
Il ne respecte pas la règle des rimes ou ladétourne : dans le poème "Zone" toutes les rimes sont irrégulières.- Il détourne le langage en introduisant dans la poésie des termes familiers, des morceaux de langage courant.
Voirplusieurs vers du poème "Zone", par exemple "Maintenant tu marches dans Paris tout seul parmi la foule", qui imite lelangage courant.La phrase d'Aragon s'applique parfaitement à la poésie d'Apollinaire dans Alcools .
Ce recueil déconstruit le langage, le tord, l'approche comme une matière à travailler.
Le poète joue avec les règles de syntaxe, avec les règles de lapoésie et avec le lecteur, sommé de changer ses habitudes : les vers sont irréguliers, les césures et les rythmesétonnants; les mots sont parfois inventés et ont des sonorités étranges, et le texte fait appel à des connaissancesimaginaires, des personnages mythiques re-travaillés ou inventés par le poète..
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