Analyse linéaire Portrait de Giton
Publié le 18/03/2024
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«
Texte 7 :
Le portrait de Giton
Introduction :
La deuxième moitié du XVIIème, en France, voit succéder, aux déboires du
baroque, la rigeur du classicisme.
Le classicisme est le témoignage littéraire
d’une société animée par l’idéal de l’Honnête Homme, encré dans les règles de la
bienséance.
Jean de La Bruyère est un des représentants les plus éminents du
courant classique : né le 16 août 1645 dans une famille bourgeoise, son exercice
du droit lui procure moins d’intêret que d’ennui.
Il s’installe en 1685 à l’hôtel de
Condé, situé à Versailles, où il deviendra le gentilhomme ordinaire du duc, en
charge de la bibliothèque, une position idéale pour le moraliste qui couche alors
ses observations de la haute société sur le papier, à travers les Caractères ou les
Mœurs de ce siècle, satire magistrale de la société de son époque.
L’œuvre de La
Bruyère connaît dès la parution de sa première édition en 1688 un succès
fulgurant, jusqu’à la neuvième et dernière publiée en 1696, à titre posthume :
elle comprend 16 livres, chacun consacré à un aspect de la société de l’époque
de son auteur ; ces chapitres sont constitués de nombreuses remarques qui
mêlent à la fois maximes et portraits et forment le choix de l’auteur d’une
écriture fragmentaire, ayant pour objectif de délaisser toutes futilités pour se
concentrer uniquement sur la peinture objective d’une société qu’il souhaite
réformer tant moralement que socialement.
L’œuvre de La Bruyère couvre
parfaitement les 4 aspects majeurs du classicisme : elle exclut toute création
fantaisiste, elle se conforme à la Nature comme le préconise Racine qui dit : « Un
écrivain qui s’écarte du naturel ne peut que trahir le bon sens », elle s’inscrit
dans une imitation des Anciens, qui représentent à l’Humanisme comme au
classicisme un modèle inégalable, La Bruyère est d’ailleurs un fervant défenseur
des Anciens dans la querelle qui les opposent aux modernes.
Enfin, elle incarne
l’idée de placere et docere, plaire et instruire, soigner les maux de l’Homme et
perfectionner, justement, leurs caractères, parfois en utilisant des procédés qui
contribuent au plaisir de lecteur si, comme l’évoque La Bruyère dans sa préface,
« Cela sert à insinuer et à faire recevoir les vérités qui doivent instruire ».
Le
texte présenté est l’avant dernière remarque du livre 6, Des biens de fortune, où
le satiriste dénonce la corruption des valeurs morales ainsi que de l’ordre social à
cause de l’argent.
On y fait le portrait en diptyque de Giton, contre-modèle de
l’Honnête Homme, riche, orgueilleux et pourtant incapable, en contraste avec le
portrait dépréciatif de Phédon, pauvre malade et en retrait.
La partie analysée
concerne exclusivement Giton, dont le portrait satirique met en lumière la
richesse d’un personnage accablé de nombreux vices comme la paresse ou
l’arrogance.
Comment La Bruyère, à travers le portrait satirique de Giton,
homme grossier et sans manière, montre-t-il tant la supériorité de
l’argent sur la vertu que la supériorité condamnable que s’octroient les
personnes fortunées ? Nous analyserons dans un permier mouvement le
portrait physique et moral en action de Giton.
Nous pencherons ensuite, dans le
deuxième mouvement du texte, sur son attitude en société, sur la manière dont
Giton est décrit à travers les yeux de son public.
Analyse linéaire :
I.
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-
Le portrait physique et moral en mouvement de Giton
Le texte commence avec une description du visage de Giton, un portrait
presque au sens pictural du terme, ce que l’on aperçoit très nettement
avec le champ lexical de la physionomie : « teint, visage, joues, etc.
».
Les adjectifs mélioratifs témoignent d’une pleine santé et d’une
confiance qui est accentuée par la parataxe (juxtaposition de propositions
sans mots de liaison).
On voit d’abord que Giton est en bonne santé (le
teint frais, le visage plein et les joues pendantes), ce qui signifie une
certaine prospérité financière les joues pendantes sont un signe de
prospérité malgré la disgrâce.
Ensuite on voit comment Giton occupe
l’espace à lui seul : les épaules larges, l’estomac haut (se tient de
manière prétentieuse), la démarche ferme et délibéré, mais aussi l’œil fixe
et assuré qui peut aussi vouloir dire qu’il dévisage avec assurance ceux
qu’il rencontre.
Après ce portrait physique, on place Giton dans une conversation,
élément essentiel du XVII siècle et des Caractères, comme le montre le
livre précédent, De la société et de la conversation.
La répétition des
trois propositions débutant par le pronom « il » met Giton au centre
du texte de la même manière qu’il est au centre de la conversation, qu’il
accapare la parole.
Cette gradation rythmique dans un rythme
ternaire fait progresser la critique : au début, il « parle avec assurance »,
cela appuie cette confiance déjà évoquée dans la première phrase, mais ça
ne concerne que lui.
Puis, il fait répéter celui qui l’entretient, désormais il
dérange quelqu’un d’autre, faire répéter quelqu’un montre, d’une part,
qu’il n’a pas écouté, de l’autre, c’est quelque peu déstabilisateur et
infantilisant.
Ce rythme, dans un mouvement d’accélération, s’achève sur
la dernière proposition « et il ne goûte que médiocrement tout ce qu’il lui
dit » : la nature du personnage est posée.
L’adverbe « médiocrement »
montre qu’il écrase les autres dans les échanges verbaux, et la négation
restrictive met en valeur l’hyperbole « tout ce qui lui dit » : il les
dévalorise comme lorsqu’il leur demande de répéter, en soulignant qu’il n’a
pas écouté ou en marquant sa désapprobation.
Giton a donc une confiance
démesurée en lui-même, il s’écoute parler et méprise les autres.
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II.
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On a ensuite un renseignement sur l’attitude de Giton : « il déploie un
ample mouchoir avec grand bruit ; il crache fort loin, et il éternue fort
haut.
C’est une impolitesse choquante.
Les deux parties de la proposition
montrent que Giton n’a aucune gêne et envahit l’espace avec l’adjectif
« ample », le verbe « déploie » ou encore « avec grand bruit ».
La
discrétion de l’Honnête Homme est clairement contredite avec une
monopolisation de l’espace physique et sonore, tout en mettant à la
vue de tous ses fonctions corporelles.
La répétition de l’adjectif intensif
fort, comme le parallélisme « fort loin, fort haut », insiste sur la
grossierté du personnage, qui répend autant ses paroles que sa salive.
« Il dort le jour, il dort la nuit, et profondément ; il ronfle en compagnie » :
La Bruyère, avec ce parallélisme et la répétition du verbe dormir,
institue l’idée que cet homme, présenté comme riche, ne l’est pas devenu
grâce à un travail acharné.
L’antithèse « jour/nuit » à un effet comique
il dort tout le temps, il est animalisé car son cycle de sommeil le
rapproche des animaux qui dorment souvent/hibernent.
On peut y voir
une gradation : s’il dort le jour, peut-être qu’il travaille la nuit ? Non, il
dort aussi la nuit, puis profondément, et en plus il dort en compagnie.
Le
long adverbe « profondément » s’oppose aux monosyllabes qui le
précèdent et accentue la paresse du personnage.
Comme pour les autres
contres-modèles, le présent à valeur de vérité générale montre que La
Bruyère dépeint un caractère intemporel, qui n’est pas propre à Giton
Cette fois, il n’a pas vocation à immerger le spectateur dans une saynète.
Le fait qu’il dorme le jour montre aussi sa quiétude, il n’a pas de
préoccupations, là où le fait qu’il ronfle en compagnie montre sa
grossierté, il marque son mépris et son manque d’intérêt pour les autres.
Cela souligne aussi qu’il dérange même lorsqu’il dort, la société ne se
repose donc jamais de lui.
Ainsi, ce premier mouvement dépeint un homme méprisant et méprisable,
qui ne s’intéresse qu’à lui-même, s’écoute parler, n’a aucune gêne et
occupe tout l’espace tant physique que sonore.
Giton est un personnage
oisif On remarque qu’il y a énormement de parataxes et d’énumérations,
ce qui donne l’impression d’une accumulation de mauvaises manières.
La toute puissance de Giton en société
« Il occupe à table et à la promenade plus de place qu’un autre » le
superlatif appuie sur la domination de l’espace.
« Il tient le milieu en se promenant avec ses égaux ; il s’arrête et l’on
s’arrête… » : la formulation est ici ironique, avec le terme « égaux », car
bien que ce soient ses égaux humains, Giton les domine et les écrase en
occupant systématiquement le centre.
La Bruyère reproduit ensuite, en
juxtaposant les propositions, le rythme de la promenade, en soulignant
à nouveau le rôle prépondérant de Giton, par l’opposition des pronoms.
L’anaphore en il....
»
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