Analyse linéaire du coup de foudre entre Raphael et Pauline dans la Peau de Chagrin
Publié le 23/06/2024
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«
Analyse texte n°15
Hypothèse de lecture : en quoi ce coup de foudre annonce-t-il paradoxalement la chute
du héros ?
I- Une situation paradoxale : deux spectateurs si loin, si proches
3 points saillants :
Le « pacte » impossible que Raphaël s’est imposé : vivre sans désir
Sa traduction par un interdit spécifique à l’opéra : ne pas regarder les femmes =
1er obstacle, moral, à la rencontre.
2nd obstacle, physique : la disposition spatiale des deux voisins.
La vie de Raphaël dépendait d’un pacte encore inviolé qu’il avait fait avec lui-même, il s’était
promis de ne jamais regarder attentivement aucune femme, et pour se mettre à l’abri d’une
tentation, il portait un lorgnon dont le verre microscopique artistement disposé, détruisait
l’harmonie des plus beaux traits, en leur donnant un hideux aspect.
Conformément à la logique mise en place dans la 3 ème partie, Raphaël incarne un
personnage qui se plie à une privation impossible : vivre sans éprouver le moindre
désir.
C’est ce que rappelle la 1ère phrase de l’extrait, : le terme « pacte » fait bien sûr
songer à celui qu’il a contracté avec l’antiquaire, en plus de celui con tracté avec
lui-meme
l’adverbe temporel, dans l’expression « encore inviolé », semble annoncer qu’il va
bientôt l’être.
On sait par ailleurs à quel point la volonté de celui qui
(ironiquement), l’a théorisée est défaillante : l’histoire de Raphaël n’est en effet
qu’une longue série de promesses non tenues (ne pas jouer au jeu d’argent, se
consacrer corps et âme à l’étude, ne voir plus personne).
La seconde phrase juxtaposée a valeur explicative ; elle consiste en la formulation
d’un interdit : « ne jamais regarder attentivement aucune femme ».
En ce début
d’extrait, le lecteur retrouve donc un schéma familier : celui du conte, où le héros
est pareillement soumis à un interdit, qu’il enfreint toujours, pour son plus grand
malheur (cf Barbe-bleue ou Le Petit Chaperon rouge).
L’interdiction à laquelle se
soumet volontairement Raphaël, l’oblation du regard, constitue une véritable
contradiction dans ce monde du regard qu’est l’opéra, où il s’agit d’abord de voir
et d’être vue.
Le CC de but suivant (« pour se mettre à l’abri d’une tentation »)
introduit donc le stratagème qui doit permettre au jeune homme de ne pas fauter : le
narrateur décrit à l’imparfait un étrange objet, « un lorgnon dont le verre
microscopique artistement disposé, détruisait l’harmonie des plus beaux traits, en leur
donnant un hideux aspect.
».
L’antithèse ici (« plus beaux traits ».
»hideux
aspect ») dévoile le dévoiement auquel Raphaël, obsédé par l’idée de survivre,
s’abandonne : quel objet paradoxal, en effet, que des lunettes conçues pour ne pas
voir !
Le groupe prépositionnel « encore en proie à la terreur… » constitue une analepse
explicative, un renvoi à la loi fatale du talisman édictée dans la 1 ère partie du
roman par le vieil antiquaire : « Le cercle de vos jours, figuré par cette peau, se
resserrera suivant la force et le nombre de vos souhaits, depuis le plus léger jusqu’au
plus exorbitant.
» De fait, celle-ci s’est vérifiée : c’est bien un souhait « léger », un
« simple vœu de politesse » (formule d’atténuation) qui a entraîné le rétrécissement
immédiat de la peau (hyperbole « si promptement »).
L’expression « résolut fermement » s’inscrit dans la continuité des mots « pacte » et
« s’était promis » : tous renvoient à l’idée de volonté, d’engagement absolu.
Le
premier interdit, général, s’accompagne d’un second, spécifique à la situation
présente de Raphaël : « ne pas se retourner vers sa voisine.
» Sage décision quand
on se rappelle que c’est cette femme (encore anonyme) qui, à son entrée dans l’opéra,
a aimanté tous les regards vers elle.
On peut voir ici, si ce n’est une référence directe,
du moins un schéma identique aux mythes d’Orphée : tous sont en effet fondés sur
un même interdit, ne pas céder à la tentation de se retourner pour voir, ce qui est dans
doute une façon d’avertir contre les dangers du regard désirant.
Le point de vue change à la troisième phrase, pour devenir externe (voir le verbe
d’état modalisateur « avait l’air ») : le narrateur épouse le point de vue d’un
spectateur anonyme de la scène.
Il décrit donc la posture de Raphaël qui résulte de
sa décision : la comparaison « assis comme une duchesse », associée aux termes
« impertinence » et « mépriser » retranscrit l’impression erronée qu’on pourrait s’en
faire, à savoir qu’elle procéderait d’une forme de prétention aristocratique.
Il faut remarquer que cette position (« il présentait le dos ») rend impossible son
identification - ce qui jouera un rôle par la suite.
D’autre part, le narrateur s’ingénie à maintenir l’anonymat de cette intrigante
voisine, qu’il qualifie d’« inconnue », avant d’insister, à nouveau, sur sa beauté :
« une jolie femme ».
Par là, Balzac crée une tension dramatique croissante :
comment respecter le pacte, en présence immédiate d’une femme charmante ?
A la description de Raphaël succède alors celle de cette femme, parfaitement
symétrique (elle « copiait avec exactitude la posture de Valentin ») : cette
convergence involontaire, physique, peut être lue comme un premier indice d’une
harmonie pré-établie entre eux, le signe d’une destinée commune.
La description
qui en est faite ne clarifie pas son identité, mais précise uniquement sa
position (« son coude sur le bord de la loge », « la tête de trois quarts »), précisant
ainsi la direction de son regard ( « en regardant les chanteurs »), orienté donc vers la
scène, à l’opposé de la loge où se trouve Raphaël.
La comparaison « comme si elle
se fut posé devant un peintre » suggère toutefois que sa pose théâtrale et
ostentatoire appelle bel et bien un regard :
Poursuivant sa stratégie de rapprochement implicite et progressive entre les deux
personnages, le narrateur envisage désormais ceux qui sont encore supposés être
inconnus l’un à l’autre, via l’usage d’une comparaison (« ces deux personnes
ressemblaient à deux amants brouillés »), comme les membres d’un couple
amoureux.
Il y adjoint une légère touche comique, en croquant à l’aide d’un présent
de vérité générale une scène de ménage archétypale (: « qui se boudent, se tournent
le dos et vont s’embrasser au premier mot d’amour.
»).
Les trois verbes de la relative,
distribués selon un ordre chronologique, préfigurent ainsi l’embrasement à venir,
dont l’imminence suggérée par l’emploi d’un futur proche (« vont s’embrasser »).
II- Raphaël en proie à une irrésistible attirance pour cette belle inconnue
3 points saillants :
Le corps féminin comme talisman magique doté d’une irrésistible force
d’attraction
La volonté déclinante de Raphaël, possédé par un désir croissant (effet de
crescendo)
La suggestion d’un amour prédestiné
On remarquera le mouvement de crescendo ménagé par les trois locutions
adverbiales antéposées (« Par moments », « bientôt », « enfin »), et qui correspond
à la montée du désir chez Raphaël.
Volontairement aveugle, ce dernier ne subit donc
l’influence que des sens humains restants, à commencer par le toucher.
La
proximité spatiale entre les deux personnages les amène en effet à se toucher, de
manière involontaire, d’où de nombreuses notations tactiles : « les légers marabouts
ou les cheveux de l’inconnue effleuraient la tête de Raphaël », « le doux contact des
ruches blondes ».
Puis l’ouïe entre en jeu.
Le jeu des assonances en « f » et « m »
constitue une harmonie imitative, qui cherche sans doute à reproduire le frou-frou
séducteur en question : «fit entendre le murmure efféminé de ses plis, frissonnement ».
On constate de plus que la présentation du corps de cette « inconnue » suit un
mouvement descendant, des « cheveux » à la « poitrine » et au « dos » : le
dévoilement s’opère progressivement, en augmentant la charge érotique.
D’autre
part, la scène se nimbe d’une aura de merveilleux : la personnification de la robe
(« la robe elle-même fit entendre...
») concourt à cet effet, de même que le GN
« molles sorcelleries ».
C’est le corps de la femme qui paraît doté d’un pouvoir
magique, se transformer en talisman érotique et concurrencer celui de la Peau de
chagrin, pour mettre à l’épreuve le jeune héros, gagné par « une sensation
voluptueuse contre laquelle il luttait courageusement ».
On comprend alors que sa
précaution (ne pas regarder les femmes pour « se mettre à l’abri d’une tentation »)
s’est révélée inutile : le désir croît tout de même, et met à rude épreuve sa volonté
(remarquer l’imparfait duratif « luttait »).
Pour traduire la puissance enchanteresse de ce corps féminin, Balzac recourt une
nouvelle fois à l’allitération : la répétition du son « p » (« le mouvement
imperceptible imprimé par la respiration à la poitrine ») paraît en effet reproduire la
régularité du souffle de Pauline.
Le romancier....
»
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