ambivalence
Publié le 06/12/2021
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ambivalence n.f. (angl. Ambivalence; allem. Ambivalenz). Disposition psychique d'un sujet qui éprouve ou manifeste simultanément deux sentiments, deux attitudes opposés à l'endroit d'un même objet, d'une même situation. (Par exemple, l'amour et la haine, le désir et la crainte, l'affirmation et la négation.)
La notion d'ambivalence a été introduite par E. Bleuler en 1910 à la suite de ses travaux sur la schizophrénie, où cette tendance paradoxale lui apparaissait dans ses formes les plus caractéristiques. Ensuite, S, Freud a eu recours à cette notion, dont il n'a cessé de souligner l'importance dans différents registres du fonctionnement psychique; cela aussi bien pour rendre compte de conflits intrapsychiques que pour caractériser certaines étapes de l'évolution libidinale, voire l'aspect fondamentalement dualiste de la dynamique des pulsions.
La coexistence, chez un sujet, de tendances affectives opposées à l'égard d'un même objet induirait l'organisation de certains conflits psychiques imposant au sujet des attitudes parfaitement contradictoires. Dans le même sens, M. Klein évoque l'attitude foncièrement ambivalente du sujet dans sa relation à l'objet, qui lui apparaît qualitativement clivé en «bon objet« et «mauvais objet'.
L'amour et la haine constituent, en l'espèce, une des oppositions les plus décisives dans l'avènement de tels conflits.
L'ambivalence apparaîtrait aussi comme un facteur constitutivement lié à certains stades de l'évolution libidinale du sujet, où coexistent dans le même temps des motions pulsionnelles contradictoires. Soit, par exemple, l'opposition amour-destruction du stade sadique-oral, activité-passivité du stade sadique-anal. En ce sens, l'ambivalence est alors directement articulée à la dynamique pulsionnelle.
L'idée d'une ambivalence intrinsèquement liée au dynamisme des pulsions se trouverait, par ailleurs, confortée par le caractère oppositionnel des pulsions elles-mêmes : pulsions d'au-toconservation - pulsions sexuelles, et plus nettement encore dans le dualisme pulsions de vie - pulsions de mort.
amour n.m. (angl. Love; allem. Liebe). Sentiment d'attachement d'un être pour un autre, souvent profond, voire violent, mais dont l'analyse montre qu'il peut être marqué d'ambivalence et, surtout, qu'il n'exclut pas le narcissisme.
À partir du moment où il introduit l'hypothèse des pulsions de mort, Freud se sert volontiers du terme grec éros pour désigner l'ensemble des pulsions de vie (comprenant pulsions sexuelles et pulsions d'autoconserva-tion) qui s'y opposent. Un tel usage pourrait être trompeur. Éros n'est autre en effet que le dieu grec de l'Amour. Serait-ce dans l'amour qu'il faudrait chercher la force qui mène le monde, la seule capable de s'opposer à Thanatos, la mort?
Une telle conception serait, dans l'optique freudienne, tout à fait critiquable. Elle reviendrait en effet à gommer le rôle déterminant de ce qui est plus spécifiquement sexuel dans l'existence humaine. C'est pour cela qu'il faut plutôt prêter attention à ce qui distingue amour et désir. Freud souligne par exemple ce fait bien connu que beaucoup d'hommes ne peuvent désirer la femme qu'ils aiment, ni aimer la femme qu'ils désirent. C'est sans doute que la femme aimée — et respectée —, trop proche d'une certaine façon de la mère, se trouve par là interdite.
On conçoit dès lors que les questions de l'amour et de la sexualité soient traitées parallèlement, sinon séparément. C'est le cas notamment dans un article comme «Pulsions et destins des pulsions« (1915) [in Métapsychologie, 1915]. Freud y étudie longuement le sort des pulsions sexuelles (renversement de l'activité en passivité, retournement sur la personne propre, refoulement, sublimation); et ce n'est qu'après tout ce trajet qu'il fait valoir la singularité de l'amour: lui seul peut être renversé quant au contenu, dès lors qu'il n'est pas rare qu'il se transforme en haine.
Le sujet peut en venir assez couramment à haïr l'être qu'il aimait; il peut aussi avoir des sentiments mêlés, sentiments qui unissent un profond amour et une haine non moins puissante pour la même personne : c'est le sens le plus strict qu'il soit possible de donner à la notion d'ambivalence. Cette ambivalence s'explique du fait de l'aliénation qu'il peut y avoir dans l'amour: pour qui a abdiqué toute volonté propre dans la dépendance amoureuse, on conçoit que la haine puisse accompagner l'attachement passionnel, l'« éna-moration «. Mais il reste précisément à rendre compte de cette aliénation.
AMOUR ET NARCISSISME
Pour le faire, il est à présent nécessaire d'aborder ce que la psychanalyse a pu repérer quant au rôle du narcissisme pour le sujet humain. Dans un article de 1914, Pour introduire le narcissisme, Freud rappelle que certains hommes, comme les pervers et les homosexuels, «ne choisissent pas leur objet d'amour ultérieur sur le modèle de la mère, mais bien sur celui de leur propre personne «. «De toute évidence, ils se cherchent eux-mêmes comme objets d'amour, en présentant le type de choix d'objets que l'on peut nommer narcissique.« Plus souvent encore, selon Freud, les femmes aiment «selon le type narcissique« (et non selon le «type par étayage «, où l'amour s'appuie sur la satisfaction des pulsions d'autoconser-vation, où il vise «la femme qui nourrit «, «l'homme qui protège «). «De telles femmes, dit Freud, n'aiment, à strictement parler, qu'elles-mêmes, à peu près aussi intensément que l'homme les aime. Leur besoin ne les fait pas tendre à aimer, mais à être aimées, et leur plaît l'homme qui remplit cette condition.«
On peut certes discuter l'importance que Freud donne au narcissisme, et éventuellement la différence qu'il établit sur ce point entre les femmes et les
hommes. Mais l'important est ailleurs ; c'est que l'on ne peut pas nier que souvent l'amour apparent pour autrui dissimule un amour beaucoup plus réel de sa propre personne. Comment ne pas voir que le sujet aime le plus souvent l'autre en tant qu'il est fait à son image, ou encore en tant qu'il renvoie de lui-même une image favorable.
Ce type d'analyse a été longuement développé par Lacan. Pour Lacan, en effet, le moi n'est pas cette instance régulatrice qui établirait un équilibre entre les exigences du surmoi et celles du ça en fonction de la réalité. De par sa constitution même (--> miroir [stade du]), il est fait de cette image où le sujet a pu se constituer comme totalité achevée, où il a pu se reconnaître, où il a pu s'aimer. C'est là la dimension où s'enracine ce qu'il y a de fondamentalement narcissique dans l'amour humain, s'il est vrai que c'est toujours du sujet qu'il s'agit dans ce qu'il peut aimer dans l'autre. Notons que c'est à ce niveau que l'on peut situer ce qui constitue le principal obstacle dans le transfert, ce qui détourne le sujet du travail associatif, ce qui le pousse à chercher une satisfaction plus rapide dans l'amour qu'il exige de son analyste puis à éprouver un sentiment de frustration, éventuellement de l'agressivité, lorsqu'il se trouve déçu.
LE MANQUE ET LE PÈRE
Et pourtant, on ne saurait réduire l'amour à cette dimension. Plus nettement encore que pour le désir, dont l'objet manquant peut toujours se projeter sur un écran (comme par exemple dans le fétichisme ou la perversion), l'amour, c'est bien clair, ne vise aucun objet concret, aucun objet matériel. C'est assez évident par exemple chez l'enfant, dont les demandes incessantes n'ont pas pour but d'obtenir les objets qu'il réclame, sauf au titre d'un simple signe, le signe de l'amour que le don vient rappeler. En ce sens, comme
le dit Lacan, « aimer «, c'est donner ce qu'on n'a pas «. Et il est visible aussi que l'amant qui vante sa bien-aimée en se plaignant seulement de quelque insatisfaction l'aime surtout pour ce qui lui manque : seule façon de s'assurer qu'elle ne vient pas boucher, par une réponse trop ajustée, le désir qu'il peut avoir d'elle.
C'est ainsi dans la demande que se nouent le désir et l'amour. L'homme n'étant pas réductible à un être de besoin, sa demande ouvre la porte à l'insatisfaction : la demande, parce qu'elle passe par le langage, «annule la particularité de tout ce qui peut être accordé en le transmuant en preuve d'amour «. Dès lors, «il y a [...] nécessité que la particularité ainsi abolie reparaisse au-delà de la demande : c'est le désir, en tant qu'il dépend de quelque trait qui a valeur de «condition absolue« O. Lacan, «la Signification du phallus«, 1958, in Écrits, 1965).
On n'oubliera pas par ailleurs que c'est la castration, l'interdit, qui vient inscrire le manque pour le sujet humain. Dès lors, si le sujet aime l'autre en fonction de ce manque, son amour se détermine d'abord pour celui auquel il attribue cette opération de la castration. C'est pourquoi l'amour du sujet est d'abord un amour pour le père, sur quoi va reposer aussi l'identification première, constitutive du sujet lui-même.
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