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Alexandre II

Publié le 16/05/2020

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« Alexandre II De Pierre le Grand à Lénine, nul maître de toutes les Russies ne fit davantage pour transformer son paysqu'Alexandre II, et pourtant ce "tsar libérateur" ne fut ni un prince aux vues avancées, ni un autocrate ferme ethardi : c'était un traditionaliste qui, face à la crise grandissante de l'ancien régime russe, fut poussé à changerbeaucoup de choses afin de mieux conserver l'essentiel. Né en 1818, il fut élevé à l'école de son père, Nicolas Ier, le "gendarme de l'Europe", qui avait tout mis en œuvrepour figer son empire dans le moule militaire du grand Pierre.

Le tsarévitch, malgré l'influence humaniste de sonprécepteur, le poète Joukovski, grandit fidèle aux principes paternels : l'orthodoxie, l'autocratie et un nationalismequi opposait à tout jamais la Russie à l'Occident libéral.

Au service de ces idéaux il apportait une bonne intelligence,une instruction étendue et une réelle volonté tempérée par le pragmatisme.

Ce fils soumis ne s'est regimbé qu'unefois, mais sur un point majeur.

En 1839, lors d'un grand tour de l'Europe, il eut le coup de foudre pour la princesseMarie de Hesse Darmstadt, belle-fille inacceptable à Nicolas, car les incartades notoires de sa mère rendaient sapaternité royale plus que douteuse.

L'empereur somma son héritier de revenir sur-le-champ à Saint-Pétersbourg.

Letsarévitch menaça de renoncer au trône plutôt qu'à son amour.

Nicolas finit par céder, et le mariage eut lieu l'annéesuivante.

Belle, cultivée et humanitaire, la tsarevna est vite devenue orthodoxe pieuse et aussi patriote que sonmari.

Longtemps ce fut l'idylle, bénie par la naissance de quatre fils et de deux filles. Après ces années de bonheur, le règne d'Alexandre II débuta dans la crise.

Depuis Pierre le Grand, toutes lesinstitutions russes avaient été organisées dans un but unique : la puissance militaire.

La noblesse (dvorianstvo)"servait" dans l'armée, comme officiers, ou dans les échelons supérieurs de la bureaucratie, tandis que lapaysannerie servile faisait vivre la noblesse, payait les impôts et fournissait les fantassins pour une armée d'unmillion d'hommes.

Or, en 1854, la guerre de Crimée vint démontrer que ce système était devenu totalement désuet àl'ère de la révolution industrielle : l'armée qui avait vaincu Napoléon fut ignominieusement mise en échec, et sur sonpropre territoire.

Nicolas mourut en pleine débâcle, en 1855, en disant à son héritier : "Je vous passe lecommandement en mauvais état." La première tâche du nouvel empereur fut de liquider cette guerremalencontreuse.

Il le fit au traité de Paris, en 1856 mais à un prix qu'il estima déshonorant : l'abandon duprotectorat russe sur les chrétiens des Balkans et la démilitarisation des côtes de la mer Noire.

Désormais, enpolitique étrangère, son but, à longue échéance, sera d'effacer cette humiliation. Mais d'abord il fallait rénover les structures intérieures de l'Empire ce qui signifiait avant tout abolir le servage.Alexandre était maintenant convaincu que cette institution freinait tout développement national et, en plus, qu'elleétait devenue par trop dangereuse, car les paysans s'étaient fortement agités pendant la guerre, évoquant lespectre d'une révolte à la Pougatchev, qui avait failli détruire l'Empire en 1774.

Sitôt la paix revenue, Alexandredéclara à la noblesse de Moscou "qu'il valait mieux abolir le servage d'en haut au lieu d'attendre qu'il s'abolisse d'enbas".

Mais la noblesse, dans sa majorité hostile à toute émancipation, fit la sourde oreille.

Alexandre fut donc obligéde prendre l'initiative, encouragé par les "libéraux" de sa famille, l'impératrice et son frère, Constantin.

Mais il futsecondé surtout par quelques hauts fonctionnaires, soit éclairés, soit convaincus par raison d'État "modernisatrice",tels le vice-ministre de l'Intérieur, Nicolas Milioutine, ou le général Rostovtsev.

En 1857, un "comité central" secretest créé pour étudier l'affranchissement.

Enfin la noblesse des provinces lituaniennes répond à la pression impériale :dans l'espoir de s'en tirer à moindres frais, elle propose l'affranchissement, mais sous réserve que les pomiechtchiki(seigneurs) gardent la terre.

Alexandre saisit ce prétexte pour décréter, dans un rescrit bientôt rendu public, quel'affranchissement doit se faire avec attribution de terres aux paysans.

Peu après, il invite la noblesse de toutes lesprovinces à élire des comités chose inouïe en Russie pour étudier les modalités d'une telle réforme.

Parallèlement,Alexandre permet un "dégel" généralisé.

Les condamnés politiques rentrent de Sibérie ; l'autonomie est rendue auxuniversités ; la censure est adoucie.

L'opinion publique, muselée depuis 1825, se réveille dans un printemps d'espoirtel que la Russie n'en avait jamais connu.

L'intelligentsia avancée s'active à faire pression sur le gouvernement pourun affranchissement radical ; et le chef de file de l'émigration, Herzon, dans sa revue La Cloche, publiée à Londres,salue Alexandre avec ces mots : "Tu as vaincu, ô Galiléen !" Après cette lune de miel, s'ensuivent trois années de "négociations" serrées entre le gouvernement et les nobles,sous l'œil vigilant de l'intelligentsia.

Les comités de noblesse se divisent vite en deux groupes.

Une minorité de"libéraux", surtout dans le Nord où le sol est pauvre et le servage peu rentable, acceptent l'affranchissement avecterres mais sous condition d'une forte indemnité.

Une majorité de "planteurs", surtout dans le Sud, où le sol est richeet l'agriculture déjà mercantile, se résignent à lâcher les serfs moyennant une indemnité réduite, à condition degarder le maximum de terres.

Les deux groupes enfin sont solennellement "convoqués" à présenter leurs projetsdevant les "commissions de rédaction", toutes bureaucratiques, de la capitale.

Alexandre et ses intimes trouvent lesdeux séries d'exigences excessives.

Pis encore, "libéraux" et "planteurs" se concertent pour demander, encompensation de la perte des droits seigneuriaux, une représentation nationale.

Devant cette prétention, Alexandrecongédie la "convocation" et exile ses chefs les plus téméraires.

Ensuite, il fait trancher les différends économiquespar la haute bureaucratie, fidèle à sa propre vision de l'intérêt national et d'un État au-dessus de toute classe.

Lerésultat, promulgué en 1861, fut inévitablement un compromis qui ne satisfait personne.

Suivant les régions, lespaysans reçoivent de 35 à 50 % des terres, mais partout leurs parcelles sont grevées d'un prix de rachat quidépasse leur valeur réelle et dont les paiements sont échelonnés sur quarante-neuf ans : les paysans s'estimentvolés d'une partie de leurs biens traditionnels et imposés à quasi-perpétuité pour le reste.

De surcroît, afin d'assurerle rachat, ils demeurent attachés à la commune villageoise (obchtchina ou mir), ce qui entrave toute modernisation. »

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