Albert THIBAUDET note au sujet de MONTAIGNE : Il a haï les révolutions, et cependant c'est par l'esprit et l'action révolutionnaire du XVIIIe siècle que la pensée de Montaigne est devenue chair, que l'homme selon les « Essais » a été appelé à la vie. L'oeuvre a été plus révolutionnaire que l'homme. Elle a été révolutionnaire à contresens de l'homme. En partant de cette réflexion, vous direz sur quels points et dans quelle mesure l'oeuvre de MONTAIGNE vous paraît annoncer celle des « p
Publié le 09/12/2021
Extrait du document
L'intitulé ne présente ni difficulté ni piège. THIBAUDET, dans son Montaigne (1963), rappelle le conservatisme bien connu de l'auteur des Essais : Je suis dégoûté de la nouvelleté, quelque visage qu'elle porte, et ai raison, car j'en ai vu des effets très dommageables (I, 23). MONTAIGNE est tout le contraire d'un révolutionnaire : il fait sans cesse l'éloge des traditions, des vieilles coutumes. Au XVIIe siècle, PASCAL reprend certaines de ses idées, mais le XVIIIe siècle est moins réservé que le XVIIe dans son admiration pour MONTAIGNE. VOLTAIRE, par exemple, écrit : Quelle injustice criante de dire que Montaigne n'a fait que commenter les Anciens!... Je voudrais bien savoir, d'ailleurs, s'il a pris chez les Anciens tout ce qu'il dit sur nos modes, sur nos usages, sur le Nouveau Monde, découvert presque de son temps; sur les guerres civiles dont il était le témoin; sur le fanatisme des deux sectes qui désolaient la France (Lettre au comte de Tressan, 21 août 1746). Quant à ROUSSEAU, on devine aisément combien l'exemple des Essais a pu influencer son entreprise de se peindre (Confessions, Rêveries, Rousseau juge de Jean-Jacques). Introduction. MONTAIGNE, comme PASCAL, est un des écrivains par rapport auxquels les hommes qui réfléchissent aiment à se situer. Les Essais furent un bréviaire pour les deux siècles qui suivirent leur publication. On peut cependant s'étonner de voir admirer par les Lumières une pensée aussi conservatrice en certains domaines. L'existence d'idées communes et d'un art de vivre parfois semblable au leur n'a-t-il pas caché aux philosophes du XVIIIe siècle la réalité, chez MONTAIGNE, d'une exigence intérieure que les écrivains du siècle précédent auraient beaucoup mieux vue?
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L'intitulé ne présente ni difficulté ni piège.
THIBAUDET, dans son Montaigne (1963), rappelle le conservatisme bienconnu de l'auteur des Essais : Je suis dégoûté de la nouvelleté, quelque visage qu'elle porte, et ai raison, car j'en aivu des effets très dommageables (I, 23).MONTAIGNE est tout le contraire d'un révolutionnaire : il fait sans cesse l'éloge des traditions, des vieilles coutumes.Au XVIIe siècle, PASCAL reprend certaines de ses idées, mais le XVIIIe siècle est moins réservé que le XVIIe dansson admiration pour MONTAIGNE.
VOLTAIRE, par exemple, écrit : Quelle injustice criante de dire que Montaigne n'afait que commenter les Anciens!...
Je voudrais bien savoir, d'ailleurs, s'il a pris chez les Anciens tout ce qu'il dit surnos modes, sur nos usages, sur le Nouveau Monde, découvert presque de son temps; sur les guerres civiles dont ilétait le témoin; sur le fanatisme des deux sectes qui désolaient la France (Lettre au comte de Tressan, 21 août1746).
Quant à ROUSSEAU, on devine aisément combien l'exemple des Essais a pu influencer son entreprise de sepeindre (Confessions, Rêveries, Rousseau juge de Jean-Jacques).
Introduction.
MONTAIGNE, comme PASCAL, est un des écrivains par rapport auxquels les hommes qui réfléchissent aiment à sesituer.
Les Essais furent un bréviaire pour les deux siècles qui suivirent leur publication.
On peut cependant s'étonner de voir admirer par les Lumières une pensée aussi conservatrice en certains domaines.
L'existence d'idées communes et d'un art de vivre parfois semblable au leur n'a-t-il pas caché aux philosophes duXVIIIe siècle la réalité, chez MONTAIGNE, d'une exigence intérieure que les écrivains du siècle précédent auraientbeaucoup mieux vue?
Développement non rédigé
I.
Des idées « défensives » communes
1.
Critique des superstitions.
Bien avant FONTENELLE et son histoire de la dent d'or, MONTAIGNE a dénoncé la crédulité superstitieuse : Je vois ordinairement que les hommes, aux faits qu'on leur propose, s'amusent plus volontiers à en chercher la raison qu'à en chercher la vérité : ils laissent là les choses, et s'amusent à traiter lescauses.
Plaisants causeurs! (III, 11).
Ainsi en est-il d'une prétendue guérison de la goutte : le duc de Nemours se persuada tellement qu'il avait été guéri par le prêtre dont on lui avait parlé, qu'il réussit à marcher...
pendantquelques heures (III, 11).
L'écrivain raconte comment naissent les faux miracles (III, 11).
On songe ici non seulement à FONTENELLE (Il ne manquait autre chose à tant de beaux ouvrages sinon qu'il fût vrai que la dent était d'or), mais à BAYLE (Pensées sur la comète), à VOLTAIRE, à MONTESQUIEU.
Ce dernier
raille le pouvoir miraculeux de guérir les écrouelles attribué aux rois de France après leur sacre : Il va même jusqu'à leur faire croire qu'il les guérit de toutes sortes de maux en les touchant ( Lettres persanes).
2.
Défiance à l'égard de la métaphysique, antidogmatisme.
La longue Apologie de Raymond Sebond (II, 12) tend tout entière à ridiculiser les prétentions de la raison.
MONTAIGNE y raille les « dogmatiques » et leur orgueil :L'homme, la plus calamiteuse et frêle de toutes les créatures, et en même temps la plus orgueilleuse.L'anthropocentrisme, général en son temps, lui paraît naïf; chaque homme se dit : « Toutes les pièces de l'universme regardent : la terre me sert à marcher, le soleil à m'éclairer...
», mais Pourquoi ne dira un oison ainsi?...
Autant en dirait une grue, et plus magnifiquement encore pour la liberté de son vol et la possession de cette belle ethaute région.
Ne croirait-on pas lire du FONTENELLE (De la pluralité des mondes) et surtout du VOLTAIRE? Micromégas ironise sur le petit animalcule en bonnet carré, et le théologien thomiste y soutient au Saturnien et au Sirien que leurs personnes, leurs mondes, leurs étoiles, tout était fait uniquement pour l'homme.
L'auteur de l'Apologie se moque des systèmes et de ce tintamarre de tant de cervelles philosophiques, tout comme VOLTAIRE : Nous sommes d'accord sur deux ou trois points que nous entendons, et nous disputons sur deux ou trois mille quenous n'entendons pas.
Hostile aux déductions rationnelles d'un DESCARTES, VOLTAIRE s'intéresse surtout au concret, à ce qu'on peutvérifier par l'expérience.
Il est disciple de BACON et de LOCKE ( Lettres philosophiques).
Il retrouve là l'une des tendances profondes de MONTAIGNE, constamment décelable dans les Essais : goût du réel palpable, sens de la complexité des choses, refus des élucubrations.
Même si l'on minimise (comme THIBAUDET, précisément) l'importance de l'Apologie, si l'on y voit un exercice d'école né de la lecture de SEXTUS EMPIRICUS (1576-1577), il demeure facile de découvrir dans les Essais de nombreux témoignages d'un sain scepticisme : On me fait haïr les choses vraisemblables quand on me les plante pour infaillibles.
J'aime ces mots, qui amollissent et modèrent la témérité de nos propositions : à l'aventure,aucunement, quelque, on dit, je pense et semblables (III, 11).
Sens de la relativité des coutumes.
L'essai Des cannibales (I, 31) développe avec fermeté ce thème, qui sera si cher à MONTESQUIEU, et à VOLTAIRE : Chacun appelle barbarie ce qui n'est pas de son usage...
Il 3..
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