Albert Camus, L'Étranger (le meurtre de l'Arabe). Commentaire
Publié le 19/12/2021
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«
Albert Camus, L'Étranger (le meurtre de l'Arabe) .
Il était seul.
Il reposait sur le dos, les mains sous la nuque, le front
dans les ombres du rocher, tout le corps au soleil.
Son bleu de
chauffe fumait dans la chaleur.
J'ai été un peu surpris.
Pour moi,
c'était une histoire finie et j'étais venu là sans y penser.
Dès qu'il m'a vu, il s'est soulevé un peu et a mis la main dans sa
poche.
Moi, naturellement, j'ai serré le revolver de Raymond dans
mon veston.
Alors de nouveau, il s'est laissé aller en arrière, mais
sans retirer la main de sa poche.
J'étais assez loin de lui, une dizaine
de mètres.
Je devinais son regard par instants, entre ses paupières
mi-closes.
Mais le plus souvent, son image dansait devant mes yeux, dans l'air enflammé.
Le bruit des vagues était encore plus paresseux, plus étale qu'à midi.
C'était le même
soleil, la même lumière sur le même sable qui se prolongeait ici.
Il y avait déjà deux heures
que la journée n'avançait plus, deux heures qu'elle avait jeté l'ancre dans un océan de
métal bouillant.
A l'horizon, un petit vapeur est passé et j'en ai deviné la tache noire au
bord de mon regard, parce que je n'avais pas cessé de regarder l'Arabe.
J'ai pensé que je n'avais qu'un demi-tour à faire et ce serait fini.
Mais toute une plage
vibrante de soleil se pressait derrière moi.
J'ai fait quelques pas vers la source.
L'Arabe n'a
pas bougé.
Malgré tout, il était encore assez loin.
Peut-être à cause des ombres sur son
visage, il avait l'air de rire.
J'ai attendu.
La brûlure du soleil gagnait mes joues et j'ai senti
des gouttes de sueur s'amasser dans mes sourcils.
C'était le même soleil que le jour où
j'avais enterré maman et, comme alors, le front surtout me faisait mal et toutes ses veines
battaient ensemble sous la peau.
A cause de cette brûlure que je ne pouvais plus supporter,
j'ai fait un mouvement en avant.
Je savais que c'était stupide, que je ne me débarrasserais
pas du soleil en me déplaçant d'un pas.
Et cette fois, sans se soulever, L'Arabe a tiré son
couteau qu'il m'a présenté dans le soleil.
La lumière a giclé sur l'acier et c'était comme une
longue lame étincelante qui m'atteignait au front.
Au même instant, la sueur amassée dans
mes sourcils a coulé d'un coup sur les paupières et les a recouvertes d'un voile tiède et
épais.
Mes yeux étaient aveuglés derrière ce rideau de larmes et de sel.
Je ne sentais plus
que les cymbales du soleil sur mon front et, indistinctement, le glaive éclatant jailli du
couteau toujours en face de moi.
Cette épée brûlante rongeait mes cils et fouillait mes
yeux douloureux.
C'est alors que tout a vacillé.
La mer a charrié un souffle épais et ardent.
Il m'a semblé que le ciel s'ouvrait sur toute son étendue pour laisser pleuvoir du feu.
Tout
mon être s'est tendu et j'ai crispé ma main sur le revolver.
La gâchette a cédé, j'ai touché
le ventre poli de la crosse et c'est là, dans le bruit à la fois sec et assourdissant, que tout
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