Aimez-vous la poésie ? Que recherchez-vous lorsque vous lisez des poèmes ?
Publié le 09/12/2021
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Ce sujet fait apparemment largement appel à la subjectivité, au goût et au tempérament personnels. Autant de lecteurs, autant de poèmes favoris, autant de types de jouissance, autant d'attentes différentes. On pourrait d'ailleurs varier la perspective sans changer fondamentalement la nature du propos, en soulignant que chacun d'entre nous ne s'adresse pas aux mêmes textes, ou, mieux, ne lit pas le même texte de la même façon, suivant son âge et les circonstances de sa vie, selon les variations de sa propre histoire, mais aussi de l'Histoire tout court. Je lirai les Poèmes à Lou et Le Mal-Aimé, La Jolie Rousse ou Le Pont Mirabeau, selon que les avatars d'une passion me conduiront à y rechercher un fragment de discours amoureux, pour employer le mot de Barthes, reflétant ma propre expérience de la sensualité ou de la quête infructueuse, de l'absence, de la jalousie, de l'espoir ou de la rupture. Mais je ne lirai pas les poèmes de Résistance d'Aragon et de Desnos, d'Éluard et de René Char, dans la tranquillité de cet été parisien, de la même façon que mes parents en juin 1944 ou en juillet 1945, lorsqu'ils y trouvaient l'écho direct de leurs angoisses et de leur soulagement. Cela posé, on pourrait faire un constat identique avec le roman ou le théâtre. Le sujet ne fait donc pas seulement appel à nos préférences : il nous demande pourquoi nous lisons spécialement des poèmes; quelles révélations nous sommes en droit d'attendre des poètes. Ce qui revient à poser la question de la poésie comme genre à part ; et, plus particulièrement, la question de la langue poétique comme langage autre. Il va falloir chercher ce qui la différencie des langages prosaïques, y compris les autres langages littéraires ; et en quoi elle suggère, suscite un monde différent, inouï — ce qui ne signifie pas gratuit ni de pure fantaisie.
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Aimez-vous la poésie ? Que recherchez-vous lorsque vous lisez des poèmes ?
Introduction
Ce sujet fait apparemment largement appel à la subjectivité, au goût et au tempérament personnels.
Autant delecteurs, autant de poèmes favoris, autant de types de jouissance, autant d'attentes différentes.
On pourraitd'ailleurs varier la perspective sans changer fondamentalement la nature du propos, en soulignant que chacund'entre nous ne s'adresse pas aux mêmes textes, ou, mieux, ne lit pas le même texte de la même façon, suivant sonâge et les circonstances de sa vie, selon les variations de sa propre histoire, mais aussi de l'Histoire tout court.
Jelirai les Poèmes à Lou et Le Mal-Aimé, La Jolie Rousse ou Le Pont Mirabeau, selon que les avatars d'une passion meconduiront à y rechercher un fragment de discours amoureux, pour employer le mot de Barthes, reflétant ma propreexpérience de la sensualité ou de la quête infructueuse, de l'absence, de la jalousie, de l'espoir ou de la rupture.Mais je ne lirai pas les poèmes de Résistance d'Aragon et de Desnos, d'Éluard et de René Char, dans la tranquillité decet été parisien, de la même façon que mes parents en juin 1944 ou en juillet 1945, lorsqu'ils y trouvaient l'échodirect de leurs angoisses et de leur soulagement.Cela posé, on pourrait faire un constat identique avec le roman ou le théâtre.
Le sujet ne fait donc pas seulementappel à nos préférences : il nous demande pourquoi nous lisons spécialement des poèmes; quelles révélations noussommes en droit d'attendre des poètes.
Ce qui revient à poser la question de la poésie comme genre à part ; et,plus particulièrement, la question de la langue poétique comme langage autre.
Il va falloir chercher ce qui ladifférencie des langages prosaïques, y compris les autres langages littéraires ; et en quoi elle suggère, suscite unmonde différent, inouï — ce qui ne signifie pas gratuit ni de pure fantaisie.
I.
De l'âme pour l'âme.
1.
Le devoir de nouveauté.La fonction du poète était, selon Mallarmé, de donner un sens plus pur aux mots de la tribu.
Cette « purification »de la langue peut être cherchée dans deux directions, d'ailleurs complémentaires : le renouveau et l'ascèse.
a) Le poète est, en quelque sorte, chargé d'un renouvellement des associations lexicales, des images, desmétaphores, de la conduite syntaxique, des figures — qui cesseront d'être ornement pour devenir recherche.
Lafinalité de ce travail de la langue — presque au sens où l'on dit d'une femme parturiente qu'elle est « en travail » —est de la rendre apte à exprimer, à recueillir à notre usage des objets nouveaux.
Au prix, souvent, d'une distorsionsystématique — « comme un homme qui cultiverait des verrues sur son visage » dit Rimbaud — ce qui peut avoirpour effet d'en rendre l'accès difficile, de rendre cette langue, au premier abord, absconse, ésotérique, non commeune fin en soi, mais comme rançon d'une nécessité novatrice.Rimbaud, précisément, a explicitement théorisé cette démarche dans la célèbre « lettre du voyant » : « Cettelangue sera de l'âme pour l'âme, résumant tout, parfums, sons, couleurs, de la pensée accrochant la pensée ettirant ».
b) Il s'ensuit, d'ailleurs, que le travail sur la langue doit s'accompagner d'un travail sur soi-même — d'où le motascèse que nous employions plus haut : «La première étude de l'homme qui veut être poète est sa propreconnaissance, entière ; il cherche son âme, il l'inspecte, il la tente, l'apprend » I.
Expérience vitale et déchirante,rédemptrice, si l'on veut, que le poète accomplit en notre nom : «Un long, immense et raisonné dérèglement de tousles sens »I — qui répond, en somme, au dérèglement de la langue.A ce double prix, le poète peut se faire « voyant » — ce qui n'est pas un simple avatar du poète-guide desromantiques, ou de l'artiste-phare de Baudelaire.
Au propre, il est « vraiment voleur de feu » — comme Prométhée.Il travaille bien pour l'humanité.
Pour Rimbaud, « il définirait la quantité d'inconnu s'éveillant en son temps dans l'âmeuniverselle ».
Sa mission sera de « faire sentir, palper, écouter ses inventions ; si ce qu'il rapporte de là-bas aforme, il donne forme ; si c'est informe, il donne l'informe ».On trouverait une démarche comparable chez Apollinaire, du moins celui de Calligrammes et du Poète assassiné.
Onsait quel rôle palingénésique, bizarre, mais non isolé — cf.
également les futuristes italiens, comme Marinetti —celui-ci a fini par attribuer à la guerre de 1914-1918 : apocalyptique, certes, mais en même temps fécondant — lescanons, selon lui, « consomment le terrible amour des peuples » — c'est-à-dire engendrant dans la douleur unmonde nouveau :
« C'est le temps de la grâce ardenteSept ans d'incroyables épreuves L'homme se diviniseraPlus pur plus vif et plus savantIl découvrira d'autres mondes » (Calligrammes : «Les Collines ».)
Dans cette histoire, le poète se retrouve annonciateur, comme dans la tradition romantique :
« Habituez-vous comme moiA ces prodiges que j'annonce » (ibid.)
Mais il est aussi celui dont le langage fait germer une nouvelle vérité universelle :.
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