AIMÉ CÉSAIRE
Publié le 17/05/2020
Extrait du document
«
AIMÉ CÉSAIRE
né en 1913
ON peut être tenté de considérer Aimé Césaire comme le dernier et le plus brillant épigone de
l'école surréaliste française,
tout au moins si l'on se réfère au témoignage d'André Breton lui
même :
« La poésie de Césaire, comme toute grande poésie et tout grand art, vaut au plus haut
point par le pouvoir de transmutation qu'elle met en œuvre ...
On y reconnattra ce mouvement
entre tous abondant, cette exubérance dans le
jet et la gerbe, cette faculté d'alerter sans cesse de
fond en comble le monde émotionnel
jusqu'à le mettre sens dessus dessous, qui caractérisent la
poésie authentique.
»
Mais il est infiniment plus judicieux de situer Césaire à sa vraie place de fondateur de la
nouvelle littérature africaine, au sein du mouvement de la négritude qui prit naissance en France
aux environs de 1932.
C'est alors, en effet, qu'un groupe d'étudiants noirs, mené par Léopold
Senghor, Léon Damas
et Aimé Césaire, jeta les bases de l'émancipation tant politique que
culturelle de l'Afrique.
Césaire n'est cependant ni Français, ni Mricain.
A
la Martinique, rien ne le différenciait des milliers d'autres négrillons qui grouillaient
sur cette
ile surpeuplée : case de bois, six frères et sœurs, parents pauvres et laborieux.
Mais
l'enfant arrive à suivre l'école, à obtenir une bourse
pour la France, à entrer à Normale Supérieure.
Dès lors, sera-t-il simplement
un diplômé et aussitôt embourgeoisé, comme il est d'usage chez
ces descendants d'esclaves
qui arrivent à sortir des rangs et passent alors du côté des maîtres?
Non,
car cet enfant est un poète, extra-sensible et extra-lucide.
Que voit-il, que sent-il donc que
personne
n'ait vu et ni senti encore en ce premier tiers du xxe siècle?
Il voit son pays d'abord, dans son dénuement, cette île où « toute grandeur échoue », le
peuple misérable
et l'élite qui s'étouffe sûrement, dans le vain effort de se franciser et de se blanchir:
« Terre muette et stérile.
C'est de la nôtre que je parle.
Et mon ouïe mesure par la
Caraïbe l'effrayant silence de l'homme ...
L'atrophiement monstrueux de la voix, le séculaire
accablement, le prodigieux mutisme.
Point de ville, point
d'art, point de poésie.
Pas un germe,
pas
une pousse.
Ou bien la lèpre hideuse des contrefaçons.
»
Il regarde toujours et sa vision s'élargit jusqu'à embrasser le sort de sa race tout entière,
traquée et livrée depuis trois cents ans
au mépris, à l'esclavage, aux préjugés et aux brimades :
« Mes souvenirs brâment le rapt, le carcan, la piste dans la forêt, le baracoon, le négrier.
Ils nous
marquaient au fer rouge et l'on nous vendait comme des bêtes, et l'on nous comptait les dents, et
l'on examinait le cati ou le décati de notre peau » ...
« Nègre, nègre, nègre depuis le fond du ciel
immémorial.
» ·
La conscience d'appartenir à cette race, le fait de l'assumer dans sa culture, dans son histoire
et jusque dans ses traumatismes, Césaire l'appelle « négritude ».
Négritude, mot brûlant qui de
532
PHOTO LÜFI't OZKOK
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