ACTE I - Scène 1 de L'école des femmes de Molière (lecture analytique)
Publié le 15/05/2020
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ACTE I - Scène 1 de L'école des femmes de Molière (lecture analytique)
COMPRÉHENSION
1.
Arnolphe s'apprête à se marier.
Il entre en scène comme poursuivant une conversation déjà engagée avecChrysalde, de sorte que celle à qui il doit " donner la main " est désignée par un pronom (" lui ").
Ce n'est que plusloin qu'on apprendra de qui il s'agit (v.
123-128).
Le nom d'Agnès sera prononcé seulement à la scène 2.Chrysalde s'en étonne avec ironie (v.
6-8) parce qu'Arnolphe, la suite va le révéler, est tourmenté depuis toujourspar la peur d'être cocu.
Le vers 7 se trouvera expliqué par les vers 15-20.Arnolphe réplique par une boutade, insinuant que son ami doit être trompé par sa femme pour être ainsi porté àimaginer que tous les maris doivent l'être.
Il utilise l'image plaisante des " cornes ", " du mariage [...] infaillibleapanage " (v.
12).
Au propre, un apanage (de apanare, nourrir) est une portion du domaine royal que le roi deFrance attribuait en dédommagement à un fils cadet, la couronne revenant à l'aîné.
Au figuré, c'est un bien réservéà quelqu'un ou à quelque chose.
Le vers 12 est inspiré de la réponse du médecin Rondibilis à Panurge qui cherche àsavoir s'il doit se marier : " (...) tout homme marié est en danger d'être cocu.
Cocuage est naturellement desapanages du mariage.
L'ombre plus naturellement ne suit le corps que cocuage suit les gens mariés.
" (Rabelais, LeTiers Livre, ch.
XXXII).2.
Un débat s'ouvre alors sur le péril du cocuage, thème comique sûr (cf.
Cocuage, p.174 dans l' " Index des thèmes" de l'École des Femmes).
Chrysalde esquisse, sur la manière de l'accueillir, une thèse qui contredit l'opinioncommune: " bien sot, ce me semble, est le soin (= le souci) qu'on en prend " (v.
13-14).
Affirmation quelque peuprovocante et malicieuse à l'adresse du public en même temps que d'Arnolphe.
Il la développera au IV' acte (scène8), allant jusqu'à l'éloge du cocuage.Arnolphe, au contraire, se gausse des maris trompés, ainsi que nous l'apprend Chrysalde, en le mettant en gardecontre un retour de raillerie (v.
1520).
Il coupe la parole à Chrysalde pour se justifier d'agir ainsi.
Il apporte par làdes preuves du travers de caractère que lui reproche plaisamment Chrysalde, de son goût pour la raillerie et de sonhabitude de " faire cent éclats des intrigues galantes ", avec une sorte de malignité indiscrète.Observer comment ce début de l'exposition met en lumière la tournure de caractère d'Arnolphe tout en procurantl'amusement d'un tableau satirique de la vie parisienne (v.
21-45), tirade brillante de l'auteur-acteur Molière (cf.
ci-dessous, Écriture).Au vers 45, Chrysalde revient sur sa mise en garde et la développe d'une façon qui, on le sent, prépare l'action :Arnolphe essuiera-t-il un " revers de satire " (v.
56) ? L'enjeu est de l'ordre du comique.
Il est aussi psychologique: "Et l'on ne doit jamais jurer sur de tels cas / De ce qu'on pourra faire, ou bien ne faire pas.
" (v.
57-58) On verra, eneffet, à quelle complaisance Arnolphe se résignera (V, 4).
Et le danger d'être " tympanisé " (= ridiculisépubliquement, à son de tambour), que lui représente Chrysalde (v.
72), le poussera à la dissimulation vis-à-visd'Horace.3.
Le plan d'Arnolphe est d' " épouser une sotte " (v.
82).
Il redoute " les tours rusés et les subtiles trames / Dontpour nous en planter savent user les femmes " (v.
75-76).
Noter ses préjugés fonciers contre la nature féminine,préjugés traditionnels et communément partagés alors.
Il les exprimera à nouveau au r acte en prenant le public àtémoin de " l'imperfection " et de la " faiblesse " des femmes, et de leur " fragilité " (scène 5, v.
1572-1579).
Il neveut pas d'une femme " habile " (= instruite et intelligente, v.
84), car l'instruction, à ses yeux, ne fait que servir lepenchant des femmes à l'infidélité.
D'où sa dénonciation des " spirituelles " (= femmes d'esprit) qui fréquententcercles et ruelles et se piquent d'écrire (v.
87-92).11 se réclame de la tradition qui confine les femmes dans la viedomestique et veut qu'on limite leur instruction en conséquence (v.
93-102).
Il le dit en termes pleins d'outrance quipeignent son caractère et font rire de ses convictions, mais cette conception de l'éducation et du rôle des filles estalors bel et bien largement prédominante (cf.
Livre de l'élève, " L'éducation des filles aux XVIe et XVIIe siècles ",p.150).
Chrysalde fait deux objections à Arnolphe : " il est assez ennuyeux [...] / D'avoir toute sa vie une bête avecsoi " (v.
109-110) ; " la stupide " peut manquer à son devoir " Sans en avoir l'envie et sans penser le faire " (v.115116).
C'est le thème de La Précaution inutile de Scarron (cf.
Livre de l'élève " Sources littéraires de l'École desfemmes ", p.
136).L'enjeu comique se précise : il n'est plus seulement de savoir si Arnolphe sera cocu et raillé à son tour, mais desavoir si sa méthode est la bonne ou s'il va en être victime, ainsi que son ami le juge possible.
L'assuranced'Arnolphe (v.
117-122) prépare et appelle, bien sûr, la réalisation de la seconde hypothèse.4.
Ce qu'on apprend de singulier - et de comique -, c'est qu'Arnolphe a choisi celle qu'il va épouser quand elle avaitquatre ans (v.
129-130).
C'est aussi la façon dont il a réglé son éducation, " ordonnant quels soins on emploierait /Pour la rendre idiote autant qu'il se pourrait " (v.
137-138).
" Idiote " signifie " ignorante " dans la vieille langue, maisle mot aura, à la fin du XVIIe siècle, acquis une valeur péjorative, attestée par le Dictionnaire de Furetière (1690) :" Idiot : sot, niais, peu rusé, peu éclairé.
" La première édition du Dictionnaire de l'Académie, en 1694, donne encore" ignorant " comme premier sens du mot ; mais la seconde, en 1718, supprime cette acception pour ne conserverque celle de " stupide, imbécile ".
Molière pourrait bien avoir joué sur l'ambiguïté et le glissement de sens du terme.On apprendra plus loin (III, 4, v.
946-947) qu'Arnolphe avait prévu qu'on n'apprenne pas à écrire à Agnès.
Il ne faitque mettre en oeuvre, avec l'outrance qui le caractérise et dont il se flatte (" Chacun a sa méthode.
/ En femme,comme en tout, je veux suivre ma mode v.
124-125), l'esprit dans lequel était traitée l'éducation des filles (cf.Éducation, p.
176, et Ingénuité, p.
179, dans P.
Index des thèmes ").Agnès possède plusieurs mérites aux yeux d'Arnolphe.— Paradoxalement, le premier est de n'avoir ni " bien " ni " naissance ", et d'être la fille d'une humble paysanne.
Safortune lui permettrait d'épouser une fille richement dotée ou " bien née " ; il y fera allusion quand il annoncera àAgnès qu'il l'épouse (v.
686-687).
Mais il veut rester maître chez lui et profiter de sa richesse pour choisir unefemme qu'il soit sûr de dominer : lui devant tout, elle sera modeste et soumise (v.
125-128).
Il ne veut pas être un.
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