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A-t-on raison d'accuser le progrès technique ?

Publié le 07/05/2024

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« A-T-ON RAISON D’ACCUSER LE PROGRES TECHNIQUE ? La « technique » (de « technê » : art, habileté) désigne tout d’abord un savoir-faire permettant d’obtenir un résultat déterminé, ce qui provient de l’expérience (artisanat) ou est fondé sur la connaissance scientifique (on parle alors de « technologie »).

Censée servir l’homme, son but et sa valeur sont l’utilité et depuis la préhistoire et les premiers outils, elle n’a cessé d’évoluer : l’humanité est passée de l’outil à la machine, maîtrise des énergies de plus en plus puissantes, invente des machines de plus en plus complexes qui envahissent l’ensemble des domaines de la vie.

Nous sommes désormais accoutumés à y voir un progrès, soit l’expression de l’idée de progrès de l’humanité lancée au XVIIIe s.

par l’optimisme des Lumières.

Pourtant si d’une part on salue le gain qualitatif et quantitatif de la technique, voyant notamment dans les prouesses technologiques l’expression de l’inventivité humaine, d’autre part, on ne cesse de pointer ses excès et dangers, frémissant en envisageant certaines applications et conséquences tout en considérant souvent qu’« on n’arrête pas le progrès », comme si celui-ci, une fois lancé, gagnait en autonomie et s’imposait à nous.

Faut-il alors considérer le progrès technique comme responsable de tous ses aspects négatifs ? ici il s’agirait même de l’« accuser », ce qui a un sens fort : il ne s’agit pas simplement de parler des inconvénients du progrès technique mais de l’évaluer de manière critique comme s’il s’agissait d’un être moral autonome devant rendre des comptes.

Accuser c’est mettre en procès en avançant des motifs, des raisons et en cherchant à établir des preuves.

Non seulement de quoi l’accuserait-on et qui l’accuserait ? Et surtout, ne serait-ce pas ainsi dédouaner l’homme, initiateur et fin de la technique, désormais démis de tout pouvoir si ce n’est celui de dénoncer ? Nous verrons tout d’abord que nous ne pouvons radicalement condamner la technique en la rendant responsable de tous les maux : la cible concerne la modernité et ses dérives.

Ne s’agirait-il pas plutôt d’accuser l’homme, le renvoyant à ses responsabilités y compris et surtout au présent ? La technique est par elle-même signe de culture, dès la préhistoire elle est caractéristique de l’humanité.

Les références soulignant que la technique est proprement humaine et essentielle à l’homme sont nombreuses, par exemple dès l’Antiquité, le mythe de Prométhée mais aussi Aristote.

Sans technique, l’homme serait « nu », faible.

Elle lui est nécessaire pour survivre, expression de sa finitude, de son inadéquation avec la nature.

Mais elle est également proprement humaine au sens où elle manifeste son intelligence et permet à l’homme de modifier son rapport à la nature par le travail dont elle est le corollaire. L’homme passe ainsi par la médiation de la technique dans sa relation à la nature en la transformant.

Descartes indique dans le Discours de la méthode le projet de la modernité : « devenir comme maître et possesseur de la nature » : l’histoire de la technique serait ainsi celle d’un accroissement de pouvoir de l’homme sur la nature, s’intensifiant par celui d’une rationalité s’exprimant à travers la science.

Comment ne pas applaudir alors à toute avancée technique, ne pas y voir une sorte de revanche de l’homme sur sa condition, sur la nature à laquelle il est tout d’abord soumis, une affirmation croissante de ses capacités intellectuelles et de production d’un monde de plus en plus humanisé ? Pourtant si la technique semble par essence bénéfique à l’homme, caractéristique d’une existence proprement humaine, et que ses avancées ont permis de développer le potentiel humain et d’améliorer efficacement le cadre de cette existence, ses excès possibles sont objets de crainte et ce, dès l’Antiquité puisque le mythe de Prométhée punit la démesure, l’hybris paraissant consubstantiel à la nature humaine.

Cependant parler de « dérives », d’ « excès » sousentend un bon usage de la technique établi, à respecter, mais lequel ? S’agirait-il de se contenter d’adapter l’homme à la nature et de lui assurer sa survie ? Or l’homme est bien un être de désir et sa puissance s’exprime et s’étend à travers l’histoire de la technique, accompagnant celle-ci d’émerveillement mis aussi de frémissements face aux innovations comme le reflètent littérature et cinéma : Frankenstein, Faust, la science-fiction... La technique par elle-même nous semble nécessaire et propre à notre condition, elle ne saurait donc être condamnée : qui souhaiterait vraiment vivre, démuni, sans bénéficier d’aucun acquis de la civilisation ? Pourtant son développement, tant qualitatif que quantitatif, n’est pas sans poser problème.

C’est donc bien le progrès qu’il faudrait cibler, dans ses dérives et excès. On mettrait alors en garde contre certaines transformations préjudiciables pour la nature mais aussi pour l’homme luimême.

On dénoncerait notamment une transformation de la nature qui devenue une rivalité diabolique (notamment avec les avancées de la médecine : manipulations génétiques par exemple...), la maîtrise de la nature dérivant en destruction (déforestation, couche d’ozone...) et le paradoxe suivant : fruit de la raison et de la liberté humaine, la technique semble désormais menacer la liberté et la conscience morale.

De nombreuses autres critiques peuvent être formulées : l’utilitarisme qui retient pour seule valeur l’utilité / l’aliénation dans le domaine du travail (cf Marx) / la domination de la technique dans l’ensemble des domaines de l’existence et les modifications que celle-ci provoque, y compris sur l’homme, désormais simple utilisateur et consommateur / la rationalité froide de la technique n’envisageant pas de finalité mais ne mettant en œuvre que des moyens / la standardisation de la culture etc...

Ces critiques émanent de nostalgiques d’un rapport plus harmonieux, authentique avec la nature, mais aussi des déçus du progrès, mesurant les bénéfices très relatifs en termes de qualité de vie, égalité sociale, modes de production, bien en deçà des bénéfices escomptés depuis le XIXe s. De telles critiques mettent radicalement en cause la modernité, comme si la direction qui avait été prise par la technique avait mené l’humanité, bien malgré elle, sur le pire des chemins, la dépassant et prenant les commandes. Heidegger notamment est particulièrement violent dans la lecture qu’il fait de la modernité.

Dans Qu’est-ce que la technique ? (1958), il souligne le « caractère impérieux et conquérant » de la technique qui d’après lui, est par essence dangereuse.

Heidegger voit en la technique une « provocation » : imposant à la science de voir la nature comme un complexe calculable de forces, elle impose également sa loi à la nature et a donné toute sa tonalité à la modernité, imposant finalement sa.... »

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