A ReboursNoticeJoris-Karl HuysmansA en juger par les quelques portraits conservés au château de Lourps, la famille desFloressas des Esseintes avait été, au temps jadis, composée d'athlétiques soudards, derébarbatifs reîtres.
Publié le 22/05/2020
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A Rebours
Joris-Karl Huysmans
Notice
A en juger par les quelques portraits conservés au château de Lourps, la famille des
Floressas des Esseintes avait été, au temps jadis, composée d'athlétiques soudards, de
rébarbatifs reîtres.
Serrés, à l'étroit dans leurs vieux cadres qu'ils barraient de leurs
fortes épaules, ils alarmaient avec leurs yeux fixes, leurs moustaches en yatagans, leur
poitrine dont l'arc bombé remplissait l'énorme coquille des cuirasses.
Ceux-là étaient les ancêtres : les portraits de leurs descendants manquaient ; un trou
existait dans la filière des visages de cette race ; une seule toile servait d'intermédiaire,
mettait un point de suture entre le passé et le présent, une tête mystérieuse et rusée, aux
traits morts et tirés, aux pommettes ponctuées d'une virgule de fard, aux cheveux
gommés et enroulés de perles, au col tendu et peint, sortant des cannelures d'une rigide
fraise.
Déjà, dans cette image de l'un des plus intimes familiers du duc d'Épernon et du
marquis d'O, les vices d'un tempérament appauvri, la prédominance de la lymphe dans
le sang, apparaissaient.
La décadence de cette ancienne maison avait, sans nul doute, suivi régulièrement son
cours ; l'effémination des mâles était allée en s'accentuant ; comme pour achever
l’œuvre des âges, les des Esseintes marièrent, pendant deux siècles, leurs enfants entre
eux, usant leur reste de vigueur dans les unions consanguines.
De cette famille naguère si nombreuse qu'elle occupait presque tous les territoires de
l’Ile-de-France et de la Brie, un seul rejeton vivait, le duc Jean, un grêle jeune homme de
trente ans, anémique et nerveux, aux joues caves, aux yeux d'un bleu froid d'acier, au
nez éventé et pourtant droit, aux mains sèches et fluettes.
Par un singulier phénomène d'atavisme, le dernier descendant ressemblait à l'antique
aïeul, au mignon, dont il avait la barbe en pointe d'un blond extraordinairement pâle et
l'expression ambiguë, tout à la fois lasse et habile.
Son enfance avait été funèbre.
Menacée de scrofules, accablée par d’opiniâtres fièvres,
elle parvint cependant, à l'aide de grand air et de soins, à franchir les brisants de la
nubilité, et alors les nerfs prirent le dessus, matèrent les langueurs et les abandons de la
chlorose, menèrent jusqu'à leur entier développement les progressions de la croissance.
La mère, une longue femme, silencieuse et blanche, mourut d'épuisement ; à son tour le
père décéda d'une maladie vague ; des Esseintes atteignait alors sa dix-septième année.
Il n'avait gardé de ses parents qu'un souvenir apeuré, sans reconnaissance, sans
affection.
Son père, qui demeurait d'ordinaire à Paris, il le connaissait à peine ; sa mère,
il se la rappelait, immobile et couchée, dans une chambre obscure du château de
Lourps.
Rarement, le mari et la femme étaient réunis, et de ces jours-là, il se remémorait
des entrevues décolorées, le père et la mère assis, en face l'un de l'autre, devant un
guéridon qui était seul éclairé par une lampe au grand abat-jour très baissé, car la
duchesse ne pouvait supporter sans crises de nerfs la clarté et le bruit ; dans l'ombre, ils.
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