A quelles conditions un jugement peut-il à la fois répondre àune exigence universelle et exprimer une personnalité ?
Publié le 16/05/2020
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L'illusion la plus commune, en matière d'affirmation personnelle, est celle du spontanéisme.
S'exprimer sans normes nicontraintes, opiner sans exigence de vérité ou d'universalité, semblent fournir la formule du libre épanouissement desoi.
Faux-semblant cependant.
De fait, la spontanéité recouvre bien souvent l'expression directe, et aveugle à cequi la détermine, d'influences ou de déterminismes divers.
Le préjugé, par exemple, n'acquiert-il pas dans bien descas l'apparence d'un jugement spontané ? D'où la question d'un dépassement des limites en jeu.
A quelles conditionsun jugement peut-il à la fois répondre à une exigence universelle et exprimer une personnalité ?Les faux semblants du vécu, la particularité d'une éducation et d'une situation, la ténacité d'une illusion subjective(par exemple croire que ce que l'on désire est vrai) : autant de facteurs non négligeables.
D'où l'exigence d'unjugement affranchi de ce qui tend à le conditionner de l'intérieur.
Exigence universelle dans la mesure où il s'agit dese délivrer des conditions particulières et d'accéder, autant que possible, à ce qui vaut pour tout homme.
Un telprojet conduit à un travail de distanciation critique : il met en jeu le pouvoir de la raison.
Kant rappelait, enénonçant les trois maximes du sens commun, dans quel sens la raison naturelle de chaque homme doit être travailléepour donner naissance à une véritable instance de jugement autonome (cf.
Critique de la faculté de juger,paragraphe 40).
Penser pour soi-même ; penser en se mettant à la place de tout autre ; toujours penser en accordavec soi-même : de telles maximes détournent du préjugé (celui qui veut être réellement l'auteur et le sujet de sespensées ne peut ni ne doit se soumettre à son insu à des pensées toutes faites) ; elles conduisent à dépasserl'étroitesse d'esprit (cf.
l'expression « esprit borné »), et à cultiver la cohérence propre à une pensée conséquente.Du même coup, la superstition, qui atteste l'hétéronomie ( = soumission à un autre) se trouve éradiquée.
Ainsi, lapersonnalité tend à s'affirmer non plus comme l'expression non critique des impressions et impulsions immédiates,mais comme la capacité proprement personnelle de produire un jugement original au plein sens du terme.
L'exigencede cohérence et l'exigence d'universalité se conjuguent pour mettre à distance toute assujettissement à uneappréciation particulière, génératrice de contradictions dès lors qu'elle s'absolutise et tend à se heurter à desappréciations particulières opposées.
L'accord fondé sur la raison n'est pas négation de soi, mais dépassement de cequi tend à mettre les hommes en conflit.
C'est pourquoi le « consensus » qui se construit sur la base d'une idéologiedominante elle-même liée à des intérêts particuliers n'a rien à voir avec un tel accord.Ce qui exprime authentiquement une personnalité, c'est un jugement singulier, et non un jugement soumis à desdonnées particulières.
La distinction est d'importance, puisqu'elle invite chaque individu à conquérir son originalité ense délivrant des limites diverses dont souffre, plus ou moins, toute situation existentielle.
Chose difficile souvent,notamment lorsque sont enjeu des intérêts particuliers, qui tendent à fausser le libre exercice du jugement.
Prenonsl'exemple du colon qui, pour des raisons éthiques, s'insurge contre l'exploitation coloniale, dont il est pourtantbénéficiaire.
Il fait preuve d'une singulière liberté d'esprit en s'élevant au-dessus des préférences que tend àdéterminer sa position.Quant à la personnalité affective ou esthétique, elle se déploie et s'exprime d'autant mieux qu'elle ne se confond pasavec la soumission à des préjugés.
Que chacun cultive, en les distinguant, ses capacités esthétiques, affectives, etrationnelles, est donc en fin de compte le meilleur chemin pour son affirmation propre, sans contradiction de principeavec autrui - dès lors que la même exigence est reconnue par tous.
Idéal difficile, certes, mais dont la valeurrégulatrice permet de sortir de l'opposition crispée entre affirmation originale de soi et entente sociale.
Introduction
• Une condition désigne ce sans quoi un phénomène ne se produirait pas.
La question porte ici sur les données dontl'existence est indispensable pour qu'un jugement - c'est-à-dire un acte de la pensée établissant un rapport entredes idées - puisse à la fois se soumettre à des normes universelles, valables en tout temps et tout lieu et refléter lafonction par laquelle un individu prend conscience de soi comme d'un moi un et identique (la «personnalité»),• Le problème soulevé par la question est de savoir si une synthèse est possible, au niveau du jugement, entre,d'une part des éléments distinguant un individu particulier et, d'autre part, une forme universelle.
Comment réaliserla synthèse du particulier et de l'universel ? Tel est le problème soulevé par la question.
Si cette synthèse n'est paspossible, on ne voit pas comment une communication réelle pourrait s'établir dans la communauté humaine.
A) L'éducation et l'instruction, à travers le langage et le discours, sont les conditions de la synthèserequise.
Juger, c'est affirmer ou nier la réalité d'un rapport entre deux objets de pensée.
Juger, c'est donc dire ce qui est,et, sans cesse, référer des éléments particuliers et contingents à des normes ou valeurs absolues et universelles.Donnons un exemple : si je dis : «la peine de mort est un mal réel dans une société», je relie des éléments.
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