1861 SUJETS-TEXTES DE L’ÉPREUVE DE PHILOSOPHIE AU BACCALAURÉAT
Publié le 08/12/2021
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861 SUJETS-TEXTES
DE L’ÉPREUVE DE PHILOSOPHIE
AU BACCALAURÉAT
Les 861 sujets-textes .................................................................................................... Page 1
Index des notions du programme (séries générales et technologiques) .............. Page 862
Index des auteurs du programme .......................................................................... Page 865
Remarque – Les sujets ci-après ne comportent pas les consignes officielles du baccalauréat.
Pour rappel, ces consignes sont actuellement :
- Pour les séries générales
Expliquer le texte suivant :
[Texte, auteur, titre et date ou époque de composition ou de publication de
l’œuvre]
La connaissance de la doctrine de l'auteur n'est pas requise. Il faut et il suffit que
l'explication rende compte, par la compréhension précise du texte, du problème
dont il est question.
- Pour les séries technologiques
Pour expliquer ce texte, vous répondrez aux questions suivantes, qui sont
destinées principalement à guider votre rédaction. Elles ne sont pas
indépendantes les unes des autres et demandent que le texte soit d’abord étudié
dans son ensemble.
[Texte, auteur et questions]
[1] SUJET N° 1 - 11PHESIN1 - 2011 - Série ES - INDE - SESSION NORMALE
Quelle est la fonction primitive du langage ? C’est d’établir une communication en vue d’une
coopération. Le langage transmet des ordres ou des avertissements. Il prescrit ou il décrit. Dans le
premier cas, c’est l’appel à l’action immédiate ; dans le second, c’est le signalement de la chose
ou de quelqu’une de ses propriétés, en vue de l’action future. Mais, dans un cas comme dans
l’autre, la fonction est industrielle, commerciale, militaire, toujours sociale. Les choses que le
langage décrit ont été découpées dans le réel par la perception humaine en vue du travail humain.
Les propriétés qu’il signale sont les appels de la chose à une activité humaine. Le mot sera donc
le même, comme nous le disions, quand la démarche suggérée sera la même, et notre esprit
attribuera à des choses diverses la même propriété, se les représentera de la même manière, les
groupera enfin sous la même idée, partout où la suggestion du même parti à tirer, de la même
action à faire, suscitera le même mot. Telles sont les origines du mot et de l’idée. L’un et l’autre
ont sans doute évolué. Ils ne sont plus aussi grossièrement utilitaires. Ils restent utilitaires
cependant.
BERGSON, La Pensée et le mouvant
-1-
[2] SUJET N° 2 - 11PHSCIN1 - 2011 - Série S - INDE - SESSION NORMALE
L’homme est capable de délibération, et, en vertu de cette faculté, il a, entre divers actes
possibles, un choix beaucoup plus étendu que l’animal. Il y a déjà là pour lui une liberté relative,
car il devient indépendant de la contrainte immédiate des objets présents, à l’action desquels la
volonté de l’animal est absolument soumise. L’homme, au contraire, se détermine
indépendamment des objets présents, d’après des idées, qui sont ses motifs à lui. Cette liberté
relative n’est en réalité pas autre chose que le libre arbitre tel que l’entendent des personnes
instruites, mais peu habituées à aller au fond des choses : elles reconnaissent avec raison dans
cette faculté un privilège exclusif de l’homme sur les animaux. Mais cette liberté n’est pourtant
que relative, parce qu’elle nous soustrait à la contrainte des objets présents, et comparative, en ce
qu’elle nous rend supérieurs aux animaux. Elle ne fait que modifier la manière dont s’exerce la
motivation, mais la nécessité de l’action des motifs n’est nullement suspendue, ni même
diminuée.
SCHOPENHAUER, Essai sur le libre arbitre
-2-
[3] SUJET N° 3 - 11PHTEIN1 - 2011 - Série TECHN. - INDE - SESSION NORMALE
La sauvagerie, force et puissance de l’homme dominé par les passions, (...) peut être adoucie par
l’art, dans la mesure où celui-ci représente à l’homme les passions elles-mêmes, les instincts et,
en général, l’homme tel qu’il est. Et en se bornant à dérouler le tableau des passions, l’art, alors
même qu’il les flatte, le fait pour montrer à l’homme ce qu’il est, pour l’en rendre conscient.
C’est déjà en cela que consiste son action adoucissante, car il met ainsi l’homme en présence de
ses instincts, comme s’ils étaient en dehors de lui, et lui confère de ce fait une certaine liberté à
leur égard. Sous ce rapport, on peut dire de l’art qu’il est un libérateur. Les passions perdent leur
force, du fait même qu’elles sont devenues objets de représentations, objets tout court.
L’objectivation des sentiments a justement pour effet de leur enlever leur intensité et de nous les
rendre extérieurs, plus ou moins étrangers. Par son passage dans la représentation, le sentiment
sort de l’état de concentration dans lequel il se trouvait en nous et s’offre à notre libre jugement.
Il en est des passions comme de la douleur : le premier moyen que la nature met à notre
disposition pour obtenir un soulagement d’une douleur qui nous accable, sont les larmes ; pleurer,
c’est déjà être consolé. Le soulagement s’accentue ensuite au cours de conversations avec des
amis, et le besoin d’être soulagé et consolé peut nous pousser jusqu’à composer des poésies.
C’est ainsi que dès qu’un homme qui se trouve plongé dans la douleur et absorbé par elle est à
même d’extérioriser cette douleur, il s’en sent soulagé, et ce qui le soulage encore davantage,
c’est son expression en paroles, en chants, en sons et en figures. Ce dernier moyen est encore plus
efficace.
HEGEL
QUESTIONS :
1° Dégagez la thèse de ce texte et montrez comment elle est établie.
2° En vous appuyant sur des exemples que vous analyserez, expliquez :
a) « l’art, alors même qu’il les flatte, le fait pour montrer à l’homme ce qu’il est » ;
b) « L’objectivation des sentiments a justement pour effet de leur enlever leur intensité et de nous
les rendre extérieurs » ;
c) « ce qui le soulage encore davantage, c’est son expression en paroles, en chants, en sons et en
figures ».
3° L’art nous libère-t-il de la violence des sentiments ?
-3-
[4] SUJET N° 4 - 11PHSCAN1 - 2011 - Série S - AMERIQUE DU NORD - SESSION
NORMALE
Nous sommes cultivés au plus haut degré par l’art et par la science. Nous sommes civilisés,
jusqu’à en être accablés, par la politesse et les bienséances sociales de toute sorte. Mais nous
sommes encore loin de pouvoir nous tenir pour déjà moralisés. Si en effet l’idée de la moralité
appartient bien à la culture, la mise en pratique de cette idée qui n’aboutit qu’à une apparence de
moralité dans l’amour de l’honneur et la bienséance extérieure, constitue simplement la
civilisation. Or tant que les Etats jettent toutes leurs forces dans leurs projets d’extension vains et
violents, tant qu’ils entravent ainsi sans cesse le lent effort de formation intérieure du mode de
penser de leurs citoyens, et qu’ils leur retirent ainsi toute aide en vue de cette fin, une fin
semblable ne peut être atteinte, car sa réalisation exige que, par un long travail intérieur, chaque
communauté forme ses citoyens. Or, tout bien qui n’est pas greffé sur une intention moralement
bonne n’est qu’apparence criante et brillante misère. C’est dans cet état que l’espèce humaine
restera jusqu’à ce qu’elle s’arrache par son travail (…) à l’état chaotique de ses relations
internationales.
KANT, Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique
-4-
[5] SUJET N° 5 - 11PHSCLI1 - 2011 - Série S - LIBAN - SESSION NORMALE
[L’art] nous procure (...) l’expérience de la vie réelle, nous transporte dans des situations que
notre expérience personnelle ne nous fait pas et ne nous fera peut-être jamais connaître : les
expériences des personnes qu’il représente, et, grâce à la part que nous prenons à ce qui arrive à
ces personnes, nous devenons capables de ressentir plus profondément ce qui se passe en nousmême. D’une façon générale, le but de l’art consiste à rendre accessible à l’intuition ce qui existe
dans l’esprit humain, la vérité que l’homme abrite dans son esprit, ce qui remue la poitrine
humaine et agite l’esprit humain. C’est ce que l’art a pour tâche de représenter, et il le fait au
moyen de l’apparence qui, comme telle, nous est indifférente, dès l’instant où elle sert à éveiller
en nous le sentiment et la conscience de quelque chose de plus élevé. C’est ainsi que l’art
renseigne l’homme sur l’humain, éveille des sentiments endormis, nous met en présence des vrais
intérêts de l’esprit. Nous voyons ainsi que l’art agit en remuant, dans leur profondeur, leur
richesse et leur variété, tous les sentiments qui s’agitent dans l’âme humaine, et en intégrant dans
le champ de notre expérience ce qui se passe dans les régions intimes de cette âme. « Rien de ce
qui est humain ne m’est étranger » : telle est la devise qu’on peut appliquer à l’art.
HEGEL, Esthétique
-5-
[6] SUJET N° 6 - 11PHMDME1 - 2011 - Série TMD - METROPOLE - SESSION NORMALE
Les artistes ont quelque intérêt à ce que l’on croie à leurs intuitions subites, à leurs prétendues
inspirations ; comme si l’idée de l’œuvre d’art, du poème, la pensée fondamentale d’une
philosophie tombaient du ciel tel un rayon de la grâce (1). En vérité, l’imagination du bon artiste,
ou penseur, ne cesse pas de produire, du bon, du médiocre et du mauvais, mais son jugement,
extrêmement aiguisé et exercé, rejette, choisit, combine ; on voit ainsi aujourd’hui, par les
Carnets de Beethoven (2), qu’il a composé ses plus magnifiques mélodies petit à petit, les tirant
pour ainsi dire d’esquisses multiples. Quant à celui qui est moins sévère dans son choix et s’en
remet volontiers à sa mémoire reproductrice, il pourra le cas échéant devenir un grand
improvisateur ; mais c’est un bas niveau que celui de l’improvisation artistique au regard de
l’idée choisie avec peine et sérieux pour une œuvre. Tous les grands hommes étaient de grands
travailleurs, infatigables quand il s’agissait d’inventer, mais aussi de rejeter, de trier, de remanier,
d’arranger.
NIETZSCHE
(1) « un rayon de la grâce » : une intervention divine.
(2) Beethoven : compositeur allemand (1770-1827).
QUESTIONS :
1° Formulez la thèse de ce texte et montrez comment elle est établie.
2° Expliquez :
a) « l’imagination du bon artiste (...) ne cesse pas de produire, du bon, du médiocre et du
mauvais, mais son jugement, extrêmement aiguisé et exercé, rejette, choisit, combine » ;
b) « c’est un bas niveau que celui de l’improvisation artistique au regard de l’idée choisie avec
peine et sérieux pour une œuvre ».
3° La création artistique repose-t-elle sur le jugement plutôt que sur l’inspiration ?
-6-
[7] SUJET N° 7 - 11PHLIME1 - 2011 - Série L - METROPOLE - SESSION NORMALE
Nous disons bonnes les vertus d’un homme, non pas à cause des résultats qu’elles peuvent avoir
pour lui, mais à cause des résultats qu’elles peuvent avoir pour nous et pour la société : dans
l’éloge de la vertu on n’a jamais été bien « désintéressé », on n’a jamais été bien « altruiste » ! On
aurait remarqué, sans cela, que les vertus (comme l’application, l’obéissance, la chasteté, la piété,
la justice) sont généralement nuisibles à celui qui les possède, parce que ce sont des instincts qui
règnent en lui trop violemment, trop avidement, et ne veulent à aucun prix se laisser
contrebalancer raisonnablement par les autres. Quand on possède une vertu, une vraie vertu, une
vertu complète (non une petite tendance à l’avoir), on est victime de cette vertu ! Et c’est
précisément pourquoi le voisin en fait la louange ! On loue l’homme zélé bien que son zèle gâte
sa vue, qu’il use la spontanéité et la fraîcheur de son esprit : on vante, on plaint le jeune homme
qui s’est « tué à la tâche » parce qu’on pense : « Pour l’ensemble social, perdre la meilleure unité
n’est encore qu’un petit sacrifice ! Il est fâcheux que ce sacrifice soit nécessaire ! Mais il serait
bien plus fâcheux que l’individu pensât différemment, qu’il attachât plus d’importance à se
conserver et à se développer qu’à travailler au service de tous ! » On ne plaint donc pas ce jeune
homme à cause de lui-même, mais parce que sa mort a fait perdre à la société un instrument
soumis, sans égards pour lui-même, bref un « brave homme », comme on dit.
NIETZSCHE, Le gai Savoir
-7-
[8] SUJET N° 8 - 11PHSCME1 - 2011 - Série S - METROPOLE - SESSION NORMALE
Chaque degré de bonne fortune qui nous élève dans le monde nous éloigne davantage de la vérité,
parce qu’on appréhende plus de blesser ceux dont l’affection est plus utile et l’aversion plus
dangereuse. Un prince sera la fable de toute l’Europe, et lui seul n’en saura rien. Je ne m’en
étonne pas : dire la vérité est utile à celui à qui on la dit, mais désavantageux à ceux qui la disent,
parce qu’ils se font haïr. Or, ceux qui vivent avec les princes aiment mieux leurs intérêts que
celui du prince qu’ils servent ; et ainsi, ils n’ont garde de lui procurer un avantage en se nuisant à
eux-mêmes.
Ce malheur est sans doute plus grand et plus ordinaire dans les plus grandes fortunes ; mais les
moindres n’en sont pas exemptes, parce qu’il y a toujours quelque intérêt à se faire aimer des
hommes. Ainsi la vie humaine n’est qu’une illusion perpétuelle ; on ne fait que s’entre-tromper et
s’entre-flatter. Personne ne parle de nous en notre présence comme il en parle en notre absence.
L’union qui est entre les hommes n’est fondée que sur cette mutuelle tromperie ; et peu d’amitiés
subsisteraient, si chacun savait ce que son ami dit de lui lorsqu’il n’y est pas, quoiqu’il en parle
alors sincèrement et sans passion.
L’homme n’est donc que déguisement, que mensonge et hypocrisie, et en soi-même et à l’égard
des autres. Il ne veut donc pas qu’on lui dise la vérité. Il évite de la dire aux autres ; et toutes ces
dispositions, si éloignées de la justice et de la raison, ont une racine naturelle dans son cœur.
PASCAL, Pensées
-8-
[9] SUJET N° 9 - 11PHESME1 - 2011 - Série ES - METROPOLE - SESSION NORMALE
Si c’est l’intérêt et un vil calcul qui me rendent généreux, si je ne suis jamais serviable que pour
obtenir en échange un service, je ne ferai pas de bien à celui qui part pour des pays situés sous
d’autres cieux, éloignés du mien, qui s’absente pour toujours ; je ne donnerai pas à celui dont la
santé est compromise au point qu’il ne lui reste aucun espoir de guérison ; je ne donnerai pas, si
moi-même je sens décliner mes forces, car je n’ai plus le temps de rentrer dans mes avances. Et
pourtant (ceci pour te prouver que la bienfaisance est une pratique désirable en soi) l’étranger qui
tout à l’heure s’en est venu atterrir dans notre port et qui doit tout de suite repartir reçoit notre
assistance ; à l’inconnu qui a fait naufrage nous donnons, pour qu’il soit rapatrié, un navire tout
équipé. Il part, connaissant à peine l’auteur de son salut ; comme il ne doit jamais plus revenir à
portée de nos regards il transfère sa dette aux dieux mêmes et il leur demande dans sa prière de
reconnaître à sa place notre bienfait ; en attendant nous trouvons du charme au sentiment d’avoir
fait un peu de bien dont nous ne recueillerons pas le fruit. Et lorsque nous sommes arrivés au
terme de la vie, que nous réglons nos dispositions testamentaires, n’est-il pas vrai que nous
répartissons des bienfaits dont il ne nous reviendra aucun profit ? Combien d’heures l’on y
passe ! Que de temps on discute, seul avec soi-même, pour savoir combien donner et à qui !
Qu’importe, en vérité, de savoir à qui l’on veut donner puisqu’il ne nous en reviendra rien en
aucun cas ? Pourtant, jamais nous ne donnons plus méticuleusement ; jamais nos choix ne sont
soumis à un contrôle plus rigoureux qu’à l’heure où, l’intérêt n’existant plus, seule l’idée du bien
se dresse devant notre regard.
SENEQUE, Les Bienfaits
-9-
[10] SUJET N° 10 - 11PHTEME1 - 2011 - Série TECHN. - METROPOLE - SESSION
NORMALE
Notre conscience nous avertit (...) que nous sommes des êtres libres. Avant d’accomplir une
action, quelle qu’elle soit, nous nous disons que nous pourrions nous en abstenir. Nous concevons
(...) divers motifs et par conséquent diverses actions possibles, et après avoir agi, nous nous
disons encore que, si nous avions voulu, nous aurions pu autrement faire. - Sinon, comment
s’expliquerait le regret d’une action accomplie ? Regrette-t-on ce qui ne pouvait pas être
autrement qu’il n’a été ? Ne nous disons-nous pas quelquefois : « Si j’avais su, j’aurais autrement
agi ; j’ai eu tort. » On ne s’attaque ainsi rétrospectivement qu’à des actes contingents ou qui
paraissent l’être. Le remords ne s’expliquerait pas plus que le regret si nous n’étions pas libres ;
car comment éprouver de la douleur pour une action accomplie et qui ne pouvait pas ne pas
s’accomplir ? - Donc, un fait est indiscutable, c’est que notre conscience témoigne de notre
liberté.
BERGSON
QUESTIONS :
1° Dégagez la thèse de ce texte et montrez comment elle est établie.
2°
a) Analysez ce que nous disons avant d’accomplir une action et après avoir agi. En quoi ce
témoignage de notre conscience montre-t-il que « nous sommes des êtres libres » ?
b) en prenant appui sur un exemple, expliquez : « On ne s’attaque ainsi rétrospectivement qu’à
des actes contingents ou qui paraissent l’être » ;
c) expliquez : « Le remords ne s’expliquerait pas plus que le regret si nous n’étions pas libres ».
3° Notre conscience témoigne-t-elle de notre liberté ?
- 10 -
[11] SUJET N° 11 - 11PHTEME3 - 2011 - Série TECHN. - METROPOLE - SESSION REMPL.
L’égalité est le fondement d’une bonne république. Une république est heureuse lorsque les
citoyens obéissent aux magistrats (1), et que les magistrats respectent les lois. Or elle ne peut
s’assurer de cette obéissance et de ce respect, qu’autant que par sa constitution elle confond (2)
l’intérêt particulier avec le bien général ; et elle ne confond l’un avec l’autre, qu’à proportion
qu’elle maintient une plus grande égalité entre ses membres.
Je ne veux pas parler d’une égalité de fortune, car le cours des choses la détruirait d’une
génération à l’autre. Je n’entends pas non plus que tous les citoyens aient la même part aux
honneurs ; puisque cela serait contradictoire à l’ordre de la société, qui demande que les uns
gouvernent et que les autres soient gouvernés. Mais j’entends que tous les citoyens, également
protégés par les lois, soient également assurés de ce qu’ils ont chacun en propre, et qu’ils aient
également la liberté d’en jouir et d’en disposer. De là il résulte qu’aucun ne pourra nuire, et qu’on
ne pourra nuire à aucun.
CONDILLAC
(1) « magistrats » (ici) : gouvernants.
(2) « confondre » (ici) : réunir pour ne former qu’un seul tout.
QUESTIONS :
1° Dégagez la thèse de ce texte et montrez comment elle est établie.
2°
a) Pourquoi faut-il que « les citoyens obéissent aux magistrats, et que les magistrats respectent les
lois » pour qu’une république soit « heureuse » ?
b) Pourquoi « l’intérêt particulier » et « le bien général » doivent-ils former un seul tout ?
c) Condillac distingue entre trois sortes d’égalité. Lesquelles ? Pourquoi seule la dernière est-elle
indispensable à une « bonne république » ?
3° L’égalité est-elle le fondement d’une bonne république ?
- 11 -
[12] SUJET N° 12 - 11PHLIAG3 - 2011 - Série L - ANTILLES - SESSION REMPL.
Est-il plus avantageux d’être gouverné par l’homme le meilleur ou par les lois les meilleures ?
Ceux qui sont d’avis qu’il est avantageux d’être gouverné par un roi pensent que les lois ne
peuvent énoncer que le général sans pouvoir rien prescrire concernant les situations particulières.
Ainsi, dans n’importe quel art, il est stupide de se diriger seulement d’après des règles écrites ; et,
en Egypte, il est permis au bout de quatre jours aux médecins de s’écarter des traitements
prescrits par les manuels, mais s’ils le font avant, c’est à leurs risques et périls. Il est donc
manifeste que la constitution qui se conforme à des lois écrites n’est pas, pour la même raison, la
meilleure.
Pourtant, il faut que cette règle universelle existe pour les gouvernants, et celui à qui n’est, d’une
manière générale, attachée aucune passion, est meilleur que celui qui en possède naturellement.
Or, la loi n’en a pas, alors qu’il est nécessaire que toute âme humaine en renferme. Mais sans
doute semblerait-il, pour répliquer à cela, qu’une personne délibèrera mieux à propos des cas
particuliers.
Qu’il soit donc nécessaire que cet homme soit législateur et qu’il y ait des lois, c’est évident, mais
elles ne doivent pas être souveraines là où elles dévient de ce qui est bon, alors qu’elles doivent
être souveraines dans les autres domaines.
ARISTOTE, Les Politiques
- 12 -
[13] SUJET N° 13 - 11PHESAG3 - 2011 - Série ES - ANTILLES - SESSION REMPL.
La découverte de la vérité est tout à la fois difficile en un sens ; et, en un autre sens, elle est
facile. Ce qui prouve cette double assertion, c’est que personne ne peut atteindre complètement le
vrai et que personne non plus n’y échoue complètement, mais que chacun apporte quelque chose
à l’explication de la nature. Individuellement, ou l’on n’y contribue en rien, ou l’on n’y contribue
que pour peu de chose ; mais de tous les efforts réunis, il ne laisse pas que de sortir un résultat
considérable. Si donc il nous est permis de dire ici, comme dans le proverbe : « Quel archer serait
assez maladroit pour ne pas mettre sa flèche dans une porte ? » à ce point de vue, la recherche de
la vérité n’offre point de difficulté sérieuse ; mais, d’autre part, ce qui atteste combien cette
recherche est difficile, c’est l’impossibilité absolue où nous sommes, tout en connaissant un peu
l’ensemble des choses, d’en connaître également bien le détail. Peut-être aussi, la difficulté se
présentant sous deux faces, il se peut fort bien que la cause de notre embarras ne soit pas dans les
choses elles-mêmes, mais qu’elle soit en nous. De même que les oiseaux de nuit n’ont pas les
yeux faits pour supporter l’éclat du jour, de même l’intelligence de notre âme éprouve un pareil
éblouissement devant les phénomènes qui sont par leur nature les plus splendides entre tous.
ARISTOTE, Métaphysique
- 13 -
[14] SUJET N° 14 - 11PHSCAG3 - 2011 - Série S - ANTILLES - SESSION REMPL.
Quand nous supposerions l’homme maître absolu de son esprit et de ses idées, il serait encore
nécessairement sujet à l’erreur par sa nature. Car l’esprit de l’homme est limité, et tout esprit
limité est par sa nature sujet à l’erreur. La raison en est que les moindres choses ont entre elles
une infinité de rapports, et qu’il faut un esprit infini pour les comprendre. Ainsi, un esprit limité
ne pouvant embrasser ni comprendre tous ces rapports, quelque effort qu’il fasse, il est porté à
croire que ceux qu’il n’aperçoit pas n’existent point, principalement lorsqu’il ne fait pas attention
à la faiblesse et à la limitation de son esprit, ce qui lui est fort ordinaire. Ainsi, la limitation de
l’esprit toute seule emporte avec soi la capacité de tomber dans l’erreur.
Toutefois si les hommes, dans l’état même où ils sont de faiblesse et de corruption, faisaient
toujours bon usage de leur liberté, ils ne se tromperaient jamais. Et c’est pour cela que tout
homme qui tombe dans l’erreur est blâmé avec justice et mérite même d’être puni : car il suffit,
pour ne point se tromper, de ne juger que de ce qu’on voit, et de ne faire jamais des jugements
entiers que des choses que l’on est assuré d’avoir examinées dans toutes leurs parties : ce que les
hommes peuvent faire. Mais ils aiment mieux s’assujettir à l’erreur que de s’assujettir à la règle
de la vérité : ils veulent décider sans peine et sans examen. Ainsi, il ne faut pas s’étonner s’ils
tombent dans un nombre infini d’erreurs et s’ils font souvent des jugements assez incertains.
MALEBRANCHE, Recherche de la vérité
- 14 -
[15] SUJET N° 15 - 11PHSCME3 - 2011 - Série S - METROPOLE - SESSION REMPL.
La plus ancienne de toutes les sociétés et la seule naturelle est celle de la famille. Encore les
enfants ne restent-ils liés au père qu’aussi longtemps qu’ils ont besoin de lui pour se conserver.
Sitôt que ce besoin cesse, le lien naturel se dissout. Les enfants, exempts de l’obéissance qu’ils
devaient au père, le père, exempt des soins qu’il devait aux enfants, rentrent tous également dans
l’indépendance. S’ils continuent de rester unis, ce n’est plus naturellement, c’est volontairement,
et la famille elle-même ne se maintient que par convention.
Cette liberté commune est une conséquence de la nature de l’homme. Sa première loi est de
veiller à sa propre conservation, ses premiers soins sont ceux qu’il se doit à lui-même, et, sitôt
qu’il est en âge de raison, lui seul étant juge des moyens propres à se conserver devient par là son
propre maître.
La famille est donc, si l’on veut, le premier modèle des sociétés politiques ; le chef est l’image du
père, le peuple est l’image des enfants, et tous étant nés égaux et libres n’aliènent leur liberté que
pour leur utilité. Toute la différence est que, dans la famille, l’amour du père pour ses enfants le
paye des soins qu’il leur rend, et que, dans l’Etat, le plaisir de commander supplée à cet amour
que le chef n’a pas pour ses peuples.
ROUSSEAU, Contrat social
- 15 -
[16] SUJET N° 16 - 11PHESAG1 - 2011 - Série ES - ANTILLES - SESSION NORMALE
Les hommes sont naturellement égoïstes ou doués seulement d’une générosité limitée ; aussi ne
sont-ils pas aisément amenés à accomplir une action dans l’intérêt d’étrangers, sauf s’ils
envisagent en retour un avantage qu’ils n’auraient aucun espoir d’obtenir autrement que par cette
action. Or, comme il arrive fréquemment que ces actions réciproques ne peuvent se terminer au
même instant, il est nécessaire que l’une des parties se contente de demeurer dans l’incertitude et
qu’elle dépende de la gratitude de l’autre pour recevoir de la bienveillance en retour. Mais il y a
tant de corruption parmi les hommes que, généralement parlant, il n’y a là qu’une faible garantie ;
comme le bienfaiteur, suppose-t-on ici, accorde ses faveurs dans une vue intéressée, cette
circonstance supprime l’obligation et établit un exemple d’égoïsme, et c’est la cause véritable de
l’ingratitude. Si donc nous devions suivre le cours naturel de nos passions et inclinations, nous
n’accomplirions que peu d’actions à l’avantage des autres sous l’influence de vues désintéressées
parce que notre bienveillance et notre affection sont, par nature, très limitées ; nous n’en
accomplirions que peu de ce genre sans égard à notre intérêt, parce que nous ne pouvons pas
dépendre de leur gratitude. Voici donc que se perd en quelque manière le commerce de bons
offices entre les hommes et que chacun se trouve réduit à sa propre habileté et à son propre
travail pour son bien-être et sa subsistance.
HUME, Traité de la nature humaine
- 16 -
[17] SUJET N° 17 - 11PHLIAG1 - 2011 - Série L - ANTILLES - SESSION NORMALE
Les notions de succession et de durée ont pour origine une réflexion sur l’enchaînement des idées
que l’on voit apparaître l’une après l’autre dans l’esprit ; cela me paraît évident : on n’a en effet
aucune perception de la durée, sauf si l’on considère l’enchaînement des idées qui se succèdent
dans l’entendement. Quand cette succession d’idées cesse, la perception de la durée cesse avec
elle ; chacun l’expérimente en lui quand il dort profondément, que ce soit une heure ou un jour,
un mois ou une année ; il n’a aucune perception de cette durée des choses tant qu’il dort ou ne
pense pas : elle est totalement perdue pour lui. Entre le moment où il arrête de penser et celui où
il recommence, il lui semble ne pas y avoir de distance. Il en serait de même pour une personne
éveillée, je n’en doute pas, s’il lui était possible de garder une seule idée à l’esprit, sans
changement ni variation ; quelqu’un qui fixe attentivement ses pensées sur une chose et remarque
très peu la succession des idées qui passent en son esprit, laissera passer sans la remarquer une
bonne partie de la durée : tant qu’il sera pris par cette contemplation stricte, il croira que le temps
est plus court. (…) Il est donc pour moi très clair que les hommes dérivent leurs idées de la durée
de leur réflexion sur l’enchaînement des idées dont ils observent la succession dans leur
entendement ; sans cette observation, ils ne peuvent avoir aucune notion de durée, quoi qu’il
arrive dans le monde.
LOCKE, Essai sur l’entendement humain
- 17 -
[18] SUJET N° 18 - 11PHSCAG1 - 2011 - Série S - ANTILLES - SESSION NORMALE
Rien ne nous éloigne plus du droit chemin pour la recherche de la vérité, que d’orienter nos
études (...) vers des buts particuliers (...) : ainsi, quand nous voulons cultiver les sciences utiles,
soit pour les avantages qu’on en retire dans la vie, soit pour le plaisir qu’on trouve dans la
contemplation du vrai, et qui en cette vie est presque le seul bonheur qui soit pur et que ne trouble
aucune douleur. Ce sont là, en effet, des fruits légitimes que nous pouvons attendre de la pratique
des sciences ; mais si nous y pensons au milieu de nos études, ils nous font souvent omettre bien
des choses nécessaires pour l’acquisition d’autres connaissances, soit parce qu’au premier abord
ces choses paraissent de peu d’utilité, soit parce qu’elles semblent de peu d’intérêt. Il faut donc
bien se convaincre que toutes les sciences sont tellement liées ensemble, qu’il est plus facile de
les apprendre toutes à la fois, que d’en isoler une des autres. Si quelqu’un veut chercher
sérieusement la vérité, il ne doit donc pas choisir l’étude de quelque science particulière : car
elles sont toutes unies entre elles et dépendent les unes des autres ; mais il ne doit songer qu’à
accroître la lumière naturelle de sa raison, non pour résoudre telle ou telle difficulté d’école, mais
pour qu’en chaque circonstance de la vie son entendement montre à sa volonté le parti à prendre ;
et bientôt il s’étonnera d’avoir fait de plus grands progrès que ceux qui s’appliquent à des études
particulières, et d’être parvenu, non seulement à tout ce que les autres désirent, mais encore à de
plus beaux résultats qu’ils ne peuvent espérer.
DESCARTES, Règles pour la direction de l’esprit
- 18 -
[19] SUJET N° 19 - 11PHESME3 - 2011 - Série ES - ANTILLES - SESSION REMPL.
Le moyen de travail est une chose ou un ensemble de choses que l’homme interpose entre lui et
l’objet de son travail comme conducteurs de son action. Il se sert des propriétés mécaniques,
physiques, chimiques de certaines choses pour les faire agir comme forces sur d’autres choses,
conformément à son but. Si nous laissons de côté la prise de possession de subsistances toutes
trouvées - la cueillette des fruits par exemple, où ce sont les organes de l’homme qui lui servent
d’instrument, - nous voyons que le travailleur s’empare immédiatement, non pas de l’objet, mais
du moyen de son travail. Il convertit ainsi des choses extérieures en organes de sa propre activité,
organes qu’il ajoute aux siens de manière à allonger, en dépit de la Bible, sa stature naturelle.
Comme la terre est son magasin de vivres primitif, elle est aussi l’arsenal primitif de ses moyens
de travail. Elle lui fournit, par exemple, la pierre dont il se sert pour frotter, trancher, presser,
lancer, etc. La terre elle-même devient moyen de travail, mais ne commence pas à fonctionner
comme tel dans l’agriculture, sans que toute une série d’autres moyens de travail soit
préalablement donnée. Dès qu’il est tant soit peu développé, le travail ne saurait se passer de
moyens déjà travaillés. Dans les plus anciennes cavernes on trouve des instruments et des armes
de pierre. A côté des coquillages, des pierres, des bois et des os façonnés, on voit figurer au
premier rang parmi les moyens de travail primitifs l’animal dompté et apprivoisé, c’est-à-dire
déjà modifié par le travail. L’emploi et la création de moyens de travail, quoiqu’ils se trouvent en
germe chez quelques espèces animales, caractérisent éminemment le travail humain.
MARX, Le Capital
- 19 -
[20] SUJET N° 20 - 11PHLIME3 - 2011 - Série L - METROPOLE - SESSION REMPL.
Ce n’est ni par nature, ni contrairement à la nature que naissent en nous les vertus, mais la nature
nous a donné la capacité de les recevoir, et cette capacité est amenée à maturité par l’habitude. En
outre, pour tout ce qui survient en nous par nature, nous le recevons d’abord à l’état de puissance,
et c’est plus tard que nous le faisons passer à l’acte, comme cela est manifeste dans le cas des
facultés sensibles (car ce n’est pas à la suite d’une multitude d’actes de vision ou d’une multitude
d’actes d’audition que nous avons acquis les sens correspondants, mais c’est l’inverse : nous
avions déjà les sens quand nous en avons fait usage, et ce n’est pas après en avoir fait usage que
nous les avons eus). Pour les vertus, au contraire, leur possession suppose un exercice antérieur,
comme c’est aussi le cas pour les autres arts. En effet, les choses qu’il faut avoir apprises pour les
faire, c’est en les faisant que nous les apprenons : par exemple, c’est en construisant qu’on
devient constructeur, et en jouant de la cithare qu’on devient cithariste ; ainsi encore, c’est en
pratiquant les actions justes que nous devenons justes, les actions modérées que nous devenons
modérés, et les actions courageuses que nous devenons courageux. Cette vérité est encore attestée
par ce qui se passe dans les cités, où les législateurs rendent bons les citoyens en leur faisant
contracter certaines habitudes : c’est même là le souhait de tout législateur, et s’il s’en acquitte
mal, son œuvre est manquée, et c’est en quoi une bonne constitution se distingue d’une mauvaise.
ARISTOTE, Ethique à icomaque
- 20 -
[21] SUJET N° 21 - 11PHSCIS1 - 2011 - Série S - ISRAEL - SESSION NORMALE
Quoi que nous fassions nous sommes censés le faire pour « gagner notre vie » ; tel est le verdict
de la société, et le nombre des gens, des professionnels en particulier, qui pourraient protester a
diminué très rapidement. La seule exception que consente la société concerne l’artiste qui, à
strictement parler, est le dernier « ouvrier » dans une société du travail. La même tendance à
rabaisser toutes les activités sérieuses au statut du gagne-pain se manifeste dans les plus récentes
théories du travail, qui, presque unanimement, définissent le travail comme le contraire du jeu.
En conséquence, toutes les activités sérieuses, quels qu’en soient les résultats, reçoivent le nom
de travail et toute activité qui n’est nécessaire ni à la vie de l’individu ni au processus vital de la
société est rangée parmi les amusements. Dans ces théories qui, en répercutant au niveau
théorique l’opinion courante d’une société de travail, la durcissent et la conduisent à ses
extrêmes, il ne reste même plus l’« œuvre » de l’artiste : elle se dissout dans le jeu, elle perd son
sens pour le monde. On a le sentiment que l’amusement de l’artiste remplit la même fonction
dans le processus vital de travail de la société que le tennis ou les passe-temps dans la vie de
l’individu.
ARENDT, Condition de l’homme moderne
- 21 -
[22] SUJET N° 22 - 11PHSCG11 - 2011 - Série S - ETRANGER GROUPE 1 - SESSION
NORMALE
Si (...) je dis que cette chaise est une bonne chaise, cela veut dire qu’elle satisfait un certain but
prédéterminé et, en ce cas, le mot « bon » n’a de signification que pour autant que ce but a été
préalablement fixé. En fait, le mot bon pris au sens relatif veut simplement dire conforme à un
certain standard prédéterminé. Ainsi, quand nous disons d’un homme qu’il est un bon pianiste,
nous voulons dire qu’il peut jouer avec un certain degré de dextérité des partitions d’un certain
degré de difficulté. De même, si je dis qu’il m’importe de ne pas attraper froid, je veux dire qu’un
refroidissement provoque, dans ma vie, un certain nombre de désagréments qui sont descriptibles,
et si je dis d’une route qu’elle est la route correcte, je veux dire qu’elle est correcte par rapport à
un certain but. Ces expressions, si elles sont employées de cette façon, ne nous confrontent à
aucune difficulté ni à aucun problème profond. Mais ce n’est pas ainsi que l’Ethique les emploie.
Supposez que je sache jouer au tennis et que l’un d’entre vous qui me voit jouer dise : « Vous
jouez vraiment mal », et supposez que je lui réponde : « Je sais que je joue mal, mais je ne veux
pas mieux jouer », tout ce qu’il pourrait dire est : « En ce cas tout est pour le mieux ». Mais
supposez que j’aie raconté à l’un d’entre vous un incroyable mensonge et qu’il vienne vers moi
en me disant : « Tu te conduis comme un goujat », et que je lui réponde : « Je sais que je me
conduis mal, mais je ne veux pas mieux me conduire », pourrait-il dire alors : « Dans ce cas tout
est pour le mieux » ? Certainement pas. Il dirait : « Eh bien, tu dois vouloir mieux te conduire ».
Vous avez ici un jugement de valeur absolu, alors que le premier exemple était seulement un
jugement relatif.
WITTGENSTEIN, Conférence sur l’Ethique
- 22 -
[23] SUJET N° 23 - 11PHSCNC1 - 2011 - Série S - NOUVELLE-CALEDONIE - SESSION
NORMALE
Le caractère de l’homme est invariable : il reste le même pendant toute la durée de sa vie. Sous
l’enveloppe changeante des années, des circonstances où il se trouve, même de ses connaissances
et de ses opinions, demeure, comme l’écrevisse sous son écaille, l’homme identique et individuel,
absolument immuable et toujours le même. Ce n’est que dans sa direction générale et dans sa
matière que son caractère éprouve des modifications apparentes, qui résultent des différences
d’âges, et des besoins divers qu’ils suscitent. L’homme même ne change jamais : comme il a agi
dans un cas, il agira encore, si les mêmes circonstances se présentent (en supposant toutefois qu’il
en possède une connaissance exacte). L’expérience de tous les jours peut nous fournir la
confirmation de cette vérité : mais elle semble la plus frappante, quand on retrouve une personne
de connaissance après vingt ou trente années, et qu’on découvre bientôt qu’elle n’a rien changé à
ses procédés d’autrefois. – Sans doute plus d’un niera en paroles cette vérité : et cependant dans
sa conduite il la présuppose sans cesse, par exemple quand il refuse à tout jamais sa confiance à
celui qu’il a trouvé une seule fois malhonnête, et, inversement, lorsqu’il se confie volontiers à
l’homme qui s’est un jour montré loyal. Car c’est sur elle que repose la possibilité de toute
connaissance des hommes, ainsi que la ferme confiance que l’on a en ceux qui ont donné des
marques incontestables de leur mérite.
SCHOPENHAUER, Essai sur le libre arbitre
- 23 -
[24] SUJET N° 24 - 11 PHLINC1 - 2011 - Série L - NOUVELLE-CALEDONIE - SESSION
NORMALE
Etant donné en effet qu’il n’existe pas au monde de République où l’on ait établi suffisamment de
règles pour présider à toutes les actions et paroles des hommes (car cela serait impossible), il
s’ensuit nécessairement que dans tous les domaines d’activité que les lois ont passés sous silence,
les gens ont la liberté de faire ce que leur propre raison leur indique comme leur étant le plus
profitable. Car si nous prenons le mot de liberté dans son sens propre de liberté corporelle, c’està-dire de n’être ni enchaîné ni emprisonné, il serait tout à fait absurde, de la part des hommes, de
crier comme ils le font pour obtenir cette liberté dont ils jouissent si manifestement. D’autre part,
si nous entendons par liberté le fait d’être soustrait aux lois, il n’est pas moins absurde, de la part
des hommes, de réclamer comme ils le font cette liberté qui permettrait à tous les autres hommes
de se rendre maîtres de leurs vies. Et cependant, aussi absurde que ce soit, c’est bien ce qu’ils
réclament ; ne sachant pas que les lois sont sans pouvoir pour les protéger s’il n’est pas un glaive
entre les mains d’un homme (ou de plusieurs), pour faire exécuter ces lois. La liberté des sujets
ne réside par conséquent que dans les choses qu’en réglementant leurs actions le souverain a
passées sous silence, par exemple la liberté d’acheter, de vendre, et de conclure d’autres contrats
les uns avec les autres ; de choisir leur résidence, leur genre de nourriture, leur métier, d’éduquer
leurs enfants comme ils le jugent convenable, et ainsi de suite.
HOBBES, Léviathan
- 24 -
[25] SUJET N° 25 - 11PHESNC1 - 2011 - Série ES - NOUVELLE-CALEDONIE - SESSION
NORMALE
Plus on remonte dans le cours de l’histoire, plus l’individu, et par suite l’individu producteur lui
aussi, apparaît dans un état de dépendance, membre d’un ensemble plus grand : cet état se
manifeste d’abord de façon tout à fait naturelle dans la famille, et dans la famille élargie jusqu’à
former la tribu ; puis dans les différentes formes de la communauté issue de l’opposition et de la
fusion des tribus. Ce n’est qu’au XVIIIe siècle, dans la « société civile-bourgeoise », que les
différentes formes de l’interdépendance sociale se présentent à l’individu comme un simple
moyen de réaliser ses buts particuliers, comme une nécessité extérieure. Mais l’époque qui
engendre ce point de vue, celui de l’individu singulier singularisé, est précisément celle où les
rapports sociaux (et de ce point de vue universels) ont atteint le plus grand développement qu’ils
aient connu. L’homme est, au sens le plus littéral, un zôon politikon (1), non seulement un animal
sociable, mais un animal qui ne peut se constituer comme individu singulier que dans la société.
La production réalisée en dehors de la société par cet individu singulier et singularisé — fait
exceptionnel qui peut bien arriver à un civilisé transporté par hasard dans un lieu désert et qui
possède déjà en puissance les forces propres à la société — est chose aussi absurde que le serait
le développement du langage sans la présence d’individus vivant et parlant ensemble.
MARX, Introduction à la Critique de l’économie politique
(1) zôon politikon : « animal politique » en grec ancien.
- 25 -
[26] SUJET N° 26 - 11PTSTMDLR1 - 2011 - Série TECHN. - LA REUNION - SESSION
NORMALE
L’état de société s’est imposé comme une solution naturelle, en vue de dissiper la crainte et
d’éliminer les circonstances malheureuses auxquelles tous étaient exposés. Son but principal ne
diffère donc pas de celui que tout homme raisonnable devrait s’efforcer d’atteindre - quoique
sans aucune chance de succès (...) - dans un état strictement naturel. D’où l’évidence de cette
proposition : alors même qu’un homme raisonnable se verrait un jour, pour obéir à son pays,
contraint d’accomplir une action certainement contraire aux exigences de la raison, cet
inconvénient particulier serait compensé, et au-delà, par tout le bien dont le fait bénéficier en
général l’état de société. L’une des lois de la raison prescrit que de deux maux nous choisissons
le moindre ; il est donc permis de soutenir que jamais personne n’accomplit une action contraire à
ce que lui dicte sa raison, en se conformant aux lois de son pays.
SPINOZA
QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée principale du texte, puis ses différentes étapes.
2° Expliquez :
a) « Son but principal ne diffère donc pas de celui que tout homme raisonnable devrait s’efforcer
d’atteindre » ;
b) « cet inconvénient particulier serait compensé, et au-delà, par tout le bien dont le fait
bénéficier en général l’état de société » ;
c) « L’une des lois de la raison prescrit que de deux maux nous choisissons le moindre ».
3° Est-il toujours raisonnable d’obéir aux lois ?
- 26 -
[27] SUJET N° 27 - 11PTSTMDNC1 - 2011 - Série TECHN. - NOUVELLE-CALEDONIE SESSION NORMALE
Rien ne sert de s’être débarrassé des causes de tristesse personnelle : quelquefois en effet, c’est le
dégoût du genre humain qui nous envahit à l’idée de tous ces crimes qui réussissent à leurs
auteurs. Quand on songe à quel point la droiture est rare et l’intégrité bien cachée ; quand on se
dit que la loyauté ne se rencontre guère que lorsqu’elle est intéressée, que la débauche recueille
des profits aussi détestables que ses pertes, que l’ambition politique, incapable de rester dans ses
limites, va jusqu’à trouver son éclat dans la honte, alors l’âme s’enfonce dans la nuit ; et devant
les ruines des vertus qu’il est aussi impossible d’espérer trouver qu’inutile de posséder, on se sent
envahi par les ténèbres.
Aussi devons-nous prendre l’habitude de ne pas nous indigner de tous les vices de la foule, mais
d’en rire, et d’imiter Démocrite plutôt qu’Héraclite : celui-ci ne pouvait sortir en ville sans
pleurer, celui-là sans rire ; l’un ne voyait dans nos actes que misère, l’autre que sottise. Il faut
donc ramener les choses à leurs justes proportions et les supporter avec bonne humeur : il est
d’ailleurs plus conforme à la nature humaine de rire de la vie que d’en pleurer.
SENEQUE
QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée principale du texte, puis les étapes de son argumentation.
2° Expliquez :
a) « c’est le dégoût du genre humain qui nous envahit à l’idée de tous ces crimes qui réussissent à
leurs auteurs » ;
b) « Aussi devons-nous prendre l’habitude de ne pas nous indigner de tous les vices de la foule,
mais d’en rire » ;
c) « Il faut donc ramener les choses à leurs justes proportions et les supporter avec bonne
humeur ».
3° Peut-on être heureux dans un monde injuste ?
- 27 -
[28] SUJET N° 28 - 11PHLIJA1 - 2011 - Série L - JAPON - SESSION NORMALE
L’histoire est une connaissance, sans être une science, car nulle part elle ne connaît le particulier
par le moyen de l’universel, mais elle doit saisir immédiatement le fait individuel, et, pour ainsi
dire, elle est condamnée à ramper sur le terrain de l’expérience. Les sciences réelles au contraire
planent plus haut, grâce aux vastes notions qu’elles ont acquises, et qui leur permettent de
dominer le particulier, d’apercevoir, du moins dans de certaines limites, la possibilité des choses
comprises dans leur domaine, de se rassurer enfin aussi contre les surprises de l’avenir. Les
sciences, systèmes de concepts, ne parlent jamais que des genres ; l’histoire ne traite que des
individus. Elle serait donc une science des individus, ce qui implique contradiction. Il s’ensuit
encore que les sciences parlent toutes de ce qui est toujours, tandis que l’histoire rapporte ce qui a
été une seule fois et n’existe plus jamais ensuite. De plus, si l’histoire s’occupe exclusivement du
particulier et de l’individuel, qui, de sa nature, est inépuisable, elle ne parviendra qu’à une demiconnaissance toujours imparfaite.
SCHOPENHAUER, Le Monde comme volonté et comme représentation
- 28 -
[29] SUJET N° 29 - 11 PHSCJA - 2011 - Série S - JAPON - SESSION NORMALE
Le bonheur est un état permanent qui ne semble pas fait ici-bas pour l’homme. Tout est sur la
terre dans un flux continuel qui ne permet à rien d’y prendre une forme constante. Tout change
autour de nous. Nous changeons nous-même et nul ne peut s’assurer qu’il aimera demain ce qu’il
aime aujourd’hui. Ainsi tous nos projets de félicité pour cette vie sont des chimères. Profitons du
contentement d’esprit quand il vient ; gardons-nous de l’éloigner par notre faute, mais ne faisons
pas des projets pour l’enchaîner, car ces projets-là sont de pures folies. J’ai peu vu d’hommes
heureux, peut-être point ; mais j’ai souvent vu des cœurs contents, et de tous les objets qui m’ont
frappé c’est celui qui m’a le plus contenté moi-même. Je crois que c’est une suite naturelle du
pouvoir des sensations sur mes sentiments internes. Le bonheur n’a point d’enseigne extérieure
(1) ; pour le connaître il faudrait lire dans le cœur de l’homme heureux ; mais le contentement se
lit dans les yeux, dans le maintien, dans l’accent, dans la démarche et semble se communiquer à
celui qui l’aperçoit.
ROUSSEAU, Rêveries du promeneur solitaire
(1) « enseigne extérieure » : marque apparente.
- 29 -
[30] SUJET N° 30 - 11PHSCPO - 2011 - Série S - POLYNESIE - SESSION NORMALE
L’âme commande au corps, et elle est immédiatement obéie. L’âme se commande à elle-même,
et elle rencontre une résistance. L’âme commande à la main de remuer, et la chose se fait si
facilement que c’est à peine si l’on peut distinguer l’ordre de son exécution. Et pourtant l’âme est
âme, la main est corps. L’âme commande de vouloir à l’âme, c’est-à-dire à soi-même, et elle
n’agit pas. D’où vient ce prodige ? Quelle en est la cause ? Elle lui commande, dis-je, de vouloir ;
elle ne commanderait pas si elle ne voulait pas, et ce qu’elle commande ne s’exécute point.
C’est qu’elle ne veut pas totalement ; aussi ne commande-t-elle pas totalement. Elle ne
commande que dans la mesure où elle veut, et la défaillance de l’exécution est en relation directe
avec la défaillance de sa volonté, puisque la volonté appelle à l’être une volonté qui n’est pas
autre chose qu’elle-même. Donc elle ne commande pas pleinement : voilà pourquoi son ordre ne
s’exécute pas. Si elle se mettait tout entière dans son commandement, elle n’aurait pas besoin de
se commander d’être, elle serait déjà. Cette volonté partagée qui veut à moitié, et à moitié ne veut
pas, n’est donc nullement un prodige : c’est une maladie de l’âme. La vérité la soulève sans
réussir à la redresser complètement, parce que l’habitude pèse sur elle de tout son poids. Il y a
donc deux volontés, dont aucune n’est complète, et ce qui manque à l’une, l’autre le possède.
AUGUSTIN, Les Confessions
- 30 -
[31] SUJET N° 31 - 11PHLILI1 - 2011 - Série L - LIBAN - SESSION NORMALE
Tous les ouvrages de l’art ont des règles générales, qui sont des guides qu’il ne faut jamais perdre
de vue. Mais comme les lois sont toujours justes dans leur être général, mais presque toujours
injustes dans l’application, de même les règles, toujours vraies dans la théorie, peuvent devenir
fausses dans l’hypothèse (1). Les peintres et les sculpteurs ont établi les proportions qu’il faut
donner au corps humain, et ont pris pour mesure commune la longueur de la face ; mais il faut
qu’ils violent à chaque instant les proportions à cause des différentes attitudes dans lesquelles il
faut qu’ils mettent les corps ; par exemple, un bras tendu est bien plus long que celui qui ne l’est
pas. Personne n’a jamais plus connu l’art que Michel-Ange ; personne ne s’en est joué davantage.
Il y a peu de ses ouvrages d’architecture où les proportions soient exactement gardées ; mais,
avec une connaissance exacte de tout ce qui peut faire plaisir, il semblait qu’il eût un art à part
pour chaque ouvrage.
Quoique chaque effet dépende d’une cause générale, il s’y mêle tant de causes particulières que
chaque effet a, en quelque façon, une cause à part : ainsi l’art donne les règles, et le goût les
exceptions ; le goût nous découvre en quelles occasions l’art doit soumettre (2), et en quelles
occasions il doit être soumis.
MONTESQUIEU, Essai sur le goût
(1) « Hypothèse » : ce mot désigne ici une idée destinée à s’adapter à un cas particulier.
(2) « soumettre » (ici) : prévaloir.
- 31 -
[32] SUJET N° 32 - 11PHLIAN1 - 2011 - Série L - ANTILLES - SESSION NORMALE
Tandis que la spécialisation est essentiellement guidée par le produit fini, dont la nature est
d’exiger des compétences diverses qu’il faut rassembler et organiser, la division du travail, au
contraire, présuppose l’équivalence qualitative de toutes les activités pour lesquelles on ne
demande aucune compétence spéciale, et ces activités n’ont en soi aucune finalité : elles ne
représentent que des sommes de force de travail que l’on additionne de manière purement
quantitative. La division du travail se fonde sur le fait que deux hommes peuvent mettre en
commun leur force de travail et « se conduire l’un envers l’autre comme s’ils étaient un ». Cette
« unité » est exactement le contraire de la coopération, elle renvoie à l’unité de l’espèce par
rapport à laquelle tous les membres un à un sont identiques et interchangeables. (…)
Comme aucune des activités en lesquelles le processus est divisé n’a de fin en soi, leur fin
« naturelle » est exactement la même que dans le cas du travail « non divisé » : soit la simple
reproduction des moyens de subsistance, c’est-à-dire la capacité de consommation des
travailleurs, soit l’épuisement de la force de travail. Toutefois, ni l’une ni l’autre de ces limites ne
sont définitives ; l’épuisement fait partie du processus vital de l’individu, non de la collectivité, et
le sujet du processus de travail, lorsqu’il y a division du travail, est une force collective et non pas
individuelle. L’« inépuisabilité » de cette force de travail correspond exactement à l’immortalité
de l’espèce, dont le processus vital pris dans l’ensemble n’est pas davantage interrompu par les
naissances et les morts individuelles de ses membres.
ARENDT, Condition de l’homme moderne
- 32 -
[33] SUJET N° 33 - 11PHLILR1 - 2011 - Série L - LA REUNION - SESSION NORMALE
Il est assez curieux qu’en parlant du devoir on pense à quelque chose d’extérieur bien que le mot
lui-même indique qu’il s’applique à quelque chose d’intérieur ; car ce qui m’incombe, non pas
comme à un individu accidentel, mais d’après ma vraie nature, est bien dans le rapport le plus
intime avec moi-même. Le devoir n’est pas une consigne, mais quelque chose qui incombe. Si un
individu regarde ainsi le devoir, cela prouve qu’il s’est orienté en lui-même. Alors le devoir ne se
démembrera pas pour lui en une quantité de dispositions particulières, ce qui indique toujours
qu’il ne se trouve qu’en un rapport extérieur avec lui. Il s’est revêtu du devoir, qui est pour lui
l’expression de sa nature la plus intime. Ainsi orienté en lui-même, il a approfondi l’éthique et il
ne sera pas essoufflé en faisant son possible pour remplir ses devoirs. L’individu vraiment
éthique éprouve par conséquent de la tranquillité et de l’assurance, parce qu’il n’a pas le devoir
hors de lui, mais en lui. Plus un homme a fondé profondément sa vie sur l’éthique, moins il
sentira le besoin de parler constamment du devoir, de s’inquiéter pour savoir s’il le remplit, de
consulter à chaque instant les autres pour le connaître enfin. Si l’éthique est correctement
comprise, elle rend l’individu infiniment sûr de lui-même ; dans le cas contraire elle le rend tout à
fait indécis, et je ne peux pas m’imaginer une existence plus malheureuse ou plus pénible que
celle d’un homme à qui le devoir est devenu extérieur et qui, cependant, désire toujours le
réaliser.
KIERKEGAARD, Ou bien… ou bien…
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[34] SUJET N° 34 - 11PHTECG11 - 2011 - Série TECHN. - ETRANGER GROUPE 1 SESSION NORMALE
C’est seulement à partir du moment où la condition de la nature humaine est devenue hautement
artificielle qu’on a conçu l’idée - ou, selon moi, qu’il a été possible de concevoir l’idée - que la
bonté est naturelle : car ce n’est qu’après une longue pratique d’une éducation artificielle que les
bons sentiments sont devenus si habituels, et ont si bien pris le dessus sur les mauvais, qu’ils se
manifestent spontanément quand les circonstances le demandent. A l’époque où l’humanité a été
plus proche de son état naturel, les observateurs plus civilisés d’alors voyaient l’homme
« naturel » comme une sorte d’animal sauvage, se distinguant des autres animaux principalement
par sa plus grande astuce : ils considéraient toute qualité estimable du caractère comme le résultat
d’une sorte de dressage, expression par laquelle les anciens philosophes désignaient souvent la
discipline qui convient aux êtres humains. La vérité est qu’on peine à trouver un seul trait
d’excellence dans le caractère de l’homme qui ne soit en nette contradiction avec les sentiments
spontanés de la nature humaine.
MILL, La ature
QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée principale du texte et les étapes de l’argumentation.
2° Expliquez :
a) « les bons sentiments sont devenus si habituels » ;
b) « la vérité est qu’on a peine à trouver un seul trait d’excellence dans le caractère de l’homme
qui ne soit en nette contradiction avec les sentiments spontanés de la nature humaine ».
3° La culture nous rend-elle meilleurs ?
- 34 -
[35] SUJET N° 35 - 11PHESAN1 - 2011 - Série ES - ANTILLES - SESSION NORMALE
Ce qui fait la distinction essentielle de l’histoire et de la science, ce n’est pas que l’une embrasse
la succession des événements dans le temps, tandis que l’autre s’occuperait de la systématisation
des phénomènes, sans tenir compte du temps dans lequel ils s’accomplissent. La description d’un
phénomène dont toutes les phases se succèdent et s’enchaînent nécessairement selon des lois que
font connaître le raisonnement ou l’expérience, est du domaine de la science et non de l’histoire.
La science décrit la succession des éclipses, la propagation d’une onde sonore, le cours d’une
maladie qui passe par des phases régulières, et le nom d’histoire ne peut s’appliquer
qu’abusivement à de semblables descriptions ; tandis que l’histoire intervient nécessairement (...)
là où nous voyons, non seulement que la théorie, dans son état d’imperfection actuelle, ne suffit
pas pour expliquer les phénomènes, mais que même la théorie la plus parfaite exigerait encore le
concours d’une donnée historique. S’il n’y a pas d’histoire proprement dite là où tous les
événements dérivent nécessairement et régulièrement les uns des autres, en vertu des lois
constantes par lesquelles le système est régi, et sans concours accidentel d’influences étrangères
au système que la théorie embrasse, il n’y a pas non plus d’histoire, dans le vrai sens du mot,
pour une suite d’événements qui seraient sans aucune liaison entre eux.
COURNOT, Essai sur les fondements de la connaissance
et sur les caractères de la critique philosophique
- 35 -
[36] SUJET N° 36 - 11PHESLI1 - 2011 - Série ES - LIBAN - SESSION NORMALE
La société (…) est la source et le lieu de tous les biens intellectuels qui constituent la civilisation.
C’est de la société que nous vient tout l’essentiel de notre vie mentale. Notre raison individuelle
est et vaut ce que vaut cette raison collective et impersonnelle qu’est la science, qui est une chose
sociale au premier chef et par la manière dont elle se fait et par la manière dont elle se conserve.
Nos facultés esthétiques, la finesse de notre goût dépendent de ce qu’est l’art, chose sociale au
même titre. C’est à la société que nous devons notre empire sur les choses qui fait partie de notre
grandeur. C’est elle qui nous affranchit de la nature. N’est-il pas naturel dès lors que nous nous la
représentions comme un être psychique supérieur à celui que nous sommes et d’où ce dernier
émane ? Par suite, on s’explique que, quand elle réclame de nous ces sacrifices petits ou grands
qui forment la trame de la vie morale, nous nous inclinions devant elle avec déférence.
Le croyant s’incline devant Dieu, parce que c’est de Dieu qu’il croit tenir l’être, et
particulièrement son être mental, son âme. Nous avons les mêmes raisons d’éprouver ce
sentiment pour la collectivité.
Durkheim, Sociologie et Philosophie
- 36 -
[37] SUJET N° 37 - 11PHLIAS1 - 2011 - Série L - AMERIQUE DU SUD - SESSION
NORMALE
Substituer au gouvernement par la raison le gouvernement par l’amour, c’est ouvrir la voie au
gouvernement par la haine, comme Socrate semble l’avoir entrevu quand il dit que la méfiance en
la raison ressemble à la méfiance envers l’homme. L’amour n’est ni une garantie d’impartialité,
ni un moyen d’éviter les conflits, car on peut différer sur la meilleure manière d’aimer, et plus
l’amour est fort, plus fort sera le conflit. Cela ne veut pas dire que l’amour et la haine doivent être
placés sur le même plan, mais seulement que nul sentiment, fût-ce l’amour, ne peut remplacer le
recours à des institutions fondées sur la raison.
Le règne de l’amour présente d’autres dangers. Aimer son prochain, c’est vouloir le rendre
heureux (…). Mais vouloir le bonheur du peuple est, peut-être, le plus redoutable des idéaux
politiques, car il aboutit fatalement à vouloir imposer aux autres une échelle de valeurs
supérieures jugées nécessaires à ce bonheur. On verse ainsi dans l’utopie et le romantisme ; et, à
vouloir créer le paradis terrestre, on se condamne inévitablement à l’enfer. De là l’intolérance, les
guerres de religion, l’inquisition, avec, à la base, une conception foncièrement erronée de nos
devoirs. Que nous ayons le devoir d’aider ceux qui en ont besoin, nul ne le conteste ; mais
vouloir le bonheur des autres, c’est trop souvent forcer leur intimité et attenter à leur
indépendance.
POPPER, La Société ouverte et ses ennemis
- 37 -
[38] SUJET N° 38 - 11PHLIIN1 - 2011 - Série L - INDE - SESSION NORMALE
Il n’y a pas de si grand philosophe dans le monde qui ne croie un million de choses sur la foi
d’autrui, et qui ne suppose beaucoup plus de vérités qu’il n’en établit.
Ceci est non seulement nécessaire, mais désirable. Un homme qui entreprendrait d’examiner tout
par lui-même ne pourrait accorder que peu de temps et d’attention à chaque chose ; ce travail
tiendrait son esprit dans une agitation perpétuelle qui l’empêcherait de pénétrer profondément
dans aucune vérité et de se fixer avec solidité dans aucune certitude. Son intelligence serait tout à
la fois indépendante et débile. Il faut donc que, parmi les divers objets des opinions humaines, il
fasse un choix et qu’il adopte beaucoup de croyances sans les discuter, afin d’en mieux
approfondir un petit nombre dont il s’est réservé l’examen.
Il est vrai que tout homme qui reçoit une opinion sur la parole d’autrui met son esprit en
esclavage ; mais c’est une servitude salutaire qui permet de faire un bon usage de la liberté.
Il faut donc toujours, quoi qu’il arrive, que l’autorité se rencontre quelque part dans le monde
intellectuel et moral. Sa place est variable, mais elle a nécessairement une place. L’indépendance
individuelle peut être plus ou moins grande ; elle ne saurait être sans bornes. Ainsi, la question
n’est pas de savoir s’il existe une autorité intellectuelle dans les siècles démocratiques, mais
seulement où en est le dépôt et quelle en sera la mesure.
TOCQUEVILLE, De la Démocratie en Amérique
- 38 -
[39] SUJET N° 39 - 11PHESIS1 - 2011 - Série ES - ISRAEL - SESSION NORMALE
Cette notion de « propriété » par quoi on explique si souvent l’amour ne saurait être première.
Pourquoi voudrais-je m’approprier autrui si ce n’était justement en tant qu’Autrui me fait être ?
Mais cela implique justement un certain mode d’appropriation : c’est de la liberté de l’autre en
tant que telle que nous voulons nous emparer. Et non par volonté de puissance : le tyran se moque
de l’amour ; il se contente de la peur. S’il recherche l’amour de ses sujets, c’est par politique et
s’il trouve un moyen plus économique de les asservir, il l’adopte aussitôt. Au contraire, celui qui
veut être aimé ne désire pas l’asservissement de l’être aimé. Il ne tient pas à devenir l’objet d’une
passion débordante et mécanique. Il ne veut pas posséder un automatisme, et si on veut
l’humilier, il suffit de lui représenter la passion de l’aimé comme le résultat d’un déterminisme
psychologique : l’amant se sentira dévalorisé dans son amour et dans son être. Si Tristan et Iseut
sont affolés par un philtre, ils intéressent moins ; et il arrive qu’un asservissement total de l’être
aimé tue l’amour de l’amant. Le but est dépassé : l’amant se retrouve seul si l’aimé s’est
transformé en automate. Ainsi l’amant ne désire-t-il pas posséder l’aimé comme on possède une
chose ; il réclame un type spécial d’appropriation. Il veut posséder une liberté comme liberté.
SARTRE, L’Etre et le néant
- 39 -
[40] SUJET N° 40 - 11PHESG11 - 2011 - Série ES - ETRANGER GROUPE 1 - SESSION
NORMALE
Instinct et intelligence ont pour objet essentiel d’utiliser des instruments : ici des outils inventés,
par conséquent variables et imprévus ; là des organes fournis par la nature, et par conséquent
immuables. L’instrument est d’ailleurs destiné à un travail, et ce travail est d’autant plus efficace
qu’il est plus spécialisé, plus divisé par conséquent entre travailleurs diversement qualifiés qui se
complètent réciproquement. La vie sociale est ainsi immanente, comme un vague idéal, à
l’instinct comme à l’intelligence ; cet idéal trouve sa réalisation la plus complète dans la ruche ou
la fourmilière d’une part, dans les sociétés humaines de l’autre. Humaine ou animale, une société
est une organisation ; elle implique une coordination et généralement aussi une subordination
d’éléments les uns aux autres ; elle offre donc, ou simplement vécu ou, de plus, représenté, un
ensemble de règles ou de lois. Mais, dans une ruche ou dans une fourmilière, l’individu est rivé à
son emploi par sa structure, et l’organisation est relativement invariable, tandis que la cité
humaine est de forme variable, ouverte à tous les progrès. Il en résulte que, dans les premières,
chaque règle est imposée par la nature, elle est nécessaire ; tandis que dans les autres une seule
chose est naturelle, la nécessité d’une règle.
BERGSON, Les deux Sources de la morale et de la religion
- 40 -
[41] SUJET N° 41 - 11PHESJA1 - 2011 - Série ES - JAPON - SESSION NORMALE
Les hommes, pour la plupart, sont naturellement portés à être affirmatifs et dogmatiques dans
leurs opinions ; comme ils voient les objets d’un seul côté et qu’ils n’ont aucune idée des
arguments qui servent de contrepoids, ils se jettent précipitamment dans les principes vers
lesquels ils penchent, et ils n’ont aucune indulgence pour ceux qui entretiennent des sentiments
opposés. Hésiter, balancer, embarrasse leur entendement, bloque leur passion et suspend leur
action. Ils sont donc impatients de s’évader d’un état qui leur est aussi désagréable, et ils pensent
que jamais ils ne peuvent s’en écarter assez loin par la violence de leurs affirmations et
l’obstination de leur croyance. Mais si de tels raisonneurs dogmatiques pouvaient prendre
conscience des étranges infirmités de l’esprit humain, même dans son état de plus grande
perfection, même lorsqu’il est le plus précis et le plus prudent dans ses décisions, une telle
réflexion leur inspirerait naturellement plus de modestie et de réserve et diminuerait l’opinion
avantageuse qu’ils ont d’eux-mêmes et leur préjugé contre leurs adversaires. Les ignorants
peuvent réfléchir à la disposition des savants, qui jouissent de tous les avantages de l’étude et de
la réflexion et sont encore défiants dans leurs affirmations ; et si quelques savants inclinaient, par
leur caractère naturel, à la suffisance et à l’obstination, une légère teinte de pyrrhonisme (1)
pourrait abattre leur orgueil en leur montrant que les quelques avantages qu’ils ont pu obtenir sur
leurs compagnons sont de peu d’importance si on les compare à la perplexité et à la confusion
universelles qui sont inhérentes à la nature humaine. En général, il y a un degré de doute, de
prudence et de modestie qui, dans les enquêtes et les décisions de tout genre, doit toujours
accompagner l’homme qui raisonne correctement.
HUME, Enquête sur l’entendement humain
(1) « pyrrhonisme » : scepticisme.
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[42] SUJET N° 42 - 11PHLIGI11 - 2011 - Série L - ISRAEL - SESSION NORMALE
Les philosophes qui ont spéculé sur la signification de la vie et sur la destinée de l’homme n’ont
pas assez remarqué que la nature a pris la peine de nous renseigner là-dessus elle-même. Elle
nous avertit par un signe précis que notre destination est atteinte. Ce signe est la joie. Je dis la
joie, je ne dis pas le plaisir. Le plaisir n’est qu’un artifice imaginé par la nature pour obtenir de
l’être vivant la conservation de la vie ; il n’indique pas la direction où la vie est lancée. Mais la
joie annonce toujours que la vie a réussi, qu’elle a gagné du terrain, qu’elle a remporté une
victoire : toute grande joie a un accent triomphal. (…) Partout où il y a joie, il y a création : plus
riche est la création, plus profonde est la joie. La mère qui regarde son enfant est joyeuse, parce
qu’elle a conscience de l’avoir créé, physiquement et moralement. Le commerçant qui développe
ses affaires, le chef d’usine qui voit prospérer son industrie, est-il joyeux en raison de l’argent
qu’il gagne et de la notoriété qu’il acquiert ? Richesse et considération entrent évidemment pour
beaucoup dans la satisfaction qu’il ressent, mais elles lui apportent des plaisirs plutôt que de la
joie, et ce qu’il goûte de joie vraie est le sentiment d’avoir monté une entreprise qui marche,
d’avoir appelé quelque chose à la vie.
BERGSON, L’Energie spirituelle
- 42 -
[43] SUJET N° 43 - 11PHLIG11 - 2011 - Série L - ETRANGER GROUPE 1 - SESSION
NORMALE
Le despotisme de la coutume est partout l’obstacle qui défie le progrès humain, parce qu’il livre
une dispute incessante à cette disposition de viser mieux que l’ordinaire, et qu’on appelle, suivant
les circonstances, esprit de liberté, esprit de progrès et d’amélioration. L’esprit de progrès n’est
pas toujours un esprit de liberté, car il peut chercher à imposer le progrès à un peuple réticent ; et
l’esprit de liberté, quand il résiste à de tels efforts, peut s’allier localement et temporairement aux
adversaires du progrès ; mais la seule source d’amélioration intarissable et permanente du progrès
est la liberté, puisque grâce à elle, il peut y avoir autant de foyers de progrès que d’individus.
Quoi qu’il en soit, le principe progressif, sous ses deux formes d’amour de la liberté et d’amour
de l’amélioration, s’oppose à l’empire de la Coutume, car il implique au moins
l’affranchissement de ce joug ; et la lutte entre ces deux forces constitue le principal intérêt de
l’histoire de l’humanité.
MILL, De la liberté
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[44] SUJET N° 44 - 11PHESPO1 - 2011 - Série ES - POLYNESIE - SESSION NORMALE
Nous ne savons ce que c’est que bonheur ou malheur absolu. Tout est mêlé dans cette vie ; on n’y
goûte aucun sentiment pur, on n’y reste pas deux moments dans le même état. Les affections de
nos âmes, ainsi que les modifications de nos corps sont dans un flux continuel. Le bien et le mal
nous sont communs à tous, mais en différentes mesures. Le plus heureux est celui qui souffre le
moins de peines ; le plus misérable est celui qui sent le moins de plaisirs. Toujours plus de
souffrances que de jouissances ; voilà la différence commune à tous. La félicité de l’homme
d’ici-bas n’est donc qu’un état négatif ; on doit la mesurer par la moindre quantité de maux qu’il
souffre.
Tout sentiment de peine est inséparable du désir de s’en délivrer ; toute idée de plaisir est
inséparable du désir d’en jouir ; tout désir suppose privation, et toutes les privations qu’on sent
sont pénibles ; c’est donc dans la disproportion de nos désirs et de nos facultés que consiste notre
misère. Un être sensible dont les facultés égaleraient les désirs serait un être absolument heureux.
En quoi consiste donc la sagesse humaine ou la route du vrai bonheur ? Ce n’est précisément pas
à diminuer nos désirs ; car, s’ils étaient au-dessous de notre puissance, une partie de nos facultés
resterait oisive, et nous ne jouirions pas de tout notre être. Ce n’est pas non plus à étendre nos
facultés, car si nos désirs s’étendaient à la fois en plus grand rapport, nous n’en deviendrions que
plus misérables ; mais c’est à diminuer l’excès des désirs sur les facultés, et à mettre en égalité
parfaite la puissance et la volonté. C’est alors seulement que, toutes les facultés étant en action,
l’âme cependant restera paisible, et que l’homme se trouvera bien ordonné.
ROUSSEAU, Emile ou de l’éducation
- 44 -
[45] SUJET N° 45 - 11PHESPO3 - 2011 - Série ES - POLYNESIE - SESSION REMPL.
On ne peut se dispenser d’exercer autant de pression qu’il est nécessaire pour empêcher les
spécimens les plus vigoureux de la nature humaine d’empiéter sur les droits des autres ; mais à
cela, on trouve ample compensation, même du point de vue du développement humain. Les
moyens de développement que l’individu perd par l’interdiction de satisfaire des penchants
nuisibles aux autres s’obtiennent surtout aux dépens du développement d’autrui. Et lui-même y
trouve une compensation, car la contrainte imposée à son égoïsme autorise du même coup le
meilleur développement possible de l’aspect social de sa nature. Le fait d’être astreint à suivre les
règles strictes de la justice par égard pour les autres développe les sentiments et les facultés qui
ont pour objet le bien des autres. Mais le fait de se contraindre à ne pas leur déplaire dans les
occasions où l’on n’est pas susceptible de leur nuire, ne développe par ailleurs rien de bon, sinon
une force de caractère qui se manifestera peut-être par une résistance à la contrainte. Si l’on se
soumet, cette contrainte émousse et ternit entièrement le caractère. Pour donner une chance
équitable à la nature de chacun, il faut que les personnes différentes aient la permission de mener
des vies différentes. Les époques où une telle latitude a été laissée sont celles qui se signalent le
plus à l’attention de la postérité. Le despotisme lui-même ne produit pas ses pires effets tant qu’il
laisse subsister l’individualité ; et tout ce qui écrase l’individualité est un despotisme, quel que
soit le nom qu’on lui donne, qu’il prétende imposer la volonté de Dieu ou les injonctions des
hommes.
MILL, De la liberté
- 45 -
[46] SUJET N° 46 - 11PHESAS1 - 2011 - Série ES - AMERIQUE DU SUD - SESSION
NORMALE
La compassion est une impression maladive produite par la vue des misères d’autrui ou encore un
chagrin causé par les maux d’autrui, que nous trouvons immérités ; or le sage n’est sujet à aucune
maladie morale ; son esprit est serein et nul événement au monde n’est capable de l’assombrir. En
outre, rien ne sied à l’homme autant que la grandeur des sentiments : or ceux-ci ne peuvent être à
la fois grands et tristes ; le chagrin brise l’âme, l’abat, la resserre.
C’est ce qui n’arrivera point au sage même à l’occasion de ses propres malheurs ; tous les traits
de la fortune acharnée contre lui feront ricochet et se briseront à ses pieds ; il gardera toujours le
même visage, calme, impassible, ce qui ne lui serait pas possible si le chagrin avait accès en lui.
Ajoute que le sage sait prévoir les choses et qu’il a dans son esprit des ressources toujours prêtes :
or jamais une idée claire et pure ne vient d’un fond agité. Le chagrin sait mal discerner la vérité,
imaginer des mesures utiles, éviter des dangers, apprécier équitablement les dommages ; donc le
sage n’a point de commisération, puisque ce sentiment ne peut exister sans misère morale.
Tout ce que j’aime voir faire aux personnes compatissantes, il le fera volontiers et d’une âme
haute ; il viendra au secours de ceux qui pleurent, mais sans pleurer avec eux ; il tendra la main
au naufragé, donnera l’hospitalité au banni, l’aumône à l’indigent, non point cette aumône
humiliante que jettent la plupart de ceux qui veulent passer pour compatissants - en montrant leur
dédain pour ceux qu’ils assistent et leur crainte d’être souillés par leur contact -, mais il donnera
comme un homme qui fait part à un autre homme des biens communs à tous.
SENEQUE, Entretiens
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[47] SUJET N° 47 - 11PHSCAS1 - 2011 - Série S - AMERIQUE DU SUD - SESSION
NORMALE
Lorsqu’on commence, sans avoir acquis aucune compétence en la matière, par accorder son
entière confiance à un raisonnement et à le tenir pour vrai, on ne tarde pas à juger qu’il est faux :
il peut l’être en effet, comme il peut ne pas l’être ; puis on recommence avec un autre, et encore
avec un autre. Et, tu le sais bien, ce sont surtout ceux qui passent leur temps à mettre au point des
discours contradictoires qui finissent par croire qu’ils sont arrivés au comble de la maîtrise et
qu’ils sont les seuls à avoir compris qu’il n’y a rien de sain ni d’assuré en aucune chose, ni en
aucun raisonnement non plus ; que tout ce qui existe se trouve tout bonnement emporté dans une
sorte d’Euripe (1), ballotté par des courants contraires, impuissant à se stabiliser pour quelque
durée que ce soit, en quoi que ce soit.
- C’est la pure vérité, dis-je.
- Mais ne serait-ce pas vraiment lamentable, Phédon, dit-il, d’éprouver pareil sentiment ?
Lamentable, alors qu’il existe un raisonnement vrai, solide, dont on peut comprendre qu’il est tel,
d’aller ensuite, sous prétexte qu’on en rencontre d’autres qui, tout en restant les mêmes, peuvent
nous donner tantôt l’opinion qu’ils sont vrais et tantôt non, refuser d’en rendre responsable soimême, ou sa propre incompétence ? Lamentable encore de finir (...) par se complaire à rejeter sa
propre responsabilité sur les raisonnements, de passer désormais le reste de sa vie à les détester et
à les calomnier, se privant ainsi de la vérité et du savoir concernant ce qui, réellement, existe ?
- Par Zeus, dis-je, oui, ce serait franchement lamentable !
- Il faut donc nous préserver de cela avant tout, dit-il. Notre âme doit se fermer entièrement au
soupçon que, peut-être, les raisonnements n’offrent rien de sain.
PLATON, Phédon
(1) Euripe : nom d’un canal séparant l’île d’Eubée du continent grec. Ce canal est connu pour le
phénomène de ses courants alternatifs qui changent de direction plusieurs fois par jour.
- 47 -
[48] SUJET N° 48 - 11PHESLR1 - 2011 - Série ES - LA REUNION - SESSION NORMALE
L’être humain parle. Nous parlons éveillés ; nous parlons en rêve. Nous parlons sans cesse, même
quand nous ne proférons aucune parole, et que nous ne faisons qu’écouter ou lire ; nous parlons
même si, n’écoutant plus vraiment, ni ne lisant, nous nous adonnons à un travail, ou bien nous
abandonnons à ne rien faire. Constamment nous parlons, d’une manière ou d’une autre. Nous
parlons parce que parler nous est naturel. Cela ne provient pas d’une volonté de parler qui serait
antérieure à la parole. On dit que l’homme possède la parole par nature. L’enseignement
traditionnel veut que l’homme soit, à la différence de la plante et de la bête, le vivant capable de
parole. Cette affirmation ne signifie pas seulement qu’à côté d’autres facultés, l’homme possède
aussi celle de parler. Elle veut dire que c’est bien la parole qui rend l’homme capable d’être le
vivant qu’il est en tant qu’homme. L’homme est homme en tant qu’il est celui qui parle.
HEIDEGGER, Acheminement vers la parole
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[49] SUJET N° 49 - 11PHTEPO3 - 2011 - Série TECHN. - POLYNESIE - SESSION REMPL.
Il arrive fréquemment qu’une disposition légale utile à observer pour le salut public, en règle
générale, devienne, en certains cas, extrêmement nuisible. Car le législateur, ne pouvant
envisager tous les cas particuliers, rédige la loi en fonction de ce qui se présente le plus souvent,
en ayant en vue l’utilité commune. C’est pourquoi, s’il surgit un cas où l’observation de telle loi
soit préjudiciable au salut commun, celle-ci ne doit plus être observée. Ainsi, à supposer que dans
une ville assiégée on promulgue la loi que les portes doivent demeurer closes, c’est évidemment
utile au salut commun en règle générale ; mais s’il arrive que les ennemis poursuivent des
citoyens dont dépend la survie de la cité, il serait très préjudiciable à cette ville de ne pas ouvrir
ses portes. C’est pourquoi, en ce cas, il faudrait ouvrir les portes, contre les termes de la loi, afin
de sauvegarder l’intérêt général que le législateur avait en vue.
THOMAS D’AQUIN
QUESTIONS :
1° Formulez la thèse de ce texte et montrez quelles sont les étapes de son argumentation.
2°
a) En vous appuyant sur un exemple différent de celui du texte, expliquez : « une disposition
légale utile à observer pour le salut public [devient] en certains cas, extrêmement nuisible ».
b) En analysant l’exemple proposé dans le texte, montrez comment on peut aller « contre les
termes de la loi » sans aller contre la volonté du législateur.
3° Peut-il être conforme à l’intérêt général de ne pas appliquer la loi ?
- 49 -
[50] SUJET N° 50 - 11PHTEAG3 - 2011 - Série TECHN. - ANTILLES - SESSION REMPL.
Une œuvre géniale, qui commence par déconcerter, pourra créer peu à peu par sa seule présence
une conception de l’art et une atmosphère artistique qui permettront de la comprendre ; elle
deviendra alors rétrospectivement géniale ; sinon, elle serait restée ce qu’elle était au début,
simplement déconcertante. Dans une spéculation financière, c’est le succès qui fait que l’idée
avait été bonne. Il y a quelque chose du même genre dans la création artistique, avec cette
différence que le succès, s’il finit par venir à l’œuvre qui avait d’abord choqué, tient à une
transformation du goût du public opérée par l’œuvre même ; celle-ci était donc force en même
temps que matière ; elle a imprimé un élan que l’artiste lui avait communiqué ou plutôt qui est
celui même de l’artiste, invisible et présent en elle.
BERGSON
QUESTIONS :
1° Formulez la thèse de ce texte et montrez comment elle est établie.
2°
a) En vous appuyant sur un exemple, dites en quoi une « œuvre géniale » se distingue d’une
œuvre « simplement déconcertante » ;
b) pourquoi peut-on comparer la création artistique à la spéculation financière ? En quoi cette
comparaison éclaire-t-elle le propos de Bergson ?
c) expliquez : « un élan (...) qui est celui même de l’artiste invisible et présent en elle ».
3° Une œuvre d’art a-t-elle le pouvoir de transformer le goût du public ?
- 50 -
[51] SUJET N° 51 - 11PHTEPO1 - 2011 - Série TECHN. - POLYNESIE - SESSION
NORMALE
J’apprends (...) à rendre un service à autrui, sans lui porter de tendresse réelle, parce que je
prévois qu’il me le rendra dans l’espérance d’un autre service et afin de maintenir la même
réciprocité de bons offices avec les autres ou avec moi. Et par suite, une fois que je lui ai rendu
service et qu’il profite de l’effet bénéfique de mon action, il est conduit à accomplir sa part,
prévoyant les conséquences qu’engendrerait son refus.
Mais bien que cet échange intéressé entre les hommes commence à s’établir et à prévaloir dans la
société, il n’abolit pas entièrement les relations d’amitié et les bons offices, qui sont plus
généreux et plus nobles. Je peux encore rendre des services à des personnes que j’aime et que je
connais plus particulièrement, sans avoir de profit en vue, et elles peuvent me le retourner de la
même manière, sans autre intention que de récompenser mes services passés. Par conséquent,
afin de distinguer ces deux sortes différentes d’échange, l’intéressé et celui qui ne l’est pas, il y a
une certaine formule verbale inventée pour le premier, par laquelle nous nous engageons à
l’accomplissement d’une action. Cette formule verbale constitue ce que nous appelons une
promesse, qui est la sanction de l’échange intéressé entre les hommes. Quand quelqu’un dit qu’il
promet quelque chose, il exprime en réalité une résolution d’accomplir cette chose et, en même
temps, puisqu’il fait usage de cette formule verbale, il se soumet lui-même, en cas de dédit, à la
punition qu’on ne se fie plus jamais à lui.
HUME
QUESTIONS :
1° Formulez l’idée directrice de ce texte et montrez quelles sont les étapes de son argumentation.
2°
a) En vous appuyant sur le texte, expliquez ce qu’est un échange intéressé ;
b) en vous appuyant sur le texte, expliquez ce qu’est un échange désintéressé ;
c) analysez le rôle que joue la formule verbale de la promesse dans l’échange intéressé.
3° Un échange peut-il être désintéressé ?
- 51 -
[52] SUJET N° 52 - 11PHTEAG1 - 2011 - Série TECHN. - ANTILLES - SESSION NORMALE
Les lois n’ont pas été inventées pour empêcher les actions des hommes, mais afin de les conduire,
de même que la nature n’a pas donné des berges aux rivières pour les arrêter mais pour en diriger
le cours. L’étendue de cette liberté doit être établie suivant le bien des sujets et l’intérêt de l’Etat.
C’est pourquoi j’estime que c’est une chose particulièrement contraire au devoir des souverains
(1), et de tous ceux qui ont le droit d’imposer des lois, d’en former plus qu’il n’est nécessaire à
l’intérêt des particuliers et à celui de l’Etat. Car les hommes ayant coutume de délibérer de ce
qu’ils doivent faire et ne pas faire en consultant la raison naturelle plutôt que par la connaissance
des lois, lorsque celles-ci sont trop nombreuses pour qu’on se souvienne de toutes, et que
certaines défendent ce que la raison n’interdit pas directement, ils tombent nécessairement sans le
savoir, sans aucune mauvaise intention, sous le coup des lois, comme dans des pièges qui ont été
dressés à cette innocente liberté que les souverains doivent conserver à leurs sujets suivant les
règles de la nature.
HOBBES
(1) « souverain » : celui ou ceux qui détiennent l’autorité politique.
QUESTIONS :
1° Dégagez la thèse de ce texte et montrez comment elle est établie.
2°
a) Expliquez l’image présente dans la première phrase. Pourquoi « l’étendue de cette liberté »
doit-elle « être établie suivant le bien des sujets et l’intérêt de l’Etat » ?
b) qu’est-ce que « délibérer (...) en consultant la raison naturelle » et délibérer « par la
connaissance des lois » ?
c) en vous appuyant sur le texte, expliquez : « cette innocente liberté que les souverains doivent
conserver à leurs sujets suivant les règles de la nature ».
3° Pour que la liberté soit garantie, faut-il limiter le nombre des lois ?
- 52 -
[53] SUJET N° 53 - 11PHMDME3 - 2011 - Série TMD - METROPOLE - SESSION REMPL.
Le but final de l’instauration d’un régime politique n’est pas la domination, ni la répression des
hommes, ni leur soumission au joug d’un autre. Ce à quoi l’on a visé par un tel système, c’est à
libérer l’individu de la crainte – de sorte que chacun vive, autant que possible, en sécurité ; en
d’autres termes conserve au plus haut point son droit naturel de vivre et d’accomplir une action
(sans nuire à soi-même, ni à autrui). Non, je le répète, le but poursuivi ne saurait être de
transformer des hommes raisonnables en bêtes ou en automates. Ce qu’on a voulu leur donner,
c’est, bien plutôt, la pleine latitude de s’acquitter dans une sécurité parfaite des fonctions de leur
corps et de leur esprit. Après quoi, ils seront en mesure de raisonner plus librement, ils ne
s’affronteront plus avec les armes de la haine, de la colère, de la ruse et ils se traiteront
mutuellement sans injustice. Bref, le but de l’organisation en société, c’est la liberté.
SPINOZA
QUESTIONS :
1° Dégagez la thèse de ce texte et montrez comment elle est établie.
2° En prenant appui sur le texte, expliquez :
a) « Ce à quoi l’on a visé par un tel système, c’est à libérer l’individu de la crainte » ;
b) « le but poursuivi ne saurait être de transformer des hommes raisonnables en bêtes ou en
automates » ;
c) « ils se traiteront mutuellement sans injustice ».
3° La liberté est-elle le but final de l’organisation politique ?
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[54] SUJET N° 54 - 11PHLIPO1 - 2011 - Série L - POLYNESIE - SESSION NORMALE
Le fait seul de vivre en société impose à chacun une certaine ligne de conduite envers autrui.
Cette conduite consiste premièrement, à ne pas nuire aux intérêts d’autrui ou plutôt à certains de
ces intérêts qui, soit par disposition expresse légale, soit par accord tacite, doivent être considérés
comme des droits ; deuxièmement, à assumer sa propre part (à fixer selon un principe équitable)
de travail et de sacrifices nécessaires pour défendre la société ou ses membres contre les
préjudices et les vexations. Mais ce n’est pas là tout ce que la société peut faire. Les actes d’un
individu peuvent être nuisibles aux autres, ou ne pas suffisamment prendre en compte leur bienêtre, sans pour autant violer aucun de leurs droits constitués. Le coupable peut alors être
justement puni par l’opinion, mais non par la loi. Dès que la conduite d’une personne devient
préjudiciable aux intérêts d’autrui, la société a le droit de la juger, et la question de savoir si cette
intervention favorisera ou non le bien-être général est alors ouverte à la discussion. Mais cette
question n’a pas lieu d’être tant que la conduite de quelqu’un n’affecte que ses propres intérêts,
ou tant qu’elle n’affecte les autres que s’ils le veulent bien, si tant est que les personnes
concernées sont adultes et en possession de toutes leurs facultés. Dans tous les cas, on devrait
avoir liberté complète – légale et sociale – d’entreprendre n’importe quelle action et d’en
supporter les conséquences.
MILL, De la Liberté
- 54 -
[55] SUJET N° 55 - 11PHLIPO3 - 2011 - Série L - POLYNESIE - SESSION REMPL.
Tous sans exception, nous voulons être heureux ! Et cela, si nous ne le connaissions pas d’une
connaissance déterminée, nous ne le voudrions pas d’une volonté si déterminée.
Mais qu’est ceci ? Que l’on demande à deux hommes s’ils veulent être soldats, et il peut se faire
que l’un réponde oui, l’autre non ; mais qu’on leur demande s’ils veulent être heureux, et tous les
deux aussitôt sans la moindre hésitation disent qu’ils le souhaitent, et même, le seul but que
poursuive le premier en voulant être soldat, le seul but que poursuive le second en ne le voulant
pas, c’est d’être heureux. Serait-ce donc que l’on prend sa joie, l’un ici, l’autre là ? Oui, tous les
hommes s’accordent pour déclarer qu’ils veulent être heureux, comme ils s’accorderaient pour
déclarer, si on le leur demandait, qu’ils veulent se réjouir, et c’est la joie elle-même qu’ils
appellent vie heureuse. Et même si l’un passe ici, l’autre là pour l’atteindre, il n’y a pourtant
qu’un seul but où tous s’efforcent de parvenir : la joie. Et puisque c’est une chose dont personne
ne peut se dire sans expérience, on retrouve donc la vie heureuse dans la mémoire, et on la
reconnaît dès qu’on entend le mot.
AUGUSTIN, Les Confessions
- 55 -
[56] SUJET N° 56 - 10PHESAG1 - 2010 - Série ES - ANTILLES - SESSION NORMALE
Un credo religieux diffère d’une théorie scientifique en ce qu’il prétend exprimer la vérité
éternelle et absolument certaine, tandis que la science garde un caractère provisoire : elle s’attend
à ce que des modifications de ses théories actuelles deviennent tôt ou tard nécessaires, et se rend
compte que sa méthode est logiquement incapable d’arriver à une démonstration complète et
définitive. Mais, dans une science évoluée, les changements nécessaires ne servent généralement
qu’à obtenir une exactitude légèrement plus grande ; les vieilles théories restent utilisables quand
il s’agit d’approximations grossières, mais ne suffisent plus quand une observation plus
minutieuse devient possible. En outre, les inventions techniques issues des vieilles théories
continuent à témoigner que celles-ci possédaient un certain degré de vérité pratique, si l’on peut
dire. La science nous incite donc à abandonner la recherche de la vérité absolue, et à y substituer
ce qu’on peut appeler la vérité « technique », qui est le propre de toute théorie permettant de faire
des inventions ou de prévoir l’avenir. La vérité « technique » est une affaire de degré : une
théorie est d’autant plus vraie qu’elle donne naissance à un plus grand nombre d’inventions utiles
et de prévisions exactes. La « connaissance » cesse d’être un miroir mental de l’univers, pour
devenir un simple instrument à manipuler la matière.
RUSSELL, Science et religion
- 56 -
[57] SUJET N° 57 - 10PHESAG3 - 2010 - Série ES - ANTILLES - SESSION REMPL.
Le mot Je est le sujet, apparent ou caché, de toutes nos pensées. Quoi que je tente de dessiner ou
de formuler sur le présent, le passé ou l’avenir, c’est toujours une pensée de moi que je forme ou
que j’ai, et en même temps une affection que j’éprouve. Ce petit mot est invariable dans toutes
mes pensées. « Je change », « je vieillis », « je renonce », « je me convertis » ; le sujet de ces
propositions est toujours le même mot. Ainsi la proposition : « je ne suis plus moi, je suis autre »,
se détruit elle-même. De même la proposition fantaisiste : « je suis deux », car c’est l’invariable
Je qui est tout cela. D’après cette logique si naturelle, la proposition « Je n’existe pas » est
impossible. Et me voilà immortel, par le pouvoir des mots. Tel est le fond des arguments par
lesquels on prouve que l’âme est immortelle ; tel est le texte des expériences prétendues, qui nous
font retrouver le long de notre vie le même Je toujours identique.
ALAIN, Les Passions et la sagesse
- 57 -
[58] SUJET N° 58 - 10PHLIAG1 - 2010 - Série L - ANTILLES - SESSION NORMALE
Les croyances dogmatiques sont plus ou moins nombreuses, suivant les temps. Elles naissent de
différentes manières et peuvent changer de forme et d’objet ; mais on ne saurait faire qu’il n’y ait
pas de croyances dogmatiques, c’est-à-dire d’opinions que les hommes reçoivent de confiance et
sans les discuter. Si chacun entreprenait lui-même de former toutes ses opinions et de poursuivre
isolément la vérité dans des chemins frayés par lui seul, il n’est pas probable qu’un grand nombre
d’hommes dût jamais se réunir dans aucune croyance commune.
Or, il est facile de voir qu’il n’y a pas de société qui puisse prospérer sans croyances semblables,
ou plutôt il n’y en a point qui subsistent ainsi ; car, sans idées communes, il n’y a pas d’action
commune, et, sans action commune, il existe encore des hommes, mais non un corps social. Pour
qu’il y ait société, et, à plus forte raison, pour que cette société prospère, il faut donc que tous les
esprits des citoyens soient toujours rassemblés et tenus ensemble par quelques idées principales ;
et cela ne saurait être, à moins que chacun d’eux ne vienne quelquefois puiser ses opinions à une
même source et ne consente à recevoir un certain nombre de croyances toutes faites.
TOCQUEVILLE, De la Démocratie en Amérique
- 58 -
[59] SUJET N° 59 - 10PHLIAG3 - 2010 - Série L - ANTILLES - SESSION REMPL.
Si l’homme, dans l’état de nature, est aussi libre que j’ai dit, s’il est le seigneur absolu de sa
personne et de ses possessions, égal au plus grand et sujet à personne ; pourquoi se dépouille-t-il
de sa liberté et de cet empire, pourquoi se soumet-il à la domination et à l’inspection de quelque
autre pouvoir ? Il est aisé de répondre, qu’encore que, dans l’état de nature, l’homme ait un droit,
tel que nous avons posé, la jouissance de ce droit est pourtant fort incertaine et exposée sans
cesse à l’invasion d’autrui. Car, tous les hommes étant Rois, tous étant égaux et la plupart peu
exacts observateurs de l’équité et de la justice, la jouissance d’un bien propre, dans cet état, est
mal assurée, et ne peut guère être tranquille. C’est ce qui oblige les hommes de quitter cette
condition, laquelle, quelque libre qu’elle soit, est pleine de crainte, et exposée à de continuels
dangers, et cela fait voir que ce n’est pas sans raison qu’ils recherchent la société, et qu’ils
souhaitent de se joindre avec d’autres qui sont déjà unis ou qui ont dessein de s’unir et de
composer un corps, pour la conservation mutuelle de leurs vies, de leurs libertés et de leurs
biens ; choses que j’appelle, d’un nom général, propriétés.
C’est pourquoi, la plus grande et la principale fin que se proposent les hommes, lorsqu’ils
s’unissent en communauté et se soumettent à un gouvernement, c’est de conserver leurs
propriétés, pour la conservation desquelles bien des choses manquent dans l’état de nature.
LOCKE, Traité du gouvernement civil
- 59 -
[60] SUJET N° 60 - 10PHSCAG1 - 2010 - Série S - ANTILLES - SESSION NORMALE
Dire que le bonheur résulte de beaucoup d’années et de beaucoup d’actions, c’est le composer
d’êtres qui ne sont plus, d’événements passés et de l’instant présent qui est unique. C’est
pourquoi nous avions posé ainsi la question : le bonheur étant dans chaque instant présent, est-ce
être plus heureux qu’être heureux plus longtemps ? La question est maintenant de savoir si la plus
longue durée du bonheur, en permettant des actions plus nombreuses, ne rend pas aussi le
bonheur plus grand. D’abord, on peut être heureux sans agir, et non pas moins heureux mais plus
heureux qu’en agissant. Ensuite l’action ne produit aucun bien par elle-même ; ce sont nos
dispositions intérieures qui rendent nos actions honnêtes ; le sage, quand il agit, recueille le fruit
non pas de ses actions elles-mêmes ni des événements, mais de ce qu’il possède en propre. Le
salut de la patrie peut venir d’un méchant ; et si un autre en est l’auteur, le résultat est tout aussi
agréable pour qui en profite. Cet événement ne produit donc pas le plaisir particulier à l’homme
heureux ; c’est la disposition de l’âme qui crée et le bonheur et le plaisir qui en dérive. Mettre le
bonheur dans l’action, c’est le mettre en une chose étrangère à la vertu et à l’âme ; l’acte propre
de l’âme consiste à être sage ; c’est un acte intérieur à elle-même, et c’est là le bonheur.
PLOTIN, Ennéades
- 60 -
[61] SUJET N° 61 - 10PHSCAG3 - 2010 - Série S - ANTILLES - SESSION REMPL.
Si nous considérons (…) la vie à son entrée dans le monde, nous la voyons apporter avec elle
quelque chose qui tranche sur la matière brute. Le monde, laissé à lui-même, obéit à des lois
fatales. Dans des conditions déterminées, la matière se comporte de façon déterminée, rien de ce
qu’elle fait n’est imprévisible : si notre science était complète et notre puissance de calculer
infinie, nous saurions par avance tout ce qui se passera dans l’univers matériel inorganisé, dans sa
masse et dans ses éléments, comme nous prévoyons une éclipse de soleil ou de lune. Bref, la
matière est inertie, géométrie, nécessité. Mais avec la vie apparaît le mouvement imprévisible et
libre. L’être vivant choisit ou tend à choisir. Son rôle est de créer. Dans un monde où tout le reste
est déterminé, une zone d’indétermination l’environne. Comme, pour créer l’avenir, il faut en
préparer quelque chose dans le présent, comme la préparation de ce qui sera ne peut se faire que
par l’utilisation de ce qui a été, la vie s’emploie dès le début à conserver le passé et à anticiper sur
l’avenir dans une durée où passé, présent et avenir empiètent l’un sur l’autre et forment une
continuité indivisée : cette mémoire et cette anticipation sont (…) la conscience même. Et c’est
pourquoi, en droit sinon en fait, la conscience est coextensive à la vie.
BERGSON, L’Energie spirituelle
- 61 -
[62] SUJET N° 62 - 10PHTEAG1 - 2010 - Série TECHN. - ANTILLES - SESSION NORMALE
Ne va jamais croire qu’un homme qui s’accroche au bien-être matériel puisse être heureux. Celui
qui tire sa joie de ce qui vient du dehors s’appuie sur des bases fragiles. La joie est entrée ? Elle
sortira. Mais celle qui naît de soi est fidèle et solide. Elle croît sans cesse et nous escorte jusqu’à
la fin. Tous les autres objets qui sont communément admirés sont des biens d’un jour.
« Comment ? On ne peut pas en tirer utilité et plaisir ? » Personne ne dit cela. Mais à condition
que ce soient eux qui dépendent de nous et non le contraire. Tout ce qui relève de la Fortune (1)
est profitable, agréable, à condition que le possesseur se possède aussi et ne soit pas asservi à ses
biens. En effet, ceux qui pensent que c’est la Fortune qui nous attribue le bien ou le mal se
trompent. Elle accorde juste la matière des biens et des maux, et les éléments de base destinés
chez nous à tourner au mal ou au bien. L’âme, en effet, est plus puissante que la Fortune. Pour le
meilleur ou pour le pire, elle conduit elle-même ses affaires. C’est elle qui est responsable de son
bonheur ou de son malheur.
SENEQUE
(1) « la Fortune » : déesse personnifiant la chance, bonne ou mauvaise.
QUESTIONS :
1° Dégagez la thèse de ce texte et montrez comment elle est établie.
2°
a) Quelle différence y a-t-il entre la joie tirée de « ce qui vient du dehors » et « celle qui naît de
soi » ? Expliquez cette différence. Précisez en quoi le « bien-être matériel » relève de « ce qui
vient du dehors ».
b) Expliquez : « Personne ne dit cela. Mais à condition que ce soient eux qui dépendent de nous
et non le contraire ».
c) Expliquez : « L’âme (…) est plus puissante que la Fortune ».
3° Sommes-nous responsables de notre bonheur ?
- 62 -
[63] SUJET N° 63 - 10PHLIG11 - 2010 - Série L - ETRANGER GROUPE 1 - SESSION
NORMALE
Si le futur et le passé existent, je veux savoir où ils sont. Si je n’en suis pas encore capable, je sais
du moins que, où qu’ils soient, ils n’y sont ni en tant que futur ni en tant que passé, mais en tant
que présents. Car si le futur y est en tant que futur, il n’y est pas encore ; si le passé y est en tant
que passé, il n’y est plus. Où donc qu’ils soient, quels qu’ils soient, ils ne sont qu’en tant que
présents. Lorsque nous faisons du passé des récits véritables, ce qui vient de notre mémoire, ce ne
sont pas les choses elles-mêmes, qui ont cessé d’être, mais des termes conçus à partir des images
des choses, lesquelles en traversant nos sens ont gravé dans notre esprit des sortes d’empreintes.
Mon enfance, par exemple, qui n’est plus est dans un passé disparu lui aussi ; mais lorsque je
l’évoque et la raconte, c’est dans le présent que je vois son image, car cette image est encore dans
ma mémoire.
La prédiction de l’avenir se fait-elle selon le même mécanisme ? Les événements qui ne sont pas
encore, sont-ils représentés à l’avance dans notre esprit par des images déjà existantes ? J’avoue
(…) que je l’ignore. Mais ce que je sais, c’est que d’habitude nous préméditons nos actions
futures, que cette préméditation appartient au présent, tandis que l’action préméditée n’est pas
encore, étant future. Lorsque nous l’aurons entreprise, et que nous nous serons mis à réaliser ce
que nous avions prémédité, alors l’action existera, puisqu’elle sera à ce moment non plus future,
mais présente.
De quelque façon que se produise ce mystérieux pressentiment de l’avenir, on ne peut voir que ce
qui est.
AUGUSTIN, Les Confessions
- 63 -
[64] SUJET N° 64 - 10PHESG11 - 2010 - Série ES - ETRANGER GROUPE 1 - SESSION
NORMALE
Un homme peut travailler avec autant d’art qu’il le veut à se représenter une action contraire à la
loi dont il se souvient, comme une erreur faite sans intention, comme une simple imprévoyance
qu’on ne peut jamais entièrement éviter, par conséquent comme quelque chose où il a été entraîné
par le torrent de la nécessité naturelle et à se déclarer ainsi innocent, il trouve cependant que
l’avocat qui parle en sa faveur ne peut réduire au silence l’accusateur qui est en lui s’il a
conscience qu’au temps où il commettait l’injustice, il était dans son bon sens, c’est-à-dire qu’il
avait l’usage de sa liberté. Quoiqu’il s’explique de sa faute par quelque mauvaise habitude, qu’il
a insensiblement contractée en négligeant de faire attention à lui-même et qui est arrivée à un tel
degré de développement qu’il peut considérer la première comme une conséquence naturelle de
cette habitude, il ne peut jamais néanmoins ainsi se mettre en sûreté contre le blâme intérieur et le
reproche qu’il se fait à lui-même. C’est là-dessus aussi que se fonde le repentir qui se produit à
l’égard d’une action accomplie depuis longtemps, chaque fois que nous nous en souvenons :
c’est-à-dire un sentiment de douleur produit par l’intention morale.
KANT, Critique de la raison pratique
- 64 -
[65] SUJET N° 65 - 10PHSCG11 - 2010 - Série S - ETRANGER GROUPE 1 - SESSION
NORMALE
Le plus utile pour les hommes, et de beaucoup, est de vivre suivant les lois et les injonctions
certaines de la raison, lesquelles tendent uniquement, comme nous l’avons dit, à ce qui est
réellement utile aux hommes. En outre il n’est personne qui ne désire vivre à l’abri de la crainte
autant qu’il se peut, et cela est tout à fait impossible aussi longtemps qu’il est loisible à chacun de
faire tout ce qui lui plaît, et qu’il n’est pas reconnu à la raison plus de droits qu’à la haine et à la
colère ; personne en effet ne vit sans angoisse parmi les inimitiés, les haines, la colère et les ruses,
il n’est personne qui ne tâche en conséquence d’y échapper autant qu’il est en lui. Que l’on
considère encore que, s’ils ne s’entraident pas, les hommes vivent très misérablement et que, s’ils
ne cultivent pas la raison, ils restent asservis aux nécessités de la vie, (…) et l’on verra très
clairement que pour vivre dans la sécurité et le mieux possible les hommes ont dû nécessairement
aspirer à s’unir en un corps et ont fait par là que le droit que chacun avait de nature sur toutes
choses appartînt à la collectivité et fût déterminé non plus par la force et l’appétit de l’individu
mais par la puissance et la volonté de tous ensemble.
SPINOZA, Traité théologico-politique
- 65 -
[66] SUJET N° 66 - 10PHESIN1 - 2010 - Série ES - INDE - SESSION NORMALE
Le respect s’applique toujours uniquement aux personnes, jamais aux choses. Les choses peuvent
exciter en nous de l’inclination et même de l’amour, si ce sont des animaux (par exemple des
chevaux, des chiens, etc.), ou aussi de la crainte, comme la mer, un volcan, une bête féroce, mais
jamais du respect. Une chose qui se rapproche beaucoup de ce sentiment, c’est l’admiration et
l’admiration comme affection, c’est-à-dire l’étonnement, peut aussi s’appliquer aux choses, aux
montagnes qui se perdent dans les nues, à la grandeur, à la multitude et à l’éloignement des corps
célestes, à la force et à l’agilité de certains animaux, etc. Mais tout cela n’est point du respect. Un
homme peut être aussi pour moi un objet d’amour, de crainte ou d’une admiration qui peut même
aller jusqu’à l’étonnement et cependant n’être pas pour cela un objet de respect. Son humeur
badine (1), son courage et sa force, la puissance qu’il a d’après son rang parmi ses semblables,
peuvent m’inspirer des sentiments de ce genre, mais il manque toujours encore le respect
intérieur à son égard. Fontenelle dit : Devant un grand seigneur, je m’incline, mais mon esprit ne
s’incline pas. Je puis ajouter : Devant un homme de condition inférieure, roturière et commune,
en qui je perçois une droiture de caractère portée à un degré que je ne me reconnais pas à moimême, mon esprit s’incline, que je le veuille ou non, et si haut que j’élève la tête pour ne pas lui
laisser oublier ma supériorité.
KANT, Critique de la raison pratique
(1) « badin » : enclin à plaisanter.
- 66 -
[67] SUJET N° 67 - 10PHSCIN1 - 2010 - Série S - INDE - SESSION NORMALE
Un credo (1) religieux diffère d’une théorie scientifique en ce qu’il prétend exprimer la vérité
éternelle et absolument certaine, tandis que la science garde un caractère provisoire : elle s’attend
à ce que des modifications de ses théories actuelles deviennent tôt ou tard nécessaires, et se rend
compte que sa méthode est logiquement incapable d’arriver à une démonstration complète et
définitive. Mais, dans une science évoluée, les changements nécessaires ne servent généralement
qu’à obtenir une exactitude légèrement plus grande ; les vieilles théories restent utilisables quand
il s’agit d’approximations grossières, mais ne suffisent plus quand une observation plus
minutieuse devient possible. En outre, les inventions techniques issues des vieilles théories
continuent à témoigner que celles-ci possédaient un certain degré de vérité pratique, si l’on peut
dire. La science nous incite donc à abandonner la recherche de la vérité absolue, et à y substituer
ce qu’on peut appeler la vérité « technique », qui est le propre de toute théorie permettant de faire
des inventions ou de prévoir l’avenir. La vérité « technique » est une affaire de degré : une
théorie est d’autant plus vraie qu’elle donne naissance à un plus grand nombre d’inventions utiles
et de prévisions exactes. La « connaissance » cesse d’être un miroir mental de l’univers, pour
devenir un simple instrument à manipuler la matière.
RUSSELL, Science et religion.
(1) « credo » : affirmation d’une croyance.
- 67 -
[68] SUJET N° 68 - 10PHTEIN1 - 2010 - Série TECHN. - INDE - SESSION NORMALE
Ce qui est complètement insensé, c’est de considérer comme étant « juste » tout ce qui figure
dans les institutions et les lois des peuples, ou même, les lois (en admettant qu’il en soit !) portées
par des tyrans. Si les Trente d’Athènes (1) avaient eu la volonté d’imposer des lois ou si leurs lois
tyranniques avaient plu au peuple athénien tout entier, serait-ce une raison pour les considérer
comme « justes » ? A aucun titre, je crois, - pas plus que cette loi que porta chez nous un interroi
(2) donnant à un dictateur le pouvoir de tuer nominativement et sans procès celui des citoyens
qu’il voudrait. Il n’y a en effet qu’un droit unique, qui astreint la société humaine et que fonde
une Loi unique : Loi, qui est la juste raison dans ce qu’elle commande et dans ce qu’elle défend.
Qui ignore cette loi est injuste, qu’elle soit écrite quelque part ou non. Mais si la justice n’est que
la soumission à des lois écrites et aux institutions des peuples, et si (…) tout se doit mesurer à
l’intérêt, celui qui pensera avoir intérêt à mépriser et violer ces lois le fera, s’il le peut. Il en
résulte qu’il n’y a absolument plus de justice, si celle-ci n’est pas fondée sur la nature, et si la
justice établie en vue de l’intérêt est déracinée par un autre intérêt.
CICERON
(1) « les Trente d’Athènes » : les « Trente Tyrans », gouvernement imposé par Sparte à la suite
de sa victoire sur Athènes (404 avant J.-C.).
(2) « interroi » : chef exerçant le pouvoir entre deux règnes. Allusion à un épisode de l’histoire
romaine.
QUESTIONS :
1° Formulez la thèse de ce texte et montrez comment elle est établie.
2°
a) En vous appuyant sur les exemples du texte, montrez pourquoi il serait insensé « de considérer
comme étant « juste » tout ce qui figure dans les institutions et les lois des peuples » ;
b) expliquez : « une Loi unique : Loi, qui est la juste raison dans ce qu’elle commande et dans ce
qu’elle défend » ;
c) expliquez : « si (…) tout se doit mesurer à l’intérêt, (…) il n’y a absolument plus de justice ».
3° La justice est-elle fondée sur la raison ?
- 68 -
[69] SUJET N° 69 - 10PHLlJA1 - 2010 - Série L - JAPON - SESSION NORMALE
Toutes les sciences ont une partie pratique, consistant en des problèmes qui supposent que
quelque fin est possible pour nous, et en des impératifs qui énoncent comment cette fin peut être
atteinte. Ces impératifs peuvent donc être appelés en général des impératifs de l’HABILETE.
Que la fin soit raisonnable et bonne, ce n’est pas du tout de cela qu’il s’agit ici, mais seulement
de ce qu’il faut faire pour l’atteindre. Les prescriptions que doit suivre le médecin pour guérir
radicalement son homme, celles que doit suivre un empoisonneur pour le tuer à coup sûr, sont
d’égale valeur, en tant qu’elles leur servent les unes et les autres à accomplir parfaitement leurs
desseins. Comme dans la première jeunesse on ne sait pas quelles fins pourraient s’offrir à nous
dans le cours de la vie, les parents cherchent principalement à faire apprendre à leurs enfants une
foule de choses diverses ; ils pourvoient à l’habileté dans l’emploi des moyens en vue de toutes
sortes de fins à volonté, incapables qu’ils sont de décider pour aucune de ces fins, qu’elle ne
puisse pas d’aventure devenir réellement plus tard une visée de leurs enfants, tandis qu’il est
possible qu’elle le devienne un jour ; et cette préoccupation est si grande qu’ils négligent
communément de leur former et de leur rectifier le jugement sur la valeur des choses qu’ils
pourraient bien avoir à se proposer pour fins.
KANT, Fondements de la métaphysique des mœurs
- 69 -
[70] SUJET N° 70 - 10PHESLI1 - 2010 - Série ES - LIBAN - SESSION NORMALE
La moralité consiste à réaliser des fins impersonnelles, générales, indépendantes de l’individu et
de ses intérêts particuliers. Or, la raison, par sa constitution native, va d’elle-même au général, à
l’impersonnel ; car elle est la même chez tous les hommes et même chez tous les êtres
raisonnables. Il n’y a qu’une raison. Par conséquent, en tant que nous ne sommes mus que par la
raison, nous agissons moralement, et, en même temps, nous agissons avec une pleine autonomie,
parce que nous ne faisons que suivre la loi de notre nature raisonnable. Mais, alors, d’où vient le
sentiment d’obligation ? C’est que, en fait, nous ne sommes pas des êtres purement rationnels,
nous sommes aussi des êtres sensibles. Or, la sensibilité, c’est la faculté par laquelle les individus
se distinguent les uns des autres. Mon plaisir ne peut appartenir qu’à moi et ne reflète que mon
tempérament personnel. La sensibilité nous incline donc vers des fins individuelles, égoïstes,
irrationnelles, immorales. Il y a donc, entre la loi de raison et notre faculté sensible, un véritable
antagonisme, et, par suite, la première ne peut s’imposer à la seconde que par une véritable
contrainte. C’est le sentiment de cette contrainte qui donne naissance au sentiment de
l’obligation.
DURKHEIM, L’Education morale
- 70 -
[71] SUJET N° 71 - 10PHLIANL1 - 2010 - Série L - LIBAN - SESSION NORMALE
Parmi les objets qui donnent à l’artifice humain la stabilité sans laquelle les hommes n’y
trouveraient point de patrie, il y en a qui n’ont strictement aucune utilité et qui en outre, parce
qu’ils sont uniques, ne sont pas échangeables et défient par conséquent l’égalisation au moyen
d’un dénominateur commun tel que l’argent ; si on les met sur le marché on ne peut fixer leurs
prix qu’arbitrairement. Bien plus, les rapports que l’on a avec une œuvre d’art ne consistent
certainement pas à « s’en servir » ; au contraire, pour trouver sa place convenable dans le monde,
l’œuvre d’art doit être soigneusement écartée du contexte des objets d’usage ordinaires. Elle doit
être de même écartée des besoins et des exigences de la vie quotidienne, avec laquelle elle a aussi
peu de contacts que possible. Que l’œuvre d’art ait toujours été inutile, ou qu’elle ait autrefois
servi aux prétendus besoins religieux comme les objets d’usage ordinaires servent aux besoins
ordinaires, c’est une question hors de propos ici. Même si l’origine historique de l’art était d’un
caractère exclusivement religieux ou mythologique, le fait est que l’art a glorieusement résisté à
sa séparation d’avec la religion, la magie et le mythe.
ARENDT, Condition de l’homme moderne
- 71 -
[72] SUJET N° 72 - 10PHSCLI1 - 2010 - Série S - LIBAN - SESSION NORMALE
Tout animal a des idées puisqu’il a des sens, il combine même ses idées jusqu’à un certain point,
et l’homme ne diffère à cet égard de la bête que du plus au moins. Quelques philosophes ont
même avancé qu’il y a plus de différence de tel homme à tel homme que de tel homme à telle
bête ; ce n’est donc pas tant l’entendement qui fait parmi les animaux la distinction spécifique de
l’homme que sa qualité d’agent libre. La nature commande à tout animal, et la bête obéit.
L’homme éprouve la même impression, mais il se reconnaît libre d’acquiescer, ou de résister ; et
c’est surtout dans la conscience de cette liberté que se montre la spiritualité de son âme : car la
physique explique en quelque manière le mécanisme des sens et la formation des idées ; mais
dans la puissance de vouloir ou plutôt de choisir, et dans le sentiment de cette puissance on ne
trouve que des actes spirituels, dont on n’explique rien par les lois de la mécanique.
ROUSSEAU, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes
- 72 -
[73] SUJET N° 73 - 10PHESME2 - 2010 - Série ES - METROPOLE - SESSION NORMALE
(S)
Ne venez surtout pas me parler de dons naturels, de talents innés ! On peut citer dans tous les
domaines de grands hommes qui étaient peu doués. Mais la grandeur leur est venue, ils se sont
faits « génies » (comme on dit), grâce à certaines qualités dont personne n’aime à trahir l’absence
quand il en est conscient ; ils possédaient tous cette solide conscience artisanale qui commence
par apprendre à parfaire les parties avant de se risquer à un grand travail d’ensemble ; ils
prenaient leur temps parce qu’ils trouvaient plus de plaisir à la bonne facture du détail, de
l’accessoire, qu’à l’effet produit par un tout éblouissant. Il est facile, par exemple, d’indiquer à
quelqu’un la recette pour devenir bon nouvelliste, mais l’exécution en suppose des qualités sur
lesquelles on passe en général en disant : « je n’ai pas assez de talent ». Que l’on fasse donc cent
projets de nouvelles et davantage, aucun ne dépassant deux pages, mais d’une précision telle que
chaque mot y soit nécessaire ; que l’on note chaque jour quelques anecdotes jusqu’à savoir en
trouver la forme la plus saisissante, la plus efficace, que l’on ne se lasse pas de collectionner et de
brosser des caractères et des types d’humanité, que l’on ne manque surtout pas la moindre
occasion de raconter et d’écouter raconter, l’œil et l’oreille attentifs à l’effet produit sur les
autres, que l’on voyage comme un paysagiste, comme un dessinateur de costumes, que l’on
extraie d’une science après l’autre tout ce qui, bien exposé, produit un effet d’art, que l’on
réfléchisse enfin aux motifs des actions humaines, ne dédaigne aucune indication qui puisse en
instruire, et soit jour et nuit à collectionner les choses de ce genre. On laissera passer une bonne
dizaine d’années en multipliant ces exercices, et ce que l’on créera alors en atelier pourra se
montrer aussi au grand jour de la rue.
NIETZSCHE, Humain, trop humain
- 73 -
[74] SUJET N° 74 - 10PHESME1 - 2010 - Série ES - METROPOLE - SESSION NORMALE
La morale de notre temps est fixée dans ses lignes essentielles, au moment où nous naissons ; les
changements qu’elle subit au cours d’une existence individuelle, ceux, par conséquent, auxquels
chacun de nous peut participer sont infiniment restreints. Car les grandes transformations morales
supposent toujours beaucoup de temps. De plus, nous ne sommes qu’une des innombrables unités
qui y collaborent. Notre apport personnel n’est donc jamais qu’un facteur infime de la résultante
complexe dans laquelle il disparaît anonyme. Ainsi, on ne peut pas ne pas reconnaître que, si la
règle morale est œuvre collective, nous la recevons beaucoup plus que nous ne la faisons. Notre
attitude est beaucoup plus passive qu’active. Nous sommes agis plus que nous n’agissons. Or,
cette passivité est en contradiction avec une tendance actuelle, et qui devient tous les jours plus
forte, de la conscience morale. En effet, un des axiomes fondamentaux de notre morale, on
pourrait même dire l’axiome fondamental, c’est que la personne humaine est la chose sainte par
excellence ; c’est qu’elle a droit au respect que le croyant de toutes les religions réserve à son
dieu ; et c’est ce que nous exprimons nous-mêmes, quand nous faisons de l’idée d’humanité la fin
et la raison d’être de la patrie. En vertu de ce principe, toute espèce d’empiètement sur notre for
intérieur nous apparaît comme immorale, puisque c’est une violence faite à notre autonomie
personnelle. Tout le monde, aujourd’hui, reconnaît, au moins en théorie, que jamais, en aucun
cas, une manière déterminée de penser ne doit nous être imposée obligatoirement, fût-ce au nom
d’une autorité morale.
DURKHEIM, L’Education morale
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[75] SUJET N° 75 - 10PHESME3 - 2010 - Série ES - METROPOLE - SESSION REMPL.
Il est sensible, en effet, que, par une nécessité invincible, l’esprit humain peut observer
directement tous les phénomènes, excepté les siens propres. Car, par qui serait faite
l’observation ? On conçoit, relativement aux phénomènes moraux, que l’homme puisse
s’observer lui-même sous le rapport des passions qui l’animent, par cette raison, anatomique, que
les organes qui en sont le siège sont distincts de ceux destinés aux fonctions observatrices.
Encore même que chacun ait eu occasion de faire sur lui de telles remarques, elles ne sauraient
évidemment avoir jamais une grande importance scientifique, et le meilleur moyen de connaître
les passions sera-t-il toujours de les observer en dehors ; car tout état de passion très prononcé,
c’est-à-dire précisément celui qu’il serait le plus essentiel d’examiner, est nécessairement
incompatible avec l’état d’observation. Mais, quant à observer de la même manière les
phénomènes intellectuels pendant qu’ils s’exécutent, il y a impossibilité manifeste. L’individu
pensant ne saurait se partager en deux dont l’un raisonnerait, tandis que l’autre regarderait
raisonner. L’organe observé et l’organe observateur étant, dans ce cas, identiques, comment
l’observation pourrait-elle avoir lieu ?
COMTE, Cours de philosophie positive
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[76] SUJET N° 76 - 10PHLIME2 - 2010 - Série L - METROPOLE - SESSION NORMALE (S)
Il est difficile de concevoir qu’une chose pense sans en être consciente. Si vraiment l’âme d’un
homme qui dort pense sans qu’il en soit conscient, je pose la question : ressent-elle plaisir ou
douleur, est-elle capable de bonheur ou de malheur pendant qu’elle pense ainsi ? Je suis sûr que
l’homme ne le peut pas, pas plus que le lit ou le sol sur lequel il repose. Car être heureux ou
malheureux sans en être conscient me paraît totalement contradictoire et impossible. Ou s’il était
possible que l’âme ait, dans un corps endormi, des pensées, des joies, des soucis, des plaisirs et
des peines séparés dont l’homme ne serait pas conscient, qu’il ne partagerait pas, il serait alors
certain que Socrate endormi et Socrate éveillé ne seraient pas la même personne : son âme quand
il dort, et l’homme Socrate pris corps et âme quand il est éveillé, seraient deux personnes
distinctes. En effet, Socrate éveillé n’a aucune connaissance ni aucun souci de ce bonheur ou de
ce malheur que son âme seule éprouve, de son côté, tandis qu’il dort sans rien en percevoir ; il
n’en aurait pas plus qu’à l’égard du bonheur ou du malheur d’un homme des Indes qu’il ne
connaîtrait pas. Car si nous ôtons toute conscience de nos actions et de nos sensations, en
particulier du plaisir et de la douleur, et du souci qui les accompagnent, il sera difficile de savoir
où placer l’identité personnelle.
LOCKE, Essai sur l’entendement humain
- 76 -
[77] SUJET N° 77 - 10PHLIME1 - 2010 - Série L - METROPOLE - SESSION NORMALE
Parce que les actes humains pour lesquels on établit des lois consistent en des cas singuliers et
contingents, variables à l’infini, il a toujours été impossible d’instituer une règle légale qui ne
serait jamais en défaut. Mais les législateurs, attentifs à ce qui se produit le plus souvent, ont
établi des lois en ce sens. Cependant, en certains cas, les observer va contre l’égalité de la justice,
et contre le bien commun, visés par la loi. Ainsi, la loi statue que les dépôts doivent être rendus,
parce que cela est juste dans la plupart des cas. Il arrive pourtant parfois que ce soit dangereux,
par exemple si un fou a mis une épée en dépôt et la réclame pendant une crise, ou encore si
quelqu’un réclame une somme qui lui permettra de combattre sa patrie. En ces cas et d’autres
semblables, le mal serait de suivre la loi établie ; le bien est, en négligeant la lettre de la loi,
d’obéir aux exigences de la justice et du bien public. C’est à cela que sert l’équité. Aussi est-il
clair que l’équité est une vertu.
L’équité ne se détourne pas purement et simplement de ce qui est juste, mais de la justice
déterminée par la loi. Et même, quand il le faut, elle ne s’oppose pas à la sévérité qui est fidèle à
l’exigence de la loi ; ce qui est condamnable, c’est de suivre la loi à la lettre quand il ne le faut
pas. Aussi est-il dit dans le Code (1) : « Il n’y a pas de doute qu’on pèche contre la loi si, en
s’attachant à sa lettre, on contredit la volonté du législateur ».
Il juge de la loi celui qui dit qu’elle est mal faite. Mais celui qui dit que dans tel cas il ne faut pas
suivre la loi à la lettre, ne juge pas de la loi, mais d’un cas déterminé qui se présente.
THOMAS D’AQUIN, Somme théologique
(1) Il s’agit du Code publié par Justinien en 529 : il contient la plus grande somme connue de
droit romain antique.
- 77 -
[78] SUJET N° 78 - 10PHLIME3 - 2010 - Série L - METROPOLE - SESSION REMPL.
Nous remarquons par exemple l’éclair et le tonnerre. Ce phénomène nous est bien connu et nous
le percevons souvent. Cependant l’homme ne se satisfait pas de la simple familiarité avec ce qui
est bien connu, du phénomène seulement sensible, mais il veut aller voir derrière celui-ci, il veut
savoir ce qu’il est, il veut le concevoir. C’est pourquoi on réfléchit, on veut savoir la cause,
comme quelque chose qui diffère du phénomène en tant que tel. (…) Le sensible est quelque
chose de singulier et de disparaissant ; l’élément durable en lui, nous apprenons à le connaître au
moyen de la réflexion. La nature nous montre une multitude infinie de figures et de phénomènes
singuliers ; nous éprouvons le besoin d’apporter de l’unité dans cette multiplicité variée ; c’est
pourquoi nous faisons des comparaisons et cherchons à connaître l’universel qui est en chaque
chose. Les individus naissent et périssent, le genre est en eux ce qui demeure, ce qui se répète en
tout être, et c’est seulement pour la réflexion qu’il est présent. Sont concernées aussi les lois, par
exemple les lois du mouvement des corps célestes. Nous voyons les astres aujourd’hui ici, et
demain là-bas ; ce désordre est pour l’esprit quelque chose qui ne lui convient pas, dont il se
méfie, car il a foi en un ordre, en une détermination simple, constante et universelle. C’est en
ayant cette foi qu’il a dirigé sa réflexion sur les phénomènes et qu’il a connu leurs lois, fixé d’une
manière universelle le mouvement des corps célestes de telle sorte qu’à partir de cette loi tout
changement de lieu se laisse déterminer et connaître. (…) De ces exemples on peut conclure que
la réflexion est toujours à la recherche de ce qui est fixe, permanent, déterminé en soi-même, et
de ce qui régit le particulier. Cet universel ne peut être saisi avec les sens et il vaut comme ce qui
est essentiel et vrai.
HEGEL, Encyclopédie des sciences philosophiques
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[79] SUJET N° 79 - 10PHSCME1 - 2010 - Série S - METROPOLE - SESSION NORMALE
L’ignorance des causes et de la constitution originaire du droit, de l’équité, de la loi et de la
justice conduit les gens à faire de la coutume et de l’exemple la règle de leurs actions, de telle
sorte qu’ils pensent qu’une chose est injuste quand elle est punie par la coutume, et qu’une chose
est juste quand ils peuvent montrer par l’exemple qu’elle n’est pas punissable et qu’on
l’approuve. (…) Ils sont pareils aux petits enfants qui n’ont d’autre règle des bonnes et des
mauvaises manières que la correction infligée par leurs parents et par leurs maîtres, à ceci près
que les enfants se tiennent constamment à leur règle, ce que ne font pas les adultes parce que,
devenus forts et obstinés, ils en appellent de la coutume à la raison, et de la raison à la coutume,
comme cela les sert, s’éloignant de la coutume quand leur intérêt le requiert et combattant la
raison aussi souvent qu’elle va contre eux. C’est pourquoi la doctrine du juste et de l’injuste est
débattue en permanence, à la fois par la plume et par l’épée. Ce qui n’est pas le cas de la doctrine
des lignes et des figures parce que la vérité en ce domaine n’intéresse pas les gens, attendu
qu’elle ne s’oppose ni à leur ambition, ni à leur profit, ni à leur lubricité. En effet, en ce qui
concerne la doctrine selon laquelle les trois angles d’un triangle sont égaux à deux angles d’un
carré, si elle avait été contraire au droit de dominer de quelqu’un, ou à l’intérêt de ceux qui
dominent, je ne doute pas qu’elle eût été, sinon débattue, en tout cas éliminée en brûlant tous les
livres de géométrie, si cela eût été possible à celui qui y aurait eu intérêt.
HOBBES, Léviathan
- 79 -
[80] SUJET N° 80 - 10PHSCME3 - 2010 - Série S - METROPOLE - SESSION REMPL.
Les hommes ont le plus grand intérêt à vivre suivant les lois et les critères certains de leur raison,
car ceux-ci (…) servent l’intérêt véritable des hommes. En outre, il n’est personne qui ne souhaite
vivre en sécurité, à l’abri de la crainte, autant que possible. Mais ce vœu est tout à fait
irréalisable, aussi longtemps que chacun peut accomplir tout ce qui lui plaît, et que la raison en
lui ne dispose pas d’un droit supérieur à celui de la haine et de la colère. En effet, personne ne vit
sans angoisse entre les inimitiés, les haines, la colère et les ruses ; il n’est donc personne qui ne
tâche d’y échapper, dans la mesure de l’effort qui lui est propre. On réfléchira encore que, faute
de s’entraider, les hommes vivraient très misérablement et ne parviendraient jamais à développer
en eux la raison. Dès lors, on verra très clairement que, pour vivre en sécurité et de la meilleure
vie possible, les hommes ont dû nécessairement s’entendre. Et voici quel fut le résultat de leur
union : le droit, dont chaque individu jouissait naturellement sur tout ce qui l’entourait, est
devenu collectif. Il n’a plus été déterminé par la force et la convoitise de chacun, mais par la
puissance et la volonté conjuguées de tous.
SPINOZA, Traité théologico-politique
- 80 -
[81] SUJET N° 81 - 10PHTEME3 - 2010 - Série TECHN. - METROPOLE - SESSION REMPL.
Souvent la passion nous fait croire certaines choses beaucoup meilleures et plus désirables
qu’elles ne sont ; puis, quand nous avons pris bien de la peine à les acquérir, et perdu cependant
(1) l’occasion de posséder d’autres biens plus véritables, la jouissance nous en fait connaître les
défauts, et de là viennent les dédains, les regrets et les repentirs. C’est pourquoi le vrai office (2)
de la raison est d’examiner la juste valeur de tous les biens dont l’acquisition semble dépendre en
quelque façon de notre conduite, afin que nous ne manquions jamais d’employer tous nos soins à
tâcher de nous procurer ceux qui sont, en effet, les plus désirables ; en quoi, si la fortune (3)
s’oppose à nos desseins (4) et les empêche de réussir, nous aurons au moins la satisfaction de
n’avoir rien perdu par notre faute, et ne laisserons (5) pas de jouir de toute la béatitude naturelle
dont l’acquisition aura été en notre pouvoir.
DESCARTES
(1) « cependant » : pendant ce temps.
(2) « office » : fonction.
(3) « la fortune » : le hasard.
(4) « desseins » : projets.
(5) « laisser de » : manquer de.
QUESTIONS :
1° Dégagez la thèse de ce texte et montrez comment elle est établie.
2°
a) Expliquez : « de là viennent les dédains, les regrets et les repentirs » ;
b) en prenant appui sur l’analyse d’un exemple, montrez quel est « le vrai office de la raison » ;
c) expliquez : « nous aurons au moins la satisfaction de n’avoir rien perdu par notre faute ».
3° L’usage de la raison fournit-il la seule garantie possible de notre bonheur ?
- 81 -
[82] SUJET N° 82 - 10PHMIME3 - 2010 - Série TMD - METROPOLE - SESSION REMPL.
Les grands peintres sont des hommes auxquels remonte une certaine vision des choses qui est
devenue ou qui deviendra la vision de tous les hommes. Un Corot (1), un Turner (1), pour ne citer
que ceux-là, ont aperçu dans la nature bien des aspects que nous ne remarquions pas. - Dira-t-on
qu’ils n’ont pas vu, mais créé, qu’ils nous ont livré des produits de leur imagination, que nous
adoptons leurs inventions parce qu’elles nous plaisent, et que nous nous amusons simplement à
regarder la nature à travers l’image que les grands peintres nous en ont tracée ? - C’est vrai dans
une certaine mesure ; mais, s’il en était uniquement ainsi, pourquoi dirions-nous de certaines
œuvres - celles des maîtres - qu’elles sont vraies ? Où serait la différence entre le grand art et la
pure fantaisie ? Approfondissons ce que nous éprouvons devant un Turner ou un Corot : nous
trouverons que, si nous les acceptons et les admirons, c’est que nous avions déjà perçu quelque
chose de ce qu’ils nous montrent. Mais nous avions perçu sans apercevoir. C’était pour nous une
vision brillante et évanouissante, perdue dans la foule de ces visions également brillantes,
également évanouissantes, qui se recouvrent dans notre expérience usuelle comme des
« dissolving views » (2) et qui constituent, par leur interférence réciproque, la vision pâle et
décolorée que nous avons habituellement des choses. Le peintre l’a isolée ; il l’a si bien fixée sur
la toile que, désormais, nous ne pourrons nous empêcher d’apercevoir dans la réalité ce qu’il y a
vu lui-même.
BERGSON
(1) Corot et Turner sont des peintres du XIX° siècle.
(2) « dissolving views » : littéralement « vues fondantes ». Effet spécial ancêtre du fondu
enchaîné cinématographique : transformation d’un objet produite par la succession des images
sur l’écran (un même paysage au fil des saisons, par exemple).
QUESTIONS :
1° Formulez la thèse de ce texte et montrez comment elle est développée.
2°
a) En vous appuyant le cas échéant sur d’autres exemples que ceux de Bergson, expliquez :
« [Les grands peintres] ont aperçu dans la nature bien des aspects que nous ne remarquions
pas » ;
b) expliquez comment nous pouvons dire d’œuvres qui sont « des produits de [l’]imagination »
des artistes « qu’elles sont vraies » ;
c) expliquez : « désormais, nous ne pourrons nous empêcher d’apercevoir dans la réalité ce qu’il
y a vu lui-même ».
3° L’œuvre d’art nous fait-elle mieux voir la réalité ?
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[83] SUJET N° 83 - 10PHESLR1 - 2010 - Série ES - LA REUNION - SESSION NORMALE
Nul être matériel n’est actif par lui-même, et moi je le suis. On a beau me disputer cela, je le sens,
et ce sentiment qui me parle est plus fort que la raison qui le combat. J’ai un corps sur lequel les
autres agissent et qui agit sur eux ; cette action réciproque n’est pas douteuse ; mais ma volonté
est indépendante de mes sens ; je consens ou je résiste, je succombe ou je suis vainqueur, et je
sens parfaitement en moi-même quand je fais ce que j’ai voulu faire, ou quand je ne fais que
céder à mes passions. J’ai toujours la puissance de vouloir, non la force d’exécuter. Quand je me
livre aux tentations, j’agis selon l’impulsion des objets externes. Quand je me reproche cette
faiblesse, je n’écoute que ma volonté ; je suis esclave par mes vices, et libre par mes remords ; le
sentiment de ma liberté ne s’efface en moi que quand je me déprave, et que j’empêche enfin la
voix de l’âme de s’élever contre la loi du corps.
ROUSSEAU, Emile ou de l’éducation
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[84] SUJET N° 84 - 10PHLILR1 - 2010 - Série L - LA REUNION - SESSION NORMALE
La nature de l’amour-propre et de ce moi humain est de n’aimer que soi et de ne considérer que
soi. Mais que fera-t-il ? Il ne saurait empêcher que cet objet qu’il aime ne soit plein de défauts et
de misères : il veut être grand, il se voit petit ; il veut être heureux, et il se voit misérable ; il veut
être parfait, et il se voit plein d’imperfections ; il veut être l’objet de l’amour et de l’estime des
hommes, et il voit que ses défauts ne méritent que leur aversion et leur mépris. Cet embarras où il
se trouve produit en lui la plus injuste et la plus criminelle passion qu’il soit possible de
s’imaginer ; car il conçoit une haine mortelle contre cette vérité qui le reprend, et qui le convainc
de ses défauts. Il désirerait de l’anéantir, et, ne pouvant la détruire en elle-même il la détruit,
autant qu’il peut, dans sa connaissance et dans celle des autres ; c’est-à-dire qu’il met tout son
soin à couvrir ses défauts et aux autres et à soi-même, et qu’il ne peut souffrir qu’on les lui fasse
voir ni qu’on les voie. C’est sans doute un mal que d’être plein de défauts ; mais c’est encore un
plus grand mal que d’en être plein et de ne les vouloir pas reconnaître, puisque c’est y ajouter
encore celui d’une illusion volontaire.
PASCAL, Pensées
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[85] SUJET N° 85 - 10PHSCLR1 - 2010 - Série S - LA REUNION - SESSION NORMALE
Les croyances dogmatiques sont plus ou moins nombreuses, suivant les temps. Elles naissent de
différentes manières, et peuvent changer de forme et d’objet ; mais on ne saurait faire qu’il n’y ait
pas de croyances dogmatiques, c’est-à-dire d’opinions que les hommes reçoivent de confiance et
sans les discuter. Si chacun entreprenait lui-même de former toutes ses opinions et de poursuivre
isolément la vérité dans des chemins frayés par lui seul, il n’est pas probable qu’un grand nombre
d’hommes dût jamais se réunir dans aucune croyance commune.
Or, il est facile de voir qu’il n’y a pas de société qui puisse prospérer sans croyances semblables,
ou plutôt il n’y en a point qui subsistent ainsi ; car, sans idées communes, il n’y a pas d’action
commune, et, sans action commune, il existe encore des hommes, mais non un corps social. Pour
qu’il y ait société, et, à plus forte raison, pour que cette société prospère, il faut donc que tous les
esprits des citoyens soient toujours rassemblés et tenus ensemble par quelques idées principales ;
et cela ne saurait être, à moins que chacun d’eux ne vienne quelquefois puiser ses opinions à une
même source et ne consente à recevoir un certain nombre de croyances toutes faites.
TOCQUEVILLE, De la Démocratie en Amérique
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[86] SUJET N° 86 - 10PHLlP01 - 2010 - Série L - POLYNESIE - SESSION NORMALE
Si la constitution naturelle des hommes leur faisait désirer avec le plus d’ardeur ce qui tend à leur
plus haut intérêt, toute intervention expresse, en vue de faire régner la concorde et la bonne foi,
serait superflue. Mais telle n’est pas la pente habituelle de la nature humaine, on le sait. L’Etat
doit donc être organisé nécessairement de manière que tous, gouvernants et gouvernés - qu’ils
agissent de bon ou de mauvais gré - n’en mettent pas moins leur conduite au service du salut
général. En d’autres termes, il faut que tous, par force et par nécessité si ce n’est spontanément,
soient contraints de vivre selon la discipline de la raison. Pour que soit atteint ce résultat, le
fonctionnement de l’Etat sera réglé de telle sorte, qu’aucune affaire important au salut général ne
soit jamais confiée à un seul individu, présumé de bonne foi. Car l’homme le plus vigilant est
cependant assujetti au sommeil, par intervalles, le plus fort et le plus inébranlable est sujet à
faiblir ou à se laisser vaincre, aux moments précis où il aurait besoin de la plus grande énergie.
Nul, puisqu’il en est ainsi, ne serait assez sot pour exiger d’un semblable une conduite, qu’il sait
ne pouvoir s’imposer à soi-même : à savoir exiger que cet autre soit plus vigilant pour le compte
d’autrui que pour le sien, qu’il ne cède ni à la cupidité, ni à l’envie, ni à l’ambition, alors que
justement il est exposé chaque jour à l’assaut de tels sentiments.
SPINOZA, Traité de l’autorité politique
- 86 -
[87] SUJET N° 87 - 10PHLlP03 - 2010 - Série L - POLYNESIE - SESSION REMPL.
La société, qui est la mise en commun des énergies individuelles, bénéficie des efforts de tous et
rend à tous leur effort plus facile. Elle ne peut subsister que si elle se subordonne l’individu, elle
ne peut progresser que si elle le laisse faire : exigences opposées, qu’il faudrait réconcilier. Chez
l’insecte, la première condition est seule remplie. Les sociétés de fourmis et d’abeilles sont
admirablement disciplinées et unies, mais figées dans une immuable routine. Si l’individu s’y
oublie lui-même, la société oublie aussi sa destination ; l’un et l’autre, en état de somnambulisme,
font et refont indéfiniment le tour du même cercle, au lieu de marcher, droit en avant, à une
efficacité sociale plus grande et à une liberté individuelle plus complète. Seules, les sociétés
humaines tiennent fixées devant leurs yeux les deux buts à atteindre. En lutte avec elles-mêmes et
en guerre les unes avec les autres, elles cherchent visiblement, par le frottement et par le choc, à
arrondir des angles, à user des antagonismes, à éliminer des contradictions, à faire que les
volontés individuelles s’insèrent sans se déformer dans la volonté sociale et que les diverses
sociétés entrent à leur tour, sans perdre leur originalité ni leur indépendance, dans une société
plus vaste.
BERGSON, L’Energie Spirituelle
- 87 -
[88] SUJET N° 88 - 10PHESP01 - 2010 - Série ES - POLYNESIE - SESSION NORMALE
Si les hommes avaient un souci de la justice assez inflexible pour s’abstenir de toucher aux biens
d’autrui, ils seraient restés pour toujours dans un état d’absolue liberté sans se soumettre à un
magistrat ou une société politique, mais c’est là un état de perfection dont la nature humaine est
jugée incapable. De même, si tous les hommes possédaient un entendement assez parfait pour
toujours connaître leur propre intérêt, ils ne se seraient soumis qu’à une forme de gouvernement
qui aurait été établie par consentement et qui aurait été pleinement examinée par tous les
membres de la société. Mais cet état de perfection est encore plus au-delà de la nature humaine.
La raison, l’histoire et l’expérience nous montrent que toutes les sociétés politiques ont eu une
origine beaucoup moins précise et régulière. Si l’on devait choisir une période où l’avis du peuple
est le moins pris en compte, ce serait précisément pendant l’établissement d’un nouveau
gouvernement. Quand la constitution est établie, on tient davantage compte de l’inclination du
peuple mais, dans la fureur des révolutions, des conquêtes et des convulsions publiques, c’est la
force militaire ou l’art politique qui décide de la controverse.
HUME, Essai sur le contrat originel
- 88 -
[89] SUJET N° 89 - 10PHESPO3 - 2010 - Série ES - POLYNESIE - SESSION REMPL.
L’homme a des pensées fort diverses et d’autres pourraient comme lui en tirer plaisir et profit ;
mais toutes demeurent en son sein, invisibles et cachées aux autres et ne peuvent d’elles-mêmes
devenir manifestes. Les avantages et les bénéfices de la vie sociale sont inaccessibles sans
communication des pensées ; aussi a-t-il fallu que l’homme trouve des signes sensibles externes
permettant de faire connaître aux autres les idées invisibles dont sont constituées ses pensées. A
cette fin rien n’est plus adapté, par leur fécondité aussi bien que leur brièveté, que les sons
articulés que l’homme s’est trouvé capable de créer avec tant de facilité et de variété. Ainsi, peuton penser, est-il arrivé que les mots, naturellement si bien adaptés à leur but, ont été utilisés par
les hommes comme signes de leurs idées : non par la liaison naturelle qui existerait entre des sons
articulés particuliers et certaines idées (il n’y aurait alors qu’une seule langue par toute
l’humanité), mais par l’institution volontaire qui fait qu’un mot devient arbitrairement la marque
de telle idée. L’utilité des mots est donc d’être la marque sensible des idées, et les idées dont ils
tiennent lieu sont leur signification propre et immédiate.
LOCKE, Essai sur l’entendement humain
- 89 -
[90] SUJET N° 90 - 10PHTEPO1 - 2010 - Série TECHN. - POLYNESIE - SESSION
NORMALE
Il reste à dire maintenant en quoi l’artiste diffère de l’artisan. Toutes les fois que l’idée précède et
règle l’exécution, c’est industrie (1). Et encore est-il vrai que l’œuvre souvent, même dans
l’industrie, redresse l’idée en ce sens que l’artisan trouve mieux qu’il n’avait pensé dès qu’il
essaye ; en cela il est artiste, mais par éclairs. Toujours est-il que la représentation d’une idée
dans une chose, je dis même d’une idée bien définie comme le dessin d’une maison, est une
œuvre mécanique seulement, en ce sens qu’une machine bien réglée d’abord ferait l’œuvre à
mille exemplaires. Pensons maintenant au travail du peintre de portrait ; il est clair qu’il ne peut
avoir le projet de toutes les couleurs qu’il emploiera à l’œuvre qu’il commence ; l’idée lui vient à
mesure qu’il fait ; il serait même plus rigoureux de dire que l’idée lui vient ensuite, comme au
spectateur, et qu’il est spectateur aussi de son œuvre en train de naître. Et c’est là le propre de
l’artiste. Il faut que le génie ait la grâce de nature, et s’étonne lui-même. Un beau vers n’est pas
d’abord en projet, et ensuite fait ; mais il se montre beau au poète ; et la belle statue se montre
belle au sculpteur, à mesure qu’il la fait ; et le portrait naît sous le pinceau.
ALAIN
(1) « industrie » : ici, habileté technique.
QUESTIONS :
1° Formulez la thèse de ce texte et montrez comment elle est établie.
2° En vous appuyant sur les exemples du texte ou d’autres que vous choisirez, expliquez :
a) « l’œuvre souvent, même dans l’industrie, redresse l’idée » ;
b) « la représentation d’une idée dans une chose (…) est une œuvre mécanique seulement » ;
c) « l’idée lui vient à mesure qu’il fait ».
3° Est-ce l’œuvre qui révèle à l’artiste ce qu’il fait ?
- 90 -
[91] SUJET N° 91 - 10PHTEPO3 - 2010 - Série TECHN. - POLYNESIE - SESSION REMPL.
Le concept de bonheur est un concept si indéterminé, que, malgré le désir qu’a tout homme
d’arriver à être heureux, personne ne peut jamais dire en termes précis et cohérents ce que
véritablement il désire et il veut. La raison en est que tous les éléments qui font partie du concept
du bonheur sont dans leur ensemble empiriques, c’est-à-dire qu’ils doivent être empruntés à
l’expérience, et que cependant, pour l’idée du bonheur, un tout absolu, un maximum de bien-être
dans mon état présent et dans toute ma condition future, est nécessaire. Or il est impossible qu’un
être fini, si clairvoyant et en même temps si puissant qu’on le suppose, se fasse un concept
déterminé de ce qu’il veut ici véritablement. Veut-il la richesse ? Que de soucis, que d’envie, que
de pièges ne peut-il pas par là attirer sur sa tête ! Veut-il beaucoup de connaissances et de
lumières ? Peut-être cela ne fera-t-il que lui donner un regard plus pénétrant pour lui représenter
d’une manière d’autant plus terrible les maux qui jusqu’à présent se dérobent encore à sa vue et
qui sont pourtant inévitables, ou bien que charger de plus de besoins encore ses désirs qu’il a déjà
bien assez de peine à satisfaire. Veut-il une longue vie ? Qui lui garantit que ce ne serait pas une
longue souffrance ? Veut-il du moins la santé ? Que de fois l’indisposition du corps a détourné
d’excès où aurait fait tomber une santé parfaite, etc. ! Bref, il est incapable de déterminer avec
une entière certitude d’après quelque principe ce qui le rendrait véritablement heureux : pour
cela, il lui faudrait l’omniscience (1).
KANT
(1) « l’omniscience » : la connaissance totale, complète.
QUESTIONS :
1° Dégagez la thèse de ce texte et montrez comment elle est établie.
2°
a) en vous appuyant sur les exemples du texte (lignes 8 à 15), dites pourquoi « les éléments qui
font partie du concept du bonheur » (…) « doivent être empruntés à l’expérience » ;
b) pourquoi alors sont-ils incompatibles avec la définition du bonheur des lignes 5 à 6 ?
3° Est-il impossible de savoir ce qui nous rendrait heureux ?
- 91 -
[92] SUJET N° 92 - 10PHSCAN1 - 2010 - Série S - AMERIQUE DU NORD - SESSION
NORMALE
C’est par la société seule que l’homme est capable de suppléer à ses déficiences, de s’élever à
l’égalité avec ses compagnons de création et même d’acquérir sur eux la supériorité. La société
compense toutes ses infirmités ; bien que, dans ce nouvel état, ses besoins se multiplient à tout
moment, ses capacités sont pourtant encore augmentées et le laissent, à tous égards, plus satisfait
et plus heureux qu’il lui serait jamais possible de le devenir dans son état de sauvagerie et de
solitude. Quand chaque individu travaille isolément et seulement pour lui-même, ses forces sont
trop faibles pour exécuter une œuvre importante ; comme il emploie son labeur à subvenir à
toutes ses différentes nécessités, il n’atteint jamais à la perfection dans aucun art particulier ;
comme ses forces et ses succès ne demeurent pas toujours égaux à eux-mêmes, le moindre échec
sur l’un ou l’autre de ces points s’accompagne nécessairement d’une catastrophe inévitable et de
malheur. La société fournit un remède à ces trois désavantages. L’union des forces accroît notre
pouvoir ; la division des tâches accroît notre capacité ; l’aide mutuelle fait que nous sommes
moins exposés au sort et aux accidents. C’est ce supplément de force, de capacité et de sécurité
qui fait l’avantage de la société.
HUME, Traité de la nature humaine
- 92 -
[93] SUJET N° 93 - 10PHESAN1 - 2010 - Série ES - AMERIQUE DU NORD - SESSION
NORMALE
la question du libre arbitre demeure (…). Quelles que soient les considérations auxquelles on se
livre sur le plan de la haute métaphysique, il est bien évident que personne n’y croit en pratique.
On a toujours cru qu’il était possible de former le caractère ; on a toujours su que l’alcool ou
l’opium ont quelque influence sur le comportement. Le défenseur du libre arbitre soutient qu’on
peut à son gré éviter de s’enivrer, mais il ne soutient pas que lorsqu’on est ivre on puisse articuler
les syllabes de Constitution britannique de manière aussi claire qu’à jeun. Et quiconque a eu
affaire à des enfants sait qu’une éducation convenable contribue davantage à les rendre sages que
les plus éloquentes exhortations. La seule conséquence, en fait, de la théorie du libre arbitre, c’est
qu’elle empêche de suivre les données du bon sens jusqu’à leur conclusion rationnelle. Quand un
homme se conduit de façon brutale, nous le considérons intuitivement comme méchant, et nous
refusons de regarder en face le fait que sa conduite résulte de causes antérieures, lesquelles, si
l’on remontait assez loin, nous entraîneraient bien au-delà de sa naissance, donc jusqu’à des
événements dont il ne saurait être tenu pour responsable, quelque effort d’imagination que nous
fissions.
RUSSELL, Le Mariage et la morale
- 93 -
[94] SUJET N° 94 - 10PHLIANA1 - 2010 - Série L - AMERIQUE DU NORD - SESSION
NORMALE
Seules (…) la douleur et la privation peuvent produire une impression positive et par là se
dénoncer d’elles-mêmes : le bien-être, au contraire, n’est que pure négation. Aussi, n’apprécionsnous pas les trois plus grands biens de la vie, la santé, la jeunesse et la liberté, tant que nous les
possédons ; pour en comprendre la valeur, il faut que nous les ayons perdus, car ils sont aussi
négatifs. Que notre vie était heureuse, c’est ce dont nous ne nous apercevons qu’au moment où
ces jours heureux ont fait place à des jours malheureux. Autant les jouissances augmentent,
autant diminue l’aptitude à les goûter : le plaisir devenu habitude n’est plus éprouvé comme tel.
Mais par là même grandit la faculté de ressentir la souffrance ; car la disparition d’un plaisir
habituel cause une impression douloureuse. Ainsi la possession accroît la mesure de nos besoins,
et du même coup la capacité de ressentir la douleur. - Le cours des heures est d’autant plus rapide
qu’elles sont plus agréables, d’autant plus lent qu’elles sont plus pénibles ; car le chagrin, et non
le plaisir, est l’élément positif, dont la présence se fait remarquer. De même nous avons
conscience du temps dans les moments d’ennui, non dans les instants agréables. Ces deux faits
prouvent que la partie la plus heureuse de notre existence est celle où nous la sentons le moins ;
d’où il suit qu’il vaudrait mieux pour nous ne la pas posséder.
SCHOPENHAUER, Le Monde comme volonté et comme représentation
- 94 -
[95] SUJET N° 95 - 10PHTEAG3 - 2010 - Série TECHN. - ANTILLES - SESSION REMPL.
Représentez-vous (…) un être affranchi de toute limitation extérieure, un despote plus absolu
encore que ceux dont nous parle l’histoire, un despote qu’aucune puissance extérieure ne vienne
contenir et régler. Par définition, les désirs d’un tel être sont irrésistibles. Dirons-nous donc qu’il
est tout-puissant ? Non certes, car lui-même ne peut leur résister. Ils sont maîtres de lui comme
du reste des choses. Il les subit, il ne les domine pas. En un mot, quand nos tendances sont
affranchies de toute mesure, quand rien ne les borne, elles deviennent elles-mêmes tyranniques,
et leur premier esclave, c’est le sujet même qui les éprouve. Aussi, vous savez quel triste
spectacle il nous donne. Les penchants les plus contraires, les caprices les plus antinomiques (1)
se succèdent les uns aux autres, entraînant ce souverain soi-disant absolu dans les sens les plus
divergents, si bien que cette toute-puissance apparente se résout finalement en une véritable
impuissance. Un despote est comme un enfant : il en a les faiblesses, et pour la même raison.
C’est qu’il n’est pas maître de lui-même. La maîtrise de soi, voilà la première condition de tout
pouvoir vrai, de toute liberté digne de ce nom.
DURKHEIM
(1) « antinomiques » : contradictoires.
QUESTIONS :
1° Dégagez la thèse de ce texte et montrez comment elle est établie.
2°
a) Pour quelle raison croit-on qu’un despote absolu serait tout-puissant ? (lignes 1 à 3)
b) expliquez : « leur premier esclave, c’est le sujet même qui les éprouve ». Dites pourquoi
« cette toute-puissance apparente se résout finalement en une véritable impuissance ».
3° Pour être libre, faut-il être maître de soi ?
- 95 -
[96] SUJET N° 96 - 10PHESJA1 - 2010 - Série ES - JAPON - SESSION NORMALE
Tout vouloir procède d’un besoin, c’est-à-dire d’une privation, c’est-à-dire d’une souffrance. La
satisfaction y met fin ; mais pour un désir qui est satisfait, dix au moins sont contrariés ; de plus,
le désir est long, et ses exigences tendent à l’infini ; la satisfaction est courte, et elle est
parcimonieusement mesurée. Mais ce contentement suprême n’est lui-même qu’apparent ; le
désir satisfait fait place aussitôt à un nouveau désir : le premier est une déception reconnue, le
second est une déception non encore reconnue. La satisfaction d’aucun souhait ne peut procurer
de contentement durable et inaltérable. C’est comme l’aumône qu’on jette à un mendiant : elle lui
sauve aujourd’hui la vie pour prolonger sa misère jusqu’à demain. Tant que notre conscience est
remplie par notre volonté, tant que nous sommes asservis à l’impulsion du désir, aux espérances
et aux craintes continuelles qu’il fait naître, tant que nous sommes sujets du vouloir, il n’y a pour
nous ni bonheur durable, ni repos. Poursuivre ou fuir, craindre le malheur ou chercher la
jouissance, c’est en réalité tout un ; l’inquiétude d’une volonté toujours exigeante, sous quelque
forme qu’elle se manifeste, emplit et trouble sans cesse la conscience ; or sans repos le véritable
bonheur est impossible.
SCHOPENHAUER, Le Monde comme volonté et comme représentation
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[97] SUJET N° 97 - 10PHSCJA - 2010 - Série S - JAPON - SESSION NORMALE
Si la volonté des peuples, les décrets des chefs, les sentences des juges faisaient le droit, pour
créer le droit au brigandage, à l’adultère, à la falsification des testaments, il suffirait que ces
façons d’agir eussent le suffrage et l’approbation de la multitude. Si les opinions et les votes des
insensés ont une puissance telle qu’ils puissent changer la nature des choses, pourquoi ne
décideraient-ils pas que ce qui est mauvais et pernicieux sera désormais tenu pour bon et
salutaire ? Ou pourquoi la loi qui de l’injuste peut faire le droit, ne convertirait-elle pas le bien en
mal ? C’est que, pour distinguer une bonne loi d’une mauvaise, nous n’avons d’autre règle que la
nature. Et non seulement la nature nous fait distinguer le droit de l’injustice, mais, d’une manière
générale, les choses moralement belles de celles qui sont laides ; car une sorte d’intelligence
partout répandue nous les fait connaître, et incline nos âmes à identifier les premières aux vertus,
les secondes aux vices. Or croire que ces distinctions sont de pure convention et non fondées en
nature, c’est de la folie.
CICERON, Des Lois
- 97 -
[98] SUJET N° 98 - 10PTSTMDLR1 - 2010 - Série TECHN. - LA REUNION - SESSION
NORMALE
Réserver ou suspendre notre jugement, cela consiste à décider de ne pas permettre à un jugement
provisoire de devenir définitif. Un jugement provisoire est un jugement par lequel je me
représente qu’il y a plus de raison pour la vérité d’une chose que contre sa vérité, mais que
cependant ces raisons ne suffisent pas encore pour que je porte un jugement déterminant ou
définitif par lequel je décide franchement de sa vérité. Le jugement provisoire est donc un
jugement dont on a conscience qu’il est simplement problématique.
On peut suspendre le jugement à deux fins : soit en vue de chercher les raisons du jugement
définitif, soit en vue de ne jamais juger. Dans le premier cas la suspension du jugement s’appelle
critique (...) ; dans le second elle est sceptique (...). Car le sceptique renonce à tout jugement, le
vrai philosophe au contraire suspend simplement le sien tant qu’il n’a pas de raisons suffisantes
de tenir quelque chose pour vrai.
KANT
QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée principale du texte, puis les étapes de son argumentation.
2° Expliquez :
a) « Un jugement par lequel je me représente qu’il y a plus de raison pour la vérité d’une chose
que contre sa vérité » ;
b) « Car le sceptique renonce à tout jugement, le vrai philosophe au contraire suspend
simplement le sien ».
3° Suspendre son jugement, est-ce toujours renoncer à la vérité ?
- 98 -
[99] SUJET N° 99 - 10PHTEME1 - 2010 - Série TECHN. - METROPOLE - SESSION
NORMALE
La communauté politique la plus libre est celle dont les lois s’appuient sur la saine raison. Car,
dans une organisation fondée de cette manière, chacun, s’il le veut, peut être libre, c’est-à-dire
s’appliquer de tout son cœur à vivre raisonnablement. De même, les enfants, bien qu’obligés
d’obéir à tous les ordres de leurs parents, ne sont cependant pas des esclaves ; car les ordres des
parents sont inspirés avant tout par l’intérêt des enfants. Il existe donc selon nous une grande
différence entre un esclave, un fils, un sujet, et nous formulerons les définitions suivantes :
l’esclave est obligé de se soumettre à des ordres fondés sur le seul intérêt de son maître ; le fils
accomplit sur l’ordre de ses parents des actions qui sont dans son intérêt propre ; le sujet enfin
accomplit sur l’ordre de la souveraine Puissance (1) des actions visant à l’intérêt général et qui
sont par conséquent aussi dans son intérêt particulier.
SPINOZA
(1) « la souveraine Puissance » : l’instance qui détient l’autorité politique.
QUESTIONS :
1° Dégagez la thèse de ce texte et montrez comment elle est établie.
2°
a) Montrez en quoi l’obéissance de l’enfant et du sujet se distingue de l’obéissance de l’esclave.
b) Pourquoi le sujet agit-il « aussi dans son intérêt particulier » lorsqu’il accomplit « des actions
visant à l’intérêt général » ?
c) Quelle est la définition de la liberté sur laquelle s’appuie l’argumentation de Spinoza ?
Expliquez-la en vous servant des exemples du texte.
3° Est-on d’autant plus libre que les lois auxquelles on obéit s’appuient sur la raison ?
- 99 -
[100] SUJET N° 100 - 10PHMIME1 - 2010 - Série TMD - METROPOLE - SESSION
NORMALE
C’est l’imagination qui étend pour nous la mesure des possibles, soit en bien, soit en mal, et qui,
par conséquent, excite et nourrit les désirs par l’espoir de les satisfaire. mais l’objet qui paraissait
d’abord sous la main fuit plus vite qu’on ne peut le poursuivre ; quand on croit l’atteindre, il se
transforme et se montre au loin devant nous. Ne voyant plus le pays déjà parcouru, nous le
comptons pour rien ; celui qui reste à parcourir s’agrandit, s’étend sans cesse. Ainsi l’on s’épuise
sans arriver au terme ; et plus nous gagnons sur la jouissance, plus le bonheur s’éloigne de nous.
Au contraire, plus l’homme est resté près de sa condition naturelle, plus la différence de ses
facultés à ses désirs est petite, et moins par conséquent il est éloigné d’être heureux. Il n’est
jamais moins misérable que quand il paraît dépourvu de tout ; car la misère ne consiste pas dans
la privation des choses, mais dans le besoin qui s’en fait sentir.
ROUSSEAU
QUESTIONS :
1° Formulez la thèse de ce texte et montrez comment elle est établie.
2° Expliquez :
a) « l’imagination (…) étend pour nous la mesure des possibles » ;
b) « plus nous gagnons sur la jouissance, plus le bonheur s’éloigne de nous » ;
c) « la différence de ses facultés à ses désirs » ;
d) « la misère ne consiste pas dans la privation des choses, mais dans le besoin qui
s’en fait sentir ».
3° Etre heureux, est-ce ne désirer que ce que nous sommes en mesure d’obtenir ?
- 100 -
[101] SUJET N° 101 - 10PHTEG11 - 2010 - Série TECHN. - ETRANGER GROUPE 1 SESSION NORMALE
« Certes, ce sont les faibles, la masse des gens, qui établissent les lois, j’en suis sûr. C’est donc en
fonction d’eux-mêmes et de leur intérêt personnel que les faibles font les lois, qu’ils attribuent
des louanges, qu’ils répartissent des blâmes. Ils veulent faire peur aux hommes plus forts qu’eux
et qui peuvent leur être supérieurs. C’est pour empêcher que ces hommes ne leur soient
supérieurs qu’ils disent qu’il est mauvais, qu’il est injuste, d’avoir plus que les autres et que
l’injustice consiste justement à vouloir avoir plus. Car, ce qui plaît aux faibles, c’est d’avoir l’air
d’être égaux à de tels hommes, alors qu’ils leur sont inférieurs.
Et quand on dit qu’il est injuste, qu’il est mauvais de vouloir avoir plus que la plupart des gens,
on s’exprime en se référant à la loi. Or, au contraire, il est évident, selon moi, que la justice
consiste en ce que le meilleur ait plus que le moins bon et le plus fort plus que le moins fort.
Partout il en est ainsi, c’est ce que la nature enseigne, chez toutes les espèces animales, chez
toutes les races humaines et dans toutes les cités ! Si le plus fort domine le moins fort et s’il est
supérieur à lui, c’est là le signe que c’est juste. »
PLATON, Gorgias (discours de Calliclès, adversaire de Socrate)
QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée principale du texte et les étapes de son argumentation.
2° Expliquez :
a) « Ce sont les faibles, la masse des gens, qui établissent les lois » ;
b) « Ce qui plaît aux faibles, c’est d’avoir l’air d’être égaux à de tels hommes » ;
c) la justice consiste en ce que le meilleur ait plus que le moins bon et le plus fort plus que le
moins fort. (…) C’est ce que la nature enseigne ».
3° Peut-on justifier le droit du plus fort ?
- 101 -
[102] SUJET N° 102 - 10PHSCPO1 - 2010 - Série S - POLYNESIE - SESSION NORMALE
Dans tous les Etats, le pouvoir de ceux qui gouvernent doit être exercé selon des lois publiées et
reçues, non par des arrêts faits sur-le-champ, et par des résolutions arbitraires : car autrement, on
se trouverait dans un plus triste et plus dangereux état que n’est l’état de nature, si l’on avait armé
du pouvoir réuni de toute une multitude, une personne, ou un certain nombre de personnes, afin
qu’elles se fissent obéir selon leur plaisir, sans garder aucunes bornes, et conformément aux
décrets arbitraires de la première pensée qui leur viendrait, sans avoir jusqu’alors donné à
connaître leur volonté, ni observé aucunes règles qui pussent justifier leurs actions. Tout le
pouvoir d’un gouvernement n’étant établi que pour le bien de la société, comme il ne saurait, par
cette raison, être arbitraire et être exercé suivant le bon plaisir, aussi doit-il être exercé suivant les
lois établies et connues ; en sorte que le peuple puisse connaître son devoir, et être en sûreté à
l’ombre de ces lois ; et qu’en même temps les gouverneurs se tiennent dans de justes bornes, et ne
soient point tentés d’employer le pouvoir qu’ils ont entre les mains, pour suivre leurs passions et
leurs intérêts, pour faire des choses inconnues et désavantageuses à la société politique, et qu’elle
n’aurait garde d’approuver.
LOCKE, Traité du gouvernement civil
- 102 -
[103] SUJET N° 103 - 10PHSCPOS - 2010 - Série S - POLYNESIE - SESSION REMPL.
Toute faute renferme une contradiction. Du moment que l’homme en faute n’a pas l’intention de
commettre une faute, mais bien d’agir comme il faut, il est évident qu’il ne fait pas ce qu’il veut.
Que veut faire un voleur ? Un acte avantageux pour lui. Donc, s’il n’est pas avantageux de voler,
il ne fait pas ce qu’il veut. Une âme naturellement raisonnable se détourne de la contradiction :
tant qu’elle n’a pas conscience d’être dans la contradiction, rien ne l’empêche de faire des choses
contradictoires ; mais, dès qu’elle en prend conscience, il est nécessaire qu’elle s’en abstienne et
la fuie ; de même, c’est une dure nécessité, lorsque l’on s’aperçoit d’une erreur, de s’y refuser ;
tant qu’elle ne vous apparaît pas telle, on l’approuve en la prenant pour vraie. Il est habile à parler
sans doute, mais il est aussi bon conseiller et bon critique, celui qui est capable d’indiquer à
chacun la contradiction qui le met en faute et de lui montrer clairement qu’il ne fait pas ce qu’il
veut et qu’il fait ce qu’il ne veut pas.
EPICTETE, Entretiens
- 103 -
[104] SUJET N° 104 - 10PHESNC1 - 2010 - Série ES - NOUVELLE-CALEDONIE - SESSION
NORMALE
Mais quelle ingratitude, quelle courte vue en somme que d’aspirer à une suppression de la
culture ! Ce qui subsiste alors, c’est l’état de nature, et il est de beaucoup plus lourd à supporter.
C’est vrai, la nature ne nous demanderait aucune restriction pulsionnelle, elle nous laisserait faire,
mais elle a sa manière particulièrement efficace de nous limiter, elle nous met à mort, froidement,
cruellement, sans ménagement aucun, à ce qu’il nous semble, parfois juste quand nous avons des
occasions de satisfaction. C’est précisément à cause de ces dangers dont la nature nous menace
que nous nous sommes rassemblés et que nous avons créé la culture qui doit aussi, entre autres,
rendre possible notre vie en commun. C’est en effet la tâche principale de la culture, le véritable
fondement de son existence, que de nous défendre contre la nature.
On sait que, sur bien des points, elle y parvient d’ores et déjà relativement bien, elle fera
manifestement beaucoup mieux plus tard. Mais aucun être humain ne cède au leurre de croire que
la nature est dès à présent soumise à notre contrainte, rares sont ceux qui osent espérer qu’elle
sera un jour entièrement assujettie à l’homme. Il y a les éléments qui semblent se rire de toute
contrainte humaine, la terre qui tremble, se déchire, ensevelit tout ce qui est humain et œuvre de
l’homme, l’eau qui en se soulevant submerge et noie toutes choses, la tempête qui les balaie dans
son souffle, il y a les maladies que nous reconnaissons, depuis peu seulement, comme des
agressions d’autres êtres vivants, enfin l’énigme douloureuse de la mort, contre laquelle jusqu’à
présent aucune panacée (1) n’a été trouvée, ni ne le sera vraisemblablement jamais. Forte de ces
pouvoirs, la nature s’élève contre nous, grandiose, cruelle, inexorable, elle nous remet sous les
yeux notre faiblesse et notre détresse, auxquelles nous pensions nous soustraire grâce au travail
culturel.
FREUD, L’Avenir d’une illusion
(1) « panacée » : remède universel
- 104 -
[105] SUJET N° 105 - 10PTSTMDNC1 - 2010 - Série TECHN. - NOUVELLE-CALEDONIE SESSION NORMALE
Si les hommes avaient le pouvoir d’organiser les circonstances de leur vie au gré de leurs
intentions, ou si le hasard leur était toujours favorable, ils ne seraient pas en proie à la
superstition. Mais on les voit souvent acculés à une situation si difficile, qu’ils ne savent plus
quelle résolution prendre ; en outre, comme leur désir immodéré des faveurs capricieuses du sort
les ballotte misérablement entre l’espoir et la crainte, ils sont en général très enclins à la crédulité.
Lorsqu’ils se trouvent dans le doute, surtout concernant l’issue d’un événement qui leur tient à
cœur, la moindre impulsion les entraîne tantôt d’un côté, tantôt de l’autre ; en revanche, dès qu’ils
se sentent sûrs d’eux-mêmes, ils sont vantards et gonflés de vanité. Ces aspects de la conduite
humaine sont, je crois, fort connus, bien que la plupart des hommes ne se les appliquent pas… En
effet, pour peu qu’on ait la moindre expérience de ceux-ci, on a observé qu’en période de
prospérité, les plus incapables débordent communément de sagesse, au point qu’on leur ferait
injure en leur proposant un avis. Mais la situation devient-elle difficile ? Tout change : ils ne
savent plus à qui s’en remettre, supplient le premier venu de les conseiller, tout prêts à suivre la
suggestion la plus déplacée, la plus absurde ou la plus illusoire ! D’autre part, d’infimes motifs
suffisent à réveiller en eux soit l’espoir, soit la crainte. Si, par exemple, pendant que la frayeur les
domine, un incident quelconque leur rappelle un bon ou mauvais souvenir, ils y voient le signe
d’une issue heureuse ou malheureuse ; pour cette raison, et bien que l’expérience leur en ait
donné cent fois le démenti, ils parlent d’un présage soit heureux, soit funeste.
SPINOZA
QUESTIONS :
1° Dégagez la thèse principale du texte et les étapes de son argumentation.
2° Expliquez :
a) « leur désir immodéré des faveurs capricieuses du sort les ballotte misérablement entre l’espoir
et la crainte » ;
b) « Si, par exemple, pendant que la frayeur les domine, un incident quelconque leur rappelle un
bon ou mauvais souvenir, ils y voient le signe d’une issue heureuse ou malheureuse. »
3° Toute croyance est-elle un effet de l’incertitude ?
- 105 -
[106] SUJET N° 106 - 09PHMIME1 - 2009 - Série TMD - METROPOLE - SESSION
NORMALE
Le portrait achevé s’explique par la physionomie du modèle, par la nature de l’artiste, par les
couleurs délayées sur la palette ; mais, même avec la connaissance de ce qui l’explique, personne,
pas même l’artiste, n’eût pu prévoir exactement ce que serait le portrait, car le prédire eût été le
produire avant qu’il fût produit, hypothèse absurde qui se détruit elle-même. Ainsi pour les
moments de notre vie, dont nous sommes les artisans. Chacun d’eux est une espèce de création.
Et de même que le talent du peintre se forme ou se déforme, en tout cas se modifie, sous
l’influence même des œuvres qu’il produit, ainsi chacun de nos états, en même temps qu’il sort
de nous, modifie notre personne, étant la forme nouvelle que nous venons de nous donner. On a
donc raison de dire que ce que nous faisons dépend de ce que nous sommes ; mais il faut ajouter
que nous sommes, dans une certaine mesure, ce que nous faisons, et que nous nous créons
continuellement nous-mêmes. Cette création de soi par soi est d’autant plus complète, d’ailleurs,
qu’on raisonne mieux sur ce qu’on fait.
BERGSON
QUESTIONS :
1° Dégagez la thèse du texte et les étapes de son argumentation.
2° Expliquez :
a) « car le prédire eût été le produire avant qu’il fût produit » ;
b) « ainsi chacun de nos états. en même temps qu’il sort de nous, modifie notre personne » ;
c) « nous nous créons continuellement nous-mêmes ».
3° Sommes-nous ce que nous faisons ?
- 106 -
[107] SUJET N° 107 - 09PHESME1 - 2009 - Série ES - METROPOLE - SESSION NORMALE
Quant à savoir s’il existe le moindre principe moral qui fasse l’accord de tous, j’en appelle à toute
personne un tant soit peu versée dans l’histoire de l’humanité, qui ait jeté un regard plus loin que
le bout de son nez. Où trouve-t-on cette vérité pratique universellement acceptée sans doute ni
problème aucun, comme devrait l’être une vérité innée ? La justice et le respect des contrats
semblent faire l’accord du plus grand nombre ; c’est un principe qui, pense-t-on, pénètre jusque
dans les repaires de brigands, et dans les bandes des plus grands malfaiteurs ; et ceux qui sont
allés le plus loin dans l’abandon de leur humanité respectent la fidélité et la justice entre eux. Je
reconnais que les hors-la-loi eux-mêmes les respectent entre eux ; mais ces règles ne sont pas
respectées comme des lois de nature innées : elles sont appliquées comme des règles utiles dans
leur communauté ; et on ne peut concevoir que celui qui agit correctement avec ses complices
mais pille et assassine en même temps le premier honnête homme venu, embrasse la justice
comme un principe pratique. La justice et la vérité sont les liens élémentaires de toute société :
même les hors-la-loi et les voleurs, qui ont par ailleurs rompu avec le monde, doivent donc garder
entre eux la fidélité et les règles de l’équité, sans quoi ils ne pourraient rester ensemble. Mais qui
soutiendrait que ceux qui vivent de fraude et de rapine ont des principes innés de vérité et de
justice, qu’ils acceptent et reconnaissent ?
LOCKE, Essai sur l’entendement humain
- 107 -
[108] SUJET N° 108 - 09PHESPO3 - 2009 - Série ES - POLYNESIE - SESSION REMPL.
La pitié est un sentiment naturel, qui modérant dans chaque individu l’activité de l’amour de soimême, concourt à la conservation mutuelle de toute l’espèce. C’est elle qui nous porte sans
réflexion au secours de ceux que nous voyons souffrir ; c’est elle qui, dans l’état de nature, tient
lieu de lois, de mœurs et de vertu, avec cet avantage que nul n’est tenté de désobéir à sa douce
voix ; c’est elle qui détournera tout sauvage robuste d’enlever à un faible enfant, ou à un vieillard
infirme, sa subsistance acquise avec peine, si lui-même espère pouvoir trouver la sienne ailleurs ;
c’est elle qui, au lieu de cette maxime sublime de justice raisonnée : Fais à autrui comme tu veux
qu’on te fasse, inspire à tous les hommes cette autre maxime de bonté naturelle bien moins
parfaite, mais plus utile peut-être que la précédente : Fais ton bien avec le moindre mal d’autrui
qu’il est possible. C’est, en un mot, dans ce sentiment naturel, plutôt que dans des arguments
subtils, qu’il faut chercher la cause de la répugnance que tout homme éprouverait à mal faire,
même indépendamment des maximes de l’éducation.
ROUSSEAU, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes
- 108 -
[109] SUJET N° 109 - 09PHESPO1 - 2009 - Série ES - POLYNESIE - SESSION NORMALE
C’est la société qui trace à l’individu le programme de son existence quotidienne. On ne peut
vivre en famille, exercer sa profession, vaquer aux mille soins de la vie journalière, faire ses
emplettes, se promener dans la rue ou même rester chez soi, sans obéir à des prescriptions et se
plier à des obligations. Un choix s’impose à tout instant ; nous optons naturellement pour ce qui
est conforme à la régie. C’est à peine si nous en avons conscience ; nous ne faisons aucun effort.
Une route a été tracée par la société ; nous la trouvons ouverte devant nous et nous la suivons ; il
faudrait plus d’initiative pour prendre à travers champs. Le devoir, ainsi entendu, s’accomplit
presque toujours automatiquement ; et l’obéissance au devoir, si l’on s’en tenait au cas le plus
fréquent, se définirait un laisser-aller ou un abandon. D’où vient donc que cette obéissance
apparaît au contraire comme un état de tension, et le devoir lui-même comme une chose raide et
dure ? C’est évidemment que des cas se présentent où l’obéissance implique un effort sur soimême. Ces cas sont exceptionnels ; mais on les remarque, parce qu’une conscience intense les
accompagne, comme il arrive pour toute hésitation ; à vrai dire, la conscience est cette hésitation
même, l’acte qui se déclenche tout seul passant à peu près inaperçu.
BERGSON, Les deux Sources de la morale et de la religion
- 109 -
[110] SUJET N° 110 - 09PHLILR1 - 2009 - Série L - LA REUNION - SESSION NORMALE
En réalité, la délibération suit la décision, c’est ma décision secrète qui fait paraître les motifs et
l’on ne concevrait pas même ce que peut être la force d’un motif sans une décision qu’il confirme
ou contrarie. Quand j’ai renoncé à un projet, soudain les motifs que je croyais avoir d’y tenir
retombent sans force. Pour leur en rendre une, il faut que je fasse l’effort de rouvrir le temps et de
me replacer au moment où la décision n’était pas encore prise. Même pendant que je délibère,
c’est déjà par un effort que je réussis à suspendre le temps, à maintenir ouverte une situation que
je sens close par une décision qui est là et à laquelle je résiste. C’est pourquoi, si souvent, après
avoir renoncé à un projet, j’éprouve une délivrance : « Après tout, je n’y tenais pas tant », il n’y
avait débat que pour la forme, la délibération était une parodie, j’avais déjà décidé contre. On cite
souvent comme un argument contre la liberté l’impuissance de la volonté. Et en effet, si je peux
volontairement adopter une conduite et m’improviser guerrier ou séducteur, il ne dépend pas de
moi d’être guerrier ou séducteur avec aisance et « naturel », c’est-à-dire de l’être vraiment. Mais
aussi ne doit-on pas chercher la liberté dans l’acte volontaire, qui est, selon son sens même, un
acte manqué. Nous ne recourons à l’acte volontaire que pour aller contre notre décision véritable,
et comme à dessein de prouver notre impuissance. Si nous avions vraiment assumé la conduite du
guerrier ou du séducteur, nous serions guerrier ou séducteur.
MERLEAU-PONTY, Phénoménologie de la perception
- 110 -
[111] SUJET N° 111 - 09PHLIANL1 - 2009 - Série L - LIBAN - SESSION NORMALE
Examinons bien. Cet horizon lointain, je ne le vois pas lointain ; je juge qu’il est loin d’après sa
couleur, d’après la grandeur relative des choses que j’y vois, d’après la confusion des détails, et
l’interposition d’autres objets qui me le cachent en partie. Ce qui prouve qu’ici je juge, c’est que
les peintres savent bien me donner cette perception d’une montagne lointaine, en imitant les
apparences sur une toile. Mais pourtant je vois cet horizon là-bas, aussi clairement là-bas que je
vois cet arbre clairement près de moi ; et toutes ces distances, je les perçois. Que serait le paysage
sans cette armature de distances, je n’en puis rien dire ; une espèce de lueur confuse sur mes
yeux, peut-être. Poursuivons. Je ne vois point le relief de ce médaillon, si sensible d’après les
ombres ; et chacun peut deviner aisément que l’enfant apprend à voir ces choses, en interprétant
les contours et les couleurs. Il est encore bien plus évident que je n’entends pas cette cloche au
loin, là-bas, et ainsi du reste (…). Regardons de plus près. Cette distance de l’horizon n’est pas
une chose parmi les choses, mais un rapport des choses à moi, un rapport pensé, conclu, jugé.
ALAIN, Eléments de philosophie
- 111 -
[112] SUJET N° 112 - 09PHLIPO3 - 2009 - Série L - POLYNESIE - SESSION REMPL.
Il est assez évident que l’idée du Moi se forme corrélativement à l’idée des autres ; que
l’opposition la modifie tout autant que l’imitation ; que le langage, le nom propre, les jugements,
les sentences, tout le bruit propre à la famille, y ont une puissance décisive ; qu’enfin c’est des
autres que nous tenons la première connaissance de nous-mêmes. Quelle application de tous pour
me rappeler à moi-même, pour m’incorporer mes actes et mes paroles, pour me raconter mes
propres souvenirs ! La chronologie est toujours élaborée, discutée, contrôlée en commun ;
j’apprends ma propre histoire ; tout ce qui est rêverie ou rêve est d’abord énergiquement nié par
le bavardage quotidien ; ainsi mes premiers pas dans la connaissance de moi-même sont les plus
assurés de tous. Aussi cette idée de moi individu, lié à d’autres, distinct des autres, connu par eux
et jugé par eux comme je les connais et les juge, tient fortement tout mon être ; la conscience
intime y trouve sa forme et son modèle ; ce n’est point une fiction de roman ; je suis toujours
pour moi un être fait de l’opinion autour de moi ; cela ne m’est pas étranger ; c’est en moi ;
l’existence sociale me tient par l’intérieur ; et, si l’on ne veut pas manquer une idée importante, il
faut définir l’honneur comme le sentiment intérieur des sanctions extérieures.
ALAIN, Etudes
- 112 -
[113] SUJET N° 113 - 09PHLIPO1 - 2009 - Série L - POLYNESIE - SESSION NORMALE
Mettons donc matière et conscience en présence l’une de l’autre : nous verrons que la matière est
d’abord ce qui divise et ce qui précise. Une pensée, laissée à elle-même, offre une implication
réciproque d’éléments dont on ne peut dire qu’ils soient un ou plusieurs : c’est une continuité, et
dans toute continuité il y a de la confusion. Pour que la pensée devienne distincte, il faut bien
qu’elle s’éparpille en mots : nous ne nous rendons bien compte de ce que nous avons dans l’esprit
que lorsque nous avons pris une feuille de papier, et aligné les uns à côté des autres des termes
qui s’entrepénétraient. (…) D’autre part, la matière provoque et rend possible l’effort. La pensée
qui n’est que pensée, l’œuvre d’art qui n’est que conçue, le poème qui n’est que rêvé, ne coûtent
pas encore de la peine ; c’est la réalisation matérielle du poème en mots, de la conception
artistique en statue ou tableau, qui demande un effort. L’effort est pénible, mais il est aussi
précieux, plus précieux encore que l’œuvre où il aboutit, parce que, grâce à lui, on a tiré de soi
plus qu’il n’y avait, on s’est haussé au-dessus de soi-même. Or. cet effort n’eût pas été possible
sans la matière : par la résistance qu’elle oppose et par la docilité où nous pouvons l’amener, elle
est à la fois l’obstacle, l’instrument et le stimulant ; elle éprouve notre force, en garde l’empreinte
et en appelle l’intensification.
BERGSON, L’Energie spirituelle
- 113 -
[114] SUJET N° 114 - 09PHSCAG3 - 2009 - Série S - ANTILLES - SESSION REMPL.
(…) Radicale est la différence entre la conscience de l’animal, même le plus intelligent, et la
conscience humaine. Car la conscience correspond exactement à la puissance de choix dont l’être
vivant dispose ; elle est coextensive à la frange d’action possible qui entoure l’action réelle :
conscience est synonyme d’invention et de liberté. Or, chez l’animal, l’invention n’est jamais
qu’une variation sur le thème de la routine. Enfermé dans les habitudes de l’espèce, il arrive sans
doute à les élargir par son initiative individuelle ; mais il n’échappe à l’automatisme que pour un
instant, juste le temps de créer un automatisme nouveau : les portes de sa prison se referment
aussitôt ouvertes ; en tirant sur sa chaîne il ne réussit qu’à l’allonger. Avec l’homme, la
conscience brise la chaîne. Chez l’homme, et chez l’homme seulement, elle se libère.
BERGSON, L’Evolution créatrice
- 114 -
[115] SUJET N° 115 - 09PHLIIN1 - 2009 - Série L - INDE - SESSION NORMALE
Si l’étude des langues n’était que celle des mots, c’est-à-dire des figures ou des sons qui les
expriment, cette étude pourrait convenir aux enfants, mais les langues ne modifient pas seulement
les signes, elles modifient aussi les idées qu’ils représentent. Les têtes se forment sur les
langages, les pensées prennent la teinte des idiomes, la raison seule est commune, l’esprit dans
chaque langue a sa forme particulière. De ces formes diverses l’habitude en donne une à l’enfant
et c’est la seule qu’il garde jusqu’à l’âge de raison. Pour en avoir deux il faudrait qu’il sût
comparer des idées, et comment les comparerait-il quand il est à peine en état de les concevoir ?
Chaque chose peut avoir pour lui mille signes différents mais chaque idée ne peut avoir qu’une
forme ; il ne peut donc apprendre et parler qu’une langue. Il en apprend cependant plusieurs, me
dit-on. Je le nie. J’ai vu de ces petits prodiges qui croyaient parler cinq ou six langues. Je les ai
entendus successivement parler allemand en termes latins, en termes français, en termes italiens.
Ils se servaient à la vérité de cinq ou six dictionnaires, mais ils ne parlaient qu’allemand. En un
mot, donnez aux enfants tant de synonymes que vous voudrez, ils pourront prononcer plusieurs
mots mais ils n’apprendront jamais qu’une langue.
ROUSSEAU, Emile
- 115 -
[116] SUJET N° 116 - 09PHSCJA - 2009 - Série S - JAPON - SESSION NORMALE
Nous n’avons pas le sentiment que de nouveaux exemples accroissent notre certitude que deux et
deux font quatre, parce que dès que la vérité de cette proposition est comprise, notre certitude est
si grande qu’elle n’est pas susceptible d’augmenter. De plus, nous éprouvons concernant la
proposition « deux et deux font quatre » un sentiment de nécessité qui est absent même dans le
cas des généralisations empiriques les mieux attestées. C’est que de telles généralisations restent
de simples faits : nous sentons qu’un monde où elles seraient fausses est possible, même s’il se
trouve qu’elles sont vraies dans le monde réel. Dans tous les mondes possibles, au contraire, nous
éprouvons le sentiment que deux et deux feraient toujours quatre : ce n’est plus un simple fait,
mais une nécessité à laquelle tout monde, réel ou possible, doit se conformer.
Pour éclaircir ce point, prenons une vraie généralisation empirique, comme « Tous les hommes
sont mortels ». Nous croyons à cette proposition, d’abord parce qu’il n’y a pas d’exemple connu
d’homme ayant vécu au-delà d’un certain âge, ensuite parce que des raisons tirées de la
physiologie nous font penser qu’un organisme comme le corps humain doit tôt ou tard se défaire.
Laissons de côté le second point, et considérons seulement notre expérience du caractère mortel
de l’homme : il est clair que nous ne pouvons nous satisfaire d’un seul exemple, fût-il clairement
attesté, de mort d’homme, alors qu’avec « deux et deux font quatre », un seul cas bien compris
suffit à nous persuader qu’il en sera toujours de même. Enfin nous devons admettre qu’il peut à la
réflexion surgir quelque doute sur la question de savoir si vraiment tous les hommes sont mortels.
Imaginons, pour voir clairement la différence, deux mondes, l’un où certains hommes ne meurent
pas, l’autre où deux et deux font cinq. Quand Swift (1) nous parle de la race immortelle des
Struldbrugs, nous pouvons le suivre par l’imagination. Mais un monde où deux et deux feraient
cinq semble d’un tout autre niveau. Nous l’éprouverions comme un bouleversement de tout
l’édifice de la connaissance, réduit à un état d’incertitude complète.
RUSSELL, Problèmes de philosophie
(1) Ecrivain irlandais du XVIIIe siècle, auteur des Voyages de Gulliver.
- 116 -
[117] SUJET N° 117 - 09PHSCLR1 - 2009 - Série S - LA REUNION - SESSION NORMALE
Nous disons que l’Etat le meilleur est celui où les hommes passent leur vie dans la concorde,
nous voulons parler d’une vie humaine définie, non point par la circulation du sang et les
différentes autres fonctions du règne animal, mais surtout par la raison : vraie valeur et vraie vie
de l’esprit.
Ajoutons que l’Etat, institué en vue de la fin que je viens de formuler, doit encore avoir été
instauré par une masse libre, et non imposé à une masse conquise, en vertu du droit de la guerre.
Tandis, en effet, qu’une masse libre se guide d’après l’espoir plutôt que la crainte, celle qui est
sujette se guide sur la crainte plutôt que l’espoir. L’une essaie de faire quelque chose de sa vie,
l’autre se contente d’éviter la mort ; l’une essaie de vivre des aspirations personnelles, l’autre
subit la contrainte du vainqueur. C’est ce que nous exprimons, lorsque nous déclarons que la
seconde est réduite en esclavage, alors que la première est libre.
SPINOZA, Traité de l’autorité politique
- 117 -
[118] SUJET N° 118 - 09PHSCLI1 - 2009 - Série S - LIBAN - SESSION NORMALE
Quand quelqu’un ne trouve pas beau un édifice, un paysage, un poème, il ne se laisse pas imposer
intérieurement l’assentiment par cent voix, qui toutes les célèbrent hautement. Il peut certes faire
comme si cela lui plaisait à lui aussi, afin de ne pas être considéré comme dépourvu de goût ; il
peut même commencer à douter d’avoir assez formé son goût par la connaissance d’une quantité
suffisante d’objets de ce genre (de même que quelqu’un qui croit reconnaître au loin une forêt
dans ce que tous les autres aperçoivent comme une ville doute du jugement de sa propre vue).
Mais, en tout cas, il voit clairement que l’assentiment des autres ne constitue absolument pas une
preuve valide pour l’appréciation de la beauté : d’autres peuvent bien voir et observer pour lui, et
ce que beaucoup ont vu d’une même façon peut assurément, pour lui qui croit avoir vu la même
chose autrement, constituer une preuve suffisante pour construire un jugement théorique et par
conséquent logique ; mais jamais ce qui a plu à d’autres ne saurait servir de fondement à un
jugement esthétique. Le jugement des autres, quand il ne va pas dans le sens du nôtre, peut sans
doute à bon droit nous faire douter de celui que nous portons, mais jamais il ne saurait nous
convaincre de son illégitimité. Ainsi n’y a-t-il aucune preuve empirique permettant d’imposer à
quelqu’un le jugement de goût.
KANT, Critique de la faculté de juger
- 118 -
[119] SUJET N° 119 - 09PHSCME1 - 2009 - Série S - METROPOLE - SESSION NORMALE
Les affaires générales d’un pays n’occupent que les principaux citoyens. Ceux-là ne se
rassemblent que de loin en loin dans les mêmes lieux ; et, comme il arrive souvent qu’ensuite ils
se perdent de vue, il ne s’établit pas entre eux de liens durables. Mais quand il s’agit de faire
régler les affaires particulières d’un canton par les hommes qui l’habitent, les mêmes individus
sont toujours en contact, et ils sont en quelque sorte forcés de se connaître et de se complaire.
On tire difficilement un homme de lui-même pour l’intéresser à la destinée de tout l’Etat, parce
qu’il comprend mal l’influence que la destinée de l’Etat peut exercer sur son sort. Mais faut-il
faire passer un chemin au bout de son domaine, il verra d’un premier coup d’œil qu’il se
rencontre un rapport entre cette petite affaire publique et ses plus grandes affaires privées, et il
découvrira, sans qu’on le lui montre, le lien étroit qui unit ici l’intérêt particulier à l’intérêt
général.
C’est donc en chargeant les citoyens de l’administration des petites affaires, bien plus qu’en leur
livrant le gouvernement des grandes, qu’on les intéresse au bien public et qu’on leur fait voir le
besoin qu’ils ont sans cesse les uns des autres pour le produire.
On peut, par une action d’éclat, captiver tout à coup la faveur d’un peuple ; mais, pour gagner
l’amour et le respect de la population qui vous entoure, il faut une longue succession de petits
services rendus, de bons offices obscurs, une habitude constante de bienveillance et une
réputation bien établie de désintéressement.
Les libertés locales, qui font qu’un grand nombre de citoyens mettent du prix à l’affection de
leurs voisins et de leurs proches, ramènent donc sans cesse les hommes les uns vers les autres, en
dépit des instincts qui les séparent, et les forcent à s’entraider.
TOCQUEVILLE, De la Démocratie en Amérique
- 119 -
[120] SUJET N° 120 - 09PHSCPO1 - 2009 - Série S - POLYNESIE - SESSION NORMALE
Ceux qui profitent de conditions d’existence tolérables, lorsqu’ils ne trouvent pas dans leur vie
assez de jouissances pour qu’elle leur devienne précieuse, doivent, le plus souvent, ne s’en
prendre qu’à eux-mêmes. Quand on ne s’attache à rien, ni dans la vie publique, ni dans la vie
privée, les attraits que peut offrir l’existence sont bien diminués ; en tout cas, ils perdent peu à
peu de leur valeur quand approche le moment où tous les intérêts égoïstes doivent disparaître
avec la mort ; au contraire, lorsqu’on laisse après soi des êtres qui sont l’objet d’un attachement
personnel et surtout lorsqu’on a en même temps entretenu en sol une sympathie fraternelle pour
les intérêts collectifs de l’humanité, la vie intéresse aussi vivement à la veille de la mort que dans
la pleine vigueur de la jeunesse et de la santé. Quand la vie ne donne pas satisfaction, c’est,
immédiatement après l’égoïsme, à l’absence de culture qu’il faut l’attribuer. Un esprit cultivé - et
je n’entends pas par là celui du philosophe, mais tout esprit qui a pu puiser aux sources de la
connaissance et qu’on a suffisamment habitué à exercer ses facultés - trouve des sources
inépuisables d’intérêt dans tout ce qui l’entoure : dans les choses de la nature, les œuvres d’art,
les créations de la poésie, les événements de l’histoire, les voies suivies par l’humanité dans le
passé et dans le présent et les perspectives ainsi ouvertes sur l’avenir.
MILL, De l’Utilitarisme
- 120 -
[121] SUJET N° 121 - 09PHTEAG1 - 2009 - Série TECHN. - ANTILLES - SESSION
NORMALE
Tant qu’on désire, on peut se passer d’être heureux ; on s’attend à le devenir : si le bonheur ne
vient point, l’espoir se prolonge, et le charme de l’illusion dure autant que la passion qui le cause.
Ainsi cet état se suffit à lui-même, et l’inquiétude qu’il donne est une sorte de jouissance qui
supplée à la réalité, qui vaut mieux peut-être. Malheur à qui n’a plus rien à désirer ! il perd pour
ainsi dire tout ce qu’il possède. On jouit moins de ce qu’on obtient que de ce qu’on espère et l’on
n’est heureux qu’avant d’être heureux. En effet, l’homme, avide et borné, fait pour tout vouloir et
peu obtenir, a reçu du ciel une force consolante qui rapproche de lui tout ce qu’il désire, qui le
soumet à son imagination, qui le lui rend présent et sensible, qui le lui livre en quelque sorte et,
pour lui rendre cette imaginaire propriété plus douce, le modifie au gré de sa passion. Mais tout
ce prestige (1) disparaît devant l’objet même ; rien n’embellit plus cet objet aux yeux du
possesseur ; on ne se figure point ce qu’on voit ; l’imagination ne pare plus rien de ce qu’on
possède, l’illusion cesse où commence la jouissance.
ROUSSEAU
(1) « prestige » : ici, illusion.
QUESTIONS :
1° Formulez la thèse de ce texte et montrez comment elle est établie.
2°
a) En vous appuyant sur le texte, expliquez « l’on n’est heureux qu’avant d’être heureux » ;
b) montrez comment l’imagination « rend présent et sensible » à l’homme « tout ce qu’il
désire » ;
c) en vous appuyant sur le texte, expliquez « l’illusion cesse où commence la jouissance ».
3° N’y a-t-il de bonheur que dans l’espoir d’être heureux ?
- 121 -
[122] SUJET N° 122 - 09PHTEAG3 - 2009 - Série TECHN. - ANTILLES - SESSION REMPL.
On comprend (…) bien qu’il n’y a pas de droits sans limites ; cela n’est pas possible, à moins que
l’on ne se place dans l’état de liberté et de guerre, où l’on peut bien dire que l’on se donne tous
les droits, mais où, aussi, l’on ne possède que ceux que l’on peut maintenir par sa propre force.
Mais dès que l’on fait société avec d’autres, les droits des uns et des autres forment un système
équilibré ; il n’est pas dit que tous auront tous les droits possibles ; il est dit seulement que tous
auront les mêmes droits ; et c’est cette égalité des droits qui est sans doute la forme de la justice ;
car les circonstances ne permettent jamais d’établir un droit tout à fait sans restriction ; par
exemple, il n’est pas dit qu’on ne barrera pas une rue dans l’intérêt commun ; la justice exige
seulement que la rue soit barrée aux mêmes conditions pour tout le monde. Donc je conçois bien
que l’on revendique comme citoyen, et avec toute l’énergie que l’on voudra y mettre, un droit
dont on voit que les autres citoyens ont la jouissance. Mais vouloir un droit sans limites, cela
sonne mal.
ALAIN
QUESTIONS :
1° Dégagez la thèse de ce texte et restituez le raisonnement par lequel elle est établie.
2°
a) En vous appuyant sur le texte, expliquez pourquoi « il n’y a pas de droits sans limites ».
b) En quoi l’exemple de la rue barrée éclaire-t-il la thèse d’Alain ?
3° La justice consiste-t-elle dans l’égalité des droits ?
- 122 -
[123] SUJET N° 123 - 09PTSTMDLR1 - 2009 - Série TECHN. - LA REUNION - SESSION
NORMALE
Si illimitée que paraisse la liberté de notre pensée, nous découvrirons, en y regardant de plus près,
qu’elle est en réalité resserrée ·dans des limites fort étroites, et que tout ce pouvoir créateur de
l’esprit n’est rien de plus que la faculté de combiner, transposer, accroître ou diminuer les
matériaux que nous fournissent les sens et l’expérience. Quand nous pensons à une montagne
d’or, nous ne faisons que réunir deux idées capables de s’accorder, celle d’or et celle de
montagne, qui nous étaient déjà familières. Nous pouvons concevoir un cheval vertueux ; car,
d’après le sentiment propre que nous en avons, nous pouvons concevoir la vertu ; et il nous est
possible de joindre celle-ci à la figure et à l’image du cheval, animal qui nous est familier. En un
mot, tous les matériaux de la pensée tirent leur origine de notre sensibilité externe ou interne :
l’esprit et la volonté n’ont d’autre fonction que de mêler et combiner ces matériaux.
HUME
QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée principale du texte, puis les différentes étapes de son développement.
2° Expliquez :
a) En quoi les exemples donnés montrent-ils que « la liberté de notre pensée (…) est en réalité
resserrée dans des limites fort étroites » ?
b) en quoi consiste le « pouvoir créateur de l’esprit » selon le texte ?
3° L’expérience est-elle l’origine de toutes nos pensées ?
- 123 -
[124] SUJET N° 124 - 09PHTEPO1 - 2009 - Série TECHN. - POLYNESIE - SESSION
NORMALE
Nul ne conteste qu’on doive élever et instruire la jeunesse de façon à lui faire profiter des acquis
de l’expérience humaine. Mais c’est là le privilège et la condition propre d’un être humain dans la
maturité de ses facultés que de se servir de l’expérience et de l’interpréter à sa façon. C’est à lui
de découvrir ce qui, dans l’expérience transmise, est applicable à sa situation et à son caractère.
Les traditions et les coutumes des autres sont, jusqu’à un certain point, des témoignages de ce que
leur expérience leur a appris, et elles justifient une présomption (1) qui, comme telle, est digne de
respect. Mais il se peut en premier lieu que l’expérience des autres soit trop étroite, ou qu’ils
l’aient mal interprétée ; il se peut deuxièmement que leur interprétation soit juste sans toutefois
convenir à un individu particulier. Les coutumes sont faites pour les vies et les caractères
ordinaires ; mais un individu peut avoir une vie et un caractère extraordinaires. Troisièmement,
même si les coutumes sont à la fois bonnes en soi et adaptées à l’individu, il se peut que se
conformer à la coutume uniquement en tant que telle n’entretienne ni ne développe en lui aucune
des qualités qui sont l’attribut distinctif de l’être humain. Les facultés humaines de la perception,
du jugement, du discernement (2), de l’activité intellectuelle, et même la préférence morale, ne
s’exercent qu’en faisant un choix. Celui qui n’agit jamais que suivant la coutume ne fait pas de
choix. Il n’apprend nullement à discerner ou à désirer ce qui vaut mieux.
MILL
(1) « présomption » : le fait de présumer, supposer.
(2) « discernement » : capacité de distinguer.
QUESTIONS :
1° Formulez la thèse de ce texte et restituez les étapes de l’argumentation.
2°
a) Expliquez en quoi la « maturité » consiste à « se servir de l’expérience et (…) l’interpréter à sa
façon ».
b) Quel lien J. S. Mill fait-il entre « l’expérience » et « les traditions et les coutumes » ?
c) Montrez en quoi l’exercice des « facultés humaines » dont il est question et « la préférence
morale » consistent à faire « un choix ».
3° L’expérience des autres est-elle insuffisante pour guider l’individu dans ses choix ?
- 124 -
[125] SUJET N° 125 - 09PHTEPO3 - 2009 - Série TECHN. - POLYNESIE - SESSION REMPL.
Personne ne peut me contraindre à être heureux d’une certaine manière (celle dont il conçoit le
bien-être des autres hommes) mais il est permis à chacun de chercher le bonheur dans la voie qui
lui semble, à lui, être la bonne, pourvu qu’il ne nuise pas à la liberté qui peut coexister avec la
liberté de chacun selon une loi universelle possible (autrement dit, à ce droit d’autrui). - Un
gouvernement qui serait fondé sur le principe de la bienveillance envers le peuple, tel que celui
du père envers ses enfants, c’est-à-dire un gouvernement paternel, où par conséquent les sujets,
tels des enfants mineurs incapables de décider de ce qui leur est vraiment utile ou nuisible, sont
obligés de se comporter de manière uniquement passive, afin d’attendre uniquement du jugement
du chef de l’Etat la façon dont ils doivent être heureux, et uniquement de sa bonté qu’il le veuille
également, - un tel gouvernement, dis-je, est le plus grand despotisme que l’on puisse concevoir
(constitution qui supprime toute liberté des sujets qui, dès lors, ne possèdent plus aucun droit).
KANT
QUESTIONS :
1° Dégagez la thèse de ce texte et montrez comment elle est établie.
2° Expliquez :
a) « pourvu qu’il ne nuise pas à la liberté qui peut coexister avec la liberté de chacun » ;
b) « tels des enfants mineurs incapables de décider de ce qui leur est vraiment utile ou nuisible » ;
c) « un tel gouvernement, (…) est le plus grand despotisme ».
3° Est-ce un droit pour chacun de décider de son propre bonheur ?
- 125 -
[126] SUJET N° 126 - 9PHMIME3 - 2009 - Série TMD - METROPOLE - SESSION REMPL.
C’est une entreprise difficile d’obtenir, de conquérir un bien quelconque ; pas d’objet qui ne soit
séparé de nous par des difficultés, des travaux sans fin ; sur la route, à chaque pas, surgissent des
obstacles. Et la conquête une fois faite, l’objet atteint, qu’a-t-on gagné ? rien assurément, que de
s’être délivré de quelque souffrance, de quelque désir, d’être revenu à l’état où l’on se trouvait
avant l’apparition de ce désir. – Le fait immédiat pour nous, c’est le besoin tout seul, c’est-à-dire
la douleur. Pour la satisfaction et la jouissance, nous ne pouvons les connaître qu’indirectement ;
il nous faut faire appel au souvenir de la souffrance, de la privation passées, qu’elles ont chassées
tout d’abord. Voilà pourquoi les biens, les avantages qui sont actuellement en notre possession,
nous n’en avons pas une vraie conscience, nous ne les apprécions pas ; il nous semble qu’il n’en
pouvait être autrement ; et, en effet, tout le bonheur qu’ils nous donnent, c’est d’écarter de nous
certaines souffrances. Il faut les perdre, pour en sentir le prix ; le manque, la privation, la douleur,
voilà la chose positive, et qui sans intermédiaire s’offre à nous. Telle est encore la raison qui nous
rend si douce la mémoire des malheurs surmontés par nous : besoin, maladie, privation, etc. :
c’est en effet notre seul moyen de jouir des biens présents.
SCHOPENHAUER
- 126 -
[127] SUJET N° 127 - 9PHTEG11 - 2009 - Série TECHN. - ETRANGER GROUPE 1 SESSION NORMALE
La vie en commun des hommes n’est rendue possible que si se trouve réunie une majorité qui est
plus forte que chaque individu et qui garde sa cohésion face à chaque individu. La puissance de
cette communauté s’oppose maintenant en tant que "droit" à la puissance de l’individu qui est
condamnée en tant que "violence brute". Ce remplacement de la puissance de l’individu par celle
de la communauté est le pas culturel décisif. Son essence consiste en ce que les membres de la
communauté se limitent dans leurs possibilités de satisfaction, alors que l’individu isolé ne
connaissait pas de limite de ce genre. L’exigence culturelle suivante est alors celle de la justice,
c’est-à-dire l’assurance que l’ordre de droit, une fois donné, ne sera pas de nouveau battu en
brèche (1) en faveur d’un individu.
FREUD
(1) « battu en brèche » : remis en cause.
QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée principale et les étapes de l’argumentation du texte.
2° En vous appuyant sur le texte,
a) expliquez en quoi consiste « le pas culturel décisif » (ligne 6) pour la communauté humaine.
Pourquoi ce pas est-il « culturel » ? Pourquoi est-il « décisif » ?
b) expliquez à quelle condition « l’ordre de droit » (ligne 9) peut avoir valeur de « justice » dans
la communauté humaine.
3° La vie en commun des hommes est-elle impossible sans la culture ?
- 127 -
[128] SUJET N° 128 - 9PHSCG11 - 2009 - Série S - ETRANGER GROUPE 1 - SESSION
NORMALE
Il y a deux sortes de plaisirs : les uns qui appartiennent à l’esprit seul, et les autres qui
appartiennent à l’homme, c’est-à-dire à l’esprit en tant qu’il est uni au corps ; et ces derniers, se
présentant confusément à l’imagination, paraissent souvent beaucoup plus grands qu’ils ne sont,
principalement avant qu’on ne les possède, ce qui est la source de tous les maux et de toutes les
erreurs de la vie. Car, selon la règle de la raison, chaque plaisir se devrait mesurer par la grandeur
de la perfection qui le produit, et c’est ainsi que nous mesurons celui dont les causes nous sont
clairement connues. Mais souvent la passion nous fait croire certaines choses beaucoup
meilleures et plus désirables qu’elles ne sont ; puis, quand nous avons pris bien de la peine à les
acquérir, et perdu cependant l’occasion de posséder d’autres biens plus véritables, la jouissance
nous en fait connaître les défauts, et de là viennent les dédains, les regrets et les repentirs. C’est
pourquoi le vrai office de la raison est d’examiner la juste valeur de tous les biens dont
l’acquisition semble dépendre en quelque façon de notre conduite, afin que nous ne manquions
jamais d’employer tous nos soins à tâcher de nous procurer ceux qui sont, en effet, les plus
désirables.
DESCARTES, Lettres à Elisabeth
- 128 -
[129] SUJET N° 129 - 9PHESG11 - 2009 - Série ES - ETRANGER GROUPE 1 - SESSION
NORMALE
Parmi les choses qu’on ne rencontre pas dans la nature, mais seulement dans le monde fabriqué
par l’homme, on distingue entre objets d’usage et œuvres d’art ; tous deux possèdent une certaine
permanence qui va de la durée ordinaire à une immortalité potentielle dans le cas de l’œuvre
d’art. En tant que tels, ils se distinguent d’une part des produits de consommation, dont la durée
au monde excède à peine le temps nécessaire à les préparer, et d’autre part, des produits de
l’action, comme les événements, les actes et les mots, tous en eux-mêmes si transitoires qu’ils
survivraient peine à l’heure ou au jour où ils apparaissent au monde, s’ils n’étaient conservés
d’abord par la mémoire de l’homme, qui les tisse en récits, et puis par ses facultés de fabrication.
Du point de vue de la durée pure, les œuvres d’art sont clairement supérieures à toutes les autres
choses ; comme elles durent plus longtemps au monde que n’importe quoi d’autre, elles sont les
plus mondaines des choses. Davantage, elles sont les seules choses à n’avoir aucune fonction
dans le processus vital de la société ; à proprement parler, elles ne sont pas fabriquées pour les
hommes, mais pour le monde, qui est destiné à survivre à la vie limitée des mortels, au va-etvient des générations. Non seulement elles ne sont pas consommées comme des biens de
consommation, ni usées comme des objets d’usage : mais elles sont délibérément écartées des
procès de consommation et d’utilisation, et isolées loin de la sphère des nécessités de la vie
humaine. Cette mise à distance peut se réaliser par une infinité de voies. Et c’est seulement quand
elle est accomplie que la culture, au sens spécifique du terme, vient à l’être.
ARENDT, La Crise de la culture
- 129 -
[130] SUJET N° 130 - 9PHLIME1 - 2009 - Série L - METROPOLE - SESSION NORMALE
Il n’y a pas de satisfaction qui d’elle-même et comme de son propre mouvement vienne à nous ;
il faut qu’elle soit la satisfaction d’un désir. Le désir, en effet, la privation, est la condition
préliminaire de toute jouissance. Or avec la satisfaction cesse le désir et par conséquent la
jouissance aussi. Donc la satisfaction, le Contentement ne sauraient être qu’une délivrance à
l’égard d’une douleur, d’un besoin ; sous ce nom, il ne faut pas entendre en effet seulement la
souffrance effective, visible, mais toute espèce de désir qui, par son importunité, trouble notre
repos, et même cet ennui qui tue, qui nous fait de l’existence un fardeau. Or c’est une entreprise
difficile d’obtenir, de conquérir un bien quelconque ; pas d’objet qui ne soit séparé de nous par
des difficultés, des travaux sans fin ; sur la route, à chaque pas, surgissent des obstacles. Et la
conquête une fois faite, l’objet atteint, qu’a-t-on gagné ? Rien assurément, que de s’être délivré
de quelque souffrance, de quelque désir, d’être revenu à l’état où l’on se trouvait avant
l’apparition de ce désir. Le fait immédiat pour nous, c’est le besoin tout seul c’est-à-dire la
douleur. Pour la satisfaction et la jouissance, nous ne pouvons les connaître qu’indirectement ; il
nous faut faire appel au souvenir de la souffrance, de la privation passée, qu’elles ont chassées
tout d’abord. Voilà pourquoi les biens, les avantages qui sont actuellement en notre possession,
nous n’en avons pas une vraie conscience, nous ne les apprécions pas ; il nous semble qu’il n’en
pouvait être autrement ; et, en effet, tout le bonheur qu’ils nous donnent, c’est d’écarter de nous
certaines souffrances. Il faut les perdre pour en sentir le prix ; le manque, la privation, la douleur,
voilà la chose positive, et qui sans intermédiaire s’offre à nous.
SCHOPENHAUER, Le Monde comme volonté et comme représentation
- 130 -
[131] SUJET N° 131 - 9PHESAN1 - 2009 - Série ES - AMERIQUE DU NORD - SESSION
NORMALE
L’histoire est pour l’espèce humaine ce que la raison est pour l’individu. Grâce à sa raison,
l’homme n’est pas enfermé comme l’animal dans les limites étroites du présent visible ; il connaît
encore le passé infiniment plus étendu, source du présent qui s’y rattache : c’est cette
connaissance seule qui lui procure une intelligence plus nette du présent et lui permet même de
formuler des inductions pour l’avenir. L’animal, au contraire, dont la connaissance sans réflexion
est bornée à l’intuition, et par suite au présent, erre, même une fois apprivoisé, parmi les hommes,
ignorant, engourdi, stupide, désarmé et esclave. De même un peuple qui ne connaît pas sa propre
histoire est borné au présent de la génération actuelle : il ne comprend ni sa nature, ni sa propre
existence, dans l’impossibilité où il est de les rapporter à un passé qui les explique ; il peut moins
encore anticiper sur l’avenir. Seule l’histoire donne à un peuple une entière conscience de luimême. L’histoire peut donc être regardée comme la conscience raisonnée de l’espèce humaine.
SCHOPENHAUER, Le Monde comme volonté et comme représentation
- 131 -
[132] SUJET N° 132 - 9PHESIN1 - 2009 - Série ES - INDE - SESSION NORMALE
Si richement doués que nous soyons, il nous manque toujours quelque chose, et les meilleurs
d’entre nous ont le sentiment de leur insuffisance. C’est pourquoi nous cherchons chez nos amis
les qualités qui nous font défaut, parce qu’en nous unissant à eux nous participons en quelque
manière à leur nature, et que nous nous sentons alors moins incomplets. Il se forme ainsi de
petites associations d’amis où chacun a son rôle conforme à son caractère, où il y a un véritable
échange de services. L’un protège, l’autre console ; celui-ci conseille, celui-là exécute, et c’est ce
partage des fonctions, ou, pour employer l’expression consacrée, cette division du travail qui
détermine ces relations d’amitié.
Nous sommes ainsi conduits à considérer la division du travail sous un nouvel aspect. Dans ce
cas, en effet, les services économiques qu’elle peut rendre sont peu de chose à côté de l’effet
moral qu’elle produit, et sa véritable fonction est de créer entre deux ou plusieurs personnes un
sentiment de solidarité. De quelque manière que ce résultat soit obtenu, c’est elle qui suscite ces
sociétés d’amis, et elle les marque de son empreinte.
DURKHEIM, De la Division du travail social
- 132 -
[133] SUJET N° 133 - 9PHLIANA1 - 2009 - Série L - AMERIQUE DU NORD - SESSION
NORMALE
Ce qui nous plaît dans la beauté artistique, c’est précisément le caractère de liberté de sa
production et de ses formes qui nous soustrait, semble-t-il, par la production et par l’intuition
mêmes, aux liens de la règle et du réglé. Face à la rigueur de ce qui subit le joug des lois et face à
la sombre intériorité de la pensée, nous cherchons l’apaisement et l’animation dans les figures de
l’art ; face au royaume ténébreux des idées, une réalité animée et pleine de vie. Enfin, la source
des œuvres d’art est la libre activité de l’imagination qui, dans ses images mêmes, est plus libre
que la nature. Non seulement l’art dispose de l’entièreté du royaume des formes de la nature,
dans leur paraître multiple et bigarré, mais l’imagination créatrice se montre inépuisable dans les
productions qui lui sont propres. Face à cette plénitude démesurée de l’imagination et de ses
libres réalisations, il semble donc que la pensée doive renoncer au projet hardi de saisir
intégralement de pareilles réalisations, de les juger et de les ordonner sous ses formules
universelles. (…) Il est vrai qu’il y a des cas dans lesquels l’art peut être considéré comme un jeu
éphémère destiné à l’amusement et à la distraction, comme un ornement qui sert à enjoliver
l’aspect extérieur des rapports de la vie ou à mettre en relief, en les ornant, d’autres objets. Sous
ce point de vue, il ne s’agit pas d’un art indépendant et libre, mais d’un art asservi. Mais ce que
nous proposons d’étudier, c’est l’art libre dans sa fin et dans ses moyens. (…)
L’art beau n’est véritablement art qu’en cette liberté propre.
HEGEL, Esthétique
- 133 -
[134] SUJET N° 134 - 9PHSCAN1 - 2009 - Série S - AMERIQUE DU NORD - SESSION
NORMALE
Déjà l’observation a besoin d’un corps de précautions qui conduisent à réfléchir avant de
regarder, qui réforment du moins la première vision, de sorte que ce n’est jamais la première
observation qui est la bonne. L’observation scientifique est toujours une observation polémique ;
elle confirme ou infirme une thèse antérieure, un schéma préalable, un plan d’observation ; elle
montre en démontrant ; elle hiérarchise les apparences ; elle transcende l’immédiat ; elle
reconstruit le réel après avoir reconstruit ses schémas. Naturellement, dès qu’on passe de
l’observation à l’expérimentation, le caractère polémique de la connaissance devient plus net
encore. Alors il faut que le phénomène soit trié, filtré, épuré, coulé dans le moule des instruments,
produit sur le plan des instruments. Or les instruments ne sont que des théories matérialisées. Il
en sort des phénomènes qui portent de toutes parts la marque théorique.
BACHELARD, Le nouvel Esprit scientifique
- 134 -
[135] SUJET N° 135 - 9PHSCIN1 - 2009 - Série S - INDE - SESSION NORMALE
On n’insistera jamais assez sur ce qu’il y a d’artificiel dans la forme mathématique d’une loi
physique, et par conséquent dans notre connaissance scientifique des choses. Nos unités de
mesure sont conventionnelles et, si l’on peut parler ainsi, étrangères aux intentions de la nature :
comment supposer que celle-ci ait rapporté toutes les modalités de la chaleur aux dilatations
d’une même masse de mercure ou aux changements de pression d’une même masse d’air
maintenue à un volume constant ? Mais ce n’est pas assez dire. D’une manière générale, mesurer
est une opération tout humaine, qui implique qu’on superpose réellement ou idéalement deux
objets l’un à l’autre un certain nombre de fois. La nature n’a pas songé à cette superposition. Elle
ne mesure pas, elle ne compte pas davantage. Pourtant la physique compte, mesure, rapporte les
unes aux autres des variations "quantitatives" pour obtenir des lois et elle réussit.
BERGSON, L’Evolution créatrice
- 135 -
[136] SUJET N° 136 - 9PHTEIN1 - 2009 - Série TECHN. - INDE - SESSION NORMALE
Que notre vie était heureuse, c’est ce dont nous ne nous apercevons qu’au moment où ces jours
heureux ont fait place à des jours malheureux. Autant les jouissances augmentent, autant diminue
l’aptitude à les goûter : le plaisir devenu habitude n’est plus éprouvé comme tel. Mais par là
même grandit la faculté de ressentir la souffrance ; car la disparition d’un plaisir habituel cause
une impression douloureuse. Ainsi la possession accroît la mesure de nos besoins, et du même
coup la capacité de ressentir la douleur. - Le cours des heures est d’autant plus rapide qu’elles
sont agréables, d’autant plus lent qu’elles sont plus pénibles ; car le chagrin, et non le plaisir, est
l’élément positif, dont la présence se fait remarquer. De même nous avons conscience du temps
dans les moments d’ennui, non dans les instants agréables. Ces deux faits prouvent que la partie
la plus heureuse de notre existence est celle où nous la sentons le moins.
SCHOPENHAUER
QUESTIONS :
1° Dégagez la thèse de ce texte et montrez comment elle est établie.
2° Expliquez :
a) « le plaisir devenu habitude n’est plus éprouvé comme tel » ;
b) « la possession accroît la mesure de nos besoins » ;
c) « nous avons conscience du temps dans les moments d’ennui ».
3° N’avons-nous conscience de notre bonheur que lorsqu’il a disparu ?
- 136 -
[137] SUJET N° 137 - 9PHSCME3 - 2009 - Série S - METROPOLE - SESSION REMPL.
Notre raison, incurablement présomptueuse, s’imagine posséder par droit de naissance ou par
droit de conquête, innés ou appris, tous les éléments essentiels de la connaissance de la vérité. Là
même où elle avoue ne pas connaître l’objet qu’on lui présente, elle croit que son ignorance porte
seulement sur la question de savoir quelle est celle de ses catégories anciennes qui convient à
l’objet nouveau. Dans quel tiroir prêt à s’ouvrir le ferons-nous entrer ? De quel vêtement déjà
coupé allons-nous l’habiller ? Est-il ceci, ou cela, ou autre chose ? et « ceci » et « cela » et « autre
chose » sont toujours pour nous du déjà conçu, du déjà connu. L’idée que nous pourrions avoir à
créer de toutes pièces pour un objet nouveau, un nouveau concept, peut-être une nouvelle
méthode de penser, nous répugne profondément. L’histoire de la philosophie est là cependant, qui
nous montre l’éternel conflit des systèmes, l’impossibilité de faire entrer définitivement le réel
dans ces vêtements de confection que sont nos concepts tout faits, la nécessité de travailler sur
mesure. Plutôt que d’en venir à cette extrémité, notre raison aime mieux annoncer une fois pour
toutes, avec une orgueilleuse modestie, qu’elle ne connaîtra que du relatif et que l’absolu n’est
pas de son ressort : cette déclaration préliminaire lui permet d’appliquer sans scrupule sa méthode
habituelle de penser, et, sous prétexte qu’elle ne touche pas à l’absolu, de trancher absolument sur
toutes choses.
BERGSON, L’Evolution créatrice
- 137 -
[138] SUJET N° 138 - 9PHLIME3 - 2009 - Série L - METROPOLE - SESSION REMPL.
Telle saveur, tel parfum m’ont plu quand j’étais enfant, et me répugnent aujourd’hui. Pourtant je
donne encore le même nom à la sensation éprouvée, et je parle comme si, le parfum et la saveur
étant demeurés identiques, mes goûts seuls avaient changé. Je solidifie donc encore cette
sensation ; et lorsque sa mobilité acquiert une telle évidence qu’il me devient impossible de la
méconnaître, j’extrais cette mobilité pour lui donner un nom à part et la solidifier à son tour sous
forme de goût. Mais en réalité il n’y a ni sensations identiques, ni goûts multiples ; car sensations
et goûts m’apparaissent comme des choses dès que je les isole et que je les nomme, et il n’y a
guère dans l’âme humaine que des progrès. Ce qu’il faut dire, c’est que toute sensation se modifie
en se répétant, et que si elle ne me paraît pas changer du jour au lendemain, c’est parce que je
l’aperçois maintenant à travers l’objet qui en est cause, à travers le mot qui la traduit. Cette
influence du langage sur la sensation est plus profonde qu’on ne le pense généralement. Non
seulement le langage nous fait croire à l’invariabilité de nos sensations, mais il nous trompera
parfois sur le caractère de la sensation éprouvée. Ainsi, quand je mange d’un mets réputé exquis,
le nom qu’il porte, gros de l’approbation qu’on lui donne, s’interpose entre ma sensation et ma
conscience ; je pourrai croire que la saveur me plaît, alors qu’un léger effort d’attention me
prouverait le contraire. Bref, le mot aux contours bien arrêtés, le mot brutal, qui emmagasine ce
qu’il y a de stable, de commun et par conséquent d’impersonnel dans les impressions de
l’humanité, écrase ou tout au moins recouvre les impressions délicates et fugitives de notre
conscience individuelle. Pour lutter à armes égales, celles-ci devraient s’exprimer par des mots
précis ; mais ces mots, à peine formés, se retourneraient contre la sensation qui leur donna
naissance, et inventés pour témoigner que la sensation est instable, ils lui imposeraient leur
propre stabilité.
BERGSON, Essai sur les données immédiates de la conscience
- 138 -
[139] SUJET N° 139 - 9PHESME3 - 2009 - Série ES - METROPOLE - SESSION REMPL.
On dit d’un homme qu’il est maître de soi, ou non, suivant que la raison domine ou ne domine
pas en lui, ce qui implique que c’est là ce qui constitue proprement chacun de nous. Et les actions
que nous faisons nous-même, et volontairement, sont spécialement celles qu’on accomplit
rationnellement. Chacun est donc cette partie souveraine - ou il l’est principalement - et l’honnête
homme l’aime par-dessus tout, cela est clair ; comme il est clair aussi que c’est de lui qu’on
pourrait dire, par excellence, qu’il s’aime lui-même, mais d’une espèce d’amour de soi bien
différente de l’égoïsme qu’on blâme. Elle en diffère, en effet, autant qu’une vie conforme à la
raison diffère d’une vie assujettie aux passions, autant que le désir du beau diffère du désir de ce
que l’on croit utile.
Ainsi, tout le monde approuve et loue ceux qui se distinguent par leur ardeur à faire de belles
actions ; et si tous les hommes rivalisaient en amour pour le beau, et s’efforçaient à faire les
actions les plus belles, on verrait à la fois la communauté comblée de tout ce qu’il lui faut, et
chacun en particulier assuré des biens les plus grands, puisque la vertu est précisément le plus
grand bien. D’où il faut conclure que l’homme vertueux doit s’aimer lui-même (car en faisant de
belles actions, il en tirera lui-même profit, et en procurera aux autres). Le méchant, au contraire,
ne doit pas s’aimer lui-même (car en s’abandonnant à de viles passions, il se nuira infailliblement
à lui-même et aux autres). Chez le méchant, donc, il y a dissonance entre ce qu’il fait et ce qu’il
doit faire ; l’honnête homme, au contraire, ce qu’il doit faire, il le fait : car la raison choisit
toujours ce qui est le meilleur pour elle ; et l’honnête homme obéit à la raison.
ARISTOTE, Ethique à icomaque
- 139 -
[140] SUJET N° 140 - 9PHTEME3 - 2009 - Série TECHN. - METROPOLE - SESSION
REMPL.
Toute satisfaction, ce qu’on appelle ordinairement le bonheur, est en réalité d’essence toujours
négative, et nullement positive. Ce n’est pas une félicité spontanée et nous arrivant d’elle-même ;
elle doit toujours être la satisfaction d’un désir. Car désirer, c’est-à-dire avoir besoin d’une chose,
est la condition préalable de toute jouissance. Mais avec la satisfaction cesse le désir, et par suite
la jouissance. La satisfaction, ou le bonheur, ne peuvent donc jamais être quelque chose de plus
que la suppression d’une douleur, d’un besoin ; car à cette catégorie appartiennent non seulement
les souffrances réelles, manifestes, mais encore chaque désir dont l’importunité (1) trouble notre
repos, et même le mortel ennui qui fait de notre existence un fardeau. - Et puis, comme il est
difficile d’arriver à un but, de conquérir un bien quelconque ! Chaque projet nous oppose des
difficultés et réclame des efforts sans nombre ; à chaque pas s’accumulent les obstacles. Quand
enfin tout a été surmonté, quand nous sommes arrivés au but, quel autre résultat avons-nous
acquis, sinon de nous être libérés d’une souffrance et d’un désir, c’est-à-dire de nous trouver
exactement dans le même état qu’auparavant ? Il n’y a de donné directement que le besoin, c’està-dire la douleur.
SCHOPENHAUER
(1) « importunité » : caractère de ce qui est importun, c’est-à-dire gênant parce que cela n’est pas
à propos.
QUESTIONS :
1° Dégagez la thèse de ce texte et restituez les étapes de son argumentation.
2°
a) En vous appuyant précisément sur le texte, expliquez « Toute satisfaction (…) est en réalité
d’essence toujours négative » ;
b) Quelles différences y a-t-il entre « les souffrances réelles », « chaque désir » et « le mortel
ennui », que Schopenhauer place dans la catégorie de la douleur ?
c) Pourquoi « quand, enfin, tout a été surmonté », nous trouvons-nous « exactement dans le
même état qu’auparavant » ?
3° Le bonheur peut-il être autre chose que la suppression de la douleur ?
- 140 -
[141] SUJET N° 141 - 9PHTEME1 - 2009 - Série TECHN. - METROPOLE - SESSION
NORMALE
La loi ne consiste pas tant à limiter un agent libre et intelligent qu’à le guider vers ses propres
intérêts, et elle ne prescrit pas au-delà de ce qui conduit au bien général de ceux qui sont
assujettis à cette loi. S’ils pouvaient être plus heureux sans elle, la loi s’évanouirait comme une
chose inutile ; et ce qui nous empêche seulement de tomber dans les marais et les précipices
mérite mal le nom de contrainte. De sorte que, quelles que soient les erreurs commises à son
propos, la finalité de la loi n’est pas d’abolir ou de restreindre mais de préserver et d’élargir la
liberté ; et dans toutes les conditions des êtres créés qui sont capables de vivre d’après des lois, là
où il n’y a pas de loi, il n’y a pas de liberté. Car la liberté consiste à être délivré de la contrainte et
de la violence exercées par autrui, ce qui ne peut être lorsqu’il n’y a point de loi ; mais la liberté
n’est pas ce que l’on nous dit, à savoir une liberté, pour tout homme, de faire ce qui lui plaît (car
qui peut être libre quand n’importe quel homme peut nous imposer ses humeurs ?). Mais c’est
une liberté de disposer et d’ordonner comme on l’entend sa personne, ses actions, ses biens et
l’ensemble de sa propriété, dans les limites de ce qui est permis par les lois auxquelles on est
soumis ; et, dans ces limites, de ne pas être assujetti à la volonté arbitraire de quiconque, mais de
suivre librement sa propre volonté.
LOCKE
QUESTIONS :
1° Dégagez la thèse de ce texte et mettez en évidence les étapes de son argumentation.
2°
a) Précisez la conception de la liberté à laquelle Locke s’oppose dans ce texte ;
b) en vous appuyant sur l’image de la ligne 4, expliquez : « guider [un agent libre et intelligent]
vers ses propres intérêts » ;
c) comment Locke définit-il la liberté ? Expliquez cette définition en vous appuyant précisément
sur le texte.
3° La loi est-elle la condition de la liberté ?
- 141 -
[142] SUJET N° 142 - 9PHLIG11 - 2009 - Série L - ETRANGER GROUPE 1 - SESSION
NORMALE
Les faits que l’expérience nous propose sont soumis par la science à une analyse dont on ne peut
pas espérer qu’elle soit jamais achevée puisqu’il n’y a pas de limites à l’observation, qu’on peut
toujours l’imaginer plus complète ou exacte qu’elle n’est à un moment donné. Le concret, le
sensible assignent à la science la tâche d’une élucidation interminable, et il résulte de là qu’on ne
peut le considérer, à la manière classique, comme une simple apparence destinée à être surmontée
par l’intelligence scientifique. Le fait perçu et d’une manière générale les événements de
l’histoire du monde ne peuvent être déduits d’un certain nombre de lois qui composeraient le
visage permanent de l’univers ; c’est, inversement, la loi qui est une expression approchée de
l’événement physique et en laisse subsister l’opacité. Le savant d’aujourd’hui n’a plus, comme le
savant de la période classique, l’illusion d’accéder au cœur des choses, à l’objet même. Sur ce
point, la physique de la relativité confirme que l’objectivité absolue et dernière est un rêve, en
nous montrant chaque observation strictement liée à la position de l’observateur, inséparable de
sa situation, et en rejetant l’idée d’un observateur absolu. Nous ne pouvons pas nous flatter, dans
la science, de parvenir par l’exercice d’une intelligence pure et non située à un objet pur de toute
trace humaine et tel que Dieu le verrait. Ceci n’ôte rien à la nécessité de la recherche scientifique
et ne combat que le dogmatisme d’une science qui se prendrait pour savoir absolu et total. Ceci
rend simplement justice à tous les éléments de l’expérience humaine et en particulier à notre
perception sensible.
MERLEAU-PONTY, Causeries
- 142 -
[143] SUJET N° 143 - 9PHLIAN1 - 2009 - Série L - ANTILLES - SESSION NORMALE
Il me semble que la vertu est chose autre, et plus noble, que les inclinations à la bonté qui
naissent en nous. Les âmes réglées d’elles-mêmes et bien nées, elles suivent même train, et
représentent en leurs actions même visage que les vertueuses ; mais la vertu sonne je ne sais quoi
de plus grand et de plus actif que de se laisser, par une heureuse complexion (1), doucement et
paisiblement conduire à la suite de la raison. Celui qui, d’une douceur et facilité naturelle,
mépriserait les offenses reçues, ferait sans doute chose très belle et digne de louange ; mais celui
qui, piqué et outré jusqu’au vif d’une offense, s’armerait des armes de la raison contre ce furieux
appétit de vengeance, et après un grand conflit s’en rendrait enfin maître, ferait sans doute
beaucoup plus. Celui-là ferait bien, et celui-ci vertueusement : l’une action se pourrait dire bonté,
l’autre vertu ; car il semble que le nom de la vertu présuppose de la difficulté au combat et du
contraste, et qu’elle ne peut être sans partie (2). C’est à l’aventure pourquoi nous nommons Dieu
(3), bon, fort, et libéral, et juste ; mais nous ne le nommons pas vertueux ; ses opérations sont
toutes naïves et sans effort.
MONTAIGNE, Essais
(1) « complexion » : tempérament.
(2) « partie » (ici) : adversaire.
(3) Comprendre : « C’est pourquoi, parmi d’autres noms, nous nommons Dieu… »
- 143 -
[144] SUJET N° 144 - 9PHLIAN3 - 2009 - Série L - ANTILLES - SESSION REMPL.
On dit que le temps passe ou s’écoule. On parle du cours du temps. L’eau que je vois passer s’est
préparée, il y a quelques jours, dans les montagnes, lorsque le glacier a fondu ; elle est devant
moi ; à présent, elle va vers la mer où elle se jettera. Si le temps est semblable à une rivière, il
coule du passé vers le présent et l’avenir. Le présent est la conséquence du passé et l’avenir la
conséquence du présent. Cette célèbre métaphore est en réalité très confuse. Car, à considérer les
choses elles-mêmes, la fonte des neiges et ce qui en résulte ne sont pas des événements
successifs, ou plutôt la notion même d’événement n’a pas de place dans le monde objectif. Quand
je dis qu’avant-hier le glacier a produit l’eau qui passe à présent, je sous-entends un témoin
assujetti à une certaine place dans le monde et je compare ses vues successives : il a assisté là-bas
à la fonte des neiges et il a suivi l’eau dans son décours ; ou bien, du bord de la rivière, il voit
passer après deux jours d’attente les morceaux de bois qu’il avait jetés à la source. Les
« événements » sont découpés par un observateur fini dans la totalité spatio-temporelle du monde
objectif. Mais, si je considère ce monde lui-même ; il n’y a qu’un seul être indivisible et qui ne
change pas. Le changement suppose un certain poste où je me place et d’où je vois défiler des
choses ; il n’y a pas d’événements sans quelqu’un à qui ils adviennent et dont la perspective finie
fonde leur individualité. Le temps suppose une vue sur le temps. Il n’est donc pas comme un
ruisseau (…).
MERLEAU-PONTY, Phénoménologie de la perception
- 144 -
[145] SUJET N° 145 - 9PHSCAG1 - 2009 - Série S - ANTILLES - SESSION NORMALE
Nous ne savons ce que c’est que bonheur ou malheur absolu. Tout est mêlé dans cette vie ; on n’y
goûte aucun sentiment pur, on n’y reste pas deux moments dans le même état. Les affections de
nos âmes, ainsi que les modifications de nos corps, sont dans un flux continuel. Le bien et le mal
nous sont communs à tous, mais en différentes mesures. Le plus heureux est celui qui sent le
moins de peines ; le plus misérable est celui qui sent le moins de plaisirs. Toujours plus de
souffrances que de jouissances : voilà la différence commune à tous. La félicité de l’homme icibas n’est donc qu’un état négatif ; on doit la mesurer par la moindre quantité de maux qu’il
souffre.
Tout sentiment de peine est inséparable du désir de s’en délivrer ; toute idée de plaisir est
inséparable du désir d’en jouir ; tout désir suppose privation, et toutes les privations qu’on sent
sont pénibles ; c’est donc dans la disproportion de nos désirs et de nos facultés que consiste notre
misère. Un être sensible dont les facultés égaleraient les désirs serait un être absolument heureux.
ROUSSEAU, Emile ou de l’éducation
- 145 -
[146] SUJET N° 146 - 9PHESAG1 - 2009 - Série ES - ANTILLES - SESSION NORMALE
Nous sentons la douleur, mais non l’absence de douleur ; le souci, mais non l’absence de souci ;
la crainte, mais non la sécurité. Nous ressentons le désir, comme nous ressentons la faim et la
soif ; mais le désir est-il satisfait, aussitôt il en advient de lui comme de ces morceaux goûtés par
nous et qui cessent d’exister pour notre sensibilité, dès le moment où nous les avalons. Nous
remarquons douloureusement l’absence des jouissances et des joies, et nous les regrettons
aussitôt ; au contraire, la disparition de la douleur, quand bien même elle ne nous quitte qu’après
longtemps, n’est pas immédiatement sentie, mais tout au plus y pense-t-on parce qu’on veut y
penser, par le moyen de la réflexion. Seules, en effet, la douleur et la privation peuvent produire
une impression positive et par là se dénoncer d’elles-mêmes : le bien-être, au contraire, n’est que
pure négation. Aussi n’apprécions-nous pas les trois plus grands biens de la vie, la santé, la
jeunesse et la liberté, tant que nous les possédons ; pour en comprendre la valeur, il faut que nous
les ayons perdus, car ils sont aussi négatifs. Que notre vie était heureuse, c’est ce dont nous ne
nous apercevons qu’au moment où ces jours heureux ont fait place à des jours malheureux.
Autant les jouissances augmentent, autant diminue l’aptitude à les goûter : le plaisir devenu
habitude n’est plus éprouvé comme tel. Mais par là même grandit la faculté de ressentir la
souffrance ; car la disparition d’un plaisir habituel cause une impression douloureuse. Ainsi la
possession accroît la mesure de nos besoins, et du même coup la capacité de ressentir la douleur.
SCHOPENHAUER, Le Monde comme volonté et comme représentation
- 146 -
[147] SUJET N° 147 - 9PHESAG3 - 2009 - Série ES - ANTILLES - SESSION REMPL.
Le seul droit en effet est celui qui sert de lien à la société, et une seule loi l’institue : cette loi qui
établit selon la droite raison des obligations et des interdictions. Qu’elle soit écrite ou non, celui
qui l’ignore est injuste. Mais si la justice est l’obéissance aux lois écrites et aux institutions des
peuples et si, comme le disent ceux qui le soutiennent, l’utilité est la mesure de toutes choses, il
méprisera et enfreindra les lois, celui qui croira y voir son avantage. Ainsi il n’y a plus de justice,
s’il n’y a pas une nature ouvrière de justice ; si c’est sur l’utilité qu’on la fonde, une autre utilité
la renverse. Si donc le droit ne repose pas sur la nature, toutes les vertus disparaissent. Que
deviennent en effet la libéralité, l’amour de la patrie, le respect des choses qui doivent nous être
sacrées, la volonté de rendre service à autrui, celle de reconnaître le service rendu ? Toutes ces
vertus naissent du penchant que nous avons à aimer les hommes, qui est le fondement du droit.
CICERON, Des Lois
- 147 -
[148] SUJET N° 148 - 9PHESJA1 - 2009 - Série ES - JAPON - SESSION NORMALE
L’idée selon laquelle ce qui n’a pas réussi jusqu’à maintenant ne réussira jamais pour cette même
raison, cette idée ne justifie en aucun cas de renoncer à un dessein pragmatique ou technique
(comme par exemple, le dessein de naviguer en ballon), encore moins de renoncer à un dessein
moral qui est un devoir, dès lors qu’on n’a pas démontré que sa réalisation était impossible. Du
reste, on peut prouver de mainte manière que le genre humain dans son ensemble a effectivement
progressé d’une manière considérable au point de vue moral à notre époque, si on compare celleci à toutes les époques antérieures (des arrêts temporaires ne sauraient rien prouver là contre). On
peut également prouver que tout le bruit qu’on fait à propos de la décadence irrésistiblement
croissante du genre humain vient précisément du fait que, lorsque sa moralité franchit un degré
supérieur, il voit encore plus loin devant lui. Dès lors, tout jugement sur ce qu’on est qui s’appuie
sur une comparaison avec ce qu’on devrait être et, par conséquent, notre capacité à nous blâmer
nous-même, deviennent d’autant plus sévères que nous avons déjà franchi davantage de marches
dans la moralité de l’ensemble du cours du monde qui nous est connu.
KANT, Théorie et pratique
- 148 -
[149] SUJET N° 149 - 9PHESLR1 - 2009 - Série ES - LA REUNION - SESSION NORMALE
Si les hommes étaient ainsi disposés par la Nature qu’ils n’eussent de désir que pour ce
qu’enseigne la vraie Raison, certes la société n’aurait besoin d’aucune loi, il suffirait absolument
d’éclairer les hommes par des enseignements moraux pour qu’ils fissent d’eux-mêmes et d’une
âme libérale ce qui est vraiment utile. Mais tout autre est la disposition de la nature humaine ;
tous observent bien leur Intérêt, mais ce n’est pas suivant l’enseignement de la droite Raison ;
c’est le plus souvent entraînés par leur seul appétit de plaisir et les passions de l’âme (qui n’ont
aucun égard è l’avenir et ne tiennent compte que d’elles-mêmes) qu’ils désirent quelque objet et
le jugent utile. De là vient que nulle société ne peut subsister sans un pouvoir de commandement
et une force, et conséquemment sans des lois qui modèrent et contraignent l’appétit du plaisir et
les passions sans frein.
SPINOZA, Traité théologico-politique
- 149 -
[150] SUJET N° 150 - 9PHLIJA1 - 2009 - Série L - JAPON - SESSION NORMALE
Un commandement ordonnant à chacun de chercher à se rendre heureux serait une sottise ; car on
n’ordonne jamais à quelqu’un ce qu’il veut déjà inévitablement de lui-même. Il ne faudrait que
lui ordonner les lignes de conduite ou, plutôt, les lui proposer, parce qu’il ne peut pas tout ce qu’il
veut. Au contraire, ordonner la moralité sous le nom de devoir est tout à fait raisonnable, car tout
le monde ne consent pas volontiers à obéir à ses préceptes, quand elle est en conflit avec des
inclinations ; et, quant aux mesures à prendre sur la façon dont on peut obéir à cette loi, on n’a
pas à les enseigner ici, car ce qu’un homme veut à cet égard, il le peut aussi.
Celui qui a perdu au jeu peut bien s’en vouloir à lui-même ainsi qu’en vouloir à son imprudence,
mais, s’il a conscience d’avoir triché (encore qu’il ait ainsi gagné), il doit se mépriser lui-même
nécessairement dès qu’il se compare avec la loi morale. Il faut donc bien que celle-ci soit autre
chose que le principe du bonheur personnel. Car, être contraint de se dire à soi-même : Je suis un
misérable, bien que j’aie rempli ma bourse, exige un autre critère de jugement que s’il s’agissait
de s’approuver soi-même et se dire : Je suis un homme prudent, car j’ai enrichi ma caisse.
KANT, Critique de la raison pratique
- 150 -
[151] SUJET N° 151 - 9PHLlNC1 - 2009 - Série L - NOUVELLE-CALEDONIE - SESSION
NORMALE
Ceux qui pensent que toute science est impossible, ignorent également si elle est possible,
puisqu’ils font profession de tout ignorer. Je négligerai donc de discuter avec des gens qui
veulent marcher la tête en bas. Et pourtant, je veux bien leur accorder qu’ils ont sur ce point une
certitude, mais je leur demanderai à mon tour comment, n’ayant jamais rencontré la vérité, ils
savent ce qu’est savoir et ne pas savoir, d’où leur vient la notion du vrai et du faux ; comment ils
sont parvenus à distinguer le certain de l’incertain. Tu trouveras que ce sont les sens qui les
premiers nous ont donné la notion de la vérité, et que leur témoignage est irréfutable. Car on doit
accorder plus de créance à ce qui est capable par soi-même de faire triompher le vrai du faux. Or,
quel témoignage est plus digne de foi que celui des sens ? S’ils nous trompent, est-ce la raison qui
pourra déposer contre eux, elle qui tout entière en est issue ? Suppose-les trompeurs, la raison
tout entière devient mensongère à son tour.
LUCRECE, De la ature
- 151 -
[152] SUJET N° 152 - 9PHESLI1 - 2009 - Série ES - LIBAN - SESSION NORMALE
L’esprit ne doit jamais obéissance. Une preuve de géométrie suffit à le montrer ; car si vous la
croyez sur parole, vous êtes un sot ; vous trahissez l’esprit. Ce jugement intérieur, dernier refuge,
et suffisant refuge, il faut le garder ; il ne faut jamais le donner. Suffisant refuge ? Ce qui me le
fait croire, c’est que ce qui subsiste d’esclavage vient bien clairement de ce que le citoyen jette
aux pieds du chef son jugement aussi. Il admire ; c’est son bonheur ; et pourtant il sait ce que cela
lui coûte. Pour moi, je n’arrive pas à comprendre que (...) le bon citoyen, l’ami de l’ordre,
l’exécutant fidèle jusqu’à la mort, se permette encore de donner quelque chose de plus, j’entends
d’acclamer, d’approuver, d’aimer le chef impitoyable. Mais plutôt je voudrais que le citoyen
restât inflexible de son côté, inflexible d’esprit, armé de défiance, et toujours se tenant dans le
doute quant aux projets et aux raisons du chef. Cela revient à se priver du bonheur de l’union
sacrée, en vue d’éviter de plus grands maux. Par exemple, ne point croire, par un abus
d’obéissance, qu’une guerre est ou était inévitable ; ne point croire que les impôts sont calculés
au plus juste, et les dépenses de même ; et ainsi du reste. Exercer donc un contrôle clairvoyant,
résolu, sans cœur, sur les actions et encore plus sur les discours du chef. Communiquer à ses
représentants le même esprit de résistance et de critique, de façon que le pouvoir se sache jugé.
Car, si le respect, l’amitié, les égards se glissent par là, la justice et la liberté sont perdues, et la
sécurité elle-même est perdue.
ALAIN, Propos
- 152 -
[153] SUJET N° 153 - 9PHESAS1 - 2009 - Série ES - AMERIQUE DU SUD - SESSION
NORMALE
L’ETRANGER — C’est que la loi ne pourra jamais embrasser exactement ce qui est le meilleur
et le plus juste pour tout le monde à la fois, afin d’y conformer ses prescriptions : car les
différences entre les individus, les différences entre les actions, ajoutées au fait qu’aucune chose
humaine, pour ainsi dire, ne reste jamais en repos, interdisent à toute science, quelle qu’elle soit,
de promulguer en aucune matière une règle simple qui s’applique à tout et à tous les temps.
Accordons-nous cela ?
SOCRATE LE JEUNE — Comment s’y refuser ?
L’ETRANGER — Et cependant, nous le voyons, c’est à cette uniformité même que tend la loi,
comme un homme buté et ignorant, qui ne permet à personne de rien faire contre son ordre, ni
même de lui poser une question, lors même qu’il viendrait à quelqu’un une idée nouvelle,
préférable à ce qu’il a prescrit lui-même.
SOCRATE LE JEUNE — C’est vrai : la loi agit réellement à l’égard de chacun de nous comme
tu viens de le dire.
L’ETRANGER — Il est donc impossible que ce qui est toujours simple s’adapte exactement à ce
qui ne l’est jamais.
SOCRATE LE JEUNE — J’en ai peur.
L’ETRANGER — Alors, pourquoi donc est-il nécessaire de légiférer, si la loi n’est pas ce qu’il y
a de plus juste ? Il faut que nous en découvrions la raison.
PLATON, Le Politique
- 153 -
[154] SUJET N° 154 - 9PHSCAS1 - 2009 - Série S - AMERIQUE DU SUD - SESSION
NORMALE
SOCRATE — Regarde bien si ce que tu veux dire, quand tu parles de ces deux genres de vie, une
vie d’ordre et une vie de dérèglement, ne ressemble pas à la situation suivante. Suppose qu’il y ait
deux hommes qui possèdent, chacun, un grand nombre de tonneaux. Les tonneaux de l’un sont
sains, remplis de vin, de miel, de lait, et cet homme a encore bien d’autres tonneaux, remplis de
toutes sortes de choses. Chaque tonneau est donc plein de ces denrées liquides qui sont rares,
difficiles à recueillir et qu’on n’obtient qu’au terme de maints travaux pénibles. Mais, au moins,
une fois que cet homme a rempli ses tonneaux, il n’a plus à y reverser quoi que ce soit ni à
s’occuper d’eux ; au contraire, quand il pense à ses tonneaux, il est tranquille. L’autre homme,
quant à lui, serait aussi capable de se procurer ce genre de denrées, même si elles sont difficiles à
recueillir, mais comme ses récipients sont percés et fêlés, il serait forcé de les remplir sans cesse,
jour et nuit, en s’infligeant les plus pénibles peines. Alors, regarde bien, si ces deux hommes
représentent chacun une manière de vivre, de laquelle des deux dis-tu qu’elle est la plus
heureuse ? Est-ce la vie de l’homme déréglé ou celle de l’homme tempérant ? En te racontant
cela, est-ce que je te convaincs d’admettre que la vie tempérante vaut mieux que la vie déréglée ?
Est-ce que je ne te convaincs pas ?
CALLICLES — Tu ne me convaincs pas, Socrate. Car l’homme dont tu parles, celui qui a fait le
plein en lui-même et en ses tonneaux, n’a plus aucun plaisir, il a exactement le type d’existence
dont je parlais tout à l’heure : il vit comme une pierre. S’il a fait le plein, il n’éprouve plus ni joie
ni peine. Au contraire, la vie de plaisirs est celle où on verse et on reverse autant qu’on peut dans
son tonneau !
PLATON, Gorgias
- 154 -
[155] SUJET N° 155 - 9PTSTMDNC1 - 2009 - Série TECHN. - NOUVELLE-CALEDONIE SESSION NORMALE
Une opinion vulgairement répandue nomme esclave celui qui agit sur l’ordre d’un autre, et
homme libre celui qui se conduit comme il le veut. Cette manière de voir n’est pas tout à fait
conforme à la vérité. En fait, l’individu entraîné par son désir au point de ne plus rien voir ni faire
de ce qu’exige son intérêt authentique est soumis au pire des esclavages. Au contraire, on devra
proclamer libre l’individu qui choisit volontairement de guider sa vie sur la raison. Quant à la
conduite déclenchée par un commandement, c’est-à-dire l’obéissance, bien qu’elle supprime en
un sens la liberté, elle n’entraîne cependant pas immédiatement pour un agent la qualité
d’esclave. Il faut considérer avant tout, à cet égard, la signification particulière de l’action. A
supposer que la fin de l’action serve l’intérêt non de l’agent, mais de celui qui commande
l’action, celui qui l’accomplit n’est en effet qu’un esclave, hors d’état de réaliser son intérêt
propre. Toutefois dans toute libre République et dans tout Etat où n’est point prise pour loi
suprême la sauvegarde de la personne qui donne les ordres, mais celle du peuple entier, l’individu
docile à la souveraine Puissance ne doit pas être qualifié d’esclave hors d’état de réaliser son
intérêt propre.
SPINOZA
QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée principale du texte, puis les étapes de son argumentation.
2° Expliquez :
a) « l’individu entraîné par son désir au point de ne plus rien voir ni faire de ce qu’exige son
intérêt authentique est soumis au pire des esclavages » ;
b) « on devra proclamer libre l’individu qui choisit volontairement de guider sa vie sur la
raison ».
3° La liberté peut-elle se concilier avec l’obéissance ?
- 155 -
[156] SUJET N° 156 - 9PHESNC1 - 2009 - Série ES - NOUVELLE-CALEDONIE - SESSION
NORMALE
La seule raison légitime que puisse avoir une communauté pour user de la force contre un de ses
membres est de l’empêcher de nuire aux autres. Contraindre quiconque pour son propre bien,
physique ou moral, ne constitue pas une justification suffisante. Un homme ne peut pas être
légitimement contraint d’agir ou de s’abstenir sous prétexte que ce serait meilleur pour lui, que
cela le rendrait plus heureux ou que, dans l’opinion des autres, agir ainsi serait sage ou même
juste. Ce sont certes de bonnes raisons pour lui faire des remontrances, le raisonner, le persuader
ou le supplier, mais non pour le contraindre ou lui causer du tort s’il agit autrement. La contrainte
ne se justifie que lorsque la conduite dont on désire détourner cet homme risque de nuire à
quelqu’un d’autre. Le seul aspect de la conduite d’un individu qui soit du ressort de la société est
celui qui concerne les autres. Mais pour ce qui ne concerne que lui, son indépendance est, de
droit, absolue. Sur lui-même, sur son corps et son esprit, l’individu est souverain.
MILL, De la Liberté
- 156 -
[157] SUJET N° 157 - 9PHSCNC1 - 2009 - Série S - NOUVELLE-CALEDONIE - SESSION
NORMALE
Pour nous convaincre que toutes les lois de la nature et toutes les opérations des corps sans
exception se connaissent seulement par expérience, les réflexions suivantes peuvent sans doute
suffire. Si un objet se présentait à nous et qu’on nous demande de nous prononcer sur l’effet qui
en résultera sans consulter l’expérience passée, de quelle manière faut-il, je vous prie, que l’esprit
procède dans cette opération ? Faut-il qu’il invente ou qu’il imagine un événement qu’il
attribuera à l’objet comme effet ? Manifestement, il faut que cette invention soit entièrement
arbitraire. L’esprit ne peut sans doute jamais trouver l’effet dans la cause supposée par l’analyse
et l’examen les plus précis. Car l’effet est totalement différent de la cause et, par suite, on ne peut
jamais l’y découvrir. Le mouvement de la seconde bille de billard est un événement distinct du
mouvement de la première ; il n’y a rien dans l’un qui suggère la plus petite indication sur l’autre.
Une pierre ou un morceau de métal élevés en l’air et laissés sans support tombent
immédiatement ; mais à considérer la question a priori, découvrons-nous rien dans cette situation
qui puisse engendrer l’idée d’une chute plutôt que d’une élévation ou de tout autre mouvement,
dans la pierre ou le morceau de métal ?
HUME, Enquête sur l’entendement humain
- 157 -
[158] SUJET N° 158 - 9PHLlAS1 - 2009 - Série L - AMERIQUE DU SUD - SESSION
NORMALE
Les hommes peuvent avoir des démonstrations rigoureuses sur le papier, et en ont sans doute une
infinité. Mais sans se souvenir d’avoir usé d’une parfaite rigueur, on ne saurait avoir cette
certitude dans l’esprit. Et cette rigueur consiste dans un règlement dont l’observation sur chaque
partie soit une assurance à l’égard du tout ; comme dans l’examen de la chaîne par anneaux, où,
visitant chacun pour voir s’il est ferme, et prenant des mesures avec la main pour n’en sauter
aucun, on est assuré de la bonté de la chaîne. Et par ce moyen on a toute la certitude dont les
choses humaines sont capables. Mais je ne demeure point d’accord qu’en mathématiques les
démonstrations particulières sur la figure qu’on trace fournissent cette certitude générale. (…)
Car il faut savoir que ce ne sont pas les figures qui donnent la preuve chez les géomètres. (…) La
force de la démonstration est indépendante de la figure tracée, qui n’est que pour faciliter
l’intelligence de ce qu’on veut dire et fixer l’attention ; ce sont les propositions universelles,
c’est-à-dire les définitions, les axiomes, et les théorèmes déjà démontrés qui font le raisonnement
et le soutiendraient quand la figure n’y serait pas.
LEIBNIZ, ouveaux Essais sur l’entendement humain
- 158 -
[159] SUJET N° 159 - 9PHESNC3 - 2009 - Série ES - NOUVELLE-CALEDONIE - SESSION
REMPL.
Chez toutes les créatures qui ne vivent pas comme des prédateurs aux dépens des autres, et que
n’agitent pas des passions violentes, se manifeste un remarquable désir de compagnie qui les
associe sans qu’elles ne puissent jamais projeter de récolter le moindre avantage de leur union.
Ce trait est encore plus saillant chez l’homme qui, de toutes les créatures de l’univers, désire le
plus ardemment la société et se trouve doté en sa faveur des meilleures dispositions. Nous ne
pouvons former aucun souhait qui ne fasse référence à la société. Il n’est peut-être pas possible
d’endurer un châtiment plus pénible qu’un isolement complet. Tout plaisir devient languissant
quand on en jouit hors de toute compagnie ; et toute peine devient alors plus cruelle et plus
intolérable. Quelles que soient les autres passions qui peuvent nous agiter, orgueil, ambition,
avarice, curiosité, vengeance ou luxure, leur âme ou leur principe animateur, c’est la sympathie ;
elles perdraient même toute force si nous devions nous dégager entièrement des pensées et des
sentiments des autres. Que tous les pouvoirs et les éléments de la nature conspirent à ne servir
qu’un homme et à lui obéir exclusivement ; que le soleil se lève et se couche à son
commandement ; que l’océan et les fleuves roulent leurs flots à sa guise ; que la terre fournisse
spontanément tout ce qui peut lui être utile et agréable : il n’en restera pas moins misérable tant
que vous ne lui donnerez pas l’occasion de partager son bonheur, ne serait-ce qu’avec une
personne dont l’estime et l’amitié lui fassent plaisir.
HUME, Traité de la nature humaine
- 159 -
[160] SUJET N° 160 - 8PHLIAG1 - 2008 - Série L - ANTILLES - SESSION NORMALE
C’est dire qu’il faut un hasard heureux, une chance exceptionnelle, pour que nous notions
justement, dans la réalité présente, ce qui aura le plus d’intérêt pour l’historien à venir. Quand cet
historien considérera notre présent à nous, il y cherchera surtout l’explication de son présent à lui.
et plus particulièrement de ce que son présent contiendra de nouveauté. Cette nouveauté, nous ne
pouvons en avoir aucune idée aujourd’hui, si ce doit être une création. Comment donc nous
réglerions-nous aujourd’hui sur elle pour choisir parmi les faits ceux qu’il faut enregistrer, ou
plutôt pour fabriquer des faits en découpant selon cette indication la réalité présente ? Le fait
capital des temps modernes est l’avènement de la démocratie. Que dans le passé, tel qu’il fut
décrit par les contemporains, nous en trouvions des signes avant-coureurs, c’est incontestable ;
mais les indications peut-être les plus intéressantes n’auraient été notées par eux que s’ils avaient
su que l’humanité marchait dans cette direction ; or cette direction de trajet n’était pas plus
marquée alors qu’une autre, ou plutôt elle n’existait pas encore, ayant été créée par le trajet luimême, je veux dire par le mouvement en avant des hommes qui ont progressivement conçu et
réalisé la démocratie. Les signes avant-coureurs ne sont donc à nos yeux des signes que parce que
nous connaissons maintenant la course, parce que la course a été effectuée. Ni la course, ni sa
direction, ni par conséquent son terme n’étaient donnés quand ces faits se produisaient : donc ces
faits n’étaient pas encore des signes.
BERGSON, La Pensée et le mouvant
- 160 -
[161] SUJET N° 161 - 8PHTEAG1 - 2008 - Série TECHN. - ANTILLES - SESSION
NORMALE
Puisque l’homme libre est celui à qui tout arrive comme il le désire, me dit un fou, je veux aussi
que tout arrive comme il me plaît. - Eh ! mon ami, la folie et la liberté ne se trouvent jamais
ensemble. La liberté est une chose non seulement très belle, mais très raisonnable et il n’y a rien
de plus absurde ni de plus déraisonnable que de former des désirs téméraires (1) et de vouloir que
les choses arrivent comme nous les avons pensées. Quand j’ai le nom de Dion à écrire, il faut que
je l’écrive, non pas comme je veux, mais tel qu’il est, sans y changer une seule lettre. Il en est de
même dans tous les arts et dans toutes les sciences. Et tu veux que sur la plus grande et la plus
importante de toutes les choses, je veux dire la liberté, on voie régner le caprice et la fantaisie !
Non, mon ami : la liberté consiste à vouloir que les choses arrivent, non comme il te plaît, mais
comme elles arrivent.
EPICTETE
(1) « téméraires » : trop hardis, imprudents.
QUESTIONS :
1°
a) Quelle est la thèse de ce texte ?
b) A quelle idée de la liberté s’oppose-t-elle ?
c) Comment la thèse est-elle établie ?
2°
a) Expliquez : « la folie et la liberté ne se trouvent jamais ensemble ».
b) Que montre l’exemple de l’écriture du nom de Dion ?
3° La liberté consiste-t-elle à vouloir que les choses arrivent, non comme il nous plaît, mais
comme elles arrivent ?
- 161 -
[162] SUJET N° 162 - 8PHSCIN1 - 2008 - Série S - INDE - SESSION NORMALE
« La vie est dans le mouvement » a dit Aristote avec raison : de même que notre vie physique
consiste uniquement dans un mouvement incessant et ne persiste que par lui, de même notre vie
intérieure, intellectuelle demande une occupation constante, une occupation avec n’importe quoi,
par l’action ou par la pensée ; c’est ce que prouve déjà cette manie des gens désœuvrés, et qui ne
pensent à rien, de se mettre immédiatement a tambouriner avec leurs doigts ou avec le premier
objet venu. C’est que l’agitation est le principe de notre existence ; une inaction complète devient
bien vite insupportable, car elle engendre le plus horrible ennui. C’est en réglant cet instinct
qu’on peut le satisfaire méthodiquement et avec plus de fruit. L’activité est indispensable au
bonheur ; il faut que l’homme agisse, fasse quelque chose si cela lui est possible ou apprenne au
moins quelque chose ; ses forces demandent leur emploi, et lui-même ne demande qu’à leur voir
produire un résultat quelconque. Sous ce rapport, sa plus grande satisfaction consiste à faire, à
confectionner quelque chose, panier ou livre ; mais ce qui donne du bonheur immédiat, c’est de
voir jour par jour croître son œuvre sous ses mains et de la voir arriver à sa perfection. Une œuvre
d’art, un écrit ou même un simple ouvrage manuel produisent cet effet ; bien entendu, plus la
nature du travail est noble, plus la jouissance est élevée.
SCHOPENHAUER, Aphorismes sur la sagesse dans la vie
- 162 -
[163] SUJET N° 163 - 8PHESIN1 - 2008 - Série ES - INDE - SESSION NORMALE
A tout prendre, les méthodes scientifiques sont un fruit de la recherche au moins aussi important
que n’importe quel autre de ses résultats ; car c’est sur l’intelligence de la méthode que repose
l’esprit scientifique, et tous les résultats de la science ne pourraient empêcher, si ces méthodes
venaient à se perdre, une recrudescence de la superstition et de l’absurdité reprenant le dessus.
Des gens intelligents peuvent bien apprendre tout ce qu’ils veulent des résultats de la science, on
n’en remarque pas moins à leur conversation, et notamment aux hypothèses qui y paraissent, que
l’esprit scientifique leur fait toujours défaut : ils n’ont pas cette méfiance instinctive pour les
aberrations de la pensée qui a pris racine dans l’âme de tout homme de science à la suite d’un
long exercice. Il leur suffit de trouver une hypothèse quelconque sur une matière donnée, et les
voilà tout feu tout flamme pour elle, s’imaginant qu’ainsi tout est dit. Avoir une opinion, c’est bel
et bien pour eux s’en faire les fanatiques et la prendre dorénavant à cœur en guise de conviction.
Y a-t-il une chose inexpliquée, ils s’échauffent pour la première fantaisie qui leur passe par la tête
et ressemble à une explication ; il en résulte continuellement, surtout dans le domaine de la
politique, les pires conséquences. C’est pourquoi tout le monde devrait aujourd’hui connaître à
font au moins une science ; on saurait tout de même alors ce que c’est que la méthode, et tout ce
qu’il y faut d’extrême circonspection.
NIETZSCHE, Humain, trop humain
- 163 -
[164] SUJET N° 164 - 8PHSCAG3 - 2008 - Série S - ANTILLES - SESSION REMPL.
Hors de la société civile chacun jouit d’une liberté très entière, mais qui est infructueuse, parce
que comme elle donne le privilège de faire tout ce que bon nous semble, aussi elle laisse aux
autres la puissance de nous faire souffrir tout ce qu’il leur plaît. Mais dans le gouvernement d’un
Etat bien établi, chaque particulier ne se réserve qu’autant de liberté qu’il lui en faut pour vivre
commodément, et en une parfaite tranquillité, comme on n’en ôte aux autres que ce dont ils
seraient à craindre. Hors de la société, chacun a tellement droit sur toutes choses, qu’il ne peut
s’en prévaloir et n’a la possession d’aucune ; mais dans la république, chacun jouit paisiblement
de son droit particulier. Hors de la société civile, ce n’est qu’un continuel brigandage et on est
exposé à la violence de tous ceux qui voudront nous ôter les biens et la vie ; mais dans l’Etat,
cette puissance n’appartient qu’à lui seul. Hors du commerce des hommes, nous n’avons que nos
propres forces qui nous servent de protection, mais dans une ville, nous recevons le secours de
tous nos concitoyens.
HOBBES, Du Citoyen
- 164 -
[165] SUJET N° 165 - 8PHMIMES - 2008 - Série TMD - METROPOLE - SESSION REMPL.
Bien que chacun de nous soit une personne séparée des autres, et dont, par conséquent, les
intérêts sont en quelque façon distincts de ceux du reste du monde, on doit toutefois penser qu’on
ne saurait subsister seul, et qu’on est, en effet, l’une des parties de l’univers, et plus
particulièrement encore, l’une des parties de cette terre, l’une des parties de cet Etat, de cette
société, de cette famille, à laquelle on est joint par sa demeure, par son serment, par sa naissance.
Et il faut toujours préférer les intérêts du tout, dont on est partie, à ceux de sa personne en
particulier ; toutefois avec mesure et discrétion (1), car on aurait tort de s’exposer à un grand mal,
pour procurer seulement un petit bien à ses parents ou à son pays ; et si un homme vaut plus, lui
seul, que tout le reste de sa ville, il n’aurait pas raison de se vouloir perdre pour la sauver. Mais si
on rapportait tout à soi-même, on ne craindrait pas de nuire beaucoup aux autres hommes,
lorsqu’on croirait en retirer quelque petite commodité, et on n’aurait aucune vraie amitié, ni
aucune fidélité, ni généralement aucune vertu ; au lieu qu’en se considérant comme une partie du
public, on prend plaisir à faire du bien à tout le monde, et même on ne craint pas d’exposer sa vie
pour le service d’autrui, lorsque l’occasion s’en présente ; voire on voudrait perdre son âme, s’il
se pouvait, pour sauver les autres. En sorte que cette considération est la source et l’origine de
toutes les plus héroïques actions que fassent les hommes.
DESCARTES
(1) « discrétion » : ici, discernement.
QUESTIONS :
1° Dégagez la thèse de ce texte et montrez comment elle est établie.
2°
a) Expliquez : « on doit toutefois penser qu’on ne saurait subsister seul ».
b) Pourquoi n’aurait-on « généralement aucune vertu », « si on rapportait tout à soi-même » ?
c) Expliquez : « on prend plaisir à faire du bien à tout le monde ».
3° Faut-il toujours préférer les intérêts du tout à ceux de sa personne en particulier ?
- 165 -
[166] SUJET N° 166 - 8PHTEAN3 - 2008 - Série TECHN. - ANTILLES - SESSION REMPL.
Toutes les lois civiles sont générales et concernent uniquement certaines circonstances
essentielles du cas, sans prendre en considération les caractères, les situations et les relations de la
personne intéressée, ni toutes les conséquences particulières qui peuvent résulter de la
détermination de ces lois dans un cas particulier qui se présente. Elles privent sans scrupule un
homme bienfaisant de tous ses biens, s’ils ont été acquis par erreur, sans juste titre, afin de les
attribuer à un avare égoïste qui a déjà entassé des quantités énormes de richesses superflues.
L’utilité publique exige que la propriété soit régie par des règles générales inflexibles ; et bien
que l’on adopte de telles règles pour servir au mieux cette même utilité publique, il leur est
impossible de prévenir toutes les mésaventures particulières ou de faire en sorte que des
conséquences bénéfiques résultent de chaque cas individuel. Il suffit que le plan ou projet dans
son ensemble soit nécessaire au maintien de la société civile et que, d’une manière générale, la
somme du bien en soit amenée à l’emporter nettement sur celle du mal.
HUME
QUESTIONS :
1°
a) Quelle est, d’après ce texte, la fin visée par les lois ?
b) A quelles conditions peuvent-elles l’atteindre ?
2°
a) Précisez ce que montre l’exemple de l’homme bienfaisant et de l’avare égoïste.
b) Expliquez : « L’utilité publique exige que la propriété soit régie par des règles générales
inflexibles ».
c) Expliquez : « Il suffit que (...) la somme du bien en soit amenée à l’emporter nettement sur
celle du mal ».
3° Les lois doivent-elles être indifférentes aux cas particuliers ?
- 166 -
[167] SUJET N° 167 - 8PHESAG3 - 2008 - Série ES - ANTILLES - SESSION REMPL.
L’évolution de la vie sur la terre ou de la société humaine, est un processus historique unique. Un
tel processus, nous pouvons le présumer, s’effectue en accord avec tous les genres de lois
causales, par exemple les lois de la mécanique, de la chimie, de l’hérédité et de la ségrégation, de
la sélection naturelle, etc. On ne peut cependant pas le décrire comme une loi, mais seulement
comme un énoncé historique singulier. Les lois universelles formulent des assertions relatives à
un certain ordre invariant (...), c’est-à-dire relatives à tous les processus d’un certain genre ; et
bien qu’il n’y ait pas de raison pour que l’observation d’un seul cas unique ne doive pas nous
inciter à formuler une loi universelle, ni même pour que, avec de la chance, nous ne rencontrions
pas la vérité, il est clair que toute loi, qu’elle soit formulée de cette manière ou d’une autre, doit
être testée sur d’autres cas avant de pouvoir être prise sérieusement en considération par la
science. Mais nous ne pouvons espérer tester une hypothèse universelle ni découvrir une loi
naturelle acceptable pour la science si nous sommes à jamais réduits à l’observation d’un seul et
unique processus. L’observation d’un seul et unique processus ne peut non plus nous permettre
de prévoir l’évolution future. La plus minutieuse observation du développement d’une unique
chenille ne nous aidera pas à prévoir sa métamorphose en papillon.
Karl POPPER, Misère de l’historicisme
- 167 -
[168] SUJET N° 168 - 8PHESAG1 - 2008 - Série ES - ANTILLES - SESSION NORMALE
Ce qui est décisif, c’est que la loi, bien qu’elle délimite un espace où les hommes ont renoncé à la
violence entre eux, recèle en elle, du fait de sa formation comme par sa nature même, quelque
chose de violent. Elle résulte de la fabrication et non de l’action ; le législateur ressemble à
l’urbaniste et à l’architecte, et non à l’homme d’Etat ou au citoyen. La loi, en produisant l’espace
du politique, contient cet élément de violation et de violence caractéristique de toute production.
En tant qu’artifice, elle s’oppose à ce qui s’est développé naturellement et qui pour être n’a
nécessité aucune assistance, ni divine ni humaine. (…) Face à l’homme qui lui est soumis, une
telle violence s’exprime dans le fait que les lois commandent, qu’elles règnent en maîtresses
absolues dans la polis (1) où aucun homme n’a le droit de commander ses égaux. Les lois sont
ainsi le père et le despote tout à la fois.
Hannah ARENDT, Qu’est-ce que la politique ?
(1) « la polis » : la cité.
- 168 -
[169] SUJET N° 169 - 8PHLIAG3 - 2008 - Série L - ANTILLES - SESSION REMPL.
Qu’est-ce en fin de compte que l’on appelle « commun » ? Les mots sont des symboles sonores
pour désigner des idées, mais les idées sont des signes imagés, plus ou moins précis, de
sensations qui reviennent fréquemment et simultanément, de groupes de sensations. Il ne suffit
pas, pour se comprendre mutuellement, d’employer les mêmes mots ; il faut encore employer les
mêmes mots pour désigner la même sorte d’expériences intérieures, il faut enfin avoir en
commun certaines expériences. C’est pourquoi les gens d’un même peuple se comprennent mieux
entre eux que ceux qui appartiennent à des peuples différents, même si ces derniers usent de la
même langue ; ou plutôt, quand des hommes ont longtemps vécu ensemble dans des conditions
identiques, sous le même climat, sur le même sol, courant les mêmes dangers, ayant les mêmes
besoins, faisant le même travail, il en naît quelque chose qui « se comprend » : un peuple. Dans
toutes les âmes un même nombre d’expériences revenant fréquemment a pris le dessus sur des
expériences qui se répètent plus rarement : sur elles on se comprend vite, et de plus en plus vite –
l’histoire du langage est l’histoire d’un processus d’abréviation.
NIETZSCHE, Par-delà le Bien et le mal
- 169 -
[170] SUJET N° 170 - 8PHSCAG1 - 2008 - Série S - ANTILLES - SESSION NORMALE
Les artistes ont un intérêt à ce qu’on croie aux intuitions soudaines, aux soi-disant inspirations ;
comme si l’idée de l’œuvre d’art, du poème, la pensée fondamentale d’une philosophie, tombait
du ciel comme un rayon de la grâce. En réalité, l’imagination du bon artiste ou penseur produit
constamment du bon, du médiocre et du mauvais, mais son jugement, extrêmement aiguisé,
exercé, rejette, choisit, combine ; ainsi, l’on se rend compte aujourd’hui d’après les Carnets de
Beethoven qu’il a composé peu à peu ses plus magnifiques mélodies et les a en quelque sorte
tirées d’ébauches multiples. Celui qui discerne moins sévèrement et s’abandonne volontiers à la
mémoire reproductrice pourra, dans certaines conditions, devenir un grand improvisateur ; mais
l’improvisation artistique est à niveau fort bas en comparaison des idées d’art choisies
sérieusement et avec peine. Tous les grands hommes sont de grands travailleurs, infatigables non
seulement à inventer, mais encore à rejeter, passer au crible, modifier, arranger.
NIETZSCHE, Humain, trop humain
- 170 -
[171] SUJET N° 171 - 8PHESG11 - 2008 - Série ES - ETRANGER GROUPE 1 - SESSION
NORMALE
Le droit inhérent (1) à la société d’opposer aux crimes qui la visent des mesures préventives,
suggère les limites évidentes de cette idée selon laquelle la mauvaise conduite purement privée
n’offre pas matière à prévention ou à punition. L’ivresse, par exemple, n’est pas ordinairement un
sujet normal d’intervention législative ; mais je trouverais parfaitement légitime qu’on impose
une restriction spéciale, personnelle à un homme convaincu de quelque violence envers autrui
sous l’influence de la boisson, et telle que si on le trouve ivre ensuite, il soit passible d’une
amende, et que s’il commet un nouveau délit la punition reçue soit plus sévère. S’enivrer, pour
une personne que l’ivresse pousse à nuire à autrui, est un crime envers les autres. De même
l’oisiveté - sauf si la personne est à la charge du public, ou si son oisiveté constitue une rupture
de contrat - ne peut sans tyrannie faire l’objet de punitions légales. Mais si par oisiveté, ou par
une raison facilement évitable, un homme manque à ses devoirs légaux envers autrui, comme
d’entretenir ses enfants, ce n’est pas un acte de tyrannie que le forcer à remplir ses obligations en
travaillant si on ne trouve pas d’autres moyens.
MILL, De la Liberté
(1) « inhérent » : qui appartient en propre.
- 171 -
[172] SUJET N° 172 - 8PHLIG11 - 2008 - Série L - ETRANGER GROUPE 1 - SESSION
NORMALE
Le dernier progrès que fit la raison, achevant d’élever l’homme tout à fait au-dessus de la société
animale, ce fut qu’il comprit (obscurément encore) qu’il était proprement la fin de la nature, et
que rien de ce qui vit sur terre ne pouvait lui disputer ce droit. La première fois qu’il dit au
mouton : « la peau que tu portes, ce n’est pas pour toi, mais pour moi que la nature te l’a
donnée », qu’il la lui retira et s’en revêtit, il découvrit un privilège qu’il avait, en raison de sa
nature, sur tous les animaux. Et il cessa désormais de les considérer comme ses compagnons dans
la création, pour les regarder comme des moyens et des instruments mis à la disposition de sa
volonté en vue d’atteindre les desseins qu’il se propose. Cette représentation implique
(obscurément sans doute) la contrepartie, à savoir qu’il n’avait pas le droit de traiter un homme
de cette façon, mais qu’il devait le considérer comme un associé participant sur un pied d’égalité
avec lui aux dons de la nature ; c’était se préparer de loin à la limitation que la raison devait à
l’avenir imposer à sa volonté à l’égard des hommes ses semblables, et qui, bien plus que
l’inclination et l’amour, est nécessaire à l’établissement de la société.
Et ainsi l’homme venait d’atteindre l’égalité avec tous les autres êtres raisonnables, à quelque
rang qu’ils pussent se trouver, c’est-à-dire, en ce qui concerne sa prétention d’être à lui-même sa
fin, le droit d’être estimé par tous les autres comme tel, et de n’être utilisé par aucun comme
simple moyen pour atteindre d’autres fins.
KANT, Conjectures sur les débuts de l’histoire humaine
- 172 -
[173] SUJET N° 173 - 8PHSCG11 - 2008 - Série S - ETRANGER GROUPE 1 - SESSION
NORMALE
Que nous dit en effet l’expérience ? Elle nous montre que la vie de l’âme ou, si vous aimez
mieux, la vie de la conscience, est liée à la vie du corps, qu’il y a solidarité entre elles, rien de
plus. Mais ce point n’a jamais été contesté par personne, et il y a loin de là à soutenir que le
cérébral est l’équivalent du mental, qu’on pourrait lire dans un cerveau tout ce qui se passe dans
la conscience correspondante. Un vêtement est solidaire du clou auquel il est accroché ; il tombe
si l’on arrache le clou ; il oscille si le clou remue ; il se troue, il se déchire si la tête du clou est
trop pointue ; il ne s’ensuit pas que chaque détail du clou corresponde à un détail du vêtement, ni
que le clou soit l’équivalent du vêtement ; encore moins s’ensuit-il que le clou et le vêtement
soient la même chose. Ainsi, la conscience est incontestablement accrochée à un cerveau mais il
ne résulte nullement de là que le cerveau dessine tout le détail de la conscience, ni que la
conscience soit une fonction du cerveau. Tout ce que l’observation, l’expérience, et par
conséquent la science nous permettent d’affirmer, c’est l’existence d’une certaine relation entre le
cerveau et la conscience.
BERGSON, L’Energie spirituelle
- 173 -
[174] SUJET N° 174 - 8PHTEINI - 2008 - Série TECHN. - INDE - SESSION NORMALE
La seule raison légitime que puisse avoir une communauté pour user de la force contre un de ses
membres est de l’empêcher de nuire aux autres. Contraindre quiconque pour son propre bien,
physique ou moral, ne constitue pas une justification suffisante. Un homme ne peut pas être
légitimement contraint d’agir ou de s’abstenir sous prétexte que ce serait meilleur pour lui, que
cela le rendrait plus heureux ou que, dans l’opinion des autres, agir ainsi serait sage ou même
juste. Ce sont certes de bonnes raisons pour lui faire des remontrances, le raisonner, le persuader
ou le supplier, mais non pour le contraindre ou lui causer du tort s’il agit autrement. La contrainte
ne se justifie que lorsque la conduite dont on désire détourner cet homme risque de nuire à
quelqu’un d’autre. Le seul aspect de la conduite d’un individu qui soit du ressort de la société est
celui qui concerne les autres. Mais pour ce qui ne concerne que lui, son indépendance est, de
droit, absolue. Sur lui-même, sur son corps et son esprit, l’individu est souverain.
MILL
QUESTIONS :
1° Dégagez la thèse de ce texte et montrez comment elle est établie.
2°
a) Expliquez : « Contraindre quiconque pour son propre bien, (...) ne constitue pas une
justification suffisante ».
b) Quelle différence y a-t-il entre « faire des remontrances, (...) raisonner, (...) persuader ou (...)
supplier » et « contraindre ou (...) causer du tort » ?
c) Expliquez : « Le seul aspect de la conduite d’un individu qui soit du ressort de la société est
celui qui concerne les autres ».
3° Est-il illégitime de contraindre quelqu’un pour son bien ?
- 174 -
[175] SUJET N° 175 - 8PHESLI1 - 2008 - Série ES - LIBAN - SESSION NORMALE
Le sens de ce que va dire l’artiste n’est nulle part, ni dans les choses, qui ne sont pas encore sens,
ni en lui-même, dans sa vie informulée. (...) Un peintre comme Cézanne, un artiste, un
philosophe, doivent non seulement créer et exprimer une idée, mais encore réveiller les
expériences qui l’enracineront dans les autres consciences. Si l’œuvre est réussie, elle a le
pouvoir étrange de s’enseigner elle-même. En suivant les indications du tableau ou du livre, en
établissant des recoupements, en heurtant de côté et d’autre, guidés par la clarté confuse d’un
style, le lecteur ou le spectateur finissent par retrouver ce qu’on a voulu leur communiquer. Le
peintre n’a pu que construire une image. Il faut attendre que cette image s’anime pour les autres.
Alors l’œuvre d’art aura joint ces vies séparées, elle n’existera plus seulement en l’une d’elles
comme un rêve tenace ou un délire persistant, ou dans l’espace comme une toile coloriée, elle
habitera indivise dans plusieurs esprits, présomptivement dans tout esprit possible, comme une
acquisition pour toujours.
MERLEAU-PONTY, Sens et non-sens
- 175 -
[176] SUJET N° 176 - 8PHLIANL1 - 2008 - Série L - LIBAN - SESSION NORMALE
Il me semble que l’erreur qu’on commet le plus ordinairement touchant les désirs est qu’on ne
distingue pas assez les choses qui dépendent entièrement de nous de celles qui n’en dépendent
point : car, pour celles qui ne dépendent que de nous, c’est-à-dire de notre libre arbitre, il suffit de
savoir qu’elles sont bonnes pour ne les pouvoir désirer avec trop d’ardeur, à cause que c’est
suivre la vertu que de faire les choses bonnes qui dépendent de nous, et il est certain qu’on ne
saurait avoir un désir trop ardent pour la vertu, outre que ce que nous désirons en cette façon ne
pouvant manquer de nous réussir, puisque c’est de nous seuls qu’il dépend, nous en recevons
toujours toute la satisfaction que nous en avons attendue. Mais la faute qu’on a coutume de
commettre en ceci n’est jamais qu’on désire trop, c’est seulement qu’on désire trop peu ; et le
souverain remède contre cela est de se délivrer l’esprit autant qu’il se peut de toutes sortes
d’autres désirs moins utiles, puis de tâcher de connaître bien clairement et de considérer avec
attention la bonté de ce qui est à désirer.
DESCARTES, Les passions de l’âme
- 176 -
[177] SUJET N° 177 - 8PHSCLIB1 - 2008 - Série S - LIBAN - SESSION NORMALE
On a rappelé que l’homme avait toujours inventé des machines, que l’antiquité en avait connu de
remarquables, que des dispositifs ingénieux furent imaginés bien avant l’éclosion de la science
moderne et ensuite, très souvent, indépendamment d’elle : aujourd’hui encore de simples
ouvriers, sans culture scientifique, trouvent des perfectionnements auxquels de savants ingénieurs
n’avaient pas pensé. L’invention mécanique est un don naturel. Sans doute elle a été limitée dans
ses effets tant qu’elle s’est bornée à utiliser des énergies actuelles et, en quelque sorte, visibles :
effort musculaire, force du vent ou d’une chute d’eau. La machine n’a donné tout son rendement
que du jour où l’on a su mettre à son service, par un simple déclenchement, des énergies
potentielles emmagasinées pendant des millions d’années, empruntées au soleil, disposées dans la
houille, le pétrole, etc. Mais ce jour fut celui de l’invention de la machine à vapeur, et l’on sait
qu’elle n’est pas sortie de considérations théoriques. Hâtons-nous d’ajouter que le progrès,
d’abord lent, s’est effectué à pas de géant lorsque la science se fut mise de la partie. Il n’en est
pas moins vrai que l’esprit d’invention mécanique, qui coule dans un lit étroit tant qu’il est laissé
à lui-même, qui s’élargit indéfiniment quand il a rencontré la science, en reste distinct et pourrait
à la rigueur s’en séparer. Tel, le Rhône entre dans le lac de Genève, paraît y mêler ses eaux, et
montre à sa sortie qu’il avait conservé son indépendance.
BERGSON, Les deux Sources de la morale et de la religion
- 177 -
[178] SUJET N° 178 - 8PHLIME1 - 2008 - Série L - METROPOLE - SESSION NORMALE
Puisque la liberté exige que la réussite ne découle pas de la décision comme une conséquence, il
faut que la réalisation puisse à chaque instant ne pas être, pour des raisons indépendantes du
projet même et de sa précision ; ces raisons forment l’extériorité par rapport à tout projet et la
liberté est la perpétuelle invention des moyens de tourner ces difficultés extérieures, mais il est
bien entendu que la réussite doit être seulement possible, c’est-à-dire qu’il n’y a action que si les
difficultés extérieures peuvent toujours être si élevées ou si neuves que l’invention humaine ne
puisse pas les surmonter. Ainsi est-il toujours entendu à la fois que l’entreprise humaine a réussi à
cause de la libre décision et de la libre inventivité qui a surmonté les obstacles et à la fois qu’elle
a réussi parce que ce sont ces obstacles-là et non d’autres plus grands qui lui ont été imposés.
Toute entreprise humaine réussit par hasard et en même temps réussit par l’initiative humaine. Si
le tireur n’avait pas eu le soleil dans l’œil il m’atteignait, je manquais ma mission de
reconnaissance. Il s’en est donc fallu d’un rayon de soleil, de la vitesse d’un nuage, etc. Mais, en
même temps, mes précautions étaient prises pour éliminer tous les dangers prévisibles. En un mot
les possibles se réalisent dans la probabilité. La liberté se meut dans la sphère du probable, entre
la totale ignorance et la certitude ; et le probable vient au monde par l’homme.
SARTRE, Cahiers pour une morale
- 178 -
[179] SUJET N° 179 - 8PHTEME1 - 2008 - Série TECHN. - METROPOLE - SESSION
NORMALE
Lorsque, dans les matières qui se fondent sur l’expérience et le témoignage, nous bâtissons notre
connaissance sur l’autorité d’autrui, nous ne nous rendons ainsi coupables d’aucun préjugé ; car,
dans ce genre de choses, puisque nous ne pouvons faire nous-mêmes l’expérience de tout ni le
comprendre par notre propre intelligence, il faut bien que l’autorité de la personne soit le
fondement de nos jugements. - Mais lorsque nous faisons de l’autorité d’autrui le fondement de
notre assentiment (1) à l’égard de connaissances rationnelles, alors nous admettons ces
connaissances comme simple préjugé. Car c’est de façon anonyme que valent les vérités
rationnelles ; il ne s’agit pas alors de demander : qui a dit cela ? mais bien qu’a-t-il dit ? Peu
importe si une connaissance a une noble origine ; le penchant à suivre l’autorité des grands
hommes n’en est pas moins très répandu tant à cause de la faiblesse des lumières personnelles
que par désir d’imiter ce qui nous est présenté comme grand.
KANT
(1) donner son assentiment : approuver et tenir pour vrai.
QUESTIONS :
1°
a) Le texte est construit à partir d’une distinction. A quelle thèse conduit-elle ?
b) Analysez les étapes de l’argumentation.
2°
Expliquez :
a) « nous ne nous rendons ainsi coupables d’aucun préjugé » et « alors nous admettons ces
connaissances comme simple préjugé » ;
b) « c’est de façon anonyme que valent les vérités rationnelles ».
3° Quand on cherche la vérité, faut-il rejeter l’autorité d’autrui ?
- 179 -
[180] SUJET N° 180 - 8PHESME1 - 2008 - Série ES - METROPOLE - SESSION NORMALE
Je regarde comme (...) détestable cette maxime, qu’en matière de gouvernement la majorité d’un
peuple a le droit de tout faire, et pourtant je place dans les volontés de la majorité l’origine de
tous les pouvoirs. Suis-je en contradiction avec moi-même ?
Il existe une loi générale qui a été faite ou du moins adoptée, non pas seulement par la majorité
de tel ou tel peuple, mais par la majorité de tous les hommes. Cette loi, c’est la justice.
La justice forme donc la borne du droit de chaque peuple.
Une nation est comme un jury chargé de représenter la société universelle et d’appliquer la
justice, qui est sa loi. Le jury, qui représente la société, doit-il avoir plus de puissance que la
société elle-même dont il applique les lois ?
Quand donc je refuse d’obéir à une loi injuste, je ne dénie point à la majorité le droit de
commander ; j’en appelle seulement de la souveraineté du peuple à la souveraineté du genre
humain. (...)
Qu’est-ce donc qu’une majorité prise collectivement, sinon un individu qui a des opinions et le
plus souvent des intérêts contraires à un autre individu qu’on nomme la minorité ? Or, si vous
admettez qu’un homme revêtu de la toute-puissance peut en abuser contre ses adversaires,
pourquoi n’admettez-vous pas la même chose pour une majorité ? Les hommes, en se réunissant,
ont-ils changé de caractère ? Sont-ils devenus plus patients dans les obstacles en devenant plus
forts ? Pour moi, je ne saurais le croire ; et le pouvoir de tout faire, que je refuse à un seul de mes
semblables, je ne l’accorderai jamais à plusieurs.
Alexis de TOCQUEVILLE, De la Démocratie en Amérique
- 180 -
[181] SUJET N° 181 - 8PHSCME1 - 2008 - Série S - METROPOLE - SESSION NORMALE
Si la morale ne considère que l’action juste ou injuste, si tout son rôle est de tracer nettement, à
quiconque a résolu de ne pas faire d’injustice, les bornes où se doit contenir son activité, il en est
tout autrement de la théorie de l’Etat. La science de l’Etat, la science de la législation n’a en vue
que la victime de l’injustice ; quant à l’auteur, elle n’en aurait cure, s’il n’était le corrélatif forcé
de la victime ; l’acte injuste, pour elle, n’est que l’adversaire à l’encontre de qui elle déploie ses
efforts ; c’est à ce titre qu’il devient son objectif. Si l’on pouvait concevoir une injustice commise
qui n’eût pas pour corrélatif une injustice soufferte, l’Etat n’aurait logiquement pas à l’interdire.
Aux yeux de la morale, l’objet à considérer, c’est la volonté, l’intention ; il n’y a pour elle que
cela de réel ; selon elle, la volonté bien déterminée de commettre l’injustice, fût-elle arrêtée et
mise à néant, si elle ne l’est que par une puissance extérieure, équivaut entièrement à l’injustice
consommée ; celui qui l’a conçue, la morale le condamne du haut de son tribunal comme un être
injuste. Au contraire, l’Etat n’a nullement à se soucier de la volonté, ni le l’intention en ellemême ; il n’a affaire qu’au fait (soit accompli, soit tenté), et il le considère chez l’autre terme de
la corrélation, chez la victime ; pour lui donc il n’y a de réel que le fait, l’événement. Si parfois il
s’enquiert de l’intention, du but, c’est uniquement pour expliquer la signification du fait. Aussi
l’Etat ne nous interdit pas de nourrir contre un homme des projets incessants d’assassinat,
d’empoisonnement, pourvu que la peur du glaive et de la roue nous retienne non moins
incessamment et tout à fait sûrement de passer à l’exécution. L’Etat n’a pas non plus la folle
prétention de détruire le penchant des gens à l’injustice, ni les pensées malfaisantes ; il se borne à
placer, à côté de chaque tentation possible, propre à nous entraîner vers l’injustice, un motif plus
fort encore, propre à nous en détourner ; et ce second motif, c’est un châtiment inévitable.
SCHOPENHAUER, Le Monde comme volonté et comme représentation
- 181 -
[182] SUJET N° 182 - 8PHSCME3 - 2008 - Série S - METROPOLE - SESSION REMPL.
Il est évident, pour commencer, que toute l’idée du bien et du mal est en relation avec le désir. Au
premier abord, ce que nous désirons tous est « bon », et ce que nous redoutons tous est
« mauvais ». Si nos désirs à tous concordaient, on pourrait en rester là ; mais malheureusement
nos désirs s’opposent mutuellement. Si je dis : « Ce que je veux est bon », mon voisin dira :
« Non, ce que je veux, moi ». La morale est une tentative (infructueuse, à mon avis) pour
échapper à cette subjectivité. Dans ma dispute avec mon voisin, j’essaierai naturellement de
montrer que mes désirs ont quelque qualité qui les rend plus dignes de respect que les siens. Si je
veux préserver un droit de passage, je ferai appel aux habitants des environs qui ne possèdent pas
de terres ; mais lui, de son côté, fera appel aux propriétaires. Je dirai : « A quoi sert la beauté de
la campagne si personne ne la voit ? » Il répliquera : « Que restera-t-il de cette beauté si l’on
permet aux promeneurs de semer la dévastation ? » Chacun tente d’enrôler des alliés, en montrant
que ses propres désirs sont en harmonie avec les leurs. Quand c’est visiblement impossible,
comme dans le cas d’un cambrioleur, l’individu est condamné par l’opinion publique, et son
statut moral est celui du pécheur.
La morale est donc étroitement liée à la politique : elle est une tentative pour imposer à des
individus les désirs collectifs d’un groupe ; ou, inversement, elle est une tentative faite par un
individu pour que ses désirs deviennent ceux de son groupe.
RUSSELL, Science et religion
- 182 -
[183] SUJET N° 183 - 8PHESME3 - 2008 - Série ES - METROPOLE - SESSION REMPL.
Lorsqu’un homme a observé assez souvent que les mêmes causes antécédentes sont suivies des
mêmes conséquences, pour que toutes les fois qu’il voit l’antécédent il s’attende à voir la
conséquence ; ou que lorsqu’il voit la conséquence il compte qu’il y a eu le même antécédent,
alors il dit que l’antécédent et le conséquent sont des signes l’un de l’autre ; c’est ainsi qu’il dit
que les nuages sont des signes de la pluie qui doit venir, et que la pluie est un signe des nuages
passés.
C’est dans la connaissance de ces signes, acquise par l’expérience, que l’on fait consister
ordinairement la différence entre un homme et un autre homme relativement à la sagesse, nom
par lequel on désigne communément la somme totale de l’habileté ou la faculté de connaître ;
mais c’est une erreur, car les signes ne sont que des conjectures ; leur certitude augmente et
diminue suivant qu’ils ont plus ou moins souvent manqué ; ils ne sont jamais pleinement
évidents. Quoiqu’un homme ait vu constamment jusqu’ici le jour et la nuit se succéder,
cependant il n’est pas pour cela en droit de conclure qu’ils se succèderont toujours de même, ou
qu’ils se sont ainsi succédé de toute éternité. L’expérience ne fournit aucune conclusion
universelle.
HOBBES, De la ature humaine
- 183 -
[184] SUJET N° 184 - 8PHLIME3 - 2008 - Série L - METROPOLE - SESSION REMPL.
Vivre consiste à agir. Vivre, c’est n’accepter des objets que l’impression utile pour y répondre par
des réactions appropriées : les autres impressions doivent s’obscurcir ou ne nous arriver que
confusément. Je regarde et je crois voir, j’écoute et je crois entendre, je m’étudie et je crois lire
dans le fond de mon cœur. Mais ce que je vois et ce que j’entends du monde extérieur, c’est
simplement ce que mes sens en extraient pour éclairer ma conduite ; ce que je connais de moimême, c’est ce qui affleure à la surface, ce qui prend part à l’action. Mes sens et ma conscience
ne me livrent donc de la réalité qu’une simplification pratique. Dans la vision qu’ils me donnent
des choses et de moi-même, les différences inutiles à l’homme sont effacées, les ressemblances
utiles à l’homme sont accentuées, des routes me sont tracées à l’avance où mon action
s’engagera. Ces routes sont celles où l’humanité entière a passé avant moi. Les choses ont été
classées en vue du parti que j’en pourrai tirer. Et c’est cette classification que j’aperçois,
beaucoup plus que la couleur et la forme des choses. Sans doute l’homme est déjà très supérieur à
l’animal sur ce point. Il est peu probable que l’œil du loup fasse une différence entre le chevreau
et l’agneau ; ce sont là, pour le loup, deux proies identiques, étant également faciles à saisir,
également bonnes à dévorer. Nous faisons, nous, une différence entre la chèvre et le mouton ;
mais distinguons-nous une chèvre d’une chèvre, un mouton d’un mouton ? L’individualité des
choses et des êtres nous échappe toutes les fois qu’il ne nous est pas matériellement utile de
l’apercevoir. Et là même où nous la remarquons (comme lorsque nous distinguons un homme
d’un autre homme), ce n’est pas l’individualité même que notre œil saisit, c’est-à-dire une
certaine harmonie tout à fait originale de formes et de couleurs, mais seulement un ou deux traits
qui faciliteront la reconnaissance pratique.
BERGSON, Le Rire
- 184 -
[185] SUJET N° 185 - 8PHSCPO1 - 2008 - Série S - POLYNESIE - SESSION NORMALE
Lorsque les conditions sont inégales et les hommes dissemblables, il y a quelques individus très
éclairés, très savants, très puissants par leur Intelligence, et une multitude très ignorante et fort
bornée. Les gens qui vivent dans les temps d’aristocratie sont donc naturellement portés à prendre
pour guide de leurs opinions la raison supérieure d’un homme ou d’une classe, tandis qu’ils sont
peu disposés à reconnaître l’infaillibilité (1) de la masse.
Le contraire arrive dans les siècles d’égalité.
A mesure que les citoyens deviennent plus égaux et plus semblables, le penchant de chacun a
croire aveuglément un certain homme ou une certaine classe diminue. La disposition à en croire
la masse augmente, et c’est de plus en plus l’opinion qui mène le monde.
Non seulement l’opinion commune est le seul guide qui reste à la raison individuelle chez les
peuples démocratiques ; mais elle a chez ces peuples une puissance infiniment plus grande que
chez nul autre. Dans les temps d’égalité, les hommes n’ont aucune foi les uns dans les autres, à
cause de leur similitude ; mais cette même similitude leur donne une confiance presque illimitée
dans le jugement du public ; car il ne leur paraît pas vraisemblable qu’ayant tous des lumières (2)
pareilles, la vérité ne se rencontre pas du coté du plus grand nombre. (...)
Le public a donc chez les peuples démocratiques une puissance singulière dont les nations
aristocratiques ne pouvaient pas même concevoir l’idée. Il ne persuade pas de ses croyances, il
les impose et les fait pénétrer dans les âmes par une sorte de pression immense de l’esprit de tous
sur l’intelligence de chacun.
TOCQUEVILLE. De la Démocratie en Amérique
(1) « infaillibilité » : caractère de celui qui ne peut pas se tromper.
- 185 -
[186] SUJET N° 186 - 8PHLIP01 - 2008 - Série L - POLYNESIE - SESSION NORMALE
En somme, une action pour être dite « morale » ne doit pas se réduire à un acte ou à une série
d’actes conformes à une règle, une loi ou une valeur. Toute action morale, c’est vrai, comporte un
rapport au réel où elle s’effectue et un rapport au code auquel elle se réfère ; mais elle implique
aussi un certain rapport à soi ; celui-ci n’est pas simplement « conscience de soi », mais
constitution de soi comme « sujet moral », dans laquelle l’individu circonscrit la part de luimême qui constitue l’objet de cette pratique morale, définit sa position par rapport au précepte
qu’il suit, se fixe un certain mode d’être qui vaudra comme accomplissement moral de luimême ; et, pour ce faire, il agit sur lui-même, entreprend de se connaître, se contrôle, s’éprouve,
se perfectionne, se transforme. Il n’y a pas d’action morale particulière qui ne se réfère à l’unité
d’une conduite morale ; pas de conduite morale qui n’appelle la constitution de soi-même comme
sujet moral ; et pas de constitution du sujet moral sans des « modes de subjectivation » et sans
(...) des « pratiques de soi » qui les appuient.
FOUCAULT, Histoire de la sexualité
- 186 -
[187] SUJET N° 187 - 8PHSCPO3 - 2008 - Série S - POLYNESIE - SESSION REMPL.
Tout sentiment de peine est inséparable du désir de s’en délivrer ; toute idée de plaisir est
inséparable du désir d’en jouir ; tout désir suppose privation, et toutes les privations qu’on sent
sont pénibles ; c’est donc dans la disproportion de nos désirs et de nos facultés que consiste notre
misère. Un être sensible dont les facultés égaleraient les désirs serait un être absolument heureux.
En quoi donc consiste la sagesse humaine ou la route du vrai bonheur ? Ce n’est pas précisément
à diminuer nos désirs ; car, s’ils étaient au-dessous de notre puissance, une partie de nos facultés
resterait oisive, et nous ne jouirions pas de tout notre être. Ce n’est pas non plus à étendre nos
facultés, car si nos désirs s’étendaient à la fois en plus grand rapport, nous n’en deviendrions que
plus misérables : mais c’est à diminuer l’excès des désirs sur les facultés, et à mettre en égalité
parfaite la puissance et la volonté. C’est alors seulement que, toutes les forces étant en action,
l’âme cependant restera paisible. Et que l’homme se trouvera bien ordonné.
ROUSSEAU, Emile ou de l’éducation
- 187 -
[188] SUJET N° 188 - 8PHLILR1 - 2008 - Série L - LA REUNION - SESSION NORMALE
La photographie d’une personne déterminée (...) pourrait être obtenue dans un instantané absolu.
- Considérons au contraire l’exécution d’un portrait par un grand peintre. La composition de cette
œuvre exigera de la durée, mais une durée qui ne pourra être allongée ou rétrécie sans que change
le portrait ; car le temps que l’artiste met à exécuter son œuvre est occupé par des essais, des
tâtonnements, des esquisses, des états d’âme surtout, qui passent et repassent devant l’esprit du
peintre et qui l’acheminent vers le portrait définitif : et tous les efforts qu’il a faits il les condense
dans son œuvre. Le temps. ici, fait donc bien corps avec l’œuvre et la pénètre ; elle occupe de la
durée (...). - Et c’est pour cela que le résultat de ce travail est une création et, comme telle, est
absolument imprévisible, même si l’on connaît le modèle et le peintre, sa manière et les couleurs
dont il se sert. - Dira-t-on qu’une intelligence surhumaine qui connaîtrait à fond le peintre et son
genre de talent saurait d’avance quelle œuvre il produira ? C’est oublier que, pour cela, il faudrait
que le talent de l’artiste fût quelque chose de donné une fois pour toutes, de définitivement fixé ;
or, il n’en est rien : le talent de !’artiste se fait sans cesse, et se fera en partie par le travail même
du portrait, de sorte que celui-ci, en même temps qu’il est l’effet du talent du peintre, contribue
en même temps à le former : le talent de j’artiste dépend de son œuvre comme celle-ci de celui-là,
et par suite, toute espèce de prévision est ici impossible.
BERGSON, Cours au Collège de France
- 188 -
[189] SUJET N° 189 - 8PHSCLR1 - 2008 - Série S - LA REUNION - SESSION NORMALE
La stimulation à la production peut venir tout à fait du dehors, et la seule condition importante
que l’artiste ait à remplir, c’est d’y porter un intérêt essentiel et qu’il fasse vivre le sujet en lui.
C’est alors que l’inspiration du génie vient toute seule. Et un artiste vraiment vivant trouve
justement dans cette vie qui l’anime des stimulants d’activité et des sources d’inspiration devant
lesquels les autres passent sans les apercevoir.
Si maintenant nous nous demandons en quoi consiste l’inspiration artistique comme telle, la seule
réponse possible sera celle-ci : elle est obsédée par la chose, elle y est présente, elle ne connaît
pas de repos tant qu’elle n ‘a pas reçu une forme artistique et achevée.
Mais lorsque l’artiste s’est ainsi identifié avec l’objet, il doit savoir oublier sa propre particularité
subjective et tout ce qu’elle a de contingent et d’ accidentel, pour se plonger entièrement dans son
sujet ; il ne doit plus pour ainsi dire être que la forme façonnant le contenu qui s’est emparé de
lui. Une inspiration qui laisse à l’artiste la liberté de se mettre en avant et de se faire valoir, au
lieu d’être l’organe de l’activité créatrice toute concentrée sur la chose, est une mauvaise
inspiration.
HEGEL, Esthétique
- 189 -
[190] SUJET N° 190 - 8PTSTMDLR1 - 2008 - Série TECHN. - LA REUNION - SESSION
NORMALE
Il y a (...) depuis des siècles, des hommes dont la fonction est justement de voir et de nous faire
voir ce que nous n’apercevons pas naturellement. Ce sont les artistes. A quoi vise l’art, sinon à
nous montrer, dans la nature et dans l’esprit, hors de nous et en nous, des choses qui ne frappaient
pas explicitement nos sens et notre conscience ? Le poète et le romancier qui expriment un état
d’âme ne le créent certes pas de toutes pièces ; ils ne seraient pas compris de nous si nous
n’observions pas en nous, jusqu’à un certain point, ce qu’ils nous disent d’autrui. Au fur et à
mesure qu’ils nous parlent, des nuances d’émotion et de pensée nous apparaissent qui pouvaient
être représentées en nous depuis longtemps, mais qui demeuraient invisibles : telle, l’image
photographique qui n’a pas encore été plongée dans le bain où elle se révélera. Le poète est ce
révélateur.
BERGSON
QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée principale du texte, puis son développement.
2° Expliquez :
a) « des hommes dont la fonction est justement de voir et de nous faire voir ce que nous
n’apercevons pas naturellement » ;
b) « ils ne seraient pas compris de nous si nous n’observions pas en nous, jusqu’à un certain
point, ce qu’ils nous disent d’autrui. »
3° L’art a-t-il pour fonction de dévoiler la réalité ?
- 190 -
[191] SUJET N° 191 - 8MIME1TMD - 2008 - Série TMD - METROPOLE - SESSION
NORMALE
Il est aisé de voir qu’entre les différences qui distinguent les hommes, plusieurs passent pour
naturelles qui sont uniquement l’ouvrage de l’habitude et des divers genres de vie que les
hommes adoptent dans la société. Ainsi un tempérament robuste ou délicat, la force ou la
faiblesse qui en dépendent, viennent souvent plus de la manière dure ou efféminée dont on a été
élevé que de la constitution primitive des corps. Il en est de même des forces de l’esprit, et non
seulement l’éducation met de la différence entre les esprits cultivés et ceux qui ne le sont pas,
mais elle augmente celle qui se trouve entre les premiers à proportion de la culture, car qu’un
géant et un nain marchent sur la même route, chaque pas qu’ils feront l’un et l’autre donnera un
nouvel avantage au géant. Or si l’on compare la diversité prodigieuse d’éducations et de genres
de vie qui règnent dans les différents ordres de l’état civil, avec la simplicité et l’uniformité de la
vie animale et sauvage, où tous se nourrissent des mêmes aliments, vivent de la même manière, et
font exactement les mêmes choses, on comprendra combien la différence d’homme à homme doit
être moindre dans l’état de nature que dans celui de société, et combien l’inégalité naturelle doit
augmenter dans l’espèce humaine par l’inégalité d’institution.
ROUSSEAU
- 191 -
[192] SUJET N° 192 - 8PHLIAN1 - 2008 - Série L - AMERIQUE DU NORD - SESSION
NORMALE
La liberté naturelle de l’homme, c’est d’être exempt de toute sujétion envers un pouvoir supérieur
sur la terre, et de ne pas être soumis à l’autorité législative de l’homme, mais de n’avoir pour
règle que la loi de nature. La liberté de l’homme dans la société, c’est de n’être soumis à aucun
autre pouvoir législatif que celui qui a été établi dans la République par consentement ; de n’être
assujetti à aucune domination, à aucune volonté, ni à aucune loi hormis celle qu’édicte le pouvoir
législatif, conformément à la mission qui lui a été confiée. La liberté n’est donc pas (...) une
liberté pour tout un chacun de faire tout ce qui lui plaît, de vivre comme il l’entend, et de n’être
lié par aucune loi. Mais la liberté des hommes soumis à un gouvernement, c’est d’avoir une règle
stable à laquelle se conformer, qui soit commune à tous les membres de cette société, et créée par
le pouvoir législatif qui y a été établi ; une liberté de suivre ma propre volonté dans toutes les
choses où la règle ne prescrit rien ; de n’être pas assujetti à la volonté inconstante, incertaine et
arbitraire d’un autre homme. Tout comme la liberté de nature consiste à n’être soumis à aucune
autre contrainte que celle de la loi de nature.
LOCKE, Second Traité du gouvernement civil
- 192 -
[193] SUJET N° 193 - 8PHESAN1 - 2008 - Série ES - AMERIQUE DU NORD - SESSION
NORMALE
Il me semble que la différence qui est entre les plus grandes âmes et celles qui sont basses et
vulgaires, consiste, principalement, en ce que les âmes vulgaires se laissent aller à leurs passions,
et ne sont heureuses ou malheureuses, que selon que les choses qui leur surviennent sont
agréables ou déplaisantes ; au lieu que les autres ont des raisonnements si forts et si puissants
que, bien qu’elles aient aussi des passions, et même souvent de plus violentes que celles du
commun (1), leur raison demeure néanmoins toujours la maîtresse, et fait que les afflictions
même leur servent, et contribuent à la parfaite félicité dont elles jouissent dès cette vie. Car,
d’une part, se considérant comme immortelles et capables de recevoir de très grands
contentements, puis, d’autre part, considérant qu’elles sont jointes à des corps mortels et fragiles,
qui sont sujets à beaucoup d’infirmités, et qui ne peuvent manquer de périr dans peu d’années,
elles font bien tout ce qui est en leur pouvoir pour se rendre la fortune (2) favorable en cette vie,
mais néanmoins elles l’estiment si peu, au regard de l’éternité, qu’elles n’en considèrent quasi les
événements que comme nous faisons ceux des comédies. Et comme les histoires tristes et
lamentables, que nous voyons représenter sur un théâtre, nous donnent souvent autant de
récréation que les gaies, bien qu’elles tirent des larmes de nos yeux ; ainsi ces plus grandes âmes,
dont je parle, ont de la satisfaction, en elles-mêmes, de toutes les choses qui leur arrivent, même
des plus fâcheuses et insupportables.
DESCARTES, Lettre à Elisabeth
(1) « commun » : ici, le commun des mortels.
(2) « la fortune » : le hasard.
- 193 -
[194] SUJET N° 194 - 8PHSCAN1 - 2008 - Série S - AMERIQUE DU NORD - SESSION
NORMALE
Dans une montre une partie est l’instrument du mouvement des autres, mais un rouage n’est pas
la cause efficiente de la production d’un autre rouage ; certes une partie existe pour une autre,
mais ce n’est pas par cette autre partie qu’elle existe. C’est pourquoi la cause productrice de
celles-ci et de leur forme n’est pas contenue dans la nature (de cette matière), mais en dehors
d’elle dans un être, qui d’après des Idées peut réaliser un tout possible par sa causalité. C’est
pourquoi aussi dans une montre un rouage ne peut en produire un autre et encore moins une
montre d’autres montres, en sorte qu’à cet effet elle utiliserait (elle organiserait) d’autres
matières ; c’est pourquoi elle ne remplace pas d’elle-même les parties, qui lui ont été ôtées, ni ne
corrige leurs défauts dans la première formation par l’intervention des autres parties, ou se répare
elle-même, lorsqu’elle est déréglée : or tout cela nous pouvons en revanche l’attendre de la nature
organisée. Ainsi un être organisé n’est pas simplement machine, car la machine possède
uniquement une force motrice ; mais l’être organisé possède en soi une force formatrice qu’il
communique aux matériaux, qui ne la possèdent pas (il les organise) : il s’agit ainsi d’une force
formatrice qui se propage et qui ne peut pas être expliquée par la seule faculté de mouvoir (le
mécanisme).
KANT, Critique de la faculté de juger
- 194 -
[195] SUJET N° 195 - 8PHSCJA1 - 2008 - Série S - JAPON - SESSION NORMALE
Il paraît bien que le bonheur est autre chose qu’une somme de plaisirs. C’est un état général et
constant qui accompagne le jeu régulier de toutes nos fonctions organiques et psychiques. Ainsi,
les activités continues, comme celles de la respiration et de la circulation, ne procurent pas de
jouissances positives ; pourtant, c’est d’elles surtout que dépendent notre bonne humeur et notre
entrain. Tout plaisir est une sorte de crise ; il naît, dure un moment et meurt ; la vie, au contraire,
est continue. Ce qui en fait le charme fondamental doit être continu comme elle. Le plaisir est
local ; c’est une affection limitée à un point de l’organisme ou de la conscience : la vie ne réside
ni ici ni là, mais elle est partout. Notre attachement pour elle doit donc tenir à quelque cause
également générale. En un mot, ce qu’exprime le bonheur, c’est, non l’état momentané de telle
fonction particulière, mais la santé de la vie physique et morale dans son ensemble. Comme le
plaisir accompagne l’exercice normal des fonctions intermittentes, il est bien un élément du
bonheur, et d’autant plus important que ces fonctions ont plus de place dans la vie. (…) Le plus
souvent, au contraire, c’est le plaisir qui dépend du bonheur : suivant que nous sommes heureux
ou malheureux, tout nous rit ou nous attriste. On a eu bien raison de dire que nous portons notre
bonheur avec nous-mêmes.
DURKHEIM, De la Division du travail social
- 195 -
[196] SUJET N° 196 - 8PHESLR1 - 2008 - Série ES - LA REUNION - SESSION NORMALE
Chacun de nous est un corps, soumis aux mêmes lois que toutes les autres portions de matière. Si
on le pousse, il avance ; si on le tire, il recule ; si on le soulève et qu’on l’abandonne, il retombe.
Mais, à côté de ces mouvements qui sont provoqués mécaniquement par une cause extérieure, il
en est d’autres qui semblent venir du dedans et qui tranchent sur les précédents par leur caractère
imprévu : on les appelle « volontaires ». Quelle en est la cause ? C’est ce que chacun de nous
désigne par les mots « je » ou « moi ». Et qu’est-ce que le moi ? Quelque chose qui paraît, à tort
ou à raison, déborder de toutes parts le corps qui y est joint, le dépasser dans l’espace aussi bien
que dans le temps. Dans l’espace d’abord, car le corps de chacun de nous s’arrête aux contours
précis qui le limitent, tandis que par notre faculté de percevoir, et plus particulièrement de voir,
nous rayonnons bien au-delà de notre corps : nous allons jusqu’aux étoiles. Dans le temps
ensuite, car le corps est matière, la matière est dans le présent, et, s’il est vrai que le passé y laisse
des traces, ce ne sont des traces du passé que pour une conscience qui les aperçoit et qui
interprète ce qu’elle aperçoit à la lumière de ce qu’elle se remémore : la conscience, elle, retient
ce passé, l’enroule sur lui-même au fur et à mesure que le temps se déroule, et prépare avec lui un
avenir qu’elle contribuera à créer.
BERGSON, L’Energie spirituelle
- 196 -
[197] SUJET N° 197 - 8PHESJA1 - 2008 - Série ES - JAPON - SESSION NORMALE
En fait l’élément libérateur de l’opprimé, c’est le travail. En ce sens c’est le travail qui est
d’abord révolutionnaire. Certes il est commandé et prend d’abord figure d’asservissement du
travailleur : il n’est pas vraisemblable que celui-ci, si on ne le lui eût imposé, eût choisi de faire
ce travail dans ces conditions et dans ce laps de temps pour ce salaire. Plus rigoureux que le
maître antique, le patron va jusqu’à déterminer à l’avance les gestes et les conduites du
travailleur. Il décompose l’acte de l’ouvrier en éléments, lui en ôte certains pour les faire exécuter
par d’autres ouvriers, réduit l’activité consciente et synthétique du travailleur à n’être plus qu’une
somme de gestes indéfiniment répétés. Ainsi tend-il à ravaler le travailleur à l’état de pure et
simple chose en assimilant ses conduites à des propriétés. (...)
Voilà J’individu limité à une propriété constante qui le définit comme le poids atomique ou la
température de fusion. Le taylorisme moderne ne fait pas autre chose. L’ouvrier devient l’homme
d’une seule opération qu’il répète cent fois par jour ; il n’est plus qu’un objet et il serait enfantin
ou odieux de raconter à une piqueuse de bottines ou à l’ouvrière qui pose les aiguilles sur le
cadran de vitesse des automobiles Ford qu’elles conservent, au sein de l’action où elles sont
engagées, la liberté intérieure de penser. Mais dans le même temps, le travail offre une amorce de
libération concrète, même dans ces cas extrêmes, parce qu’il est d’abord négation de l’ordre
contingent et capricieux qui est l’ordre du maître. Au travail, l’opprimé n’a plus le souci de plaire
au maître, il échappe au monde de la danse, de la politesse, de la cérémonie, de la psychologie ; il
n’a pas à deviner ce qui se passe derrière les yeux du chef, il n’est plus à la merci d’une humeur :
son travail, certes, lui est imposé à l’origine et on lui en vole finalement le produit. Mais entre ces
deux limites, il lui confère la maîtrise sur les choses ; le travailleur se saisit comme possibilité de
faire varier à l’infini la forme d’un objet matériel en agissant sur lui selon certaines règles
universelles.
En d’autres termes, c’est le déterminisme de la matière qui lui offre la première image de sa
liberté.
SARTRE, « Matérialisme et révolution », in Situations III
- 197 -
[198] SUJET N° 198 - 8PHESNC1 - 2008 - Série ES - NOUVELLE-CALEDONIE - SESSION
NORMALE
La société, qui est la mise en commun des énergies individuelles, bénéficie des efforts de tous et
rend à tous leur effort plus facile. Elle ne peut subsister que si elle se subordonne l’individu, elle
ne peut progresser que si elle le laisse faire : exigences opposées, qu’il faudrait réconcilier. Chez
l’insecte, la première condition est la seule remplie. Les sociétés de fourmis et d’abeilles sont
admirablement disciplinées et unies, mais figées dans une immuable routine. Si l’individu s’y
oublie lui-même, la société oublie aussi sa destination ; l’un et l’autre, en état de somnambulisme,
font et refont indéfiniment le tour du même cercle, au lieu de marcher, droit en avant, à une
efficacité sociale plus grande et à une liberté individuelle plus complète. Seules, les sociétés
humaines tiennent fixés devant leurs yeux les deux buts à atteindre. En lutte avec elles-mêmes et
en guerre les unes avec les autres, elles cherchent visiblement, par le frottement et par le choc, à
arrondir des angles, à user des antagonismes, à éliminer des contradictions, à faire que les
volontés individuelles s’insèrent sans se déformer dans la volonté sociale et que les diverses
sociétés entrent à leur tour, sans perdre leur originalité ni leur indépendance, dans une société
plus vaste.
BERGSON, L’Energie spirituelle
- 198 -
[199] SUJET N° 199 - 8PHSCNC1 - 2008 - Série S - NOUVELLE-CALEDONIE - SESSION
NORMALE
Le génie et le talent sont, du moins sous un certain aspect, des dons naturels. Mais ce qu’on ne
doit pas perdre de vue, c’est que le génie, pour être fécond, doit posséder une pensée disciplinée
et cultivée, et un exercice plus ou moins long. Et cela, parce que l’œuvre d’art présente un côté
purement technique dont on n’arrive à se rendre maître que par l’exercice. Ceci est plus
particulièrement vrai des arts qui comportent une dextérité manuelle, par laquelle ils se
rapprochent plus ou moins des métiers manuels. Tel est le cas de l’architecture et de la sculpture,
par exemple. La dextérité manuelle est moins nécessaire en musique et en poésie. Mais, même
dans celle-ci, il y a tout un côté qui demande, sinon un apprentissage, tout au moins une certaine
expérience : la prosodie (1) et l’art de rimer constituent le côté technique de la poésie, et ce n’est
pas par l’inspiration qu’on en acquiert la connaissance. Tout art s’exerce sur une matière plus ou
moins dense, plus ou moins résistante, qu’il s’agit d’apprendre à maîtriser.
HEGEL, Introduction à l’esthétique
(1) « prosodie » : technique de composition.
- 199 -
[200] SUJET N° 200 - 8PHLINC1 - 2008 - Série L - NOUVELLE-CALEDONIE - SESSION
NORMALE
Il est raisonnable, il est naturel, il est nécessaire, que tout citoyen ait des désirs politiques, parce
que tout homme a un intérêt quelconque dans la conduite des affaires sociales ; il est tout simple,
par exemple, que tous les citoyens qui ne sont pas de la classe des privilégiés, et qui vivent du
produit de leurs travaux, désirent la liberté, la paix, la prospérité industrielle, l’économie dans les
dépenses publiques, et le bon emploi de l’impôt. Mais une opinion politique exprime plus que les
désirs, elle est, en outre, l’expression, le plus souvent très affirmative et très absolue, que ces
désirs ne peuvent être satisfaits que par tels et tels moyens, et nullement par d’autres. Or voilà sur
quoi il est ridicule et déraisonnable de prononcer sans y avoir spécialement réfléchi. Car il est
évident que, dans cette question : « telle mesure, telle institution, est-elle propre à atteindre tel but
donné ? », il y a une chaîne de raisonnements et de réflexions, qui exige, pour être bien faite, une
étude particulière de ce genre de considérations ; et. Faute de cela, on croira propres à atteindre
un but des moyens qui auraient un effet absolument opposé. C’est ainsi que beaucoup de gens
désirent sincèrement la liberté et la paix, qui ont en même temps une idée si fausse des moyens
propres à les leur procurer que, si ces moyens étaient mis en pratique, ils amèneraient au
contraire, le désordre et l’arbitraire.
COMTE, Appendice général du système de politique positive
- 200 -
[201] SUJET N° 201 - 8PTSTMDNC1 - 2008 - Série TECHN. - NOUVELLE-CALEDONIE SESSION NORMALE
Ce concours du spectateur, nécessaire à la jouissance esthétique, repose en partie sur ce fait que
toute œuvre d’art a besoin pour agir de l’intermédiaire de l’imagination, qu’elle doit par suite
stimuler, sans jamais la négliger ni la laisser inactive. C’est une condition de l’impression
esthétique, et par là une loi fondamentale de tous les beaux-arts. Il en résulte que l’œuvre d’art ne
doit pas tout livrer directement aux sens, mais juste ce qu’il faut pour mettre l’imagination en
bonne voie, l’imagination doit toujours avoir quelque chose à ajouter, c’est elle qui doit même
dire le dernier mot. Il n’est pas jusqu’à l’écrivain pour qui ce ne soit une nécessité de laisser
quelque chose à penser au lecteur ; car, Voltaire l’a dit très justement : « Le secret d’être
ennuyeux, c’est de tout dire. » Ajoutons que ce qu’il y a de meilleur dans l’art est trop spirituel
pour être livré directement aux sens : c’est à l’imagination à le mettre au jour, quoique l’œuvre
d’art doive l’engendrer.
SCHOPENHAUER
QUESTIONS :
1° Dégager l’idée centrale du texte, puis les étapes de son argumentation.
2° Expliquez :
a) « toute œuvre d’art a besoin pour agir de l’intermédiaire de l’imagination, qu’elle doit par suite
stimuler, sans jamais la négliger ni la laisser inactive » ;
b) « l’imagination doit toujours avoir quelque chose à ajouter, c’est elle qui doit même dire le
dernier mot. »
3° L’art ne s’adresse-t-il qu’aux sens ?
- 201 -
[202] SUJET N° 202 - 08PHESAS1 - 2008 - Série ES - AMERIQUE DU SUD - SESSION
NORMALE
Il n’y a rien à quoi l’on doive plus travailler qu’à se connaître. Or notre esprit est comme l’œil qui
voit tout et qui ne se voit point, si ce n’est par réflexion lorsqu’il se regarde dans un miroir. Le
secret pour se connaître et pour bien juger de nous, c’est de nous voir dans les autres. L’Histoire
est un grand miroir où l’on se voit tout entier. Un homme ne fait rien qu’un autre ne fasse ou ne
puisse faire. En faisant donc attention aux grands exemples de cruautés, de dérèglements,
d’impudicité, et de semblables crimes nous apercevons où nous peut porter la corruption de notre
cœur quand nous ne travaillons pas à la guérir. La pratique du monde enseigne l’art de vivre ;
ceux-là y excellent qui ont voyagé, et qui ont eu commerce avec des personnes de différents pays,
et de différente humeur. L’Histoire supplée à cette pratique du monde, à ces pénibles voyages que
peu de personnes peuvent faire. On y voit de quelle manière les hommes ont toujours vécu. On
apprend à supporter les accidents de la vie, à n’en être pas surpris, à ne se plaindre point de son
siècle, comme si nos plaintes pouvaient empêcher des maux dont aucun âge n’a été exempt. On
reconnaît la malignité et la misère des hommes, leur vanité, quel mépris il faut faire des richesses,
que les grandes fortunes ont souvent de terribles catastrophes. De sorte que l’étude de l’histoire
étant bien faite, c’est une Philosophie qui fait d’autant plus d’impression qu’elle nous parle par
des exemples sensibles, dont il est bon de tenir registre, afin de les représenter et à soi, et aux
autres dans les occasions.
ROUSSEAU, Textes historiques
- 202 -
[203] SUJET N° 203 - 08PHSCAS1 - 2008 - Série S - AMERIQUE DU SUD - SESSION
NORMALE
L’usage et la fin de la raison n’est pas de trouver la somme et la vérité d’une ou de plusieurs
conséquences éloignées des premières définitions et des significations établies des noms, mais de
commencer par celles-ci et d’aller d’une conséquence à une autre. Car il ne peut y avoir aucune
certitude, quant à la dernière conclusion, sans certitude au sujet de ces affirmations et négations
sur lesquelles elle est fondée et déduite. Quand le chef de famille, en faisant les comptes,
additionne les sommes de toutes les factures des dépenses pour n’en faire qu’une seule, sans se
préoccuper de savoir comment chacune des factures a été additionnée par ceux qui les ont
établies ou à quel achat elle correspond, il ne se rend pas un meilleur service que s’il se contentait
d’approuver globalement les comptes en faisant confiance à la capacité et à l’honnêteté de chaque
comptable. Il en est de même en ce qui concerne le raisonnement dans tous les autres domaines :
celui qui s’en tient aux conclusions d’un auteur en qui il a confiance, et ne cherche pas à remonter
aux tout premiers éléments de chaque calcul (qui sont les significations établies par les
définitions), celui-là travaille en pure perte : il ne sait rien et ne fait seulement que croire.
HOBBES, Léviathan
- 203 -
[204] SUJET N° 204 - 1PHSCLR1 - 2007 - Série S - LA REUNION - SESSION NORMALE
On considère l’Etat comme l’antagoniste de l’individu et il semble que le premier ne puisse se
développer qu’au détriment du second. La vérité, c’est que l’Etat a été bien plutôt le libérateur de
l’individu. C’est l’Etat qui, à mesure qu’il a pris de la force, a affranchi l’individu des groupes
particuliers et locaux qui tendaient à l’absorber, famille, cité, corporation, etc. L’individualisme a
marché dans l’histoire du même pas que l’étatisme. Non pas que l’Etat ne puisse devenir
despotique et oppresseur. Comme toutes les forces de la nature, s’il n’est limité par aucune
puissance collective qui le contienne, il se développera sans mesure et deviendra à son tour une
menace pour les libertés individuelles. D’où il suit que la force sociale qui est en lui doit être
neutralisée par d’autres forces sociales qui lui fassent contrepoids. Si les groupes secondaires sont
facilement tyranniques quand leur réaction n’est pas modérée par celle de l’Etat, inversement
celle de l’Etat, pour rester normale, a besoin d’être modérée à son tour. Le moyen d’arriver à ce
résultat, c’est qu’il y ait dans la société, en dehors de l’Etat, quoique soumis à son influence, des
groupes plus restreints (territoriaux, ou professionnels, il n’importe pour l’instant) mais fortement
constitués et doués d’une individualité et d’une autonomie suffisante pour pouvoir s’opposer aux
empiètement du pouvoir central. Ce qui libère l’individu, ce n’est pas la suppression de tout
centre régulateur, c’est leur multiplication, pourvu que ces centres multiples soient coordonnés et
subordonnés les uns aux autres.
DURKHEIM, L’Etat et la société civile
- 204 -
[205] SUJET N° 205 - 7PHMIME1 - 2007 - Série TMD - METROPOLE - SESSION
NORMALE
L’homme qui n’est soumis à aucune entrave est libre, lui qui a toutes choses sous la main, à son
gré. Mais celui que l’on peut entraver ou contraindre, à qui l’on peut faire obstacle, celui que l’on
peut, malgré lui, jeter dans quelque difficulté, celui-là est esclave. Et quel est l’homme qui est
affranchi de toute entrave ? Celui qui ne désire rien de ce qui lui est étranger. Et quelles choses
nous sont étrangères ? Celles qu’il ne dépend de nous ni d’avoir, ni de n’avoir pas, ni d’avoir
avec telles ou telles qualités, ou en telles conditions. Donc le corps nous est étranger, ses
membres nous sont étrangers, la fortune nous est étrangère. Si, par conséquent, tu t’attaches à
quelqu’une de ces choses comme à un objet personnel, tu recevras le châtiment que mérite celui
qui désire ce qui lui est étranger. Telle est la route qui conduit à la liberté ; la seule qui délivre de
l’esclavage.
EPICTETE
QUESTIONS :
1° Dégager la thèse du texte et les étapes de son argumentation.
2° Expliquez :
a) « lui qui a toutes choses sous la main » ;
b) « Celui qui ne désire rien de ce qui lui est étranger » ;
c) « Donc le corps nous est étranger, ses membres nous sont étrangers, la fortune nous est
étrangère. »
3° Etre libre, est-ce ne désirer que ce qui dépend de nous ?
- 205 -
[206] SUJET N° 206 - 7PHMIME2 - 2007 - Série TMD - METROPOLE - SESSION REMPL.
Il est étrange que l’on ait pu raisonner à perte de vue sur le déterminisme et le libre arbitre, citer
des exemples en faveur de l’une ou l’autre thèse, sans tenter, au préalable, d’expliciter les
structures contenues dans l’idée même d’action. Le concept d’acte contient en effet de
nombreuses notions subordonnées que nous aurons à organiser et à hiérarchiser : agir, c’est
modifier la figure du monde, c’est disposer des moyens en vue d’une fin, c’est produire un
complexe instrumental et organisé tel que, par une série d’enchaînements et de liaisons, la
modification apportée à l’un des chaînons amène des modifications dans toute la série et, pour
finir, produise un résultat prévu. Mais ce n’est pas encore là ce qui nous importe. Il convient, en
effet, de remarquer d’abord qu’une action est par principe intentionnelle. Le fumeur maladroit qui
a fait, par mégarde, exploser une poudrière n’a pas agi. Par contre, l’ouvrier chargé de dynamiter
une carrière et qui a obéi aux ordres donnés a agi lorsqu’il a provoqué l’explosion prévue : il
savait, en effet, ce qu’il faisait ou, si l’on préfère, il réalisait intentionnellement un projet
conscient.
SARTRE
QUESTIONS :
1° Dégagez la thèse du texte, et exposez le raisonnement.
2° Expliquez :
a) « agir, c’est modifier la figure du monde » ;
b) « Le fumeur maladroit qui a fait, par mégarde, exploser une poudrière n’a pas agi. Par contre,
l’ouvrier chargé de dynamiter une carrière et qui a obéi aux ordres donnés a agi » ;
c) « il réalisait intentionnellement un projet conscient ».
3° Suffit-il d’agir consciemment pour agir librement ?
- 206 -
[207] SUJET N° 207 - 7PHESME1 - 2007 - Série ES - METROPOLE - SESSION NORMALE
Nous n’accusons pas la nature d’immoralité quand elle nous envoie un orage et nous trempe :
pourquoi disons-nous donc immoral l’homme qui fait quelque mal ? Parce que nous supposons
ici une volonté libre aux décrets arbitraires, là une nécessité. Mais cette distinction est une erreur.
En outre, ce n’est même pas en toutes circonstances que nous appelons immorale une action
intentionnellement nuisible ; on tue par exemple une mouche délibérément, mais sans le moindre
scrupule, pour la pure et simple raison que son bourdonnement nous déplaît, on punit et fait
intentionnellement souffrir le criminel afin de se protéger, soi et la société. Dans le premier cas,
c’est l’individu qui, pour se conserver ou même pour s’éviter un déplaisir, cause
intentionnellement un mal ; dans le second, c’est l’Etat. Toute morale admet les actes
intentionnellement nuisibles en cas de légitime défense, c’est-à-dire quand il s’agit de
conservation ! Mais ces deux points de vue suffisent à expliquer toutes les mauvaises actions
exercées par des hommes sur les hommes : on veut son plaisir, on veut s’éviter le déplaisir ; en
quelque sens que ce soit, il s’agit toujours de sa propre conservation. Socrate et Platon ont
raison : quoi que l’homme fasse, il fait toujours le bien, c’est-à-dire ce qui lui semble bon (utile)
suivant son degré d’intelligence, son niveau actuel de raison.
NIETZSCHE, Humain, trop humain
- 207 -
[208] SUJET N° 208 - 7PHESME3 - 2007 - Série ES - METROPOLE - SESSION REMPL.
Est-ce qu’il existe aucun fait qui soit indépendant de l’opinion et de l’interprétation ? Des
générations d’historiens et de philosophes de l’histoire n’ont-elles pas démontré l’impossibilité de
constater des faits sans les interpréter, puisque ceux-ci doivent d’abord être extraits d’un chaos de
purs événements (et les principes du choix ne sont assurément pas des données de fait), puis être
arrangés en une histoire qui ne peut être racontée que dans une certaine perspective, qui n’a rien à
voir avec ce qui a eu lieu à l’origine ? Il ne fait pas de doute que ces difficultés, et bien d’autres
encore, inhérentes aux sciences historiques, soient réelles, mais elles ne constituent pas une
preuve contre l’existence de la matière factuelle, pas plus qu’elles ne peuvent servir de
justification à l’effacement des lignes de démarcation entre le fait, l’opinion et l’interprétation, ni
d’excuse à l’historien pour manipuler les faits comme il lui plaît. Même si nous admettons que
chaque génération ait le droit d’écrire sa propre histoire, nous refusons d’admettre qu’elle ait le
droit de remanier les faits en harmonie avec sa perspective propre ; nous n’admettons pas le droit
de porter atteinte à la matière factuelle elle-même.
ARENDT, La Crise de la culture
- 208 -
[209] SUJET N° 209 - 7PHESPO1 - 2007 - Série ES - POLYNESIE - SESSION NORMALE
De même que les autres tyrannies, la tyrannie de la majorité inspirait - et inspire encore
généralement - de la crainte d’abord parce qu’elle transparaissait dans les actes des autorités
publiques. Mais les gens réfléchis s’aperçurent que, lorsque la société devient le tyran - lorsque la
masse en vient à opprimer l’individu - ses moyens de tyranniser ne se limitent pas aux actes
qu’elle impose à ses fonctionnaires politiques. La société applique les décisions qu’elle prend. Si
elle en prend de mauvaises, si elle veut ce faisant s’ingérer dans des affaires qui ne sont pas de
son ressort, elle pratique une tyrannie sociale d’une ampleur nouvelle - différente des formes
d’oppression politique qui s’imposent à coups de sanctions pénales - tyrannie qui laisse d’autant
moins d’échappatoire qu’elle va jusqu’à se glisser dans les plus petits détails de la vie,
asservissant ainsi l’âme elle-même. Se protéger contre la tyrannie du magistrat ne suffit donc pas.
Il faut aussi se protéger contre la tyrannie de l’opinion et du sentiment dominants, contre la
tendance de la société à imposer, par d’autres moyens que les sanctions pénales, ses propres idées
et ses propres pratiques comme règles de conduite à ceux qui ne seraient pas de son avis. Il faut
encore se protéger contre sa tendance à entraver le développement - sinon à empêcher la
formation - de toute individualité qui ne serait pas en harmonie avec ses mœurs et à façonner tous
les caractères sur un modèle préétabli.
MILL, De la Liberté
- 209 -
[210] SUJET N° 210 - 7PHSCAG1 - 2007 - Série S - ANTILLES - SESSION NORMALE
L’universel, ce qui s’applique à tous les cas, est impossible à percevoir, car ce n’est ni une chose
déterminée, ni un moment déterminé, sinon ce ne serait pas un universel, puisque nous appelons
universel ce qui est toujours et partout. Puisque donc les démonstrations sont universelles, et que
les notions universelles ne peuvent être perçues, il est clair qu’il n’y a pas de science par la
sensation. Mais il est évident encore que, même s’il était possible de percevoir que le triangle a
ses angles égaux à deux droits, nous en chercherions encore une démonstration, et que nous n’en
aurions pas (comme certains le prétendent) une connaissance scientifique : car la sensation porte
nécessairement sur l’individuel, tandis que la science consiste la connaissance universelle. Aussi,
si nous étions sur la Lune, et que nous voyions la Terre s’interposer sur le trajet de la lumière
solaire, nous ne saurions pas la cause de l’éclipse : nous percevrions qu’en ce moment il y a
éclipse, mais nullement le pourquoi, puisque la sensation, avons-nous dit, ne porte pas sur
l’universel, ce qui ne veut pas dire que par l’observation répétée de cet événement, nous ne
puissions, en poursuivant l’universel, arriver à une démonstration, car c’est d’une pluralité de cas
particuliers que se dégage l’universel.
ARISTOTE, Organon, Seconds analytiques
- 210 -
[211] SUJET N° 211 - 7PHSCME3 - 2007 - Série S - METROPOLE - SESSION REMPL.
IL est douteux que l’intérêt particulier s’accorde invariablement avec l’intérêt général : on sait à
quelles difficultés insolubles s’est toujours heurtée la morale utilitaire quand elle a posé en
principe que l’individu ne pouvait rechercher que son bien propre, quand elle a prétendu qu’il
serait conduit par là à vouloir le bien d’autrui. Un être intelligent, à la poursuite de ce qui est de
son intérêt personnel, fera souvent tout autre chose que ce que réclamerait l’intérêt général. Si
pourtant la morale utilitaire s’obstine à reparaître sous une forme ou sous une autre, c’est qu’elle
n’est pas insoutenable ; et si elle peut se soutenir, c’est justement parce qu’au-dessous de
l’activité intelligente, qui aurait en effet à opter entre l’intérêt personnel et l’intérêt d’autrui, il y a
un substratum (1) d’activité instinctive primitivement établi par la nature, où l’individuel et le
social sont tout près de se confondre. La cellule vit pour elle et aussi pour l’organisme, lui
apportant et lui empruntant de la vitalité ; elle se sacrifiera au tout s’il en est besoin ; et elle se
dirait sans doute alors, si elle était consciente, que c’est pour elle-même qu’elle le fait. Tel serait
probablement aussi l’état d’âme d’une fourmi réfléchissant sur sa conduite. Elle sentirait que son
activité est suspendue à quelque chose d’intermédiaire entre le bien de la fourmi et celui de la
fourmilière. Or, c’est à cet instinct fondamental que nous avons rattaché l’obligation proprement
dite : elle implique, à l’origine, un état de chose où l’individuel et le social ne se distinguent pas
l’un de l’autre.
BERGSON, Les deux Sources de la morale et de la religion
(1) « substratum » : noyau, fond permanent.
- 211 -
[212] SUJET N° 212 - 7PHLIME3 - 2007 - Série L - METROPOLE - SESSION REMPL.
Je ne saurais exprimer un jugement avec des mots, si, dès l’instant que je vais prononcer la
première syllabe, je ne voyais pas déjà toutes les idées dont mon jugement est formé. Si elles ne
s’offraient pas toutes à la fois, je ne saurais par où commencer, puisque je ne saurais pas ce que je
voudrais dire. Il en est de même lorsque je raisonne ; je ne commencerais point, ou je ne finirais
point un raisonnement, si la suite des jugements qui le composent, n’était pas en même temps
présente à mon esprit.
Ce n’est donc pas en parlant que je juge et que je raisonne. J’ai déjà jugé et raisonné, et ces
opérations de l’esprit précèdent nécessairement le discours.
En effet nous apprenons à parler parce que nous apprenons à exprimer par des signes les idées
que nous avons et les rapports que nous apercevons entre elles. Un enfant n’apprendrait donc pas
à parler, s’il n’avait pas déjà des idées, et s’il ne saisissait pas déjà des rapports. Il juge donc et il
raisonne avant de savoir un mot d’aucune langue.
Sa conduite en est la preuve, puisqu’il agit en conséquence des jugements qu’il porte. Mais parce
que sa pensée est l’opération d’un instant, qu’elle est sans succession, et qu’il n’a point de moyen
pour la décomposer, il pense, sans savoir ce qu’il fait en pensant ; et penser n’est pas encore un
art pour lui.
CONDILLAC, Cours d’étude pour l’instruction des jeunes gens
- 212 -
[213] SUJET N° 213 - 7PHSCME1 - 2007 - Série S - METROPOLE - SESSION NORMALE
La validité des règles de justice, telles qu’elles prévalent entre les individus, n’est pas entièrement
suspendue entre les sociétés politiques. Tous les princes se targuent de prendre en considération
les droits des autres princes, et certains, cela ne fait pas de doute, sans hypocrisie. Des alliances et
des traités sont conclus tous les jours entre Etats indépendants, et ils ne seraient qu’autant de
parchemin gaspillé, si l’on ne constatait, à l’expérience, qu’ils ont quelque influence et autorité.
Mais ici réside la différence entre les royaumes et les individus. La nature humaine ne peut en
aucune façon subsister sans l’association des individus, et cette association ne pourrait exister si
l’on ne respectait pas les lois d’équité et de justice. Désordre, confusion, la guerre de tous contre
tous, sont les nécessaires conséquences d’une telle conduite licencieuse. Mais les nations peuvent
subsister sans relations. Elles peuvent même subsister, dans une certaine mesure, dans une guerre
générale. L’observance de la justice, bien qu’utile entre elles, n’est pas garantie par une nécessité
si forte qu’entre les individus, et l’obligation morale est en proportion de l’utilité. Tous les
politiques admettent, ainsi que la plupart des philosophes, que des raisons d’Etat peuvent, en cas
d’urgences particulières, dispenser de suivre les règles de justice, et invalider tout traité ou
alliance, si les respecter strictement était considérablement préjudiciable à l’une ou l’autre des
parties contractantes. Mais rien de moins que la plus extrême nécessité, reconnaît-on, ne peut
justifier que les individus violent une promesse, ou envahissent les propriétés des autres.
HUME, Enquête sur les principes de la morale
- 213 -
[214] SUJET N° 214 - 7PHLIME1 - 2007 - Série L - METROPOLE - SESSION NORMALE
En menant une existence relâchée les hommes sont personnellement responsables d’être devenus
eux-mêmes relâchés, ou d’être devenus injustes ou intempérants, dans le premier cas par leur
mauvaise conduite, dans le second en passant leur vie à boire ou à commettre des excès
analogues : en effet, c’est par l’exercice des actions particulières qu’ils acquièrent un caractère du
même genre qu’elles. On peut s’en rendre compte en observant ceux qui s’entraînent en vue
d’une compétition ou d’une activité quelconque : tout leur temps se passe en exercices. Aussi, se
refuser à reconnaître que c’est à l’exercice de telles actions particulières que sont dues les
dispositions de notre caractère est-il le fait d’un esprit singulièrement étroit. En outre, il est
absurde de supposer que l’homme qui commet des actes d’injustice ou d’intempérance ne veuille
pas être injuste ou intempérant ; et si, sans avoir l’ignorance pour excuse, on accomplit des
actions qui auront pour conséquence de nous rendre injuste, c’est volontairement qu’on sera
injuste. Il ne s’ensuit pas cependant qu’un simple souhait suffira pour cesser d’être injuste et pour
être juste, pas plus que ce n’est ainsi que le malade peut recouvrer la santé, quoiqu’il puisse
arriver qu’il soit malade volontairement en menant une vie intempérante et en désobéissant à ses
médecins : c’est au début qu’il lui était alors possible de ne pas être malade, mais une fois qu’il
s’est laissé aller, cela ne lui est plus possible, de même que si vous avez lâché une pierre vous
n’êtes plus capable de la rattraper. Pourtant il dépendait de vous de la jeter et de la lancer, car le
principe de votre acte était en vous. Ainsi en est-il pour l’homme injuste ou intempérant : au
début il leur était possible de ne pas devenir tels, et c’est ce qui fait qu’ils le sont volontairement ;
et maintenant qu’ils le sont devenus, il ne leur est plus possible de ne pas l’être.
ARISTOTE, Ethique à icomaque
- 214 -
[215] SUJET N° 215 - 7PHESAG1 - 2007 - Série ES - ANTILLES - SESSION NORMALE
L’idée de liberté est l’idée du pouvoir qu’a un agent de faire une action particulière ou de s’en
abstenir, selon la détermination ou la pensée de l’esprit qui préfère l’un plutôt que l’autre. Là où
l’agent n’a pas le pouvoir de produire l’un des deux selon sa volition (1), là il n’a pas la liberté ;
cet agent est soumis à la nécessité. Mais il peut y avoir pensée, il peut y avoir volonté, il peut y
avoir volition, là où il n’y a pas de liberté ; ce que l’examen rapide d’un ou deux exemples
évidents peut rendre clair.
Une balle de tennis, envoyée par une raquette ou immobile à terre, n’est considérée par personne
comme un agent libre. Si l’on en cherche la raison, on verra que c’est parce qu’on ne conçoit pas
qu’une balle de tennis pense et qu’elle n’a par conséquent aucune volition ni préférence pour le
mouvement plutôt que pour le repos ou vice versa ; elle n’a donc pas de liberté, elle n’est pas un
agent libre ; au contraire, ses mouvements comme son repos tombent sous l’idée de nécessaire et
en portent le nom. De même, un homme qui tombe dans l’eau parce qu’un pont cède sous ses pas
n’a pas de ce fait de liberté, il n’est pas un agent libre ; car, malgré sa volition, malgré sa
préférence (ne pas tomber plutôt que tomber), s’abstenir de ce mouvement n’est pas en son
pouvoir et l’arrêt ou la cessation de ce mouvement ne suivent pas de sa volition ; sur ce point, il
n’est donc pas libre.
LOCKE, Essai sur l’entendement humain
(1) « volition » (ici) : volonté.
- 215 -
[216] SUJET N° 216 - 7PHTEME1 - 2007 - Série TECHN. - METROPOLE - SESSION
NORMALE
La science, dans son besoin d’achèvement comme dans son principe, s’oppose absolument à
l’opinion. S’il lui arrive, sur un point particulier, de légitimer l’opinion, c’est pour d’autres
raisons que celles qui fondent l’opinion ; de sorte que l’opinion a, en droit, toujours tort.
L’opinion pense mal ; elle ne pense pas : elle traduit des besoins en connaissances. En désignant
les objets par leur utilité, elle s’interdit de les connaître. On ne peut rien fonder sur l’opinion : il
faut d’abord la détruire. Elle est le premier obstacle à surmonter. Il ne suffirait pas, par exemple,
de la rectifier sur des points particuliers, en maintenant, comme une sorte de morale provisoire,
une connaissance vulgaire provisoire. L’esprit scientifique nous interdit d’avoir une opinion sur
des questions que nous ne comprenons pas, sur des questions que nous ne savons pas formuler
clairement. Avant tout, il faut savoir poser des problèmes. Et quoi qu’on dise, dans la vie
scientifique, les problèmes ne se posent pas d’eux-mêmes. C’est précisément ce sens du problème
qui donne la marque du véritable esprit scientifique. Pour un esprit scientifique, toute
connaissance est une réponse à une question. S’il n’y a pas eu de question, il ne peut y avoir
connaissance scientifique. Rien ne va de soi. Rien n’est donné. Tout est construit.
BACHELARD
QUESTIONS :
1° Dégagez la thèse du texte et les étapes de son argumentation.
2° Expliquez :
a) « l’opinion pense mal ; elle ne pense pas : elle traduit des besoins en connaissances » ;
b) « ce sens du problème qui donne la marque du véritable esprit scientifique » ;
c) « rien ne va de soi. Rien n’est donné. Tout est construit ».
3° L’opinion fait-elle obstacle à la science ?
- 216 -
[217] SUJET N° 217 - 7PHTEME3 - 2007 - Série TECHN. - METROPOLE - SESSION
REMPL.
L’effet naturel du commerce est de porter à la paix. Deux nations qui négocient ensemble se
rendent réciproquement dépendantes : si l’une a intérêt d’acheter, l’autre a intérêt de vendre ; et
toutes les unions sont fondées sur des besoins mutuels.
Mais si l’esprit de commerce unit les nations, il n’unit pas de même tes particuliers. Nous voyons
que, dans les pays où l’on n’est affecté que de l’esprit de commerce, on trafique de toutes les
actions humaines, et de toutes les vertus morales : les plus petites choses, celles que l’humanité
demande, s’y font ou s’y donnent pour de l’argent.
L’esprit de commerce produit dans les hommes un certain sentiment de justice exacte, opposé
d’un côté au brigandage, et de l’autre à ces vertus morales qui font qu’on ne discute pas toujours
ses intérêts avec rigidité et qu’on peut les négliger pour ceux des autres.
La privation totale du commerce produit au contraire le brigandage, qu’Aristote met au nombre
des manières d’acquérir. L’esprit n’en est point opposé à de certaines vertus morales : par
exemple, l’hospitalité, très rare dans les pays de commerce, se trouve admirablement parmi les
peuples brigands.
MONTESQUIEU
QUESTIONS :
1° Dégagez la thèse du texte et les étapes de son argumentation.
2° Expliquez :
a) « toutes les unions sont fondées sur des besoins mutuels » ;
b) « si l’esprit de commerce unit les nations, il n’unit pas de même les particuliers » ;
c) « l’esprit de commerce produit dans les hommes un certain sentiment de justice exacte ».
3° Les échanges commerciaux rendent-ils les hommes meilleurs ?
- 217 -
[218] SUJET N° 218 - 7PHLIAG1 - 2007 - Série L - ANTILLES - SESSION NORMALE
Jetez les yeux sur toutes les nations du monde, parcourez toutes les histoires. Parmi tant de cultes
inhumains et bizarres, parmi cette prodigieuse diversité de mœurs et de caractères, vous trouverez
partout les mêmes idées de justice et d’honnêteté, partout les mêmes notions de bien et de mal.
(...)
Il est donc au fond des âmes un principe inné de justice et de vertu, sur lequel, malgré nos propres
maximes, nous jugeons nos actions et celles d’autrui comme bonnes ou mauvaises, et c’est à ce
principe que je donne le nom de conscience.
Mais à ce mot j’entends s’élever de toutes parts la clameur des prétendus sages : Erreurs de
l’enfance, préjugés de l’éducation ! s’écrient-ils tous de concert. Il n’y a rien dans l’esprit humain
que ce qui s’y introduit par l’expérience, et nous ne jugeons d’aucune chose que sur des idées
acquises. Ils font plus : cet accord évident et universel de toutes les nations, ils l’osent rejeter ; et
contre l’éclatante uniformité du jugement des hommes, ils vont chercher dans les ténèbres
quelque exemple obscur et connu d’eux seuls ; comme si tous les penchants de la nature étaient
anéantis par la dépravation d’un peuple, et que, sitôt qu’il est des monstres, l’espèce ne fût plus
rien.
ROUSSEAU, Emile ou de l’éducation
- 218 -
[219] SUJET N° 385 - 4PHSNC1 - 2004 - Série S - NOUVELLE-CALEDONIE - SESSION
NORMALE
Je ne vois dans tout animal qu’une machine ingénieuse, à qui la nature a donné des sens pour se
remonter elle-même, et pour se garantir, jusqu’à un certain point, de tout ce qui tend à la détruire,
ou à la déranger. J’aperçois précisément les mêmes choses dans la machine humaine, avec cette
différence que la nature seule fait tout dans les opérations de la bête, au lieu que l’homme
concourt aux siennes, en qualité d’agent libre. L’un choisit ou rejette par instinct, et l’autre par un
acte de liberté ; ce qui fait que la bête ne peut s’écarter de la règle qui lui est prescrite, même
quand il lui serait avantageux de le faire, et que l’homme s’en écarte souvent à son préjudice.
C’est ainsi qu’un pigeon mourrait de faim près d’un bassin rempli des meilleures viandes, et un
chat sur des tas de fruits, ou de grain, quoique l’un et l’autre pût très bien se nourrir de l’aliment
qu’il dédaigne, s’il s’était avisé d’en essayer. C’est ainsi que les hommes dissolus se livrent à des
excès, qui leurs causent la fièvre et la mort ; parce que l’esprit déprave les sens, et que la volonté
parle encore, quand la nature se tait.
ROUSSEAU, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes
- 219 -
[220] SUJET N° 386 - 4PHLINC1 - 2004 - Série L - NOUVELLE-CALEDONIE - SESSION
NORMALE
Il convient de travailler à l’élimination de maux concrets et non pour mettre en œuvre un bien
abstrait. Il ne faut pas chercher à instaurer le bonheur par des moyens politiques, mais au
contraire à supprimer des maux réels. Ou encore, plus concrètement : il s’agit de combattre la
pauvreté par des moyens directs, en s’assurant, par exemple, que tous disposent d’un minimum
de revenus, de lutter contre les épidémies et la maladie en créant des hôpitaux et des facultés de
médecine, de combattre l’analphabétisme comme on lutte contre la criminalité. L’essentiel est
d’employer des moyens directs. Il suffit de déterminer quel est le mal qui affecte le plus
gravement la société et de s’efforcer patiemment de montrer à autrui la possibilité de l’éliminer.
Mais il ne faut pas chercher à réaliser ces objectifs par des voies indirectes en définissant l’idéal
lointain d’une société entièrement bonne et en s’attachant à mettre celui-ci en œuvre. Quelle que
soit la force du sentiment d’obligation que cette vision [...] nous inspire, il n’y a pas lieu de se
sentir requis de lui donner corps ou de s’imaginer investi de la mission d’en faire découvrir à
autrui toute la beauté. Il ne faut pas que cette vision imaginaire d’un monde merveilleux nous
fasse négliger les revendications d’individus qui souffrent hic et nunc (1). Nos semblables sont
fondés à attendre de nous un secours. Aucune génération ne doit être sacrifiée au nom des
générations à venir et d’un idéal de bonheur qu’on risque de ne jamais atteindre. Je considère, en
résumé, que l’allègement des maux dont souffrent les hommes est le problème qui se pose avec le
plus d’acuité à une politique sociale rationnelle et que la question du bonheur est d’un autre
ordre. Laissons au domaine privé cette recherche du bonheur.
POPPER, Conjectures et réfutations
(1) « hic et nunc » : ici et maintenant.
- 220 -
[221] SUJET N° 387 - 4PHTENC1 - 2004 - Série TECHN. - NOUVELLE-CALEDONIE SESSION NORMALE
Au cours des dernières générations, l’humanité a fait accomplir des progrès extraordinaires aux
sciences physiques et naturelles et à leurs applications techniques : elle a assuré sa domination sur
la nature d’une manière jusqu’ici inconcevable. Les caractères de ces progrès sont si connus que
l’énumération en est superflue. Or, les hommes sont fiers de ces conquêtes, et à bon droit. Ils
croient toutefois constater que cette récente maîtrise de l’espace et du temps, cet asservissement
des forces de la nature, cette réalisation d’aspirations millénaires, n’ont aucunement élevé la
somme de jouissance qu’ils attendent de la vie. Ils n’ont pas le sentiment d’être pour cela devenus
plus heureux. On devrait se contenter de conclure que la domination de la nature n’est pas la
seule condition du bonheur, pas plus qu’elle n’est le but unique de l’œuvre civilisatrice, et non
que les progrès de la technique sont dénués de valeur pour notre bonheur.
FREUD
QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée principale du texte et les étapes de son argumentation.
2°
a) Qu’est-ce que les hommes attendaient du développement de la technique ? Pourquoi Freud ditil qu’ils « sont fiers » de ce développement « à bon droit » ?
b) En quoi l’attente des hommes est-elle cependant déçue ?
3° Que valent les progrès de la technique « pour notre bonheur » ?
- 221 -
[222] SUJET N° 388 - 04PHESNC - 2004 - Série ES - NOUVELLE-CALEDONIE - SESSION
NORMALE
Il y a pourtant des circonstances où les actes qui nous paraissent les plus dignes d’un homme
juste, de l’homme que nous appelons homme de bien, se transforment en leurs contraires ; rendre
un dépôt, faire une promesse et d’une manière générale accomplir ce qu’exigent la sincérité et la
bonne foi, ce sont des devoirs que, dans certains cas, il devient juste d’enfreindre et de ne pas
observer. Il convient de se rapporter ici aux fondements de la justice que j’ai posés au début :
d’abord ne pas nuire à quiconque, ensuite être au service de l’intérêt commun. Quand les
circonstances changent, le devoir change lui aussi, et il n’est pas toujours le même : il peut arriver
que tenir une promesse convenue soit nuisible ou à celui à qui on a fait la promesse, ou à celui
qui a promis. [...] Il ne faut donc pas tenir les promesses qui sont nuisibles à ceux à qui on les a
faites ; et, également, si elles nous nuisent plus qu’elles ne servent à celui à qui nous les avons
faites, il n’est pas contraire au devoir de préférer le plus au moins : par exemple, si l’on s’est
engagé envers quelqu’un à venir en personne pour l’assister, et si dans l’intervalle on a un fils qui
tombe gravement malade, il n’est pas contraire au devoir de ne pas faire ce qu’on avait dit qu’on
ferait ; et c’est plutôt celui à qui l’on a fait la promesse qui s’écarterait de son devoir s’il se
plaignait d’avoir été abandonné. Et qui ne voit qu’il ne faut pas tenir des promesses qu’on nous a
arrachées par peur ou par ruse ? De ces promesses nous délie parfois la loi.
CICERON, Traité des devoirs
- 222 -
[223] SUJET N° 389 - 4PHTEME4 - 2004 - Série TECHN. - METROPOLE + REUNION SESSION REMPL.
Le secret d’un homme, c’est la limite même de sa liberté, c’est son pouvoir de résistance aux
supplices et à la mort. A ceux qui eurent une activité clandestine, les circonstances de leur lutte
apportaient une expérience nouvelle : ils ne combattaient pas au grand jour, comme des soldats ;
traqués dans la solitude, arrêtés dans la solitude, c’est dans le délaissement, dans le dénuement le
plus complet qu’ils résistaient aux tortures : seuls et nus devant des bourreaux bien rasés, bien
nourris, bien vêtus qui se moquaient de leur chair misérable et à qui une conscience satisfaite, une
puissance sociale démesurée donnaient toutes les apparences d’avoir raison. Pourtant, au plus
profond de cette solitude, c’étaient les autres, tous les autres, tous les camarades de résistance
qu’ils défendaient ; un seul mot suffisait pour provoquer dix, cent arrestations. Cette
responsabilité totale dans la solitude totale, n’est-ce pas le dévoilement même de notre liberté ?
SARTRE
- 223 -
[224] SUJET N° 390 - 4PHESJA1 - 2004 - Série ES - JAPON - SESSION NORMALE
Un homme qui se nourrit de glands qu’il ramasse sous un chêne, ou de pommes qu’il cueille sur
des arbres, dans un bois, se les approprie certainement par-là. On ne saurait contester que ce dont
il se nourrit, en cette occasion, ne lui appartienne légitimement. Je demande donc : Quand est-ce
que ces choses qu’il mange commencent à lui appartenir en propre ? Lorsqu’il les digère, ou
lorsqu’il les mange, ou lorsqu’il les cuit, ou lorsqu’il les porte chez lui, ou lorsqu’il les cueille ? Il
est visible qu’il n’y a rien qui puisse les rendre siennes, que le soin et la peine qu’il prend de les
cueillir et de les amasser. Son travail distingue et sépare alors ces fruits des autres biens qui sont
communs ; il y ajoute quelque chose de plus que la nature, la mère commune de tous, n’y a mis ;
et, par ce moyen, ils deviennent son bien particulier. Dira-t-on qu’il n’a point un droit de cette
sorte sur ces glands et sur ces pommes qu’il s’est appropriés, à cause qu’il n’a pas là-dessus le
consentement de tous les hommes ? Dira-t-on que c’est un vol, de prendre pour soi, et de
s’attribuer uniquement, ce qui appartient à tous en commun ? Si un tel consentement était
nécessaire, la personne dont il s’agit, aurait pu mourir de faim, nonobstant (1) l’abondance au
milieu de laquelle Dieu l’a mise. Nous voyons que dans les communautés qui ont été formées par
accord et par traité, ce qui est laissé en commun serait entièrement inutile, si on ne pouvait en
prendre et s’en approprier quelque partie et par quelque voie. Il est certain qu’en ces
circonstances on n’a point besoin du consentement de tous les membres de la société. Ainsi,
l’herbe que mon cheval mange, les mottes de terre que mon valet a arrachées, et les creux que j’ai
faits dans des lieux auxquels j’ai un droit commun avec d’autres, deviennent mon bien et mon
héritage propre, sans le consentement de qui que ce soit. Le travail, qui est mien, mettant ces
choses hors de l’état commun où elles étaient, les a fixées et me les a appropriées.
LOCKE, Traité du gouvernement civil
(1) « nonobstant » : en dépit de.
- 224 -
[225] SUJET N° 391 - 3PHSCME1 - 2003 - Série S - METROPOLE - SESSION NORMALE
La raison [...] énonce en nous son veto irrésistible : Il ne doit y avoir aucune guerre ; ni celle entre
toi et moi dans l’état de nature, ni celle entre nous en tant qu’Etats, qui bien qu’ils se trouvent
intérieurement dans un état légal, sont cependant extérieurement (dans leur rapport réciproque)
dans un état dépourvu de lois - car ce n’est pas ainsi que chacun doit chercher son droit. Ainsi la
question n’est plus de savoir si la paix perpétuelle est quelque chose de réel ou si ce n’est qu’une
chimère et si nous ne nous trompons pas dans notre jugement théorique, quand nous admettons le
premier cas, mais nous devons agir comme si la chose qui peut-être ne sera pas devait être, et en
vue de sa fondation établir la constitution [...] qui nous semble la plus capable d’y mener et de
mettre fin à la conduite de la guerre dépourvue de salut vers laquelle tous les Etats sans exception
ont jusqu’à maintenant dirigé leurs préparatifs intérieurs, comme vers leur fin suprême. Et si
notre fin, en ce qui concerne sa réalisation, demeure toujours un vœu pieux, nous ne nous
trompons certainement pas en admettant la maxime d’y travailler sans relâche, puisqu’elle est un
devoir.
KANT, Métaphysique des Mœurs, Première partie : Doctrine du droit.
- 225 -
[226] SUJET N° 392 - 3PLIME1 - 2003 - Série L - METROPOLE - SESSION NORMALE
Les noms des choses qui ont la propriété de nous affecter, c’est-à-dire de celles qui nous
procurent du plaisir ou du déplaisir, ont, dans la conversation courante des hommes, une
signification changeante parce que tous les hommes ne sont pas affectés de la même façon par la
même chose, ni le même homme à des moments différents. Etant donné en effet que tous les
noms sont donnés pour signifier nos représentations et que toutes nos affections ne sont rien
d’autre que des représentations, lorsque nous avons des représentations différentes des mêmes
choses, nous ne pouvons pas facilement éviter de leur donner des noms différents. Car même si la
nature de ce que nous nous représentons est la même, il reste que la diversité des façons que nous
avons de la recueillir, diversité qui est fonction de la différence de constitution de nos corps et
des préventions de notre pensée, donne à chaque chose une teinture de nos différentes passions.
C’est pourquoi, lorsqu’ils raisonnent, les hommes doivent prendre garde aux mots, lesquels ont
aussi, au-delà de la signification de ce que nous imaginons leur être propre, une signification
renvoyant à la nature, à la disposition et à l’intérêt de celui qui parle ; tels sont les noms des
vertus et des vices : car un homme appelle sagesse ce qu’un autre appelle crainte ; et l’un appelle
cruauté ce qu’un autre appelle justice ; l’un prodigalité ce qu’un autre appelle magnificence ; l’un
gravité ce qu’un autre appelle stupidité, etc. Il en résulte que de tels noms ne peuvent jamais être
les véritables fondements d’aucune espèce de raisonnement. Les métaphores et les figures du
discours ne le peuvent pas davantage : mais elles sont moins dangereuses parce qu’elles
professent leur caractère changeant, ce que ne font pas les autres noms.
HOBBES, Léviathan
- 226 -
[227] SUJET N° 393 - 3PHESME1 - 2003 - Série ES - METROPOLE - SESSION NORMALE
La vraie philosophie de l’histoire revient à voir que sous tous ces changements infinis, et au
milieu de tout ce chaos, on n’a jamais devant soi que le même être, identique et immuable,
occupé aujourd’hui des mêmes intrigues qu’hier et que de tout temps : elle doit donc reconnaître
le fond identique de tous ces faits anciens ou modernes, survenus en Orient comme en Occident ;
elle doit découvrir partout la même humanité, en dépit de la diversité des circonstances, des
costumes et des mœurs. Cet élément identique, et qui persiste à travers tous les changements, est
fourni par les qualités premières du cœur et de l’esprit humains - beaucoup de mauvaises et peu
de bonnes. La devise générale de l’histoire devrait être : Eadem, sed aliter [les mêmes choses,
mais d’une autre manière]. Celui qui a lu Hérodote (1) a étudié assez l’histoire pour en faire la
philosophie ; car il y trouve déjà tout ce qui constitue l’histoire postérieure du monde : agitations,
actions, souffrances et destinée de la race humaine, telles qu’elles ressortent des qualités en
question et du sort de toute vie sur terre.
SCHOPENHAUER, Le Monde comme volonté et comme représentation
(1) Historien grec du Ve siècle av. J.-C.
- 227 -
[228] SUJET N° 394 - 3PHTEME1 - 2003 - Série TECHN. - METROPOLE - SESSION
NORMALE
Le premier et le plus grand intérêt public est toujours la justice. Tous veulent que les conditions
soient égales pour tous, et la justice n’est que cette égalité. Le citoyen ne veut que les lois et que
l’observation des lois. Chaque particulier (1) dans le peuple sait bien que s’il y a des exceptions,
elles ne seront pas en sa faveur. Ainsi tous craignent les exceptions, et qui craint les exceptions
aime la loi.
Chez les chefs c’est toute autre chose. (...) Ils cherchent des préférences partout. S’ils veulent des
lois, ce n’est pas pour leur obéir, c’est pour en être les arbitres. Ils veulent des lois pour se mettre
à leur place et pour se faire craindre en leur nom. Tout les favorise dans ce projet. Ils se servent
des droits qu’ils ont pour usurper (2) sans risque ceux qu’ils n’ont pas.
ROUSSEAU
(1) « particulier » : individu, personne singulière.
(2) « usurper » : commettre un abus en prétendant avoir le droit pour soi.
QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée centrale du texte et les étapes du raisonnement.
2° Expliquez :
a) « le plus grand intérêt public est toujours la justice » ;
b) « qui craint les exceptions aime la loi ».
3° Pourquoi l’égalité est-elle essentielle au droit ?
- 228 -
[229] SUJET N° 395 - 3PHAAME1 - 2003 - Série STI AA - METROPOLE - SESSION
NORMALE
Les enfants, grands imitateurs, essayent tous de dessiner : je voudrais que le mien cultivât cet art,
non précisément pour l’art même, mais pour se rendre l’œil juste et la main flexible ; et, en
général, il importe fort peu qu’il sache tel ou tel exercice, pourvu qu’il acquière la perspicacité du
sens et la bonne habitude du corps qu’on gagne par cet exercice. Je me garderai donc bien de lui
donner un maître à dessiner, qui ne lui donnerait à imiter que des imitations, et ne le ferait
dessiner que sur des dessins : je veux qu’il n’ait d’autre maître que la nature, ni d’autre modèle
que les objets. Je veux qu’il ait sous les yeux l’original même et non pas le papier qui le
représente, qu’il crayonne une maison sur une maison, un arbre sur un arbre, un homme sur un
homme, afin qu’il s’accoutume à bien observer les corps et leurs apparences, et non pas à prendre
des imitations fausses et conventionnelles pour de véritables imitations. Je le détournerai même
de rien tracer de mémoire en l’absence des objets, jusqu’à ce que, par des observations
fréquentes, leurs figures exactes s’impriment bien dans son imagination ; de peur que, substituant
à la vérité des choses des figures bizarres et fantastiques, il ne perde la connaissance des
proportions et le goût des beautés de la nature.
ROUSSEAU
QUESTIONS :
1°
a) Pourquoi, selon Rousseau, les enfants doivent-ils cultiver l’art du dessin ?
b) Quelles sont les étapes de son argumentation ?
2°
a) Expliquez : « prendre des imitations fausses et conventionnelles pour de véritables
imitations ».
b) Analysez la distinction entre l’imagination dans laquelle « s’impriment » des « figures
exactes » et l’imagination productrice de « figures bizarres et fantastiques ».
3° Faut-il apprendre à voir ?
- 229 -
[230] SUJET N° 396 - JUIN/NO - 2003 - Série TMD - METROPOLE - SESSION NORMALE
- Maintenant considère ceci. Quel but se propose la peinture relativement à chaque objet ? Est-ce
de représenter ce qui est tel qu’il est, ou ce qui paraît tel qu’il paraît ; est-ce l’imitation de
l’apparence ou de la réalité ?
- De l’apparence, à mon avis.
- L’art d’imiter est donc bien éloigné du vrai, et, s’il peut tout exécuter, c’est, semble-t-il, qu’il ne
touche qu’une petite partie de chaque chose, et cette partie n’est qu’une image. Nous pouvons
dire par exemple que le peintre nous peindra un cordonnier, un charpentier ou tout autre artisan
sans connaître le métier d’aucun d’eux ; il n’en fera pas moins, s’il est bon peintre, illusion aux
enfants et aux ignorants, en peignant un charpentier et en le montrant de loin parce qu’il lui aura
donné l’apparence d’un charpentier véritable.
- Assurément.
- Mais voici, mon ami, ce qu’il faut, selon moi, penser de tout cela : quand quelqu’un vient nous
dire qu’il a rencontré un homme au courant de tous les métiers et qui connaît mieux tous les
détails de chaque art que n’importe quel spécialiste, il faut lui répondre qu’il est naïf et qu’il est
tombé sans doute sur un charlatan ou un imitateur qui lui a jeté de la poudre aux yeux, et que, s’il
l’a pris pour un savant universel, c’est qu’il n’est pas capable de distinguer la science, l’ignorance
et l’imitation.
PLATON
QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée directrice et les principaux moments du texte.
2° Expliquez :
a) « il ne touche qu’une petite partie de chaque chose, et cette partie n’est qu’une image » ;
b) « s’il l’a pris pour un savant universel, c’est qu’il n’est pas capable de distinguer la science,
l’ignorance et l’imitation ».
3° Le but de l’art est-il la vérité ?
- 230 -
[231] SUJET N° 499 - 2PHSCAG3 - 2002 - Série S - ANTILLES - SESSION REMPL.
La valeur de la philosophie doit en réalité surtout résider dans son caractère incertain même.
Celui qui n’a aucune teinture de philosophie traverse l’existence, prisonnier de préjugés dérivés
du sens commun, des croyances habituelles à son temps ou à son pays et de convictions qui ont
grandi en lui sans la coopération ni le consentement de la raison.
Pour un tel individu, le monde tend à devenir défini, fini, évident ; les objets ordinaires ne font
pas naître de questions et les possibilités peu familières sont rejetées avec mépris. Dès que nous
commençons à penser conformément à la philosophie, au contraire, nous voyons [...] que même
les choses les plus ordinaires de la vie quotidienne posent des problèmes auxquels on ne trouve
que des réponses très incomplètes. La philosophie, bien qu’elle ne soit pas en mesure de nous
donner avec certitude la réponse aux doutes qui nous assiègent, peut tout de même suggérer des
possibilités qui élargissent le champ de notre pensée et délivre celle-ci de la tyrannie de
l’habitude. Tout en ébranlant notre certitude concernant la nature de ce qui nous entoure, elle
accroît énormément notre connaissance d’une réalité possible et différente ; elle fait disparaître le
dogmatisme quelque peu arrogant de ceux qui n’ont jamais parcouru la région du doute
libérateur, et elle garde intact notre sentiment d’émerveillement en nous faisant voir les choses
familières sous un aspect nouveau.
RUSSELL, Problèmes de philosophie
- 231 -
[232] SUJET N° 500 - 2PHESNC1 - 2002 - Série ES - NOUVELLE-CALEDONIE - SESSION
NORMALE
Une loi, suivant sa véritable notion, n’est pas tant faite pour limiter, que pour faire agir un agent
intelligent et libre conformément à ses propres intérêts : elle ne prescrit rien que par rapport au
bien général de ceux qui y sont soumis. Peuvent-ils être plus heureux sans cette loi là ? Dès lors
cette sorte de loi s’évanouit d’elle-même, comme une chose inutile ; et ce qui nous conduit dans
des précipices et dans des abîmes, mérite sans doute d’être rejeté. Quoi qu’il en soit, il est certain
que la fin d’une loi n’est point d’abolir ou de diminuer la liberté, mais de la conserver et de
l’augmenter. Et certes, dans toutes les sortes d’états des êtres créés capables de lois, où il y a
point de loi, il n’y a point non plus de liberté. Car la liberté consiste à être exempt de gêne et de
violence, de la part d’autrui : ce qui ne saurait se trouver où il n’y a point de loi, et où il n’y a
point, selon ce que nous avons dit ci-dessus, une liberté, par laquelle chacun peut faire ce qu’il lui
plaît. Car qui peut être libre, lorsque l’humeur fâcheuse de quelque autre pourra dominer sur lui
et le maîtriser ? Mais on jouit d’une véritable liberté, quand on peut disposer librement, et comme
on veut, de sa personne, de ses actions, de ses possessions, de tout son bien propre, suivant les
lois sous lesquelles on vit, et qui font qu’on n’est point sujet à la volonté arbitraire des autres,
mais qu’on peut librement suivre la sienne propre.
LOCKE, Traité du gouvernement civil
- 232 -
[233] SUJET N° 501 - 2PHLNC1 - 2002 - Série L - NOUVELLE-CALEDONIE - SESSION
NORMALE
Il me faut voir enfin, s’il est en la puissance de l’homme de trouver ce qu’il cherche, et si cette
quête qu’il a employée depuis tant de siècles, l’a enrichi de quelque nouvelle force et de quelque
vérité solide. Je crois qu’il me confessera, s’il parle en conscience, que tout l’acquêt (1) qu’il a
retiré d’une si longue poursuite, c’est d’avoir appris à reconnaître sa faiblesse. L’ignorance qui
était naturellement en nous, nous l’avons, par longue étude, confirmée et avérée. Il est advenu
aux gens véritablement savants ce qu’il advient aux épis de blé : ils vont s’élevant et se haussant
la tête droite et fière ; mais, quand ils sont pleins et grossis de grain en leur maturité, ils
commencent à s’humilier et à baisser les cornes. Pareillement les hommes ayant tout essayé et
tout sondé, n’ayant trouvé en cet amas de science et provision de tant de choses diverses rien de
massif et ferme, et rien que vanité, ils ont renoncé à leur présomption et reconnu leur condition
naturelle.
MONTAIGNE, Apologie de Raymond Sebond
(1) « l’acquêt » : l’acquis.
- 233 -
[234] SUJET N° 502 - 2PHSCNC1 - 2002 - Série S - NOUVELLE-CALEDONIE - SESSION
NORMALE
Dans la première enfance de l’esprit humain, les travaux théoriques et les travaux pratiques sont
exécutés par le même individu pour toutes les opérations ; ce qui n’empêche pas que, même
alors, leur distinction, quoique moins saillante, ne soit très réelle. Bientôt ces deux ordres de
travaux commencent à se séparer, comme exigeant des capacités et des cultures différentes, et, en
quelque sorte, opposées. A mesure que l’intelligence collective et individuelle de l’espèce
humaine se développe, cette division se prononce et se généralise toujours davantage, et elle
devient la source de nouveaux progrès. On peut vraiment mesurer, sous le rapport philosophique,
le degré de civilisation d’un peuple par le degré auquel la division de la théorie et de la pratique
se trouve poussée, combiné avec le degré d’harmonie qui existe entre elles. Car le grand moyen
de civilisation est la séparation des travaux et la combinaison des efforts.
COMTE, Plan des travaux scientifiques nécessaires pour réorganiser la société
- 234 -
[235] SUJET N° 503 - 2PHTENC1 - 2002 - Série TECHN. - NOUVELLE-CALEDONIE SESSION NORMALE
Le but final de l’instauration d’un régime politique n’est pas la domination, ni la répression des
hommes, ni leur soumission au joug d’un autre. Ce à quoi l’on a visé par un tel système, c’est à
libérer l’individu de la crainte - de sorte que chacun vive, autant que possible, en sécurité ; en
d’autres termes conserve au plus au point son droit naturel de vivre et d’accomplir une action
(sans nuire ni à soi-même ni à autrui). Non, je le répète, le but poursuivi ne saurait être de
transformer des hommes raisonnables en bêtes ou en automates ! Ce qu’on a voulu leur donner,
c’est, bien plutôt, la pleine latitude de s’acquitter dans une sécurité parfaite des fonctions de leur
corps et de leur esprit. Après quoi, ils seront en mesure de raisonner plus librement, ils ne
s’affronteront plus avec les armes de la haine, de la colère, de la ruse et ils se traiteront
mutuellement sans injustice. Bref, le but de l’organisation en société, c’est la liberté !
SPINOZA
QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée principale du texte et la structure du raisonnement.
2° Expliquez :
a) « le but poursuivi ne saurait être de transformer des hommes raisonnables en bêtes ou en
automates ! » ;
b) « Après quoi, ils seront en mesure de raisonner plus librement ».
3° La liberté est-elle le principal but de la vie en société ?
- 235 -
[236] SUJET N° 504 - N/R - 2002 - Série L - AMERIQUE DU SUD - SESSION NORMALE
L’influence du langage sur la sensation est plus profonde qu’on ne le pense généralement. Non
seulement le langage nous fait croire à l’invariabilité de nos sensations, mais il nous trompera
parfois sur le caractère de la sensation éprouvée. Ainsi, quand je mange d’un mets réputé exquis,
le nom qu’il porte, gros de l’approbation qu’on lui donne, s’interpose entre ma sensation et ma
conscience ; je pourrai croire que la saveur me plaît, alors qu’un léger effort d’attention me
prouverait le contraire. Bref, le mot aux contours bien arrêtés, le mot brutal, qui emmagasine ce
qu’il y a de stable, de commun et par conséquent d’impersonnel dans les impressions de
l’humanité, écrase ou tout au moins recouvre les impressions délicates et fugitives de notre
conscience individuelle. Pour lutter à armes égales, celles-ci devraient s’exprimer par des mots
précis ; mais ces mots, à peine formés, se retourneraient contre la sensation qui leur donna
naissance, et inventés pour témoigner que la sensation est instable, ils lui imposeraient leur
propre stabilité.
BERGSON, Essai sur les données immédiates de la conscience
- 236 -
[237] SUJET N° 505 - PHSCAS1 - 2002 - Série S - AMERIQUE DU SUD - SESSION
NORMALE
Socrate – La rhétorique qui s’adresse au peuple d’Athènes et à celui des autres cités, c’est-à-dire
des assemblées d’hommes libres, qu’en devons-nous penser ? Es-tu d’avis que les orateurs
parlent toujours en vue du plus grand bien, avec la constante préoccupation de rendre les citoyens
meilleurs par leurs discours, ou bien estimes-tu qu’ils courent après la faveur populaire, qu’ils
sacrifient l’intérêt public à leur intérêt privé, et qu’ils traitent les peuples comme des enfants
auxquels ils veulent plaire avant tout, sans s’inquiéter de savoir s’ils les rendent meilleurs ou
pires par ces procédés ?
Calliclès – Cette question est plus complexe : il y a des orateurs dont les discours s’inspirent de
l’intérêt public, et d’autres qui font comme tu le dis.
Socrate – Il suffit : s’il y a deux sortes d’éloquence politique, l’une des deux est une flatterie et
une vilaine chose ; l’autre seule est belle, celle qui travaille à améliorer les âmes des citoyens et
qui s’efforce toujours vers le meilleur, que cela plaise ou non à l’auditoire.
PLATON, Gorgias
- 237 -
[238] SUJET N° 506 - PHESAS1 - 2002 - Série ES - AMERIQUE DU SUD - SESSION
NORMALE
Lorsque le goût des jouissances matérielles se développe chez un de ces peuples (1) plus
rapidement que les lumières et que les habitudes de la liberté, il vient un moment où les hommes
sont emportés et comme hors d’eux-mêmes, à la vue de ces biens nouveaux qu’ils sont prêts à
saisir. Préoccupés du seul soin de faire fortune, ils n’aperçoivent plus le lien étroit qui unit la
fortune particulière de chacun d’eux à la prospérité de tous. Il n’est pas besoin d’arracher à de tels
citoyens les droits qu’ils possèdent : ils les laissent volontiers échapper eux-mêmes. L’exercice
de leurs devoirs politiques leur paraît un contre-temps fâcheux qui les distrait de leur industrie
(2). S’agit-il de choisir leurs représentants, de prêter main-forte à l’autorité, de traiter en commun
la chose commune, le temps leur manque ; ils ne sauraient dissiper ce temps si précieux en
travaux inutiles. Ce sont là jeux d’oisifs qui ne conviennent point à des hommes graves et
occupés des intérêts sérieux de la vie. Ces gens-là croient suivre la doctrine de l’intérêt, mais ils
ne s’en font qu’une idée grossière, et, pour mieux veiller à ce qu’ils nomment leurs affaires, ils
négligent la principale qui est de rester maîtres d’eux-mêmes.
TOCQUEVILLE, De la Démocratie en Amérique
(1) « ces peuples » : les peuples démocratiques.
(2) « industrie » : au sens large, ensemble des activités notamment économiques.
- 238 -
[239] SUJET N° 507 - 01PHLIAN1 - 2001 - Série L - AMERIQUE DU NORD - SESSION
NORMALE
Quelque réelle que soit, sans doute, la satisfaction attachée à la seule découverte de la vérité, elle
n’a jamais assez d’intensité pour diriger la conduite habituelle ; l’impulsion d’une passion
quelconque est même indispensable à notre chétive intelligence pour déterminer et soutenir
presque tous ses efforts. Si cette inspiration émane d’une affection bienveillante, on la remarque
comme étant à la fois plus rare et plus estimable ; sa vulgarité empêche, au contraire, de la
distinguer quand elle est due aux motifs personnels de gloire, d’ambition, ou de cupidité. Telle
est, au fond, la seule différence ordinaire. Lors même que l’impulsion mentale résulterait, en
effet, d’une sorte de passion exceptionnelle pour la pure vérité, sans aucun mélange d’orgueil ou
de vanité, cet exercice idéal, dégagé de toute destination sociale, ne cesserait pas d’être
profondément égoïste.
COMTE
- 239 -
[240] SUJET N° 508 - 01PHLIPO1 - 2001 - Série L - POLYNESIE - SESSION NORMALE
Dans les gouvernements despotiques, où, comme nous avons dit, on n’est déterminé à agir que
par l’espérance des commodités de la vie, le prince qui récompense n’a que de l’argent à donner.
Dans une monarchie, où l’honneur règne seul, le prince ne récompenserait que par des
distinctions, si les distinctions que l’honneur établit n’étaient jointes à un luxe qui donne
nécessairement des besoins : le prince y récompense donc par des honneurs qui mènent à la
fortune. Mais, dans une république, où la vertu règne, motif qui se suffit à lui-même, et qui exclut
tous les autres, l’Etat ne récompense que par des témoignages de cette vertu.
C’est une règle générale, que les grandes récompenses, dans une monarchie et dans une
république, sont un signe de leur décadence ; parce qu’elles prouvent que leurs principes sont
corrompus ; que, d’un côté, l’idée de l’honneur n’y a plus tant de force ; que, de l’autre, la qualité
de citoyen s’est affaiblie.
MONTESQUIEU
- 240 -
[241] SUJET N° 509 - 01PHSCAG3 - 2001 - Série S - ANTILLES - SESSION REMPL.
Si la constitution naturelle des hommes leur faisait désirer avec le plus d’ardeur ce qui tend à leur
plus haut intérêt, toute intervention expresse, en vue de faire régner la concorde et la bonne foi,
serait superflue. Mais telle n’est pas la pente habituelle de la nature humaine, on le sait. L’Etat
doit donc être organisé nécessairement de manière que tous, gouvernants et gouvernés - qu’ils
agissent de bon ou de mauvais gré - n’en mettent pas moins leur conduite au service du salut
général. En d’autres termes, il faut que tous, par force et par nécessité si ce n’est spontanément,
soient contraints de vivre selon la discipline de la raison. Pour que soit atteint ce résultat, le
fonctionnement de l’Etat sera réglé de telle sorte, qu’aucune affaire important au salut général ne
soit jamais confiée à un seul individu, présumé de bonne foi. Car l’homme le plus vigilant est
cependant assujetti au sommeil, par intervalles, le plus fort et le plus inébranlable est sujet à
faiblir ou à se laisser vaincre, aux moments précis où il aurait besoin de la plus grande énergie.
SPINOZA
- 241 -
[242] SUJET N° 510 - 1PTSAID-M - 2001 - Série TECHN. - METROPOLE + REUNION SESSION REMPL.
Tout homme a une conscience et se trouve observé, menacé, de manière générale tenu en respect
(respect lié à la crainte) par un juge intérieur et cette puissance qui veille en lui sur les lois n’est
pas quelque chose de forgé (arbitrairement) par lui-même, mais elle est inhérente à son être. Elle
le suit comme son ombre quand il pense lui échapper. Il peut sans doute par des plaisirs ou des
distractions s’étourdir ou s’endormir, mais il ne saurait éviter parfois de revenir à soi ou de se
réveiller, dès qu’il en perçoit la voix terrible. Il est bien possible à l’homme de tomber dans la
plus extrême abjection où il ne se soucie plus de cette voix, mais il ne peut jamais éviter de
l’entendre.
KANT
QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée générale du texte et les étapes de son argumentation.
2° Expliquez : « il ne saurait éviter parfois de revenir à soi ou de se réveiller ».
3° Peut-on s’affranchir de la conscience morale ?
- 242 -
[243] SUJET N° 219 - 7PHTEAG1 - 2007 - Série TECHN. - ANTILLES - SESSION
NORMALE
Résistance et obéissance, voilà les deux vertus du citoyen. Par l’obéissance il assure l’ordre ; par
la résistance il assure la liberté. Et il est bien clair que l’ordre et la liberté ne sont point
séparables, car le jeu des forces, c’est-à-dire la guerre privée à toute minute, n’enferme (1)
aucune liberté ; c’est une vie animale, livrée à tous les hasards. Donc les deux termes, ordre et
liberté, sont bien loin d’être opposés ; j’aime mieux dire qu’ils sont corrélatifs. La liberté ne va
pas sans l’ordre ; l’ordre ne vaut rien sans la liberté.
Obéir en résistant, c’est tout le secret. Ce qui détruit l’obéissance est anarchie ; ce qui détruit la
résistance est tyrannie. Ces deux maux s’appellent, car la tyrannie employant la force contre les
opinions, les opinions, en retour, emploient la force contre la tyrannie ; et, inversement, quand la
résistance devient désobéissance, les pouvoirs ont beau jeu pour écraser la résistance, et ainsi
deviennent tyranniques. Dès qu’un pouvoir use de force pour tuer la critique, il est tyrannique.
Voilà d’après quoi un citoyen raisonnable peut d’abord orienter ses réflexions.
ALAIN
(1) « n’enferme » : ne contient.
QUESTIONS :
1° Dégagez la thèse du texte et les étapes de son argumentation.
2° Expliquez :
a) « le jeu des forces, c’est-à-dire la guerre privée à toute minute, n’enferme aucune liberté » ;
b) « la liberté ne va pas sans l’ordre ; l’ordre ne vaut rien sans la liberté » ;
c) « quand la résistance devient désobéissance, les pouvoirs ont beau jeu pour écraser la
résistance, et ainsi deviennent tyranniques ».
3° Peut-on résister sans désobéir ?
- 243 -
[244] SUJET N° 220 - 7PHLIAG2 - 2007 - Série L - ANTILLES - SESSION REMPL.
Nous ne pouvons former aucun désir qui ne se réfère pas à la société. La parfaite solitude est
peut-être la plus grande punition que nous puissions souffrir. Tout plaisir est languissant quand
nous en jouissons hors de toute compagnie, et toute peine devient plus cruelle et plus intolérable.
Quelles que soient les autres passions qui nous animent, orgueil, ambition, avarice, curiosité,
désir de vengeance ou luxure, leur âme, le principe de toutes, c’est la sympathie ; elles n’auraient
aucune force, si nous devions les dégager entièrement des pensées et des sentiments d’autrui.
Faites que tous les pouvoirs et tous les éléments de la nature s’unissent pour servir un seul
homme et pour lui obéir : faites que le soleil se lève et se couche à son commandement ; que la
mer et les fleuves coulent à son gré ; que la terre lui fournisse spontanément tout ce qui peut lui
être utile ou agréable ; il sera toujours misérable tant que vous ne lui aurez pas donné au moins
une personne avec qui il puisse partager son bonheur et de l’estime et de l’amitié de qui il puisse
jouir.
HUME, Traité de la nature humaine
- 244 -
[245] SUJET N° 221 - 7PHTEAG3 - 2007 - Série TECHN. - ANTILLES - SESSION REMPL.
L’un des grands problèmes de l’éducation est de savoir comment allier la soumission à la
contrainte de la règle et la capacité d’user de sa liberté. Car la contrainte est nécessaire !
Comment cultiverai-je la liberté par la contrainte ? Je dois accoutumer mon élève à endurer une
contrainte imposée à sa liberté et le conduire en même temps à bien user de celle-là.
Sans cela, tout ne sera que mécanisme, et il ne saura pas, au sortir de ses années d’éducation, se
servir de sa liberté. Il lui faut sentir de bonne heure l’inévitable résistance de la société, apprendre
à connaître la difficulté de subsister, de se priver et d’acquérir, afin d’être indépendant.
Ici s’imposent les observations suivantes : 1° Il convient de laisser l’enfant libre en toutes choses
(hormis celles où il se nuit à lui-même, en portant par exemple la main sur la lame nue d’un
couteau), à condition qu’il n’entrave pas par là la liberté des autres : ainsi ses cris ou son
exubérance suffisent à les importuner. 2° Il faut lui montrer qu’il ne peut arriver à ses fins qu’en
laissant les autres atteindre les leurs, par exemple, qu’on ne lui fera aucun plaisir s’il ne fait pas
ce que l’on veut, qu’il a le devoir de s’instruire, etc. 3° Il faut lui prouver qu’on lui impose une
contrainte propre à le mener à l’usage de sa propre liberté, qu’on veille à sa culture pour qu’il
puisse un jour être libre, c’est-à-dire qu’il n’ait pas à dépendre du secours d’autrui.
KANT
QUESTIONS :
1° Dégagez la thèse du texte et les étapes de son argumentation.
2° Expliquez :
a) « à endurer une contrainte imposée à sa liberté et le conduire en même temps à bien user de
celle-là » ;
b) « l’inévitable résistance de la société » ;
c) « Il faut lui montrer qu’il ne peut arriver à ses fins qu’en laissant les autres atteindre les leurs ».
3° Peut-on apprendre à être libre ?
- 245 -
[246] SUJET N° 222 - 7PHESAN1 - 2007 - Série ES - AMERIQUE DU NORD - SESSION
NORMALE
Comme, dans un Etat libre, tout homme qui est censé avoir une âme libre doit être gouverné par
lui-même, il faudrait que le peuple en corps (1) eût la puissance législative. Mais comme cela est
impossible dans les grands Etats, et est sujet à beaucoup d’inconvénients dans les petits, il faut
que le peuple fasse par ses représentants tout ce qu’il ne peut faire par lui-même.
L’on connaît beaucoup mieux les besoins de sa ville que ceux des autres villes ; et on juge mieux
de la capacité de ses voisins que de celle de ses autres compatriotes. Il ne faut donc pas que les
membres du corps législatif soient tirés en général du corps de la nation ; mais il convient que,
dans chaque lieu principal, les habitants se choisissent un représentant.
Le grand avantage des représentants, c’est qu’ils sont capables de discuter les affaires. Le peuple
n’y est point du tout propre ; ce qui forme un des grands inconvénients de la démocratie.
MONTESQUIEU, De l’Esprit des lois
(1) « le peuple en corps » : le peuple constitué en unité politique.
- 246 -
[247] SUJET N° 223 - 7PHESIN1 - 2007 - Série ES - INDE - SESSION NORMALE
Une machine ne pense point, il n’y a ni mouvement ni figure qui produise la réflexion : quelque
chose en toi cherche à briser les liens qui le compriment ; l’espace n’est pas ta mesure, l’univers
entier n’est pas assez grand pour toi : tes sentiments, tes désirs, ton inquiétude, ton orgueil même,
ont un autre principe que ce corps étroit dans lequel tu te sens enchaîné.
Nul être matériel n’est actif par lui-même, et moi je le suis. On a beau me disputer cela, je le sens,
et ce sentiment qui me parle est plus fort que la raison qui le combat. J’ai un corps sur lequel les
autres agissent et qui agit sur eux ; cette action réciproque n’est pas douteuse ; mais ma volonté
est indépendante de mes sens ; je consens ou je résiste, je succombe ou je suis vainqueur, et je
sens parfaitement en moi-même quand je fais ce que j’ai voulu faire, ou quand je ne fais que
céder à mes passions. J’ai toujours la puissance de vouloir, non la force d’exécuter.
ROUSSEAU, Emile
- 247 -
[248] SUJET N° 224 - 7PHLIAN1 - 2007 - Série L - AMERIQUE DU NORD - SESSION
NORMALE
Il serait insensé de donner l’assaut, tête baissée, au monde technique : et ce serait faire preuve de
vue courte que de vouloir condamner ce monde comme étant l’œuvre du diable.
Nous dépendons des objets que la technique nous fournit et qui, pour ainsi dire, nous mettent en
demeure de les perfectionner sans cesse. Toutefois, notre attachement aux choses techniques est
maintenant si fort que nous sommes, à notre insu, devenus leurs esclaves.
Mais nous pouvons nous y prendre autrement. Nous pouvons utiliser les choses techniques, nous
en servir normalement, mais en même temps nous en libérer, de sorte qu’à tout moment nous
conservions nos distances à leur égard. Nous pouvons faire usage des objets techniques comme il
faut qu’on en use. Mais nous pouvons en même temps les laisser à eux-mêmes comme ne nous
atteignant pas dans ce que nous avons de plus intime et de plus propre. Nous pouvons dire « oui »
à l’emploi inévitable des objets techniques et nous pouvons en même temps lui dire « non », en
ce sens que nous les empêchions de nous accaparer et ainsi de fausser, brouiller et finalement
vider notre être.
Mais si nous disons ainsi à la fois « oui » et « non » aux objets techniques, notre rapport au
monde technique ne devient-il pas ambigu et incertain ? Tout au contraire : notre rapport au
monde technique devient merveilleusement simple et paisible. Nous admettons les objets
techniques dans notre monde quotidien et en même temps nous les laissons dehors, c’est-à-dire
que nous les laissons reposer sur eux-mêmes comme des choses qui n’ont rien d’absolu, mais qui
dépendent de plus haut qu’elles.
HEIDEGGER, Questions IV
- 248 -
[249] SUJET N° 225 - 7PHSCAN1 - 2007 - Série S - AMERIQUE DU NORD - SESSION
NORMALE
Il n’y a donc point de liberté sans lois, ni où quelqu’un est au dessus des lois : dans l’état même
de nature l’homme n’est libre qu’à la faveur de la loi naturelle qui commande à tous. Un peuple
libre obéit, mais il ne sert pas ; Il a des chefs et non pas des maîtres ; il obéit aux lois, mais il
n’obéit qu’aux lois et c’est par la force des lois qu’il n’obéit pas aux hommes. Toutes les
barrières qu’on donne dans les républiques au pouvoir des magistrats (1) ne sont établies que
pour garantir de leurs atteintes l’enceinte sacrée des lois : ils en sont les ministres (2) non les
arbitres, ils doivent les garder non les enfreindre. Un peuple est libre, quelque forme qu’ait son
gouvernement, quand dans celui qui le gouverne il ne voit point l’homme, mais l’organe de la loi.
En un mot, la liberté suit toujours le sort des lois, elle règne ou périt avec elles ; je ne sache rien
de plus certain.
ROUSSEAU, Lettres écrites de la montagne
(1) « magistrats » : ici, dépositaires de l’autorité politique.
(2) « ministres » : ici, serviteurs.
- 249 -
[250] SUJET N° 226 - 7PHSCAG3 - 2007 - Série S - ANTILLES - SESSION REMPL.
IL n’est rien que les hommes puissent moins faire que de gouverner leurs désirs ; et c’est
pourquoi la plupart croient que notre liberté d’action existe seulement à l’égard des choses où
nous tendons légèrement, parce que le désir peut en être aisément contraint par le souvenir de
quelque autre chose fréquemment rappelée ; tandis que nous ne sommes pas du tout libres quand
il s’agit de choses auxquelles nous tendons avec une affection vive que le souvenir d’une autre
chose ne peut apaiser. S’ils ne savaient d’expérience cependant que maintes fois nous regrettons
nos actions et que souvent, quand nous sommes dominés par des affections contraires, nous
voyons le meilleur et faisons le pire, rien ne les empêcherait de croire que toutes nos actions sont
libres. C’est ainsi qu’un petit enfant croit librement désirer le lait, un jeune garçon en colère
vouloir la vengeance, un peureux la fuite. Un homme en état d’ébriété aussi croit dire par un libre
décret de l’âme ce que, sorti de cet état, il voudrait avoir tu ; de même le délirant, la bavarde,
l’enfant et un très grand nombre d’individus de même farine croient parler par un libre décret de
l’âme, alors cependant qu’ils ne peuvent contenir l’impulsion qu’ils ont à parler ; l’expérience
donc fait voir aussi clairement que la raison que les hommes se croient libres pour cette seule
cause qu’ils sont conscients de leurs actions et ignorants des causes par où ils sont déterminés.
SPINOZA, Ethique
- 250 -
[251] SUJET N° 227 - 7PHSCIN1 - 2007 - Série S - INDE - SESSION NORMALE
La loi suprême de l’invention humaine est que l’on n’invente qu’en travaillant. Artisan d’abord.
Dès que l’inflexible ordre matériel nous donne appui, alors la liberté se montre ; mais dès que
nous voulons suivre la fantaisie, entendez l’ordre des affections du corps humain, l’esclavage
nous tient, et nos inventions sont alors mécaniques dans la forme, souvent niaises et plus
rarement émouvantes, mais sans rien de bon ni de beau. Dès qu’un homme se livre à l’inspiration,
j’entends à sa propre nature, je ne vois que la résistance de la matière qui puisse le préserver de
l’improvisation creuse et de l’instabilité d’esprit. Par cette trace de nos actions, ineffaçable, nous
apprenons la prudence ; mais par ce témoin fidèle de la moindre esquisse, nous apprenons la
confiance aussi.
Dans l’imagination errante tout est promesse, par des émotions sans mesure ; aussi il se peut bien
que le sculpteur sans expérience souhaite quelque matière plastique qui change aussi vite que ses
propres inspirations. Mais quand il souhaiterait seulement quelque aide du diable, par laquelle le
marbre serait taillé aussitôt selon le désir, il se tromperait encore sur sa véritable puissance. Si le
pouvoir d’exécuter n’allait pas beaucoup plus loin que le pouvoir de penser ou de rêver, il n’y
aurait point d’artistes.
ALAIN, Système des beaux-arts
- 251 -
[252] SUJET N° 228 - 7PHLIIN1 - 2007 - Série L - INDE - SESSION NORMALE
Si tous les hommes moins un partageaient la même opinion, ils n’en auraient pas pour autant le
droit d’imposer silence à cette personne, pas plus que celle-ci, d’imposer silence aux hommes si
elle en avait le pouvoir. Si une opinion n’était qu’une possession personnelle, sans valeur pour
d’autres que son possesseur ; si d’être gêné dans la jouissance de cette possession n’était qu’un
dommage privé, il y aurait une différence à ce que ce dommage fût infligé à peu ou à beaucoup
de personnes. Mais ce qu’il y a de particulièrement néfaste à imposer silence à l’expression d’une
opinion, c’est que cela revient à voler l’humanité : tant la postérité que la génération présente, les
détracteurs de cette opinion bien davantage que ses détenteurs. Si l’opinion est juste, on les prive
de l’occasion d’échanger l’erreur pour la vérité ; si elle est fausse, ils perdent un bénéfice presque
aussi considérable : une perception plus claire et une impression plus vive de la vérité que produit
sa confrontation avec l’erreur.
MILL, De la Liberté
- 252 -
[253] SUJET N° 229 - 7PHLI - 2007 - Série L - LIBAN - SESSION NORMALE
Nous avons le libre arbitre, non pas quand nous percevons, mais quand nous agissons. Il ne
dépend pas de mon arbitre de trouver le miel doux ou amer, mais il ne dépend pas non plus de
mon arbitre qu’un théorème proposé m’apparaisse vrai ou faux ; la conscience n’a qu’à examiner
ce qui lui apparaît. Lorsque nous décidons de quelque chose, nous avons toujours présentes à
l’esprit ou bien une sensation ou une raison actuelles, ou tout au moins un souvenir actuel d’une
sensation ou d’une raison passées ; bien qu’en ce dernier cas nous soyons souvent trompés par
l’infidélité de la mémoire ou par l’insuffisance de l’attention. Mais la conscience de ce qui est
présent ou de ce qui est passé ne dépend nullement de notre arbitre. Nous ne reconnaissons à la
volonté que le pouvoir de commander à l’attention et à l’intérêt ; et ainsi, quoiqu’elle ne fasse pas
le jugement en nous, elle peut toutefois y exercer une influence indirecte. Ainsi il arrive souvent
que les hommes finissent par croire ce qu’ils voudraient être la vérité, ayant accoutumé leur esprit
à considérer avec le plus d’attention les choses qu’ils aiment ; de cette façon ils arrivent à
contenter non seulement leur volonté mais encore leur conscience.
LEIBNIZ, Opuscules philosophiques choisis
- 253 -
[254] SUJET N° 230 - 7PHESAG3 - 2007 - Série ES - ANTILLES - SESSION REMPL.
Si la vertu doit procurer le plaisir, ce n’est pas pour cela qu’on la recherche ; car ce n’est pas lui
qu’elle procure, mais lui en plus, et ce n’est pas pour lui qu’elle s’efforce, mais son effort,
quoique ayant un autre but, atteint aussi celui-là. Dans un champ labouré pour la moisson,
quelques fleurs naissent çà et là ; ce n’est toutefois pas pour ces brins d’herbe, si agréables soientils à l’œil, que l’on a pris tant de peine (autre était le but du semeur, ceci et venu en plus). De
même le plaisir aussi n’est pas le prix de la vertu, sa raison d’être, mais son accessoire. Ce n’est
point parce qu’il a des charmes qu’il est admis, mais s’il est admis, ses charmes s’ajoutent. Le
souverain bien consiste dans le jugement même et dans la tenue d’un esprit excellent qui, sa
carrière remplie et ses limites assurées, a réalisé le bonheur parfait, sans rien désirer de plus. En
effet, il n’y a rien hors du tout, pas plus qu’au delà de la limite. C’est donc une erreur que de
demander la raison pour laquelle j’aspire à la vertu. Car c’est chercher le supra-suprême. Tu veux
savoir ce que je demande à la vertu ? Elle-même. Aussi bien n’a-t-elle rien de mieux : elle-même
est son prix. Est-ce là trop peu ? Quand je te dirai : « le souverain bien est la rigidité d’une âme
inébranlable, sa prévoyance, son sublime, sa santé, son indépendance, son harmonie, sa beauté »,
exiges-tu encore une grandeur plus haute à quoi rattacher tout cela ? Pourquoi me prononces-tu le
nom de plaisir ? C’est de l’homme que je cherche le bien, non du ventre, qui chez les bêtes et les
brutes est plus élastique.
SENEQUE, Le Bonheur
- 254 -
[255] SUJET N° 231 - 7PHSCG11 - 2007 - Série S - ETRANGER GROUPE 1 - SESSION
NORMALE
Nous sommes libres quand nos actes émanent de notre personnalité entière, quand ils
l’expriment, quand ils ont avec elle cette indéfinissable ressemblance qu’on trouve parfois entre
l’œuvre et l’artiste. En vain on alléguera que nous cédons alors à l’influence toute-puissante de
notre caractère. Notre caractère, c’est encore nous ; et parce qu’on s’est plu à scinder la personne
en deux parties pour considérer tour à tour, par un effort d’abstraction, le moi qui sent ou pense et
le moi qui agit, il y aurait quelque puérilité à conclure que l’un des deux moi pèse sur l’autre. Le
même reproche s’adressera à ceux qui demandent si nous sommes libres de modifier notre
caractère. Certes, notre caractère se modifie insensiblement tous les jours, et notre liberté en
souffrirait, si ces acquisitions nouvelles venaient se greffer sur notre moi et non pas se fondre en
lui. Mais, dès que cette fusion aura lieu, on devra dire que le changement survenu dans notre
caractère est bien nôtre, que nous nous le sommes approprié. En un mot, si l’on convient
d’appeler libre tout acte qui émane du moi, et du moi seulement, l’acte qui porte la marque de
notre personne est véritablement libre, car notre moi seul en revendiquera la paternité.
BERGSON, Essai sur les données immédiates de la conscience
- 255 -
[256] SUJET N° 232 - PHSCJA - 2007 - Série S - JAPON - SESSION NORMALE
Lorsque les hommes ont commencé à penser, ils furent obligés de résoudre
anthropomorphiquement le monde en une multitude de personnalités faites à leur image ; les
accidents et les hasards qu’ils interprétaient superstitieusement étaient donc à leurs yeux des
actions, des manifestations de personnes ; autrement dit, ils se comportaient exactement comme
les paranoïaques, qui tirent des conclusions du moindre signe fourni par d’autres, et comme se
comportent tous les hommes sains qui, avec raison, formulent des jugements sur le caractère de
leurs semblables en se basant sur leurs actions accidentelles et non-intentionnelles. Dans notre
conception du monde moderne, conception scientifique, et qui est encore loin d’être achevée dans
toutes ses parties, la superstition apparaît donc quelque peu déplacée ; mais elle était justifiée
dans la conception des époques préscientifiques, puisqu’elle en était un complément logique.
Le Romain, qui renonçait à un important projet, parce qu’il venait de constater un vol d’oiseaux
défavorable, avait donc relativement raison ; il agissait conformément à ses prémisses. Mais
lorsqu’il renonçait à son projet, parce qu’il avait fait un faux-pas sur le seuil de sa porte, il se
montrait supérieur à nous autres incrédules, il se révélait meilleur psychologue que nous le
sommes. C’est que ce faux-pas était pour lui une preuve de l’existence d’un doute, d’une
opposition intérieure à ce projet, doute et opposition dont la force pouvait annihiler celle de son
intention au moment de l’exécution du projet. On n’est en effet sûr du succès complet que lorsque
toutes les forces de l’âme sont tendues vers le but désiré.
FREUD, Psychopathologie de la vie quotidienne.
- 256 -
[257] SUJET N° 233 - 7PHSCPO3 - 2007 - Série S - POLYNESIE - SESSION REMPL.
En règle générale, ce n’est pas l’artiste exécutant qui peut donner une juste information sur les
principes de son art. Il ne crée pas d’après des principes et n’évalue pas d’après des principes. En
créant, il obéit à l’impulsion spontanée de ses facultés harmonieusement cultivées et, en jugeant,
à la finesse de son intuition et de son sens artistiques. Or, il n’en est pas seulement ainsi dans le
cas des beaux-arts, auxquels on a pu penser tout d’abord, mais pour tous les arts en général, en
prenant ce mot dans son sens le plus large. Il en est, par conséquent, aussi de même pour les
activités de la création scientifique et l’évaluation théorique de ses résultats, des fondations
scientifiques de faits, de lois, de théories. Le mathématicien, le physicien, l’astronome euxmêmes n’ont pas besoin, pour mener à bien leurs travaux scientifiques les plus importants,
d’accéder à l’évidence intellectuelle des ultimes fondements de leur activité et, bien que les
résultats obtenus possèdent, pour eux et pour d’autres, la force d’une conviction rationnelle, ils ne
peuvent cependant pas élever la prétention d’avoir prouvé, pour tous les cas, les ultimes
prémisses (1) de leurs conclusions, ni recherché les principes sur lesquels repose la validité de
leurs méthodes. Or, c’est à cela que tient l’état d’imperfection de toutes les sciences.
HUSSERL, Recherches logiques
(1) « prémisses » : premières propositions d’un raisonnement dont on tire une conclusion.
- 257 -
[258] SUJET N° 234 - 7PHSCPO1 - 2007 - Série S - POLYNESIE - SESSION NORMALE
L’injustice enlève toujours quelque chose à ceux qu’elle vise ; ils ne peuvent subir une injustice
sans quelque dommage pour leur dignité, leur corps ou leurs biens extérieurs ; or le sage ne peut
rien perdre ; il a tout en lui-même ; il ne se confie pas à la fortune (1) ; les biens qu’il possède
sont solides ; il se contente de la vertu qui ne dépend pas des événements fortuits ; aussi ne peutelle ni augmenter, ni diminuer (car arrivée à son terme, elle n’a pas de place pour croître, et la
fortune n’enlève rien que ce qu’elle a donné ; or elle ne donne pas la vertu et par conséquent ne la
retire pas). La vertu est libre, inviolable, immobile, inébranlable ; elle est tellement endurcie
contre les hasards qu’ils ne peuvent même la faire plier, bien loin de pouvoir la vaincre. En face
d’un appareil de terreur le sage ne baisse pas les yeux, et il ne change pas de visage, que les
événements se montrent pénibles ou favorables. Aussi ne perdra-t-il rien dont la perte lui serait
sensible ; il ne possède qu’une seule chose, la vertu, dont jamais il ne peut être dépouillé ; les
autres choses, il en use à titre précaire ; or pourquoi s’émouvoir de la perte de ce qui n’est pas à
soi ? Si l’injustice ne peut porter nul dommage à ce qui est la propriété du sage, puisque, grâce à
la venu, cette propriété reste sauve, on ne peut commettre d’injustice contre le sage.
SENEQUE, De la Constance du sage
(1) « fortune » : le cours des événements.
- 258 -
[259] SUJET N° 235 - 7PHLIG11 - 2007 - Série L - ETRANGER GROUPE 1 - SESSION
NORMALE
Une fois que les hommes ont découvert par expérience qu’il est impossible de subsister sans la
société et de maintenir la société tant qu’ils donnent libre cours à leurs appétits, un intérêt aussi
pressant contraint rapidement leurs actions et impose l’obligation d’observer les règles que nous
appelons les lois de justice. Cette obligation de l’intérêt n’en reste pas là, mais, suivant le cours
nécessaire des passions et des sentiments, elle engendre l’obligation morale du devoir, dès lors
que nous approuvons des actions de nature à tendre à la paix dans la société, et désapprouvons
celles qui tendent à la troubler. La même obligation naturelle de l’intérêt s’exerce parmi les
royaumes indépendants et engendre la même moralité ; de telle sorte que personne, même pas
celui dont la morale est corrompue au plus haut point, n’approuvera un prince qui rompt sa
promesse et viole un traité volontairement et de son plein gré. Mais nous pouvons ici faire la
remarque que si les relations entre différents Etats sont profitables et même, parfois, nécessaires,
elles ne sont pourtant pas aussi nécessaires ou profitables que les relations entre individus, sans
lesquelles il est absolument impossible que la nature humaine subsiste. Par conséquent, puisque
l’obligation naturelle à la justice entre les différents Etats n’est pas aussi puissante qu’entre les
individus, il faut que l’obligation morale qui en résulte partage sa faiblesse, et nous devons
nécessairement accorder une plus grande indulgence à un prince, ou à un ministre, qui en trompe
un autre, qu’à un gentilhomme qui rompt sa promesse faite sur l’honneur.
HUME, Traité de la nature humaine
- 259 -
[260] SUJET N° 236 - 7PHLILR1 - 2007 - Série L - LA REUNION - SESSION NORMALE
Demandons-nous quels sont les êtres conscients et jusqu’où le domaine de la conscience s’étend
dans la nature. Mais n’exigeons pas ici l’évidence complète, rigoureuse, mathématique ; nous
n’obtiendrions rien. Pour savoir de science certaine qu’un être est conscient, il faudrait pénétrer
en lui, coïncider avec lui, être lui. Je vous défie de prouver, par expérience ou par raisonnement,
que moi, qui vous parle en ce moment, je sois un être conscient. Je pourrais être un automate
ingénieusement construit par la nature, allant, venant, discourant ; les paroles mêmes par
lesquelles je me déclare conscient pourraient être prononcées inconsciemment. Toutefois, si la
chose n’est pas impossible, vous m’avouerez qu’elle n’est guère probable. Entre vous et moi il y
a une ressemblance extérieure évidente ; et de cette ressemblance extérieure vous concluez, par
analogie, à une similitude interne. Le raisonnement par analogie ne donne jamais, je le veux bien,
qu’une probabilité ; mais il y a une foule de cas où cette probabilité est assez haute pour
équivaloir pratiquement à la certitude.
BERGSON, L’Energie spirituelle
- 260 -
[261] SUJET N° 237 - 7PHESLI1 - 2007 - Série ES - LIBAN - SESSION NORMALE
Tous les hommes recherchent d’être heureux ; cela est sans exception ; quelques différents
moyens qu’ils y emploient, ils tendent tous à ce but. ce qui fait que les uns vont à la guerre, et que
les autres n’y vont pas, est ce même désir, qui est dans tous les deux, accompagné de différentes
vues. La volonté ne fait jamais la moindre démarche que vers cet objet. C’est le motif de toutes
les actions de tous les hommes, jusqu’à ceux qui vont se pendre.
Et cependant, depuis un si grand nombre d’années, jamais personne, sans la foi, n’est arrivé à ce
point où tous visent continuellement. Tous se plaignent : princes, sujets, nobles, roturiers, vieux,
jeunes ; forts, faibles ; savants, ignorants ; sains, malades ; de tous pays, de tous les temps, de
tous âges et de toutes conditions.
Une épreuve si longue, si continuelle et si uniforme, devrait bien nous convaincre de notre
impuissance d’arriver au bien par nos efforts ; mais l’exemple nous instruit peu. Il n’est jamais si
parfaitement semblable, qu’il n’y ait quelque délicate différence ; et c’est de là que nous
attendons que notre attente ne sera pas déçue en cette occasion comme en l’autre. Et ainsi, le
présent ne nous satisfaisant jamais, l’expérience nous pipe (1), et, de malheur en malheur, nous
mène jusqu’à la mort.
PASCAL, Pensées
(1) piper : tromper.
- 261 -
[262] SUJET N° 238 - 7PHESGR1-1 - 2007 - Série ES - ETRANGER GROUPE 1 - SESSION
NORMALE
Laissant donc tous les livres scientifiques qui ne nous apprennent qu’à voir les hommes tels qu’ils
se sont faits, et méditant sur les premières et plus simples opérations de l’âme humaine, j’y crois
apercevoir deux principes antérieurs à la raison, dont l’un nous intéresse ardemment à notre bienêtre et à la conservation de nous-mêmes, et l’autre nous inspire une répugnance naturelle à voir
périr ou souffrir tout être sensible et principalement nos semblables. C’est du concours et de la
combinaison que notre esprit est en état de faire de ces deux principes, sans qu’il soit nécessaire
d’y faire entrer celui de la sociabilité, que me paraissent découler toutes les règles du droit
naturel ; (...).
De cette manière, on n’est point obligé de faire de l’homme un philosophe avant que d’en faire
un homme ; ses devoirs envers autrui ne lui sont pas uniquement dictés par les tardives leçons de
la sagesse ; et tant qu’il ne résistera point à l’impulsion intérieure de la commisération, il ne fera
jamais du mal à un autre homme ni même à aucun être sensible, excepté dans le cas légitime où
sa conservation se trouvant intéressée, il est obligé de se donner la préférence à lui-même. Par ce
moyen, on termine aussi les anciennes disputes sur la participation des animaux à la loi naturelle.
Car il est clair que, dépourvus de lumières et de liberté, ils ne peuvent reconnaître cette loi ; mais
tenant en quelque chose à notre nature par la sensibilité dont ils sont doués, on jugera qu’ils
doivent aussi participer au droit naturel, et que l’homme est assujetti envers eux à quelque espèce
de devoirs. Il semble, en effet, que si je suis obligé de ne faire aucun mal à mon semblable, c’est
moins parce qu’il est un être raisonnable que parce qu’il est un être sensible ; qualité qui, étant
commune à la bête et à l’homme, doit au moins donner à l’une le droit de n’être point maltraitée
inutilement par l’autre.
ROUSSEAU, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes
- 262 -
[263] SUJET N° 239 - 7PHESLR1 - 2007 - Série ES - LA REUNION - SESSION NORMALE
Le droit ne dépend pas de l’intention qu’on a en agissant. On peut faire quelque chose avec une
excellente intention, la conduite n’est pas pour autant justifiée, mais peut être, sans qu’on y
prenne garde, contraire au droit. D’autre part, une conduite, par exemple l’affirmation de ma
propriété, peut être juridiquement tout à fait justifiée et faire place cependant à une intention
méchante, dans la mesure où il ne s’agit pas seulement pour moi de défendre mon droit, mais
bien plutôt de nuire à autrui. Sur le droit comme tel cette intention n’a aucune influence.
Le droit n’a rien à voir avec la conviction que ce que j’ai à faire soit juste ou injuste. Tel est
particulièrement le cas en ce qui concerne la punition. On tâche sans doute de persuader le
criminel qu’il est puni à bon droit. Mais qu’il en soit ou non convaincu ne change rien au droit
qu’on lui applique.
Enfin le droit ne dépend non plus en rien de la disposition d’esprit dans laquelle un acte est
accompli. Il arrive très souvent qu’on agisse de façon correcte par simple crainte de la punition,
ou parce qu’on a peur de n’importe quelle autre conséquence désagréable, telle que perdre sa
réputation ou son crédit. Il se peut aussi qu’en agissant selon le droit on songe à la récompense
qu’on obtiendra ainsi dans une autre vie. Le droit comme tel est indépendant de ces dispositions
d’esprit.
HEGEL, Propédeutique philosophique
- 263 -
[264] SUJET N° 240 - 7PHESJA1 - 2007 - Série ES - JAPON - SESSION NORMALE
Il y a, implanté dans l’âme de la plupart des hommes, un mal qui est plus grave que tous les
autres, celui qui fait que chacun est pour lui-même plein d’indulgence, et auquel personne ne
prend les moyens d’échapper : ce mal, on l’appelle « amour de soi », en ajoutant que cette
indulgence est naturelle à tout homme et qu’il est dans l’ordre des choses qu’il en aille ainsi. Oui,
mais en réalité, chacune de nos fautes a en toute occasion pour cause un excès d’amour de soi.
Car celui qui aime fait preuve d’aveuglement à l’égard de ce qu’il aime, de sorte que son
jugement est erroné quand il porte sur ce qui est juste, bon et beau, car il est convaincu que son
intérêt doit toujours mériter plus d’estime que le vrai. Ce n’est en effet ni soi-même ni son intérêt
que l’on doit chérir si l’on veut être un grand homme, mais c’est le juste, que l’action juste soit la
sienne ou plutôt celle d’autrui. Or, c’est cette même erreur qui explique aussi que tous les
hommes prennent leur ignorance pour de la sagesse. De là vient que, alors que nous ne savons
pour ainsi dire rien, nous estimons tout savoir et, parce que nous ne laissons par faire aux autres
ce que nous ne savons pas faire, nous nous trompons forcément en le faisant nous-mêmes. Aussi
tout homme doit-il fuir l’amour excessif qu’il se porte à lui-même et rechercher toujours
quelqu’un qui soit meilleur que lui-même, sans s’abriter en pareille occasion derrière aucun
sentiment de honte.
PLATON, Les Lois
- 264 -
[265] SUJET N° 241 - 7PHTEPO3 - 2007 - Série TECHN. - POLYNESIE - SESSION REMPL.
Supposons que le destin d’un homme vertueux le place dans la compagnie de coupe-jarrets (1),
hors de la protection des lois et du gouvernement. Quelle conduite devrait-il adopter dans cette
triste situation ? Il voit partout régner une rapacité si acharnée, un tel mépris de l’équité, un tel
dédain de l’ordre, un aveuglement si stupide quant aux conséquences futures, qu’il doit
s’ensuivre immédiatement la plus tragique conclusion, la destruction finale du plus grand nombre
et la totale dissolution des liens sociaux entre les survivants. Lui, cependant, ne peut avoir d’autre
expédient (2) que de s’armer, quel que soit le propriétaire de l’épée ou du bouclier dont il
s’empare, et ce, afin de se munir de tous les moyens de défense et de sécurité. Son respect
personnel de la justice n’étant plus d’aucune utilité pour sa propre sûreté ou pour celle des autres,
il doit suivre les prescriptions du seul instinct de conservation, sans s’inquiéter de ceux qui ne
méritent plus ses égards et son attention.
HUME
(1) « coupe-jarrets » : bandits, assassins.
(2) « expédient » : moyen de se tirer d’embarras.
QUESTIONS :
1° Le texte présente une supposition. Quelle thèse permet-elle d’établir ?
2° Expliquez :
a) « hors de la protection des lois et du gouvernement » ;
b) « la totale dissolution des liens sociaux » ;
c) « aucune utilité pour sa propre sûreté ou pour celle des autres ».
3° Peut-on être juste quand les autres ne le sont pas ?
- 265 -
[266] SUJET N° 242 - 7PTSMDNC1 - 2007 - Série TECHN. - NOUVELLE-CALEDONIE SESSION NORMALE
J’apprends (...) à rendre un service à autrui, sans lui porter de tendresse réelle, parce que je
prévois qu’il me le rendra dans l’espérance d’un autre service et afin de maintenir la même
réciprocité de bons offices avec les autres ou avec moi. Et par suite, une fois que je lui ai rendu
service et qu’il profite de l’effet bénéfique de mon action, il est conduit à accomplir sa part,
prévoyant les conséquences qu’engendrerait son refus.
Mais bien que cet échange intéressé entre les hommes commence à s’établir et à prévaloir dans la
société, il n’abolit pas entièrement les relations d’amitié et les bons offices, qui sont plus
généreux et plus nobles. Je peux encore rendre des services à des personnes que j’aime et que je
connais plus particulièrement, sans avoir de profit en vue, et elles peuvent me le retourner de la
même manière ; sans autre intention que de récompenser mes services passés. Par conséquent,
afin de distinguer ces deux sortes différentes d’échange, l’intéressé et celui qui ne l’est pas, il y a
une certaine formule verbale inventée pour le premier, par laquelle nous nous engageons à
l’accomplissement d’une action. Cette formule verbale constitue ce que nous appelons une
promesse, qui est la sanction de l’échange intéressé entre les hommes. Quand quelqu’un dit qu’il
promet quelque chose, il exprime en réalité une résolution d’accomplir cette chose et, en même
temps, puisqu’il fait usage de cette formule verbale, il se soumet lui-même, en cas de dédit, à la
punition qu’on ne se fie plus jamais à lui.
HUME
QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée principale du texte. Dégagez les étapes de son argumentation.
2° Expliquez :
a) la distinction entre « échange intéressé » et « relations d’amitié » ;
b) l’expression « sans autre intention que de récompenser mes services passés ».
3° Peut-il y avoir des échanges désintéressés ?
- 266 -
[267] SUJET N° 243 - 7PHSCNC3 - 2007 - Série S - NOUVELLE-CALEDONIE - SESSION
REMPL.
On dit volontiers : mon vouloir a été déterminé par ces mobiles, circonstances, excitations et
impulsions. La formule implique d’emblée que je me sois ici comporté de façon passive. Mais, en
vérité, mon comportement n’a pas été seulement passif ; il a été actif aussi, et de façon
essentielle, car c’est mon vouloir qui a assumé telles circonstances à titre de mobiles, qui les fait
valoir comme mobiles. Il n’est ici aucune place pour la relation de causalité. Les circonstances ne
jouent point le rôle de causes et mon vouloir n’est pas l’effet de ces circonstances. La relation
causale implique que ce qui est contenu dans la cause s’ensuive nécessairement. Mais, en tant que
réflexion, je puis dépasser toute détermination posée par les circonstances. Dans la mesure où
l’homme allègue qu’il a été entraîné par des circonstances, des excitations, etc., il entend par là
rejeter, pour ainsi dire, hors de lui-même sa propre conduite, mais ainsi il se réduit tout
simplement à l’état d’essence non libre ou naturelle, alors que sa conduite, en vérité, est toujours
sienne, non celle d’un autre ni l’effet de quelque chose qui existe hors de lui. Les circonstances
ou mobiles n’ont jamais sur les hommes que le pouvoir qu’ils leur accordent eux-mêmes.
HEGEL, Propédeutique philosophique
- 267 -
[268] SUJET N° 244 - 7PHLINC3 - 2007 - Série L - NOUVELLE-CALEDONIE - SESSION
REMPL.
La communication des idées qui sont désignées par des mots n’est pas, comme on le suppose
couramment, le seul et principal but du langage. Il y en a bien d’autres, tels qu’éveiller une
certaine passion, provoquer ou empêcher une action et mettre l’esprit dans une disposition
particulière. La première fin est, dans beaucoup de cas, pour le moins auxiliaire et parfois même
entièrement absente lorsque de tels effets peuvent se produire sans son aide, ainsi que je pense
qu’il arrive assez fréquemment dans l’usage ordinaire du langage. Je prie le lecteur de réfléchir et
se consulter lui-même : ne lui arrive-t-il pas souvent, en écoutant ou en lisant un discours, que la
peur, l’amour, la haine, l’admiration, le mépris et des passions semblables surgissent
immédiatement dans son esprit lors de la perception de certains mots, sans qu’intervienne aucune
idée ? Au début, il est vrai, les mots ont pu être l’occasion d’idées conformes à produire de telles
émotions ; mais, si je ne me trompe, il se trouvera que, une fois que la langue nous est devenue
familière, l’audition des sons ou la vue des caractères est souvent accompagnée immédiatement
de ces passions qui étaient d’abord produites par l’intervention des idées qui sont maintenant tout
à fait absentes. Ne pouvons-nous, par exemple, être sensibles à la promesse d’une bonne chose,
tout en n’ayant pas d’idée de ce qu’elle est ? Ou bien, le fait d’être menacés d’un danger ne
suffit-il pas à exciter la peur ? Cela, même si nous ne pensons en particulier à aucun mal qui
risquerait de nous advenir, et que nous ne nous forgeons pas non plus une idée du danger dans
l’abstrait.
BERKELEY, Principes de la connaissance humaine
- 268 -
[269] SUJET N° 245 - 7PHLINC1 - 2007 - Série L - NOUVELLE-CALEDONIE - SESSION
NORMALE
Auxiliaire de l’action, elle [la perception] isole, dans l’ensemble de la réalité, ce qui nous
intéresse ; elle nous montre moins les choses mêmes que le parti que nous en pouvons tirer. Par
avance elle les classe, par avance elle les étiquette ; nous regardons à peine l’objet, il nous suffit
de savoir à quelle catégorie il appartient. Mais, de loin en loin, par un accident heureux, des
hommes surgissent dont les sens ou la conscience sont moins adhérents à la vie. La nature a
oublié d’attacher leur faculté de percevoir à leur faculté d’agir. Quand ils regardent une chose, ils
la voient pour elle, et non plus pour eux. Ils ne perçoivent plus simplement en vue d’agir ; ils
perçoivent pour percevoir, — pour rien, pour le plaisir. Par un certain côté d’eux-mêmes, soit par
leur conscience soit par un de leurs sens, ils naissent détachés ; et, selon que ce détachement est
celui de tel ou tel sens, ou de la conscience, ils sont peintres ou sculpteurs, musiciens ou poètes.
C’est donc bien une vision plus directe de la réalité que nous trouvons dans les différents arts ; et
c’est parce que l’artiste songe moins à utiliser sa perception qu’il perçoit un plus grand nombre
de choses.
BERGSON, La Pensée et le mouvant
- 269 -
[270] SUJET N° 246 - 06PHSCG1S - 2006 - Série S - ETRANGER GROUPE 1 - SESSION
NORMALE
Si je laisse de côté toute discussion sur les premiers et obscurs commencements du gouvernement
(...), je remarque que le fait que le gouvernement soit fondé sur un contrat peut être entendu en un
double sens : ou bien, premier cas, plusieurs individus libres, découvrant l’intolérable
désagrément d’un état où règne l’anarchie, où chacun agit selon son bon vouloir, ont consenti par
un accord mutuel à se soumettre totalement aux décrets d’un pouvoir législatif déterminé, décrets
qui, même s’ils peuvent quelquefois s’exercer avec dureté sur les sujets, doivent pourtant à coup
sûr se révéler être un gouvernement plus aisé que celui des humeurs violentes et des volonté
inconstantes et contradictoires d’une multitude. Et si nous admettons qu’un tel pacte a été le
fondement originel du gouvernement civil, cette simple supposition suffit pour qu’on le tienne
comme sacré et inviolable.
Ou bien, second cas, on veut dire que les sujets ont passé un contrat avec leurs souverains ou
législateurs respectifs pour devoir à leurs lois une soumission, non pas totale, mais conditionnelle
et limitée, autrement dit sous la condition que l’observation de ces lois contribue dans la mesure
du possible au bien commun ; dans ce cas, les sujets se réservent encore le droit de surveiller les
lois et de juger si elles sont aptes ou non à favoriser le bien commun, ils se réservent aussi le droit
(au cas où tous ou partie l’estimeraient nécessaire) de résister aux autorités suprêmes et de
changer l’organisation totale du gouvernement par la force, ce qui constitue un droit que tous les
hommes, qu’il s’agisse d’individus ou de sociétés, possèdent sur ceux qu’ils ont choisis pour les
représenter.
BERKELEY, De l’Obéissance passive
- 270 -
[271] SUJET N° 247 - 6PHESGR1-1 - 2006 - Série ES - ETRANGER GROUPE 1 - SESSION
NORMALE
Le langage n’est pas seulement le revêtement extérieur de la pensée ; c’en est l’armature interne.
Il ne se borne pas à la traduire au-dehors une fois qu’elle est formée ; il sert à la faire. Cependant,
il a une nature qui lui est propre, et, par suite, des lois qui ne sont pas celles de la pensée. Puisque
donc il contribue à l’élaborer, il ne peut manquer de lui faire violence en quelque mesure et de la
déformer (...).
Penser, en effet, c’est ordonner nos idées ; c’est, par conséquent, classer. Penser le feu, par
exemple, c’est le ranger dans telle ou telle catégorie de choses, de manière à pouvoir dire qu’il est
ceci ou cela, ceci et non cela. Mais, d’un autre côté, classer, c’est nommer ; car une idée générale
n’a d’existence et de réalité que dans et par le mot qui l’exprime et qui fait, à lui seul, son
individualité. Aussi la langue d’un peuple a-t-elle toujours une influence sur la façon dont sont
classées dans les esprits et, par conséquent, pensées les choses nouvelles qu’il apprend à
connaître ; car elles sont tenues de s’adapter aux cadres préexistants. Pour cette raison, la langue
que parlaient les hommes, quand ils entreprirent de se faire une représentation élaborée de
l’univers, marqua le système d’idées qui prit alors naissance d’une empreinte ineffaçable.
DURKHEIM, Les Formes élémentaires de la vie religieuse
- 271 -
[272] SUJET N° 248 - 6PHESGR1-2 - 2006 - Série ES - ETRANGER GROUPE 1 - SESSION
NORMALE
Cet art que j’appelle l’art de persuader, et qui n’est proprement que la conduite des preuves
méthodiques parfaites consiste en trois parties essentielles : à définir les termes dont on doit se
servir par des définitions claires ; à proposer des principes ou axiomes évidents pour prouver la
chose dont il s’agit ; et à substituer toujours mentalement dans la démonstration les définitions à
la place des définis.
Et la raison de cette méthode est évidente, puisqu’il serait inutile de proposer ce qu’on peut
prouver et d’en entreprendre la démonstration, si on n’avait auparavant défini clairement tous les
termes qui ne sont pas intelligibles ; et qu’il faut de même que la démonstration soit précédée de
la demande des principes évidents qui y sont nécessaires, car si on n’assure le fondement on ne
peut assurer l’édifice ; et qu’il faut enfin en démontrant substituer mentalement la définition à la
place des définis, puisque autrement on pourrait abuser des divers sens qui se rencontrent dans les
termes. Il est facile de voir qu’en observant cette méthode on est sûr de convaincre, puisque, les
termes étant tous entendus et parfaitement exempts d’équivoques par les définitions, et les
principes étant accordés, si dans la démonstration on substitue toujours mentalement les
définitions à la place des définis, la force invincible des conséquences ne peut manquer d’avoir
tout son effet.
Aussi jamais une démonstration dans laquelle ces circonstances sont gardées n’a pu recevoir le
moindre doute ; et jamais celles où elles manquent ne peuvent avoir d’effet de force.
PASCAL, De l’Art de persuader
- 272 -
[273] SUJET N° 249 - 6PHTEG11 - 2006 - Série TECHN. - ETRANGER GROUPE 1 SESSION NORMALE
Il ne paraît pas qu’on puisse amener l’homme par quelque moyen que ce soit à troquer sa nature
contre celle d’un termite (1) ; il sera toujours enclin à défendre son droit à la liberté individuelle
contre la volonté de la masse. Un bon nombre de luttes au sein de l’humanité se livrent et se
concentrent autour d’une tâche unique : trouver un équilibre approprié, donc de nature à assurer
le bonheur de tous, entre ces revendications de l’individu et les exigences culturelles de la
collectivité. Et c’est l’un des problèmes dont dépend le destin de l’humanité que de savoir si cet
équilibre est réalisable au moyen d’une certaine forme de civilisation, ou bien si au contraire ce
conflit est insoluble.
FREUD
(1) « termite » : insecte vivant dans un groupe où son rôle est déterminé naturellement.
QUESTIONS :
1° Dégagez le problème soulevé par l’auteur dans le texte.
2°
a) Expliquez : « il sera toujours enclin à défendre son droit à la liberté individuelle contre la
volonté de la masse » (lignes 2 et 3)
b) Expliquez : "les exigences culturelles de la collectivité" (lignes 5 et 6)
3° Un homme seul peut-il être un homme libre ?
- 273 -
[274] SUJET N° 250 - N/R - 2006 - Série L - JAPON - SESSION NORMALE
La seule raison de croire en la permanence des lois du mouvement réside dans le fait que les
phénomènes leur ont obéi jusqu’à présent, pour autant que notre connaissance du passé nous
permette d’en juger. Certes l’ensemble de preuves que constitue le passé en faveur des lois du
mouvement est plus important que celui en faveur du prochain lever de soleil, dans la mesure où
le lever du soleil n’est qu’un cas particulier d’application des lois du mouvement, à côté de tant
d’autres. Mais la vraie question est celle-ci : est-ce qu’un nombre quelconque de cas passés
conformes à une loi constitue une preuve que la loi s’appliquera à l’avenir ? Si la réponse est non,
notre attente que le soleil se lèvera demain, que le pain au prochain repas ne nous empoisonnera
pas, se révèle sans fondement ; et de même pour toutes les attentes à peine conscientes qui règlent
notre vie quotidienne. Il faut remarquer que ces prévisions sont seulement probables ; ce n’est
donc pas une preuve qu’elles doivent être confirmées, que nous avons à rechercher, mais
seulement une raison de penser qu’il est vraisemblable qu’elles soient confirmées.
RUSSELL, Problèmes de philosophie
- 274 -
[275] SUJET N° 251 - 6PHESJA1 - 2006 - Série ES - JAPON - SESSION NORMALE
Des chaînes et des bourreaux, ce sont là les instruments grossiers qu’employait jadis la tyrannie ;
mais de nos jours la civilisation a perfectionné jusqu’au despotisme lui-même, qui semblait
pourtant n’avoir plus rien à apprendre.
Les princes avaient pour ainsi dire matérialisé la violence ; les républiques démocratiques de nos
jours l’ont rendue tout aussi intellectuelle que la volonté humaine qu’elle veut contraindre. Sous
le gouvernement absolu d’un seul, le despotisme, pour arriver à l’âme, frappait grossièrement le
corps ; et l’âme, échappant à ces coups, s’élevait glorieusement au-dessus de lui ; mais dans les
républiques démocratiques, ce n’est point ainsi que procède la tyrannie ; elle laisse le corps et va
droit à l’âme. Le maître n’y dit plus : Vous penserez comme moi, ou vous mourrez ; il dit : Vous
êtes libres de ne point penser ainsi que moi ; votre vie, vos biens, tout vous reste ; mais de ce jour
vous êtes un étranger parmi nous. Vous garderez vos privilèges à la cité, mais ils vous
deviendront inutiles ; car si vous briguez le choix de vos concitoyens, ils ne vous l’accorderont
point, et si vous ne demandez que leur estime, ils feindront encore de vous la refuser. Vous
resterez parmi les hommes, mais vous perdrez vos droits à l’humanité. Quand vous vous
approcherez de vos semblables, ils vous fuiront comme un être impur ; et ceux qui croient à votre
innocence, ceux-là mêmes vous abandonneront, car on les fuirait à leur tour. Allez en paix, je
vous laisse la vie, mais je vous la laisse pire que la mort.
Les monarchies absolues avaient déshonoré le despotisme ; prenons garde que les républiques
démocratiques ne le réhabilitent, et qu’en le rendant plus lourd pour quelques-uns, elles ne lui
ôtent, aux yeux du plus grand nombre, son aspect odieux et son caractère avilissant.
TOCQUEVILLE, De la Démocratie en Amérique
- 275 -
[276] SUJET N° 252 - 6PHESAN1 - 2006 - Série ES - AMERIQUE DU NORD - SESSION
NORMALE
J’existe, et j’ai des sens par lesquels je suis affecté. Voilà la première vérité qui me frappe et à
laquelle je suis forcé d’acquiescer. Ai-je un sentiment propre de mon existence, ou ne la sens-je
que par mes sensations ? Voilà mon premier doute, qu’il m’est, quant à présent, impossible de
résoudre. Car, étant continuellement affecté de sensations, ou immédiatement, ou par la mémoire,
comment puis-je savoir si le sentiment du moi est quelque chose hors de ces mêmes sensations, et
s’il peut être indépendant d’elles ?
Mes sensations se passent en moi, puisqu’elles me font sentir mon existence ; mais leur cause
m’est étrangère, puisqu’elles m’affectent malgré que j’en aie, et qu’il ne dépend de moi ni de les
produire ni de les anéantir. Je conçois donc clairement que ma sensation qui est en moi, et sa
cause ou son objet qui est hors de moi, ne sont pas la même chose.
Ainsi, non seulement j’existe, mais il existe d’autres êtres, savoir, les objets de mes sensations ; et
quand ces objets ne seraient que des idées, toujours est-il vrai que ces idées ne sont pas moi.
Or, tout ce que je sens hors de moi et qui agit sur mes sens, je l’appelle matière (...).
ROUSSEAU, Emile ou de l’éducation
- 276 -
[277] SUJET N° 253 - 6PHESAN1 - 2006 - Série ES - AMERIQUE DU NORD - SESSION
NORMALE
Les hommes prétendent que, par nature, Il est bon de commettre l’injustice et mauvais de la
souffrir, mais qu’il y a plus de mal à la souffrir que de bien à la commettre. Aussi, lorsque
mutuellement ils la commettent et la subissent, et qu’ils goûtent des deux états, ceux qui ne
peuvent point éviter l’un ni choisir l’autre estiment utile de s’entendre pour ne plus commettre ni
subir l’injustice. De là prirent naissance les lois et les conventions, et l’on appela ce que
prescrivait la loi légitime et juste. Voilà l’origine et l’essence de la justice : elle tient le milieu
entre le plus grand bien - commettre impunément l’injustice - et le plus grand mal - la subir
quand on est incapable de se venger. Entre ces deux extrêmes, la justice est aimée non comme un
bien en soi, mais parce que l’impuissance de commettre l’injustice lui donne du prix. En effet,
celui qui peut pratiquer cette dernière ne s’entendra jamais avec personne pour s’abstenir de la
commettre ou de la subir, car il serait fou. Telle est donc, Socrate, la nature de la justice et telle
est son origine, selon l’opinion commune.
PLATON, La République
- 277 -
[278] SUJET N° 254 - 6PHSCAN1 - 2006 - Série S - AMERIQUE DU NORD - SESSION
NORMALE
Ce qui fait la difficulté, c’est que l’équitable tout en étant juste, n’est pas le juste légal, le juste
suivant la loi ; mais il est une heureuse rectification de la justice rigoureusement légale, La raison
en est que la loi est toujours quelque chose de général, et qu’il y a des cas d’espèce pour lesquels
il n’est pas possible de poser un énoncé général qui s’y applique avec rectitude. Dans les matières
donc où on doit nécessairement se borner à des généralités et où il est impossible de le faire
correctement, la loi ne prend en considération que les cas les plus fréquents, sans ignorer
d’ailleurs les erreurs que cela peut entraîner. La loi n’en est pas moins bonne pour cela ; car la
faute ici n’est pas à la loi, ni au législateur, mais tient à la nature des choses, puisque c’est la
matière même de l’action qui revêt essentiellement ce caractère d’irrégularité. Quand, par suite,
la loi pose une règle générale, et que là-dessus survient un cas en dehors de la règle générale, on
est alors en droit, là où le législateur a omis de prévoir le cas et s’est trompé par excès de
simplification, de corriger l’omission et de se faire l’interprète de ce qu’eût dit le législateur luimême s’il avait été présent à ce moment, et de ce qu’il aurait porté dans sa loi s’il avait pu
connaître le cas en question.
ARISTOTE, Ethique à icomaque
- 278 -
[279] SUJET N° 255 - PHLIANL1 - 2006 - Série L - LIBAN - SESSION NORMALE
C’est dans le gouvernement républicain que l’on a besoin de toute la puissance de l’éducation. La
crainte des gouvernements despotiques naît d’elle-même parmi les menaces et les châtiments ;
l’honneur des monarchies est favorisé par les passions, et les favorise à son tour : mais la vertu
politique est un renoncement à soi-même, qui est toujours une chose très pénible.
On peut définir cette vertu, l’amour des lois et de la patrie. Cet amour, demandant une préférence
continuelle de l’intérêt public au sien propre, donne toutes les vertus particulières : elles ne sont
que cette préférence.
Cet amour est singulièrement affecté aux démocraties. Dans elles seules, le gouvernement est
confié à chaque citoyen. Or, le gouvernement est comme toutes les choses du monde ; pour le
conserver, il faut l’aimer.
On n’a jamais ouï dire que les rois n’aimassent pas la monarchie, et que les despotes haïssent le
despotisme.
Tout dépend donc d’établir, dans la république, cet amour ; et c’est à l’inspirer, que l’éducation
doit être attentive. Mais, pour que les enfants puissent l’avoir, il y un moyen sûr ; c’est que les
pères l’aient eux-mêmes.
On est ordinairement le maître de donner à ses enfants ses connaissances ; on l’est encore plus de
leur donner ses passions.
Si cela n’arrive pas, c’est que ce qui a été fait dans la maison paternelle est détruit par les
impressions du dehors.
Ce n’est point le peuple naissant qui dégénère ; il ne se perd que lorsque les hommes faits sont
déjà corrompus.
MONTESQUIEU, De l’Esprit des lois
- 279 -
[280] SUJET N° 256 - 6PHESLI1 - 2006 - Série ES - LIBAN - SESSION NORMALE
C’est beaucoup que d’avoir fait régner l’ordre et la paix dans toutes les parties de la république ;
c’est beaucoup que l’Etat soit tranquille et la loi respectée : mais si l’on ne fait rien de plus, il y
aura dans tout cela plus d’apparence que de réalité, et le gouvernement se fera difficilement obéir
s’il se borne à l’obéissance, S’il est bon de savoir employer les hommes tels qu’ils sont, il vaut
beaucoup mieux encore les rendre tels qu’on a besoin qu’ils soient ; l’autorité la plus absolue est
celle qui pénètre jusqu’à l’intérieur de l’homme, et ne s’exerce pas moins sur la volonté que sur
les actions. Il est certain que les peuples sont à la longue ce que le gouvernement les fait être.
Guerriers, citoyens, hommes, quand il le veut ; populace et canaille quand il lui plaît : et tout
prince qui méprise ses sujets se déshonore lui-même en montrant qu’il n’a pas su les rendre
estimables. Formez donc des hommes si vous voulez commander à des hommes : si vous voulez
qu’on obéisse aux lois, faites qu’on les aime, et que pour faire ce qu’on doit, il suffise de songer
qu’on le doit faire.
ROUSSEAU, Discours sur l’économie politique
- 280 -
[281] SUJET N° 257 - 6PHSCIN1 - 2006 - Série S - INDE - SESSION NORMALE
Conscience ! conscience ! instinct divin, immortelle et céleste voix ; guide assuré d’un être
ignorant et borné, mais intelligent et libre ; juge infaillible du bien et du mal, qui rends l’homme
semblable à Dieu, c’est toi qui fais l’excellence de sa nature et la moralité de ses actions ; sans toi
je ne sens rien en moi qui m’élève au-dessus des bêtes, que le triste privilège de m’égarer
d’erreurs en erreurs à l’aide d’un entendement sans règle et d’une raison sans principe.
Grâce au ciel, nous voilà délivrés de tout cet effrayant appareil de philosophie : nous pouvons
être hommes sans être savants ; dispensés de consumer notre vie à l’étude de la morale, nous
avons à moindre frais un guide plus assuré dans ce dédale immense des opinions humaines. Mais
ce n’est pas assez que ce guide existe, il faut savoir le reconnaître et le suivre. S’il parle à tous les
cœurs, pourquoi donc y en a-t-il si peu qui l’entendent ? Eh ! c’est qu’il nous parle la langue de la
nature, que tout nous a fait oublier.
ROUSSEAU, Emile
- 281 -
[282] SUJET N° 258 - 6PHSCLI1 - 2006 - Série S - LIBAN - SESSION NORMALE
Il y a dans la nature humaine une certaine fausseté qui doit, en définitive, comme tout ce qui vient
de la nature, contenir une disposition qui aboutit à une bonne fin ; je veux parler de notre
inclination à cacher nos vrais sentiments et à afficher certains autres supposés, que nous tenons
pour bons et honorables. Il est très certain que grâce à ce penchant qui porte les hommes tant à
dissimuler qu’à prendre une apparence qui leur soit avantageuse, ils ne se sont pas seulement
civilisés, mais encore moralisés peu à peu dans une certaine mesure, parce que personne ne
pouvant percer le fard (1) de la bienséance, de l’honorabilité et de la décence, on trouva, dans ces
prétendus bons exemples qu’on voyait autour de soi, une école d’amélioration pour soi-même.
Mais cette disposition à se faire passer pour meilleur qu’on ne l’est et à manifester des sentiments
que l’on n’a pas, ne sert en quelque sorte que provisoirement à tirer l’homme de sa rudesse et à
lui faire prendre au moins d’abord l’apparence du bien qu’il connaît ; car une fois que les
véritables principes sont développés et qu’ils sont passés dans la manière de penser, cette fausseté
doit alors être peu à peu combattue avec force, car autrement elle corrompt le cœur et étouffe les
bons sentiments sous l’ivraie (2) de la belle apparence.
KANT, Critique de la raison pure
(1) « fard » : maquillage.
(2) « ivraie » : sorte de mauvaise herbe proliférante.
- 282 -
[283] SUJET N° 259 - 6PHTEMEI - 2006 - Série TECHN. - METROPOLE - SESSION
NORMALE
Puisque le libre jugement des hommes est extrêmement divers, que chacun pense être seul à tout
savoir et qu’il est impossible que tous donnent la même opinion et parlent d’une seule bouche, ils
ne pourraient vivre en paix si l’individu n’avait renoncé à son droit d’agir suivant le seul décret
de sa pensée. C’est donc seulement au droit d’agir par son propre décret qu’il a renoncé, non au
droit de raisonner et de juger ; par suite nul à la vérité ne peut, sans danger pour le droit du
souverain (1), agir contre son décret, mais il peut avec une entière liberté donner son opinion et
juger et en conséquence aussi parler, pourvu qu’il n’aille pas au delà de la simple parole ou de
l’enseignement, et qu’il défende son opinion par la Raison seule, non par la ruse, la colère ou la
haine, ni dans l’intention de changer quoi que ce soit dans l’Etat de l’autorité de son propre
décret.
SPINOZA
(1) « souverain » : autorité individuelle ou collective à qui seule « il appartient de faire des lois »
(selon Spinoza).
QUESTIONS :
1° Dégagez la thèse de l’auteur et précisez les étapes de son raisonnement.
2° Expliquez :
a) « il peut avec une entière liberté donner son opinion et juger et en conséquence aussi parler » ;
b) « ni dans l’intention de changer quoi que ce soit dans l’Etat de l’autorité de son propre
décret. »
3° La liberté d’expression doit-elle être illimitée ?
- 283 -
[284] SUJET N° 260 - 6PHLIME1 - 2006 - Série L - METROPOLE - SESSION NORMALE
Celui qui se nourrit des glands qu’il a ramassés sous un chêne, ou des pommes qu’il a cueillies
aux arbres d’un bois, se les est certainement appropriés. Personne ne peut nier que ces aliments
soient à lui. Je demande donc : Quand est-ce que ces choses commencent à être à lui ? Lorsqu’il
les a digérées, ou lorsqu’il les a mangées, ou lorsqu’il les a fait bouillir, ou lorsqu’il les a
rapportées chez lui, ou lorsqu’il les a ramassées ? Il est clair que si le fait, qui vient le premier, de
les avoir cueillies ne les a pas rendues siennes, rien d’autre ne le pourrait. Ce travail a établi une
distinction entre ces choses et ce qui est commun ; il leur a ajouté quelque chose de plus que ce
que la nature, la mère commune de tous, y a mis ; et, par là, ils sont devenus sa propriété privée.
Quelqu’un dira-t-il qu’il n’avait aucun droit sur ces glands et sur ces pommes qu’il s’est
appropriés de la sorte, parce qu’il n’avait pas le consentement de toute l’humanité pour les faire
siens ? était-ce un vol, de prendre ainsi pour soi ce qui appartenait à tous en commun ? si un
consentement de ce genre avait été nécessaire, les hommes seraient morts de faim en dépit de
l’abondance des choses (...). Nous voyons que sur les terres communes, qui le demeurent par
convention, c’est le fait de prendre une partie de ce qui est commun et de l’arracher à l’état où la
laisse la nature qui est au commencement de la propriété, sans laquelle ces terres communes ne
servent à rien. Et le fait qu’on se saisisse de ceci ou de cela ne dépend pas du consentement
explicite de tous. Ainsi, l’herbe que mon cheval a mangée, la tourbe qu’a coupée mon serviteur et
le minerai que j’ai déterré, dans tous les lieux où j’y ai un droit en commun avec d’autres,
deviennent ma propriété, sans que soit nécessaire la cession ou le consentement de qui que ce
soit. Le travail, qui était le mien, d’arracher ces choses de l’état de possessions communes où
elles étaient, y a fixé ma propriété.
LOCKE, Second Traité du gouvernement civil
- 284 -
[285] SUJET N° 261 - 6PHESME1 - 2006 - Série ES - METROPOLE - SESSION NORMALE
On serait tenté d’expliquer toute l’organisation sociale par le besoin de manger et de se vêtir,
l’Economique dominant et expliquant alors tout le reste ; seulement il est probable que le besoin
d’organisation est antérieur au besoin de manger. On connaît des peuplades heureuses qui n’ont
point besoin de vêtements et cueillent leur nourriture en étendant la main ; or elles ont des rois,
des prêtres, des institutions, des lois, une police ; j’en conclus que l’homme est citoyen par
nature.
J’en conclus autre chose, c’est que l’Economique n’est pas le premier des besoins. Le sommeil
est bien plus tyrannique que la faim. On conçoit un état où l’homme se nourrirait sans peine ;
mais rien ne le dispensera de dormir, si fort et si audacieux qu’il soit, il sera sans perceptions, et
par conséquent sans défense, pendant le tiers de sa vie à peu près. Il est donc probable que ses
premières inquiétudes lui vinrent de ce besoin-là ; il organisa le sommeil et la veille : les uns
montèrent la garde pendant que les autres dormaient ; telle fut la première esquisse de la cité. La
cité fut militaire avant d’être économique. Je crois que la Société est fille de la peur, et non pas de
la faim. Bien mieux, je dirais que le premier effet de la faim a dû être de disperser les hommes
plutôt que de les rassembler, tous allant chercher leur nourriture justement dans les régions les
moins explorées. Seulement, tandis que le désir les dispersait, la peur les rassemblait. Le matin,
ils sentaient la faim et devenaient anarchistes. Mais le soir ils sentaient la fatigue et la peur, et ils
aimaient les lois.
ALAIN, Propos sur les pouvoirs
- 285 -
[286] SUJET N° 262 - 06PHSCME - 2006 - Série S - METROPOLE - SESSION NORMALE
En s’écartant, même sans le vouloir, de la vérité, on contribue beaucoup à diminuer la confiance
que peut inspirer la parole humaine, et cette confiance est le fondement principal de notre bienêtre social actuel ; disons même qu’il ne peut rien y avoir qui entrave davantage les progrès de la
civilisation, de la vertu, de toutes les choses dont le bonheur humain dépend pour la plus large
part, que l’insuffisante solidité d’une telle confiance. C’est pourquoi, nous le sentons bien, la
violation, en vue d’un avantage présent, d’une règle dont l’intérêt est tellement supérieur n’est
pas une solution ; c’est pourquoi celui qui, pour sa commodité personnelle ou celle d’autres
individus, accomplit, sans y être forcé, un acte capable d’influer sur la confiance réciproque que
les hommes peuvent accorder à leur parole, les privant ainsi du bien que représente
l’accroissement de cette confiance, et leur infligeant le mal que représente son affaiblissement, se
comporte comme l’un de leurs pires ennemis. Cependant c’est un fait reconnu par tous les
moralistes que cette règle même, aussi sacrée qu’elle soit, peut comporter des exceptions : ainsi et c’est la principale - dans le cas où, pour préserver quelqu’un (et surtout un autre que soi-même)
d’un grand malheur immérité, il faudrait dissimuler un fait (par exemple une information à un
malfaiteur ou de mauvaises nouvelles à une personne dangereusement malade) et qu’on ne pût le
faire qu’en niant le fait. Mais pour que l’exception ne soit pas élargie plus qu’il n’en est besoin et
affaiblisse le moins possible la confiance en matière de véracité, il faut savoir la reconnaître et, si
possible, en marquer les limites.
MILL, L’Utilitarisme
- 286 -
[287] SUJET N° 263 - 6PHAAME1 - 2006 - Série STI AA - METROPOLE - SESSION
NORMALE
Veux-tu vaincre aux Jeux Olympiques ? Moi aussi, par tous les dieux ! car c’est une belle chose.
Mais examine bien les tenants et les aboutissants et alors seulement mets-toi à l’œuvre. Il faut
t’astreindre à une discipline, à un régime, t’abstenir de friandises, te soumettre à des exercices, à
heure fixe, par la chaleur et par le froid, ne pas boire d’eau froide, ni de vin à ta fantaisie, bref,
t’abandonner à ton entraîneur comme à un médecin. Au moment des épreuves il faudra te frotter
de poussière (1) ; il peut aussi t’arriver d’avoir le bras démis, le pied tordu, d’avaler beaucoup de
poussière, parfois même de recevoir le fouet, et après tout cela, d’être vaincu.
Après avoir tout envisagé, si tu es encore décidé, travaille à devenir athlète. Sinon tu feras comme
les enfants qui changent constamment, jouent tantôt au lutteur, tantôt au gladiateur, puis sonnent
de la trompette, puis jouent la tragédie. Et toi aussi, tour à tour athlète, gladiateur, orateur,
philosophe, tu ne mets ton âme en rien. Comme un singe, tu imites tout ce que tu vois et chaque
chose successivement te plaît. C’est que tu t’es engagé sans réfléchir, tu n’as pas fait le tour de la
question, mais tu vas au hasard, sans ardeur dans ton choix.
EPICTETE
(1) après s’être frottés d’huile, les lutteurs se jetaient de la poussière pour faciliter les prises.
QUESTIONS :
1° Comment le texte est-il construit ? Dégagez sa thèse.
2°
a) En quoi l’exemple du premier paragraphe éclaire-t-il ce que c’est que vouloir ?
b) expliquez : « tu ne mets ton âme en rien » ;
c) expliquez : « C’est que tu t’es engagé sans réfléchir, (...) tu vas au hasard, sans ardeur dans ton
choix ».
3° S’engager, est-ce renoncer à sa liberté ?
- 287 -
[288] SUJET N° 264 - 6PHTEAG1 - 2006 - Série TECHN. - ANTILLES - SESSION
NORMALE
Les sens, quoique nécessaires pour toutes nos connaissances actuelles, ne sont point suffisants
pour nous les donner toutes, puisque les sens ne donnent jamais que des exemples, c’est-à-dire
des vérités particulières ou individuelles. Or tous les exemples qui confirment une vérité
générale, de quelque nombre qu’ils soient, ne suffisent pas pour établir la nécessité universelle de
cette même vérité, car il ne suit pas que ce qui est arrivé arrivera toujours de même. Par exemple,
les Grecs et Romains et tous les autres peuples de la terre connue des anciens ont toujours
remarqué qu’avant le décours (1) de 24 heures, le jour se change en nuit, et la nuit en jour. Mais
on se serait trompé, si l’on avait cru que la même règle s’observe partout ailleurs, puisque depuis
on a expérimenté le contraire dans le séjour de Nova Zembla (2). Et celui-là se tromperait encore,
qui croirait que, dans nos climats au moins, c’est une vérité nécessaire et éternelle qui durera
toujours, puisqu’on doit juger que la terre et le soleil même n’existent pas nécessairement, et qu’il
y aura peut-être un temps où ce bel astre ne sera plus, au moins dans sa présente forme, ni tout
son système. D’où il paraît que les vérités nécessaires, telles qu’on les trouve dans les
mathématiques pures et particulièrement dans l’arithmétique et dans la géométrie, doivent avoir
des principes dont la preuve ne dépende point des exemples, ni par conséquence du témoignage
des sens.
LEIBNIZ
(1) « le décours » (ici) : l’écoulement.
(2) Archipel situé au nord du cercle polaire arctique.
QUESTIONS :
1° Dégagez la thèse du texte et les étapes de l’argumentation
2° Expliquez :
a) « les sens ne donnent jamais que des exemples, c’est-à-dire des vérités particulières ou
individuelles » ;
b) « on se serait trompé, si l’on avait cru que la même règle s’observe partout ailleurs » ;
c) « les vérités nécessaires ».
3° L’expérience suffit-elle pour établir une vérité ?
- 288 -
[289] SUJET N° 265 - 6PHLAG1 - 2006 - Série L - ANTILLES - SESSION NORMALE
Dans la perception j’observe les objets. Il faut entendre par là que l’objet, quoiqu’il entre tout
entier dans ma perception, ne m’est jamais donné que d’un côté à la fois. On connaît l’exemple
du cube : je ne puis savoir que c’est un cube tant que je n’ai pas appréhendé ses six faces ; je puis
à la rigueur en voir trois à la fois, mais jamais plus. Il faut donc que je les appréhende
successivement. Et lorsque je passe, par exemple, de l’appréhension des faces ABC à celle des
faces BCD, il reste toujours une possibilité pour que la face A se soit anéantie durant mon
changement de position. L’existence du cube demeurera donc douteuse. En même temps, nous
devons remarquer que lorsque je vois trois faces du cube à la fois, ces trois faces ne se présentent
jamais à moi comme des carrés : leurs lignes s’aplatissent, leurs angles deviennent obtus, et je
dois reconstituer leur nature de carrés à partir des apparences de ma perception.
On doit apprendre les objets, c’est-à-dire multiplier sur eux les points de vue possibles. L’objet
lui-même est la synthèse de toutes ces apparitions. Lorsque, par contre, je pense au cube par un
concept, je pense ses six côtés et ses huit angles à la fois ; je pense que ses angles sont droits, ses
côtés carrés. Je suis au centre de mon idée, je la saisis tout entière d’un coup. Cela ne veut
naturellement pas dire que mon idée n’ait pas besoin de se compléter par un progrès infini. Mais
je puis penser les essences en un seul acte de conscience ; je n’ai pas à rétablir d’apparences, je
n’ai pas d’apprentissage à faire. Telle est sans doute la différence la plus nette entre la pensée et
la perception.
SARTRE, L’imaginaire
- 289 -
[290] SUJET N° 266 - 6PHSCAG1 - 2006 - Série S - ANTILLES - SESSION NORMALE
Parce que la constitution du corps humain est en mutation permanente, il est impossible que
toutes les mêmes choses doivent toujours causer en lui les mêmes appétits et aversions. Les
hommes peuvent encore moins accorder leur désir au sujet d’un même objet, quel qu’il soit.
Mais, quel que soit l’objet de l’appétit ou du désir que l’on éprouve, c’est cet objet qu’on appelle
bon ; et l’objet de notre haine et de notre aversion est ce qu’on appelle mauvais ; l’objet de notre
mépris, on le dit abject et méprisable. En effet, l’usage des mots bon, mauvais, méprisable est
toujours relatif à la personne qui les emploie ; il n’y a rien qui soit simplement et absolument tel,
pas plus qu’il n’existe des règles du bon et du mauvais extraites de la nature des objets euxmêmes ; ces règles proviennent de la personne (là où l’Etat n’existe pas) ou de celle qui la
représente (quand l’Etat existe), ou d’un arbitre, ou juge, que ceux qui sont en désaccord
établissent en faisant de sa sentence la norme du bon et du mauvais.
HOBBES, Léviathan
- 290 -
[291] SUJET N° 267 - 6PHTEIN1 - 2006 - Série TECHN. - INDE - SESSION NORMALE
Dans des milliers d’années, quand le recul du passé n’en laissera plus apercevoir que les grandes
lignes, nos guerres et nos révolutions compteront pour peu de chose, à supposer qu’on s’en
souvienne encore ; mais de la machine à vapeur, avec les inventions de tout genre qui lui font
cortège, on parlera peut-être comme nous parlons du bronze ou de la pierre taillée ; elle servira à
définir un âge. Si nous pouvions nous dépouiller de tout orgueil, si, pour définir notre espèce,
nous nous en tenions strictement à ce que l’histoire et la préhistoire nous présentent comme la
caractéristique constante de l’homme et de l’intelligence, nous ne dirions peut-être pas Homo
sapiens (1), mais Homo faber (2). En définitive, l’intelligence, envisagée dans ce qui en paraît
être la démarche originelle, est la faculté de fabriquer des objets artificiels, en particulier des
outils à faire des outils, et d’en varier indéfiniment la fabrication.
BERGSON, L’Evolution créatrice
(1) « Homo sapiens » : l’homme comme être capable de science.
(2) « Homo faber » : l’homme comme être capable de fabriquer des outils.
QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée principale du texte ; comment l’auteur la justifie-t-il ?
2°
a) Expliquez pourquoi les générations futures se souviendront probablement davantage des
inventions techniques que de « nos guerres et nos révolutions ». Pour répondre à cette question
vous préciserez ce qui distingue une invention technique et un événement politique.
b) Expliquez pourquoi l’auteur considère l’invention technique comme la « démarche originelle »
de l’intelligence humaine.
3° Expliquez pourquoi l’orgueil nous pousse à nous définir comme Homo sapiens plutôt que
comme Homo faber.
4° L’intelligence de l’homme se réduit-elle à sa dimension technique ?
- 291 -
[292] SUJET N° 268 - 6PHLHN1 - 2006 - Série L - INDE - SESSION NORMALE
La morale ne contient aucune affirmation, vraie ou fausse, mais se compose de désirs d’un certain
genre, à savoir de ceux qui ont trait aux désirs de l’humanité en général. (...) Si deux personnes
sont en désaccord sur une question de valeur, ce désaccord ne porte sur aucune espèce de vérité,
mais n’est qu’une différence de goûts. Si une personne dit : « J’aime les huîtres » et une autre :
« Moi, je ne les aime pas », nous reconnaissons qu’il n’y a pas matière à discussion. (...) Tous les
désaccords sur des questions de valeurs sont de cette sorte, bien que nous ne le pensions
naturellement pas quand il s’agit de questions qui nous paraissent plus importantes que les
huîtres. Le principal motif d’adopter ce point de vue est l’impossibilité complète de trouver des
arguments prouvant que telle ou telle chose a une valeur intrinsèque. Si nous étions tous
d’accord, nous pourrions dire que nous connaissons les valeurs par intuition. Nous ne pouvons
pas démontrer à un daltonien que l’herbe est verte et non rouge. Mais il existe divers moyens de
lui démontrer qu’il lui manque une faculté de discernement que la plupart des gens possèdent,
tandis que, dans le cas des valeurs, il n’existe aucun moyen de ce genre, et les désaccords sont
beaucoup plus fréquents que dans le cas des couleurs. Etant donné qu’on ne peut pas même
imaginer un moyen de régler un différend sur une question de valeur, nous sommes forcés de
conclure qu’il s’agit d’une affaire de goût, et non de vérité objective.
RUSSELL, Science et religion
- 292 -
[293] SUJET N° 269 - 6PHESIN1 - 2006 - Série ES - INDE - SESSION NORMALE
Il faut reconnaître que l’égalité, qui introduit de grands biens dans le monde, suggère cependant
aux hommes des instincts fort dangereux ; elle tend à les isoler les uns des autres, pour porter
chacun d’eux à ne s’occuper que de lui seul.
Elle ouvre démesurément leur âme à l’amour des jouissances matérielles.
Le plus grand avantage des religions est d’inspirer des instincts tout contraires. Il n’y a point de
religion qui ne place l’objet des désirs de l’homme au-delà et au-dessus des biens de la terre, et
qui n’élève naturellement son âme vers des régions fort supérieures à celles des sens. Il n’y en a
point non plus qui n’impose à chacun des devoirs quelconques envers l’espèce humaine, ou en
commun avec elle, et qui ne le tire ainsi, de temps à autre, de la contemplation de lui-même. Ceci
se rencontre dans les religions les plus fausses et les plus dangereuses.
Les peuples religieux sont donc naturellement forts précisément à l’endroit où les peuples
démocratiques sont faibles ; ce qui fait bien voir de quelle importance il est que les hommes
gardent leur religion en devenant égaux.
TOCQUEVILLE, De la Démocratie en Amérique
- 293 -
[294] SUJET N° 270 - 6PHESAG1 - 2006 - Série ES - ANTILLES - SESSION NORMALE
De ce qu’un animal a pu apprendre au cours de son existence individuelle, presque rien ne peut
lui survivre. Au contraire, les résultats de l’expérience humaine se conservent presque
intégralement et jusque dans le détail, grâce aux livres, aux monuments figurés, aux outils, aux
instruments de toute sorte qui se transmettent de génération en génération, à la tradition orale, etc.
Le sol de la nature se recouvre ainsi d’une riche alluvion qui va sans cesse en croissant. Au lieu
de se dissiper toutes les fois qu’une génération s’éteint ou est remplacée par une autre, la sagesse
humaine s’accumule sans terme, et c’et cette accumulation indéfinie qui élève l’homme au-dessus
de la bête et au-dessus de lui-même. Mais, tout comme la coopération dont il était d’abord
question, cette accumulation n’est possible que dans et par la société. Car pour que le legs de
chaque génération puisse être conservé et ajouté aux autres, il faut qu’il y ait une personnalité
morale qui dure par-dessus les générations qui passent, qui les relie les unes aux autres : c’est la
société. Ainsi, l’antagonisme qui l’on a trop souvent admis entre la société et l’individu ne
correspond à rien dans les faits. Bien loin que ces deux termes s’opposent et ne puissent se
développer qu’en sens inverse l’un de l’autre, ils s’impliquent. L’individu, en voulant la société,
se veut lui-même. L’action qu’elle exerce sur lui, par la voie de l’éducation notamment, n’a
nullement pour objet et pour effet de le comprimer, de le diminuer, de le dénaturer, mais, au
contraire, de le grandir, et d’en faire un être vraiment humain.
DURKHEIM, Education et sociologie
- 294 -
[295] SUJET N° 271 - 6PHMIME1 - 2006 - Série TMD - METROPOLE - SESSION
NORMALE
Par quel art inconcevable a-t-on pu trouver le moyen d’assujettir les hommes, pour les rendre
libres ? d’employer au service de l’Etat les biens, les bras, et la vie même de tous ses membres
sans les contraindre et sans les consulter ? d’enchaîner leur volonté de leur propre aveu ? de faire
valoir leur consentement contre leur refus, et de les forcer à se punir eux-mêmes, quand ils font
ce qu’ils n’ont pas voulu ? Comment se peut-il faire qu’ils obéissent et que personne ne
commande, qu’ils servent et n’aient point de maître ; d’autant plus libres en effet que sous une
apparente sujétion, nul ne perd de sa liberté que ce qui peut nuire à celle d’un autre ? Ces
prodiges sont l’ouvrage de la loi. C’est à la loi seule que les hommes doivent la justice et la
liberté. C’est cet organe salutaire de la volonté de tous, qui rétablit dans le droit l’égalité naturelle
entre les hommes. C’est cette voix céleste qui dicte à chaque citoyen les préceptes (1) de la raison
publique, et lui apprend à agir selon les maximes (2) de son propre jugement, et à n’être pas en
contradiction avec lui-même. C’est elle seule aussi que les chefs doivent faire parler quand ils
commandent.
ROUSSEAU
QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée générale du texte. Comment le texte est-il organisé ?
2° Expliquez :
a) « Par quel art inconcevable a-t-on pu trouver le moyen d’assujettir les hommes, pour les rendre
libres ? »
b) « les forcer à se punir eux-mêmes, quand ils font ce qu’ils n’ont pas voulu ? »
c) « Comment se peut-il faire qu’ils obéissent et que personne ne commande, qu’ils servent et
n’aient point de maître »
3° N’y a-t-il de liberté que par la loi ?
- 295 -
[296] SUJET N° 272 - 6PHAAAG1 - 2006 - Série STI AA - ANTILLES - SESSION
NORMALE
L’esprit possède une puissance d’autant plus grande de former des fictions qu’il comprend moins
et perçoit plus [de choses] ; et plus il comprend, plus cette puissance diminue. De même que, par
exemple, (...) nous ne pouvons pas tant que nous pensons, former la fiction que nous pensons et
ne pensons pas, de même nous ne pouvons pas, après avoir compris la nature du corps, former la
fiction d’une mouche infinie ; ou bien, après avoir compris la nature de l’âme, nous ne pouvons
pas former la fiction qu’elle est carrée, bien que nous puissions énoncer tout cela en paroles. Mais
(...) les hommes peuvent former des fictions d’autant plus facilement et en nombre d’autant plus
grand qu’ils connaissent moins la Nature ; comme, par exemple, que des arbres parlent, que des
hommes se changent brusquement en pierres ou en sources, que des spectres apparaissent dans
les miroirs, que le rien devienne quelque chose et même que des dieux se transforment en bêtes et
en hommes, ainsi qu’une infinité de choses de ce genre.
SPINOZA
QUESTIONS :
1° Dégagez la thèse du texte et montrez comment l’auteur l’établit.
2°
a) Expliquez : « plus il comprend, plus cette puissance diminue »
b) Analysez les exemples de fictions que donne Spinoza et montrez en quoi il s’agit de fictions.
3° N’imagine-t-on que parce que l’on ignore ?
- 296 -
[297] SUJET N° 273 - N/R - 2006 - Série L - LA REUNION - SESSION NORMALE
Quand je perçois, je ne pense pas le monde, il s’organise devant moi. Quand je perçois un cube,
ce n’est pas que ma raison redresse les apparences perspectives et pense à propos d’elles la
définition géométrique du cube. Loin que je les corrige, je ne remarque pas même les
déformations perspectives, à travers ce que je vois, je suis au cube lui-même dans son évidence.
Et de même les objets derrière mon dos ne me sont pas représentés par quelque opération de la
mémoire ou du jugement, ils me sont présents, ils comptent pour moi, comme le fond que je ne
vois pas n’en continue pas moins d’être présent sous la figure qui le masque en partie. Même la
perception du mouvement, qui d’abord paraît dépendre directement du point de repère que
l’intelligence choisit, n’est à son tour qu’un élément dans l’organisation globale du champ. Car
s’il est vrai que mon train et le train voisin peuvent tour à tour m’apparaître en mouvement au
moment où l’un d’eux démarre, il faut remarquer que l’illusion n’est pas arbitraire ou que je ne
puis la provoquer à volonté par le choix tout intellectuel et désintéressé d’un point de repère. Si je
joue aux cartes dans mon compartiment, c’est le train voisin qui démarre. Si, au contraire, je
cherche des yeux quelqu’un dans le train voisin, c’est alors le mien qui démarre. A chaque fois
nous apparaît fixe celui des deux où nous avons élu domicile et qui est notre milieu du moment.
Le mouvement et le repos se distribuent pour nous dans notre entourage, non pas selon les
hypothèses qu’il plaît à notre intelligence de construire, mais selon la manière dont nous nous
fixons dans le monde, et selon la situation que notre corps y assume. (...) La perception n’est pas
une sorte de science commençante, et un premier exercice de l’intelligence, il nous faut retrouver
un commerce avec le monde et une présence au monde plus vieux que l’intelligence.
MERLEAU-PONTY, Sens et non-sens
- 297 -
[298] SUJET N° 274 - 6PHSCLR1 - 2006 - Série S - LA REUNION - SESSION NORMALE
Les hommes doivent nécessairement établir des lois et vivre selon des lois, sinon rien ne permet
de les distinguer des bêtes les plus sauvages à tous égards. La raison en est la suivante : aucun
être humain ne possède, en vertu de sa nature, le don de connaître ce qui est le plus profitable aux
hommes en tant que citoyens ; et même s’il le connaissait, il ne serait pas toujours en mesure de
vouloir et de faire le meilleur. Tout d’abord, il est difficile de reconnaître que le véritable art
politique doit se soucier non de l’intérêt particulier, mais de l’intérêt général, car l’intérêt général
apporte aux cités une cohésion que l’intérêt particulier fait voler en éclats ; difficile aussi de
reconnaître que la consolidation de l’intérêt commun au détriment de l’intérêt particulier profite à
la fois à l’intérêt commun et à l’intérêt particulier, à l’un et à l’autre indissociablement. En
second lieu, supposons un homme suffisamment avancé dans cet art pour savoir qu’il en est ainsi
en vertu d’une nécessité naturelle ; supposons, en outre, que cet homme règne sur la cité sans
avoir à lui rendre de compte, en maître absolu ; même en ce cas, il ne pourrait jamais demeurer
inébranlable dans ses convictions, c’est-à-dire continuer, toute sa vie durant, à cultiver au premier
chef l’intérêt général et à subordonner l’intérêt particulier à l’intérêt général. Au contraire, la
nature mortelle le poussera toujours à désirer insatiablement et à agir égoïstement.
PLATON, Les Lois
- 298 -
[299] SUJET N° 275 - 6PHESLR1 - 2006 - Série ES - LA REUNION - SESSION NORMALE
S’il était aussi facile de commander aux esprits qu’aux langues, tout souverain règnerait sans
danger et aucun pouvoir politique n’aurait besoin de violence : en effet, chacun vivrait selon le
bon plaisir des gouvernants et jugerait selon leur seul décret de ce qui est vrai ou faux, bien ou
mal, juste ou injuste. Mais (...) il ne peut bien entendu se faire que l’esprit d’un homme soit
entièrement dépendant d’un autre ; en effet, personne ne peut, de gré ou de force, transférer à un
autre son droit naturel, c’est-à-dire sa faculté de raisonner librement et de juger de toutes choses.
On peut donc tenir pour violent ce gouvernement qui domine les esprits, et affirmer qu’une
majesté souveraine comment à l’égard de ses sujets une injustice, et usurpe leur droit, lorsqu’elle
veut prescrire à chacun ce qu’il faut admettre comme vrai ou rejeter comme faux, et aussi quelles
opinions doivent pousser chacun à la dévotion envers Dieu. Car ces croyances sont du droit de
chacun, un droit dont personne, le voulût-il, ne peut se dessaisir.
SPINOZA, Traité théologico-politique
- 299 -
[300] SUJET N° 276 - 6PHTERE1 - 2006 - Série TECHN. - LA REUNION - SESSION
NORMALE
On recommande aux rois, aux hommes d’Etat, aux peuples de s’instruire principalement par
l’expérience de l’histoire. Mais l’expérience et l’histoire nous enseignent que peuples et
gouvernements n’ont jamais rien appris de l’histoire, qu’ils n’ont jamais agi suivant les maximes
(1) qu’on aurait pu en tirer. Chaque époque, chaque peuple se trouve dans des conditions si
particulières, forme une situation si particulière, que c’est seulement en fonction de cette situation
unique qu’il doit se décider : les grands caractères sont précisément ceux qui, chaque fois, ont
trouvé la solution appropriée. Dans le tumulte des événements du monde, une maxime générale
est d’aussi peu de secours que le souvenir des situations analogues qui ont pu se produire dans le
passé, car un pâle souvenir est sans force dans la tempête qui souffle sur le présent ; il n’a aucun
pouvoir sur le monde libre et vivant de l’actualité. Ce qui façonne l’histoire est d’une tout autre
nature que les réflexions tirées de l’histoire. Nul cas ne ressemble exactement à un autre. Leur
ressemblance fortuite n’autorise pas à croire que ce qui a été bien dans un cas pourrait l’être
également dans un autre. Chaque peuple a sa propre situation, et pour savoir ce qui, à chaque fois,
est juste, nul besoin de commencer par s’adresser à l’histoire.
HEGEL
(1) « maxime » : principe pour l’action.
QUESTIONS :
1° Dégagez la thèse et les articulations du texte.
2° Expliquez :
a) « ils n’ont jamais agi suivant les maximes qu’on aurait pu en tirer » ;
b) « les grands caractères sont précisément ceux qui, chaque fois, ont trouvé la solution
appropriée » ;
c) « Nul cas ne ressemble exactement à un autre. »
3° Peut-on tirer des leçons de l’histoire ?
- 300 -
[301] SUJET N° 277 - 6PHLIPO1 - 2006 - Série L - POLYNESIE - SESSION NORMALE
La justice (l’équité) prend naissance entre hommes jouissant d’une puissance à peu près égale
(...) ; c’est quand il n’y a pas de supériorité nettement reconnaissable, et qu’un conflit ne mènerait
qu’à des pertes réciproques et sans résultat, que naît l’idée de s’entendre et de négocier sur les
prétentions de chaque partie : le caractère de troc est le caractère initial de la justice. Chacun
donne satisfaction à l’autre en recevant lui-même ce dont il fait plus grand cas que l’autre. On
donne à chacun ce qu’il veut avoir et qui sera désormais sien, et l’on reçoit en retour ce que l’on
désire. La justice est donc échange et balance une fois posée l’existence d’un rapport de forces à
peu près égales : c’est ainsi qu’à l’origine la vengeance ressortit à la sphère de la justice, elle est
un échange. (...) La justice se ramène naturellement au point de vue d’un instinct de conservation
bien entendu, c’est-à-dire à l’égoïsme de cette réflexion : « A quoi bon irais-je me nuire
inutilement et peut-être manquer néanmoins mon but ? » Voilà pour l’origine de la justice. Mais
du fait que les hommes, conformément à leurs habitudes intellectuelles, ont oublié le but premier
des actes dits de justice et d’équité, et notamment que l’on a pendant des siècles dressé les
enfants à admirer et imiter ces actes, il s’est peu à peu formé l’illusion qu’une action juste est une
action désintéressée ; et c’est sur cette illusion que repose la grande valeur accordée à ces actions.
NIETZSCHE, Humain, trop humain
- 301 -
[302] SUJET N° 278 - 6PHESPO1 - 2006 - Série ES - POLYNESIE - SESSION NORMALE
Si la vertu est recherchée, non pour sa valeur propre, mais pour ce qu’elle rapporte, cette vertu
méritera qu’on l’appelle malice. Plus en effet un homme rapporte toutes ses actions à l’intérêt,
moins il est homme de bien ; et par suite mesurer la vertu au prix qu’elle peut valoir, c’est croire
qu’il n’y a de vertu que la malice. Où est la bienfaisance, si l’on ne fait pas le bien pour l’amour
d’autrui ? Qu’est-ce qu’être reconnaissant, si l’on n’a pas en vue celui-là même à qui l’on
témoigne de la gratitude ? Que devient l’amitié sainte, si l’on n’aime pas son ami, comme on dit,
de tout son cœur ? Il faudra donc l’abandonner, le rejeter quand on n’aura plus rien à gagner avec
lui, plus d’avantages à tirer de lui. Quoi de plus monstrueux ? Mais si l’amitié doit être cultivée
pour elle-même, la société des hommes, l’égalité, la justice elles aussi doivent être recherchées
pour elles-mêmes. S’il n’en est pas ainsi, il n’y a plus de justice ; car cela même est injuste au
plus haut degré que de vouloir une récompense de la justice.
CICERON, Des Lois
- 302 -
[303] SUJET N° 279 - 6PHSCPO1 - 2006 - Série S - POLYNESIE - SESSION NORMALE
(...) L’engagement du corps de la nation n’est-il pas de pourvoir à la conservation du dernier de
ses membres avec autant de soin qu’à celle de tous les autres ? Et le salut d’un citoyen est-il
moins la cause commune que celui de tout l’Etat ? Qu’on nous dise qu’il est bon qu’un seul
périsse pour tous, j’admirerai cette sentence dans la bouche d’un digne et vertueux patriote qui se
consacre volontairement et par devoir à la mort pour le salut de son pays : mais si l’on entend
qu’il soit permis au gouvernement de sacrifier un innocent au salut de la multitude, je tiens cette
maxime pour une des plus exécrables que jamais la tyrannie ait inventées, la plus fausse qu’on
puisse avancer, la plus dangereuse que l’on puisse admettre, et la plus directement opposée aux
lois fondamentales de la société. Loin qu’un seul doive périr pour tous, tous ont engagé leurs
biens et leurs vies à la défense de chacun d’eux, afin que la faiblesse particulière fût toujours
protégée par la force publique, et chaque membre par tout l’Etat. Après avoir par supposition
retranché du peuple un individu après l’autre, pressez les partisans de cette maxime à mieux
expliquer ce qu’ils entendent par le corps de l’Etat, et vous verrez qu’ils le réduiront à la fin à un
petit nombre d’hommes qui ne sont pas le peuple, mais les officiers du peuple (1), et qui s’étant
obligés par un serment particulier à périr eux-mêmes pour son salut, prétendent prouver par là
que c’est à lui de périr pour le leur.
ROUSSEAU, Discours sur l’économie politique
(1) « les officiers du peuple » : ceux qui ont la charge de gouverner.
- 303 -
[304] SUJET N° 280 - 6PHTEPO1 - 2006 - Série TECHN. - POLYNESIE - SESSION
NORMALE
On remarque aisément qu’une affection cordiale met tout en communauté entre amis ; et que des
époux, en particulier, perdent l’un et l’autre leur propriété et ne connaissent plus le tien et le mien
qui sont si nécessaires et qui pourtant causent tant de trouble dans la société humaine. Le même
effet résulte d’un changement des circonstances où vivent les hommes ; quand par exemple il y a
une assez grande abondance d’un bien pour contenter tous les désirs des hommes ; dans ce cas
disparaît complètement toute distinction de propriété et tout demeure en commun. Nous pouvons
observer cette situation pour l’air et l’eau, qui sont pourtant les plus estimables des objets
extérieurs ; et nous pouvons aisément conclure que si les hommes étaient fournis, en même
abondance, de tous les biens ou si chacun avait pour autrui la même affection et la même
attention tendre que pour soi-même, la justice et l’injustice seraient également inconnues des
hommes.
Voici donc une proposition qu’on peut, à mon avis, regarder comme certaine : c’est uniquement
de l’égoïsme de l’homme et de sa générosité limitée, en liaison avec la parcimonie (1) avec
laquelle la nature a pourvu à la satisfaction de ses besoins, que la justice tire son origine.
HUME
(1) « parcimonie » : économie de moyens.
QUESTIONS :
1° Dégagez la thèse du texte et les étapes de son argumentation.
2° Expliquez :
a) « le tien et le mien qui sont si nécessaires et qui pourtant causent tant de trouble dans la société
humaine » ;
b) « la justice et l’injustice seraient également inconnues des hommes » ;
c) « la parcimonie avec laquelle la nature a pourvu à la satisfaction de ses besoins, que la justice
tire son origine. »
3° La justice ne vise-t-elle qu’à garantir l’intérêt de chacun ?
- 304 -
[305] SUJET N° 281 - N/R - 2006 - Série L - ETRANGER GROUPE 1 - SESSION NORMALE
Les lois qu’elle [la société] édicte, et qui maintiennent l’ordre social, ressemblent (...) par certains
côtés aux lois de la nature. Je veux bien que la différence soit radicale aux yeux du philosophe.
Autre chose, dit-il, est la loi qui constate, autre chose celle qui ordonne. A celle-ci l’on peut se
soustraire ; elle oblige, mais ne nécessite pas. Celle-là est au contraire inéluctable, car si quelque
fait s’écartait d’elle, c’est à tort qu’elle aurait été prise pour une loi ; il y en aurait une autre qui
serait la vraie, qu’on énoncerait de manière à exprimer tout ce qu’on observe, et à laquelle alors
le fait réfractaire se conformerait comme les autres. - Sans doute ; mais il s’en faut que la
distinction soit aussi nette pour la plupart des hommes. Loi physique, loi sociale ou morale, toute
loi est à leurs yeux un commandement. Il y a un certain ordre de la nature, lequel se traduit par
des lois : les faits « obéiraient » à ces lois pour se conformer à cet ordre. (...) Mais si la loi
physique tend à revêtir pour notre imagination la forme d’un commandement quand elle atteint
une certaine généralité, réciproquement un impératif qui s’adresse à tout le monde se présente un
peu à nous comme une loi de la nature. Les deux idées se rencontrent dans notre esprit, y font des
échanges. La loi prend au commandement ce qu’il a d’impérieux ; le commandement reçoit de la
loi ce qu’elle a d’inéluctable. Une infraction à l’ordre social revêt ainsi un caractère antinaturel :
même si elle est fréquemment répétée, elle nous fait l’effet d’une exception qui serait à la société
ce qu’un monstre est à la nature.
BERGSON, Les deux Sources de la morale et de la religion
- 305 -
[306] SUJET N° 282 - N/R - 2006 - Série L - ETRANGER GROUPE 1 - SESSION NORMALE
Avec le dialogue se manifeste l’importance politique de l’amitié, et de son humanité propre. Le
dialogue (à la différence des conversations intimes où les âmes individuelles parlent d’ellesmêmes), si imprégné qu’il puisse être du plaisir pris à la présence de l’ami, se soucie du monde
commun, qui reste « inhumain » en un sens très littéral, tant que des hommes n’en débattent pas
constamment. Car le monde n’est pas humain pour avoir été fait par des hommes, et il ne devient
pas humain parce que la voix humaine y résonne, mais seulement lorsqu’il est devenu objet de
dialogue. Quelque intensément que les choses du monde nous affectent, quelque profondément
qu’elles puissent nous émouvoir et nous stimuler, elles ne deviennent humaines pour nous qu’au
moment où nous pouvons en débattre avec nos semblables. Tout ce qui ne peut devenir objet de
dialogue peut bien être sublime, horrible ou mystérieux, voire trouver voix humaine à travers
laquelle résonner dans le monde, mais ce n’est pas vraiment humain. Nous humanisons ce qui se
passe dans le monde en nous en parlant, et dans ce parler, nous apprenons à être humains.
ARENDT, Vies politiques
- 306 -
[307] SUJET N° 283 - 06PHSCG1 - 2006 - Série S - ETRANGER GROUPE 1 - SESSION
NORMALE
Incontestablement, il est possible de vivre sans bonheur, c’est ce que font involontairement les
dix-neuf vingtièmes de l’humanité, même dans les parties du monde actuel qui sont le moins
plongées dans la barbarie : et c’est ce que sont souvent appelés à faire volontairement le héros ou
le martyr, pour l’amour d’un idéal qu’ils placent au-dessus de leur bonheur personnel.
Mais qu’est-ce que cet idéal, sinon le bonheur des autres ou quelques-unes des conditions du
bonheur ? C’est une noble chose que d’être capable de renoncer entièrement à sa part de bonheur
ou aux chances de l’atteindre ; mais, en fin de compte, il faut bien que ce sacrifice de soi-même
soit fait en vue d’une fin : il n’est pas sa fin à lui-même ; et si l’on nous dit que sa fin n’est pas le
bonheur, mais la vertu, qui vaut mieux que le bonheur, je demande alors ceci : le héros ou le
martyr accompliraient-il ce sacrifice s’ils ne croyaient pas qu’il dût épargner à d’autres des
sacrifices du même genre ? L’accompliraient-ils s’ils pensaient que leur renonciation au bonheur
pour eux-mêmes ne dût avoir d’autre résultat pour leurs semblables que de leur faire partager le
même sort et de les placer eux aussi dans la condition de gens qui ont renoncé au bonheur ?
Honneur à ceux qui sont capables de renoncer pour eux-mêmes aux jouissances personnelles que
donne la vie, quand ils contribuent précieusement par un tel renoncement à accroître la somme du
bonheur dans le monde !
MILL, L’Utilitarisme
- 307 -
[308] SUJET N° 284 - 5PHTENC1 - 2005 - Série TECHN. - NOUVELLE-CALEDONIE SESSION NORMALE
Les hommes qui, par profession, jugent et punissent, cherchent à fixer dans chaque cas particulier
si un criminel est responsable de son acte, s’il a pu se servir de sa raison, s’il a agi pour obéir à
des motifs et non pas inconsciemment ou par contrainte. Si on le punit, c’est d’avoir préféré les
mauvaises raisons aux bonnes raisons qu’il devait connaître. Lorsque cette connaissance fait
défaut, conformément aux idées dominantes, l’homme n’est pas libre et pas responsable : à moins
que son ignorance, par exemple son ignorance de la loi, ne soit la suite d’une négligence
intentionnelle de sa part ; c’est donc autrefois déjà, lorsqu’il ne voulait pas apprendre ce qu’il
devait, qu’il a préféré les mauvaises raisons aux bonnes et c’est maintenant qu’il pâtit (1) des
conséquences de son choix. Si, par contre, il ne s’est pas aperçu des meilleures raisons, par
hébétement ou idiotie (2), on n’a pas l’habitude de le punir. On dit alors qu’il ne possédait pas le
discernement nécessaire, qu’il a agi comme une bête.
NIETZSCHE
(1) « il pâtit des conséquences » : il subit les conséquences.
(2) « hébétement ou idiotie » : deux formes d’incapacité mentale.
QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée principale du texte et précisez les étapes de son raisonnement.
2° Expliquez :
a) « responsable de son acte » ;
b) « il a agi pour obéir à des motifs et non pas inconsciemment ou par contrainte » ;
c) « On dit alors qu’il ne possédait pas le discernement nécessaire ».
3° L’ignorance nous prive-t-elle de notre liberté ?
- 308 -
[309] SUJET N° 285 - 5PHLIIN1 - 2005 - Série L - INDE - SESSION NORMALE
Dans un Etat vraiment libre, les citoyens font tout avec leurs bras, et rien avec de l’argent ; loin
de payer pour s’exempter de leurs devoirs, ils paieraient pour les remplir eux-mêmes. Je suis bien
loin des idées communes ; je crois les corvées moins contraires à la liberté que les taxes.
Mieux l’Etat est constitué, plus les affaires publiques l’emportent sur les privées, dans l’esprit des
citoyens. Il y a même beaucoup moins d’affaires privées, parce que la somme du bonheur
commun fournissant une portion plus considérable à celui de chaque individu, il lui en reste
moins à chercher dans les soins (1) particuliers. Dans une cité bien conduite, chacun vole aux
assemblées ; sous un mauvais gouvernement, nul n’aime à faire un pas pour s’y rendre, parce que
nul ne prend intérêt à ce qui s’y fait, qu’on prévoit que la volonté générale n’y dominera pas, et
qu’enfin les soins (1) domestiques absorbent tout. Les bonnes lois en font faire de meilleures, les
mauvaises en amènent de pires. Sitôt que quelqu’un dit des affaires de l’Etat : Que m’importe ?
on doit compter que l’Etat est perdu.
ROUSSEAU, Du Contrat social
(1) « soins » : tâches.
- 309 -
[310] SUJET N° 286 - 5PHLIJA1 - 2005 - Série L - JAPON - SESSION NORMALE
Chez les nations où règne le dogme de la souveraineté du peuple, chaque individu forme une
portion égale du souverain et participe également au gouvernement de l’Etat. Chaque individu est
donc censé être aussi éclairé, aussi vertueux, aussi fort qu’aucun autre de ses semblables.
Pourquoi obéit-il donc à la société, et quelles sont les limites naturelles de cette obéissance ?
Il obéit à la société, non point parce qu’il est inférieur à ceux qui la dirigent, ou moins capable
qu’un autre homme de se gouverner lui-même ; il obéit à la société parce que l’union avec ses
semblables lui paraît utile et qu’il sait que cette union ne peut exister sans un pouvoir régulateur.
Dans tout ce qui concerne les devoirs des citoyens entre eux, il est donc devenu sujet. Dans tout
ce qui ne regarde que lui-même, il est resté maître : il est libre et ne doit compte de ses actions
qu’à Dieu. De là cette maxime que l’individu est le meilleur comme le seul juge de son intérêt
particulier et que la société n’a le droit de diriger ses actions que quand elle se sent lésée par son
fait ou lorsqu’elle a besoin de réclamer son concours.
TOCQUEVILLE, De la Démocratie en Amérique
- 310 -
[311] SUJET N° 287 - PHTEP03 - 2005 - Série TECHN. - POLYNESIE - SESSION REMPL.
Il n’y a donc point de liberté sans lois, ni où quelqu’un est au-dessus des lois : dans l’état même
de nature l’homme n’est libre qu’à la faveur de la loi naturelle qui commande à tous. Un peuple
libre obéit, mais il ne sert pas ; il a des chefs et non des maîtres ; il obéit aux lois, mais il n’obéit
qu’aux lois et c’est par la force des lois qu’il n’obéit pas aux hommes. Toutes les barrières qu’on
donne dans les Républiques au pouvoir des magistrats ne sont établies que pour garantir de leurs
atteintes l’enceinte sacrée des lois : ils en sont les Ministres (1) non les arbitres, ils doivent les
garder non les enfreindre. Un peuple est libre, quelque forme qu’ait son gouvernement, quand
dans celui qui le gouverne il ne voit point l’homme, mais l’organe de la loi. En un mot, la liberté
suit toujours le sort des lois, elle règne ou périt avec elles ; je ne sache rien de plus certain.
ROUSSEAU
(1) « ministres » : serviteurs.
QUESTIONS :
1° Dégagez la thèse et les étapes de son argumentation.
2° Expliquez :
a) « dans l’état même de nature l’homme n’est libre qu’à la faveur de la loi naturelle qui
commande à tous » ;
b) « il ne voit point l’homme, mais l’organe de la loi ».
3° Peut-on obéir tout en restant libre ?
- 311 -
[312] SUJET N° 288 - 5PHTEPO1 - 2005 - Série TECHN. - POLYNESIE - SESSION
NORMALE
Il est extrêmement rare que les souveraines puissances (1) donnent des ordres d’une extrême
absurdité, car, dans leur propre intérêt et afin de conserver leur pouvoir, il leur importe avant tout
de veiller au bien général et de fonder leur gouvernement sur des critères raisonnables. Comme le
dit Sénèque (2), nul n’a été en mesure de poursuivre bien longtemps un règne par trop violent.
Dans un régime démocratique, tout particulièrement, les décisions absurdes ne sont pas fort à
redouter : il est presque impossible que la majorité des hommes, au sein d’un groupe un peu
considérable, se mette d’accord sur une absurdité. En second lieu, on sait que le but et le principe
de l’organisation en société consistent à soustraire les hommes au règne absurde de la convoitise,
et les faire avancer - autant que possible - sur la voie de la raison, de sorte que leur vie s’écoule
dans la concorde et la paix. Aussitôt donc que ce principe cesserait d’être mis en œuvre, tout
l’édifice s’écroulerait.
SPINOZA
(1) « souveraines puissances » : les autorités politiques.
(2) Sénèque : philosophe de l’Antiquité.
QUESTIONS :
1° Dégagez la thèse de l’auteur et les étapes de l’argumentation.
2° Expliquez :
a) « dans leur propre intérêt et afin de conserver leur pouvoir, il leur importe avant tout de veiller
au bien général ».
b) « Dans un régime démocratique, tout particulièrement, les décisions absurdes ne sont pas fort à
redouter » ;
c) « règne absurde de la convoitise ».
3° Le but de l’organisation en société est-il de faire avancer les hommes sur la voie de la raison ?
- 312 -
[313] SUJET N° 289 - 3PHLIPO1 - 2005 - Série L - POLYNESIE - SESSION NORMALE
Mais comment le passé, qui, par hypothèse, a cessé d’être, pourrait-il par lui-même se conserver ?
N’y a-t-il pas là une contradiction véritable ? - Nous répondons que la question est précisément
de savoir si le passé a cessé d’exister, ou s’il a simplement cessé d’être utile. Vous définissez
arbitrairement le présent ce qui est, alors que le présent est simplement ce qui se fait. Rien n’est
moins que le moment présent, si vous entendez par là cette limite indivisible qui sépare le passé
de l’avenir. Lorsque nous pensons ce présent comme devant être, il n’est pas encore ; et quand
nous le pensons comme existant, il est déjà passé. Que si, au contraire, vous considérez le présent
concret et réellement vécu par la conscience, on peut dire que ce présent consiste en grande partie
dans le passé immédiat. Dans la fraction de seconde que dure la plus courte perception possible
de lumière, des trillions de vibrations ont pris place, dont la première est séparée de la dernière
par un intervalle énormément divisé. Votre perception, si instantanée soit-elle, consiste donc en
une incalculable multitude d’éléments remémorés, et, à vrai dire, toute perception est déjà
mémoire. Nous ne percevons, pratiquement, que le passé, le présent pur étant l’insaisissable
progrès du passé rongeant l’avenir.
BERGSON, Matière et mémoire
- 313 -
[314] SUJET N° 290 - 5PHLIPO2 - 2005 - Série L - POLYNESIE - SESSION NORMALE
L’abolition de la religion en tant que bonheur illusoire, du peuple, c’est l’exigence de son
bonheur réel. Exiger de renoncer aux illusions relatives à son état, c’est exiger de renoncer à une
situation qui a besoin de l’illusion. La critique de la religion est donc en germe la critique de la
vallée de larmes dont l’auréole est la religion.
La critique a arraché les fleurs imaginaires de la chaîne, non pour que l’homme porte sa chaîne
sans consolation et sans fantaisie, mais pour qu’il rejette la chaîne et cueille la fleur vivante. La
critique de la religion désillusionne l’homme afin qu’il réfléchisse, qu’il agisse, qu’il élabore sa
réalité, comme le fait un homme désillusionné, devenu raisonnable, afin qu’il gravite autour de
son véritable soleil, La religion n’est que le soleil illusoire qui se meut autour de l’homme tant
que ce dernier ne se meut pas autour de soi-même.
C’est donc la tâche de l’histoire d’établir la vérité de l’ici-bas, après qu’a disparu l’au-delà de la
vérité. C’est en premier lieu la tâche de la philosophie, qui est au service de l’histoire, de
démasquer l’aliénation dans ses formes non sacrées, une fois démasquée la forme sacrée de
l’aliénation humaine. La critique du ciel se transforme ainsi en critique de la terre.
MARX, Introduction à la critique de la philosophie du Droit de Hegel
- 314 -
[315] SUJET N° 291 - 5PHLIPO3 - 2005 - Série L - POLYNESIE - SESSION REMPL.
En ce qui concerne tout d’abord le pouvoir général de création artistique, on doit, une fois ce
pouvoir admis, voir dans l’imagination la faculté artistique la plus importante. On doit cependant
se garder de confondre l’imagination créatrice avec imagination purement passive. Nous
donnerons à l’imagination créatrice le nom de fantaisie. (...)
La fantaisie ne s’en tient pas à la simple appréhension de la réalité extérieure et intérieure, car
l’œuvre d’art n’est pas seulement une révélation de l’esprit s’incarnant dans des formes
extérieures, mais ce qu’elle doit exprimer avant tout, c’est la vérité et la rationalité du réel
représenté. Cette rationalité du sujet choisi par l’artiste ne doit pas seulement être présente dans
sa conscience et le stimuler, mais il doit, à force de réflexion, en avoir entrevu le fond de vérité et
le caractère essentiel. Car sans la réflexion, l’homme ne peut avoir conscience de ce qui se passe
en lui, et ce qui nous frappe justement dans une grande œuvre d’art, c’est le fait, facile à
constater, que son sujet a été longuement médité et n’a été réalisé qu’après avoir été retourné sur
toutes ses faces et examiné mentalement sous tous ses aspects. Une fantaisie légère ne produit
jamais une œuvre durable.
HEGEL, Esthétique
- 315 -
[316] SUJET N° 292 - 5PHMIME3 - 2005 - Série TMD - METROPOLE - SESSION REMPL.
Etre bienfaisant, lorsqu’on le peut, est un devoir, et, de plus, il y a certaines âmes si naturellement
portées à la sympathie que, sans aucun motif de vanité ou d’intérêt, elles trouvent une satisfaction
intérieure à répandre la joie autour d’elles, et jouissent du bonheur d’autrui, en tant qu’il est leur
ouvrage. Mais je soutiens que dans ce cas l’action, si conforme au devoir, si aimable qu’elle soit,
n’a pourtant aucune vraie valeur morale, et qu’elle va de pair avec les autres inclinations, par
exemple avec l’ambition, qui, lorsque, par bonheur, elle est conforme à l’intérêt public et au
devoir, par conséquent à ce qui est honorable, mérite des éloges et des encouragements, mais non
pas notre respect ; car la maxime (1) manque alors du caractère moral, qui veut qu’on agisse par
devoir et non par inclination.
KANT
(1) « maxime » : ici, une règle de conduite.
QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée directrice et le mouvement du texte.
2° Expliquez :
a) « une action de ce genre, si conforme au devoir, si digne d’affection soit-elle, n’a pourtant
aucune véritable valeur morale » ;
b) « non par inclination, mais par devoir. »
3° Suffit-il d’avoir de bons sentiments pour être moral ?
- 316 -
[317] SUJET N° 293 - 5PHMIME1 - 2005 - Série TMD - METROPOLE - SESSION
NORMALE
Ce qu’il faut dire, c’est que toute sensation se modifie en se répétant, et que si elle ne me paraît
pas changer du jour au lendemain, c’est parce que je l’aperçois maintenant à travers l’objet qui en
est cause, à travers le mot qui la traduit. Cette influence du langage sur la sensation est plus
profonde qu’on ne le pense généralement. Non seulement le langage nous fait croire à
l’invariabilité de nos sensations, mais il nous trompera parfois sur le caractère de la sensation
éprouvée. Ainsi, quand je mange d’un mets réputé exquis, le nom qu’il porte, gros de
l’approbation qu’on lui donne, s’interpose entre ma sensation et ma conscience ; je pourrai croire
que la saveur me plaît, alors qu’un léger effort d’attention me prouverait le contraire. Bref, le mot
aux contours bien arrêtés, le mot brutal, qui emmagasine ce qu’il y a de stable, de commun et par
conséquent d’impersonnel dans les impressions de l’humanité, écrase ou tout au moins recouvre
les impressions délicates et fugitives de notre conscience individuelle. Pour lutter à armes égales,
celles-ci devraient s’exprimer par des mots précis ; mais ces mots, à peine formés, se
retourneraient contre la sensation qui leur donna naissance, et inventés pour témoigner que la
sensation est Instable, ils lui imposeraient leur propre stabilité.
BERGSON
QUESTIONS :
1° Quelle est l’idée principale du texte et quelles sont les étapes de son développement ?
2° Expliquez :
a) « Le langage nous fait croire à l’invariabilité de nos sensations » ;
b) « Le nom qu’il porte, gros de l’approbation qu’on lui donne, s’interpose entre ma sensation et
ma conscience » ;
c) « Inventés pour témoigner que la sensation est instable, ils lui imposeraient leur propre
stabilité ».
3° Les mots nous éloignent-ils de la réalité ?
- 317 -
[318] SUJET N° 294 - 5PHESIN1 - 2005 - Série ES - INDE - SESSION NORMALE
Quant à savoir s’il existe le moindre principe moral qui fasse l’accord de tous, j’en appelle à toute
personne un tant soit peu versée dans l’histoire de l’humanité, qui ait jeté un regard plus loin que
le bout de son nez. Où trouve-t-on cette vérité pratique (1) universellement acceptée sans doute ni
problème aucuns, comme devrait l’être une vérité innée ? La justice et le respect des contrats
semblent faire l’accord du plus grand nombre ; c’est un principe qui, pense-t-on, pénètre jusque
dans les repaires de brigands, et dans les bandes des plus grands malfaiteurs ; et ceux qui sont
allés le plus loin dans l’abandon de leur humanité respectent la fidélité et la justice entre eux. Je
reconnais que les hors-la-loi eux-mêmes les respectent entre eux ; mais ces règles ne sont pas
respectées comme des Lois de Nature innées : elles sont appliquées comme des règles utiles dans
leur communauté ; et on ne peut concevoir que celui qui agit correctement avec ses complices
mais pille et assassine en même temps le premier honnête homme venu, embrasse la justice
comme un principe pratique (1). La Justice et la Vérité sont les liens élémentaires de toute
société : même les hors-la-loi et les voleurs, qui ont par ailleurs rompu avec le monde, doivent
donc garder entre eux la fidélité et les règles de l’équité, sans quoi ils ne pourraient rester
ensemble, mais qui soutiendrait que ceux qui vivent de fraude et de rapine ont des principes innés
de vérité et de justice, qu’ils acceptent et reconnaissent ?
LOCKE, Essai sur l’entendement humain
(1) « pratique » : qui relève de la morale.
- 318 -
[319] SUJET N° 295 - 5PHSCLI1 - 2005 - Série S - LIBAN - SESSION NORMALE
Tous les métiers plaisent autant que l’on y gouverne, et déplaisent autant que l’on y obéit. Le
pilote du tramway a moins de bonheur que le chauffeur de l’omnibus automobile. La chasse libre
et solitaire donne des plaisirs vifs, parce que le chasseur fait son plan, le suit ou bien le change,
sans avoir à rendre des comptes ni à donner ses raisons. Le plaisir de tuer devant des rabatteurs
est bien maigre à côté ; mais encore est-il qu’un habile tireur jouit de ce pouvoir qu’il exerce
contre l’émotion, et la surprise. Ainsi ceux qui disent que l’homme cherche le plaisir et fuit la
peine décrivent mal. L’homme s’ennuie du plaisir reçu et préfère de bien loin le plaisir conquis ;
mais par-dessus tout il aime agir et conquérir ; il n’aime point pâtir ni subir ; aussi choisit-il la
peine avec l’action plutôt que le plaisir sans action.
ALAIN, Propos sur le bonheur
- 319 -
[320] SUJET N° 296 - PHSCAS1 - 2005 - Série S - AMERIQUE DU SUD - SESSION
NORMALE
S’il était interdit de remettre en question la philosophie (1) newtonienne, l’humanité ne pourrait
aujourd’hui la tenir pour vraie en toute certitude. Les croyances pour lesquelles nous avons le
plus de garantie n’ont pas d’autre sauvegarde qu’une invitation constante au monde entier de
prouver qu’elles ne sont pas fondées. Si le défi n’est pas relevé - ou s’il est relevé et que la
tentative échoue - nous demeurerons assez éloignés de la certitude, mais nous aurons fait de notre
mieux dans l’état actuel de la raison humaine : nous n’aurons rien négligé pour donner à la vérité
une chance de nous atteindre. Les lices (2) restant ouvertes, nous pouvons espérer que s’il existe
une meilleure vérité, elle sera découverte lorsque l’esprit humain sera capable de la recevoir.
Entre temps, nous pouvons être sûrs que notre époque a approché la vérité d’aussi près que
possible. Voilà toute la certitude à laquelle peut prétendre un être faillible, et la seule manière d’y
parvenir.
MILL, De la Liberté
(1) « la philosophie » : ici, au sens de théorie.
(2) « lices » : lieux d’affrontements ; par extension : combat d’idées.
- 320 -
[321] SUJET N° 297 - PHESAS1 - 2005 - Série ES - AMERIQUE DU SUD - SESSION
NORMALE
Ce qui est fâcheux, c’est que, quels que soient le caractère et le contenu de l’histoire à venir,
qu’elle soit jouée dans la vie publique ou dans le privé, qu’elle comporte un petit nombre ou un
grand nombre d’acteurs, le sens ne s’en révélera pleinement que lorsqu’elle s’achèvera. Par
opposition à la fabrication dans laquelle le point de vue permettant de juger le produit fini vient
de l’image, du modèle perçu d’avance par l’artisan, le point de vue qui éclaire les processus de
l’action, et par conséquent tous les processus historiques, n’apparaît qu’à la fin, bien souvent
lorsque tous les participants sont morts. L’action ne se révèle pleinement qu’au narrateur, à
l’historien qui regarde en arrière et sans aucun doute connaît le fond du problème bien mieux que
les participants. Tous les récits écrits par les acteurs eux-mêmes, bien qu’en de rares cas ils
puissent exposer de façon très digne de foi des intentions, des buts, des motifs, ne sont aux mains
de l’historien que d’utiles documents et n’atteignent jamais à la signification ni à la véracité du
récit de l’historien. Ce que dit le narrateur est nécessairement caché à l’acteur, du moins tant qu’il
est engagé dans l’action et dans les conséquences, car pour lui le sens de son acte ne réside pas
dans l’histoire qui suit. Même si les histoires sont les résultats inévitables de l’action, ce n’est pas
l’acteur, c’est le narrateur qui voit et qui « fait » l’histoire.
ARENDT, Condition de l’homme moderne
- 321 -
[322] SUJET N° 298 - PHLIANN2 - 2005 - Série L - LIBAN - SESSION NORMALE
La plupart de ceux qui ont écrit à propos des républiques supposent ou demandent, comme une
chose qui ne leur doit pas être refusée, que l’homme soit un animal politique (...) né avec une
certaine disposition naturelle à la société. Sur ce fondement-là ils bâtissent la doctrine civile, de
sorte que pour la conservation de la paix, et pour la conduite de tout le genre humain, il ne faut
plus rien sinon que les hommes s’accordent et conviennent de l’observation de certains pactes et
conditions, auxquelles alors ils donnent le titre de lois. Cet axiome, quoique reçu si
communément, n’en est pas moins faux et l’erreur vient d’une trop légère considération de la
nature humaine.
Car ceux qui regardent plus étroitement les causes pour lesquelles les hommes viennent à
s’assembler, et prennent plaisir à la compagnie les uns des autres, trouveront facilement que cela
arrive par accident et non parce qu’il ne pourrait pas en être autrement par nature. Car si l’homme
devait en aimer un autre par nature, c’est-à-dire en tant qu’homme, il n’y aurait aucune raison
pour laquelle chaque homme n’aimerait pas également le premier venu, comme étant autant
homme qu’un autre ; on ne saurait pas non plus pourquoi il préférerait fréquenter ceux dont la
société lui apporte honneur et profit. Par conséquent, nous ne recherchons pas naturellement la
société pour elle-même, mais afin de pouvoir en recevoir quelque honneur ou profit. Nous
désirons en priorité ces deux choses, et la société nous ne la désirons qu’en second lieu.
HOBBES, Du Citoyen
- 322 -
[323] SUJET N° 299 - PHL1ANN1 - 2005 - Série L - AMERIQUE DU NORD - SESSION
NORMALE
Apercevoir, c’est sentir ; comparer, c’est juger ; juger et sentir ne sont pas la même chose. Par la
sensation, les objets s’offrent à moi séparés, isolés, tels qu’ils sont dans la nature ; par la
comparaison, je les remue, je les transporte pour ainsi dire, je les pose l’un sur l’autre pour
prononcer sur leur différence ou sur leur similitude, et généralement sur tous leurs rapports. Selon
moi la faculté distinctive de l’être actif ou intelligent est de pouvoir donner un sens à ce mot est.
Je cherche en vain dans l’être purement sensitif cette force intelligente qui superpose et puis qui
prononce ; je ne la saurais voir dans sa nature. Cet être passif sentira chaque objet séparément, ou
même il sentira l’objet total formé des deux ; mais, n’ayant aucune force pour les replier l’un sur
l’autre, il ne les comparera jamais, il ne les jugera point.
Voir deux objets à la fois, ce n’est pas voir leurs rapports ni juger de leurs différences ;
apercevoir plusieurs objets les uns hors des autres n’est pas les nombrer. Je puis avoir au même
instant l’idée d’un grand bâton et d’un petit bâton sans les comparer, sans juger que l’un est plus
petit que l’autre, comme je puis voir à la fois ma main entière, sans faire le compte de mes doigts.
Ces idées comparatives, plus grand, plus petit, de même que les idées numériques d’un, de deux,
etc., ne sont certainement pas des sensations, quoique mon esprit ne les produise qu’à l’occasion
de mes sensations. (...)
Quand les deux sensations à comparer sont aperçues, leur impression est faite, chaque objet est
senti, les deux sont sentis, mais leur rapport n’est pas senti pour cela. Si le jugement de ce rapport
n’était qu’une sensation, et me venait uniquement de l’objet, mes jugements ne me tromperaient
jamais, puisqu’il n’est jamais faux que je sente ce que je sens.
ROUSSEAU, Emile ou de l’éducation
- 323 -
[324] SUJET N° 300 - 5PHESGR11 - 2005 - Série ES - ETRANGER GROUPE 1 - SESSION
NORMALE
Ces objets que savoure le vulgaire comportent un plaisir mince et diffus, et toute joie importée
manque de fondement ; celle dont je parle, vers laquelle je m’efforce de te conduire, est solide et
apte à s’épanouir davantage à l’intérieur.
Fais, je t’en prie, très cher Lucilius, ce qui seul peut garantir le bonheur : dispense et foule aux
pieds ces objets qui resplendissent à l’extérieur, qui te sont promis par un autre ou plutôt à tirer
d’un autre ; regarde vers le vrai bien et réjouis-toi de ce qui est à toi. Or, que signifie ce « de ce
qui est à toi » ? Toi en personne, et la meilleure partie de toi. Ton pauvre corps également, même
si rien ne peut se faire sans lui, crois qu’il est une chose plus nécessaire que grande ; il fournit des
plaisirs vains, courts, suivis de remords et, s’ils ne sont dosés avec une grande modération, voués
à passer à l’état contraire. Oui, je le dis : le plaisir se tient au bord du précipice, il penche vers la
douleur s’il ne respecte pas la mesure ; or, respecter la mesure est difficile dans ce que tu as cru
être un bien ; l’avide désir du vrai bien est sans risque.
SENEQUE, Lettre à Lucilius
- 324 -
[325] SUJET N° 301 - 5PHLIME1 - 2005 - Série L - METROPOLE - SESSION NORMALE
Si le cours naturel des choses était parfaitement bon et satisfaisant, toute action serait une
ingérence inutile qui, ne pouvant améliorer les choses, ne pourrait que les rendre pires. Ou, si tant
est qu’une action puisse être justifiée, ce serait uniquement quand elle obéit directement aux
instincts, puisqu’on pourrait éventuellement considérer qu’ils font partie de l’ordre spontané de la
nature ; mais tout ce qu’on ferait de façon préméditée et intentionnelle serait une violation de cet
ordre parfait. Si l’artificiel ne vaut pas mieux que le naturel, à quoi servent les arts de la vie ?
Bêcher, labourer, bâtir, porter des vêtements sont des infractions directes au commandement de
suivre la nature.
Tout le monde déclare approuver et admirer nombre de grandes victoires de l’art sur la nature :
joindre par des ponts des rives que la nature avait séparées, assécher des marais naturels, creuser
des puits, amener à la lumière du jour ce que la nature avait enfoui à des profondeurs immenses
dans la terre, détourner sa foudre par des paratonnerres, ses inondations par des digues, son océan
par des jetées. Mais louer ces exploits et d’autres similaires, c’est admettre qu’il faut soumettre
les voies de la nature et non pas leur obéir ; c’est reconnaître que les puissances de la nature sont
souvent en position d’ennemi face à l’homme, qui doit user de force et d’ingéniosité afin de lui
arracher pour son propre usage le peu dont il est capable, et c’est avouer que l’homme mérite
d’être applaudi quand ce peu qu’il obtient dépasse ce qu’on pouvait espérer de sa faiblesse
physique comparée à ces forces gigantesques. Tout l’éloge de la civilisation, de l’art ou de
l’invention revient à critiquer la nature, à admettre qu’elle comporte des imperfections, et que la
tâche et le mérite de l’homme sont de chercher en permanence à les corriger ou les atténuer.
MILL, La ature
- 325 -
[326] SUJET N° 302 - 5PHESME1 - 2005 - Série ES - METROPOLE - SESSION NORMALE
L’éthique peut proposer des lois de moralité qui sont indulgentes et qui s’ordonnent aux
faiblesses de la nature humaine, et ainsi elle s’accommode à cette nature en ne demandant rien de
plus à l’homme que ce qu’il est en mesure d’accomplir. Mais l’éthique peut aussi être rigoureuse
et réclamer la plus haute perfection morale. En fait, la loi morale doit elle-même être rigoureuse.
Une telle loi, que l’homme soit en mesure ou non de l’accomplir, ne doit pas être indulgente et
s’accommoder aux faiblesses humaines, car elle contient la norme de la perfection morale,
laquelle doit être stricte et exacte. La géométrie donne par exemple des règles strictes, sans se
demander si l’homme peut ou non les appliquer et les observer : le point qu’on dessine au centre
d’un cercle a beau ne jamais être assez petit pour correspondre au point mathématique, la
définition de ce dernier n’en conserve pas moins toute sa rigueur. De même, l’éthique présente
des règles qui doivent être les règles de conduite de nos actions ; ces règles ne sont pas ordonnées
au pouvoir de l’homme, mais indiquent ce qui est moralement nécessaire. L’éthique indulgente
est la corruption de la mesure de perfection morale de l’humanité. La loi morale doit être pure.
KANT, Leçons d’éthique
- 326 -
[327] SUJET N° 303 - 5PHSCME1 - 2005 - Série S - METROPOLE - SESSION NORMALE
Il est assez difficile de comprendre, comment il se peut faire que des gens qui ont de l’esprit,
aiment mieux se servir de l’esprit des autres dans la recherche de la vérité, que de celui que Dieu
leur a donné. Il y a sans doute infiniment plus de plaisir et plus d’honneur à se conduire par ses
propres yeux, que par ceux des autres ; et un homme qui a de bons yeux ne s’avisa jamais de se
les fermer, ou de se les arracher, dans l’espérance d’avoir un conducteur. Sapientis oculi in capite
ejus, stultus in tenebris ambulat (1). Pourquoi le fou marche-t-il dans les ténèbres ? C’est qu’il ne
voit que par les yeux d’autrui et que ne voir que de cette manière, à proprement parler, c’est ne
rien voir. L’usage de l’esprit est à l’usage des yeux, ce que l’esprit est aux yeux ; et de même que
l’esprit est infiniment au-dessus des yeux, l’usage de l’esprit est accompagné de satisfactions bien
plus solides, et qui le contentent bien autrement, que la lumière et les couleurs ne contentent la
vue. Les hommes toutefois se servent toujours de leurs yeux pour se conduire, et ils ne se servent
presque jamais de leur esprit pour découvrir la vérité.
MALEBRANCHE, De la Recherche de la vérité
(1) « Les yeux du sage sont dans sa tête ; l’insensé marche dans les ténèbres » (Ecclésiaste, II,
14).
- 327 -
[328] SUJET N° 304 - 5PHTEIN1 - 2005 - Série TECHN. - INDE - SESSION NORMALE
Prenons un acte volontaire, par exemple un mensonge nuisible par lequel un homme a introduit
un certain désordre dans la société et dont on cherche d’abord les causes qui lui ont donné
naissance pour juger ensuite comment il peut lui être attribué avec toutes ses conséquences.
Sous le premier point de vue, on pénètre le caractère psychologique de cet homme jusque dans
ses sources que l’on recherche dans la mauvaise éducation, dans les mauvaises fréquentations, en
partie aussi dans la méchanceté d’un naturel insensible à la honte, qu’on attribue en partie à la
légèreté et à l’irréflexion, sans négliger les circonstances tout à fait occasionnelles qui ont pu
influer. Dans tout cela, on procède comme on le fait, en général, dans la recherche de la série des
causes déterminantes d’un effet naturel donné.
Or, bien que l’on croie que l’action soit déterminée par là, on n’en blâme pas moins l’auteur (...).
Ce blâme se fonde sur une loi de la raison où l’on regarde celle-ci comme une cause qui aurait pu
et aurait dû déterminer autrement la conduite de l’homme, indépendamment de toutes les
conditions nommées (...). La raison était pleinement libre, et cet acte doit être attribué
entièrement au fait que cet homme l’a négligée.
KANT
QUESTIONS :
1° Quelle est l’idée principale du texte ? Vous dégagerez les deux points de vue qu’il fait
apparaître.
2°
a) Qu’est-ce que la recherche des causes déterminantes nous apprend sur le comportement d’un
homme ? Pour répondre à cette question vous expliquerez la phrase : « on procède, comme on le
fait, en général, dans la recherche de la série des causes déterminantes d’un effet naturel donné » ;
b) qu’est-ce qui donne le droit de blâmer ? Pour répondre à cette question vous expliquerez
l’expression « une loi de la raison » ;
c) peut-on soutenir en même temps les deux points de vue présentés dans le texte ? Pourquoi ne
peut-on renoncer ni à l’un, ni à l’autre ?
3° En quel sens pouvons-nous être responsables d’une action ?
- 328 -
[329] SUJET N° 305 - N/R - 2005 - Série TECHN. - METROPOLE - SESSION NORMALE
Imiter est naturel aux hommes et se manifeste dès leur enfance (l’homme diffère des autres
animaux en ce qu’il est très apte à l’imitation et c’est au moyen de celle-ci qu’il acquiert ses
premières connaissances). Et tous les hommes prennent plaisir aux imitations.
Un indice est ce qui se passe dans la réalité : des êtres dont l’original fait peine à la vue, nous
aimons à en contempler l’image exécutée avec la plus grande exactitude ; par exemple les formes
des animaux les plus vils et des cadavres.
Une raison en est encore qu’apprendre est très agréable non seulement aux philosophes mais
pareillement aussi aux autres hommes ; seulement ceux-ci n’y ont qu’une faible part. On se plaît
à la vue des images parce qu’on apprend en les regardant et on déduit ce que représente chaque
chose, par exemple que cette figure c’est un tel. Si on n’a pas vu auparavant l’objet représenté, ce
n’est plus comme imitation que l’œuvre pourra plaire, mais à raison de l’exécution, de la couleur
ou d’une autre cause de ce genre.
ARISTOTE
QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée principale du texte et son argumentation.
2°
a) En vous appuyant sur le texte vous expliquerez pourquoi « tous les hommes prennent plaisir
aux imitations ».
b) Qu’est-ce qui nous plaît dans une belle représentation ?
3° En quoi les images nous apprennent-elles à regarder et à connaître ?
- 329 -
[330] SUJET N° 306 - 5PHSCG11 - 2005 - Série S - ETRANGER GROUPE 1 - SESSION
NORMALE
Il existe un aspect de la vie religieuse, le plus précieux peut-être, qui est indépendant des
découvertes de la science, et qui pourra survivre quelles que soient nos convictions futures au
sujet de la nature de l’univers. La religion a été liée dans le passé, non seulement aux credos (1)
et aux Eglises, mais à la vie personnelle de ceux qui ressentaient son importance. (...) L’homme
qui ressent profondément les problèmes de la destinée humaine, le désir de diminuer les
souffrances de l’humanité, et l’espoir que l’avenir réalisera les meilleures possibilités de notre
espèce, passe souvent aujourd’hui pour avoir « une tournure d’esprit religieuse », même s’il
n’admet qu’une faible partie du christianisme traditionnel. Dans la mesure où la religion consiste
en un état d’esprit, et non en un ensemble de croyances, la science ne peut l’atteindre. Peut-être le
déclin des dogmes rend-il temporairement plus difficile l’existence d’un tel état d’esprit, tant
celui-ci a été intimement lié jusqu’ici aux croyances théologiques. Mais il n’y a aucune raison
pour que cette difficulté soit éternelle : en fait, bien des libres penseurs ont montré par leur vie
que cet état d’esprit n’est pas forcément lié à un credo (2). Aucun mérite réel ne peut être
indissolublement lié à des croyances sans fondement ; et, si les croyances théologiques sont sans
fondement, elles ne peuvent être nécessaires à la conservation de ce qu’il y a de bon dans l’état
d’esprit religieux. Etre d’un autre avis, c’est être rempli de craintes au sujet de ce que nous
pouvons découvrir, craintes qui gêneront nos tentatives pour comprendre le monde ; or, c’est
seulement dans la mesure o ù nous parvenons à le comprendre que la véritable sagesse devient
possible.
RUSSELL, Science et religion
(1) « credos » : contenus de la foi.
(2) « credo » : acte d’adhésion aux contenus de la foi.
- 330 -
[331] SUJET N° 307 - 5PHLCE1 - 2005 - Série L - ANTILLES - SESSION NORMALE
La perception, par opposition à la sensation, implique des habitudes fondées sur l’expérience
passée. Nous pouvons caractériser la sensation comme la partie de notre expérience totale qui est
due au seul stimulus, en dehors de toute histoire passée. Quand vous voyez un chien, le noyau
sensible est une tache de couleur dépourvue de toutes les adjonctions qui permettent de le
reconnaître comme chien. Vous vous attendez à voir la tache de couleur se mouvoir de la manière
dont le ferait un chien, et à entendre, au cas où elle émettrait un bruit, un aboiement ou un
grognement, et non le chant d’un coq. Vous êtes convaincu que vous pouvez la toucher et qu’elle
ne va pas s’évanouir sans laisser de traces, qu’elle a un avenir et un passé. Je ne prétends pas que
vous soyez conscient de tout cela, mais que tout cela est présent comme le montre l’étonnement
que vous éprouveriez s’il en advenait autrement. Ce sont ces adjonctions qui transforment une
sensation en perception, et ce sont elles qui peuvent rendre une perception erronée.
RUSSELL, Histoire de mes idées philosophiques
- 331 -
[332] SUJET N° 308 - 5PHSCAG1 - 2005 - Série S - ANTILLES - SESSION REMPL.
Il est de la plus haute importance que les enfants apprennent à travailler. L’homme est le seul
animal qui doit travailler. Il lui faut d’abord beaucoup de préparation pour en venir à jouir de ce
qui est supposé par sa conservation. La question est de savoir si le Ciel n’aurait pas pris soin de
nous avec plus de bienveillance, en nous offrant toutes les choses déjà préparées, de telle sorte
que nous ne serions pas obligés de travailler, doit assurément recevoir une réponse négative :
l’homme, en effet, a besoin d’occupations et même de celles qui impliquent une certaine
contrainte. Il est tout aussi faux de s’imaginer que si Adam et Eve étaient demeurés au Paradis, ils
n’auraient rien fait d’autre que d’être assis ensemble, chanter des chants pastoraux et contempler
la beauté de la nature. L’ennui les eût torturés tout aussi bien que d’autres hommes dans une
situation semblable.
L’homme doit être occupé de telle manière qu’il soit rempli par le but qu’il a devant les yeux, si
bien qu’il ne se sente plus lui-même et que le meilleur repos soit pour lui celui qui suit le travail.
Ainsi l’enfant doit être habitué à travailler. Et où donc le penchant au travail doit-il être cultivé, si
ce n’est à l’école ? L’école est une culture par contrainte. Il est extrêmement mauvais d’habituer
l’enfant à tout regarder comme un jeu.
KANT, Réflexions sur l’éducation
- 332 -
[333] SUJET N° 309 - 5PHESCE1 - 2005 - Série ES - ANTILLES - SESSION NORMALE
Les prophéties touchant les éclipses, comme d’ailleurs toutes celles qui se fondent sur la
régularité des saisons (celles-ci représentent peut-être les plus anciennes lois de la nature que
l’homme ait clairement comprises comme telles) ne sont possibles que parce que le système
solaire est un système stable où les mêmes phénomènes se reproduisent. Et cette situation tient, à
son tour, à des facteurs contingents : celui-ci se trouve protégé des influences que pourraient
exercer d’autres systèmes mécaniques par d’immenses zones d’espace vide, et il est, par
conséquent, assez peu affecté par l’intervention d’éléments extérieurs à lui-même.
On ne saurait donc s’appuyer sur ces exemples pour montrer qu’il est possible d’appliquer à
l’histoire la méthode qui consiste à formuler des prédictions à long terme. La société se
transforme, elle évolue. Et son évolution exclut, pour l’essentiel, la répétition. Certes, dans la
mesure où l’histoire comporte des répétitions, on pourra éventuellement faire certaines
prophéties. Il existe, par exemple, une certaine part de répétition dans la manière dont
apparaissent de nouvelles révolutions, de nouveaux despotismes. Et l’historien peut se trouver en
position de prévoir, dans une certaine mesure, ce type de développements en les confrontant aux
cas précédents, c’est-à-dire en étudiant les conditions qui président à leur apparition. Mais cette
application des prédictions conditionnelles est assez limitée. Car les aspects les plus décisifs de
l’évolution historique ne comportent pas de répétition. Les conditions varient, et on se trouve en
présence de configurations (à la suite de découvertes scientifiques, par exemple) qui ne
ressemblent à rien de ce qu’on a pu voir auparavant. Le fait que nous sachions prévoir les
éclipses ne nous autorise donc pas à espérer pouvoir prédire les révolutions.
POPPER, Conjectures et réfutations
- 333 -
[334] SUJET N° 310 - N/R - 2005 - Série L - ETRANGER GROUPE 1 - SESSION NORMALE
Tout est dans un flux continuel sur la terre. Rien n’y garde une forme constante et arrêtée, et nos
affections qui s’attachent aux choses extérieures passent et changent nécessairement comme
elles. Toujours en avant ou en arrière de nous, elles rappellent le passé qui n’est plus ou
préviennent l’avenir qui souvent ne doit point être : il n’y a rien là de solide à quoi le cœur se
puisse attacher. Aussi n’a-t-on guère ici bas que du plaisir qui passe ; pour le bonheur qui dure je
doute qu’il y soit connu.
Mais s’il est un état où l’âme trouve une assiette assez solide pour s’y reposer tout entière et
rassembler là tout son être, sans avoir besoin de rappeler le passé ni d’enjamber sur l’avenir ; où
le temps ne soit rien pour elle, où le présent dure toujours sans néanmoins marquer sa durée et
sans aucune trace de succession, sans aucun autre sentiment de privation ni de jouissance, de
plaisir ni de peine, de désir ni de crainte que celui seul de notre existence, et que ce sentiment
seul puisse la remplir tout entière ; tant que cet état dure celui qui s’y trouve peut s’appeler
heureux, non d’un bonheur imparfait, pauvre et relatif, tel que celui qu’on trouve dans les plaisirs
de la vie mais d’un bonheur suffisant, parfait et plein, qui ne laisse dans l’âme aucun vide qu’elle
sente le besoin de remplir.
ROUSSEAU, Les Rêveries du promeneur solitaire
- 334 -
[335] SUJET N° 311 - 5PHSCIN - 2005 - Série S - INDE - SESSION NORMALE
Qui ne voit que la cohésion sociale est due, en grande partie, à la nécessité pour une société de se
défendre contre d’autres, et que c’est d’abord contre tous les autres hommes qu’on aime les
hommes avec lesquels on vit ? Tel est l’instinct primitif. Il est encore là, heureusement dissimulé
sous les apports de la civilisation ; mais aujourd’hui encore nous aimons naturellement et
directement nos parents et nos concitoyens, tandis que l’amour de l’humanité est indirect et
acquis. A ceux-là nous allons tout droit, à celle-ci nous ne venons que par un détour ; car c’est
seulement à travers Dieu, en Dieu, que la religion convie l’homme à aimer le genre humain ;
comme aussi c’est seulement à travers la Raison, dans la Raison par où nous communions tous,
que les philosophes nous font regarder l’humanité pour nous montrer l’éminente dignité de la
personne humaine, le droit de tous au respect. Ni dans un cas ni dans l’autre nous n’arrivons a
l’humanité par étapes, en traversant la famille et la nation. Il faut que, d’un bond, nous nous
soyons transportés plus loin qu’elle et que nous l’ayons atteinte sans l’avoir prise pour fin, en la
dépassant. Qu’on parle d’ailleurs le langage de la religion ou celui de la philosophie, qu’il
s’agisse d’amour ou de respect, c’est une autre morale, c’est un autre genre d’obligation, qui
viennent se superposer à la pression sociale.
BERGSON, Les deux Sources de la Morale et de la Religion
- 335 -
[336] SUJET N° 312 - 5PHSCME3 - 2005 - Série S - METROPOLE - SESSION REMPL.
Un homme a beau chercher par tous les artifices à représenter une action illégitime, qu’il se
rappelle avoir commise, comme une erreur involontaire, comme une de ces négligences qu’il est
impossible d’éviter entièrement, c’est-à-dire comme une chose où il a été entraîné par le torrent
de la nécessité naturelle, et se déclarer ainsi innocent, il trouve toujours que l’avocat qui parle en
sa faveur ne peut réduire au silence la voix intérieure qui l’accuse, s’il a conscience d’avoir été
dans son bon sens, c’est-à-dire d’avoir eu l’usage de sa liberté au moment où il a commis cette
action injuste ; et, quoiqu’il s’explique sa faute par une mauvaise habitude, qu’il a insensiblement
contractée en négligeant de veiller sur lui-même, et qui en est venue à ce point que cette faute en
peut être considérée comme la conséquence naturelle, il ne peut pourtant se mettre en sécurité
contre les reproches et le blâme qu’il s’adresse à lui-même.
KANT, Critique de la raison pratique
- 336 -
[337] SUJET N° 313 - 5PHSCAG3 - 2005 - Série S - ANTILLES - SESSION NORMALE
On admet généralement que l’identité de la personne repose sur celle de la conscience. Si on
entend uniquement par cette dernière le souvenir coordonné du cours de notre vie, elle ne suffit
pas à expliquer l’autre. Sans doute nous savons un peu plus de notre vie passée que d’un roman lu
autrefois ; mais ce que nous en savons est pourtant peu de chose. Les événements principaux, les
scènes intéressantes se sont gravés dans la mémoire ; quant au reste, pour un événement retenu,
mille autres sont tombés dans l’oubli. Plus nous vieillissons, et plus les faits de notre vie passent
sans laisser de trace. Un âge très avancé, une maladie, une lésion du cerveau, la folie peuvent
nous priver complètement de mémoire. Mais l’identité de la personne ne s’est pas perdue avec cet
évanouissement progressif du souvenir. Elle repose sur la volonté identique, et sur le caractère
immuable que celle-ci présente. C’est cette même volonté qui confère sa persistance à
l’expression du regard. L’homme se trouve dans le cœur, non dans la tête.
SCHOPENHAUER, Le Monde comme volonté et représentation
- 337 -
[338] SUJET N° 314 - 5PHLCE3 - 2005 - Série L - ANTILLES - SESSION REMPL.
Je désire tout d’abord vous rappeler en quoi nous prétendons que consiste pour nous la bonne
éducation.
Je prétends donc que pour les enfants les premières sensations de leur âge sont le plaisir et la
douleur et que c’est sous cette forme que la vertu et le vice apparaissent tout d’abord dans l’âme,
tandis que, l’intelligence et les fermes opinions vraies, c’est une chance pour un homme d’y
arriver même vers la vieillesse ; celui-là en tout cas est parfait qui possède ces biens et tous ceux
qu’ils renferment. J’entends par éducation la première acquisition qu’un enfant fait de la vertu ; si
le plaisir, l’amitié, la douleur, la haine naissent comme il faut dans les âmes avant l’éveil de la
raison, et que, une fois la raison éveillée, les sentiments s’accordent avec elle à reconnaître qu’ils
ont été bien formés par les habitudes correspondantes, cet accord constitue la vertu totale, mais la
partie qui nous forme à user comme il faut du plaisir et de la douleur, qui nous fait haïr ce qu’il
faut haïr depuis le début jusqu’à la fin, et de même aimer ce qu’il faut aimer, cette partie est celle
que la raison isolera pour la dénommer éducation, et ce serait, à mon avis, correctement la
dénommer.
PLATON, Les Lois
- 338 -
[339] SUJET N° 315 - 5PHESCE3 - 2005 - Série ES - ANTILLES - SESSION REMPL.
L’art nous procure, d’une part, l’expérience de la vie réelle, nous transporte dans des situations
que notre expérience personnelle ne nous fait pas et ne nous fera peut-être jamais connaître les
expériences des personnes qu’il représente, et, grâce à la part que nous prenons à ce qui arrive à
ces personnes, nous devenons capables de ressentir plus profondément ce qui se passe en nousmêmes. D’une façon générale, le but de l’art consiste à rendre accessible à l’intuition ce qui
existe dans l’esprit humain, la vérité que l’homme abrite dons son esprit, ce qui remue la poitrine
humaine et agite l’esprit humain. C’est ce que l’art a pour tâche de représenter, et il le fait au
moyen de l’apparence qui, comme telle, nous est indifférente, dès l’instant où elle sert à éveiller
en nous le sentiment et la conscience de quelque chose de plus élevé. C’est ainsi que l’art
renseigne l’homme sur l’humain, éveille des sentiments endormis, nous met en présence des vrais
intérêts de l’esprit. Nous voyons ainsi que l’art agit en remuant, dans leur profondeur, leur
richesse et leur variété, tous les sentiments qui s’agitent dans l’âme humaine, et en intégrant dans
le champ de notre expérience ce qui se passe dans les régions intimes de cette âme.
HEGEL, Esthétique
- 339 -
[340] SUJET N° 316 - 5PHESPY3 - 2005 - Série ES - POLYNESIE - SESSION REMPL.
L’objet de la vie humaine est la félicité de l’homme. Mais qui de nous sait comment on y
parvient ? Sans principe, sans but assuré, nous errons de désirs en désirs et ceux que nous venons
à bout de satisfaire nous laissent aussi loin du bonheur qu’avant d’avoir rien obtenu. Nous
n’avons de règle invariable, ni dans la raison qui manque de soutien, de prise et de consistance, ni
dans les passions qui se succèdent et s’entredétruisent incessamment. Victimes de l’aveugle
inconstance de nos cœurs, la jouissance des biens désirés ne fait que nous préparer des privations
et des peines, tout ce que nous possédons ne sert qu’à nous montrer ce qui nous manque et faute
de savoir comment il faut vivre, nous mourons tous sans avoir vécu. S’il est quelque moyen
possible de se délivrer de ce doute affreux, c’est de l’étendre pour un temps au delà des bornes
naturelles, de se défier de tous ses penchants, de s’étudier soi-même, de porter au fond de son
âme le flambeau de la vérité, d’examiner une fois tout ce qu’on pense, tout ce qu’on croit, tout ce
qu’on sent et tout ce qu’on doit penser, sentir et croire pour être heureux autant que le permet la
condition humaine.
ROUSSEAU, Lettres morales
- 340 -
[341] SUJET N° 317 - 5PHESME/RE3 - 2005 - Série ES - METROPOLE - SESSION REMPL.
Est libre l’homme qui ne rencontre pas d’obstacles et qui a tout à sa disposition comme il veut.
L’homme qui peut être arrêté, contraint, entravé ou jeté malgré lui dans quelque entreprise est un
esclave. Mais quel est celui qui ne rencontre pas d’obstacle ? C’est celui qui ne désire rien qui lui
soit étranger. Et qu’est-ce qui nous est étranger ? C’est ce qu’il ne dépend pas de nous d’avoir ou
de ne pas avoir, ni d’avoir avec telle qualité dans telles conditions. Ainsi le corps nous est-il
étranger, étrangères ses parties, étrangère notre fortune ; si tu t’attaches à l’une de ces choses
comme à ton bien propre, tu subiras le châtiment que mérite celui qui convoite des choses
étrangères. Telle est la route qui conduit à la liberté, le seul moyen de nous affranchir de
l’esclavage.
EPICTETE, Entretiens
- 341 -
[342] SUJET N° 318 - 5PHAAME3 - 2005 - Série STI AA - METROPOLE - SESSION
REMPL.
Le beau intervient dans toutes les circonstances de notre vie ; il est le génie (1) amical que nous
rencontrons partout. En cherchant seulement autour de nous où et comment, sous quelle forme, il
se présente à nous, nous trouvons qu’il se rattachait jadis par les liens les plus intimes à la
religion et à la philosophie. Nous trouvons notamment que l’homme s’est toujours servi de l’art
comme d’un moyen de prendre conscience des idées et des intérêts les plus élevés de son esprit.
Les peuples ont déposé leurs conceptions les plus hautes dans les productions de l’art, les ont
exprimées et en ont pris conscience par le moyen de l’art. La sagesse et la religion sont
concrétisées dans des formes créées par l’art qui nous livre la clef grâce à laquelle nous sommes à
même de comprendre la sagesse et la religion de beaucoup de peuples. Dans beaucoup de
religions, l’art a été le seul moyen dont l’idée née dans l’esprit s’était servie pour devenir objet de
représentation.
HEGEL
(1) « génie » (ici) : dans la mythologie, divinité qui présidait à la destinée de chacun, à un groupe
ou un lieu.
QUESTIONS :
1° Quelle fonction Hegel reconnaît-il à l’art ? Quels sont les éléments de son analyse ?
2° Expliquez en vous appuyant sur des exemples :
a) « un moyen de prendre conscience des idées et des intérêts les plus élevés de son esprit ».
b) « l’art (...) nous livre la clef grâce à laquelle nous sommes à même de comprendre la sagesse et
la religion de beaucoup de peuples ».
3° L’art permet-il aux hommes de mieux se comprendre eux-mêmes ?
- 342 -
[343] SUJET N° 319 - 5PHTEME3 - 2005 - Série TECHN. - METROPOLE - SESSION
REMPL.
Il est de toute évidence que l’observateur qui s’observe et se juge lui-même se place dans de
mauvaises conditions pour observer et pour juger. Le médecin le plus célèbre consulte sur sa
propre maladie le confrère dont peut-être il ne jugerait pas le concours (1) bien utile, dans une
consultation pour autrui. Et pourtant les phénomènes qu’il s’agit en pareil cas d’observer et
d’interpréter, sont de ceux que ne trouble pas beaucoup dans leurs cours l’attention que le
médecin met à les observer sur lui-même. Que dire donc à propos de ces phénomènes
psychologiques, de ces faits de conscience, comme on les appelle, où l’attention de l’observateur,
autre phénomène psychologique, intervient au premier chef comme cause modificatrice ? Certes
le meilleur moyen de calmer un accès de colère serait de s’observer attentivement quand on est
en colère.
COURNOT
(1) « le concours » : l’aide.
QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée principale du texte et son argumentation.
2°
a) Pourquoi l’observation de soi-même place-t-elle l’observateur « dans de mauvaises
conditions » ?
b) Pourquoi ces conditions sont-elles particulièrement mauvaises à propos des « faits de
conscience » ? En quoi l’exemple de la colère illustre-t-il le problème ?
3° Peut-on se connaître soi-même ?
- 343 -
[344] SUJET N° 320 - 5PHLIME3 - 2005 - Série L - METROPOLE - SESSION REMPL.
L’égalité peut s’établir dans la société civile, et ne point régner dans le monde politique. On peut
avoir le droit de se livrer aux mêmes plaisirs, d’entrer dans les mêmes professions, de se
rencontrer dans les mêmes lieux ; en un mot, de vivre de la même manière et de poursuivre la
richesse par les mêmes moyens sans prendre tous la même part au gouvernement.
Une sorte d’égalité peut même s’établir dans le monde politique, quoique la liberté politique n’y
soit point. On est l’égal de tous ses semblables, moins un, qui est, sans distinction, le maître de
tous, et qui prend également, parmi tous, les agents de son pouvoir.
Il serait facile de faire plusieurs autres hypothèses suivant lesquelles une fort grande égalité
pourrait aisément se combiner avec des institutions plus ou moins libres, ou même avec des
institutions qui ne le seraient point du tout.
Quoique les hommes ne puissent devenir absolument égaux sans être entièrement libres, et que
par conséquent l’égalité, dans son degré le plus extrême, se confonde avec la liberté, on est donc
fondé à distinguer l’une de l’autre.
TOCQUEVILLE, De la Démocratie en Amérique
- 344 -
[345] SUJET N° 321 - 5PHAAAG1 - 2005 - Série STI AA - ANTILLES - SESSION
NORMALE
Corot me fait voir des arbres, une prairie, une vache, une bergère. Qu’al-je besoin de lui ? Il ne
manque pas d’arbres, ni de prairies, et véritables. Je me reposerai à l’ombre. Et l’océan lui-même
est quelque chose de mieux que ce petit ruban de couleurs que le peintre en a gardé. Le vrai
océan me mouillera les pieds. Ou bien ce que j’admire n’est-il que l’étonnant travail de
l’imitation ? Non, il n’en est rien ; car je n’aime pas être trompé par une peinture ; et bien plutôt
le peintre veut que je ne sois point trompé. Le cadre m’est une sorte d’annonce, qui présente la
peinture comme telle, qui la sépare. Au contraire ma fenêtre ouverte me jette dans le monde. Il
faut que j’y aille ; je fais le tour des choses, je les nomme, j’en use, je les explore.
La peinture refuse l’exploration. Changez de place, soit ; vous éliminez quelque reflet du monde,
toutefois vous ne saisissez jamais qu’un aspect, un moment fixé. Que regarde donc l’homme, par
cette autre fenêtre ? Pourquoi y revient-il ? Je suppose qu’il s’y voit lui-même. Mais quoi ? Un
arbre, une vache, un nuage, une brume bleue ou rousse, voilà un étrange portrait de moi. C’est
que le monde peint est plus moi que l’autre.
ALAIN
QUESTIONS :
1° Alain distingue notre rapport à l’œuvre peinte et notre rapport à la réalité. Quels sont les
éléments de cette distinction ?
2° Expliquez :
a) « bien plutôt le peintre veut que je ne sois point trompé » ;
b) « La peinture refuse l’exploration » ;
c) « voilà un étrange portrait de moi ».
3° Est-ce l’homme qui se reconnaît dans la peinture ou le monde qui s’y donne à voir ?
- 345 -
[346] SUJET N° 322 - 5PHTEAG1 - 2005 - Série TECHN. - ANTILLES - SESSION
NORMALE
Même si le talent et le génie de l’artiste comportent un moment naturel, ce moment n’en demande
pas moins essentiellement à être formé et éduqué par la pensée, de même qu’il nécessite une
réflexion sur le mode de sa production ainsi qu’un savoir-faire exercé et assuré dans l’exécution.
Car l’un des aspects principaux de cette production est malgré tout un travail extérieur, dès lors
que l’œuvre d’art a un côté purement technique qui confine à l’artisanal surtout en architecture et
en sculpture, un peu moins en peinture et en musique, et dans une faible mesure encore en poésie.
Pour acquérir en ce domaine un parfait savoir-faire, ce n’est pas l’inspiration qui peut être d’un
quelconque secours, mais seulement la réflexion, l’application et une pratique assidue. Or il se
trouve qu’un tel savoir-faire est indispensable à l’artiste s’il veut se rendre maître du matériau
extérieur et ne pas être gêné par son âpre résistance.
HEGEL
QUESTIONS :
1° Dégagez la thèse du texte et les étapes de son argumentation.
2° Expliquez :
a) « le talent et le génie de l’artiste comportent un moment naturel » ;
b) « l’œuvre d’art a un côté purement technique qui confine à l’artisanal » ;
c) « se rendre maître du matériau extérieur ».
3° Qu’apporte la technique à l’art ?
- 346 -
[347] SUJET N° 323 - 5PHAAME1 - 2005 - Série STI AA - METROPOLE - SESSION
NORMALE
Quand on est jeune il ne faut pas hésiter à s’adonner à la philosophie, et quand on est vieux il ne
faut pas se lasser d’en poursuivre l’étude. Car personne ne peut soutenir qu’il est trop jeune ou
trop vieux pour acquérir la santé de l’âme. Celui qui prétendrait que l’heure de philosopher n’est
pas encore venue ou qu’elle est déjà passée, ressemblerait à celui qui dirait que l’heure n’est pas
encore arrivée d’être heureux ou qu’elle est déjà passée, Il faut donc que le jeune homme aussi
bien que le vieillard cultivent la philosophie : celui-ci pour qu’il se sente rajeunir au souvenir des
biens que la fortune (1) lui a accordés dans le passé, celui-là pour être, malgré sa jeunesse, aussi
intrépide en face de l’avenir qu’un homme avancé en âge. Il convient ainsi de s’appliquer
assidûment à tout ce qui peut nous procurer la félicité, s’il est vrai que quand elle est en notre
possession nous avons tout ce que nous pouvons avoir, et que quand elle nous manque, nous
faisons tout pour l’obtenir.
EPICURE
(1) « la fortune » : l’heureuse chance.
QUESTIONS :
1° Dégagez la thèse de ce texte et les étapes de son argumentation.
2° Expliquez :
a) « pour acquérir la santé de l’âme » ;
b) « il se sente rajeunir au souvenir des biens que la fortune lui a accordés dans le passé » ;
c) « être, malgré sa jeunesse, aussi intrépide en face de l’avenir qu’un homme avancé en âge ».
3° Y a-t-il un temps pour philosopher ?
- 347 -
[348] SUJET N° 324 - 5PHSCLR - 2005 - Série S - LA REUNION - SESSION NORMALE
Si on élimine la justice, que sont en effet les royaumes, sinon du brigandage en grand ? Les
bandes de brigands elles-mêmes ne sont-elles pas, en petit, des royaumes ? Car ce sont des
groupes d’hommes, où un chef commande, dont un pacte social resserre les liens, où des
conventions règlent le partage du butin.
Si cette société de crime fait assez de recrues parmi les malfaiteurs pour occuper certaines
positions, pour fonder des établissements, pour occuper des cités, pour subjuguer les peuples,
alors elle s’arroge plus ouvertement le titre de royaume, que lui confère aux regards de tous, non
pas un renoncement quelconque â ses convoitises, mais bien l’impunité qu’elle s’est assurée.
Spirituelle et juste fut la réponse que fit à Alexandre le Grand ce pirate tombé en son pouvoir. Le
roi lui demandait : « A quoi penses-tu, d’infester ainsi la mer ?
- Et toi, répondit-il, avec une audacieuse franchise, à quoi penses-tu, d’infester la terre ? Parce
que je n’ai qu’un petit navire, on m’appelle un « bandit » ; toi, comme tu opères avec une grande
flotte, on te nomme un « conquérant ».
AUGUSTIN, La Cité de Dieu
- 348 -
[349] SUJET N° 325 - 5PHSCAN1 - 2005 - Série S - AMERIQUE DU NORD - SESSION
NORMALE
D’une manière générale, il n’est pas douteux qu’une société a tout ce qu’il faut pour éveiller dans
les esprits, par la seule action qu’elle exerce sur eux, la sensation du divin ; car elle est à ses
membres ce qu’un dieu est à ses fidèles. Un dieu, en effet, c’est d’abord un être que l’homme se
représente, par certains côtés, comme supérieur à soi-même et dont il croit dépendre. (...) Or la
société, elle aussi, entretient en nous la sensation d’une perpétuelle dépendance. Parce qu’elle a
une nature qui lui est propre, différente de notre nature d’individu, elle poursuit des fins qui lui
sont également spéciales : mais, comme elle ne peut les atteindre que par notre intermédiaire, elle
réclame impérieusement notre concours. Elle exige que, oublieux de nos intérêts, nous nous
fassions ses serviteurs et elle nous astreint à toute sorte de gênes, de privations et de sacrifices
sans lesquels la vie sociale serait impossible. C’est ainsi qu’à chaque instant nous sommes
obligés de nous soumettre à des règles de conduite et de pensée que nous n’avons ni faites ni
voulues, et qui même sont parfois contraires à nos penchants et à nos instincts les plus
fondamentaux.
DURKHEIM, Les Formes élémentaires de la vie religieuse
- 349 -
[350] SUJET N° 326 - 5PHESJA1 - 2005 - Série ES - JAPON - SESSION NORMALE
Tous les hommes sont sensibles à la nécessité de la justice pour maintenir la paix et l’ordre, et
tous les hommes sont sensibles à la nécessité de la paix et de l’ordre pour maintenir la société. En
dépit de cette forte et évidente nécessité, telle est cependant la fragilité ou la perversité de notre
nature qu’il est impossible aux hommes de rester fidèlement et infailliblement sur le chemin de la
justice. Des circonstances extraordinaires se produisent qui amènent un homme à plutôt trouver
ses intérêts défendus par la fraude et le vol qu’à être choqué par la fracture que son injustice crée
dans l’union sociale. Mais beaucoup plus souvent, il se trouve détourné de ses intérêts supérieurs,
importants mais lointains, par l’apparence du présent, ses tentations étant souvent très frivoles,
Cette grande faiblesse est incurable dans la nature humaine.
Les hommes doivent donc s’ingénier à pallier ce qu’ils ne peuvent guérir. il leur faut instituer des
personnes qu’ils nomment magistrats, dont la fonction spécifique est de promulguer les décrets
de l’équité, d’en punir les transgresseurs, de fustiger la fraude et la violence, et de contraindre les
hommes, bien que récalcitrants, a suivre leurs intérêts réels et permanents. En un mot,
l’obéissance est un nouveau devoir qu’il faut inventer afin de supporter celui de la justice : et les
liens de l’équité doivent être renforcés par ceux de l’assujettissement.
HUME, De l’Origine du gouvernement
- 350 -
[351] SUJET N° 327 - 5PHSCPO3 - 2005 - Série S - POLYNESIE + POLYNESIE - SESSION
REMPL.
Il y a chez les hommes bien de la difficulté, bien de l’embarras quand il s’agit des choses
extérieures. « Que vais-je faire ? Que peut-il advenir ? Quelle sera l’issue ? Pourvu que telle ou
telle chose ne se rencontre ! » Tous ces mots sont ceux de gens qui s’attachent aux choses
indépendantes de la volonté. Quel homme dit en effet : « Comment faire pour ne pas donner mon
assentiment à l’erreur ? pour ne pas me détourner de la vérité ? » S’il est assez doué pour
s’inquiéter de pareilles choses, je l’avertirai : « Pourquoi t’inquiéter ? Cela dépend de toi ; sois en
sécurité ; ne te hâte pas de donner ton assentiment avant d’appliquer la règle naturelle. » S’il
s’inquiète que ses désirs ne soient pas satisfaits et soient mis en échec, que ses aversions le
fassent tomber sur l’objet détesté, d’abord je l’embrasserai parce qu’il a laissé de côté tout ce qui
effraye les autres et toutes leurs craintes pour s’occuper de son activité propre, dans la région
même où est son moi lui-même. Puis je lui dirai : « si tu ne veux pas échouer dans tes désirs ni
tomber sur ce que tu détestes, ne désire rien qui te soit étranger, ne cherche à éviter rien de ce qui
ne dépend pas de toi. Sinon tu dois échouer et tomber sur les objets détestés ». Quelle difficulté
là-dedans ? Où y a-t-il place pour ces phrases : « Que va-t-il survenir ? Quelle issue cela aura-til ? Pourvu que je ne rencontre pas ceci ou cela ! » ?
EPICTETE, Entretiens
- 351 -
[352] SUJET N° 328 - 5PHSCP01 - 2005 - Série S - POLYNESIE - SESSION NORMALE
Notre sens de la beauté dépend beaucoup de ce principe : quand un objet a tendance à donner du
plaisir à qui le possède, il est toujours regardé comme beau ; de même que celui qui tend à causer
de la douleur est désagréable et laid. Ainsi, la commodité d’une maison, la fertilité d’un champ,
la puissance d’un cheval ou le bon tonnage, la sécurité et la rapidité d’un vaisseau, constituent les
beautés principales de ces différents objets. Ici, l’objet que l’on nomme beau ne plaît que par sa
tendance à produire un certain effet. Cet effet est le plaisir, ou le profit, de quelque autre
personne. Or, le plaisir d’un étranger pour lequel nous n’avons pas d’amitié nous plaît seulement
par sympathie. C’est, par conséquent, à ce principe qu’est due la beauté que nous trouvons à tout
ce qui est utile. Il apparaîtra aisément, après réflexion, combien ce principe joue pour une part
considérable dans la beauté. A chaque fois qu’un objet tend à donner du plaisir à son possesseur,
ou, en d’autres termes, quand il est la cause véritable du plaisir, il est sûr de plaire au spectateur,
par une sympathie délicate avec le possesseur. On juge belles la plupart des œuvres d’art en
proportion de leur adaptation à l’usage de l’homme, et même beaucoup des productions de la
nature tirent leur beauté de cette source. Dans la plupart des cas, élégant et beau ne sont pas des
qualités absolues mais relatives, et ne nous plaisent par rien d’autre que leur tendance à produire
une fin qui est agréable.
HUME, Traité de la nature humaine
- 352 -
[353] SUJET N° 329 - 5PHESPY1 - 2005 - Série ES - POLYNESIE - SESSION NORMALE
Ne sont aliénables que les biens qui, par nature, sont déjà susceptibles d’être extériorisés. Ainsi je
ne puis considérer la personnalité comme une chose qui me soit extérieure, car dans la mesure où
quelqu’un s’est démis de sa personnalité, il s’est réduit lui-même à l’état de simple chose. Pareille
aliénation serait nulle et non avenue. - Un homme aliènerait sa moralité s’il prenait, par exemple,
l’engagement vis-à-vis d’un autre homme d’accomplir sur son ordre tous comportements
possibles, tant criminels qu’indifférents. Un tel engagement serait sans force, car il concerne la
liberté du vouloir, c’est-à-dire ce dont chacun est pour lui-même responsable. Moraux ou
immoraux, les actes sont les comportements propres de celui qui les accomplit, et telle est leur
nature que je ne puisse les aliéner. - Je ne puis davantage aliéner ma religion. Si une communauté
ou même un individu avait abandonné à un tiers le soin de décider de ce que doit être sa
croyance, ce serait là un engagement que chacun pourrait rompre unilatéralement, sans
commettre aucune injustice à l’égard de ce tiers, puisque ce que je lui aurais abandonné ne
pouvait, en aucun cas, devenir sa propriété.
HEGEL, Propédeutique philosophique
- 353 -
[354] SUJET N° 330 - 05PHESNC - 2005 - Série ES - NOUVELLE-CALEDONIE - SESSION
NORMALE
On dit d’un chien qu’il connaît son nom, parce qu’il vient quand on l’appelle et qu’il se souvient
de son maître, parce qu’il paraît triste lorsque celui-ci est absent et se met à remuer la queue et à
aboyer lorsqu’il revient. Que le chien se comporte ainsi, rien de plus certain ; mais la conclusion
qu’on en tire en disant qu’il connaît et se souvient est tout à fait douteuse. Plus on examine les
conclusions de ce genre, et plus elles paraissent précaires. C’est pourquoi on a été conduit, peu à
peu, dans l’étude du comportement animal à renoncer à toute tentative d’interprétation mentale
(...). La même méthode pouvait être appliquée au comportement humain, c’est-à-dire que celui-ci
pouvait être décrit sans le recours à quoi que ce soit qui ne se prête pas à l’observation extérieure
(...). Supposez que vous demandiez à deux écoliers combien font « six fois neuf ». L’un vous
répondra « cinquante-quatre », l’autre vous donnera une réponse différente, soit « cinquantesix ». Nous dirons que le premier sait combien font « six fois neuf » et que l’autre ne le sait pas.
Et, cependant, nous nous trouvons tout simplement en présence d’une habitude verbale. Le
premier enfant a acquis l’habitude de dire « six fois neuf font cinquante-quatre », l’autre ne l’a
pas acquise. La réponse du premier n’exige pas plus de pensée qu’il n’en faut à un cheval pour
retourner tout seul à son écurie. Selon les cas, les habitudes peuvent être plus nombreuses et plus
compliquées, mais il ne s’agit toujours que d’habitudes.
RUSSELL, Analyse de l’Esprit
- 354 -
[355] SUJET N° 331 - 5PHLIAS1 - 2005 - Série L - AMERIQUE DU SUD - SESSION
NORMALE
Est libre celui qui vit comme il veut, qu’on ne peut ni contraindre ni empêcher ni forcer, dont les
volontés sont sans obstacles, dont les désirs atteignent leur but, dont les aversions ne rencontrent
pas l’objet détesté. Qui veut vivre dans la faute ? - Personne. - Qui veut vivre dans l’erreur,
l’emportement, l’injustice, l’intempérance, la plainte de son sort, l’avilissement ? - Personne. Donc, nul méchant ne vit comme il veut, donc nul méchant n’est libre. Et qui veut vivre dans le
chagrin, la crainte, l’envie, la pitié, les désirs non satisfaits, la rencontre des objets qu’on déteste ?
- Personne. - Or y a-t-il un méchant qui soit sans chagrin, sans crainte, qui ne rencontre jamais ce
qu’il déteste et n’ait pas d’échec dans ses désirs ? - Pas un. - Donc pas un n’est libre.
EPICTETE, Entretiens
- 355 -
[356] SUJET N° 332 - 5PHLINC2 - 2005 - Série L - NOUVELLE-CALEDONIE - SESSION
NORMALE
On imaginerait facilement d’abord que la connaissance puisse se définir comme « la croyance
vraie ». Quand ce que nous croyons est vrai, on pourrait supposer que nous avons la connaissance
de ce que nous croyons. Mais cela ne s’accorderait pas avec la manière dont le mot est employé
communément. Pour prendra un exemple très vulgaire : si un homme croit que le nom du dernier
Premier ministre commençait par un B, il croit ce qui est vrai, puisque le dernier Premier ministre
était Sir Henry Campbell Bannerman. Mais s’il croit que M. Balfour était le dernier Premier
ministre, il croira toujours que le nom du dernier Premier ministre commence par un B, et
cependant cette croyance, quoique vraie, ne sera pas estimée constituer une connaissance. Si un
journal, par une anticipation intelligente, annonce le résultat d’une bataille avant qu’ait été reçu
aucun télégramme donnant le résultat, il peut par chance annoncer ce qui se trouve ensuite être le
résultat juste, et produire une croyance chez quelques-uns de ses lecteurs les moins expérimentés.
Mais bien que leur croyance soit vraie, on ne peut pas dire qu’ils aient une connaissance. Il est
donc clair qu’une croyance vraie n’est pas une connaissance, quand elle est déduite d’une
croyance fausse.
De même, une croyance vraie ne peut pas être appelée une connaissance quand elle est déduite,
par la voie d’un raisonnement faux, même de prémisses vraies. Si je sais que tous les Grecs sont
des hommes et que Socrate était un homme, et que j’en infère que Socrate était un Grec, on ne
peut pas dire que je sache que Socrate était un Grec, parce que, bien que mes prémisses et ma
conclusion soient vraies, la conclusion ne suit pas des prémisses.
RUSSELL, Problèmes de la philosophie
- 356 -
[357] SUJET N° 333 - 5PHSCNC1 - 2005 - Série S - NOUVELLE-CALEDONIE - SESSION
NORMALE
Entre nous et notre propre conscience, un voile s’interpose, voile épais pour le commun des
hommes, voile léger, presque transparent, pour l’artiste et le poète. Quelle fée a tissé ce voile ?
Fut-ce par malice ou par amitié ? Il fallait vivre, et la vie exige que nous appréhendions les
choses dans le rapport qu’elles ont à nos besoins. Vivre consiste à agir. Vivre, c’est n’accepter
des objets que l’impression utile pour y répondre par des réactions appropriées : les autres
impressions doivent s’obscurcir ou ne nous arriver que confusément. Je regarde et je crois voir,
j’écoute et je crois entendre, je m’étudie et je crois lire dans le fond de mon cœur. Mais ce que je
vois et ce que j’entends du monde extérieur, c’est simplement ce que mes sens en extraient pour
éclairer ma conduite ; ce que je connais de moi-même, c’est ce qui affleure à la surface, ce qui
prend part â l’action. Mes sens et ma conscience ne me livrent donc de la réalité qu’une
simplification pratique. Dans la vision qu’ils me donnent des choses et de moi-même, les
différences inutiles à l’homme sont effacées, les ressemblances utiles à l’homme sont accentuées,
des routes me sont tracées à l’avance où mon action s’engagera.
BERGSON, Le Rire
- 357 -
[358] SUJET N° 334 - 5PHSCJA1 - 2005 - Série S - JAPON - SESSION NORMALE
Dans une assemblée, les grands mouvements d’enthousiasme, d’indignation, de pitié qui se
produisent, n’ont pour lieu d’origine aucune conscience particulière. Ils viennent à chacun de
nous du dehors et sont susceptibles de nous entraîner malgré nous. Sans doute, il peut se faire
que, m’y abandonnant sans réserve, je ne sente pas la pression qu’ils exercent sur moi. Mais elle
s’accuse (1) dès que j’essaie de lutter contre eux. Qu’un individu tente de s’opposer à l’une de
ces manifestations collectives, et les sentiments qu’il nie se retournent contre lui. Or, si cette
puissance de coercition (2) externe s’affirme avec cette netteté dans les cas de résistance, c’est
qu’elle existe, quoique inconsciente, dans les cas contraires. Nous sommes alors dupes d’une
illusion qui nous fait croire que nous avons élaboré nous-mêmes ce qui s’est imposé à nous du
dehors. Mais, si la complaisance avec laquelle nous nous y laissons aller masque la poussée
subie, elle ne la supprime pas. C’est ainsi que l’air ne laisse pas d’être pesant quoique nous n’en
sentions plus le poids. Alors même que nous avons spontanément collaboré, pour notre part, à
l’émotion commune, l’impression que nous avons ressentie est tout autre que celle que nous
eussions éprouvée si nous avions été seul. Aussi, une fois que l’assemblée s’est séparée, que ces
influences sociales ont cessé d’agir sur nous et que nous nous retrouvons seuls avec nous-mêmes,
les sentiments par lesquels nous avons passé nous font l’effet de quelque chose d’étranger où
nous ne nous reconnaissons plus. Nous nous apercevons alors que nous les avions subis beaucoup
plus que nous ne les avions faits.
DURKHEIM, Règles de la méthode sociologique
(1) « elle s’accuse » : elle se révèle.
(2) « coercition » : contrainte.
- 358 -
[359] SUJET N° 335 - 4PHAAME1 - 2004 - Série STI AA - METROPOLE - SESSION
NORMALE
Pour comprendre comment le sentiment du beau comporte lui-même des degrés, il faudrait le
soumettre à une minutieuse analyse. Peut-être la peine qu’on éprouve à le définir tient-elle surtout
à ce que l’on considère les beautés de la nature comme antérieures à celles de l’art : les procédés
de l’art ne sont plus alors que des moyens par lesquels l’artiste exprime le beau, et l’essence du
beau demeure mystérieuse. Mais on pourrait se demander si la nature est belle autrement que par
la rencontre heureuse de certains procédés de notre art, et si, en un certain sens, l’art ne
procéderait pas de la nature. Sans même aller aussi loin, il semble plus conforme aux règles d’une
saine méthode d’étudier d’abord le beau dans les œuvres où il a été produit par un effort
conscient, et de descendre ensuite par transitions insensibles de l’art à la nature, qui est artiste à
sa manière.
BERGSON
QUESTIONS :
1°
a) quelle est la question examinée par Bergson dans le texte ?
b) quelle réponse lui apporte-t-il ? Montrez comment il l’établit.
2°
a) expliquez : « les procédés de l’art ne sont plus alors que des moyens par lesquels l’artiste
exprime le beau » ;
b) expliquez : « si, en un certain sens, l’art ne précèderait pas la nature » ;
c) pourquoi semble-t-il « plus conforme aux règles d’une saine méthode d’étudier d’abord le beau
dans les œuvres où il a été produit par un effort conscient » ?
3° Est-ce l’art qui nous rend sensibles aux beautés de la nature ?
- 359 -
[360] SUJET N° 336 - 4PHSEIN1 - 2004 - Série ES - INDE - SESSION NORMALE
Ce qu’on ne doit pas perdre de vue, c’est que le génie, pour être fécond, doit posséder une pensée
disciplinée et cultivée, et un exercice plus ou moins long. Et cela, parce que l’œuvre d’art
présente un côté purement technique dont on n’arrive à se rendre maître que par l’exercice. Ceci
est plus particulièrement vrai des arts qui comportent une dextérité manuelle, par laquelle ils se
rapprochent plus ou moins des métiers manuels. Tel est le cas de l’architecture et de la sculpture,
par exemple. La dextérité manuelle est moins nécessaire en musique et en poésie. Mais, même
dans celle-ci, il y a tout un côté qui demande, sinon un apprentissage, tout au moins une certaine
expérience : l’art de rimer constitue le côté technique de la poésie, et ce n’est pas par l’inspiration
qu’on en acquiert la connaissance. Tout art s’exerce sur une matière plus ou moins dense, plus ou
moins résistante, qu’il s’agit d’apprendre à maîtriser. D’autre part, l’artiste doit connaître d’autant
mieux les profondeurs de l’âme et de l’esprit humain que le rang qu’il ambitionne est plus élevé.
Or, cette connaissance ne s’acquiert pas non plus d’une façon directe, mais à la suite d’une étude
du monde extérieur et du monde intérieur. Et c’est cette étude qui lui fournit les sujets de ces
représentations.
HEGEL, Introduction à l’esthétique
- 360 -
[361] SUJET N° 337 - 4PHTEME1 - 2004 - Série TECHN. - METROPOLE - SESSION
NORMALE
Les enfants ne sont doués d’aucune raison avant d’avoir acquis l’usage de la parole ; mais on les
appelle des créatures raisonnables à cause de la possibilité qui apparaît chez eux d’avoir l’usage
de la raison dans l’avenir. Et la plupart des hommes, encore qu’ils aient assez d’usage du
raisonnement pour faire quelques pas dans ce domaine (pour ce qui est, par exemple, de manier
les nombres jusqu’à un certain point), n’en font guère usage dans la vie courante : dans celle-ci,
en effet, ils se gouvernent les uns mieux, les autres plus mal, selon la différence de leurs
expériences, la promptitude de leur mémoire, et la façon dont ils sont inclinés vers des buts
différents ; mais surtout selon leur bonne ou mauvaise fortune, et les uns d’après les erreurs des
autres. Car pour ce qui est de la science, et de règles de conduite certaines, ils en sont éloignés au
point de ne pas savoir ce que c’est.
HOBBES
QUESTIONS :
1° Dégagez la thèse du texte et la progression du raisonnement.
2° Expliquez :
a) « on les appelle des créatures raisonnables à cause de la possibilité qui apparaît chez eux
d’avoir l’usage de la raison dans l’avenir » ;
b) « dans celle-ci [la vie courante], en effet, ils se gouvernent [...] surtout selon leur bonne ou
mauvaise fortune, et les uns d’après les erreurs des autres. »
3° Quels peuvent être les usages de la raison dans la vie courante ?
- 361 -
[362] SUJET N° 338 - 4PHESME1 - 2004 - Série ES - METROPOLE - SESSION NORMALE
Il y a une vérité dont la connaissance me semble fort utile : qui est que, bien que chacun de nous
soit une personne séparée des autres, et dont, par conséquent, les intérêts sont en quelque façon
distincts de ceux du reste du monde, on doit toutefois penser qu’on ne saurait subsister seul, et
qu’on est, en effet, l’une des parties de l’univers, et plus particulièrement encore l’une des parties
de cette terre, l’une des parties de cet Etat, de cette société, de cette famille, à laquelle on est joint
par sa demeure, par son serment, par sa naissance. Et il faut toujours préférer les intérêts du tout,
dont on est partie, à ceux de sa personne en particulier ; toutefois avec mesure et discrétion (1),
car on aurait tort de s’exposer à un grand mal, pour procurer seulement un petit bien à ses parents
ou à son pays ; et si un homme vaut plus, lui seul, que tout le reste de sa ville, il n’aurait pas
raison de se vouloir perdre pour la sauver. Mais si on rapportait tout à soi-même, on ne craindrait
pas de nuire beaucoup aux autres hommes, lorsqu’on croirait en retirer quelque petite commodité,
et on n’aurait aucune vraie amitié, ni aucune fidélité, ni généralement aucune vertu ; au lieu qu’en
se considérant comme une partie du public, on prend plaisir à faire du bien à tout le monde, et
même on ne craint pas d’exposer sa vie pour le service d’autrui, lorsque l’occasion s’en présente ;
voire on voudrait perdre son âme, s’il se pouvait, pour sauver les autres.
DESCARTES, Lettre à Elisabeth
(1) « discrétion » (ici) : discernement.
- 362 -
[363] SUJET N° 339 - 4PHSCME1 - 2004 - Série S - METROPOLE - SESSION NORMALE
Le fait que l’ami est autre que le flatteur semble montrer clairement que le plaisir n’est pas un
bien, ou qu’il y a des plaisirs spécifiquement différents. L’ami, en effet, paraît rechercher notre
compagnie pour notre bien, et le flatteur pour notre plaisir, et à ce dernier on adresse des
reproches et à l’autre des éloges, en raison des fins différentes pour lesquelles ils nous
fréquentent. En outre, nul homme ne choisirait de vivre en conservant durant toute son existence
l’intelligence d’un petit enfant, même s’il continuait à jouir le plus possible des plaisirs de
l’enfance ; nul ne choisirait non plus de ressentir du plaisir en accomplissant un acte
particulièrement déshonorant, même s’il ne devait jamais en résulter pour lui de conséquence
pénible. Et il y a aussi bien des avantages que nous mettrions tout notre empressement à obtenir,
même s’ils ne nous apportaient aucun plaisir, comme voir, se souvenir, savoir, posséder les
vertus. Qu’en fait des plaisirs accompagnent nécessairement ces avantages ne fait pour nous
aucune différence, puisque nous les choisirions quand bien même ils ne seraient pour nous la
source d’aucun plaisir. Qu’ainsi donc le plaisir ne soit pas le bien, ni que tout plaisir soit
désirable, c’est là une chose, semble-t-il, bien évidente.
ARISTOTE, Ethique à icomaque
- 363 -
[364] SUJET N° 340 - 4PHLIME1 - 2004 - Série L - METROPOLE - SESSION NORMALE
L’origine de toutes les erreurs est, en un certain sens, la même que celle des erreurs de calcul, qui
arrivent aux arithméticiens. En effet, il arrive souvent qu’à défaut d’attention ou de mémoire,
nous faisons ce qu’il ne faut pas faire ou que nous omettons ce qu’il faut faire, ou bien que nous
croyons avoir fait ce que nous n’avons pas fait, ou que nous avons fait ce que nous croyons
n’avoir pas fait. Ainsi, il arrive que, dans le calcul (auquel correspond le raisonnement dans
l’esprit), on oublie de poser certains signes nécessaires ou qu’on en mette qu’il ne faut pas ;
qu’on néglige un des éléments du calcul en les rassemblant, ou qu’on opère contre la règle.
Lorsque notre esprit est fatigué ou distrait, il ne fait pas suffisamment attention aux opérations
qu’il est en train de faire, ou bien, par une erreur de mémoire, il accepte comme déjà prouvé ce
qui s’est seulement profondément enraciné en nous par l’effet de répétitions fréquentes, ou d’un
examen prolongé, ou d’un désir ardent. Le remède à nos erreurs est également le même que le
remède aux erreurs de calcul : faire attention à la matière et à la forme (1), avancer lentement,
répéter et varier l’opération, recourir à des vérifications et à des preuves, découper les
raisonnements étendus, pour permettre à l’esprit de reprendre haleine, et vérifier chaque partie
par des preuves particulières. Et puisque dans l’action on est quelquefois pressé, il est important
de s’habituer à garder le sang-froid et la présence d’esprit, à l’exemple de ceux qui, même au
milieu du bruit et sans calculer par écrit, savent exécuter des opérations sur des nombres très
élevés. Ainsi l’esprit s’habitue à ne pas se laisser facilement distraire par les sensations externes
ou par ses imaginations et ses affections propres, mais à rester maître de ce qu’il est en train de
faire, à conserver sa faculté critique ou, comme on dit communément, son pouvoir de faire retour
sur lui-même, de manière à pouvoir, tel un moniteur (2) étranger, se dire sans cesse à lui-même :
vois ce que tu fais, pourquoi le fais-tu actuellement ?
LEIBNIZ, Remarques sur Descartes
(1) « la matière et la forme » : le contenu et l’enchaînement du raisonnement.
(2) « moniteur » : quelqu’un qui avertit, conseille.
- 364 -
[365] SUJET N° 341 - 4PHLIN1 - 2004 - Série L - INDE - SESSION NORMALE
Interrogez un homme tout à fait sans préjugés : voici à peu près en quels termes il s’exprimera au
sujet de cette conscience immédiate que l’on prend si souvent pour garante d’un prétendu libre
arbitre : « Je peux faire ce que je veux. Si je veux aller à gauche, je vais à gauche ; si je veux aller
à droite, je vais à droite. Cela dépend uniquement de mon bon vouloir : je suis donc libre. » Un
tel témoignage est certainement juste et véridique ; seulement il présuppose la liberté de la
volonté, et admet implicitement que la décision est déjà prise : la liberté de la décision elle-même
ne peut donc nullement être établie par cette affirmation. Car il n’y est fait aucune mention de la
dépendance ou de l’indépendance de la volonté au moment où elle se produit, mais seulement des
conséquences de cet acte, une fois qu’il est accompli, ou, pour parler plus exactement, de la
nécessité de sa réalisation en tant que mouvement corporel. C’est le sentiment intime qui est à la
racine de ce témoignage qui seul fait considérer à l’homme naïf, c’est-à-dire sans éducation
philosophique (ce qui n’empêche pas qu’un tel homme puisse être un grand savant dans d’autres
branches), que le libre arbitre est un fait d’une certitude immédiate : en conséquence, il le
proclame comme une vérité indubitable, et ne peut même pas se figurer que les philosophes
soient sérieux quand ils le mettent doute.
SCHOPENHAUER, Essai sur le libre arbitre
- 365 -
[366] SUJET N° 342 - 4PHSCIN1 - 2004 - Série S - INDE - SESSION NORMALE
Depuis les Grecs, nous savons qu’une vie politique réellement développée conduit à une remise
en question du domaine de la vie privée, et à un profond ressentiment vis-à-vis du miracle le plus
troublant : le fait que chacun de nous a été fait ce qu’il est - singulier, unique et immuable. Toute
cette sphère du strictement donné, reléguée au rang de la vie privée dans la société civilisée,
constitue une menace permanente pour la sphère publique qui se fonde sur la loi d’égalité avec la
même logique que la sphère privée repose sur la loi de la différence universelle et sur la
différenciation. L’égalité, à la différence de tout ce qui est impliqué dans l’existence pure et
simple, n’est pas quelque chose qui nous est donné mais l’aboutissement de l’organisation
humaine, dans la mesure où elle est guidée par le principe de justice. Nous ne naissons pas
égaux ; nous devenons égaux en tant que membres d’un groupe, en vertu de notre décision de
nous garantir mutuellement des droits égaux.
ARENDT, L’Impérialisme
- 366 -
[367] SUJET N° 343 - 4PHTEIN1 - 2004 - Série TECHN. - INDE - SESSION NORMALE
On dit bien que la liberté de parler ou d’écrire peut assurément nous être enlevée par une autorité
supérieure, mais non point la liberté de penser. Quelles seraient toutefois l’étendue et la justesse
de notre pensée si nous ne pensions pas pour ainsi dire en communauté avec d’autres, dans une
communication réciproque de nos pensées ! On peut donc dire que cette autorité extérieure qui
arrache aux hommes la liberté de faire part publiquement, chacun, de ses pensées, leur arrache en
même temps la liberté de penser, le seul joyau qui nous reste encore dans la multitude des
fardeaux de la vie civile et qui, seul, peut nous aider encore à trouver un remède à tous les maux
de cette condition.
KANT
QUESTIONS :
1° Quelle est la thèse de l’auteur ? Sur quels arguments repose-t-elle ?
2°
a) Que veut dire « l’étendue et la justesse de notre pensée » ?
b) Expliquez pourquoi « la communication réciproque de nos pensées » est la condition d’une
pensée élargie et cohérente ;
c) Pourquoi la liberté de pensée est-elle « le seul joyau qui nous reste encore dans la multitude
des fardeaux de la vie civile » ? Vous vous demanderez ce que veut dire l’adverbe « encore ».
3° Pense-t-on bien quand on pense seul ?
- 367 -
[368] SUJET N° 344 - 4PHSCAN1 - 2004 - Série S - AMERIQUE DU NORD - SESSION
NORMALE
On a établi une fausse comparaison entre les sciences, qui consistent tout entières en une
connaissance qui appartient à l’esprit, et les arts (1), qui exigent quelque exercice et quelque
disposition du corps ; on voyait bien qu’on ne saurait proposer au même homme l’apprentissage
simultané de tous les arts, et qu’au contraire celui qui n’en cultive qu’un seul devient plus
aisément un maître artiste ; en effet, ce ne sont pas les mains d’un même homme qui peuvent
s’accoutumer à cultiver les champs et à jouer de la cithare, ou à remplir différents offices de ce
genre, aussi commodément qu’à pratiquer l’un seulement d’entre eux ; on a donc cru qu’il en
était de même pour les sciences, et, en les distinguant l’une de l’autre à raison de la diversité de
leurs objets, on a pensé qu’il fallait les étudier chacune à part, en laissant toutes les autres de côté.
En quoi l’on s’est assurément trompé.
Toutes les sciences ne sont en effet rien d’autre que l’humaine sagesse, qui demeure toujours une
et identique à elle-même, quelque différents que soient les objets auxquels elle s’applique, et qui
ne reçoit pas d’eux plus de diversité que n’en reçoit la lumière du soleil de la variété des choses
qu’elle éclaire ; il n’y a donc pas lieu de contenir l’esprit en quelques bornes que ce soit ; loin en
effet que la connaissance d’une seule vérité, à l’exemple de la pratique d’un seul art, nous
empêche d’en découvrir une autre, elle nous y aide plutôt.
DESCARTES, Règles pour la direction de l’esprit
(1) Le mot est ici pris dans le sens large qu’il avait anciennement, et qui couvre les métiers et
techniques aussi bien que ce que nous appelons aujourd’hui les « beaux-arts ».
- 368 -
[369] SUJET N° 345 - N/R - 2004 - Série L - AMERIQUE DU NORD - SESSION NORMALE
Ne nous laissons jamais aller aux disputes et aux batailles. Laissons là le combat, et, quels que
soient les outrages que nous infligeront les insensés (car seuls les insensés sont capables
d’outrage), n’y prêtons pas attention ; mettons dans le même sac les honneurs de la foule et ses
injustices : ils ne méritent ni notre joie, ni notre peine.
Sans quoi, la crainte ou l’horreur des offenses nous feront négliger bien des obligations, et nous
nous soustrairons à nos devoirs d’ordre public ou privé, fût-il question de vie ou de mort,
angoissés à l’idée d’entendre une parole blessante. Parfois aussi, exaspérés contre les puissants,
nous laisserons éclater notre colère avec une liberté sans mesure. Or la liberté ne consiste pas à ne
rien supporter : non ! la liberté consiste à placer son âme au-dessus des injustices et à faire de soimême la seule source de ses joies, à rompre avec les éléments extérieurs, pour ne pas avoir à
mener la vie tourmentée de celui qui craint les rires et les mauvaises langues à toute heure et en
tout lieu. Qui en effet ne serait capable de nous infliger une offense, dès lors qu’un seul homme a
eu ce pouvoir ?
SENEQUE, De la Constance du sage
- 369 -
[370] SUJET N° 346 - 4PHESCE1 - 2004 - Série ES - AMERIQUE DU NORD - SESSION
NORMALE
Si en effet, Socrate, tu veux bien faire réflexion sur le sens de cette expression punir les
méchants, cela suffira pour te convaincre que les hommes regardent la vertu comme une chose
qu’on peut acquérir ; personne en effet ne punit un homme injuste par la simple considération et
le simple motif qu’il a commis une injustice, à moins qu’il ne punisse à l’aveugle, comme une
bête féroce ; mais celui qui veut punir judicieusement ne punit pas à cause de l’injustice, qui est
chose passée, car il ne saurait faire que ce qui est fait ne soit pas fait ; mais il punit en vue de
l’avenir, afin que le coupable ne retombe plus dans l’injustice et que son châtiment retienne ceux
qui en sont les témoins. Penser ainsi, c’est penser que la vertu peut être enseignée, puisque le
châtiment a pour but de détourner du vice. Telle est l’opinion de tous ceux qui punissent en leur
nom et au nom de l’Etat.
PLATON, Protagoras
- 370 -
[371] SUJET N° 347 - 4PHME1 - 2004 - Série TMD - METROPOLE - SESSION NORMALE
Les artistes ont un intérêt à ce qu’on croie aux intuitions soudaines, aux prétendues inspirations ;
comme si l’idée de l’œuvre d’art, du poème, la pensée fondamentale d’une philosophie, tombait
du ciel comme un rayon de la grâce. En réalité, l’imagination du bon artiste ou penseur produit
constamment du bon, du médiocre et du mauvais, mais son jugement, extrêmement aiguisé,
exercé, rejette, choisit, combine ; ainsi, l’on se rend compte aujourd’hui d’après les carnets de
Beethoven, qu’il a composé peu à peu ses plus magnifiques mélodies et les a en quelque sorte
triées d’ébauches multiples. Celui qui discerne moins sévèrement et s’abandonne volontiers à la
mémoire reproductrice pourra, dans certaines conditions, devenir un grand improvisateur ; mais
l’improvisation artistique est à un niveau fort bas en comparaison des pensées artistiques choisies
sérieusement et avec peine. Tous les grands hommes sont de grands travailleurs, infatigables non
seulement à inventer, mais encore à rejeter, passer au crible, modifier, arranger.
NIETZSCHE
QUESTIONS :
1° Quelle est l’idée principale et quelles sont les étapes de son développement ?
2° Expliquez
a) « Les artistes ont un intérêt à ce qu’on croie aux intuitions soudaines » ;
b) « son jugement, extrêmement aiguisé, exercé, rejette, choisit, combine » ;
c) « l’improvisation artistique est à un niveau fort bas en comparaison des pensées artistiques
choisies sérieusement et avec peine ».
3° L’œuvre d’art est-elle seulement affaire de jugement ?
- 371 -
[372] SUJET N° 348 - 4PHLILRN1 - 2004 - Série L - LA REUNION - SESSION NORMALE
La solidarité sociale n’existe que du moment où un moi social se surajoute en chacun de nous au
moi individuel. Cultiver ce « moi social » est l’essentiel de notre obligation vis-à-vis de la
société. Sans quelque chose d’elle en nous, elle n’aurait sur nous aucune prise ; et nous avons à
peine besoin d’aller jusqu’à elle, nous nous suffisons à nous-mêmes, si nous la trouvons présente
en nous. Sa présence est plus ou moins marquée selon les hommes ; mais aucun de nous ne
saurait s’isoler d’elle absolument. Il ne le voudrait pas, parce qu’il sent bien que la plus grande
partie de sa force vient d’elle, et qu’il doit aux exigences sans cesse renouvelées de la vie sociale
cette tension ininterrompue de son énergie, cette constance de direction dans l’effort, qui assure à
son activité le plus haut rendement. Mais il ne le pourrait pas, même s’il le voulait, parce que sa
mémoire et son imagination vivent de ce que la société a mis en elles, parce que l’âme de la
société est immanente au langage qu’il parle, et que, même si personne n’est là, même s’il ne fait
que penser, il se parle encore à lui-même. En vain on essaie de se représenter un individu dégagé
de toute vie sociale.
BERGSON, Les deux Sources de la morale et de la religion
- 372 -
[373] SUJET N° 349 - 04PHESLR - 2004 - Série ES - LA REUNION - SESSION NORMALE
Si naturellement, en effet, qu’on fasse son devoir, on peut rencontrer en soi de la résistance ; il est
utile de s’y attendre, et de ne pas prendre pour accordé qu’il soit facile de rester bon époux, bon
citoyen, travailleur consciencieux, enfin honnête homme. Il y a d’ailleurs une forte part de vérité
dans cette opinion ; car s’il est relativement aisé de se maintenir dans le cadre social, encore a-t-il
fallu s’y insérer, et l’insertion exige un effort. L’indiscipline naturelle de l’enfant, la nécessité de
l’éducation, en sont la preuve. Il n’est que juste de tenir compte à l’individu du consentement
virtuellement donné à l’ensemble de ses obligations, même s’il n’a plus à se consulter pour
chacune d’elles. Le cavalier n’a qu’à se laisser porter ; encore a-t-il dû se mettre en selle. Ainsi
pour l’individu vis-à-vis de la société. En un certain sens il serait faux, et dans tous les sens il
serait dangereux, de dire que le devoir peut s’accomplir automatiquement. Erigeons donc en
maxime pratique que l’obéissance au devoir est une résistance à soi-même.
BERGSON, Les deux Sources de la morale et de la religion
- 373 -
[374] SUJET N° 350 - 4PHSCLR1 - 2004 - Série S - LA REUNION - SESSION NORMALE
La vie est tendance, et l’essence d’une tendance est de se développer en forme de gerbe, créant,
par le seul fait de sa croissance, des directions divergentes entre lesquelles se partage son élan.
C’est ce que nous observons sur nous-mêmes dans l’évolution de cette tendance spéciale que
nous appelons notre caractère. Chacun de nous, en jetant un coup d’œil rétrospectif sur son
histoire, constatera que sa personnalité d’enfant, quoique indivisible, réunissait en elle des
personnes diverses qui pouvaient rester fondues ensemble parce qu’elles étaient à l’état naissant :
cette indécision pleine de promesses est même un des plus grands charmes de l’enfance. Mais les
personnalités qui s’entrepénètrent deviennent incompatibles en grandissant, et comme chacun de
nous ne vit qu’une seule vie, force lui est de faire un choix. Nous choisissons en réalité sans
cesse, et sans cesse aussi nous abandonnons beaucoup de choses. La route que nous parcourons
dans le temps est jonchée des débris de tout ce que nous commencions d’être, de tout ce que nous
aurions pu devenir. Mais la nature, qui dispose d’un nombre incalculable de vies, n’est point
astreinte à de pareils sacrifices. Elle conserve les diverses tendances qui ont bifurqué en
grandissant. Elle crée, avec elles, des séries divergentes d’espèces qui évolueront séparément.
BERGSON, L’Evolution créatrice
- 374 -
[375] SUJET N° 351 - 04PHTERE1 - 2004 - Série TECHN. - LA REUNION - SESSION
NORMALE
Parmi les erreurs qui passent pour des vérités établies et sont devenues des préjugés, nous
rencontrons d’abord l’opinion que l’homme est libre naturellement, mais que dans la société, et
dans l’Etat où il entre nécessairement en même temps, il doit restreindre cette liberté naturelle
(...) En ce sens on admet un état de nature où l’homme est représenté en possession de ses droits
naturels dans l’exercice illimité de sa liberté.
Mais la liberté n’est pas comme un état immédiat et naturel, elle doit bien plutôt être acquise et
conquise, et certes, grâce à une intervention infinie de l’éducation du savoir et du vouloir. C’est
pourquoi l’état de nature est plutôt celui de l’injustice, de la violence, de l’instinct naturel
indompté, des actions et des sentiments inhumains. La société et l’Etat imposent assurément des
bornes, limitent ces sentiments informes et ces instincts grossiers (...). Mais cette limitation est la
condition même d’où sortira la délivrance ; et l’Etat comme la société sont les conditions dans
lesquelles bien plutôt la liberté se réalise.
HEGEL
QUESTIONS :
1° Dégagez la thèse du texte et les étapes de son argumentation.
2° Expliquez :
a) « nous rencontrons d’abord l’opinion que l’homme est libre naturellement, mais que dans la
société, et dans l’Etat où il entre nécessairement en même temps, il doit restreindre cette liberté
naturelle » ;
b) « la liberté n’est pas comme un état immédiat et naturel, elle doit bien plutôt être acquise et
conquise ».
3° Pourquoi la liberté doit-elle être conquise ?
- 375 -
[376] SUJET N° 352 - 04PHAALR1 - 2004 - Série STI AA - LA REUNION - SESSION
NORMALE
Le choix n’est certainement pas (...) un souhait, bien qu’il en soit visiblement fort voisin. Il n’y a
pas de choix, en effet, des choses impossibles, et si on prétendait faire porter son choix sur elles
on passerait pour insensé ; au contraire, il peut y avoir souhait de choses impossibles, par
exemple de l’immortalité. D’autre part, le souhait peut porter sur des choses qu’on ne saurait
d’aucune manière mener à bonne fin par soi-même, par exemple faire que tel acteur ou tel athlète
remporte la victoire ; au contraire, le choix ne s’exerce jamais sur de pareilles choses, mais
seulement sur celles qu’on pense pouvoir produire par ses propres moyens. En outre, le souhait
porte plutôt sur la fin, et le choix, sur les moyens pour parvenir à la fin : par exemple, nous
souhaitons être en bonne santé, mais nous choisissons les moyens qui nous feront être en bonne
santé ; nous pouvons dire encore que nous souhaitons d’être heureux, mais il est inexact de dire
que nous choisissons de l’être : car, d’une façon générale, le choix porte, selon toute apparence,
sur les choses qui dépendent de nous.
ARISTOTE
QUESTIONS :
1° Comment Aristote établit-il la distinction qui structure le texte ?
2° Expliquez :
a) « si on prétendait faire porter son choix sur [des choses impossibles] on passerait pour
insensé » ;
b) « le choix [s’exerce] seulement sur celles qu’on pense pouvoir produire par ses propres
moyens » ;
c) « le souhait porte plutôt sur la fin, et le choix, sur les moyens pour parvenir à la fin ».
3° Etre libre, est-ce souhaiter ou choisir ?
- 376 -
[377] SUJET N° 353 - 04PHLAC1 - 2004 - Série L - ANTILLES - SESSION NORMALE
Chacun de nous est un corps soumis aux mêmes lois que toutes les autres portions de matière. Si
on le pousse, il avance ; si on le tire, il recule, si on le soulève et qu’on l’abandonne, il retombe.
Mais, à côté de ces mouvements qui sont provoqués mécaniquement par une cause extérieure, il
en est d’autres qui semblent venir du dedans et qui tranchent sur les précédents par leur caractère
imprévu : on les appelle « volontaires ». Quelle en est la cause ? C’est ce que chacun de nous
désigne par les mots « je » ou « moi ». Et qu’est-ce que le moi ? Quelque chose qui paraît, à tort
ou à raison, déborder de toutes parts le corps qui y est joint, le dépasser dans l’espace aussi bien
que dans le temps. Dans l’espace d’abord, car le corps de chacun de nous s’arrête aux contours
précis qui le limitent, tandis que par notre faculté de percevoir, et plus particulièrement de voir,
nous rayonnons bien au-delà de notre corps : nous allons jusqu’aux étoiles. Dans le temps
ensuite, car le corps est matière, la matière est dans le présent et, s’il est vrai que le passé y laisse
des traces, ce ne sont des traces de passé que pour une conscience qui les aperçoit et qui
interprète ce qu’elle aperçoit à la lumière de ce qu’elle se remémore : la conscience, elle, retient
ce passé, l’enroule sur lui-même au fur et à mesure que le temps se déroule et prépare avec lui un
avenir qu’elle contribuera à créer.
BERGSON, L’Energie spirituelle
- 377 -
[378] SUJET N° 354 - 04PHESAC1 - 2004 - Série ES - ANTILLES - SESSION NORMALE
La patrie ne peut subsister sans la liberté, ni la liberté sans la vertu, ni la vertu sans les citoyens ;
vous aurez tout si vous formez des citoyens ; sans cela vous n’aurez que de méchants esclaves, à
commencer par les chefs de l’Etat. Or former des citoyens n’est pas l’affaire d’un jour ; et pour
les avoir hommes, il faut les instruire enfants. Qu’on me dise que quiconque a des hommes à
gouverner, ne doit pas chercher hors de leur nature une perfection dont ils ne sont pas
susceptibles ; qu’il ne doit pas vouloir détruire en eux les passions, et que l’exécution d’un pareil
projet ne serait pas plus désirable que possible. Je conviendrai d’autant mieux de tout cela, qu’un
homme qui n’aurait point de passions serait certainement un fort mauvais citoyen : mais il faut
convenir aussi que si l’on n’apprend point aux hommes à n’aimer rien, il n’est pas impossible de
leur apprendre à aimer un objet plutôt qu’un autre, et ce qui est véritablement beau, plutôt que ce
qui est difforme. Si, par exemple, on les exerce assez tôt à ne jamais regarder leur individu que
par ses relations avec le corps de l’Etat, et à n’apercevoir, pour ainsi dire, leur propre existence
que comme une partie de la sienne, ils pourront parvenir enfin à s’identifier en quelque sorte avec
ce plus grand tout, à se sentir membres de la patrie, à l’aimer de ce sentiment exquis que tout
homme isolé n’a que pour soi-même, à élever perpétuellement leur âme à ce grand objet, et à
transformer ainsi en une vertu sublime, cette disposition dangereuse d’où naissent tous nos vices.
ROUSSEAU, Sur l’Economie politique
- 378 -
[379] SUJET N° 355 - 04PHSAG1 - 2004 - Série S - ANTILLES - SESSION NORMALE
Pour la vie quotidienne, dont les buts sont changeants et relatifs, des évidences et des vérités
relatives suffisent. Mais la science cherche des vérités qui sont et restent valables une fois pour
toutes, qui sont et doivent rester valables pour tous, elle cherche, par conséquent, des
vérifications originales et radicales. Si, comme elle doit elle-même finir par le reconnaître, la
science ne parvient pas en fait à réaliser un système de vérités absolues, et si elle est contrainte de
modifier sans cesse ses vérités, elle n’en obéit pas moins à l’idée d’une vérité absolue ou
rigoureusement attestée, et elle vit donc dans un horizon infini d’approximations qui convergent
vers cette idée. Grâce à ces approximations, elle croit pouvoir infiniment dépasser la
connaissance naïve et ainsi se dépasser elle-même.
HUSSERL, Méditations cartésiennes
- 379 -
[380] SUJET N° 356 - 04PHTEAG1 - 2004 - Série TECHN. - ANTILLES - SESSION
NORMALE
A quand remets-tu encore le moment de te juger digne des plus grands biens et de ne transgresser
en rien les prescriptions de la raison ? Tu as reçu en dépôt les principes, que tu devais t’engager à
mettre en pratique, et tu t’es engagé. Quel maître attends-tu donc encore, pour t’en remettre à lui
du soin de ton propre redressement ? Tu n’es plus un adolescent, mais te voici un homme fait. Si
maintenant tu donnes dans la négligence et dans la nonchalance, si toujours tu ajoutes les délais
aux délais, si tu remets jour après jour le moment fixé pour t’occuper de toi-même, sans même
t’en rendre compte tu n’auras fait aucun progrès, et c’est en profane (1) que tu traverseras la vie
et la mort. Dès maintenant donc, juge-toi digne de vivre en adulte et en homme qui progresse :
que tout ce qui est manifestement le meilleur soit pour toi une loi inviolable. Que la vie t’apporte
de la peine ou de l’agrément, de la gloire ou de l’obscurité, souviens-toi que c’est l’heure du
combat, qu’il n’y a plus moyen de différer, qu’un seul jour, une seule action commande la ruine
ou le salut de ton progrès.
EPICTETE
(1) « profane » : ignorant.
QUESTIONS :
1° A quoi invite ici Epictète et pour quelles raisons ?
2° Expliquez :
a) « tu as reçu en dépôt les principes, que tu devais t’engager à mettre en pratique, et tu t’es
engagé » ;
b) « si tu remets jour après jour le moment fixé pour t’occuper de toi-même, sans même t’en
rendre compte tu n’auras fait aucun progrès » ;
c) « juge-toi digne de vivre en adulte et en homme qui progresse ».
3° Vivre selon la raison, est-ce un combat ?
- 380 -
[381] SUJET N° 357 - 04PHAAAG1 - 2004 - Série STI AA - ANTILLES - SESSION
NORMALE
La puissance des lois dépend encore plus de leur propre sagesse que de la sévérité de leurs
ministres, et la volonté publique tire son plus grand poids de la raison qui l’a dictée : c’est pour
cela que Platon (1) regarde comme une précaution très importante de mettre toujours à la tête des
édits un préambule raisonné qui en montre la justice et l’utilité. En effet, la première des lois est
de respecter les lois : la rigueur des châtiments n’est qu’une vaine ressource imaginée par de
petits esprits pour substituer la terreur à ce respect qu’ils ne peuvent obtenir. On a toujours
remarqué que les pays où les supplices sont les plus terribles, sont aussi ceux où ils sont le plus
fréquents ; de sorte que la cruauté des peines ne marque guère que la multitude des infracteurs
(2), et qu’en punissant tout avec la même sévérité, l’on force les coupables de commettre des
crimes pour échapper à la punition de leurs fautes.
ROUSSEAU
(1) La connaissance de la doctrine de Platon n’est pas requise pour l’explication.
(2) « infracteurs » : ceux qui commettent des infractions, qui désobéissent aux lois.
QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée directrice de ce texte et les étapes de son argumentation.
2° Expliquez :
a) « la volonté publique tire son plus grand poids de la raison qui l’a dictée » ;
b) « la première des lois est de respecter les lois » ;
c) « l’on force les coupables de commettre des crimes pour échapper à la punition de leurs
fautes ».
3° D’où vient la force des lois ?
- 381 -
[382] SUJET N° 358 - 04PHLIPO1 - 2004 - Série L - POLYNESIE - SESSION NORMALE
L’inclination, la tendance au bonheur de leur nature est pour les hommes une obligation et une
raison de prendre soin de ne pas se tromper de bonheur ni de le manquer ; elles les engagent donc
nécessairement à la circonspection, à la délibération et à la prudence dans la conduite des actions
particulières qui sont les moyens d’obtenir ce bonheur. Quelle que soit la nécessité déterminant à
la poursuite du bonheur authentique, la même nécessité, dotée de la même force, établit la
suspension, la délibération et la circonspection envers tout désir qui se présente : le satisfaire,
n’est-ce pas interférer avec notre vrai bonheur et nous en détourner ? Ceci me semble être le
grand privilège des êtres raisonnables ; et je voudrais qu’on se demande sérieusement si la source
et la mise en œuvre majeures de toute la liberté qu’ont les hommes, qu’ils peuvent acquérir, ou
qui peut leur être utile, et dont dépend la tournure de leurs actions, ne résident pas en ce qu’ils
peuvent suspendre leurs désirs, et les empêcher de déterminer leur volonté à une action jusqu’à ce
qu’ils aient soigneusement et correctement examiné le bien et le mal, autant que l’exige
l’importance de la chose. Ceci, nous sommes capables de le faire ; et quand nous l’avons fait,
nous avons fait notre devoir, tout ce qui est en notre pouvoir, et tout ce qui est effectivement
nécessaire.
LOCKE, Essai sur l’entendement humain
- 382 -
[383] SUJET N° 359 - 04PHESPY1 - 2004 - Série ES - POLYNESIE - SESSION NORMALE
Je remarque que nos choix sont toujours faits. Nous délibérons après avoir choisi, parce que nous
choisissons avant de savoir. Soit un métier : comment le choisit-on ? Avant de le connaître. Où je
vois premièrement une alerte négligence, et une sorte d’ivresse de se tromper, comme on dit
quelquefois pour les mariages. Mais j’y vois bien aussi une condition naturelle, puisqu’on ne
connaît bien un métier qu’après l’avoir fait longtemps. Bref, notre volonté s’attache toujours, si
raisonnable qu’elle soit, à sauver ce qu’elle peut d’un choix qui ne fut guère raisonnable. Ainsi
nos choix sont toujours derrière nous. Comme le pilote, qui s’arrange du vent et de la vague,
après qu’il a choisi de partir. Mais disons aussi que presque tous nous n’ouvrons point le paquet
quand nous pourrions. Toujours est-il que chacun autour de nous accuse le destin d’un choix que
lui-même a fait. A qui ne pourrions-nous pas dire : « C’est toi qui l’a voulu », ou bien, selon
l’esprit de Platon : « C’était dans ton paquet » ?
ALAIN, Idées
- 383 -
[384] SUJET N° 360 - 04PHSCPO1 - 2004 - Série S - POLYNESIE - SESSION NORMALE
C’est la société qui trace à l’individu le programme de son existence quotidienne. On ne peut
vivre en famille, exercer sa profession, vaquer aux mille soins de la vie journalière, faire ses
emplettes, se promener dans la rue ou même rester chez soi, sans obéir à des prescriptions et se
plier à des obligations. Un choix s’impose à tout instant ; nous optons naturellement pour ce qui
est conforme à la règle. C’est à peine si nous en avons conscience ; nous ne faisons aucun effort.
Une route a été tracée par la société ; nous la trouvons ouverte devant nous et nous la suivons ; il
faudrait plus d’initiative pour prendre à travers champs. Le devoir, ainsi entendu, s’accomplit
presque toujours automatiquement ; et l’obéissance au devoir, si l’on s’en tenait au cas le plus
fréquent, se définirait un laisser-aller ou un abandon. D’où vient donc que cette obéissance
apparaît au contraire comme un état de tension, et le devoir lui-même comme une chose raide et
dure ? C’est évidemment que des cas se présentent où l’obéissance implique un effort sur soimême. Ces cas sont exceptionnels ; mais on les remarque, parce qu’une conscience intense les
accompagne, comme il arrive pour toute hésitation ; à vrai dire, la conscience est cette hésitation
même.
BERGSON, Les deux Sources de la morale et de la religion
- 384 -
[385] SUJET N° 361 - 04PHTEPO1 - 2004 - Série TECHN. - POLYNESIE - SESSION
NORMALE
Si tout homme avait suffisamment de sagacité (1) pour percevoir à tout moment le puissant
intérêt qui l’oblige à l’observance (2) de la justice et de l’équité, et une force de caractère
suffisante pour persévérer dans une constante adhésion à un intérêt général et lointain, en
résistant aux séductions du plaisir et de l’avantage présents, il n’y aurait jamais eu, dans ce cas,
de choses telles que le gouvernement ou la société politique, mais chacun, en suivant sa liberté
naturelle, aurait vécu en toute paix et en parfaite harmonie avec tous les autres. Où est le besoin
d’une loi positive, là où la justice naturelle est, en soi, un frein suffisant ? Pourquoi créer des
magistrats, là où n’apparaissent jamais de désordre ou d’iniquité ? Pourquoi réduire notre liberté
naturelle, lorsque, dans tous les cas, son entier exercice se révèle innocent et bénéfique ? Il est
évident que, si le gouvernement était totalement inutile, il n’aurait pas lieu d’être, et que l’unique
fondement du devoir d’allégeance (3) est l’avantage qu’il procure à la société, en préservant la
paix et l’ordre parmi les hommes.
HUME
(1) « sagacité » : intelligence.
(2) « observance » : respect.
(3) « allégeance » : obéissance.
QUESTIONS :
1° Quel est le problème posé par Hume dans le texte et quelle thèse soutient-il ?
2° Expliquez :
a) « persévérer dans une constante adhésion à un intérêt général et lointain » ;
b) « en suivant sa liberté naturelle » ;
c) « le besoin d’une loi positive ».
3° L’intérêt est-il le seul fondement du droit ?
- 385 -
[386] SUJET N° 362 - 04PHLIAN2N - 2004 - Série L - LIBAN - SESSION NORMALE
Ce qu’il y a de plus insensé, c’est de croire que tout ce qui est réglé par les institutions ou les lois
des peuples est juste. Quoi ! Même les lois des tyrans ? Si les Trente (1) avaient voulu imposer
aux Athéniens des lois, et si tous les Athéniens avaient aimé ces lois dictées par des tyrans,
devrait-on les tenir pour juste ? Le seul droit est celui qui sert de lien à la société, et une seule loi
l’institue : cette loi qui établit selon la droite raison des obligations et des interdictions. Qu’elle
soit écrite ou non, celui qui l’ignore est injuste. Mais si la justice est l’obéissance aux lois écrites
et aux institutions des peuples et si, comme le disent ceux qui le soutiennent, l’utilité est la
mesure de toutes choses, il méprisera et enfreindra les lois, celui qui croira y voir son avantage.
Ainsi plus de justice, s’il n’y a pas une nature pour la fonder ; si c’est sur l’utilité qu’on la fonde,
une autre utilité la renverse. Si donc le droit ne repose pas sur la nature, toutes les vertus
disparaissent.
CICERON, Des Lois
(1) Nom donné au gouvernement imposé par les Spartiates après la défaite d’Athènes.
- 386 -
[387] SUJET N° 363 - 04PHESLE1 - 2004 - Série ES - LIBAN - SESSION NORMALE
Il est extrêmement utile de faire souvent réflexion sur les manières presque infinies dont les
hommes sont liés aux objets sensibles ; et un des meilleurs moyens pour se rendre assez savant
dans ces choses, c’est de s’étudier et de s’observer soi-même. C’est par l’expérience de ce que
nous sentons dans nous-mêmes que nous nous instruisons avec une entière assurance de toutes les
inclinations des autres hommes, et que nous connaissons avec quelque certitude une grande partie
des passions auxquelles ils sont sujets. Que si (1) nous ajoutons à ces expériences la connaissance
des engagements particuliers où ils se trouvent et celle des jugements propres à chacune des
passions desquels nous parlerons dans la suite, nous n’aurons peut-être pas tant de difficultés à
deviner la plupart de leurs actions que les astronomes en ont à prédire les éclipses. Car encore
que les hommes soient libres, il est très rare qu’ils fassent usage de leur liberté contre leurs
inclinations naturelles et leurs passions violentes.
MALEBRANCHE, La Recherche de la vérité
(1) « Que si nous ajoutons » : si nous ajoutons.
- 387 -
[388] SUJET N° 364 - 04PHSCLI1 - 2004 - Série S - LIBAN - SESSION NORMALE
Des chercheurs, qui ne refuse pas de reconnaître les faits psychanalytiques, mais ne veulent pas
admettre l’inconscient, se tirent d’affaire à l’aide du fait incontesté que la conscience aussi - en
tant que phénomène - présente une large échelle de gradation dans l’intensité ou la clarté. De
même qu’il y a des processus qui sont conscients d’une façon très vive, très aiguë et très
saisissable, de même l’expérience vécue nous en présente d’autres qui ne sont conscients que
d’une façon faible et même à peine discernable ; et les plus faiblement conscients d’entre eux
seraient précisément ceux pour lesquels la psychanalyse prétend employer le terme impropre
d’inconscient. Ces processus seraient néanmoins conscients eux aussi ou "dans la conscience", et
pourraient être rendus pleinement et fortement conscients si on leur accordait une attention
suffisante.
Pour autant que des arguments puissent avoir une influence sur la décision dans une telle question
qui dépend ou bien d’une convention ou bien de facteurs affectifs, on peut ajouter ici les
remarques suivantes : la référence à une échelle de clarté dans le fait d’être conscient n’a rien de
contraignant et n’a pas plus de force démonstrative que les propositions de ce genre : il y a tant de
degrés d’éclairement depuis la lumière la plus vive et aveuglante jusqu’à la faible lueur que, par
conséquent, il n’y a absolument pas d’obscurité. [...] En outre, en subsumant l’imperceptible sous
le conscient (1), on n’aboutit qu’à porter atteinte à la seule et unique certitude immédiate qui soit
dans le psychique. Une conscience dont on ne sait rien, cela me paraît beaucoup plus absurde
qu’un psychique inconscient.
FREUD, Le Moi et le ça
(1) « en subsumant l’imperceptible sous le conscient » : en comprenant l’imperceptible dans le
conscient.
- 388 -
[389] SUJET N° 365 - 04PHLIJA1 - 2004 - Série L - JAPON - SESSION NORMALE
Les esprits bouillants, les imaginations ardentes ne s’accommodent pas de l’indolence des
sceptiques. Ils aiment mieux hasarder un choix que de n’en faire aucun ; se tromper que de vivre
incertains : soit qu’ils se méfient de leurs bras, soit qu’ils craignent la profondeur des eaux, on les
voit toujours suspendus à des branches dont ils sentent toute la faiblesse et auxquelles ils aiment
mieux demeurer accrochés que de s’abandonner au torrent. Ils assurent tout, bien qu’ils n’aient
rien soigneusement examiné : ils ne doutent de rien, parce qu’ils n’en ont ni la patience ni le
courage. Sujets à des lueurs qui les décident, si par hasard ils rencontrent la vérité, ce n’est point
à tâtons, c’est brusquement, et comme par révélation. J’ai vu des individus de cette espèce
inquiète qui ne concevaient pas comment on pouvait allier la tranquillité d’esprit avec
l’indécision.
« Le moyen de vivre heureux sans savoir qui l’on est, d’où l’on vient, où l’on va, pourquoi l’on
est venu ! » Je me pique d’ignorer tout cela, sans en être plus malheureux, répondait froidement
le sceptique : ce n’est point ma faute si j’ai trouvé ma raison muette quand je l’ai questionnée sur
mon état. Toute ma vie j’ignorerai, sans chagrin, ce qu’il m’est impossible de savoir. Pourquoi
regretterai-je des connaissances que je n’ai pu me procurer, et qui, sans doute, ne sont pas fort
nécessaires, puisque j’en suis privé ? J’aimerais autant, a dit un des premiers génies de notre
siècle, m’affliger sérieusement de n’avoir pas quatre yeux, quatre pieds et deux ailes.
DIDEROT, Pensées philosophiques
- 389 -
[390] SUJET N° 366 - 04PHSCJA1 - 2004 - Série S - JAPON - SESSION NORMALE
Déjà l’observation a besoin d’un corps de précautions qui conduisent à réfléchir avant de
regarder, qui réforment du moins la première vision, de sorte que ce n’est jamais la première
observation qui est la bonne. L’observation scientifique est toujours une observation polémique ;
elle confirme ou infirme une thèse antérieure, un schéma préalable, un plan d’observation ; elle
montre en démontrant ; elle hiérarchise les apparences ; elle transcende l’immédiat ; elle
reconstruit le réel après avoir reconstruit ses schémas. Naturellement, dès qu’on passe de
l’observation à l’expérimentation, le caractère polémique de la connaissance devient plus net
encore. Alors il faut que le phénomène soit trié, filtré, épuré, coulé dans le moule des instruments,
produit sur le plan des instruments. Or les instruments ne sont que des théories matérialisées. Il
en sort des phénomènes qui portent de toutes parts la marque théorique.
BACHELARD, Le nouvel Esprit scientifique
- 390 -
[391] SUJET N° 367 - 04PHLIG11 - 2004 - Série L - ETRANGER GROUPE 1 - SESSION
NORMALE
Bien que le gouvernement soit une invention très profitable et même, dans certaines
circonstances, absolument nécessaire à l’espèce humaine, elle n’est pas nécessaire dans toutes les
circonstances, et les hommes ne sont pas dans l’impossibilité de maintenir un certain temps la
société sans avoir recours à cette invention. Ils sont, c’est vrai, toujours plus enclins à préférer
l’intérêt présent à celui qui est distant et éloigné, et il ne leur est pas facile de résister à la
tentation d’un bien dont ils peuvent profiter immédiatement, parce qu’ils craignent un mal qui se
trouve au loin ; mais cette faiblesse, cependant, se fait moins remarquer quand les possessions et
les plaisirs de la vie sont peu nombreux et de peu de valeur, ainsi qu’ils le sont toujours dans
l’enfance de la société. Un Indien n’est que peu tenté d’en déposséder un autre de sa hutte ou de
lui voler son arc, puisqu’il est déjà pourvu des mêmes avantages ; quant à la plus grande chance
qui peut, à la pêche ou à la chasse, aider l’un plus que l’autre, elle n’est qu’accidentelle et
temporaire et elle ne tendra que faiblement à troubler la société. Et je suis si loin de penser, avec
certains philosophes, que les hommes sont totalement incapables de faire société sans
gouvernement, que j’affirme que les premiers rudiments de gouvernement ne résultent pas de
querelles entre hommes d’une même société, mais entre hommes de sociétés différentes.
HUME, Traité de la nature humaine
- 391 -
[392] SUJET N° 368 - 04PHSCG11 - 2004 - Série S - ETRANGER GROUPE 1 - SESSION
NORMALE
Il existe une loi vraie, c’est la droite raison, conforme à la nature, répandue dans tous les êtres,
toujours d’accord avec elle-même, non sujette à périr, qui nous appelle impérieusement à remplir
notre fonction, nous interdit la fraude et nous en détourne. L’honnête homme n’est jamais sourd à
ses commandements et à ses défenses ; ils sont sans actions sur le pervers. A cette loi nul
amendement n’est permis, il n’est licite de l’abroger ni en totalité ni en partie. [...] Cette loi n’est
pas autre à Athènes, autre à Rome, autre aujourd’hui, autre demain, c’est une seule et même loi
éternelle et immuable, qui régit toutes les nations et en tout temps, il y a pour l’enseigner et la
prescrire à tous un dieu unique : conception, délibération, mise en vigueur de la loi lui
appartiennent également. Qui n’obéit pas à cette loi s’ignore lui-même et, parce qu’il aura
méconnu la nature humaine, il subira par cela même le plus grand châtiment, même s’il échappe
aux autres supplices.
CICERON, De la République
- 392 -
[393] SUJET N° 369 - 04PHTEG11 - 2004 - Série TECHN. - ETRANGER GROUPE 1 SESSION NORMALE
Il semble, à première vue, que de tous les animaux qui peuplent le globe terrestre, il n’y en ait pas
un à l’égard duquel la nature ait usé de plus de cruauté qu’envers l’homme : elle l’a accablé de
besoins et de nécessités innombrables et l’a doté de moyens insuffisants pour y subvenir. Chez
les autres créatures, ces deux éléments se compensent l’un l’autre. Si nous regardons le lion en
tant qu’animal carnivore et vorace, nous aurons tôt fait de découvrir qu’il est très nécessiteux ;
mais si nous tournons les yeux vers sa constitution et son tempérament, son agilité, son courage,
ses armes et sa force, nous trouverons que ces avantages sont proportionnés à ses besoins. Le
mouton et le bœuf sont privés de tous ces avantages, mais leurs appétits sont modérés et leur
nourriture est d’une prise facile. Il n’y a que chez l’homme que l’on peut observer à son plus haut
degré d’achèvement cette conjonction, qui n’est pas naturelle, de la faiblesse et du besoin.
[...] Ce n’est que par la société qu’il est capable de suppléer à ses déficiences et de s’élever à une
égalité avec les autres créatures, voire d’acquérir une supériorité sur elles. Par la société, toutes
ses infirmités sont compensées et, bien qu’en un tel état ses besoins se multiplient sans cesse,
néanmoins ses capacités s’accroissent toujours plus et le laissent, à tous points de vue, plus
satisfait et plus heureux qu’il ne pourrait jamais le devenir dans sa condition sauvage et solitaire.
HUME
QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée principale du texte et les étapes de son argumentation.
2° En vous appuyant sur le texte, répondez aux questions suivantes :
a) qu’est-ce qui distingue l’homme des autres animaux ?
b) pourquoi le mouton et le bœuf ne sont-ils pas désavantagés par rapport au lion ?
3° Qu’est-ce que la vie en société apporte à l’homme ?
- 393 -
[394] SUJET N° 370 - 04PHLIME3 - 2004 - Série L - METROPOLE - SESSION REMPL.
Quand quelqu’un ne trouve pas beau un édifice, un paysage, un poème, il ne se laisse pas imposer
intérieurement l’assentiment par cent voix, qui toutes louent ces choses. Certes il peut faire
comme si cela lui plaisait à lui aussi, afin de ne pas passer pour dépourvu de goût et il peut même
commencer à douter d’avoir assez formé son goût à la connaissance d’un nombre suffisant de
choses de ce genre (tout de même que celui qui croit de loin voir une forêt, tandis que d’autres
aperçoivent une ville, doute du jugement de sa propre vue). Mais ce qu’il voit bien clairement,
c’est que l’assentiment d’autrui ne constitue pas une preuve valable pour le jugement sur la
beauté. Et si d’autres peuvent voir et observer pour lui, et si ce que beaucoup ont vu d’une même
manière peut constituer une raison démonstrative suffisante pour lui au point de vue théorique et
par conséquent logique, même s’il croit avoir vu autrement, en revanche jamais ce qui a plu à un
autre ne saurait servir de fondement à un jugement esthétique. Le jugement d’autrui défavorable à
notre égard peut sans doute à bon droit nous rendre incertain sur le nôtre, mais il ne saurait jamais
nous convaincre qu’il n’est pas légitime. Ainsi il n’existe aucune raison démonstrative empirique
pour imposer le jugement de goût à quelqu’un.
KANT, Critique de la faculté de juger
- 394 -
[395] SUJET N° 371 - 4PHESMELRG13 - 2004 - Série ES - METROPOLE - SESSION
REMPL.
Le magistrat n’a pas à se soucier du bien des âmes, ni de leurs affaires dans l’autre monde. Si on
l’institue, et si on lui confie le pouvoir, c’est seulement pour que les hommes puissent vivre en
paix et en sécurité en société les uns avec les autres. En outre, il est évident que si le magistrat
ordonne la pratique des vertus, ce n’est pas parce qu’elles sont vertueuses et qu’elles obligent en
conscience, ni parce qu’elles sont des devoirs que l’homme doit à Dieu, ni parce qu’elles sont la
voie qu’il faut suivre pour obtenir sa grâce et sa faveur, mais seulement parce qu’elles sont
avantageuses à l’homme dans ses rapports avec ses semblables, et parce que la plupart d’entre
elles sont des liens et des nœuds fort solides pour la société, et qu’on ne saurait les relâcher sans
ruiner tout l’édifice.
Pour d’autres actions, qui n’ont pas une telle influence sur l’Etat, il peut bien s’agir de vices que
l’on reconnaît pour tels à l’égard des autres - comme la convoitise, la désobéissance aux parents,
l’ingratitude, la méchanceté, le désir de revanche et bien d’autres encore - mais le magistrat ne
tire jamais le glaive pour les combattre.
LOCKE, Essai sur la tolérance
- 395 -
[396] SUJET N° 372 - 4PHSCME3 - 2004 - Série S - METROPOLE - SESSION REMPL.
Communément l’on entend pas par loi autre chose qu’un commandement, que les hommes
peuvent également exécuter ou négliger, attendu qu’il contient la puissance de l’homme dans des
limites déterminées au-delà desquels cette puissance s’étend, et ne commande rien qui dépasse
ses forces ; il semble que l’on doive définir la loi comme une règle de vie que l’homme s’impose
à lui-même ou impose à d’autres pour une fin quelconque. Toutefois, comme la vraie fin des lois
n’apparaît d’ordinaire qu’à un petit nombre et que la plupart des hommes sont à peu près
incapables de la percevoir, leur vie étant d’ailleurs fort peu conforme à la Raison, les législateurs
ont sagement institué une autre fin bien différente de celle qui suit nécessairement de la nature
des lois ; il promettent aux défenseurs des lois ce que le vulgaire (1) aime le plus, tandis qu’ils
menacent leurs violateurs de ce qu’ils redoutent le plus. Ils se sont ainsi efforcés de contenir le
vulgaire dans la mesure où il est possible de le faire, comme on contient un cheval à l’aide d’un
frein. De là cette conséquence qu’on a surtout tenu pour loi une règle de vie prescrite aux
hommes par le commandement d’autres hommes, si bien que, suivant le langage courant, ceux
qui obéissent aux lois, vivent sous l’empire de la loi et qu’ils semblent être asservis. Il est très
vrai que celui qui rend à chacun le sien par crainte du gibet, agit par le commandement d’autrui et
est contraint par le mal qu’il redoute ; on ne peut dire qu’il soit juste ; mais celui qui rend à
chacun le sien parce qu’il connaît la vraie raison des lois et leur nécessité, agit en constant accord
avec lui-même et par son propre décret, non par le décret d’autrui ; il mérite donc être appelé
juste.
SPINOZA, Traité théologico-politique
(1) « le vulgaire » : le commun des hommes.
- 396 -
[397] SUJET N° 373 - 4PHTEME3 - 2004 - Série TECHN. - METROPOLE - SESSION
REMPL.
Nous pouvons observer que cette uniformité du genre humain n’empêche pas qu’il n’y ait
beaucoup de diversité dans les sentiments de beauté et de valeur, et que l’éducation, la coutume,
le préjugé, le caprice et l’humeur modifient fréquemment notre goût. Vous ne convaincrez jamais
un homme à qui la musique italienne n’est pas familière et dont l’oreille n’est pas habituée à
suivre les complications de cette musique, qu’un air écossais n’est pas préférable. Vous n’avez
même pas un seul argument, autre que votre propre goût, que vous puissiez employer pour
soutenir votre cause ; et votre adversaire trouvera toujours en son goût personnel un argument
plus convaincant en faveur de l’opinion contraire. Si vous êtes sages, chacun de vous accordera
que l’autre peut avoir raison ; et comme il y a de nombreux exemples de cette diversité de goût,
vous reconnaîtrez ensemble que beauté et valeur sont purement relatives et dépendent d’un
sentiment agréable produit par un objet dans un esprit particulier conformément à la constitution
et à la structure propre de cet esprit.
HUME
QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée centrale du texte et son argumentation.
2° Expliquez :
a) « l’éducation, la coutume, le préjugé, le caprice et l’humeur modifient fréquemment notre
goût » ;
b) « vous n’avez même pas un seul argument, autre que votre propre goût, que vous puissiez
employer pour soutenir votre cause » ;
c) « beauté et valeur [...] dépendent d’un sentiment agréable produit par un objet dans un esprit
particulier ».
3° Est-il vrai que les hommes ne puissent s’entendre sur la valeur et la beauté d’une œuvre d’art ?
- 397 -
[398] SUJET N° 374 - 4PHMEREMACE1 - 2004 - Série TMD - METROPOLE - SESSION
REMPL.
C’est beaucoup que d’avoir fait régner l’ordre et la paix dans toutes les parties de la république ;
c’est beaucoup que l’Etat soit tranquille et la loi respectée : mais si on ne fait rien de plus il y aura
dans tout cela plus d’apparence que de réalités, et le gouvernement se fera difficilement obéir s’il
se borne à l’obéissance. S’il est bon de savoir employer les hommes tels qu’ils sont, il vaut
beaucoup mieux encore les rendre tels qu’on a besoin qu’ils soient ; l’autorité la plus absolue est
celle qui pénètre jusqu’à l’intérieur de l’homme, et ne s’exerce pas moins sur la volonté que sur
les actions. Il est certain que les peuples sont à la longue ce que le gouvernement les fait être.
Guerriers, citoyens, hommes, quand il le veut : populace et canaille, quand il lui plaît : et tout
prince qui méprise ses sujets se déshonore lui-même en montrant qu’il n’a pas su les rendre
estimables. Formez donc des hommes si vous voulez commander à des hommes : si vous voulez
qu’on obéisse aux lois, faites qu’on les aime, et que pour faire ce qu’on doit, il suffise de songer
qu’on le doit faire.
ROUSSEAU
QUESTIONS :
1° Quelle est l’idée principale et quelles sont les étapes de son développement ?
2° Expliquez :
a) « l’autorité la plus absolue est celle qui pénètre jusqu’à l’intérieur de l’homme » ;
b) « guerriers, citoyens, hommes, quand il le veut : populace et canaille, quand il lui plaît » ;
c) « formez donc des hommes si vous voulez commander à des hommes ».
3° Revient-il à l’Etat de faire aimer la loi ?
- 398 -
[399] SUJET N° 375 - 4PHLIPO2 - 2004 - Série L - POLYNESIE - SESSION REMPL.
L’histoire nous enseigne qu’à chaque moment il a existé autre chose ; la philosophie s’efforce au
contraire de nous élever à cette idée que de tout temps la même chose a été, est et sera. En réalité
l’essence de la vie humaine comme de la nature est tout entière présente en tout lieu, à tout
moment, et n’a besoin, pour être reconnue jusque dans sa source, que d’une certaine profondeur
d’esprit. Mais l’histoire espère suppléer à la profondeur par la largeur et par l’étendue : tout fait
présent n’est pour elle qu’un fragment, que doit compléter un passé d’une longueur infinie et
auquel se rattache un avenir infini lui-même. Tel est l’origine de l’opposition entre les esprits
philosophiques et historiques : ceux-là veulent sonder, ceux-ci veulent énumérer jusqu’au bout.
[...] La multiplicité n’est que phénomène, et les faits extérieurs, simples formes du monde
phénoménal, n’ont par là ni réalité ni signification immédiate. Vouloir en donner une explication
et une interprétation directe équivaut donc à vouloir distinguer dans les contours d’un nuage des
groupes d’hommes et d’animaux. Ce que raconte l’histoire n’est en fait que le long rêve, le songe
lourd et confus de l’humanité.
SCHOPENHAUER, Le Monde comme volonté et comme représentation
- 399 -
[400] SUJET N° 376 - PHSCP03 - 2004 - Série S - POLYNESIE - SESSION REMPL.
Tout animal a des idées puisqu’il a des sens, il combine même ses idées jusqu’à un certain point,
et l’homme ne diffère à cet égard de la bête que du plus au moins : quelques philosophes ont
même avancé qu’il y a plus de différence de tel homme à tel homme que de tel homme à telle
bête ; ce n’est donc pas tant l’entendement qui fait parmi les animaux la distinction spécifique de
l’homme que sa qualité d’agent libre. La nature commande à tout animal, et la bête obéit.
L’homme éprouve la même impression, mais il se reconnaît libre d’acquiescer, ou de résister ; et
c’est surtout dans la conscience de cette liberté que se montre la spiritualité de son âme : car la
physique explique en quelque manière le mécanisme des sens et la formation des idées ; mais
dans la puissance de vouloir ou plutôt de choisir, et dans le sentiment de cette puissance on ne
trouve que des actes purement spirituels, dont on n’explique rien par les lois de la mécanique.
ROUSSEAU, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes
- 400 -
[401] SUJET N° 377 - 4PHTEPO3 - 2004 - Série TECHN. - POLYNESIE - SESSION REMPL.
Le choix judicieux est l’affaire des gens de savoir : par exemple le choix d’un géomètre
appartient à ceux qui sont versés dans la géométrie, et le choix d’un pilote à ceux qui connaissent
l’art de gouverner un navire. Car, en admettant même que, dans certains travaux et certains arts,
des profanes (1) aient voix au chapitre, leur choix en tout cas n’est pas meilleur que celui des
hommes compétents. Par conséquent, en vertu de ce raisonnement, on ne devrait pas abandonner
à la masse des citoyens la haute main sur les élections de magistrats (2). Mais peut-être cette
conclusion n’est-elle pas du tout pertinente, si la multitude à laquelle on a affaire n’est pas d’un
niveau par trop bas (car, bien que chaque individu pris séparément puisse être plus mauvais juge
que les gens de savoir, tous, une fois réunis en corps, ne laisseront pas d’être de meilleurs juges
que ces derniers, ou du moins pas plus mauvais), et aussi parce que il y a certaines réalisations
pour lesquelles leurs auteurs ne sauraient être seul juge ni même le meilleur juge : nous voulons
parler de ces arts dont les productions peuvent être appréciées en connaissance de cause même
par des personnes étrangères à l’art en question : ainsi la connaissance d’une maison n’appartient
pas seulement à celui qui l’a construite ; mais meilleur juge encore sera celui qui l’utilise (en
d’autres termes le maître de maison), et le pilote portera sur un gouvernail une meilleure
appréciation qu’un charpentier, et l’invité jugera mieux un bon repas que les cuisiniers.
ARISTOTE
(1) « profanes » : ici, les ignorants.
(2) « magistrats » : ici, les représentants politiques.
QUESTIONS :
1° En étudiant le raisonnement d’Aristote, dégagez la thèse qu’il soutient.
2° Expliquez :
a) « Le choix judicieux est l’affaire des gens de savoir » ;
b) « si la multitude à laquelle on a affaire n’est pas d’un niveau par trop bas » ;
c) « mais meilleur juge encore sera celui qui l’utilise ».
3° Est-ce au peuple qu’il appartient de faire les lois ?
- 401 -
[402] SUJET N° 378 - 4PHLAC3 - 2004 - Série L - ANTILLES - SESSION REMPL.
C’est le futur qui décide si le passé est vivant ou mort. Le passé, en effet, est originellement
projet, comme le surgissement actuel de mon être. Et, dans la mesure même où il est projet, il est
anticipation ; son sens lui vient de l’avenir qu’il préesquisse. Lorsque le passé glisse tout entier au
passé, sa valeur absolue dépend de la confirmation ou de l’infirmation des anticipations qu’il
était. Mais c’est précisément de ma liberté actuelle qu’il dépend de confirmer le sens de ces
anticipations, en les reprenant à son compte, c’est-à-dire en anticipant, à leur suite, l’avenir
qu’elles anticipaient ou de les infirmer en anticipant simplement un autre avenir. Ainsi l’ordre de
mes choix d’avenir va déterminer un ordre de mon passé et cet ordre n’aura rien de
chronologique. Il y aura d’abord le passé toujours vivant et toujours confirmé : mon engagement
d’amour, tels contrats d’affaires, telle image de moi-même à quoi je suis fidèle. Puis le passé
ambigu qui a cessé de me plaire et que je retiens par un biais : par exemple, ce costume que je
porte - et que j’achetai à une certaine époque où j’avais le goût d’être à la mode - me déplaît
souverainement à présent et, de ce fait, le passé où je l’ai choisi est véritablement mort. Mais
d’autre part mon projet actuel d’économie est tel que je dois continuer à porter ce costume plutôt
que d’en acquérir un autre. Dès lors il appartient à un passé mort et vivant à la fois.
SARTRE, L’Etre et le néant
- 402 -
[403] SUJET N° 379 - 4PHESAC3 - 2004 - Série ES - ANTILLES - SESSION REMPL.
Si, comme je le crois, les sentiments moraux ne sont pas innés, mais acquis, ils n’en sont pas
moins, pour cela, naturels. Il est naturel à l’homme de parler, de raisonner, de bâtir des villes, de
cultiver le sol, quoique ce soient là des facultés acquises. Les sentiments moraux, à la vérité, ne
font pas partie de notre nature, si on entend par là qu’ils devraient être présents chez nous tous, à
un degré appréciable quelconque ; fait regrettable, sans doute, et reconnu par ceux qui croient le
plus fortement à l’origine transcendante de ces sentiments. Cependant, comme les autres
aptitudes acquises, la faculté morale, si elle ne fait pas partie de notre nature, s’y développe
naturellement ; comme les autres facultés, elle est capable de prendre naissance spontanément, et,
très faible au début, elle peut être portée par la culture à un haut degré de développement.
Malheureusement aussi, en recourant autant qu’il est nécessaire aux sanctions extérieures et en
utilisant l’influence des premières impressions, on peut la développer dans n’importe quelle
direction, ou presque ; en sorte qu’il n’y a guère d’idée, si absurde ou si malfaisante qu’elle soit,
qu’on ne puisse imposer à l’esprit humain en lui donnant, par le jeu de ces influences, toute
l’autorité de la conscience.
MILL, De l’Utilitarisme
- 403 -
[404] SUJET N° 380 - 4PHSAG2 - 2004 - Série S - ANTILLES - SESSION REMPL.
La raison ne voit que ce qu’elle produit elle-même d’après ses propres plans et elle doit prendre
les devants avec les principes qui déterminent ses jugements, suivant des lois immuables, elle
doit obliger la nature à répondre à ces questions et ne pas se laisser conduire pour ainsi dire en
laisse par elle ; car autrement, faites au hasard et sans aucun plan tracé d’avance, nos
observations ne se rattacheraient point à une loi nécessaire, chose que la raison demande et dont
elle a besoin. Il faut donc que la raison se présente à la nature tenant, d’une main, ses principes
qui seuls peuvent donner aux phénomènes concordant entre eux l’autorité de la loi, et de l’autre,
l’expérimentation qu’elle a imaginée d’après ses principes, pour être instruite par elle, il est vrai,
mais non pas comme un écolier qui se laisse dire tout ce qui plaît au maître, mais, au contraire,
comme un juge en fonctions qui force les témoins à répondre aux questions qu’il leur pose.
KANT, Critique de la raison pure
- 404 -
[405] SUJET N° 381 - 4PHTEAG3 - 2004 - Série TECHN. - ANTILLES - SESSION REMPL.
Si nous considérons combien sont petites les différences de force ou de connaissance entre les
hommes mûrs, et combien il est facile aux plus faibles, par la force ou l’esprit, ou les deux, de
détruire entièrement le pouvoir du plus fort (car il ne faut que peu de force pour ôter la vie à un
homme) on peut conclure que les hommes considérés dans le simple état de nature, devraient
reconnaître qu’ils sont égaux entre eux ; et que celui qui s’en contente, peut passer pour modéré.
D’autre part, si l’on considère la grande différence qui existe entre les hommes, différence qui
provient de la diversité de leurs passions, et combien certains sont pleins de vaine gloire et
espèrent obtenir préséance et supériorité sur leurs semblables, non seulement quand ils sont
égaux en pouvoir, mais aussi quand ils sont inférieurs, il faut obligatoirement reconnaître qu’il
doit nécessairement s’ensuivre que ceux qui sont modérés et ne recherchent rien d’autre que
l’égalité naturelle, seront inévitablement exposés à la force des autres qui tenteront de les
dominer. Et de là inévitablement procédera une méfiance générale en l’espèce humaine et la
crainte mutuelle des uns et des autres.
HOBBES
QUESTIONS :
1° En étudiant la structure du raisonnement de l’auteur, dégagez sa thèse.
2° Expliquez :
a) « les hommes considérés dans le simple état de nature, devraient reconnaître qu’ils sont égaux
entre eux » ;
b) « la grande différence [...] qui provient de la diversité de leurs passions » ;
c) « une méfiance générale en l’espèce humaine et la crainte mutuelle des uns et des autres ».
3° L’égalité n’est-elle que naturelle ?
- 405 -
[406] SUJET N° 382 - 4PHESAS1 - 2004 - Série ES - AMERIQUE DU SUD - SESSION
NORMALE
Tous les hommes sont sensibles à la nécessité de la justice pour maintenir la paix et l’ordre, et
tous les hommes sont sensibles à la nécessité de la paix et de l’ordre pour maintenir la société. En
dépit de cette forte et évidente nécessité, telle est cependant la fragilité ou la perversité de notre
nature qu’il est impossible aux hommes de rester fidèlement et infailliblement sur le chemin de la
justice. Des circonstances extraordinaires se produisent qui amènent un homme à plutôt trouver
ses intérêts défendus par la fraude et le vol qu’à être choqué par la fracture que son injustice crée
dans l’union sociale. Mais beaucoup plus souvent, il se trouve détourné de ses intérêts supérieurs,
importants mais lointains, par l’apparence du présent, ses tentations étant souvent très frivoles.
Cette grande faiblesse est incurable dans la nature humaine.
Les hommes doivent donc s’ingénier à pallier ce qu’ils ne peuvent guérir. Il leur faut instituer des
personnes qu’ils nomment magistrats, dont la fonction spécifique est de promulguer les décrets
de l’équité, d’en punir les transgresseurs, de fustiger (1) la fraude et la violence, et de contraindre
les hommes, bien que récalcitrants, à suivre leurs intérêts réels et permanents. En un mot,
l’obéissance est un nouveau devoir qu’il faut inventer afin de supporter celui de la justice ; et les
liens de l’équité doivent être renforcés par ceux de l’assujettissement.
HUME, De l’Origine du gouvernement
(1) « Fustiger » signifie dans ce texte « corriger ».
- 406 -
[407] SUJET N° 383 - 4PHLIAS1 - 2004 - Série L - AMERIQUE DU SUD - SESSION
NORMALE
Toute morale est contraire au laisser-aller, c’est une tyrannie qui s’exerce sur la « nature » et
aussi sur la « raison » ; ce n’est pas pour autant une objection, à moins qu’on ne veuille décréter
au nom de quelque autre morale l’interdiction de toute tyrannie et de toute déraison. L’essentiel
de toute morale, ce qui en fait la valeur inestimable c’est qu’elle est une longue contrainte. [...] Il
faut se souvenir que c’est toujours par l’effet d’une contrainte que le langage est parvenu à
acquérir vigueur et liberté : contrainte métrique, tyrannie de la rime et du rythme. Que de peines
se sont données dans toutes les nations les poètes et les orateurs, sans en excepter quelques
prosateurs de nos jours, dont l’oreille est d’une exigence inexorable ! [...] Si étrange que cela
puisse sembler, tout ce qui existe et a jamais existé sur la terre, en fait de liberté, de finesse,
d’audace, de danse et de magistrale assurance, que ce soit dans la pensée proprement dite, dans
l’art de gouverner, de parler ou de convaincre, dans les arts ou dans les morales, n’a jamais pu
fleurir que sous la tyrannie de ces « lois arbitraires ». Et je le dis très sérieusement, selon toute
apparence c’est la contrainte qui est la nature ou le naturel, et non pas le laisser-aller. Tout artiste
sait par expérience combien il est loin du sentiment du laisser-aller, quand il est dans l’état qui lui
est le plus « naturel », l’état d’inspiration, où en pleine liberté il ordonne, dispose, agence et
construit. Avec quelle rigueur et quelle précision délicate il obéit justement alors à de multiples
lois dont la rigueur et la précision le mettraient au défi de les formuler en concepts ; comparé à
ces lois, le concept le plus ferme a quelque chose de flottant, de complexe, d’équivoque. Pour le
dire encore une fois, il semble que l’essentiel « au ciel et sur la terre » soit d’obéir longuement et
toujours dans le même sens ; il en résulte, il finit toujours par en résulter quelque chose pour quoi
il vaut la peine de vivre : vertu, art, musique, danse, raison, spiritualité, quelque chose
d’illuminant, de raffiné, de fou, de divin.
NIETZSCHE, Par delà Bien et mal
- 407 -
[408] SUJET N° 384 - 4PHSCAS1 - 2004 - Série S - AMERIQUE DU SUD - SESSION
NORMALE
Quand on oppose la société idéale à la société réelle comme deux antagonistes qui nous
entraîneraient en des sens contraires, on réalise et on oppose des abstractions. La société idéale
n’est pas en dehors de la société réelle ; elle en fait partie. Bien loin que nous soyons partagés
entre elles comme entre deux pôles qui se repoussent, on ne peut pas tenir à l’une sans tenir à
l’autre. Car une société n’est pas simplement constituée par la masse des individus qui la
composent, par le sol qu’ils occupent, par les choses dont ils se servent, par les mouvements
qu’ils accomplissent, mais, avant tout, par l’idée qu’elle se fait d’elle-même. Et sans doute, il
arrive qu’elle hésite sur la manière dont elle doit se concevoir : elle se sent tiraillée en des sens
divergents. Mais ces conflits, quand ils éclatent, ont lieu non entre l’idéal et la réalité, mais entre
idéaux différents, entre celui d’hier et celui d’aujourd’hui, entre celui qui a pour lui l’autorité de
la tradition et celui qui est seulement en voie de devenir.
DURKHEIM, Les Formes élémentaires de la vie religieuse
- 408 -
[409] SUJET N° 397 - 3PHLIG11 - 2003 - Série L - ETRANGER GROUPE 1 - SESSION
NORMALE
Les enfants vivent sous l’empire du désir, et c’est surtout chez eux que l’on rencontre la
recherche de l’agréable. Si donc on ne rend pas l’enfant docile et soumis à l’autorité, il ira fort
loin dans cette voie : car dans un être sans raison, la recherche de l’agréable est insatiable et
s’alimente de tout, et l’exercice même du désir renforce la tendance innée ; et si ces désirs sont
grands et forts, ils vont jusqu’à chasser le raisonnement. Aussi doivent-ils être modérés et en petit
nombre et n’être jamais en conflit avec la raison. Et c’est là ce que nous appelons un caractère
docile et maîtrisé. Et de même que l’enfant doit vivre en se conformant aux prescriptions de son
gouverneur, ainsi la partie désirante de l’âme doit-elle se conformer à la raison. C’est pourquoi il
faut que la partie désirante de l’homme modéré soit en harmonie avec la raison, car pour ces deux
facultés le bien est le but visé, et l’homme modéré a le désir des choses qu’on doit rechercher, de
la manière dont elles doivent l’être et au moment convenable, ce qui est également la façon dont
la raison l’ordonne.
ARISTOTE, Ethique à icomaque
- 409 -
[410] SUJET N° 398 - 3PHESG11 - 2003 - Série ES - ETRANGER GROUPE 1 - SESSION
NORMALE
Il est impossible de poursuivre dans la pratique de la contemplation de quelque genre de beauté
que ce soit sans être fréquemment obligé de faire des comparaisons entre les nombreuses sortes et
degrés de réussite, et d’estimer leurs proportions les unes par rapport aux autres. Un homme qui
n’a point l’occasion de comparer les différents genres de beauté est bien entendu disqualifié pour
émettre une opinion concernant un objet qui lui est présenté. Par la comparaison seule nous
déterminons les épithètes relevant de l’éloge ou du blâme et apprenons comment en attribuer le
degré approprié à chacun. Le plus indigent des barbouillages exhibe un certain lustre (1) de
couleurs et une certaine exactitude de l’imitation qui peuvent passer pour des beautés et entraîne
[...] la plus haute admiration. Les plus vulgaires ballades ne sont pas entièrement dépourvues
d’harmonie ou de naturel et nul, à moins d’être familiarisé avec des beautés supérieures, ne
pourrait déclarer que leurs couplets sont rudes ou leur récit inintéressant. Une beauté très
inférieure fait souffrir la personne accoutumée aux plus grandes réussites du genre, et se trouve
être pour cette raison qualifiée de laideur de la même façon que l’objet le plus abouti que nous
connaissions est naturellement supposé avoir atteint au pinacle (2) de la perfection et devoir
recevoir les plus grands éloges. Seul celui qui est accoutumé à voir, à examiner et à soupeser les
nombreuses œuvres admirées, au cours d’époques différentes et au sein de différentes nations
peut estimer le mérite d’un ouvrage exposé à sa vue et lui assigner son rang approprié au sein des
productions du génie.
HUME, De la orme du goût
(1) « lustre » : éclat.
(2) « pinacle » : sommet.
- 410 -
[411] SUJET N° 399 - 3PHSCG11 - 2003 - Série S - ETRANGER GROUPE 1 - SESSION
NORMALE
Il y a un défaut de l’esprit que les Grecs ont désigné sous le nom d’amathia, indocilité (1), c’està-dire difficulté d’apprendre et de s’instruire ; cette disposition paraît venir de la fausse opinion
où l’on est que l’on connaît déjà la vérité sur l’objet dont il s’agit, car il est certain qu’il y a moins
d’inégalité de capacité entre les hommes, que d’inégalité d’évidence entre ce qu’enseignent les
mathématiciens et ce qui se trouve dans les autres livres. Si donc les esprits des hommes étaient
comme un papier blanc (...), ils seraient également disposés à reconnaître la vérité de tout ce qui
leur serait présenté suivant une méthode convenable et par de bons raisonnements ; mais
lorsqu’ils ont une fois acquiescé à des opinions fausses et les ont authentiquement enregistrées
dans leurs esprits, il est tout aussi impossible de leur parler intelligiblement que d’écrire
lisiblement sur un papier déjà barbouillé d’écriture. Ainsi la cause immédiate de l’indocilité est le
préjugé, et la cause du préjugé est une opinion fausse de notre propre savoir.
HOBBES, De la ature humaine
(1) anglais indocibility, français indocilité : désigne chez une personne le fait d’être réfractaire à
tout enseignement.
- 411 -
[412] SUJET N° 400 - 03PHTEG11 - 2003 - Série TECHN. - ETRANGER GROUPE 1 SESSION NORMALE
L’homme doit de bonne heure être habitué à se soumettre aux prescriptions de la raison. Si en sa
jeunesse on laisse l’homme n’en faire qu’à sa volonté et que rien ne lui est opposé, il conserve
durant sa vie entière une certaine sauvagerie. Et il ne sert en rien à certains d’être en leur jeunesse
protégés par une excessive tendresse maternelle, car plus tard ils n’en rencontreront que plus de
résistances et ils subiront des échecs dès qu’ils s’engageront dans les affaires du monde. C’est
une faute habituelle dans l’éducation des princes que de ne jamais leur opposer dans leur jeunesse
une véritable résistance, parce qu’ils sont destinés à régner. Chez l’homme, en raison de son
penchant pour la liberté, il est nécessaire de polir sa rudesse ; en revanche chez l’animal cela
n’est pas nécessaire en raison de l’instinct.
KANT
QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée principale du texte et les étapes de son argumentation.
2°
a) Expliquez : « il conserve durant sa vie entière une certaine sauvagerie » ; Pourquoi ?
b) Pourquoi est-ce une faute, dans l’éducation des princes, « de ne jamais leur opposer dans leur
jeunesse une véritable résistance » ?
3° Une éducation sans contrainte est-elle possible ?
- 412 -
[413] SUJET N° 401 - PHLIAN1 - 2003 - Série L - AMERIQUE DU NORD - SESSION
NORMALE
Or, ceux qui précisément possèdent la rectitude dans l’exercice du pouvoir, qu’ils exercent leur
pouvoir avec ou contre le consentement des gouvernés, qu’ils se conforment ou non à des lois
écrites, qu’ils soient riches ou pauvres, il faut, selon notre principe, les considérer comme des
gouvernants, quelle que soit la forme de leur pouvoir, pourvu qu’il se règle sur un art. Il en va de
même des médecins : nous ne les considérons pas comme moins qualifiés, qu’ils nous soignent
avec notre consentement ou sans lui, par incision ou brûlure, ou par l’application de quelque autre
traitement douloureux. Ils ne sont pas moins médecins, qu’ils observent ou non des règles écrites,
qu’ils soient riches ou pauvres ; dans tous les cas, nous ne les en appelons pas moins médecins,
tant que leur surveillance est fondée sur l’art, tant qu’ils nous purgent, ou nous font maigrir par
quelque autre procédé, ou même nous font prendre de l’embonpoint, avec pour seule fin le bien
de notre corps. Nous leur conservons ce titre, enfin, tant qu’ils améliorent l’état de notre corps, et
que, chacun pour leur compte, ils sauvegardent par leurs soins leurs patients. Voilà de quelle
manière, à mon avis, et pas autrement, nous devrons décider que c’est là la seule définition
correcte de l’autorité médicale, et de toute autre autorité.
PLATON, Le Politique
- 413 -
[414] SUJET N° 402 - 3PHSCAN1 - 2003 - Série S - AMERIQUE DU NORD - SESSION
NORMALE
La conscience est le savoir revenant sur lui-même et prenant pour centre la personne humaine
elle-même, qui se met en demeure de décider et de se juger. Ce mouvement intérieur est dans
toute pensée : car celui qui ne se dit pas finalement « Que dois-je penser ? » ne peut pas être dit
penser. La conscience est toujours implicitement morale ; et l’immoralité consiste toujours à ne
point vouloir penser qu’on pense, et à ajourner le jugement intérieur. On nomme bien
inconscients ceux qui ne se posent aucune question d’eux-mêmes à eux-mêmes. Ce qui n’exclut
pas les opinions sur les opinions et tous les savoir-faire, auxquels il manque la réflexion, c’est-àdire le recul en soi-même qui permet de se connaître et de se juger, et cela est proprement la
conscience.
Rousseau disait bien que la conscience ne se trompe jamais, pourvu qu’on l’interroge. Exemple :
ai-je été lâche en telle circonstance ? Je le saurai si je veux y regarder. Ai-je été juste en tel
arrangement ? Je n’ai qu’à m’interroger : mais j’aime bien mieux m’en rapporter à d’autres.
ALAIN, Définitions
- 414 -
[415] SUJET N° 403 - 3PHESCE1 - 2003 - Série ES - AMERIQUE DU NORD - SESSION
NORMALE
Il faut un hasard heureux, une chance exceptionnelle, pour que nous notions justement, dans la
réalité présente, ce qui aura le plus d’intérêt pour l’historien à venir. Quand cet historien
considérera notre présent à nous, il y recherchera surtout l’explication de son présent à lui, et plus
particulièrement de ce que son présent contiendra de nouveauté. Cette nouveauté, nous ne
pouvons en avoir aucune idée aujourd’hui, si ce doit être une création. Comment donc nous
réglerions-nous aujourd’hui sur elle pour choisir parmi les faits ceux qu’il faut enregistrer, ou
plutôt pour fabriquer des faits en découpant selon cette indication la réalité présente ? Le fait
capital des temps modernes est l’avènement de la démocratie. Que dans le passé, tel qu’il fut
décrit par les contemporains, nous en trouvions les signes avant-coureurs, c’est incontestable ;
mais les indications peut-être les plus intéressantes n’auraient été notées par eux que s’ils avaient
su que l’humanité marchait dans cette direction ; or cette direction de trajet n’était pas plus
marquée alors qu’une autre, ou plutôt elle n’existait pas encore, ayant été créée par le trajet luimême, je veux dire par le mouvement en avant des hommes qui ont progressivement conçu et
réalisé la démocratie. Les signes avant-coureurs ne sont à nos yeux des signes que parce que nous
connaissons maintenant la course, parce que la course a été effectuée.
BERGSON, La Pensée et le mouvant
- 415 -
[416] SUJET N° 404 - 3PHSCAG1 - 2003 - Série S - ANTILLES - SESSION NORMALE
Ce qu’on n’a jamais vu, ce dont on n’a jamais entendu parler, on peut pourtant le concevoir ; et il
n’y a rien au-dessus du pouvoir de la pensée, sauf ce qui implique une absolue contradiction.
Mais, bien que notre pensée semble posséder cette liberté illimitée, nous trouverons, en
l’examinant de plus près, qu’elle est réellement resserrée en de très étroites limites et que tout ce
pouvoir créateur de l’esprit n’est rien de plus que la faculté de composer, de transposer,
d’accroître ou de diminuer les matériaux que nous apportent les sens et l’expérience. Quand nous
pensons à une montagne d’or, nous joignons seulement deux idées compatibles, or et montagne,
que nous connaissions auparavant. Nous pouvons concevoir un cheval vertueux ; car le sentiment
que nous avons de nous-mêmes nous permet de concevoir la vertu ; et nous pouvons unir celle-ci
à la figure et à la forme d’un cheval, animal qui nous est familier. Bref, tous les matériaux de la
pensée sont tirés de nos sens, externes ou internes ; c’est seulement leur mélange et leur
composition qui dépendent de l’esprit et de la volonté.
HUME, Enquête sur l’entendement humain
- 416 -
[417] SUJET N° 405 - 3PHLAC1 - 2003 - Série L - ANTILLES - SESSION NORMALE
Chaque homme vise aux mêmes buts, qui sont les honneurs et la richesse ; mais ils emploient
pour les atteindre des moyens variés : l’un la prudence, l’autre la fougue ; l’un la violence, l’autre
l’astuce ; celui-ci la patience, cet autre la promptitude ; et toutes ces méthodes sont bonnes en soi.
Et l’on voit encore de deux prudents l’un réussir et l’autre échouer ; et à l’inverse deux hommes
également prospères qui emploient des moyens opposés. Tout s’explique par les seules
circonstances qui conviennent ou non à leurs procédés. De là résulte que des façons de faire
différentes produisent un même effet, et de deux conduites toutes pareilles l’une atteint son but,
l’autre fait fiasco. Ainsi s’explique également le caractère variable du résultat. Voici quelqu’un
qui se gouverne avec patience et circonspection ; si les choses tournent d’une manière sa méthode
est heureuse, son succès assuré ; si elles changent soudain de sens, il n’en tire que ruine parce
qu’il n’a pas su modifier son action. Très peu d’hommes, quelle que soit leur sagesse, savent
s’adapter à ce jeu ; ou bien parce qu’ils ne peuvent s’écarter du chemin où les pousse leur nature ;
ou bien parce que, ayant toujours prospéré par ce chemin, ils n’arrivent point à se persuader d’en
prendre un autre. C’est pourquoi l’homme d’un naturel prudent ne sait pas employer la fougue
quand il le faudrait, ce qui cause sa perte. Si tu savais changer de nature quand changent les
circonstances, ta fortune ne changerait point.
MACHIAVEL, Le Prince
- 417 -
[418] SUJET N° 406 - 3PHESJA1 - 2003 - Série ES - JAPON - SESSION NORMALE
La méthode des sciences est caractérisée par une exigence de débat public, qui se présente sous
deux aspects. Le premier est que toute théorie, si inattaquable qu’elle apparaisse à son auteur,
peut et doit inviter à la critique ; l’autre est que, pour éviter les équivoques et les malentendus,
elle doit être soumise à l’expérience dans des conditions reconnues par tous. C’est seulement si
l’expérimentation peut être répétée et vérifiée par d’autres, qu’elle devient l’arbitre impartial des
controverses scientifiques.
Ce critère de l’objectivité scientifique, d’ailleurs, tous les organismes ou services chargés de
contrôler ou de diffuser la pensée scientifique - laboratoires, congrès, publications spécialisées,
etc. - le reconnaissent et l’appliquent. Seul le pouvoir politique, quand il se dresse contre la
liberté de critiquer, mettra en péril une forme de contrôle dont dépend, en définitive, tout progrès
scientifique et technique.
On peut montrer par des exemples pourquoi ce sont les méthodes, plutôt que les résultats, qui
déterminent ce qui est scientifique. Si un auteur intuitif a écrit un livre contenant des résultats dits
scientifiques que, vu l’état des connaissances à son époque, rien ne permettait de comprendre ou
de vérifier, dira-t-on pour autant qu’il a écrit un livre de science, même si, par la suite,
l’expérience prouve que sa théorie était exacte ? La réponse, selon moi, doit être négative.
POPPER, La Société ouverte et ses ennemis
- 418 -
[419] SUJET N° 407 - 3PHLIJA1 - 2003 - Série L - JAPON - SESSION NORMALE
Au nombre des choses qui peuvent porter un penseur au désespoir se trouve d’avoir reconnu que
l’illogique est nécessaire à l’homme, et qu’il en naît beaucoup de bien. L’illogique tient si
solidement au fond des passions, du langage, de l’art, de la religion, et généralement de tout ce
qui confère quelque valeur à la vie, que l’on ne saurait l’en arracher sans gâter ces belles choses
irréparablement. Ce sont les hommes par trop naïfs qui peuvent seuls croire à la possibilité de
transformer la nature humaine en nature purement logique ; mais s’il devait y avoir des degrés
pour approcher ce but, que ne faudrait-il pas laisser perdre chemin faisant ! Même l’être le plus
raisonnable a de temps en temps besoin de retrouver la nature, c’est-à-dire le fond illogique de sa
relation avec toutes choses.
NIETZSCHE, Humain, trop humain
- 419 -
[420] SUJET N° 408 - 3PHESAC1 - 2003 - Série ES - ANTILLES - SESSION NORMALE
La pensée n’est rien d’« intérieur », elle n’existe pas hors du monde et hors des mots. Ce qui nous
trompe là-dessus, ce qui nous fait croire à une pensée qui existerait pour soi avant l’expression,
ce sont les pensées déjà constituées et déjà exprimées que nous pouvons rappeler à nous
silencieusement et par lesquelles nous nous donnons l’illusion d’une vie intérieure. Mais en
réalité ce silence prétendu est bruissant de paroles, cette vie intérieure est un langage intérieur. La
pensée « pure » se réduit à un certain vide de la conscience, à un vœu instantané. L’intention
significative nouvelle ne se connaît elle-même qu’en se recouvrant de significations déjà
disponibles, résultat d’actes d’expression antérieurs. Les significations disponibles s’entrelacent
soudain selon une loi inconnue, et une fois pour toutes un nouvel être culturel a commencé
d’exister. La pensée et l’expression se constituent donc simultanément.
MERLEAU-PONTY, Phénoménologie de la perception
- 420 -
[421] SUJET N° 409 - PHSCJA1 - 2003 - Série S - JAPON - SESSION NORMALE
Il existe une forme d’autorité en vertu de laquelle on commande à des personnes de même origine
et qui sont de surcroît des hommes libres - c’est celle-là que nous appelons l’autorité politique ; le
gouvernant doit apprendre à l’exercer en étant lui-même gouverné, comme on apprend à
commander la cavalerie en étant simple cavalier et à être chef d’armée en servant dans une
armée, et ainsi d’une brigade ou d’une compagnie. C’est pourquoi l’on a raison de dire aussi
qu’on ne peut bien commander si l’on n’a soi-même été commandé. La perfection propre à ces
deux états est différente, mais, en fait, le bon citoyen doit savoir et pouvoir être commandé et
commander ; et c’est la perfection même du citoyen de connaître le gouvernement des hommes
libres sous ses deux aspects à la fois.
ARISTOTE, Politique
- 421 -
[422] SUJET N° 410 - 3PHLIND1 - 2003 - Série L - INDE - SESSION NORMALE
La société et l’union entre les hommes se conserveront d’autant mieux qu’on manifestera plus de
bienveillance à ceux avec qui on a une union plus étroite. Mais il semble qu’il faut reprendre de
plus haut les principes naturels de la communauté et de la société des hommes. Il en est d’abord
un que l’on voit dans la société du genre humain pris dans son ensemble. Le lien de cette société,
c’est la raison et le langage ; grâce à eux, on s’instruit et l’on enseigne, l’on communique, l’on
discute, l’on juge, ce qui rapproche les hommes les uns des autres et les unit dans une sorte de
société naturelle ; rien ne les éloigne plus de la nature des bêtes, à qui nous attribuons souvent le
courage, aux chevaux par exemple ou aux lions, mais non pas la justice, l’équité ou la bonté ;
c’est qu’elles ne possèdent ni raison ni langage. Cette société est largement ouverte ; elle est
société des hommes avec les hommes, de tous avec tous ; en elle il faut maintenir communs tous
les biens que la nature a produits à l’usage commun de l’homme ; quant à ceux qui sont distribués
d’après les lois et le droit civil, qu’on les garde selon ce qui a été décidé par les lois ; quant aux
autres, que l’on respecte la maxime du proverbe grec : « Entre amis, tout est commun. » [...]
Ennius (1) donne un exemple particulier qui peut s’étendre à beaucoup de cas : « L’homme qui
indique aimablement son chemin à un voyageur égaré agit comme un flambeau où s’allume un
autre flambeau ; il n’éclaire pas moins quand il a allumé l’autre ».
CICERON, Traité des devoirs
(1) Poète Latin.
- 422 -
[423] SUJET N° 411 - 3PHSCIN1 - 2003 - Série S - INDE - SESSION NORMALE
Notre connaissance des vérités, différente en cela de notre connaissance des objets, a un contraire
qui est l’erreur. En ce qui concerne les objets, nous pouvons en avoir connaissance ou ne pas en
avoir connaissance, mais il n’y a pas d’état d’esprit déterminé qui puisse être qualifié de
connaissance erronée des objets, tant, en tout cas, que nous nous bornons à la connaissance
directe. Tout ce dont nous avons une connaissance directe et immédiate est forcément quelque
chose ; nous pouvons ensuite tirer des déductions fausses de notre connaissance, mais cette
connaissance même ne peut être trompeuse. Par conséquent, il n’y a pas deux solutions en ce qui
concerne la connaissance directe. Mais en ce qui concerne la connaissance des vérités, il peut y
avoir deux solutions. Notre croyance peut aller à ce qui est faux aussi bien qu’à ce qui est vrai.
Nous savons que sur de nombreux sujets, des individus différents professent des opinions
différentes et incompatibles ; en conséquence, une partie de nos croyances est totalement erronée.
RUSSELL, Problèmes de philosophie
- 423 -
[424] SUJET N° 412 - 3PHSEIN1 - 2003 - Série ES - INDE - SESSION NORMALE
Il semble qu’on puisse affirmer que l’homme ne saurait rien de la liberté intérieure s’il n’avait
d’abord expérimenté une liberté qui soit une réalité tangible dans le monde. Nous prenons
conscience d’abord de la liberté ou de son contraire dans notre commerce avec d’autres, non dans
le commerce avec nous-mêmes. Avant de devenir un attribut de la pensée ou une qualité de la
volonté, la liberté a été comprise comme le statut de l’homme libre, qui lui permettait de se
déplacer, de sortir de son foyer, d’aller dans le monde et de rencontrer d’autres gens en actes et
en paroles. Il est clair que cette liberté était précédée par la libération : pour être libre, l’homme
doit s’être libéré des nécessités de la vie. Mais le statut d’homme libre ne découlait pas
automatiquement de l’acte de libération. Etre libre exigeait, outre la simple libération, la
compagnie d’autres hommes, dont la situation était la même, et demandait un espace public
commun où les rencontrer - un monde politiquement organisé, en d’autres termes, où chacun des
hommes libres pût s’insérer par la parole et par l’action.
ARENDT, La Crise de la culture
- 424 -
[425] SUJET N° 413 - 03PHTEIN1 - 2003 - Série TECHN. - INDE - SESSION NORMALE
Les actions dont les principes sont en nous dépendent elles-mêmes de nous et sont volontaires.
En faveur de ces considérations, on peut, semble-t-il, appeler en témoignage à la fois le
comportement des individus dans leur vie privée et la pratique des législateurs eux-mêmes : on
châtie, en effet, et on oblige à réparation ceux qui commettent des actions mauvaises, à moins
qu’ils n’aient agi sous la contrainte ou par une ignorance dont ils ne sont pas eux-mêmes causes.
En effet, nous punissons quelqu’un pour son ignorance même, si nous le tenons pour responsable
de son ignorance, comme par exemple dans le cas d’ébriété où les pénalités des délinquants sont
doublées, parce que le principe de l’acte réside dans l’auteur de l’action lui-même, qui était
maître de ne pas s’enivrer et qui est ainsi responsable de son ignorance.
ARISTOTE
QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée principale du texte et son argumentation.
2°
a) Comment Aristote distingue-t-il les actions qui « dépendent de nous » et celles qui n’en
dépendent pas ?
b) En vous servant de cette distinction, vous expliquerez les exemples du texte.
3° L’ignorance est-elle toujours une excuse ?
- 425 -
[426] SUJET N° 414 - PHLIAN2 - 2003 - Série L - LIBAN - SESSION NORMALE
On ne devrait jamais admettre, selon moi, l’excuse qui consiste à atténuer un acte coupable sous
prétexte qu’il est naturel, ou qu’il est inspiré par un sentiment naturel. Il n’a guère été commis de
mauvaises actions qui ne soient parfaitement naturelles, et dont les mobiles n’aient été des
sentiments parfaitement naturels. Par conséquent, cela ne constitue pas une excuse au regard de la
raison, mais il est tout à fait « naturel » que c’en soit une aux yeux d’une foule de gens, car pour
eux l’expression signifie qu’ils éprouvent un sentiment semblable à celui du criminel. Quand ils
disent d’une chose dont ils ne peuvent nier le caractère condamnable, qu’elle est néanmoins
naturelle, ils veulent dire qu’ils peuvent imaginer qu’eux-mêmes soient tentés de la commettre.
La plupart des gens éprouvent une indulgence considérable envers toutes les actions dont ils
sentent une source possible à l’intérieur d’eux-mêmes, réservant leur rigueur à des actions, peutêtre moins mauvaises en réalité, dont ils ne peuvent comprendre en aucune manière qu’on puisse
les commettre. Si une action les persuade (souvent sur des bases très contestables) que la
personne qui l’a commise ne leur ressemble en rien, il est rare qu’ils mettent beaucoup de soin à
examiner quel degré précis de blâme elle mérite, ou même s’il est justifié de porter sur elle une
condamnation quelconque. Ils mesurent le degré de culpabilité par la force de leur antipathie, et
de là vient que des différences d’opinion et même des différences de goûts ont suscité une
aversion morale aussi intense que les crimes les plus atroces.
MILL, La ature
- 426 -
[427] SUJET N° 415 - 3PHSLI1 - 2003 - Série S - LIBAN - SESSION NORMALE
Manifestement, la liberté ne caractérise pas toute forme de rapports humains et toute espèce de
communauté. Là où des hommes vivent ensemble mais ne forment pas un corps politique - par
exemple, dans les sociétés tribales ou dans l’intimité du foyer - les facteurs réglant leurs actions
et leur conduite ne sont pas la liberté, mais les nécessités de la vie et le souci de sa conservation.
En outre, partout où le monde fait par l’homme ne devient pas scène pour l’action et la parole par exemple dans les communautés gouvernées de manière despotique qui exilent leurs sujets
dans l’étroitesse du foyer et empêchent ainsi la naissance d’une vie publique - la liberté n’a pas
de réalité mondaine. Sans une vie publique politiquement garantie, il manque à la liberté l’espace
mondain où faire son apparition. Certes, elle peut encore habiter le cœur des hommes comme
désir, volonté, souhait ou aspiration ; mais le cœur humain, nous le savons tous, est un lieu très
obscur, et tout ce qui se passe dans son obscurité ne peut être désigné comme un fait
démontrable. La liberté comme fait démontrable et la politique coïncident et sont relatives l’une à
l’autre comme deux côtés d’une même chose.
ARENDT, La Crise de la culture
- 427 -
[428] SUJET N° 416 - 3PHESLE1 - 2003 - Série ES - LIBAN - SESSION NORMALE
Il est absurde de supposer que l’homme qui commet des actes d’injustice ou d’intempérance ne
souhaite pas être injuste ou intempérant ; et si, sans avoir l’ignorance pour excuse, on accomplit
des actions qui auront pour conséquence de nous rendre injuste, c’est volontairement qu’on sera
injuste. Il ne s’ensuit pas cependant qu’un simple souhait suffira pour cesser d’être injuste et pour
être juste, pas plus que ce n’est ainsi que le malade peut recouvrer la santé, quoiqu’il puisse
arriver qu’il soit malade volontairement en menant une vie intempérante et en désobéissant à ses
médecins : c’est au début qu’il lui était alors possible de ne pas être malade, mais une fois qu’il
s’est laissé aller, cela ne lui est plus possible, de même que si vous avez lâché une pierre, vous
n’êtes plus capable de la rattraper, mais pourtant il dépendait de vous de la jeter et de la lancer,
car le principe de votre acte était en vous. Ainsi en est-il pour l’homme injuste ou intempérant :
au début, il leur était possible de ne pas devenir tels, et c’est ce qui fait qu’ils le sont
volontairement ; et maintenant qu’ils le sont devenus, il ne leur est plus possible de ne pas l’être.
ARISTOTE, Ethique à icomaque
- 428 -
[429] SUJET N° 417 - 3PHTEPO1 - 2003 - Série TECHN. - POLYNESIE - SESSION
NORMALE
Ce qui est bien et conforme à l’ordre est tel par la nature des choses et indépendamment des
conventions humaines. Toute justice vient de Dieu, lui seul en est la source ; mais si nous savions
la recevoir de si haut nous n’aurions besoin ni de gouvernement ni de lois. Sans doute il est une
justice universelle émanée de la raison seule ; mais cette justice pour être admise entre nous doit
être réciproque. A considérer humainement les choses, faute de sanction naturelle les lois de la
justice sont vaines parmi les hommes ; elles ne font que le bien, du méchant et le mal du juste,
quand celui-ci les observe avec tout le monde sans que personne les observe avec lui. Il faut donc
des conventions et des lois pour unir les droits aux devoirs et ramener la justice à son objet. Dans
l’état de nature, où tout est commun, je ne dois rien à ceux à qui je n’ai rien promis, je ne
reconnais pour être à autrui que ce qui m’est inutile. Il n’en est pas ainsi dans l’état civil (1) où
tous les droits sont fixés par la loi.
ROUSSEAU
(1) « état civil » : état de société.
QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée centrale du texte et les étapes de l’argumentation.
2° Expliquez :
a) « il est une justice universelle émanée de la raison seule » ;
b) « faute de sanction naturelle les lois de la justice sont vaines parmi les hommes » ;
c) « dans l’état civil où tous les droits sont fixés par la loi ».
3° Faut-il des lois pour que la justice se réalise ?
- 429 -
[430] SUJET N° 418 - 3PHLIPO1 - 2003 - Série L - POLYNESIE - SESSION NORMALE
Chaque mot de notre langue a beau être conventionnel, le langage n’est pas une convention, et il
est aussi naturel à l’homme de parler que de marcher. Or, quelle est la fonction primitive du
langage ? C’est d’établir une communication en vue d’une coopération. Le langage transmet des
ordres ou des avertissements. Il prescrit ou il décrit. Dans le premier cas, c’est l’appel à l’action
immédiate ; dans le second, c’est le signalement de la chose ou de quelqu’une de ses propriétés,
en vue de l’action future. Mais, dans un cas comme dans l’autre, la fonction est industrielle,
commerciale, militaire, toujours sociale. Les choses que le langage décrit ont été découpées dans
le réel par la perception humaine en vue du travail humain. Les propriétés qu’il signale sont les
appels de la chose à une activité humaine. Le mot sera donc le même, comme nous le disions,
quand la démarche suggérée sera la même, et notre esprit attribuera à des choses diverses la
même propriété, se les représentera de la même manière, les groupera enfin sous la même idée,
partout où la suggestion du même parti à tirer, de la même action à faire, suscitera le même mot.
Telles sont les origines du mot et de l’idée.
BERGSON, La Pensée et le mouvant
- 430 -
[431] SUJET N° 419 - 3PHSCPO1 - 2003 - Série S - POLYNESIE - SESSION NORMALE
La morale est étroitement liée à la politique : elle est une tentative pour imposer à des individus
les désirs collectifs d’un groupe ; ou, inversement, elle est une tentative faite par un individu pour
que ses désirs deviennent ceux de son groupe. Ceci n’est possible, bien entendu, que si ses désirs
ne sont pas trop visiblement contraires à l’intérêt général : le cambrioleur peut difficilement
tenter de persuader les gens qu’il leur fait du bien, quoique des ploutocrates (1) fassent des
tentatives de ce genre, et réussissent même souvent. Quand l’objet de nos désirs peut bénéficier à
tous, il ne paraît pas déraisonnable d’espérer que d’autres se joindront à nous ; ainsi le philosophe
qui fait grand cas de la Vérité, de la Bonté et de la Beauté est persuadé qu’il n’exprime pas
seulement ses propres désirs, mais qu’il montre la voie du bonheur à toute l’humanité.
Contrairement au cambrioleur, il peut croire que l’objet de ses désirs a une valeur impersonnelle.
La morale est une tentative pour donner une importance universelle, et non simplement
personnelle, à certains de nos désirs. Je dis « certains » de nos désirs, parce que c’est
manifestement impossible dans certains cas, comme nous l’avons vu pour le cambrioleur.
L’homme qui s’enrichit à la Bourse au moyen de renseignements secrets ne souhaite pas que les
autres soient également bien informés : la Vérité (dans la mesure où il en fait cas) est pour lui une
possession privée, et non le bien universel qu’elle est pour le philosophe.
RUSSELL, Science et religion
(1) un ploutocrate : celui qui tire sa puissance de sa richesse.
- 431 -
[432] SUJET N° 420 - 3PHESPY1 - 2003 - Série ES - POLYNESIE - SESSION NORMALE
Les poètes sont des hommes qui refusent d’utiliser le langage. Or, comme c’est dans et par le
langage conçu comme une certaine espèce d’instrument que s’opère la recherche de la vérité, il
ne faut pas s’imaginer qu’ils visent à discerner le vrai ni à l’exposer. Ils ne songent pas non plus à
nommer le monde et, par le fait, ils ne nomment rien du tout, car la nomination implique un
perpétuel sacrifice du nom à l’objet nommé : le nom s’y révèle l’inessentiel, en face de la chose
qui est essentielle. Ils ne parlent pas ; ils ne se taisent pas non plus : c’est autre chose. En fait, le
poète s’est retiré d’un seul coup du langage-instrument ; il a choisi une fois pour toutes l’attitude
poétique qui considère les mots comme des choses et non comme des signes. Car l’ambiguïté du
signe implique qu’on puisse à son gré le traverser comme une vitre et poursuivre à travers lui la
chose signifiée ou tourner son regard vers sa réalité et le considérer comme objet. L’homme qui
parle est au-delà des mots, près de l’objet ; le poète est en deçà. Pour le premier, ils sont
domestiques ; pour le second, ils restent à l’état sauvage. Pour celui-là, ce sont des conventions
utiles, des outils qui s’usent peu à peu et qu’on jette quand ils ne peuvent plus servir ; pour le
second, ce sont des choses naturelles qui croissent naturellement sur la terre comme l’herbe et les
arbres.
SARTRE, Qu’est-ce que la Littérature ?
- 432 -
[433] SUJET N° 421 - PHLIR1 - 2003 - Série L - LA REUNION - SESSION NORMALE
Vouloir tout régler par des lois, c’est exciter les vices plutôt que les corriger. Ce que l’on ne peut
empêcher, il faut nécessairement le permettre, en dépit du dommage qui souvent peut en résulter.
Combien de maux ont leur origine dans le luxe, l’envie, l’avidité, l’ivrognerie et autres passions
semblables ! On les supporte cependant parce qu’on ne peut les empêcher par le pouvoir des lois
et bien que ce soient réellement des vices ; encore bien plus la liberté du jugement, qui est en
réalité une vertu, doit-elle être admise et ne peut-elle être opprimée. Ajoutons qu’elle n’engendre
pas d’inconvénients que l’autorité publique ne puisse éviter ; sans parler ici de la nécessité
première de cette liberté pour l’avancement des sciences et des arts ; car les sciences et les arts ne
peuvent être cultivés avec un heureux succès que par ceux dont le jugement est libre et
entièrement affranchi.
SPINOZA, Traité théologico-politique
- 433 -
[434] SUJET N° 422 - PHESLR - 2003 - Série ES - LA REUNION - SESSION NORMALE
Là où les charges publiques sont l’objet d’une bataille, ceux qui y auront été vainqueurs auront si
complètement accaparé à leur profit les affaires publiques, qu’aux vaincus ils ne laisseront même
pas la moindre part de l’autorité, ni à ces vaincus eux-mêmes, ni à leurs descendants et que, d’un
autre côté, ils se surveilleront les uns les autres dans leur vie, de peur que l’un d’entre eux,
parvenu un jour au pouvoir, ne se dresse avec le souvenir des torts qui lui ont été faits. Non, sans
nul doute, voilà ce que nous disons à présent : ce ne sont pas là des organisations politiques ; ce
ne sont pas des lois comme elles doivent être, toutes celles qui n’ont pas été instituées en vue de
l’intérêt commun de l’Etat dans son ensemble ; mais, quand elles l’ont été en vue de l’intérêt de
quelques-uns, ces gens-là, je dis que ce sont des factieux (1) et non point des citoyens, je dis que
ce qu’ils appellent leurs justes droits n’est qu’un mot vide de sens ! Or, tout ce que je dis à
présent a pour but de signifier que (...) nous ne donnerons d’autorité à quelqu’un, ni parce qu’il
est riche, ni parce qu’il possède un autre avantage du même genre, que ce soit sa vigueur, sa
haute stature ou la noblesse de sa famille. Mais l’homme qui envers les lois établies pratique une
stricte obéissance et dont c’est la façon de triompher dans la Cité, c’est à celui-là que, nous
l’affirmons, devra être, en premier, attribuée la place la plus importante parmi les serviteurs de
ces divinités que sont les lois.
PLATON, Les Lois
(1) « factieux » : dont les agissements compromettent l’unité de l’Etat.
- 434 -
[435] SUJET N° 423 - 3PHSLR1 - 2003 - Série S - LA REUNION - SESSION NORMALE
Quand nous nous donnons principalement pour objectif de découvrir des lois générales, c’est que
nous les considérons comme ayant intrinsèquement plus de prix qu’aucun des faits pouvant être
reliés grâce à elles. En astronomie, la connaissance de la loi de la gravitation est manifestement
d’une beaucoup plus grande valeur que celle de la position d’une planète particulière, une nuit
particulière, voire toutes les nuits durant toute une année. Il y a dans la loi une beauté, une
simplicité et une majesté éclairant une foule de détails qui demeureraient privés d’intérêt sans
cela. Il en va de même en biologie : jusqu’à ce que la théorie de l’évolution fasse jaillir un sens de
la déconcertante variété des structures organiques, les faits particuliers ne présentaient d’intérêt
que pour le naturaliste averti. En histoire, il en va cependant tout autrement. Un grand nombre de
faits historiques possèdent en eux-mêmes une valeur intrinsèque, un profond intérêt qui en
justifie l’étude, quelle que soit la possibilité que nous avons de les relier au moyen de lois
causales.
RUSSELL, Essais philosophiques
- 435 -
[436] SUJET N° 424 - 3PHAALR1 - 2003 - Série STI AA - LA REUNION - SESSION
NORMALE
Il n’en est pas moins vrai, personne n’en peut douter, qu’il est de beaucoup plus utile aux
hommes de vivre suivant les lois et les injonctions (1) certaines de la Raison, lesquelles tendent
uniquement [...] à ce qui est réellement utile aux hommes. En outre il n’est personne qui ne désire
vivre à l’abri de la crainte autant qu’il se peut, et cela est tout à fait impossible aussi longtemps
qu’il est loisible à chacun de faire tout ce qui lui plaît, et qu’il n’a pas reconnu à la Raison plus de
droits qu’à la haine et à la colère ; personne en effet ne vit sans angoisse parmi les inimitiés (2),
les haines, la colère et les ruses, il n’est personne qui ne tâche en conséquence d’y échapper
autant qu’il est en lui. Que l’on considère encore que, s’ils ne s’entraident pas, les hommes vivent
très misérablement et que, s’ils ne cultivent pas la Raison, ils restent asservis aux nécessités de la
vie [...], et l’on verra très clairement que pour vivre dans la sécurité et le mieux possible, les
hommes ont dû nécessairement aspirer à s’unir en un corps et ont fait par là que le droit que
chacun avait de nature sur toutes choses, appartînt à la collectivité et fût déterminé non plus par la
force et l’appétit de l’individu mais par la puissance et la volonté de tous ensemble.
SPINOZA
(1) « injonctions » : commandements.
(2) « inimitiés » : sentiments hostiles.
- 436 -
[437] SUJET N° 425 - 3PHTERE1 - 2003 - Série TECHN. - LA REUNION - SESSION
NORMALE
S’il n’y a pas d’histoire proprement dite, là où les événements dérivent nécessairement et
régulièrement les uns des autres en vertu de lois constantes (1), il n’y a pas non plus d’histoire,
dans le vrai sens du mot, pour une suite d’événements qui seraient sans aucune liaison entre eux.
Ainsi les registres d’une loterie publique pourraient offrir une succession de coups réguliers,
quelquefois piquants pour la curiosité, mais ne constitueraient pas une histoire : car les coups se
succèdent sans s’enchaîner, sans que les premiers exercent aucune influence sur ceux qui les
suivent, à peu près comme dans ces annales où les prêtres de l’Antiquité avaient soin de
consigner (2) les monstruosités et les prodiges à mesure qu’ils venaient à leur connaissance. Tous
ces événements merveilleux, sans liaison les uns avec les autres, ne peuvent former une histoire,
dans le vrai sens du mot, quoiqu’ils se succèdent suivant un certain ordre chronologique.
COURNOT
(1) « lois constantes » : par exemple les lois de la physique.
(2) « consigner » : inscrire dans un registre.
QUESTIONS :
1° Enoncez l’idée centrale et la structure du texte.
2° Expliquez :
a) « car les coups se succèdent sans s’enchaîner, sans que les premiers exercent aucune influence
sur ceux qui les suivent » ;
b) pourquoi « les registres d’une loterie publique » ne forment pas un récit.
3° En quoi l’histoire n’est-elle pas seulement une succession d’événements ?
- 437 -
[438] SUJET N° 426 - 3PHAAAG1 - 2003 - Série STI AA - ANTILLES - SESSION
NORMALE
Le grand art des jardins est tenu au style par l’obéissance. Premièrement il respecte la forme de la
terre [...] ; et même on peut dire qu’il la rend plus visible par les perspectives, les pentes, les
tournants, les escaliers, les grottes. Secondement, il obéit aux arbres, qui sont des êtres de durée,
précieux, exigeants, de long travail. Il obéit aussi à toutes les plantes, les rangeant selon la
hauteur et selon le soleil, les espaçant selon les racines. La symétrie et la règle, les droites, les
courbes, les intervalles revenant, marques de l’homme, nous plaisent alors, mais comme des
produits de la nature même, de la nature non forcée. Ce point d’heureuse obéissance est le
difficile à toucher en tous les arts ; mais l’art des jardins nous instruit peut-être mieux qu’un
autre ; car lorsqu’on taille les ifs en forme d’oiseaux ou de personnages, on sent bien alors que
l’on perd le beau, et que l’on tombe dans l’ornement arbitraire. Et c’est le difficile, en des arts
comme la musique et la peinture, de ne point tailler des ifs en forme de paons.
ALAIN
QUESTIONS :
1) Dégagez la thèse de ce texte et faites apparaître les étapes de son argumentation.
2) Expliquez :
a) « il la rend plus visible » ;
b) « [les] marques de l’homme nous plaisent alors, mais comme des produits de la nature
même » ;
c) « on perd le beau, [...] on tombe dans l’ornement arbitraire ».
3) L’art doit-il obéir à la nature ?
- 438 -
[439] SUJET N° 427 - 3PHTEAG1 - 2003 - Série TECHN. - ANTILLES - SESSION
NORMALE
Il est aisé de voir qu’entre les différences qui distinguent les hommes, plusieurs passent pour
naturelles qui sont uniquement l’ouvrage de l’habitude et des divers genres de vie que les
hommes adoptent dans la société. Ainsi un tempérament robuste ou délicat, la force ou la
faiblesse qui en dépendent, viennent souvent plus de la manière dont on a été élevé que de la
constitution primitive des corps. Il en est de même des forces de l’esprit, et non seulement
l’éducation met de la différence entre les esprits cultivés, et ceux qui ne le sont pas, mais elle
augmente celle qui se trouve entre les premiers à proportion de la culture. Or si l’on compare la
diversité prodigieuse d’éducations et de genres de vie qui règne dans les différents ordres de l’état
civil (1), avec la simplicité et l’uniformité de la vie animale et sauvage, où tous se nourrissent des
mêmes aliments, vivent de la même manière, et font exactement les mêmes choses, on
comprendra combien la différence d’homme à homme doit être moindre dans l’état de nature que
dans celui de société, et combien l’inégalité naturelle doit augmenter dans l’espèce humaine par
l’inégalité d’institution.
ROUSSEAU
(1) « les différents ordres de l’état civil » : les différentes classes de la société.
QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée centrale et les articulations du texte.
2°
a) Expliquez, en vous appuyant sur des exemples du texte, pourquoi les différences culturelles
passent pour naturelles.
b) Quel sens a la distinction entre inégalité naturelle et inégalité d’institution ?
3° L’éducation augmente-elle inévitablement les inégalités ?
- 439 -
[440] SUJET N° 428 - 3PHTEAG3 - 2003 - Série TECHN. - ANTILLES - SESSION REMPL.
C’est précisément à cause de ces dangers dont la nature nous menace que nous nous sommes
rapprochés et avons créé la civilisation qui, entre autres raisons d’être, doit nous permettre de
vivre en commun. A la vérité, la tâche principale de la civilisation, sa raison d’être essentielle est
de nous protéger contre la nature. On le sait, elle s’acquitte, sur bien des chapitres, déjà fort bien
de cette tâche et plus tard elle s’en acquittera évidemment un jour encore bien mieux. Mais
personne ne nourrit l’illusion que la nature soit déjà domptée, et bien peu osent espérer qu’elle
soit un jour tout entière soumise à l’homme. Voici les éléments, qui semblent se moquer de tout
joug que chercherait à leur imposer l’homme : la terre, qui tremble, qui se fend, qui engloutit
l’homme et son œuvre, l’eau, qui se soulève, et inonde et noie toute chose, la tempête, qui
emporte tout devant soi ; voilà les maladies, que nous savons depuis peu seulement être dues aux
attaques d’autres êtres vivants, et enfin l’énigme douloureuse de la mort, de la mort à laquelle
aucun remède n’a jusqu’ici été trouvé et ne le sera sans doute jamais. Avec ces forces la nature se
dresse contre nous, sublime, cruelle, inexorable ; ainsi elle nous rappelle notre faiblesse, notre
détresse, auxquelles nous espérions nous soustraire grâce au labeur de notre civilisation. C’est un
des rares spectacles nobles et exaltants que les hommes puissent offrir que de les voir, en
présence d’une catastrophe due aux éléments, oublier leurs dissensions, les querelles et
animosités qui les divisent pour se souvenir de leur grande tâche commune : le maintien de
l’humanité face aux forces supérieures de la nature.
FREUD
QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée centrale et le mouvement général du texte.
2° Expliquez :
a) pourquoi le projet de maîtrise de la nature est-il qualifié par Freud d’« illusion » ?
b) en quel sens la nature peut-elle être à la fois « sublime » et « cruelle » ?
c) pourquoi la lutte contre les catastrophes est-elle qualifiée par Freud de « spectacle noble et
exaltant » ?
3° La tâche principale de la civilisation est-elle de nous protéger contre la nature ?
- 440 -
[441] SUJET N° 429 - 3PHLIME3 - 2003 - Série L - METROPOLE - SESSION REMPL.
Quand je me promène pour la première fois, par exemple, dans une ville où je séjournerai, les
choses qui m’entourent produisent en même temps sur moi une impression qui est destinée à
durer, et une impression qui se modifiera sans cesse. Tous les jours j’aperçois les mêmes
maisons, et comme je sais que ce sont les mêmes objets, je les désigne constamment par le même
nom, et je m’imagine aussi qu’elles m’apparaissent toujours de la même manière. Pourtant, si je
me reporte, au bout d’un assez long temps, à l’impression que j’éprouvai pendant les premières
années, je m’étonne du changement singulier, inexplicable et surtout inexprimable, qui s’est
accompli en elle. Il semble que ces objets, continuellement perçus par moi et se peignant sans
cesse dans mon esprit, aient fini par m’emprunter quelque chose de mon existence consciente ;
comme moi ils ont vécu, et comme moi vieilli. Ce n’est pas là illusion pure ; car si l’impression
d’aujourd’hui était absolument identique à celle d’hier, quelle différence y aurait-il entre
percevoir et reconnaître, entre apprendre et se souvenir ? Pourtant cette différence échappe à
l’attention de la plupart ; on ne s’en apercevra guère qu’à la condition d’en être averti, et de
s’interroger alors scrupuleusement soi-même. La raison en est que notre vie extérieure et pour
ainsi dire sociale a plus d’importance pratique pour nous que notre existence intérieure et
individuelle. Nous tendons instinctivement à solidifier nos impressions, pour les exprimer par le
langage. De là vient que nous confondons le sentiment même, qui est dans un perpétuel devenir,
avec son objet extérieur permanent, et surtout avec le mot qui exprime cet objet.
BERGSON, Essai sur les données immédiates de la conscience
- 441 -
[442] SUJET N° 430 - 3PHLAC3 - 2003 - Série L - ANTILLES - SESSION REMPL.
On peut concevoir des hommes arrivés à un certain degré de liberté qui les satisfasse entièrement.
Ils jouissent alors de leur indépendance sans inquiétude et sans ardeur. Mais les hommes ne
fonderont jamais une égalité qui leur suffise.
Un peuple a beau faire des efforts, il ne parviendra pas à rendre les conditions parfaitement égales
dans son sein ; et s’il avait le malheur d’arriver à ce nivellement absolu et complet, il resterait
encore l’inégalité des intelligences, qui, venant directement de Dieu, échappera toujours aux lois.
Quelque démocratique que soit l’état social et la constitution politique d’un peuple, on peut donc
compter que chacun de ses citoyens apercevra toujours près de soi plusieurs points qui le
dominent, et l’on peut prévoir qu’il tournera obstinément ses regards de ce seul côté. Quand
l’inégalité est la loi commune d’une société, les plus fortes inégalités ne frappent point l’œil ;
quand tout est à peu près de niveau, les moindres le blessent. C’est pour cela que le désir de
l’égalité devient toujours plus insatiable à mesure que l’égalité est plus grande.
Chez les peuples démocratiques, les hommes obtiendront aisément une certaine égalité ; ils ne
sauraient atteindre celle qu’ils désirent.
TOCQUEVILLE, De la Démocratie en Amérique
- 442 -
[443] SUJET N° 431 - 3PHLIPO2 - 2003 - Série L - POLYNESIE - SESSION REMPL.
Sitôt que les hommes sont en société, ils perdent le sentiment de leur faiblesse ; l’égalité, qui était
entre eux, cesse, et l’état de guerre commence.
Chaque société particulière vient à sentir sa force ; ce qui produit un état de guerre de nation à
nation. Les particuliers, dans chaque société, commencent à sentir leur force ; ils cherchent à
tourner en leur faveur les principaux avantages de cette société ; ce qui fait entre eux un état de
guerre.
Ces deux sortes d’état de guerre font établir les lois parmi les hommes. Considérés comme
habitants d’une si grande planète, qu’il est nécessaire qu’il y ait différents peuples, ils ont des lois
dans le rapport que ces peuples ont entre eux ; et c’est le DROIT DES GENS (1) […].
Le droit des gens est naturellement fondé sur ce principe, que les diverses nations doivent se
faire, dans la paix, le plus de bien, et, dans la guerre, le moins de mal qu’il est possible, sans nuire
à leurs véritables intérêts.
L’objet de la guerre, c’est la victoire ; celui de la victoire, la conquête ; celui de la conquête, la
conservation. De ce principe et du précédent doivent dériver toutes les lois qui forment le droit
des gens.
MONTESQUIEU, De l’Esprit des Lois
(1) « gens » est pris ici au sens de peuple.
- 443 -
[444] SUJET N° 432 - 3PHSCME3 - 2003 - Série S - METROPOLE - SESSION REMPL.
L’amour de la démocratie est celui de l’égalité.
L’amour de la démocratie est encore l’amour de la frugalité. Chacun devant y avoir le même
bonheur et les mêmes avantages, y doit goûter les mêmes plaisirs, et former les mêmes
espérances ; chose qu’on ne peut attendre que de la frugalité générale.
L’amour de l’égalité, dans une démocratie, borne l’ambition au seul désir, au seul bonheur de
rendre à sa patrie de plus grands services que les autres citoyens. Ils ne peuvent pas lui rendre
tous des services égaux ; mais ils doivent tous également lui en rendre. En naissant, on contracte
envers elle une dette immense dont on ne peut jamais s’acquitter.
Ainsi les distinctions y naissent du principe de l’égalité, lors même qu’elle paraît ôtée par des
services heureux, ou par des talents supérieurs.
L’amour de la frugalité borne le désir d’avoir à l’attention que demande le nécessaire pour sa
famille et même le superflu pour sa patrie. Les richesses donnent une puissance dont un citoyen
ne peut pas user pour lui ; car il ne serait pas égal. Elles procurent des délices dont il ne doit pas
jouir non plus parce qu’elles choqueraient l’égalité tout de même (1).
MONTESQUIEU, De l’Esprit des Lois
(1) « tout de même » : pareillement.
- 444 -
[445] SUJET N° 433 - 3PHSCAG2 - 2003 - Série S - ANTILLES - SESSION REMPL. (S)
En vain on essaie de se représenter un individu dégagé de toute vie sociale. Même
matériellement, Robinson (1) dans son île reste en contact avec les autres hommes, car les objets
fabriqués qu’il a sauvés du naufrage, et sans lesquels il ne se tirerait pas d’affaire, le maintiennent
dans la civilisation et par conséquent dans la société. Mais un contact moral lui est plus
nécessaire encore, car il se découragerait vite s’il ne pouvait opposer à des difficultés sans cesse
renaissantes qu’une force individuelle dont il sent les limites. Dans la société à laquelle il
demeure idéalement attaché il puise de l’énergie ; il a beau ne pas la voir, elle est là qui le
regarde : si le moi individuel conserve vivant et présent le moi social, il fera, isolé, ce qu’il ferait
avec l’encouragement et même l’appui de la société entière. Ceux que les circonstances
condamnent pour un temps à la solitude, et qui ne trouvent pas en eux-mêmes les ressources de la
vie intérieure profonde, savent ce qu’il en coûte de se "laisser aller", c’est-à-dire de ne pas fixer le
moi individuel au niveau prescrit par le moi social.
BERGSON, Les deux Sources de la morale et de la religion
(1) Robinson Crusoé : personnage de marin échoué sur une île déserte.
- 445 -
[446] SUJET N° 434 - 3PHSCPO3 - 2003 - Série S - POLYNESIE - SESSION REMPL.
L’homme est destiné par sa raison à exister en société avec des hommes et à se cultiver, se
civiliser, se moraliser, dans cette société, par l’art et les sciences, si grand que puisse être son
penchant animal à s’abandonner passivement aux séductions du confort et du bien-vivre qu’il
appelle félicité : bien plutôt est-il destiné à se rendre activement digne de l’humanité, en luttant
contre les obstacles dont l’accable la grossièreté de sa nature.
L’homme doit donc nécessairement être éduqué en vue du bien ; mais celui qui a le devoir de
l’éduquer est à son tour un homme qui est encore plongé dans la grossièreté de la nature et doit
pourtant produire ce dont lui-même a besoin. De là vient le constant écart de l’être humain par
rapport à sa destination, avec toujours des tentatives répétées pour y revenir.
KANT, Anthropologie du point de vue pragmatique
- 446 -
[447] SUJET N° 435 - 3PHESME3 - 2003 - Série ES - METROPOLE - SESSION REMPL.
Ce qu’il faut craindre d’ailleurs, ce n’est pas tant la vue de l’immoralité des grands que celle de
l’immoralité menant à la grandeur. Dans la démocratie, les simples citoyens voient un homme qui
sort de leurs rangs et qui parvient en peu d’années à la richesse et à la puissance ; ce spectacle
excite leur surprise et leur envie ; ils recherchent comment celui qui était hier leur égal est
aujourd’hui revêtu du droit de les diriger. Attribuer son élévation à ses talents ou à ses vertus est
incommode, car c’est avouer qu’eux-mêmes sont moins vertueux et moins habiles que lui. Ils en
placent donc la principale cause dans quelques-uns de ses vices, et souvent ils ont raison de le
faire. Il s’opère ainsi je ne sais quel odieux mélange entre les idées de bassesse et de pouvoir,
d’indignité et de succès, d’utilité et de déshonneur.
TOCQUEVILLE, De la Démocratie en Amérique
- 447 -
[448] SUJET N° 436 - 3PHESAC3 - 2003 - Série ES - ANTILLES - SESSION REMPL.
L’homme libre, c’est celui à qui tout advient selon sa volonté, celui à qui personne ne peut faire
obstacle. - Quoi ? la liberté serait-elle déraison ? - Bien loin de là ! Folie et liberté ne vont pas
ensemble. - Mais je veux qu’il arrive tout ce qui me paraît bon, quelle que soit la chose qui me
paraît telle. - Tu es fou, tu déraisonnes. - Ne sais-tu pas que la liberté est chose belle et
estimable ? Vouloir au hasard qu’adviennent les choses qu’un hasard me fait croire bonnes, voilà
qui risque de ne pas être une belle chose et même d’être la plus laide de toutes. Comment
procédons-nous dans l’écriture des lettres ? Est-ce que je veux écrire à ma fantaisie le nom de
Dion ? Non pas ; mais on m’apprend à vouloir l’écrire comme il doit l’être. Et en musique ? c’est
la même chose. Que faisons-nous en général, dès qu’il y a un art ou une science ? La même
chose ; et le savoir n’aurait aucun prix, si les choses se pliaient à nos caprices. Et ici, où il s’agit
de la chose la plus importante, de la chose capitale, de la liberté, me serait-il donc permis de
vouloir au hasard ? Nullement ; s’instruire, c’est apprendre à vouloir chaque événement tel qu’il
se produit.
EPICTETE, Entretiens
- 448 -
[449] SUJET N° 437 - 3PHESPY3 - 2003 - Série ES - POLYNESIE - SESSION REMPL.
L’expérience paraît enseigner que dans l’intérêt de la paix et de la concorde, il convient que tout
le pouvoir appartienne à un seul. Nul Etat en effet n’est demeuré aussi longtemps sans aucun
changement notable que celui des Turcs et en revanche nulles cités n’ont été moins durables que
les Cités populaires ou démocratiques, et il n’en est pas où se soient élevées plus de séditions.
Mais si la paix doit porter le nom de servitude, de barbarie et de solitude, il n’est rien pour les
hommes de si lamentable que la paix. Entre les parents et les enfants il y a certes plus de
querelles et des discussions plus âpres qu’entre maîtres et esclaves, et cependant il n’est pas de
l’intérêt de la famille ni de son gouvernement que l’autorité paternelle se change en une
domination et que les enfants soient tels que des esclaves. C’est donc la servitude, non la paix,
qui demande que tout le pouvoir soit, aux mains d’un seul : ainsi que nous l’avons déjà dit, la
paix ne consiste pas dans l’absence de guerre, mais dans l’union des âmes, c’est-à-dire dans la
concorde.
SPINOZA, Traité politique
- 449 -
[450] SUJET N° 438 - 3PHTEME3 - 2003 - Série TECHN. - METROPOLE - SESSION
REMPL.
Chacun sent bien que la force ne peut rien contre le droit ; mais beaucoup sont disposés à
reconnaître que la force peut quelque chose pour le droit [...]. Je suis bien loin de mépriser cet
ordre ancien et vénérable que l’agent (1) au carrefour représente si bien. Et je veux remarquer
d’abord ceci, c’est que l’autorité de l’agent est reconnue plutôt que subie. Je suis pressé ; le bâton
levé produit en moi un mouvement d’impatience et même de colère ; mais enfin je veux cet ordre
au carrefour et non pas une lutte de force entre les voitures ; et le bâton de l’agent me rappelle
cette volonté mienne, que la passion allait me faire oublier. Ce que j’exprime en disant qu’il y a
un ordre de droit entre l’agent et moi, entre les autres voyageurs et moi ; ou bien, si l’on veut dire
autrement, un état de paix véritable. Si cet ordre n’est point reconnu et voulu par moi, si je cède
seulement à une force évidemment supérieure, il n’y a ni paix ni droit, mais seulement un
vainqueur, qui est l’agent, et un vaincu, qui est moi.
ALAIN
(1) « agent » : agent de police.
QUESTIONS :
1° Dégagez la thèse du texte et les étapes du raisonnement.
2° Expliquez
a) « Et je veux remarquer d’abord ceci, c’est que l’autorité de l’agent est reconnue plutôt que
subie » ;
b) « ce que j’exprime en disant qu’il y a un ordre de droit entre l’agent et moi, entre les autres
voyageurs et moi ».
3° N’obéit-on à la loi que par peur de la sanction ?
- 450 -
[451] SUJET N° 439 - 3PHTEPO3 - 2003 - Série TECHN. - POLYNESIE - SESSION REMPL.
On pense que l’esclave est celui qui agit par commandement et l’homme libre celui qui agit selon
son bon plaisir. Cela cependant n’est pas absolument vrai, car en réalité être captif (1) de son
plaisir et incapable de rien voir ni faire qui nous soit vraiment utile, c’est le pire esclavage, et la
liberté n’est qu’à celui qui de son entier consentement vit sous la seule conduite de la Raison.
Quant à l’action par commandement, c’est-à-dire à l’obéissance, elle ôte bien en quelque manière
la liberté, elle ne fait cependant pas sur-le-champ un esclave. Si la fin (2) de l’action n’est pas
l’utilité de l’agent (3) lui-même, mais de celui qui la commande, alors l’agent est un esclave,
inutile à lui-même ; au contraire, dans un Etat et sous un commandement pour lesquels la loi
suprême est le salut de tout le peuple, non de celui qui commande, celui qui obéit en tout au
souverain ne doit pas être dit un esclave inutile à lui même, mais un sujet.
SPINOZA
(1) « être captif » : être prisonnier.
(2) « la fin » : le but.
(3) « l’agent » : celui qui agit.
QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée principale du texte et les étapes de son argumentation.
2°
a) Expliquez « être captif de son plaisir est le pire esclavage » ;
b) expliquez « la liberté n’est qu’à celui qui, de son entier consentement, vit sous la seule
conduite de la raison » ;
c) que signifie l’opposition entre un esclave et un sujet ?
3° L’obéissance est-elle nécessairement contraire à la liberté ?
- 451 -
[452] SUJET N° 440 - 3PHAAME3 - 2003 - Série STI AA - METROPOLE - SESSION
REMPL.
L’existence des êtres finis est si pauvre et si bornée que, quand nous ne voyons que ce qui est,
nous ne sommes jamais émus. Ce sont les chimères qui ornent les objets réels ; et si l’imagination
n’ajoute un charme à ce qui nous frappe, le stérile plaisir qu’on y prend se borne à l’organe, et
laisse toujours le cœur froid. La terre, parée des trésors de l’automne, étale une richesse que l’œil
admire mais cette admiration n’est point touchante ; elle vient plus de la réflexion que du
sentiment. Au printemps, la campagne presque nue n’est encore couverte de rien, les bois
n’offrent point d’ombre, la verdure ne fait que de poindre, et le cœur est touché à son aspect. En
voyant renaître ainsi la nature, on se sent ranimer soi-même ; l’image du plaisir nous environne ;
ces compagnes de la volupté, ces douces larmes, toujours prêtes à se joindre à tout sentiment
délicieux, sont déjà sur le bord de nos paupières ; mais l’aspect des vendanges a beau être animé,
vivant, agréable, on le voit toujours d’un œil sec.
Pourquoi cette différence ? C’est qu’au spectacle du printemps l’imagination joint celui des
saisons qui le doivent suivre ; à ces tendres bourgeons que l’œil aperçoit, elle ajoute les fleurs, les
fruits, les ombrages, quelquefois les mystères qu’ils peuvent couvrir. Elle réunit en un point des
temps qui doivent se succéder, et voit moins les objets comme ils seront que comme elle les
désire, parce qu’il dépend d’elle de les choisir. En automne, au contraire, on n’a plus à voir que
ce qui est. Si l’on veut arriver au printemps, l’hiver nous arrête, et l’imagination glacée expire sur
la neige et sur les frimas.
ROUSSEAU
QUESTIONS :
1°
a) Dégagez la thèse de Rousseau et les étapes de son argumentation.
b) Précisez les éléments de la comparaison qu’il établit entre l’automne et le printemps.
2° Expliquez :
a) « quand nous ne voyons que ce qui est, nous ne sommes jamais émus » et « [elle] voit moins
les objets comme ils seront que comme elle les désire ».
b) « elle vient plus de la réflexion que du sentiment ».
3° Qu’est-ce qui me touche dans ce que je perçois ?
- 452 -
[453] SUJET N° 441 - SEPT/NO - 2003 - Série TMD - METROPOLE - SESSION REMPL.
Le principe du devoir envers soi-même est d’un tout autre ordre et n’a aucun rapport avec notre
bien-être et notre bonheur terrestre. Loin d’occuper le dernier rang, ces devoirs envers soi
viennent en premier et sont les plus importants de tous, car - sans encore expliquer de quoi ils
retournent - il est évident qu’on ne peut rien attendre d’un homme qui déshonore sa propre
personne.
Celui qui contrevient aux devoirs qu’il a envers lui-même rejette du même coup l’humanité et
n’est plus en état de s’acquitter de ses devoirs envers les autres. L’homme qui a mal accompli ses
devoirs envers autrui, en manquant de générosité, de bonté et de compassion à son endroit, mais
qui a observé les devoirs qu’il a envers lui-même en vivant comme il convient, peut encore
posséder une certaine valeur intrinsèque. Celui qui au contraire a transgressé ces devoirs envers
soi ne possède aucune valeur intrinsèque. Par conséquent la violation des devoirs envers soimême enlève toute valeur à l’homme, tandis que la violation de ses devoirs envers les autres lui
ôte sa valeur de manière simplement relative.
Aussi les devoirs envers soi sont-ils la condition première sous laquelle les devoirs envers autrui
pourront être observés [...]. Un ivrogne ne fait de mal à personne, et s’il est de forte constitution,
il peut bien ne pas se nuire à lui-même en abusant de la boisson, et pourtant il est un objet de
mépris.
KANT
QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée principale du texte et ses articulations.
2° Expliquez l’expression suivante : « La violation des devoirs envers soi-même enlève toute
valeur à l’homme, tandis que la violation de ses devoirs envers les autres lui ôte sa valeur de
manière simplement relative ».
3° Le respect d’autrui suppose-t-il le respect de soi ?
- 453 -
[454] SUJET N° 442 - 03PHTENC1 - 2003 - Série TECHN. - NOUVELLE-CALEDONIE SESSION NORMALE
Le sensible dans l’art ne concerne que ceux de nos sens qui sont intellectualisés : la vue et l’ouïe,
à l’exclusion de l’odorat, du goût et du toucher. Car l’odorat, le goût et le toucher n’ont affaire
qu’à des éléments matériels et à leurs qualités immédiatement sensibles, l’odorat à l’évaporation
de particules matérielles dans l’air, le goût à la dissolution de particules matérielles, le toucher au
froid, au chaud, au lisse, etc. Ces sens n’ont rien à faire avec les objets de l’art qui doivent se
maintenir dans une réelle indépendance et ne pas se borner à offrir des relations sensibles. Ce que
ces sens trouvent agréable n’est pas le beau que connaît l’art. C’est donc à dessein que l’art crée
un royaume d’ombres, de formes, de tonalités, d’intuitions ; ces formes et ces tonalités sensibles,
l’art ne les fait pas seulement intervenir pour elles-mêmes et sous leur apparence immédiate, mais
encore afin de satisfaire des intérêts spirituels supérieurs, parce qu’ils sont capables de faire naître
une résonance dans les profondeurs de la conscience, un écho dans l’esprit.
HEGEL
QUESTIONS :
1° Dégager l’idée principale du texte et les étapes de son argumentation.
2° Répondre aux questions suivantes en prenant appui sur le texte.
a) Pourquoi les sens « non intellectualisés » n’ont-ils rien à faire avec l’art ?
b) En quoi le beau nous élève-t-il au-dessus de l’agréable ?
3° Qu’est-ce qui nous plaît dans une œuvre d’art ?
- 454 -
[455] SUJET N° 443 - 3PHLINC1 - 2003 - Série L - NOUVELLE-CALEDONIE - SESSION
NORMALE
Chacun de nous a sa manière d’aimer et de haïr, et cet amour, cette haine, reflètent sa
personnalité tout entière. Cependant le langage désigne ces états par les mêmes mots chez tous
les hommes ; aussi n’a-t-il pu fixer que l’aspect objectif et impersonnel de l’amour, de la haine, et
des mille sentiments qui agitent l’âme. Nous jugeons du talent d’un romancier à la puissance avec
laquelle il tire du domaine public, où le langage les avait ainsi fait descendre, des sentiments et
des idées auxquels il essaie de rendre, par une multiplicité de détails qui se juxtaposent, leur
primitive et vivante individualité. Mais de même qu’on pourra intercaler indéfiniment des points
entre deux positions d’un mobile sans jamais combler l’espace parcouru, ainsi, par cela seul que
nous parlons, par cela seul que nous associons des idées les unes aux autres et que ces idées se
juxtaposent au lieu de se pénétrer, nous échouons à traduire entièrement ce que notre âme
ressent : la pensée demeure incommensurable avec le langage.
BERGSON, Essai sur les données immédiates de la conscience
- 455 -
[456] SUJET N° 444 - 3PHESNC1 - 2003 - Série ES - NOUVELLE-CALEDONIE - SESSION
NORMALE
La justice, parmi les autres vertus, a pour fonction propre d’ordonner l’homme en ce qui est
relatif à autrui. En effet, elle implique une certaine égalité, comme son nom lui-même l’indique :
ce qui s’égale « s’ajuste », dit-on communément ; or l’égalité se définit par rapport à autrui. Les
autres vertus au contraire ne perfectionnent l’homme que dans ce qui le concerne
personnellement.
Ainsi donc, ce qui est droit dans les œuvres de ces vertus, et à quoi tend l’intention vertueuse
comme à son objet propre, ne se définit que par rapport au sujet vertueux, tandis que le droit,
dans les œuvres de justice, est constitué par son rapport avec autrui, même abstraction faite du
sujet ; en effet, nous appelons juste dans notre action ce qui correspond à autre chose selon une
certaine égalité, par exemple le paiement du salaire qui est dû en raison d’un service.
En conséquence, on appelle juste, avec toute la rectitude de justice que cela comporte, le terme
auquel aboutit l’acte de la vertu de justice, sans même considérer la façon dont le sujet
l’accomplit, alors que, pour les autres vertus, c’est au contraire la façon dont le sujet agit qui sert
à déterminer la rectitude de ce qu’il fait. C’est pourquoi l’objet de la justice, contrairement à celui
des autres vertus, se détermine en lui-même, spécialement, et porte le nom de juste. Et c’est
précisément le droit. Celui-ci est donc bien l’objet de la justice.
THOMAS D’AQUIN, Somme théologique
- 456 -
[457] SUJET N° 445 - 3PHSCNC1 - 2003 - Série S - NOUVELLE-CALEDONIE - SESSION
NORMALE
Puisqu’il est évident que l’inspiration ne forme rien sans matière, il faut donc à l’artiste, à
l’origine des arts et toujours, quelque premier objet ou quelque première contrainte de fait, sur
quoi il exerce d’abord sa perception, comme l’emplacement et les pierres pour l’architecte, un
bloc de marbre pour le sculpteur, un cri pour le musicien, une thèse pour l’orateur, une idée pour
l’écrivain, pour tous des coutumes acceptées d’abord. Par quoi se trouve défini l’artiste, tout à fait
autrement que d’après la fantaisie. Car tout artiste est percevant et actif, artisan toujours en cela.
Plutôt attentif à l’objet qu’à ses propres passions ; on dirait presque passionné contre les passions,
j’entends impatient surtout à l’égard de la rêverie oisive : ce trait est commun aux artistes, et les
fait passer pour difficiles. [...] Mais si l’on revient aux principes jusqu’ici exposés, on se
détournera de penser que quelque objet beau soit jamais créé hors de l’action. Ainsi la méditation
de l’artiste serait plutôt observation que rêverie, et encore mieux observation de ce qu’il a fait
comme source et règle de ce qu’il va faire. Bref, la loi suprême de l’invention humaine est que
l’on n’invente qu’en travaillant. Artisan d’abord.
ALAIN, Système des beaux-arts
- 457 -
[458] SUJET N° 446 - PHSCAS1 - 2003 - Série S - AMERIQUE DU SUD - SESSION
NORMALE
Regardez-y de près et vous verrez que le mot liberté est un mot vide de sens ; qu’il n’y a point, et
qu’il ne peut y avoir d’êtres libres ; que nous ne sommes que ce qui convient à l’ordre général, à
l’organisation, à l’éducation, et à la chaîne des événements. Voilà ce qui dispose de nous
invinciblement. On ne conçoit non plus (1) qu’un être agisse sans motif, qu’un des bras d’une
balance agisse sans l’action d’un poids ; et le motif nous est toujours extérieur, étranger, attaché
ou par une nature ou par une cause quelconque, qui n’est pas nous. Ce qui nous trompe, c’est la
prodigieuse variété de nos actions, jointe à l’habitude que nous avons prise tout en naissant de
confondre le volontaire avec le libre. Nous avons tant loué, tant repris, nous l’avons été tant de
fois, que c’est un préjugé bien vieux que celui de croire que nous et les autres voulons, agissons
librement. Mais s’il n’y a point de liberté, il n’y a point d’action qui mérite la louange ou le
blâme. Il n’y a ni vice ni vertu, rien dont il faille récompenser ou châtier.
DIDEROT, Lettres à Landois
(1) « non plus » : pas davantage.
- 458 -
[459] SUJET N° 447 - PHESAS1 - 2003 - Série ES - AMERIQUE DU SUD - SESSION
NORMALE
Sitôt que le service public cesse d’être la principale affaire des citoyens, et qu’ils aiment mieux
servir de leur bourse que de leur personne, l’Etat est déjà près de sa ruine. Faut-il marcher au
combat ? ils payent des troupes et restent chez eux ; faut-il aller au conseil ? ils nomment des
députés et restent chez eux. A force de paresse et d’argent, ils ont enfin des soldats pour asservir
la patrie et des représentants pour la vendre.
C’est le tracas du commerce et des arts, c’est l’avide intérêt du gain, c’est la mollesse et l’amour
des commodités, qui changent les services personnels en argent. On cède une partie de son profit
pour l’augmenter à son aise. Donnez de l’argent, et bientôt vous aurez des fers. Ce mot de
Finance est un mot d’esclave ; il est inconnu dans la cité. Dans un Etat vraiment libre les citoyens
font tout avec leurs bras et rien avec de l’argent : loin de payer pour s’exempter de leurs devoirs,
ils paieraient pour les remplir eux-mêmes. Je suis bien loin des idées communes ; je crois les
corvées moins contraires à la liberté que les taxes.
ROUSSEAU, Du Contrat social
- 459 -
[460] SUJET N° 448 - 3PHLIAS1 - 2003 - Série L - AMERIQUE DU SUD - SESSION
NORMALE
Il n’est légitime de modifier les lois humaines que dans la mesure où cette modification est
profitable à l’intérêt commun. Or le changement de loi lui-même, pris en soi, entraîne un certain
dommage pour l’intérêt commun. La coutume contribue en effet pour beaucoup à l’observance
des lois, à tel point, que ce qui se fait contre la coutume, même si c’est de peu d’importance,
semble grave. Il résulte de là que tout changement de la loi diminue la force contraignante de la
loi en ébranlant la coutume, et c’est pourquoi l’on ne doit jamais modifier une loi humaine à
moins que le gain qui en résulte d’autre part pour l’intérêt commun ne compense le dommage
qu’on lui fait subir sur ce point. C’est ce qui peut arriver, soit qu’une très considérable et très
évidente utilité doive résulter du statut nouveau, soit qu’il y ait nécessité urgente à l’admettre, soit
que la loi reçue contienne une iniquité manifeste ou que son maintien soit nuisible à beaucoup de
citoyens.
THOMAS D’AQUIN, Somme théologique
- 460 -
[461] SUJET N° 449 - 2PHSCME1 - 2002 - Série S - METROPOLE - SESSION NORMALE
Tout ce qui est peut ne pas être. Il n’y a pas de fait dont la négation implique contradiction.
L’inexistence d’un être, sans exception, est une idée aussi claire et aussi distincte que son
existence. La proposition, qui affirme qu’il n’existe pas, même si elle est fausse, ne se conçoit et
ne s’entend pas moins que celle qui affirme qu’il existe. Le cas est différent pour les sciences
proprement dites. Toute proposition qui n’est pas vraie y est confuse et inintelligible. La racine
cubique de 64 est égale à la moitié de 10, c’est une proposition fausse et l’on ne peut jamais la
concevoir distinctement. Mais César n’a jamais existé, ou l’ange Gabriel, ou un être quelconque
n’ont jamais existé, ce sont peut-être des propositions fausses, mais on peut pourtant les
concevoir parfaitement et elles n’impliquent aucune contradiction.
On peut donc seulement prouver l’existence d’un être par des arguments tirés de sa cause ou de
son effet ; et ces arguments se fondent entièrement sur l’expérience. Si nous raisonnons a priori,
n’importe quoi peut paraître capable de produire n’importe quoi. La chute d’un galet peut, pour
autant que nous le sachions, éteindre le soleil ; ou le désir d’un homme gouverner les planètes
dans leurs orbites. C’est seulement l’expérience qui nous apprend la nature et les limites de la
cause et de l’effet et nous rend capables d’inférer l’existence d’un objet de celle d’un autre.
HUME, Enquête sur l’entendement humain
- 461 -
[462] SUJET N° 450 - 2PHESME1 - 2002 - Série ES - METROPOLE - SESSION NORMALE
C’est l’avènement de l’automatisation qui, en quelques décennies, probablement videra les usines
et libérera l’humanité de son fardeau le plus ancien et le plus naturel, le fardeau du travail,
l’asservissement à la nécessité (...).
C’est une société de travailleurs que l’on va délivrer des chaînes du travail, et cette société ne sait
plus rien des activités plus hautes et plus enrichissantes pour lesquelles il vaudrait la peine de
gagner cette liberté. Dans cette société qui est égalitaire, car c’est ainsi que le travail fait vivre
ensemble les hommes, il ne reste plus de classe, plus d’aristocratie politique ou spirituelle, qui
puisse provoquer une restauration des autres facultés de l’homme. Même les présidents, les rois,
les premiers ministres voient dans leurs fonctions des emplois nécessaires à la vie de la société, et
parmi les intellectuels il ne reste que quelques solitaires pour considérer ce qu’ils font comme des
œuvres et non comme des moyens de gagner leur vie. Ce que nous avons devant nous, c’est la
perspective d’une société de travailleurs sans travail, c’est-à-dire privés de la seule activité qui
leur reste. On ne peut rien imaginer de pire.
ARENDT, La Condition de l’homme moderne
- 462 -
[463] SUJET N° 451 - 2PHLIME1 - 2002 - Série L - METROPOLE - SESSION NORMALE
Quand je dis que nous avons le sentiment intérieur de notre liberté, je ne prétends pas soutenir
que nous ayons le sentiment intérieur d’un pouvoir de nous déterminer à vouloir quelque chose
sans aucun motif physique (1) ; pouvoir que quelques gens appellent indifférence pure. Un tel
pouvoir me paraît renfermer une contradiction manifeste [...] ; car il est clair qu’il faut un motif,
qu’il faut pour ainsi dire sentir, avant que de consentir. Il est vrai que souvent nous ne pensons
pas au motif qui nous a fait agir ; mais c’est que nous n’y faisons pas réflexion, surtout dans les
choses qui ne sont pas de conséquence. Certainement il se trouve toujours quelque motif secret et
confus dans nos moindres actions ; et c’est même ce qui porte quelques personnes à soupçonner
et quelquefois à soutenir qu’ils (2) ne sont pas libres ; parce qu’en s’examinant avec soin, ils
découvrent les motifs cachés et confus qui les font vouloir. Il est vrai qu’ils ont été agis pour ainsi
dire, qu’ils ont été mus ; mais ils ont aussi agi par l’acte de leur consentement, acte qu’ils avaient
le pouvoir de ne pas donner dans le moment qu’ils l’ont donné ; pouvoir, dis-je, dont ils avaient
le sentiment intérieur dans le moment qu’ils en ont usé, et qu’ils n’auraient osé nier si dans ce
moment on les en eût interrogés.
MALEBRANCHE, De la Recherche de la vérité
(1) « motif physique » : motif qui agit sur la volonté.
(2) « ils », c’est-à-dire : ces personnes.
- 463 -
[464] SUJET N° 452 - 02PHSCLR1 - 2002 - Série S - LA REUNION - SESSION NORMALE
Si la force ne peut se rendre maîtresse des opinions des hommes, ni en implanter de nouvelles
dans leurs cœurs, en revanche, la courtoisie, l’amitié et la douceur sont capables de ce genre
d’effets ; beaucoup d’hommes, que leurs occupations et la paresse empêchent de se livrer à
l’examen, n’adoptent leurs opinions que sur la foi d’autrui, même en matière de religion ; mais
jamais ils ne consentent à les recevoir de gens dont ils ne sont pas assurés qu’ils sont savants,
bienveillants et sincères ; or, ils ne sauraient prêter de telles qualités à quelqu’un qui les
persécute.
Quant à ceux qui cherchent, il est vrai qu’ils n’adhèrent pas à l’opinion d’un autre en raison des
seules bonnes dispositions de celui-ci ; mais ils seront d’autant plus disposés à être convaincus et
à chercher les raisons qui pourraient les persuader de partager l’opinion de quelqu’un qu’ils sont
obligés de chérir.
La force est un mauvais moyen pour faire que les dissidents reviennent de leurs opinions ; en
revanche, lorsque vous les convainquez de partager votre propre opinion, vous les attachez
solidement au char de l’Etat ; mais pour ceux qui demeurent fermes en leurs convictions, et qui
continuent d’avoir des opinions différentes, la force ne réussira certainement pas à en faire pour
vous des amis.
LOCKE, Essai sur la tolérance
- 464 -
[465] SUJET N° 453 - 2PHESLR1 - 2002 - Série ES - LA REUNION - SESSION NORMALE
Nos contemporains sont incessamment travaillés par deux passions ennemies : ils sentent le
besoin d’être conduits et l’envie de rester libres. Ne pouvant détruire ni l’un ni l’autre de ces
instincts contraires, ils s’efforcent de les satisfaire â la fois tous les deux. Ils imaginent un
pouvoir unique, tutélaire, tout-puissant, mais élu par les citoyens. Ils combinent la centralisation
et la souveraineté du peuple. Cela leur donne quelque relâche. Ils se consolent d’être en tutelle, en
songeant qu’ils ont eux-mêmes choisi leurs tuteurs. Chaque individu souffre (1) qu’on l’attache,
parce qu’il voit que ce n’est pas un homme ni une classe, mais le peuple lui-même, qui tient le
bout de la chaîne.
Dans ce système, les citoyens sortent un moment de la dépendance pour indiquer leur maître, et y
rentrent.
Il y a, de nos jours, beaucoup de gens qui s’accommodent très aisément de cette espèce de
compromis entre le despotisme administratif et la souveraineté du peuple, et qui pensent avoir
assez garanti la liberté des individus, quand c’est au pouvoir national qu’ils la livrent. Cela ne me
suffit point. La nature du maître m’importe bien moins que l’obéissance.
TOCQUEVILLE, De la Démocratie en Amérique
(1) « souffre » : supporte.
- 465 -
[466] SUJET N° 454 - PHREL1 - 2002 - Série L - LA REUNION - SESSION NORMALE
On découvre aisément d’où naît la passion d’un peuple pour la liberté. L’expérience prouve que
jamais les peuples n’ont accru et leur richesse et leur puissance sauf sous un gouvernement libre.
Et vraiment on ne peut voir sans admiration Athènes, délivrée de la tyrannie (...), s’élever en
moins de cent ans à une telle grandeur. Mais plus merveilleuse encore est celle à laquelle s’éleva
Rome après l’expulsion de ses rois. Ces progrès sont faciles à expliquer : c’est le bien général et
non l’intérêt particulier qui fait la puissance d’un Etat ; et sans contredit on n’a vraiment en vue le
bien public que dans les républiques : quoi que ce soit qui contribue à ce bien commun, on l’y
réalise ; et si parfois on lèse ainsi quelques particuliers, tant de citoyens y trouvent de l’avantage
qu’ils peuvent toujours passer outre à l’opposition du petit nombre des citoyens lésés.
C’est le contraire qui se passe sous le gouvernement d’un prince : le plus souvent, son intérêt
particulier est en opposition avec celui de l’Etat.
MACHIAVEL, Discours sur la première décade de Tite-Live
- 466 -
[467] SUJET N° 455 - 2PHSCAG1 - 2002 - Série S - ANTILLES - SESSION NORMALE
Acceptons, pour un instant, l’hypothèse que le jugement pût être réprimé et les hommes tenus si
étroitement en bride, qu’ils n’osent prononcer un mot que sur l’ordre de la souveraine Puissance
(1). Jamais, en revanche, on n’obtiendra que toutes leurs pensées soient conformes aux volontés
politiques officielles. Que se produirait-il donc ? Les sujets poursuivraient quotidiennement des
pensées sans rapport aucun avec leurs paroles ; la bonne foi, si indispensable à la communauté
publique, se corromprait, tandis que, sur les traces détestables de l’adulation (2) et de la perfidie,
la fourberie, la déchéance des meilleures coutumes de vie seraient encouragées. Au surplus, il
faudrait entretenir de singulières illusions pour escompter des hommes une si parfaite docilité,
fût-ce en leurs paroles ; plus, au contraire, on s’efforce de les priver de leur liberté d’expression,
et plus leur résistance est acharnée. Or les sujets qu’on réduit ainsi à la lutte ne sont point de ces
individus cupides, flatteurs ni de ces lâches, pour qui le sort le plus beau consiste à contempler
des pièces d’or dans une cassette et à avoir le ventre bien rempli ; ce sont des hommes qui ont
trouvé, en leur éducation, en la pureté de leur vie et la noblesse de leur caractère, une haute
libération intérieure.
SPINOZA, Autorités théologique et politique
(1) « souveraine Puissance » : pouvoir politique.
(2) « adulation » : flatterie, louange excessive.
- 467 -
[468] SUJET N° 456 - PHESAG - 2002 - Série ES - ANTILLES - SESSION NORMALE
Supposons que, si je savais jouer au tennis, l’un d’entre vous, me voyant jouer, me dise : « Vous
jouez bien mal » et que je lui réponde : « Je sais que je joue mal, mais je ne veux pas jouer
mieux », tout ce que mon interlocuteur pourrait dire serait : « Ah bon, dans ce cas, tout va bien. »
Mais supposez que j’aie raconté à l’un d’entre vous un mensonge extravagant, qu’il vienne me
dire : « Vous vous conduisez en goujat » et que je réponde : « Je sais que je me conduis mal, mais
de toute façon, je ne veux aucunement mieux me conduire », pourrait-il dire alors : « Ah bon,
dans ce cas tout va bien » ? Certainement pas ; il dirait : « Eh bien, vous devez vouloir mieux
vous conduire. » Là, vous avez un jugement de valeur absolu, alors que celui de l’exemple
antérieur était un jugement relatif. Dans son essence, la différence entre ces deux types de
jugements semble manifestement consister en ceci : tout jugement de valeur relative est un
simple énoncé de faits et peut par conséquent être formulé de telle façon qu’il perd toute
apparence de jugement de valeur. [...] Ce que je veux soutenir maintenant, bien que l’on puisse
montrer que tout jugement de valeur relative se ramène à un simple énoncé de faits, c’est
qu’aucun énoncé de faits ne peut être ou ne peut impliquer un jugement de valeur absolue.
WITTGENSTEIN, Conférence sur l’éthique
- 468 -
[469] SUJET N° 457 - 2PHLACE1 - 2002 - Série L - ANTILLES - SESSION NORMALE
L’adversité, la douleur, la pauvreté sont de grandes tentations menant l’homme à violer son
devoir. L’aisance, la force, la santé et la prospérité en général, qui s’opposent à cette influence,
peuvent donc aussi, semble-t-il, être considérées comme des fins qui sont en même temps des
devoirs, je veux dire le devoir de travailler à son propre bonheur et de ne pas s’appliquer
seulement à celui d’autrui. - Mais alors ce n’est pas le bonheur qui est la fin, mais la moralité du
sujet et le bonheur n’est que le moyen légitime d’écarter les obstacles qui s’opposent à cette fin ;
aussi personne n’a ainsi le droit d’exiger de moi le sacrifice de mes fins qui ne sont pas
immorales. Ce n’est pas directement un devoir que de chercher pour elle-même l’aisance, mais
indirectement ce peut bien en être un, à savoir écarter la misère comme étant une forte tentation
de mal agir. Mais alors ce n’est pas de mon bonheur, mais de ma moralité que j’ai comme fin et
aussi comme devoir de conserver l’intégrité.
KANT, Doctrine de la vertu
- 469 -
[470] SUJET N° 458 - 2PHSCPO1 - 2002 - Série S - POLYNESIE - SESSION NORMALE
[Croire]. C’est être persuadé de la vérité d’un fait ou d’une proposition ou parce qu’on ne s’est
pas donné la peine de l’examen, ou parce qu’on a mal examiné, ou parce qu’on a bien examiné. Il
n’y a guère que le dernier cas dans lequel l’assentiment puisse être ferme et satisfaisant. Il est
aussi rare que difficile d’être content de soi, lorsqu’on n’a fait aucun usage de sa raison, ou
lorsque l’usage qu’on en a fait est mauvais. Celui qui croit, sans avoir aucune raison de croire,
eût-il rencontré la vérité, se sent toujours coupable d’avoir négligé la prérogative la plus
importante de sa nature, et il n’est pas possible qu’il imagine qu’un heureux hasard pallie
l’irrégularité de sa conduite. Celui qui se trompe, après avoir employé les facultés de son âme
dans toute leur étendue, se rend â lui-même le témoignage d’avoir rempli son devoir de créature
raisonnable ; et il serait aussi condamnable de croire sans examen, qu’il le serait de ne pas croire
une vérité évidente ou clairement prouvée. On aura donc bien réglé son assentiment et on l’aura
placé comme on doit, lorsqu’en quelques cas et sur quelque matière que ce soit, on aura écouté la
voix de sa conscience et de sa raison. Si on eût agi autrement, on eût péché contre ses propres
lumières, et abusé de facultés qui ne nous ont été données pour aucune autre fin que pour suivre
la plus grande probabilité : on ne peut contester ces principes, sans détruire la raison et jeter
l’homme dans des perplexités fâcheuses.
DIDEROT, Encyclopédie
- 470 -
[471] SUJET N° 459 - PHESPO - 2002 - Série ES - POLYNESIE - SESSION NORMALE
Que les arts soient fonctionnels, que les cathédrales satisfassent un besoin religieux de la société,
qu’un tableau soit né du besoin de s’exprimer de l’individu peintre, que le spectateur le regarde
par désir de se perfectionner, toutes ces questions ont si peu de rapport avec l’art et sont
historiquement si neuves qu’on est tenté simplement de les évacuer comme préjugés modernes.
Les cathédrales furent bâties ad majorem gloriam Dei (1) ; si, comme constructions, elles
servaient certainement les besoins de la communauté, leur beauté élaborée ne pourra jamais être
expliquée par ces besoins, qui auraient pu être satisfaits tout aussi bien par quelque indescriptible
bâtisse. Leur beauté transcende tout besoin, et les fait durer à travers les siècles. Mais si la beauté,
beauté d’une cathédrale comme beauté d’un bâtiment séculier, transcende besoins et fonctions,
jamais elle ne transcende le monde, même s’il arrive que l’œuvre ait un contenu religieux. Au
contraire, c’est la beauté même de l’art religieux qui transforme les contenus et les soucis
religieux ou autres de ce monde en réalités tangibles.
ARENDT, La Crise de la culture
(1) « pour la plus grande gloire de Dieu »
- 471 -
[472] SUJET N° 460 - 2PHLIPO1 - 2002 - Série L - POLYNESIE - SESSION NORMALE
Dans la foule des vieillards, j’ai envie d’en attraper un et de lui dire : « Nous te voyons arrivé au
terme de la vie humaine ; cent ans ou davantage pèsent sur toi. Eh bien ! reviens sur ta vie pour
en faire le bilan ; dis-nous quelle durée en a été soustraite par un créancier, par une maîtresse, par
un roi, par un client, combien de temps t’ont pris les querelles de ménage, les réprimandes aux
esclaves, les complaisances qui t’ont fait courir aux quatre coins de la ville. Ajoute les maladies
dont nous sommes responsables ; ajoute encore le temps passé à ne rien faire ; tu verras que tu as
bien moins d’années que tu n’en comptes. Remémore-toi combien de fois tu as été ferme dans tes
desseins, combien de journées se sont passées comme tu l’avais décidé ; quand tu as disposé de
toi-même, quand tu as eu le visage sans passion et l’âme sans crainte, ce qui a été ton œuvre dans
une existence si longue, combien de gens se sont arraché ta vie, sans que tu t’aperçoives de ce
que tu perdais ; combien, de ta vie t’ont dérobé une douleur futile, une joie sotte, un désir
aveugle, un entretien flatteur, combien peu t’est resté de ce qui est tien : et tu comprendras que tu
meurs prématurément. » Quelles en sont les causes ? Vous vivez comme si vous deviez toujours
vivre ; jamais vous ne pensez à votre fragilité. Vous ne remarquez pas combien de temps est déjà
passé, vous le perdez comme s’il venait d’une source pleine et abondante, alors pourtant que ce
jour même, dont vous faites cadeau à un autre, homme ou chose, est votre dernier jour. C’est en
mortels que vous possédez tout, c’est en immortels que vous désirez tout.
SENEQUE, De la Brièveté de la vie
- 472 -
[473] SUJET N° 461 - 2PHSCAN1 - 2002 - Série S - AMERIQUE DU NORD - SESSION
NORMALE
La liberté des sujets ne consiste pas en ce qu’ils soient exempts des lois de l’Etat, ou que les
souverains ne puissent pas établir telles lois que bon leur semble. Mais, parce que tous les
mouvements et toutes les actions des particuliers ne peuvent jamais être tellement réglés, ni leur
variété si limitée, qu’il n’en demeure presque une infinité qui ne sont ni commandées, ni
défendues et que les lois laissent au franc arbitre (1) des hommes, chacun est libre à leur égard.
(...) Car les lois n’ont pas été inventées pour empêcher toutes les actions des hommes, mais afin
de les conduire, de même que la nature n’a pas donné des bords aux rivières pour en arrêter, mais
pour en diriger la course. La mesure de cette liberté doit être prise sur le bien des sujets et sur
l’intérêt de l’Etat (2). C’est pourquoi j’estime que c’est une chose particulièrement contraire au
devoir des souverains et de tous ceux qui ont droit de donner des lois, d’en établir plus qu’il n’en
est absolument de besoin pour l’intérêt des particuliers, et pour celui de la république.
HOBBES, Du Citoyen
(1) « franc arbitre » : libre arbitre.
(2) cette liberté doit être mesurée d’après le bien des sujets et l’intérêt de l’Etat.
- 473 -
[474] SUJET N° 462 - AN - 2002 - Série ES - AMERIQUE DU NORD - SESSION NORMALE
Le gouvernement arbitraire d’un prince juste et éclairé est toujours mauvais. Ses vertus sont la
plus dangereuse et la plus sûre des séductions : elles accoutument insensiblement un peuple à
aimer, à respecter, à servir son successeur, quel qu’il soit, méchant et stupide. Il enlève au peuple
le droit de délibérer, de vouloir ou ne vouloir pas, de s’opposer même à sa volonté, lorsqu’il
ordonne le bien ; cependant ce droit d’opposition, tout insensé qu’il est, est sacré : sans quoi les
sujets ressemblent à un troupeau dont on méprise la réclamation, sous prétexte qu’on le conduit
dans de gras pâturages. En gouvernant selon son bon plaisir, le tyran commet le plus grand des
forfaits. Qu’est-ce qui caractérise le despote ? Est-ce la bonté ou la méchanceté ? Nullement. Ces
deux notions n’entrent seulement pas dans sa définition. C’est l’étendue et non l’usage de
l’autorité qu’il s’arroge. Un des plus grands malheurs qui pût arriver à une nation, ce seraient
deux ou trois règnes d’une puissance juste, douce, éclairée, mais arbitraire : les peuples seraient
conduits par le bonheur à l’oubli complet de leurs privilèges, au plus parfait esclavage.
DIDEROT, Lettre à Helvétius
- 474 -
[475] SUJET N° 463 - PHANL1 - 2002 - Série L - AMERIQUE DU NORD - SESSION
NORMALE
Une doctrine inconciliable avec la société civile, c’est que chaque fois qu’un homme agit contre
sa conscience c’est une faute. Cette doctrine repose sur la présomption par laquelle on se fait soimême juge du bien et du mal. En effet, la conscience d’un homme, et son jugement, c’est tout un.
Et la conscience, comme le jugement, peut être erronée. En conséquence, encore que celui qui
n’est pas assujetti à la loi civile commette une faute chaque fois qu’il agit contre sa conscience
(puisqu’il n’a pas d’autre règle à suivre que sa propre raison), il n’en va pas de même de celui qui
vit dans une République, car la loi est alors la conscience publique, par laquelle il a
antérieurement accepté d’être guidé. S’il n’en est pas ainsi, étant donné la diversité des
consciences privées, qui ne sont rien d’autre que des opinions privées, la République sera
nécessairement divisée, et nul ne s’aventurera à obéir au pouvoir souverain au-delà de ce qui aura
trouvé grâce à ses propres yeux.
HOBBES, Léviathan
- 475 -
[476] SUJET N° 464 - 2PHSCLI1 - 2002 - Série S - LIBAN - SESSION NORMALE
Nous remarquons par exemple l’éclair et le tonnerre. Ce phénomène nous est bien connu et nous
le percevons souvent. Cependant l’homme ne se satisfait pas de la simple familiarité qui rend
bien connu, du phénomène seulement sensible, mais il veut aller voir derrière celui-ci, il veut
savoir ce qu’il est, il veut le concevoir. C’est pourquoi on réfléchit, on veut savoir la cause,
comme quelque chose qui diffère du phénomène en tant que tel, l’intérieur dans sa différence
d’avec ce qui est simplement extérieur. On redouble ainsi le phénomène, on le brise en deux en
intérieur et extérieur, force et extériorisation, cause et effet. L’intérieur - la force - est ici à
nouveau l’universel, ce qui dure, non pas tel ou tel éclair, telle ou telle plante, mais ce qui
demeure le même en toute chose. Le sensible est quelque chose de singulier et de disparaissant ;
l’élément durable en lui, nous apprenons à le connaître au moyen de la réflexion.
HEGEL, Encyclopédie des sciences philosophiques
- 476 -
[477] SUJET N° 465 - N/R - 2002 - Série ES - LIBAN - SESSION NORMALE
Recevoir un intérêt ou une usure pour de l’argent prêté est une chose injuste de soi, car en faisant
cela on vend une chose qui n’existe même pas ; d’où résulte évidemment cette sorte d’inégalité
qui est opposée à la justice. Pour rendre cette proposition évidente, remarquons d’abord qu’il est
des choses dont l’usage entraîne leur destruction ; ainsi le vin que nous buvons, le blé que nous
mangeons se consomment ou se détruisent par l’usage. Pour de telles choses on ne doit pas
séparer l’usage de la chose elle-même ; du moment où la chose est cédée, on en cède aussi
l’usage. (...) Il est des choses, au contraire, qui ne sont pas du tout destinées à être consumées ou
détruites par l’usage ; l’usage d’une maison consiste à l’habiter et non à la détruire. Pour ces
sortes de choses on peut traiter séparément de l’usage et de la chose elle-même ; ainsi l’on peut
vendre une maison en s’en réservant l’usage pour quelque temps, et, réciproquement, céder
l’usage d’une maison, en s’en réservant la propriété. Voilà pourquoi on est en droit de faire payer
l’usage d’une maison et de demander en outre qu’elle soit convenablement entretenue, comme
cela se pratique dans les baux et les locations. Mais la monnaie a été principalement inventée (...)
pour faciliter les échanges. D’où il suit que l’usage propre et principal de l’argent monnayé
consiste en ce qu’il soit dépensé et consumé en servant aux commutations ordinaires. Il est donc
illicite en soi de retirer un intérêt pour l’usage de l’argent prêté, ce en quoi consiste l’usure
proprement dite. Et de même qu’on est tenu de restituer toute autre chose injustement acquise, de
même on est tenu de restituer l’argent qui est le fruit de l’usure.
THOMAS D’AQUIN, Somme théologique
- 477 -
[478] SUJET N° 466 - PHLIL1 - 2002 - Série L - LIBAN - SESSION NORMALE
Bien que la terre et toutes les créatures inférieures appartiennent en commun à tous les hommes,
chacun garde la propriété de sa propre personne. Sur celle-ci, nul n’a droit que lui-même. Le
travail de son corps et l’ouvrage de ses mains, pouvons-nous dire, sont vraiment à lui. Toutes les
fois qu’il fait sortir un objet de l’état où la Nature l’a mis et l’a laissé, il y mêle son travail, il y
joint quelque chose qui lui appartient et de ce fait, il se l’approprie. Cet objet, soustrait par lui à
l’état commun dans lequel la Nature l’avait placé, se voit adjoindre par ce travail quelque chose
qui exclut le droit commun des autres hommes. Sans aucun doute, ce travail appartient à l’ouvrier
(1) ; nul autre que l’ouvrier ne saurait avoir de droit sur ce à quoi le travail s’attache, dès 1ors que
ce qui reste suffit aux autres en quantité et en qualité.
LOCKE, Deuxième Traité du gouvernement civil
(1) « l’ouvrier » : le travailleur.
- 478 -
[479] SUJET N° 467 - PHSCJA1 - 2002 - Série S - JAPON - SESSION NORMALE
Les hommes qui ont la passion des jouissances matérielles découvrent d’ordinaire comment les
agitations de la liberté troublent le bien-être, avant que d’apercevoir comment la liberté sert à se
le procurer ; et au moindre bruit des passions publiques qui pénètrent au milieu des petites
jouissances de leur vie privée, ils s’éveillent et s’inquiètent ; pendant longtemps la peur de
l’anarchie les tient sans cesse en suspens et toujours prêts à se jeter hors de la liberté au premier
désordre.
Je conviendrai sans peine que la paix publique est un grand bien ; mais je ne veux pas oublier
cependant que c’est à travers le bon ordre que tous les peuples sont arrivés à la tyrannie. Il ne
s’ensuit pas assurément que les peuples doivent mépriser la paix publique ; mais il ne faut pas
qu’elle leur suffise. Une nation qui ne demande à son gouvernement que le maintien de l’ordre
est déjà esclave au fond du cœur ; elle est esclave de son bien-être, et l’homme qui doit
l’enchaîner peut paraître.
TOCQUEVILLE, De la Démocratie en Amérique
- 479 -
[480] SUJET N° 468 - N/R - 2002 - Série ES - JAPON - SESSION NORMALE
Quoi que nous fassions nous sommes censés le faire pour « gagner notre vie » ; tel est le verdict
de la société, et le nombre des gens, des professionnels en particulier, qui pourraient protester a
diminué très rapidement. La seule exception que consente la société concerne l’artiste qui, à
strictement parler, est le dernier « ouvrier » dans une société du travail. La même tendance à
rabaisser toutes les activités sérieuses au statut du gagne-pain se manifeste dans les plus récentes
théories du travail, qui, presque unanimement, définissent le travail comme le contraire du jeu.
En conséquence, toutes les activités sérieuses, quels qu’en soient les résultats, reçoivent le nom
de travail et toute activité qui n’est nécessaire ni à la vie de l’individu ni au processus vital de la
société est rangée parmi les amusements. Dans ces théories qui, en répercutant au niveau
théorique l’opinion courante d’une société de travail, la durcissent et la conduisent à ses
extrêmes, il ne reste même plus l’« œuvre » de l’artiste : elle se dissout dans le jeu, elle perd son
sens pour le monde. On a le sentiment que l’amusement de l’artiste remplit la même fonction
dans le processus vital de travail de la société que le tennis ou les passe-temps dans la vie de
l’individu. (...) Au point de vue du « gagne-pain », toute activité qui n’est pas liée au travail
devient un « passe-temps ».
ARENDT, La Condition de l’homme moderne
- 480 -
[481] SUJET N° 469 - 2PHLIJA1 - 2002 - Série L - JAPON - SESSION NORMALE
Ce qu’est le meilleur régime pour tout Etat, on le connaît facilement en considérant la fin de la
société civile : cette fin n’est rien d’autre que la paix et la sécurité de la vie. Par suite, le meilleur
Etat est celui où les hommes passent leur vie dans la concorde, et dont le Droit n’est jamais
transgressé. En effet, il est certain que les séditions, les guerres et le mépris ou la transgression
des lois doivent être imputés non tant à la malignité (1) des sujets qu’au mauvais régime de
l’Etat. Les hommes, en effet, ne naissent pas aptes à la vie en société, ils le deviennent. En outre,
les passions naturelles des hommes sont partout les mêmes ; si donc dans un corps politique la
malignité humaine assure mieux son règne que dans un autre et si on y commet plus de péchés,
cela vient certainement de ce qu’un tel corps politique n’a pas assez pourvu à la concorde, n’a pas
établi son Droit avec assez de sagesse (...). Car une société civile qui n’a pas éliminé les causes
de sédition, où il faut toujours redouter une guerre, et où enfin les lois sont presque toujours
violées, ne diffère pas beaucoup de l’état naturel, où chacun vit selon ses inclinations, mais avec
un grand péril pour sa vie.
SPINOZA, Traité politique
(1) « malignité » : méchanceté.
- 481 -
[482] SUJET N° 470 - 2PHSCIN1 - 2002 - Série S - INDE - SESSION NORMALE
Parmi les choses qu’on ne rencontre pas dans la nature, mais seulement dans le monde fabriqué
par l’homme, on distingue entre objets d’usage et œuvres d’art ; tous deux possèdent une certaine
permanence qui va de la durée ordinaire à une immortalité potentielle dans le cas de l’œuvre
d’art. En tant que tels, ils se distinguent d’une part des produits de consommation, dont la durée
au monde excède à peine le temps nécessaire à les préparer, et d’autre part, des produits de
l’action, comme les événements, les actes et les mots, tous en eux-mêmes si transitoires qu’ils
survivraient à peine à l’heure ou au jour où ils apparaissent au monde, s’ils n’étaient conservés
d’abord par la mémoire de l’homme, qui les tisse en récits, et puis par ses facultés de fabrication.
Du point de vue de la durée pure, les œuvres d’art sont clairement supérieures à toutes les autres
choses ; comme elles durent plus longtemps au monde que n’importe quoi d’autre, elles sont les
plus mondaines des choses. Davantage, elles sont les seules choses à n’avoir aucune fonction
dans le processus vital de la société ; à proprement parler, elles ne sont pas fabriquées pour les
hommes, mais pour le monde, qui est destiné à survivre à la vie limitée des mortels, au va-etvient des générations. Non seulement elles ne sont pas consommées comme des biens de
consommation, ni usées comme des objets d’usage : mais elles sont délibérément écartées des
procès de consommation et d’utilisation, et isolées loin de la sphère des nécessités de la vie
humaine.
ARENDT, La Crise de la culture
- 482 -
[483] SUJET N° 471 - 2PHESIN1 - 2002 - Série ES - INDE - SESSION NORMALE
Apprendre grâce à nos erreurs et à nos facultés critiques est d’une importance fondamentale dans
le domaine des faits comme dans celui des normes. Mais suffit-il de faire appel à la critique ? Ne
faut-il pas aussi recourir à l’autorité de l’expérience et de l’intuition ?
Dans le domaine des faits, nous ne nous bornons pas à critiquer nos théories, nous les soumettons
à l’expérience et à l’observation. Croire que nous pouvons avoir recours à l’expérience en tant
qu’autorité serait pourtant une grave erreur, quand bien même certains philosophes, ont décrit la
perception par les sens, et surtout par la vue, comme une source de connaissance, de « données »
à l’aide desquelles nous édifions notre expérience. Cette description me paraît totalement erronée.
Notre expérience et nos observations ne consistent pas en « données », mais en un réseau de
conjectures et d’hypothèses qui s’entremêlent à un ensemble de croyances traditionnelles,
scientifiques ou non. L’expérience et l’observation, à l’état pur, c’est-à-dire abstraction faite de
toute attente ou théorie, n’existent pas. Autrement dit, il n’y a pas de données pures pouvant être
considérées comme sources de connaissance et utilisées comme moyens de critique.
POPPER, La Société ouverte et ses ennemis
- 483 -
[484] SUJET N° 472 - 2PHLIND1 - 2002 - Série L - INDE - SESSION NORMALE
Quand on dit de chaque être vivant qu’il vit et qu’il reste le même - par exemple, on dit qu’il reste
le même de l’enfance à la vieillesse -, cet être en vérité n’a jamais en lui les mêmes choses.
Même si l’on dit qu’il reste le même, il ne cesse pourtant, tout en subissant certaines pertes, de
devenir nouveau, par ses cheveux, par sa chair, par ses os, par son sang, c’est-à-dire par tout son
corps.
Et cela est vrai non seulement de son corps, mais aussi de son âme. Dispositions, caractères,
opinions, désirs, plaisirs, chagrins, craintes, aucune de ces choses n’est jamais identique en
chacun de nous ; bien au contraire, il en est qui naissent, alors que d’autres meurent. C’est en
effet de cette façon que se trouve assurée la sauvegarde de tout ce qui est mortel ; non pas parce
cet être reste toujours exactement le même à l’instar de ce qui est divin, mais parce que ce qui
s’en va et qui vieillit laisse place à un être nouveau, qui ressemble à ce qu’il était. Voilà par quel
moyen, Socrate, ce qui est mortel participe de l’immortalité, tant le corps que tout le reste.
PLATON, Le Banquet
- 484 -
[485] SUJET N° 473 - 2PHSCG11 - 2002 - Série S - ETRANGER GROUPE 1 - SESSION
NORMALE
Il semble assez évident que, s’il n’y avait pas de croyance, il ne pourrait y avoir rien de faux ni
rien de vrai, dans le sens où le vrai est un corrélatif du faux. Si nous imaginons un monde
uniquement matériel, il n’y aurait là aucune place pour le faux et bien qu’il dût contenir ce qu’on
peut appeler « des faits », il ne contiendrait pas de vérités dans le sens où le vrai est une entité du
même ordre que le faux. En réalité, le vrai et le faux sont des propriétés que possèdent les
croyances et les affirmations ; par conséquent, dans un monde purement matériel qui ne
contiendrait ni croyances, ni affirmations, il n’y aurait place, ni pour le vrai, ni pour le faux.
Mais, comme nous venons de le remarquer, on peut observer que la conformité ou la non
conformité d’une croyance à la vérité dépend toujours de quelque chose qui est extérieur à la
croyance même. Si je crois que Charles Ier d’Angleterre est mort sur l’échafaud, je crois à
quelque chose de vrai, non par suite d’une qualité intrinsèque de ma croyance, qualité qui
pourrait être découverte simplement en analysant ma croyance, mais à cause d’un événement
historique qui s’est passé il y a plus de trois siècles. Si je crois que Charles Ier est mort dans son
lit, l’objet de ma croyance est faux ; la force d’une telle croyance, ou le soin pris pour la former,
ne peuvent empêcher l’objet d’être faux, encore une fois à cause de ce qui s’est passé en 1649 et
non à cause d’une qualité intrinsèque de ma croyance. Ainsi, bien que la vérité ou la fausseté
soient des propriétés de la croyance, ces propriétés dépendent des rapports existant entre les
croyances et les autres choses et non d’une qualité intérieure des croyances.
RUSSELL, Problèmes de philosophie
- 485 -
[486] SUJET N° 474 - N/R - 2002 - Série ES - ETRANGER GROUPE 1 - SESSION
NORMALE
- Socrate : Quelle réponse probante pourrait-on faire à qui poserait cette question : dormons-nous
et rêvons-nous ce que nous pensons, ou sommes-nous éveillés et conversons-nous réellement
ensemble ?
- Théétète : On est bien embarrassé, Socrate, de trouver une preuve pour s’y reconnaître ; car tout
est pareil et se correspond exactement dans les deux états. Prenons, par exemple, la conversation
que nous venons de tenir : rien ne nous empêche de croire que nous la tenons aussi en dormant, et
lorsqu’en rêvant nous croyons conter des rêves, la ressemblance est singulière avec ce qui se
passe à l’état de veille.
- Socrate : Tu vois donc qu’il n’est pas difficile de soulever une controverse là-dessus, alors
qu’on se demande même si nous sommes éveillés ou si nous rêvons. De plus, comme le temps où
nous dormons est égal à celui où nous sommes éveillés, dans chacun de ces deux états notre âme
soutient que les idées qu’elle a successivement sont absolument vraies, en sorte que, pendant une
moitié du temps, ce sont les unes que nous tenons pour vraies et, pendant l’autre moitié, les
autres, et nous les affirmons les unes et les autres avec la même assurance.
- Théétète : Cela est certain.
- Socrate : N’en faut-il pas dire autant des maladies et de la folie, sauf pour la durée, qui n’est
plus égale ?
- Théétète : C’est juste.
- Socrate : Mais quoi ? est-ce par la longueur et par la brièveté du temps qu’on définira le vrai ?
- Théétète : Ce serait ridicule à beaucoup d’égards.
Socrate Mais peux-tu faire voir par quelque autre indice clair lesquelles de ces croyances sont
vraies ?
- Théétète : Je ne crois pas.
PLATON, Théétète
- 486 -
[487] SUJET N° 475 - 2PHLIG11 - 2002 - Série L - ETRANGER GROUPE 1 - SESSION
NORMALE
La seule raison légitime que puisse avoir une communauté pour user de la force contre un de ses
membres est de l’empêcher de nuire aux autres. Contraindre quiconque pour son propre bien,
physique ou moral, ne constitue pas une justification suffisante. Un homme ne peut pas être
légitimement contraint d’agir ou de s’abstenir sous prétexte que ce serait meilleur pour lui, que
cela le rendrait plus heureux ou que, dans l’opinion des autres, agir ainsi serait sage ou même
juste. Ce sont certes de bonnes raisons pour lui faire des remontrances, le raisonner, le persuader
ou le supplier, mais non pour le contraindre ou lui causer du tort s’il agit autrement. La contrainte
ne se justifie que lorsque la conduite dont on désire détourner cet homme risque de nuire à
quelqu’un d’autre. Le seul aspect de la conduite d’un individu qui soit du ressort de la société est
celui qui concerne les autres. Mais pour ce qui ne concerne que lui, son indépendance est, de
droit, absolue. Sur lui-même, sur son corps et son esprit, l’individu est souverain.
MILL, De la Liberté
- 487 -
[488] SUJET N° 476 - 2PHPHTEME1 - 2002 - Série TECHN. - METROPOLE - SESSION
NORMALE
On peut dire d’une façon générale qu’en voulant rivaliser avec la nature par l’imitation, l’art
restera toujours au-dessous de la nature et pourra être comparé à un ver faisant des efforts pour
égaler un éléphant. Il y a des hommes qui savent imiter les trilles (1) du rossignol, et Kant a dit à
ce propos que, dès que nous nous apercevons que c’est un homme qui chante ainsi, et non un
rossignol, nous trouvons ce chant insipide (2). Nous y voyons un simple artifice, non une libre
production de la nature ou une œuvre d’art. Le chant du rossignol nous réjouit naturellement,
parce que nous entendons un animal, dans son inconscience naturelle, émettre des sons qui
ressemblent à l’expression de sentiments humains. Ce qui nous réjouit donc ici, c’est l’imitation
de l’humain par la nature.
HEGEL
(1) « trilles » : répétition très rapide de deux notes de musique.
(2) « insipide » : sans la moindre saveur.
QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée directrice et la structure du texte.
2° Expliquez, pour les distinguer : « libre production de la nature » et « œuvre d’art ».
3° Expliquez : « ce qui nous réjouit donc ici, c’est l’imitation de l’humain par la nature ».
4° L’art peut-il rivaliser avec la nature ?
- 488 -
[489] SUJET N° 477 - 2PHTEPO1 - 2002 - Série TECHN. - POLYNESIE - SESSION
NORMALE
Il ne servirait de rien de compter les suffrages pour suivre l’opinion garantie par le plus d’auteurs,
car s’il s’agit d’une question difficile, il est plus croyable que la vérité en a été découverte par un
petit nombre plutôt que par beaucoup. Même si tous étaient d’accord, leur enseignement ne nous
suffirait pas : nous ne deviendrons jamais mathématiciens, par exemple, bien que notre mémoire
possède toutes les démonstrations faites par d’autres, si notre esprit n’est pas capable de résoudre
toute sorte de problèmes ; nous ne deviendrons pas philosophes, pour avoir lu tous les
raisonnements de Platon et d’Aristote, sans pouvoir porter un jugement solide sur ce qui nous est
proposé. Ainsi, en effet, nous semblerions avoir appris, non des sciences, mais des histoires.
DESCARTES
QUESTIONS :
1° Dégagez les idées principales du texte et les étapes de son argumentation.
2°
a) Pourquoi est-il « plus croyable que la vérité en a été découverte par un petit nombre plutôt que
par beaucoup » ?
b) Pourquoi ne suffit-il pas de posséder « toutes les démonstrations faites par d’autres » pour
devenir mathématicien ? Pourquoi ne suffit-il pas d’avoir lu tous les raisonnements des
philosophes pour être philosophe ?
c) Expliquez : « porter un jugement solide ».
3° L’unanimité est-elle un critère de vérité ?
- 489 -
[490] SUJET N° 478 - 2PHLIME3 - 2002 - Série L - METROPOLE - SESSION REMPL.
Pour ce qui est des vraies vertus, beaucoup d’entre elles ne naissent pas seulement de la
connaissance vraie, mais aussi de quelque erreur ou défaut : ainsi, la simplicité d’esprit (1) donne
souvent de la bonté, la crainte de la piété, et le désespoir du courage. Et les vertus de ce genre
sont différentes entre elles, si bien qu’on leur a donné divers noms. Mais quant à ces vertus pures
et parfaites qui découlent de la seule connaissance du bien, elles sont toutes d’une seule et Même
nature, et peuvent être comprises sous le seul nom de sagesse. Car quiconque a une volonté ferme
et constante d’user toujours de sa raison autant que cela est en son pouvoir, et de faire en toutes
ses actions ce qu’il, reconnaît être le meilleur, celui-là est véritablement sage, autant que sa
nature permet qu’il le soit ; et par cela seul il est juste, courageux, modéré ; et possède toutes les
autres vertus, mais tellement jointes entre elles qu’il n’y en a aucune qui surpasse les autres ;
c’est pourquoi, bien qu’elles soient beaucoup plus remarquables que celles que le mélange de
quelques défauts fait distinguer, toutefois, parce qu’elles sont moins connues du commun des
hommes, on n’a pas coutume de leur donner tant de louanges.
DESCARTES, Principes de la philosophie
(1) « la simplicité d’esprit » : la naïveté.
- 490 -
[491] SUJET N° 479 - 2PHTERE1 - 2002 - Série TECHN. - LA REUNION - SESSION
NORMALE
Comme le libre jugement des hommes est tout à fait divers et que chacun pense à lui seul tout
savoir, et qu’il est impossible que tous pensent également la même chose, et parlent d’une seule
voix, ils ne pourraient vivre en paix si chacun n’avait pas renoncé au droit d’agir selon le seul
décret (1) de sa pensée. C’est donc seulement au droit d’agir selon son propre décret que
l’individu a renoncé, non au droit de raisonner et de juger ; par suite personne ne peut, sans
danger pour le droit du pouvoir souverain, agir à l’encontre du décret de celui-ci, mais il peut
totalement penser et juger, et par conséquent aussi s’exprimer, à condition cependant qu’il se
contente de parler et d’enseigner, et de défendre son opinion par la seule Raison, sans introduire
par la ruse, la colère et la haine, quelque mesure contraire à l’Etat qui ne ressortirait que de
l’autorité de son propre vouloir.
SPINOZA
(1) « décret » : décision.
QUESTIONS :
1° Dégagez la thèse du texte et montrez l’enchaînement de son argumentation.
2° Expliquez :
a) « ils ne pourraient vivre en paix si chacun n’avait pas renoncé au droit d’agir selon le seul
décret de sa pensée » ;
b) « défendre son opinion par la seule Raison ».
3° La liberté d’expression peut-elle être sans limites ?
- 491 -
[492] SUJET N° 480 - 2PHTEIND1 - 2002 - Série TECHN. - INDE - SESSION NORMALE
L’histoire est pour l’espèce humaine ce que la raison est pour l’individu. Grâce à sa raison,
l’homme n’est pas renfermé comme l’animal dans les limites étroites du présent visible ; il
connaît encore le passé infiniment plus étendu, source du présent qui s’y rattache : c’est cette
connaissance seule qui lui procure une intelligence plus nette du présent et lui permet même de
formuler des inductions pour l’avenir (1). L’animal, au contraire, dont la connaissance sans
réflexion est bornée à l’intuition, et par suite au présent, erre parmi les hommes, même une fois
apprivoisé, ignorant, engourdi, stupide, désarmé et esclave. De même un peuple qui ne connaît
pas sa propre histoire est borné au présent de la génération actuelle : il ne comprend ni sa nature,
ni sa propre existence, dans l’impossibilité où il est de les rapporter à un passé qui les explique ;
il peut moins encore anticiper sur l’avenir. Seule l’histoire donne à un peuple une entière
conscience de lui-même. L’histoire peut donc être regardée comme la conscience raisonnée de
l’espèce humaine ; elle est à l’humanité ce qu’est à l’individu la conscience soutenue par la
raison, réfléchie et cohérente, dont le manque condamne l’animal à rester enfermé dans le champ
étroit du présent intuitif.
SCHOPENHAUER
(1) induire pour l’avenir : étendre à l’avenir ce que nous apprend le présent.
QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée principale du texte et les étapes de son argumentation.
2°
a) Expliquez pourquoi l’animal est renfermé « dans les limites étroites du présent visible » par
opposition à l’homme ;
b) Pourquoi l’histoire joue-t-elle, pour un peuple, le même rôle que la « conscience soutenue par
la raison pour un individu » ?
3° Qu’est-ce que la connaissance de son passé apporte à un peuple ?
- 492 -
[493] SUJET N° 481 - 2PHTEAG1 - 2002 - Série TECHN. - ANTILLES - SESSION
NORMALE
Inventer est tout autre chose que découvrir. Car ce qu’on découvre est considéré comme déjà
existant sans être révélé, par exemple l’Amérique avant Colomb ; mais ce que l’on invente, la
poudre à canon par exemple, n’était pas connu avant l’artisan qui l’a fabriqué. Les deux choses
peuvent avoir leur mérite. On peut trouver quelque chose que l’on ne cherche pas (comme
l’alchimiste le phosphore) et ce n’est pas un mérite. - Le talent d’inventeur s’appelle le génie,
mais on n’applique jamais ce nom qu’à un créateur, c’est-à-dire à celui qui s’entend à faire
quelque chose et non pas à celui qui se contente de connaître et de savoir beaucoup de choses ; on
ne l’applique pas à qui se contente d’imiter, mais à qui est capable de faire dans ses ouvrages une
production originale ; en somme à un créateur, à cette condition seulement que son œuvre soit un
modèle.
KANT
QUESTIONS :
1° Dégagez la thèse du texte et la manière dont le texte est construit.
2°
a) Qu’est-ce qui distingue l’invention de la découverte ?
b) Quels sont leurs mérites respectifs ?
3° Pourquoi le génie ne se contente-t-il pas d’imiter ?
4° La technique peut-elle donner lieu à des productions originales ?
- 493 -
[494] SUJET N° 482 - 2PHTEG11 - 2002 - Série TECHN. - ETRANGER GROUPE 1 SESSION NORMALE
L’être le plus intelligent est celui qui est capable de bien utiliser le plus grand nombre d’outils :
or, la main semble bien être non pas un outil, mais plusieurs. Car elle est pour ainsi dire un outil
qui tient lieu des autres. C’est donc à l’être capable d’acquérir le plus grand nombre de
techniques que la nature a donné l’outil de loin le plus utile, la main.
Aussi, ceux qui disent que l’homme n’est pas bien constitué et qu’il est le moins bien pourvu des
animaux (parce que, dit-on, il est sans chaussures, il est nu et n’a pas d’armes pour combattre)
sont dans l’erreur. Car les autres animaux n’ont qu’un seul moyen de défense et il ne leur est pas
possible de changer pour un autre, mais ils sont forcés, pour ainsi dire, de garder leurs chaussures
pour dormir et pour faire n’importe quoi d’autre, et ne doivent jamais déposer l’armure qu’ils ont
autour de leur corps ni changer l’arme qu’ils ont reçue en partage. L’homme, au contraire,
possède de nombreux moyens de défense, et il lui est toujours loisible d’en changer et même
d’avoir l’arme qu’il veut et quand il veut. Car la main devient griffe, serre, corne, ou lance ou
épée ou tout autre arme ou outil. Elle peut être tout cela, parce qu’elle est capable de tout saisir et
de tout tenir.
ARISTOTE
QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée principale du texte et les étapes du raisonnement.
2° Expliquez
a) « elle est pour ainsi dire un outil qui tient lieu des autres » ;
b) « les autres animaux n’ont qu’un seul moyen de défense et il ne leur est pas possible de
changer pour un autre ».
3° En quoi la technique est-elle révélatrice de l’intelligence humaine ?
- 494 -
[495] SUJET N° 483 - 2PHAAME1 - 2002 - Série STI AA - METROPOLE - SESSION
NORMALE
Attacher une valeur égale aux opinions et aux imaginations de ceux qui sont en désaccord entre
eux, c’est une sottise. Il est clair, en effet, que ou les uns ou les autres doivent nécessairement se
tromper. On peut s’en rendre compte à la lumière de ce qui se passe dans la connaissance
sensible : jamais, en effet, la même chose ne paraît, aux uns, douce, et, aux autres, le contraire du
doux, à moins que, chez les uns, l’organe sensoriel qui juge des saveurs en question ne soit vicié
et endommagé. Mais s’il en est ainsi, ce sont les uns qu’il faut prendre pour mesure des choses, et
non les autres. Et je le dis également pour le bien et le mal, le beau et le laid, et les autres qualités
de ce genre. Professer, en effet, l’opinion dont il s’agit, revient à croire que les choses sont telles
qu’elles apparaissent à ceux qui, pressant la partie inférieure du globe de l’œil avec le doigt,
donnent ainsi à un seul objet l’apparence d’être double ; c’est croire qu’il existe deux objets,
parce qu’on en voit deux, et qu’ensuite il n’y en a plus qu’un seul, puisque, pour ceux qui ne font
pas mouvoir le globe de l’œil, l’objet un parait un.
ARISTOTE
QUESTIONS :
1° A quelle thèse Aristote s’oppose-t-il et sur quel argument appuie-t-il sa critique ?
2° Expliquez :
a) « les uns ou les autres doivent nécessairement se tromper » ;
b) « prendre pour mesure des choses ».
3° Chacun peut-il avoir sa vérité ?
- 495 -
[496] SUJET N° 484 - 2PHAALR1 - 2002 - Série STI AA - LA REUNION - SESSION
NORMALE
Quand deux dénominations sont jointes ensemble dans une consécution (1) ou affirmation, telle
que Un homme est une créature vivante, ou Si c’est un homme, c’est une créature vivante, si la
deuxième dénomination, créature vivante, désigne tout ce que désigne la première, homme, alors
l’affirmation ou consécution est vraie ; autrement elle est fausse. Car vrai et faux sont des
attributs de la parole, et non des choses. Là où il n’est point de parole, il n’y a ni vérité ni
fausseté. Il peut y avoir erreur, comme lorsqu’on attend ce qui n’arrivera pas ou qu’on suppose ce
qui n’est pas arrivé : mais ni dans un cas ni dans l’autre on ne peut vous reprocher de manquer à
la vérité.
Puisque la vérité consiste à ordonner correctement les dénominations employées dans nos
affirmations, un homme qui cherche l’exacte vérité doit se rappeler ce que représente chaque
dénomination dont il use, et la placer en conséquence : autrement, il se trouvera empêtré dans les
mots comme un oiseau dans les gluaux (2) ; et plus il se débattra, plus il sera englué. C’est
pourquoi en géométrie, qui est presque la seule science exacte, on commence par établir la
signification des mots employés, opération qu’on appelle définitions, et on place ces définitions
au début du calcul.
HOBBES
(1) « consécution » : succession de deux propositions. Exemple : « Si c’est un homme, c’est une
créature vivante ».
(2) « gluaux » : pièges destinés à attraper les petits oiseaux, formé d’une branche enduite d’une
matière collante, la glu.
QUESTIONS :
1° Dégagez la thèse du texte et les étapes du raisonnement.
2°
a) Expliquez pourquoi « si la deuxième dénomination [...] désigne tout ce que désigne la première
[...], alors l’affirmation [...] est vraie » ;
b) quelle différence le texte établit-il entre « erreur » et « fausseté » ?
3° Peut-il y avoir une vérité hors du langage ?
- 496 -
[497] SUJET N° 485 - 2PHAAAG1 - 2002 - Série STI AA - ANTILLES - SESSION
NORMALE
SOCRATE : Y a-t-il quelque chose que tu appelles savoir ?
GORGIAS : Oui.
S. : Et quelque chose que tu appelles croire ?
G. : Certainement.
S. : Te semble-t-il que savoir et croire, la science et la croyance, soient choses identiques ou
différentes ?
G. : Pour moi, Socrate, je les tiens pour différentes.
S. : Tu as raison, et je vais t’en donner la preuve. Si l’on te demandait : « Y a-t-il, Gorgias, une
croyance fausse et une vraie ? » tu dirais oui, je suppose.
G. : Oui.
S. : Mais y a-t-il de même une science fausse et une vraie ?
G. : Pas du tout.
S. : Il est donc évident que savoir et croire ne sont pas la même chose.
G. : C’est juste.
S. : Cependant, ceux qui croient sont persuadés aussi bien que ceux qui savent.
G. : C’est vrai.
S. : Alors veux-tu que nous admettions deux sortes de persuasion, l’une qui produit la croyance
sans la science, et l’autre qui produit la science ?
G. : Parfaitement.
PLATON
QUESTIONS :
1°
a) Ce texte établit une distinction : laquelle ?
b) Analysez la manière dont cette distinction est produite.
2°
a) Pourquoi n’y a-t-il pas « une science fausse et une science vraie » ?
b) En quel sens « ceux qui croient sont[-ils] persuadés aussi bien que ceux qui savent » ?
Appuyer votre réponse sur l’analyse d’un ou plusieurs exemples.
3° S’accorder sur la vérité exclut-il toute forme de persuasion ?
- 497 -
[498] SUJET N° 486 - SEC - 2002 - Série TMD - METROPOLE - SESSION NORMALE
L’homme est un être destiné à la société (bien qu’il soit aussi, pourtant, insociable), et en
cultivant l’état de société il éprouve puissamment le besoin de s’ouvrir à d’autres (même sans
viser par là quelque but) ; mais d’un autre côté, embarrassé et averti par la crainte du mauvais
usage que d’autres pourraient faire du dévoilement de ses pensées, il se voit contraint de
renfermer en lui-même une bonne partie de ses jugements (particulièrement quand ils portent sur
d’autres hommes). C’est volontiers qu’il s’entretiendrait avec quelqu’un de ce qu’il pense des
hommes qu’il fréquente, de même que de ses idées sur le gouvernement, la religion, etc. ; mais il
ne peut avoir cette audace, d’une part parce que l’autre, qui retient en lui-même prudemment son
jugement, pourrait s’en servir à son détriment, d’autre part, parce que, concernant la révélation de
ses propres fautes, l’autre pourrait bien dissimuler les siennes et qu’il perdrait ainsi le respect de
ce dernier s’il exposait à son regard, ouvertement, tout son cœur.
KANT
QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée centrale et le mouvement du texte.
2° Expliquez :
a) « en cultivant l’état de société il éprouve puissamment le besoin de s’ouvrir à d’autres (même
sans viser par là quelque but) » ;
b) « parce que, concernant la révélation de ses propres fautes, l’autre pourrait bien dissimuler les
siennes et qu’il perdrait ainsi le respect de ce dernier s’il exposait à son regard, ouvertement, tout
son cœur ».
3° La vie en société nous rend-elle dépendants du jugement d’autrui ?
- 498 -
[499] SUJET N° 487 - 2PHSCME3 - 2002 - Série S - METROPOLE - SESSION REMPL.
Il est vrai que nous ne voyons point qu’on jette par terre toutes les maisons d’une ville pour le
seul dessein de les refaire d’autre façon et d’en rendre les rues plus belles ; mais on voit bien que
plusieurs font abattre les leurs pour les rebâtir, et que même quelquefois ils y sont contraints
quand elles sont en danger de tomber d’elles-mêmes, et que les fondements n’en sont pas bien
fermes. A l’exemple de quoi je me persuadai qu’il n’y aurait véritablement point d’apparence (1)
qu’un particulier fît dessein de réformer un Etat, en y changeant tout dès les fondements, et en le
renversant pour le redresser ; ni même aussi de réformer le corps des sciences, ou l’ordre établi
dans les écoles pour les enseigner ; mais que, pour toutes les opinions que j’avais reçues jusques
alors en ma créance (2), je ne pouvais mieux faire que d’entreprendre une bonne fois de les en
ôter, afin d’y en remettre par après ou d’autres meilleurs, ou bien les mêmes, lorsque je les aurais
ajustées au niveau de la raison. Et je crus fermement que par ce moyen je réussirais à conduire
ma vie beaucoup mieux que si je ne bâtissais que sur de vieux fondements, et que je ne
m’appuyasse que sur les principes que je m’étais laissé persuader en ma jeunesse, sans avoir
jamais examiné s’ils étaient vrais.
DESCARTES, Discours de la méthode
(1) « il n’y aurait véritablement point d’apparence » : il serait peu vraisemblable
(2) « que j’avais reçues jusques alors en ma créance » : auxquelles j’adhérais jusqu’alors.
- 499 -
[500] SUJET N° 488 - 2PHESME3 - 2002 - Série ES - METROPOLE - SESSION REMPL.
On peut dire que le principe d’une action démocratique est l’intention de créer, de développer et
de protéger des institutions destinées à éviter la tyrannie. Il n’implique pas qu’on puisse les
rendre parfaites ou capables de garantir que la politique adoptée par le gouvernement sera bonne,
juste, sage, ou même meilleure que celle que pourrait adopter un tyran bienveillant […]. Ce qui
est impliqué, en revanche, est la conviction que, dans une démocratie, l’acceptation d’une
politique même mauvaise, tant qu’on peut s’employer à la modifier pacifiquement, est préférable
à la soumission à une tyrannie, si sage ou si bienveillante soit-elle. Présentée ainsi, la théorie
démocratique n’est pas fondée sur l’idée que le pouvoir doit appartenir à la majorité. Elle consiste
simplement, face à la méfiance générale qu’inspire traditionnellement la tyrannie, à considérer les
diverses méthodes égalitaires de contrôle démocratique - élections générales et gouvernement
représentatif, par exemple - comme des garanties éprouvées et raisonnablement efficaces, mais
néanmoins susceptibles d’être améliorées et même de fournir certains moyens de cette
amélioration.
POPPER, La Société ouverte et ses ennemis
- 500 -
[501] SUJET N° 489 - 2PHPHESAGS - 2002 - Série ES - ANTILLES - SESSION REMPL.
Un peuple composé uniquement de paysans découvrirait et inventerait peu de choses ; au
contraire, les mains oisives font les têtes actives. Les arts et les sciences sont eux-mêmes enfants
du luxe, et ils lui paient leur dette. Leur œuvre est ce perfectionnement de la technologie, dans
toutes ses branches, mécaniques, chimiques et physiques, qui, de nos jours, a porté le machinisme
à une hauteur qu’on n’aurait jamais soupçonnée, et qui, notamment par la vapeur et l’électricité,
accomplit des merveilles que les temps antérieurs auraient attribuées à l’intervention du diable.
Dans les fabriques et manufactures de tout genre, et jusqu’à un certain point dans l’agriculture,
les machines accomplissent mille fois plus de travail que n’auraient jamais pu en accomplir les
mains de tous les gens à l’aise, des lettrés et des intellectuels devenus oisifs, et qu’il n’aurait pu
s’en accomplir par l’abolition du luxe et par la pratique universelle de la vie campagnarde. Ce ne
sont pas les riches seuls, mais tous, qui bénéficient de ces industries.
SCHOPENHAUER, Ethique et politique
- 501 -
[502] SUJET N° 490 - PHEPOS - 2002 - Série ES - POLYNESIE - SESSION REMPL.
Socrate. - Admettons-nous qu’il ne faut jamais faire le mal volontairement, ou qu’on peut le faire
à certaines conditions, à d’autres non ? ou bien reconnaissons-nous que faire le mal n’est jamais
bon, jamais beau, comme nous en sommes convenus plus d’une fois antérieurement ? et c’est ce
que nous venons encore de dire. Est-ce que par hasard tous ces principes dont nous convenions
jusqu’ici se seraient dissipés dans ces derniers jours ? Est-ce que vraiment, à notre âge, Criton,
vieux comme nous le sommes, nous avons pu, depuis si longtemps, nous entretenir sérieusement
ensemble, sans nous apercevoir que nous parlions comme des enfants ? Quoi ? ces affirmations
ne subsistent-elles pas toujours les mêmes, acceptées ou rejetées par le grand nombre ? Qu’il
nous faille attendre un sort encore pire ou un sort meilleur, en tout cas agir injustement n’est-ce
pas toujours un mal et une honte pour qui le fait ? L’affirmons-nous oui ou non ?
Criton. - Nous l’affirmons.
Socrate. - Ainsi, jamais on ne doit agir injustement.
Criton. - Non, assurément.
Socrate. - Même à l’injustice on ne doit pas répondre par l’injustice comme on le pense
communément, puisqu’il ne faut jamais être injuste.
Criton. - Cela est évident.
Socrate. - Et faire du mal à quelqu’un, Criton, le doit-on, oui ou non ?
Criton. - Non certes, Socrate.
Socrate. - Mais rendre le mal pour le mal, cela est-il juste, comme on le dit communément, ou
injuste ?
Criton. - Non, cela n’est pas juste.
Socrate. - Car faire du mal à quelqu’un, ce n’est pas autre chose qu’être injuste.
Criton. - Tu dis vrai.
Socrate. - Ainsi, il ne faut ni répondre à l’injustice par l’injustice ni faire du mal à personne, pas
même à qui nous en aurait fait. Fais bien attention, Criton, en concédant cela, à ne pas le
concéder contre ta pensée ; car je sais que peu d’hommes en conviennent, que peu en
conviendront.
PLATON, Criton
- 502 -
[503] SUJET N° 491 - N/R - 2002 - Série S - POLYNESIE - SESSION REMPL.
« Ah ! ta sagesse te permet-elle donc de méconnaître qu’il faut honorer sa patrie plus encore
qu’une mère, plus qu’un père, plus que tous les ancêtres, qu’elle est plus respectable, plus sacrée,
qu’elle tient un plus haut rang au jugement des dieux et des hommes sensés ; oui, il faut la
vénérer, lui céder, lui complaire, quand elle se fâche, plus qu’à un père ; il faut, ou la faire
changer d’idée, ou exécuter ce qu’elle ordonne, souffrir même paisiblement ce qu’elle veut qu’on
souffre, se laisser, s’il le faut, frapper, enchaîner, ou mener au combat pour y être blessé ou pour
y mourir ; tout cela, il faut le faire, car c’est ce qui est juste ; et on ne doit ni se dérober, ni
reculer, ni abandonner son poste, mais au combat, au tribunal, partout, le devoir est d’exécuter ce
qu’ordonne l’Etat et la patrie, ou, sinon, de la faire changer d’idée par les moyens légitimes.
Quant à la violence, n’est-elle pas impie envers une mère, envers un père, et bien plus encore
envers la patrie ? » - Que dirons-nous à cela, Criton ? Les lois ont-elles tort ou raison ?
PLATON, Criton
- 503 -
[504] SUJET N° 492 - N/R - 2002 - Série L - POLYNESIE - SESSION REMPL.
Il s’en faut bien que les faits décrits dans l’histoire soient la peinture exacte des mêmes faits tels
qu’ils sont arrivés : ils changent de forme dans la tête de l’historien, ils se moulent sur ses
intérêts, ils prennent la teinte de ses préjugés. Qui est-ce qui sait mettre exactement le lecteur au
lieu de la scène pour voir un événement tel qu’il s’est passé ? L’ignorance ou la partialité déguise
tout. Sans altérer même un trait historique, en étendant ou resserrant des circonstances qui s’y
rapportent, que de faces différentes on peut lui donner ! Mettez un même objet à divers points de
vue, à peine paraîtra-t-il le même, et pourtant rien n’aura changé que l’œil du spectateur. Suffit-il,
pour l’honneur de la vérité, de me dire un fait véritable en me le faisant voir tout autrement qu’il
n’est arrivé ? Combien de fois un arbre de plus ou de moins, un rocher à droite ou à gauche, un
tourbillon de poussière élevé par le vent ont décidé de l’événement d’un combat sans que
personne s’en soit aperçu ! Cela empêche-t-il que l’historien ne vous dise la cause de la défaite ou
de la victoire avec autant d’assurance que s’il eût été partout ? Or que m’importent les faits en
eux-mêmes, quand la raison m’en reste inconnue ? et quelles leçons puis-je tirer d’un événement
dont j’ignore la vraie cause ? L’historien m’en donne une, mais il la controuve (1) ; et la critique
elle-même, dont on fait tant de bruit, n’est qu’un art de conjecturer, l’art de choisir entre plusieurs
mensonges celui qui ressemble le mieux à la vérité.
ROUSSEAU, Emile ou de L’Education
(1) Controuver : inventer mensongèrement pour tromper.
- 504 -
[505] SUJET N° 493 - 2PHTEME3 - 2002 - Série TECHN. - METROPOLE - SESSION
REMPL.
Il faut mener les hommes de telle façon qu’ils ne croient pas être menés, mais vivre selon leur
libre décret (1) et conformément à leur complexion (2) propre ; il faut donc les tenir par le seul
amour de la liberté, le désir d’accroître leur fortune et l’espoir de s’élever aux honneurs.
Cependant, les statues, les cortèges triomphaux et les autres excitants à la vertu, sont des marques
de servitude plutôt que des marques de liberté. C’est aux esclaves, non aux hommes libres qu’on
donne des récompenses pour leur bonne conduite. Je reconnais que les hommes sont très
sensibles à ces stimulants, mais si, à l’origine, on décerne les récompenses honorifiques aux
grands hommes, plus tard, l’envie croissant, c’est aux paresseux et à ceux que gonfle l’orgueil de
leur richesse, à la grande indignation de tous les bons citoyens. En outre, il est évident que
l’égalité, dont la perte entraîne nécessairement la ruine de la liberté commune, ne peut être
maintenue sitôt que des honneurs extraordinaires sont décernés par une loi de l’Etat à un homme
qui se distingue par son mérite.
SPINOZA
(1) « leur libre décret » : leur libre décision.
(2) « leur complexion » : leur nature.
QUESTIONS :
1° Dégagez la thèse du texte et les étapes de son argumentation.
2° Expliquez :
a) « C’est aux esclaves, non aux hommes libres qu’on donne des récompenses pour leur bonne
conduite » ;
b) « la ruine de la liberté commune ».
3° Pourquoi la disparition de l’égalité entre les citoyens conduit-elle à la perte de la liberté ?
- 505 -
[506] SUJET N° 494 - SEPT/N - 2002 - Série TMD - METROPOLE - SESSION REMPL.
- Il n’y a rien de plus beau que de conserver le plus de calme possible dans le malheur et de ne
pas se révolter, parce qu’on ne sait pas ce qu’il y a de bon et de mauvais dans les situations de ce
genre, qu’on ne gagne rien pour la suite à s’indigner, qu’aucune des choses humaines ne mérite
qu’on y attache beaucoup d’importance, et que ce qui devrait venir le plus vite possible à notre
secours dans ces circonstances en est empêché par le chagrin.
- De quoi veux-tu parler ? demanda-t-il.
- De la réflexion sur ce qui nous est arrivé, répondis-je. Ici, comme au jeu de dés, il faut contre
les coups du sort rétablir sa position par les moyens que la raison démontre être les meilleurs, et,
si l’on reçoit un coup, ne pas faire comme les enfants qui portent la main à la partie blessée et
perdent leur temps à crier ; il faut au contraire habituer constamment son âme à venir aussi vite
que possible guérir ce qui est malade, relever ce qui est tombé et à supprimer les lamentations par
l’application du remède.
- C’est à coup sûr, dit-il, la meilleure conduite à tenir contre les coups du sort.
PLATON
QUESTIONS :
1° Dégagez la thèse de l’auteur et l’organisation du texte.
2° Expliquez :
a) « Parce qu’on ne sait pas ce qu’il y a de bon et de mauvais dans les situations de ce genre » ;
b) « rétablir sa position par les moyens que la raison détermine être les meilleurs ».
3° Pour bien vivre faut-il exclure ce qui est étranger à la raison ?
- 506 -
[507] SUJET N° 495 - 2PHAAME3 - 2002 - Série STI AA - METROPOLE - SESSION
REMPL.
C’est une pensée consolatrice que d’espérer une compensation dis souffrances endurées, et nous
l’exigeons de la justice ; il nous faut pourtant nous habituer à ne pas éprouver comme une
injustice tout ce qui advient contre notre attente ; il faut que nous nous habituions à nous
comprendre dans une plus grande dépendance vis-à-vis de la nature. L’enchevêtrement de nos
conditions politiques et civiles ainsi que l’inégalité des modes de vie et des biens de fortune, ont
non seulement augmenté la misère en tout genre, mais aussi notre susceptibilité et notre
sensibilité. L’irritation, l’impatience accompagnent souvent les souffrances auxquelles notre
nature nous expose, ainsi que notre mode de vie qui s’écarte si souvent de celle-ci. Cette
impatience provient de ce que nous exigeons que tout se déroule selon nos désirs, et de ce que
nous éprouvons nos malheurs comme une injustice.
HEGEL
QUESTIONS :
1° Quelle est l’idée directrice du texte ? Comment Hegel en développe-t-il l’analyse ?
2° Expliquez :
a) « nous comprendre dans une plus grande dépendance vis-à-vis de la nature » ;
b) « les souffrances auxquelles notre nature nous expose, ainsi que notre mode de vie ».
3° Le sentiment d’injustice n’exprime-t-il qu’un désir illusoire ?
- 507 -
[508] SUJET N° 496 - 2PHTEPO3 - 2002 - Série TECHN. - POLYNESIE - SESSION REMPL.
Pour les actes accomplis par crainte de plus grands maux ou pour quelque noble motif (par
exemple, si un tyran nous ordonne d’accomplir une action honteuse, alors qu’il tient en son
pouvoir nos parents et nos enfants, et qu’en accomplissant cette action nous assurerions leur
salut, et en refusant de le faire, leur mort), pour de telles actions la question est débattue de savoir
si elles sont volontaires ou involontaires. C’est là encore ce qui se produit dans le cas d’une
cargaison que l’on jette par-dessus bord au cours d’une tempête : dans l’absolu personne ne se
débarrasse ainsi de son bien volontairement, mais quand il s’agit de son propre salut et de celui
de ses compagnons un homme sensé agit toujours ainsi. De telles actions sont donc mixtes, tout
en ressemblant plutôt à des actions volontaires, car elles sont librement choisies au moment où on
les accomplit, et la fin (1) de l’action varie avec les circonstances de temps. On doit donc, pour
qualifier une action de volontaire ou d’involontaire, se référer au moment où elle s’accomplit.
ARISTOTE
(1) « la fin » : le but.
QUESTIONS :
1° Dégagez la thèse du texte et la manière dont le texte est construit.
2°
a) Expliquez et comparez les deux exemples du texte ;
b) expliquez : « elles sont librement choisies au moment où on les accomplit ».
3° Une action volontaire est-elle une action libre ?
- 508 -
[509] SUJET N° 497 - 2PHTEAG3 - 2002 - Série TECHN. - ANTILLES - SESSION REMPL.
Si tu veux bien réfléchir, Socrate, à l’effet visé par la punition du coupable, la réalité elle-même
te montrera que les hommes considèrent la vertu comme une chose qui s’acquiert. Personne, en
effet, en punissant un coupable, n’a en vue ni ne prend pour mobile le fait même de la faute
commise, à moins de s’abandonner comme une bête féroce à une vengeance dénuée de raison :
celui qui a souci de punir intelligemment ne frappe pas à cause du passé - car ce qui est fait est
fait - mais en prévision de l’avenir, afin que ni le coupable ni les témoins de sa punition ne soient
tentés de recommencer. Penser ainsi, c’est penser que la vertu peut s’enseigner, s’il est vrai que le
châtiment a pour fin l’intimidation.
PLATON
QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée principale du texte et les étapes de son argumentation.
2° Qu’est-ce qui montre que « les hommes considèrent la vertu comme une chose qui
s’acquiert » ?
3° Comment le texte permet-il de distinguer « punition » et « vengeance » ?
4° Le châtiment peut-il être le moyen d’une éducation véritable ?
- 509 -
[510] SUJET N° 498 - 2PHLACE3 - 2002 - Série L - ANTILLES - SESSION REMPL.
Un poète a dit qu’il n’est pas possible de discerner ce qui est juste de ce qui est injuste. Un
philosophe a dit que c’est une faiblesse que d’avoir de la honte et de la pudeur pour des actions
infâmes. On dit souvent de semblables paradoxes par une fougue d’imagination, ou dans
l’emportement de ses passions. Mais pourquoi condamnera-t-on ces sentiments, s’il n’y a un
ordre, une règle, une raison universelle et nécessaire, qui se présente toujours à ceux qui savent
rentrer dans eux-mêmes ? Nous ne craignons point de juger les autres ou de nous juger nousmêmes en bien des rencontres (1) ; mais par quelle autorité le faisons-nous, si la Raison qui juge
en nous, lorsqu’il nous semble que nous prononçons des jugements contre nous-mêmes et contre
les autres, n’est notre souveraine et celle de tous les hommes ?
MALEBRANCHE, De la Recherche de la vérité
(1) « en bien des rencontres » : en bien des occasions.
- 510 -
[511] SUJET N° 511 - 1PHAAAG1 - 2001 - Série STI AA - ANTILLES - SESSION
NORMALE
Ces noms de juste et d’injuste, comme aussi ceux de justice et d’injustice, sont équivoques : car
ils signifient choses diverses, suivant qu’on les attribue aux personnes ou aux actions. Quand on
les applique aux actions justes, juste signifie le même que fait à bon droit, et injuste, fait tout au
contraire de l’équité. Celui qui a fait quelque chose justement est nommé innocent, et ne mérite
pas pour cela seul le titre de juste ; comme celui qui a commis une injustice est nommé coupable,
plutôt qu’injuste. Mais quand ces termes sont appliqués aux personnes, être juste signifie le
même que se plaire aux actions justes, s’étudier à rendre la justice, et l’observer partout
ponctuellement. Au contraire, être injuste se dit d’une personne qui méprise la justice, et qui ne la
mesure pas à ses promesses, mais à sa commodité présente. Par ainsi, il y a différence entre la
justice, ou l’injustice, qui se trouvent en l’âme d’une personne, dans le fonds de ses mœurs, et
celles qui se voient dans une action, ou dans une omission mauvaise. Et comme il peut échapper à
un homme juste une infinité d’actions injustes, il en peut aussi sortir de justes d’une personne
injuste. Cela étant, on peut nommer juste, un homme qui fait des actions justes, à cause que les
lois les commandent, et qui n’en commet d’autres que par infirmité. Mais on doit appeler injuste,
celui qui n’agit justement que par la crainte qu’il a des peines que les lois imposent et qui, en
faisant des actions injustes, suit la pente de ses mauvaises inclinations.
HOBBES
QUESTIONS :
1°
a) Concernant le juste et l’injuste, ce texte établit une distinction : laquelle ?
b) Analysez la manière dont cette distinction est développée.
2°
a) Quelle différence y a-t-il entre « innocent » et « juste », entre « coupable » et « injuste » ?
b) Que signifie commettre des actions injustes « par infirmité » ?
3° Respecter les lois, craindre les châtiments, est-ce la même chose ?
- 511 -
[512] SUJET N° 512 - 1PHAAME1 - 2001 - Série STI AA - METROPOLE + REUNION SESSION NORMALE
Cette table même, que nous voyons blanche et que nous sentons dure, nous croyons qu’elle existe
indépendamment de notre perception, nous croyons qu’elle est quelque chose d’extérieur à notre
esprit qui la perçoit. Notre présence ne lui confère pas l’existence ; notre absence ne l’anéantit
pas. Elle conserve une existence invariable et entière, indépendante de la situation des êtres
intelligents qui la perçoivent ou la contemplent.
Mais cette opinion universelle et primitive de tous les hommes est bientôt détruite par la plus
légère philosophie (1), qui nous apprend que rien ne peut jamais être présent à l’esprit qu’une
image ou une perception et que les sens sont seulement des guichets à travers lesquels ces images
sont introduites, sans qu’ils soient capables de produire un rapport immédiat entre l’esprit et
l’objet. La table que nous voyons semble diminuer quand nous nous en éloignons ; mais la table
réelle, qui existe indépendamment de nous, ne souffre pas de modification ; ce n’était donc que
son image qui était présente à l’esprit.
HUME
(1) « la plus légère philosophie » : la philosophie la plus élémentaire.
QUESTIONS :
1° Enoncez la thèse du texte et soulignez les moments de sa démonstration.
2°
a) Expliquez : « Notre présence ne lui confère pas l’existence ; notre absence ne l’anéantit pas ».
b) Pourquoi les sens ne sont-ils pas « capables de produire un rapport immédiat entre l’esprit et
l’objet » ?
3° Est-ce la perception qui nous renseigne sur la réalité ?
- 512 -
[513] SUJET N° 513 - 1PHAAME3 - 2001 - Série STI AA - METROPOLE + REUNION SESSION REMPL.
Il est impossible de persévérer dans la pratique de la contemplation de quelque ordre de beauté
que ce soit, sans être fréquemment obligé de faire des comparaisons entre les divers degrés et
genres de perfection, et sans estimer l’importance relative des uns par rapport aux autres. Un
homme qui n’a eu aucune possibilité de comparer les différentes sortes de beauté n’a absolument
aucune qualification pour donner son opinion sur un objet qui lui est présenté. C’est seulement
par comparaison que nous fixons les épithètes de louange, ou de blâme, et apprenons à assigner le
juste degré de l’un ou de l’autre. Le plus grossier des barbouillages comporte un certain lustre de
couleurs, et une exactitude d’imagination, qui sont en tant que tels, des beautés, et affecteraient
de la plus grande admiration l’esprit d’un paysan ou d’un Indien. Les ballades (1) les plus
vulgaires ne sont pas entièrement dépourvues d’harmonie, ni de naturel, et personne, si ce n’est
un homme familiarisé avec des beautés supérieures, n’énoncerait que leurs rythmes sont
désagréables, ou que les histoires qu’elles content sont sans intérêt. Une grande infériorité de
beauté donne du déplaisir à une personne accoutumée aux plus grandes perfections dans ce genre,
et elle est considérée pour cette raison comme une laideur, de même que nous supposons
naturellement que l’objet le plus fini que nous connaissions atteint le summum de la perfection, et
qu’il mérite les plus grands applaudissements. Quelqu’un d’accoutumé à voir, à examiner et à
peser la valeur des réalisations de diverses sortes qui ont été admirées dans des époques et des
nations différentes, est seul habilité à juger des mérites d’une œuvre qu’on lui présente, et à lui
assigner le rang qui lui revient parmi les productions du génie.
HUME
(1) ballade : ici, genre littéraire populaire issu de la chanson à danser.
QUESTIONS :
1° Dégagez la thèse de ce texte et analysez la manière dont il est construit.
2°
a) Expliquez : « C’est seulement par comparaison que nous fixons les épithètes de louange, ou de
blâme, et apprenons à assigner le juste degré de l’un de l’autre ».
b) Pourquoi reconnaître de la beauté dans « le plus grossier des barbouillages » ou « les ballades
les plus vulgaires » n’exclut-il pas qu’il y ait des « beautés supérieures » ?
3° Le goût s’éduque-t-il ?
- 513 -
[514] SUJET N° 514 - 1PHESAN1 - 2001 - Série ES - AMERIQUE DU NORD - SESSION
NORMALE
On a coutume cependant de demander si le souverain est lié par les lois et si en conséquence il
peut commettre des fautes. Puisque cependant les mots de loi et de faute ne s’appliquent pas
seulement à la législation de la Cité mais aux lois communes de toute la nature, et qu’il y a lieu
d’avoir égard avant tout aux règles que pose la raison, nous ne pouvons dire, absolument parlant,
que la Cité n’est liée par aucune loi et ne peut commettre de faute. Si, en effet, la Cité n’avait ni
lois ni règles, non pas même celles sans lesquelles elle ne serait pas une Cité, il faudrait voir en
elle non une chose appartenant à la nature, mais une chimère. La Cité commet donc une faute
quand elle agit ou permet d’agir de telle façon que sa propre ruine puisse être la conséquence des
actes accomplis : nous dirons alors qu’elle commet une faute dans le sens où les philosophes et
aussi les médecins disent que la nature peut fauter, ce qui signifie que la Cité commet une faute
quand elle agit contrairement au commandement de la raison. C’est surtout en effet quand elle se
conforme au commandement de la raison, que la Cité est maîtresse d’elle-même. Lors donc
qu’elle agit contrairement à la raison, et dans la mesure où elle le fait, elle se manque à ellemême et on peut dire qu’elle faute.
SPINOZA
- 514 -
[515] SUJET N° 515 - 1PHESG11 - 2001 - Série ES - ETRANGER GROUPE 1 - SESSION
NORMALE
Quand je vois chacun de nous sans cesse occupé de l’opinion publique étendre pour ainsi dire son
existence tout autour de lui sans réserver presque rien dans son propre cœur, je crois voir un petit
insecte former de sa substance une grande toile par laquelle seule il paraît sensible tandis qu’on le
croirait mort dans son trou. La vanité de l’homme est la toile d’araignée qu’il tend sur tout ce qui
l’environne. L’une est aussi solide que l’autre, le moindre fil qu’on touche met l’insecte en
mouvement, il mourrait de langueur si l’on laissait la toile tranquille, et si d’un doigt on la
déchire il achève de s’épuiser plutôt que de ne la pas refaire à l’instant. Commençons par
redevenir nous, par nous concentrer en nous, par circonscrire notre âme des mêmes bornes que la
nature a données à notre être, commençons en un mot par nous rassembler où nous sommes, afin
qu’en cherchant à nous connaître tout ce qui nous compose vienne à la fois se présenter à nous.
Pour moi, je pense que celui qui sait le mieux en quoi consiste le moi humain est le plus près de
la sagesse et que comme le premier trait d’un dessin se forme des lignes qui le terminent (1), la
première idée de l’homme est de le séparer de tout ce qui n’est pas lui.
ROUSSEAU
(1) « qui le terminent » : qui le délimitent.
- 515 -
[516] SUJET N° 516 - 1PHESJA1 - 2001 - Série ES - JAPON - SESSION NORMALE
L’homme est un être destiné à la société (bien qu’il soit aussi insociable), et en cultivant l’état de
société il ressent puissamment le besoin de s’ouvrir aux autres (même sans avoir là d’intention
précise) ; mais d’un autre côté, retenu et averti par la peur de l’abus que les autres pourraient faire
de cette révélation de ses pensées, il se voit alors contraint de renfermer en lui-même une bonne
part de ses jugements (surtout ceux qu’il porte sur les autres hommes). (...) Il consentirait bien
aussi à révéler aux autres ses défauts et ses fautes, mais il doit craindre que l’autre ne dissimule
les siens et que lui-même puisse ainsi baisser dans l’estime de ce dernier s’il lui ouvrait tout son
cœur.
Si donc il trouve un homme qui ait de bonnes Intentions et soit sensé, de telle sorte qu’il puisse,
sans avoir à se soucier de ce danger, lui ouvrir son cœur en toute confiance et s’accorde de
surcroît avec lui sur la manière de juger des choses, il peut donner libre cours à ses pensées. Il
n’est plus entièrement seul avec ses pensées, comme dans une prison, mais jouit d’une liberté
dont il est privé dans la foule où il lui faut se renfermer en lui-même.
KANT
- 516 -
[517] SUJET N° 517 - 1PHESME3 - 2001 - Série ES - METROPOLE + REUNION - SESSION
REMPL.
Il faut (...) préciser contre le sens commun que la formule « être libre » ne signifie pas « obtenir
ce qu’on a voulu », mais « se déterminer à vouloir (au sens large de choisir) par soi-même ».
Autrement dit, le succès n’importe aucunement à la liberté. La discussion qui oppose le sens
commun aux philosophes vient ici d’un malentendu : le concept empirique et populaire de
« liberté » produit de circonstances historiques, politiques et morales équivaut à « faculté
d’obtenir les fins choisies ». Le concept technique et philosophique de liberté, le seul que nous
considérions ici, signifie seulement : autonomie du choix. Il faut cependant noter que le choix
étant identique au faire suppose, pour se distinguer du rêve et du souhait, un commencement de
réalisation. Ainsi ne dirons-nous pas qu’un captif est toujours libre de sortir de prison, ce qui
serait absurde, ni non plus qu’il est toujours libre de souhaiter l’élargissement ce qui serait une
lapalissade (1) sans portée, mais qu’il est toujours libre de chercher à s’évader (ou à se faire
libérer) - c’est-à-dire que quelle que soit sa condition, il peut projeter son évasion et s’apprendre à
lui-même la valeur de son projet par un début d’action. Notre description de la liberté, ne
distinguant pas entre le choisir et le faire, nous oblige à renoncer du coup à la distinction entre
l’intention et l’acte.
SARTRE
(1) « lapalissade » : évidence.
- 517 -
[518] SUJET N° 518 - 1PHLIME1 - 2001 - Série L - METROPOLE + REUNION - SESSION
NORMALE
Dans toutes les créatures qui ne font pas des autres leurs proies et que de violentes passions
n’agitent pas, se manifeste un remarquable désir de compagnie, qui les associe les unes les autres.
Ce désir est encore plus manifeste chez l’homme : celui-ci est la créature de l’univers qui a le
désir le plus ardent d’une société, et il y est adapté par les avantages les plus nombreux. Nous ne
pouvons former aucun désir qui ne se réfère pas à la société. La parfaite solitude est peut-être la
plus grande punition que nous puissions souffrir. Tout plaisir est languissant quand nous en
jouissons hors de toute compagnie, et toute peine devient plus cruelle et plus intolérable. Quelles
que soient les autres passions qui nous animent, orgueil, ambition, avarice, curiosité, désir de
vengeance, ou luxure, le principe de toutes, c’est la sympathie : elles n’auraient aucune force si
nous devions faire entièrement abstraction des pensées et des sentiments d’autrui. Faites que tous
les pouvoirs et tous les éléments de la nature s’unissent pour servir un seul homme et pour lui
obéir ; faites que le soleil se lève et se couche à son commandement ; que la mer et les fleuves
coulent à son gré ; que la terre lui fournisse spontanément ce qui peut lui être utile et agréable : il
sera toujours misérable tant que vous ne lui aurez pas donné au moins une personne avec qui il
puisse partager son bonheur, et de l’estime et de l’amitié de qui il puisse jouir.
HUME
- 518 -
[519] SUJET N° 519 - 1PHLIME3 - 2001 - Série L - METROPOLE - SESSION REMPL.
Toutes les actions auxquelles nul ne peut être incité ni par des promesses ni par des menaces, sont
en dehors des lois de la Cité. Nul par exemple ne peut se dessaisir de sa faculté de juger ; par
quelles promesses ou par quelles menaces un homme pourrait-il être amené à croire que le tout
n’est pas plus grand que la partie (...) ou que le corps qu’il voit être fini est un être infini ? D’une
manière générale, comment pourrait-il être amené à croire ce qui est contraire à ce qu’il sent ou
pense ? De même, par quelles promesses ou par quelles menaces un homme pourrait-il être
amené à aimer ce qu’il hait ou à haïr ce qu’il aime ? Et il faut en dire autant de tout ce dont la
nature humaine a horreur à ce point qu’elle le juge pire que tous les maux : qu’un homme porte
témoignage contre lui-même, se mette lui-même au supplice, tue son père et sa mère, ne s’efforce
pas d’éviter la mort, et autres choses semblables, auxquelles ni promesses ni menaces ne peuvent
amener personne. Si cependant l’on prétendait que la Cité a le droit ou le pouvoir de commander
de telles choses, ce serait à nos yeux comme si l’on disait qu’un homme a le droit d’être insensé
ou de délirer.
SPINOZA
- 519 -
[520] SUJET N° 520 - 1PHSCG11 - 2001 - Série S - ETRANGER GROUPE 1 - SESSION
NORMALE
Mais quand nous supposerions l’homme maître absolu de son esprit et de ses idées, il serait
encore nécessairement sujet à l’erreur par sa nature. Car l’esprit de l’homme est limité, et tout
esprit limité est par sa nature sujet à l’erreur. La raison en est, que les moindres choses ont entre
elles une infinité de rapports, et qu’il faut un esprit infini pour les comprendre. Ainsi un esprit
limité ne pouvant embrasser ni comprendre tous ces rapports quelque effort qu’il fasse, il est
porté à croire que ceux qu’il n’aperçoit pas n’existent point, principalement lorsqu’il ne fait pas
d’attention à la faiblesse et à la limitation de son esprit, ce qui lui est fort ordinaire. Ainsi la
limitation de l’esprit toute seule, emporte avec soi la capacité de tomber dans l’erreur.
Toutefois si les hommes, dans l’état même où ils sont de faiblesse (...), faisaient toujours bon
usage de leur liberté, ils ne se tromperaient jamais. Et c’est pour cela que tout homme qui tombe
dans l’erreur est blâmé avec justice, et mérite même d’être puni : car il suffit pour ne se point
tromper de ne juger que de ce qu’on voit, et de ne faire jamais des jugements entiers, que des
choses que l’on est assuré d’avoir examinées dans toutes leurs parties, ce que les hommes
peuvent faire. Mais ils aiment mieux s’assujettir à l’erreur, que de s’assujettir à la règle de la
vérité : ils veulent décider sans peine et sans examen. Ainsi il ne faut pas s’étonner, s’ils tombent
dans un nombre infini d’erreurs, et s’ils font souvent des jugements assez incertains.
MALEBRANCHE
- 520 -
[521] SUJET N° 521 - 1PHSCME1 - 2001 - Série S - METROPOLE + REUNION - SESSION
NORMALE
C’est la faiblesse de l’homme qui le rend sociable : ce sont nos misères communes qui portent
nos cœurs à l’humanité, nous ne lui devrions rien si nous n’étions pas hommes. Tout attachement
est un signe d’insuffisance : si chacun de nous n’avait nul besoin des autres, il ne songerait guère
à s’unir à eux. Ainsi de notre infirmité même naît notre frêle bonheur. Un être vraiment heureux
est un être solitaire : Dieu seul jouit d’un bonheur absolu ; mais qui de nous en a l’idée ? Si
quelque être imparfait pouvait se suffire à lui-même, de quoi jouirait-il selon nous ? Il serait seul,
il serait misérable. Je ne conçois pas que celui qui n’a besoin de rien puisse aimer quelque chose ;
je ne conçois pas que celui qui n’aime rien puisse être heureux.
Il suit de là que nous nous attachons à nos semblables moins par le sentiment de leurs plaisirs que
par celui de leurs peines ; car nous y voyons bien mieux l’identité de notre nature et les garants de
leur attachement pour nous. Si nos besoins communs nous unissent par intérêt, nos misères
communes nous unissent par affection.
ROUSSEAU
- 521 -
[522] SUJET N° 522 - 1PHSCME3 - 2001 - Série S - METROPOLE + REUNION - SESSION
REMPL.
Si une génération humaine quittait la scène d’un seul coup et qu’une autre lui succédât, comme
c’est le cas chez les vers à soie et les papillons, la nouvelle race, à supposer qu’elle ait assez de
bon sens pour choisir son gouvernement, ce qui assurément n’est jamais le cas chez les hommes,
pourrait bien établir ses propres institutions volontairement et par un consentement général, sans
aucun égard envers les lois ou les précédents qui prévalurent parmi ses ancêtres. Mais comme la
société humaine est dans un flux perpétuel, puisqu’à chaque heure un homme quitte ce monde et
qu’un autre y pénètre, il est nécessaire au maintien de la stabilité du gouvernement que les
nouveaux rejetons se conforment à la constitution établie et qu’ils suivent pas à pas le sentier que
leurs pères, marchant sur les traces des leurs, ont jalonné pour eux. Certes, toute institution
humaine doit nécessairement faire place à certaines innovations, et l’on doit se réjouir quand les
lumières du génie orientent les innovations d’une époque du côté de la raison, de la liberté et de
la justice ; mais des innovations violentes, aucun individu n’est fondé à en introduire : elles sont
dangereuses même lorsque c’est le législateur qui s’y essaye ; en règle générale, on doit en
attendre plus de mal que de bien ; et si l’histoire offre des exemples du contraire, il ne faut pas les
transformer en autant de précédents, mais les considérer seulement comme prouvant que la
science politique offre peu de règles dépourvues d’exceptions et qui ne soient parfois soumises à
la fortune et à la contingence.
HUME
- 522 -
[523] SUJET N° 523 - 1PHTEAG3 - 2001 - Série TECHN. - ANTILLES - SESSION REMPL.
Il y a des cas où des hommes, même avec une éducation qui a été profitable à d’autres, montrent
cependant dès l’enfance une méchanceté si précoce, et y font des progrès si continus dans leur
âge mûr qu’on les prend pour des scélérats (1) de naissance et qu’on les tient, en ce qui concerne
leur façon de penser, pour tout à fait incorrigibles ; et toutefois on les juge pour ce qu’ils font et
ce qu’ils ne font pas, on leur reproche leurs crimes comme des fautes, bien plus, eux-mêmes (les
enfants) trouvent ces reproches tout à fait fondés, exactement comme si en dépit de la nature
désespérante du caractère qu’on leur attribue, ils demeuraient aussi responsables que tout autre
homme. Cela ne pourrait arriver si nous ne supposions pas que tout ce qui sort du libre choix d’un
homme (comme sans doute toute action faite à dessein) a pour fondement une causalité par
liberté, qui, dès la plus tendre jeunesse, exprime son caractère dans ses actions.
KANT
(1) « scélérats » : individus sans moralité.
QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée principale du texte et les étapes de son argumentation.
2° Expliquez :
a) « on leur reproche leurs crimes comme des fautes » ;
b) « en dépit de la nature désespérante du caractère qu’on leur attribue ».
3° Le fait de tenir quelqu’un pour responsable prouve-t-il qu’il est libre ?
- 523 -
[524] SUJET N° 524 - 1PHTEIN1 - 2001 - Série TECHN. - INDE - SESSION NORMALE
L’universalité du besoin d’art ne tient pas à autre chose qu’au fait que l’homme est un être
pensant et doué de conscience. En tant que doué de conscience, l’homme doit se placer en face de
ce qu’il est, de ce qu’il est d’une façon générale, et en faire un objet pour soi. Les choses de la
nature se contentent d’être, elles sont simples, ne sont qu’une fois, mais l’homme, en tant que
conscience, se dédouble : il est une fois, mais il est pour lui-même. Il projette devant lui ce qu’il
est ; il se contemple, se représente lui-même. Il faut donc chercher le besoin général qui provoque
une œuvre d’art dans la pensée de l’homme, puisque l’œuvre d’art est un moyen à l’aide duquel
l’homme extériorise ce qu’il est.
HEGEL
QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée principale du texte.
2° Expliquez :
a) « Les choses de la nature se contentent d’être, elles sont simples, ne sont qu’une fois, mais
l’homme, en tant que conscience, se dédouble » ;
b) « l’œuvre d’art est un moyen à l’aide duquel l’homme extériorise ce qu’il est ».
3° Pourrions-nous nous passer d’œuvres d’art ?
- 524 -
[525] SUJET N° 525 - 1PHTEPO1 - 2001 - Série TECHN. - POLYNESIE - SESSION
NORMALE
Parmi un millier d’opinions différentes que des hommes divers entretiennent sur le même sujet, il
y en a une, et une seulement, qui est juste et vraie. Et la seule difficulté est de la déterminer et de
la rendre certaine. Au contraire, un millier de sentiments différents, excités par le même objet,
sont justes, parce qu’aucun sentiment ne représente ce qui est réellement dans l’objet. Il marque
seulement une certaine conformité ou une relation entre l’objet et les organes ou facultés de
l’esprit, et si cette conformité n’existait pas réellement, le sentiment n’aurait jamais pu, selon
toute possibilité, exister. La beauté n’est pas une qualité inhérente aux choses elles-mêmes, elle
existe seulement dans l’esprit qui la contemple, et chaque esprit perçoit une beauté différente.
Une personne peut même percevoir de la difformité là où une autre perçoit de la beauté. Et tout
individu devrait être d’accord avec son propre sentiment, sans prétendre régler ceux des autres.
HUME
QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée principale du texte et les étapes de son argumentation.
2° Expliquez :
a) « aucun sentiment ne représente ce qui est réellement dans l’objet » ;
b) « la beauté n’est pas une qualité inhérente aux choses ».
3° Peut-on se tromper en disant qu’une chose est belle ?
- 525 -
[526] SUJET N° 526 - OPHLAMR1 - 2001 - Série L - ANTILLES - SESSION REMPL.
On charge les hommes, dès l’enfance, du soin de leur honneur, de leur bien, de leurs amis, et
encore du bien et de l’honneur de leurs amis. On les accable d’affaires, de l’apprentissage des
langues et d’exercices, et on leur fait entendre qu’ils ne sauraient être heureux sans que leur
santé, leur honneur, leur fortune et celle de leurs amis soient en bon état, et qu’une seule chose
qui manque les rendrait malheureux. Ainsi on leur donne des charges et des affaires qui les font
tracasser dès la pointe du jour. - Voilà, direz-vous, une étrange manière de les rendre heureux !
Que pourrait-on faire de mieux pour les rendre malheureux ? - Comment ! ce qu’on pourrait
faire ? Il ne faudrait que leur ôter tous ces soins (1) car alors ils se verraient, ils penseraient à ce
qu’ils sont, d’où ils viennent, où ils vont : et ainsi on ne peut trop les occuper et les détourner. Et
c’est pourquoi, après leur avoir tant préparé d’affaires, s’ils ont quelque temps de relâche, on leur
conseille de l’employer à se divertir, à jouer et à s’occuper toujours tout entiers.
PASCAL
(1) « soins » : soucis.
- 526 -
[527] SUJET N° 527 - PHESPOR - 2001 - Série ES - POLYNESIE - SESSION REMPL.
Mais qu’est-ce qu’une bonne loi ? Par bonne loi, je n’entends pas une loi juste, car aucune loi ne
peut être injuste. La loi est faite par le pouvoir souverain, et tout ce qui est fait par ce pouvoir est
cautionné et reconnu pour sien par chaque membre du peuple : et ce que chacun veut ne saurait
être dit injuste par personne. Il en est des lois de la République comme des lois des jeux : ce sur
quoi les joueurs se sont accordés n’est pour aucun d’eux une injustice. Une bonne loi se
caractérise par le fait qu’elle est, en même temps nécessaire au bien du peuple, et claire.
En effet, le rôle des lois, qui ne sont que des règles revêtues d’une autorité, n’est pas d’entraver
toute action volontaire, mais seulement de diriger et de contenir les mouvements des gens, de
manière à éviter qu’emportés par l’impétuosité de leurs désirs, leur précipitation ou leur manque
de discernement, ils ne se fassent du mal : ce sont comme des haies disposées non pour arrêter les
voyageurs, mais pour les maintenir sur le chemin. C’est pourquoi si une loi n’est pas nécessaire,
et que la vraie fin de toute loi lui fasse donc défaut, elle n’est pas bonne.
HOBBES
- 527 -
[528] SUJET N° 528 - PHSCJA1 - 2001 - Série S - JAPON - SESSION NORMALE
Il y en a qui vont jusqu’à cette absurdité d’expliquer un mot par le mot même. J’en sais qui ont
défini la lumière en cette sorte : « La lumière est un mouvement luminaire des corps lumineux » ;
comme si on pouvait entendre les mots de luminaire et de lumineux sans celui de lumière.
On ne peut entreprendre de définir l’être sans tomber dans cette absurdité : car on ne peut définir
un mot sans commencer par celui-ci, c’est, soit qu’on l’exprime ou qu’on le sous-entende. Donc
pour définir l’être, il faudrait dire c’est, et ainsi employer le mot défini dans sa définition.
On voit assez de là qu’il y a des mots incapables d’être définis ; et si la nature n’avait suppléé à
ce défaut par une idée pareille qu’elle a donnée à tous les hommes, toutes nos expressions
seraient confuses ; au lieu qu’on en use avec la même assurance et la même certitude que s’ils
étaient expliqués d’une manière parfaitement exempte d’équivoques : parce que la nature nous en
a elle-même donné sans paroles une intelligence plus nette que celle que l’art nous acquiert par
nos explications.
PASCAL
- 528 -
[529] SUJET N° 529 - 1PHESME1 - 2001 - Série ES - METROPOLE + REUNION - SESSION
NORMALE
Le criminel qui connaît tout l’enchaînement des circonstances ne considère pas, comme son juge
et son censeur, que son acte est en dehors de l’ordre et de la compréhension : sa peine cependant
lui est mesurée exactement selon le degré d’étonnement qui s’empare de ceux-ci, en voyant cette
chose incompréhensible pour eux, l’acte du criminel. - Lorsque le défenseur d’un criminel
connaît suffisamment le cas et sa genèse, les circonstances atténuantes qu’il présentera, les unes
après les autres, finiront nécessairement par effacer toute la faute. Ou, pour l’exprimer plus
exactement encore : le défenseur atténuera degré par degré cet étonnement qui veut condamner et
attribuer la peine, il finira même par le supprimer complètement, en forçant tous les auditeurs
honnêtes à s’avouer dans leur for intérieur : « Il lui fallut agir de la façon dont il a agi ; en
punissant, nous punirions l’éternelle nécessité. » - Mesurer le degré de la peine selon le degré de
connaissance que l’on a ou peut avoir de l’histoire du crime, - n’est-ce pas contraire à toute
équité ?
NIETZSCHE
- 529 -
[530] SUJET N° 530 - PHESPO - 2001 - Série ES - POLYNESIE - SESSION NORMALE
Celui qui a l’intention de faire à autrui une fausse promesse apercevra aussitôt qu’il veut se servir
d’un autre homme simplement comme d’un moyen, sans que ce dernier contienne en même
temps la fin en lui-même. Car celui que je veux par cette promesse faire servir à mes desseins ne
peut absolument pas adhérer à ma façon d’en user envers lui et contenir ainsi lui-même la fin de
cette action. Cette violation du principe de l’humanité dans d’autres hommes tombe plus
évidemment sous les yeux quand on tire les exemples d’atteintes portées à la liberté ou à la
propriété d’autrui. Car là il apparaît clairement que celui qui viole les droits des hommes a
l’intention de se servir de la personne des autres simplement comme d’un moyen, sans considérer
que les autres, en qualité d’êtres raisonnables, doivent être toujours estimés en même temps
comme des fins, c’est-à-dire uniquement comme des êtres qui doivent pouvoir contenir aussi en
eux la fin de cette même action.
KANT
- 530 -
[531] SUJET N° 531 - PHESAG - 2001 - Série ES - ANTILLES - SESSION NORMALE
Il est inadmissible de dire que la science est un domaine de l’activité intellectuelle humaine, que
la religion et la philosophie en sont d’autres, de valeur au moins égale, et que la science n’a pas à
intervenir dans les deux autres, qu’elles ont toutes la même prétention à la vérité, et que chaque
être humain est libre de choisir d’où il veut tirer ses convictions et où il veut placer sa foi. Une
telle conception passe pour particulièrement distinguée, tolérante, compréhensive et libre de
préjugés étroits. Malheureusement, elle n’est pas soutenable, elle participe à tous les traits nocifs
d’une Weltanschauung (1) absolument non scientifique et lui équivaut pratiquement. Il est
évident que la vérité ne peut être tolérante, qu’elle n’admet ni compromis ni restriction, que la
recherche considère tous les domaines de l’activité humaine comme les siens propres et qu’il lui
faut devenir inexorablement critique lorsqu’une autre puissance veut en confisquer une part pour
elle-même.
FREUD
(1) « Weltanschauung » : vision du monde.
- 531 -
[532] SUJET N° 532 - PHESAGS - 2001 - Série ES - ANTILLES - SESSION REMPL.
Cette idée de la personnalité qui éveille le respect, qui nous met devant les yeux la sublimité de
notre nature (d’après sa détermination), en nous faisant remarquer en même temps le défaut
d’accord de notre conduite avec elle, et en abaissant par cela même la présomption, est naturelle,
même à la raison humaine la plus commune, et aisément remarquée. Tout homme, même
médiocrement honorable, n’a-t-il pas trouvé quelquefois qu’il s’est abstenu d’un mensonge,
d’ailleurs inoffensif, par lequel il pouvait ou se tirer lui-même d’une affaire désagréable ou
procurer quelque avantage à un ami cher et plein de mérite, pour avoir le droit de ne pas se
mépriser en secret à ses propres yeux ? Dans les grands malheurs de la vie, qu’il aurait pu éviter
en se mettant au-dessus du devoir, un honnête homme n’est-il pas soutenu par la conscience
d’avoir en sa personne maintenu l’humanité dans sa dignité, de l’avoir honorée, de n’avoir pas de
raison de rougir de lui-même à ses propres yeux et de craindre le spectacle intérieur de l’examen
de conscience ?
KANT
- 532 -
[533] SUJET N° 533 - 1PHESLI1 - 2001 - Série ES - LIBAN - SESSION NORMALE
Si la parole présupposait la pensée, si parler c’était d’abord se joindre à l’objet par une intention
de connaissance ou par une représentation, on ne comprendrait pas pourquoi la pensée tend vers
l’expression comme vers son achèvement, pourquoi l’objet le plus familier nous paraît
indéterminé tant que nous n’en avons pas retrouvé le nom, pourquoi le sujet pensant lui-même est
dans une sorte d’ignorance de ses pensées tant qu’il ne les a pas formulées pour soi ou même
dites et écrites, comme le montre l’exemple de tant d’écrivains qui commencent un livre sans
savoir au juste ce qu’ils y mettront. Une pensée qui se contenterait d’exister pour soi, hors des
gênes de la parole et de la communication, aussitôt apparue tomberait à l’inconscience, ce qui
revient à dire qu’elle n’existerait pas même pour soi.
MERLEAU-PONTY
- 533 -
[534] SUJET N° 534 - 1PHSEIN1 - 2001 - Série ES - INDE - SESSION NORMALE
Même quand il s’agit des lois écrites, la meilleure solution n’est pas toujours de les conserver
immuables. En effet, dans l’ordre politique il est impossible de préciser par écrit tous les détails,
car la loi écrite a forcément pour objet le général, tandis que les actions ont rapport aux cas
particuliers. Ces considérations montrent donc avec évidence que des changements sont
opportuns pour certaines lois et dans certains cas. Mais si on considère les choses sous un autre
angle, une grande vigilance, paraîtra s’imposer dans ce domaine. Quand, en effet, l’avantage
qu’on retire du changement apporté est de faible intérêt, et comme, en revanche, il est dangereux
d’habituer les hommes à abroger les lois à la légère, mieux vaut manifestement fermer les yeux
sur quelques erreurs des législateurs ou des magistrats, car le profit qu’on pourra retirer d’une
modification de la loi sera loin de compenser le dommage qui sera causé par l’habitude de
désobéir à ceux qui gouvernent. La loi n’a aucun pouvoir de contraindre à l’obéissance, en dehors
de la force de la coutume, et celle-ci ne s’établit qu’après un laps de temps considérable, de sorte
que passer facilement des lois existantes à de nouvelles lois toutes différentes, c’est affaiblir
l’autorité de la loi.
ARISTOTE
- 534 -
[535] SUJET N° 535 - 1PHSCPO1 - 2001 - Série S - POLYNESIE - SESSION NORMALE
La justice est un rapport de convenance, qui se trouve réellement entre deux choses ; ce rapport
est toujours le même, quelque être qui le considère, soit que ce soit Dieu, soit que ce soit un ange,
ou enfin que ce soit un homme.
Il est vrai que les hommes ne voient pas toujours ces rapports ; souvent même, lorsqu’ils les
voient, ils s’en éloignent ; et leur intérêt est toujours ce qu’ils voient le mieux. La justice élève sa
voix ; mais elle a peine à se faire entendre dans le tumulte des passions.
Les hommes peuvent faire des injustices, parce qu’ils ont intérêt de les commettre, et qu’ils
préfèrent leur propre satisfaction à celle des autres. C’est toujours par un retour sur eux-mêmes
qu’ils agissent : nul n’est mauvais gratuitement. Il faut qu’il y ait une raison qui détermine, et
cette raison est toujours une raison d’intérêt.
Mais il n’est pas possible que Dieu fasse jamais rien d’injuste ; dès qu’on suppose qu’il voit la
justice, il faut nécessairement qu’il la suive : car, comme il n’a besoin de rien, et qu’il se suffit à
lui-même, il serait le plus méchant de tous les êtres, puisqu’il le serait sans intérêt.
Ainsi, quand il n’y aurait pas de Dieu, nous devrions toujours aimer la justice ; c’est-à-dire faire
nos efforts pour ressembler à cet être dont nous avons une si belle idée, et qui, s’il existait, serait
nécessairement juste. Libres que nous serions du joug de la religion, nous ne devrions pas l’être
de celui de l’équité.
Voilà (...) ce qui m’a fait penser que la justice est éternelle et ne dépend point des conventions
humaines ; et, quand elle en dépendrait, ce serait une vérité terrible, qu’il faudrait se dérober à
soi-même.
MONTESQUIEU
- 535 -
[536] SUJET N° 536 - 1PHSCPO3 - 2001 - Série S - POLYNESIE - SESSION REMPL.
Le paradoxe de l’objet d’art c’est que sa signification demeure irréelle, c’est-à-dire hors du
monde, et que, cependant, elle peut être la cause et la fin d’activités réelles. Un tableau met en jeu
des intérêts économiques ; on l’achète, on le vend. En temps de guerre, on « l’évacue » comme
s’il était une personne. A la signature du traité de paix, il peut faire l’objet d`une clause spéciale
que le gouvernement vainqueur impose au gouvernement vaincu. Et, sans doute, cela provient de
sa valeur, des traditions qui s’y rattachent, etc. ; mais les intérêts particuliers, l’orgueil national,
l’appréciation esthétique, tout, finalement, se réfère à une signification première qui est
imaginaire. Autrement dit, la réalité d’une société comporte la socialisation de certaines irréalités.
Imaginaires en tant qu’elles se rapportent à des événements qui n’ont jamais eu lieu ou à des
personnages qui n’ont jamais existé, parfois même à des lois qui ne sont pas celles de notre
univers, les œuvres « reçues » sont réelles en ceci qu’elles provoquent des actions réelles, des
sentiments réels et qu’elles définissent le développement historique d’une société.
SARTRE
- 536 -
[537] SUJET N° 537 - 01PHSCAG1 - 2001 - Série S - ANTILLES - SESSION NORMALE
- Quand on a cru, sans connaître l’art de raisonner, qu’un raisonnement est vrai, il peut se faire
que peu après on le trouve faux, alors qu’il l’est parfois et parfois ne l’est pas, et l’expérience
peut se renouveler sur un autre et un autre encore. Il arrive notamment, tu le sais, que ceux qui
ont passé leur temps à controverser finissent par s’imaginer qu’ils sont devenus très sages et que,
seuls, ils ont découvert qu’il n’y a rien de sain ni de sûr ni dans aucune chose ni dans aucun
raisonnement, mais que tout est dans un flux et un reflux continuels, absolument comme dans
l’Euripe (1) et que rien ne demeure un moment dans le même état.
- C’est parfaitement vrai, dis-je.
- Alors, Phédon, reprit-il, s’il est vrai qu’il y ait des raisonnements vrais, solides et susceptibles
d’être compris, ne serait-ce pas une triste chose de voir un homme qui, pour avoir entendu des
raisonnements qui, tout en restant les mêmes, paraissent tantôt vrais, tantôt faux, au lieu de
s’accuser lui-même et son incapacité, en viendrait par dépit à rejeter la faute sur les
raisonnements, au lieu de s’en prendre à lui-même, et dès lors continuerait toute sa vie à haïr et
ravaler les raisonnements et serait ainsi privé de la vérité et de la connaissance de la réalité ?
- Oui, par Zeus, dis-je, ce serait une triste chose.
PLATON
(1) L’Euripe : détroit qui sépare l’Eubée de la Béotie, où se produisent un flux et un reflux
perpétuels.
- 537 -
[538] SUJET N° 538 - 1PHSCAN1 - 2001 - Série S - AMERIQUE DU NORD - SESSION
NORMALE
Ceux qui ont à l’excès les dons de la fortune - force, richesse, amis et autres avantages de ce
genre - ne veulent ni ne savent obéir (et ce défaut, ils le tiennent, dès l’enfance, de leur famille : à
cause d’une vie trop facile, ils n’ont pas pris, même à l’école, l’habitude d’obéir), tandis que ceux
qui sont privés, d’une manière excessive, de ces avantages sont trop avilis. Le résultat, c’est que
ces derniers ne savent pas commander, mais seulement obéir en esclaves à l’autorité, tandis que
les autres ne savent obéir à aucune autorité mais seulement commander en maîtres. Ainsi donc, il
se forme une cité d’esclaves et de maîtres, mais non d’hommes libres, les uns pleins d’envie, les
autres de mépris, sentiments très éloignés de l’amitié et de la communauté de la cité car
communauté implique amitié : avec ses ennemis, on ne veut même pas faire en commun un bout
de chemin. La cité, elle, se veut composée le plus possible, d’égaux et de semblables, ce qui se
rencontre surtout dans la classe moyenne.
ARISTOTE
- 538 -
[539] SUJET N° 539 - 1PHSCLI1 - 2001 - Série S - LIBAN - SESSION NORMALE
Qu’est-ce donc que la liberté ? Naître, c’est à la fois naître du monde et naître au monde. Le
monde est déjà constitué, mais aussi jamais complètement constitué. Sous le premier rapport,
nous sommes sollicités, sous le second nous sommes ouverts à une infinité de possibles. Mais
cette analyse est encore abstraite, car nous existons sous les deux rapports à la fois. Il n’y a donc
jamais déterminisme et jamais choix absolu, jamais je ne suis chose et jamais conscience nue. En
particulier, même nos initiatives, même les situations que nous avons choisies nous portent, une
fois assumées, comme par une grâce d’état. La généralité du « rôle » et de la situation vient au
secours de la décision, et, dans cet échange entre la situation et celui qui l’assume, il est
impossible de délimiter la « part de la situation » et la « part de la liberté ». On torture un homme
pour le faire parler. S’il refuse de donner les noms et les adresses qu’on veut lui arracher, ce n’est
pas par une décision solitaire et sans appuis ; il se sentait encore avec ses camarades, et, encore
engagé dans la lutte commune, il était comme incapable de parler ; ou bien, depuis des mois ou
des années, il a affronté en pensée cette épreuve et misé toute sa vie sur elle ; ou enfin, il veut
prouver en la surmontant ce qu’il a toujours pensé et dit de la liberté. Ces motifs n’annulent pas la
liberté, ils font du moins qu’elle ne soit pas sans étais (1) dans l’être.
MERLEAU-PONTY
(1) « étais » : soutiens.
- 539 -
[540] SUJET N° 540 - 1PHSCIN1 - 2001 - Série S - INDE - SESSION NORMALE
Il est obligatoire qu’au comportement juridiquement correct se lie aussi, de façon essentielle, le
comportement moral. Mais il peut arriver qu’au comportement juridiquement correct ne se lie
aucunement la disposition d’esprit orientée vers le droit, et même que ce comportement fasse
place à une disposition d’esprit immorale. La conduite juridiquement correcte, dans la mesure où
elle a pour mobile le respect de la loi, est en même temps une conduite morale. C’est, de façon
juridiquement correcte, mais, en même temps, avec une disposition d’esprit morale, qu’il faut
tout d’abord se conduire, purement et simplement, et ensuite seulement, hors de toute interdiction
juridique (de toute obligation de droit) la conduite morale peut intervenir comme telle. Les
hommes aiment à se conduire de façon morale ou noble et, plutôt que de remplir leurs obligations
juridiques, ils préfèrent souvent répandre des dons désintéressés. Car, en se conduisant avec
noblesse, ils se donnent à eux-mêmes conscience de leur perfection particulière, alors qu’en
suivant la règle de droit ils se situent à un niveau de parfaite universalité, qui leur est commun
avec tout le monde.
HEGEL
- 540 -
[541] SUJET N° 541 - 1PHLIND - 2001 - Série L - INDE - SESSION NORMALE
Dans l’éducation, la notion d’obstacle pédagogique est également méconnue. J’ai souvent été
frappé du fait que les professeurs de sciences plus encore que les autres si c’est possible, ne
comprennent pas qu’on ne comprenne pas. Peu nombreux sont ceux qui ont creusé la psychologie
de l’erreur, de l’ignorance et de l’irréflexion. (...) Les professeurs de sciences imaginent que
l’esprit commence comme une leçon (...) qu’on peut faire comprendre une démonstration en la
répétant point pour point. Ils n’ont pas réfléchi au fait que l’adolescent arrive dans la classe de
Physique avec des connaissances empiriques déjà constituées : il s’agit alors non pas d’acquérir
une culture expérimentale, mais bien de changer de culture expérimentale, de renverser les
obstacles déjà amoncelés par la vie quotidienne. Un seul exemple : l’équilibre des corps flottants
fait l’objet d’une intuition familière qui est un tissu d’erreurs. D’une manière plus ou moins nette,
on attribue une activité au corps qui flotte, mieux au corps qui nage. Si l’on essaie avec la main
d’enfoncer un morceau de bois dans l’eau, il résiste. On n’attribue pas facilement la résistance à
l’eau. Il est dès lors assez difficile de faire comprendre le principe d’Archimède dans son
étonnante simplicité mathématique si l’on n’a pas d’abord critiqué et désorganisé le complexe
impur des intuitions premières. En particulier sans cette psychanalyse des erreurs initiales, on ne
fera jamais comprendre que le corps qui émerge et le corps complètement immergé obéissent à la
même loi.
BACHELARD
- 541 -
[542] SUJET N° 542 - 01PHLILI1 - 2001 - Série L - LIBAN - SESSION NORMALE
La grandeur de l’homme est si visible, qu’elle se tire même de sa misère. Car ce qui est nature
aux animaux, nous l’appelons misère en l’homme.
(...) Car qui se trouve malheureux de n’être pas roi, sinon un roi dépossédé ? Trouvait-on PaulEmile (1) malheureux de n’être plus consul ? Au contraire, tout le monde trouvait qu’il était
heureux de l’avoir été, parce que sa condition n’était pas de l’être toujours. Mais on trouvait
Persée si malheureux de n’être plus roi, parce que sa condition était de l’être toujours, qu’on
trouvait étrange de ce qu’il supportait la vie. Qui se trouve malheureux de n’avoir qu’une
bouche ? et qui ne se trouverait malheureux de n’avoir qu’un œil ? On ne s’est peut-être jamais
avisé de s’affliger de n’avoir pas trois yeux, mais on est inconsolable de n’en point avoir.
PASCAL
(1) Paul-Emile est le général qui vainquit Persée, roi de Macédoine.
- 542 -
[543] SUJET N° 543 - N/R - 2001 - Série L - JAPON - SESSION NORMALE
D’un côté, la destination de chacun dans la société n’étant plus déterminée par aucune maxime
généralement respectée, et les institutions pratiques ayant dû se conformer à cette situation des
esprits, l’essor des ambitions particulières n’est plus contenu réellement que par la puissance
irrégulière et fortuite des circonstances extérieures propres aux divers individus. D’un autre côté,
le sentiment social cherchant vainement, soit dans la raison privée, soit dans les préjugés publics,
des notions exactes et fixes sur ce qui constitue le bien général dans chaque cas qui se présente, il
finit par dégénérer peu à peu en une vague intention philanthropique, incapable d’exercer aucune
action réelle sur la conduite de la vie. Par cette double influence, chacun, dans les grands rapports
sociaux, est graduellement conduit à se faire centre, et la notion de l’intérêt particulier restant
seule bien claire au milieu de tout ce chaos moral, l’égoïsme pur devient naturellement le seul
mobile assez énergique pour diriger l’existence active.
COMTE
- 543 -
[544] SUJET N° 544 - OPHLAMS1 - 2001 - Série L - ANTILLES - SESSION NORMALE
Ce qui est digne d’être poursuivi par soi, nous le nommons plus parfait que ce qui est poursuivi
pour une autre chose, et ce qui n’est jamais désirable en vue d’une autre chose, nous le déclarons
plus parfait que les choses qui sont désirables à la fois par elles mêmes et pour cette autre chose,
et nous appelons parfait au sens absolu ce qui est toujours désirable en soi-même et ne l’est
jamais en vue d’une autre chose. Or le bonheur semble être au suprême degré une fin de ce genre,
car nous le choisissons toujours pour lui-même et jamais en vue d’une autre chose : au contraire,
l’honneur, le plaisir, l’intelligence ou toute vertu quelconque, sont des biens que nous choisissons
assurément pour eux-mêmes (puisque, même si aucun avantage n’en découlait pour nous, nous
les choisirions encore), mais nous les choisissons aussi en vue du bonheur, car c’est par leur
intermédiaire que nous pensons devenir heureux. Par contre, le bonheur n’est jamais choisi en
vue de ces biens, ni d’une manière générale, en vue d’autre chose que lui-même.
ARISTOTE
- 544 -
[545] SUJET N° 545 - 1PHLIGR11 - 2001 - Série L - ETRANGER GROUPE 1 - SESSION
NORMALE
Nous avons dit que les lois étaient des institutions particulières et précises du législateur ; et les
mœurs et les manières, des institutions de la nation en général. De là il suit que lorsqu’on veut
changer les mœurs et les manières, il ne faut pas les changer par les lois : cela paraîtrait trop
tyrannique ; il vaut mieux les changer par d’autres mœurs et d’autres manières.
Ainsi lorsqu’un prince veut faire de grands changements dans sa nation, il faut qu’il réforme par
les lois ce qui est établi par les lois, et qu’il change par les manières ce qui est établi par les
manières : et c’est une très mauvaise politique de changer par les lois ce qui doit être changé par
les manières.
La loi qui obligeait les Moscovites à se faire couper la barbe et les habits, et la violence de Pierre
Ier, qui faisait tailler jusqu’aux genoux les longues robes de ceux qui entraient dans les villes,
étaient tyranniques. Il y a des moyens pour empêcher les crimes : ce sont les peines ; il y en a
pour faire changer les manières : ce sont les exemples.
(...) En général, les peuples sont très attachés à leurs coutumes ; les leur ôter violemment, c’est
les rendre malheureux : il ne faut donc pas les changer, mais les engager à les changer euxmêmes.
MONTESQUIEU
- 545 -
[546] SUJET N° 546 - J/N - 2001 - Série TMD - METROPOLE + REUNION - SESSION
NORMALE
L’un aime le son des instruments à vent, l’autre celui des instruments à corde. Discuter là-dessus
avec l’intention de dénoncer l’erreur du jugement d’autrui qui diffère du nôtre, comme s’il lui
était logiquement opposé, serait pure folie ; le principe : à chacun son goût (s’agissant des sens)
vaut dans le domaine de l’agréable.
Il en va tout autrement du beau. Il serait (tout au contraire) ridicule que quelqu’un qui se flatterait
d’avoir du goût songeât à en donner la preuve en disant : cet objet (l’édifice que nous voyons, le
vêtement que porte celui-ci, le concert que nous entendons, le poème qui est soumis à notre
appréciation) est beau pour moi. Car ce qui lui plaît à lui simplement, il ne doit pas le qualifier de
beau. Il ne manque pas de choses qui peuvent avoir pour lui attrait et agrément, personne ne s’en
soucie, mais lorsqu’il donne une chose pour belle, il attribue aux autres la même satisfaction, il ne
juge pas simplement pour lui, mais pour quiconque et parle alors de la beauté comme si c’était
une propriété des choses. Aussi dit-il : la chose est belle, et en jugeant de la satisfaction il ne
compte pas sur l’adhésion d’autrui parce qu’il l’a obtenue en maintes occasions, mais il exige
d’eux cette adhésion.
KANT
QUESTIONS :
1° Quelle thèse ce texte établit-il ? Quelles sont les étapes de son argumentation ?
2° Expliquez :
a) « Le principe : à chacun son goût (s’agissant des sens) vaut dans le domaine de l’agréable » ;
b) « Lorsqu’il donne une chose pour belle, il attribue aux autres la même satisfaction. »
3° Puis-je appeler beau ce qui ne plaît qu’à moi ?
- 546 -
[547] SUJET N° 547 - 1PHTEG11 - 2001 - Série TECHN. - ETRANGER GROUPE 1 SESSION NORMALE
La vie en commun ne devient possible que lorsqu’une pluralité parvient à former un groupement
plus puissant que ne l’est lui-même chacun de ses membres, et à maintenir une forte cohésion en
face de tout individu pris en particulier. La puissance de cette communauté en tant que “Droit”
s’oppose alors à celle de l’individu, flétrie (1) du nom de force brutale. En opérant cette
substitution de la puissance collective à la force individuelle, la civilisation fait un pas décisif.
Son caractère essentiel réside en ceci que les membres de la communauté limitent leurs
possibilités de plaisir alors que l’individu isolé ignorait toute restriction de ce genre.
FREUD
(1) flétrir : déprécier.
QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée principale du texte et son organisation.
2° Expliquez :
a) « La puissance de cette communauté en tant que “Droit” » ;
b) « la civilisation fait un pas décisif ».
3° Le droit s’établit-il nécessairement contre les individus ?
- 547 -
[548] SUJET N° 548 - 1PHTEAG1 - 2001 - Série TECHN. - ANTILLES - SESSION
NORMALE
L’animal aussi produit. Il se construit un nid, des habitations, comme l’abeille, le castor, la
fourmi, etc. Mais il ne produit que ce dont il a immédiatement besoin pour lui ou pour son petit ;
il produit d’une façon unilatérale, tandis que l’homme produit d’une façon universelle ; il ne
produit que sous l’emprise du besoin physique immédiat, tandis que l’homme produit même
lorsqu’il est libéré de tout besoin physique et ne produit vraiment que lorsqu’il en est vraiment
libéré. L’animal ne produit que lui-même, tandis que l’homme reproduit la nature tout entière, le
produit de l’animal fait directement partie de son corps physique, tandis que l’homme affronte
librement son produit. L’animal ne façonne que selon la mesure et selon les besoins de l’espèce à
laquelle il appartient, tandis que l’homme sait produire à la mesure de toute espèce et sait
appliquer partout à l’objet la nature qui est la sienne. C’est pourquoi l’homme façonne aussi
d’après les lois de la beauté.
MARX
QUESTIONS :
1° Dégagez le sens de l’opposition présente dans ce texte.
2° Expliquez :
a) « il ne produit que ce dont il a immédiatement besoin » ;
b) « l’homme affronte librement son produit » ;
c) « appliquer partout à l’objet la nature qui est la sienne ».
3° Toute production humaine est-elle une production libre ?
- 548 -
[549] SUJET N° 549 - 1PHTEPO3 - 2001 - Série TECHN. - POLYNESIE - SESSION REMPL.
Mais souvent la passion nous fait croire certaines choses beaucoup meilleures et plus désirables
qu’elles ne sont ; puis, quand nous avons pris bien de la peine à les acquérir, et perdu cependant
l’occasion de posséder d’autres biens plus véritables, la jouissance (1) nous en fait connaître les
défauts, et de là viennent les dédains, les regrets et les repentirs. C’est pourquoi le vrai office de
la raison est d’examiner la juste valeur de tous les biens dont l’acquisition semble dépendre en
quelque façon de notre conduite, afin que nous ne manquions jamais d’employer tous nos soins à
tâcher de nous procurer ceux qui sont, en effet, les plus désirables ; en quoi, si la fortune (2)
s’oppose à nos desseins et les empêche de réussir, nous aurons au moins la satisfaction de n’avoir
rien perdu par notre faute.
DESCARTES
(1) « jouissance » : possession.
(2) « fortune » : hasard.
QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée principale du texte et les étapes de son argumentation.
2°
a) Expliquez pourquoi « la passion nous fait croire certaines choses (...) meilleures (...) qu’elles
ne sont » ;
b) expliquez : « le vrai office de la raison est d’examiner la juste valeur de tous les biens ».
3° La raison suffit-elle à nous garantir le bonheur ?
- 549 -
[550] SUJET N° 550 - 1PTSAID–M - 2001 - Série TECHN. - METROPOLE + REUNION SESSION NORMALE
Si la culture a établi le commandement de ne pas tuer le voisin que l’on hait, qui nous fait
obstacle et dont on convoite les biens, cela fut manifestement dans l’intérêt de la vie en commun
des hommes qui, autrement, serait impraticable. Car le meurtrier attirerait sur lui la vengeance
des proches de la victime du meurtre et la sourde envie des autres, qui intérieurement se sentent
tout autant enclins à un tel acte de violence. Il ne jouirait donc pas longtemps de sa vengeance ou
de son butin, il aurait bien au contraire toute chance d’être lui-même bientôt abattu. Quand bien
même, grâce à une force et à une prudence extraordinaires, il se protégerait d’un adversaire isolé,
il ne pourrait que succomber à une union d’adversaires plus faibles. Si une telle union ne se
constituait pas, la pratique du meurtre se prolongerait indéfiniment.
FREUD
QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée centrale et les étapes de l’argumentation.
2° Expliquez : « Si une telle union ne se constituait pas, la pratique du meurtre se prolongerait
indéfiniment ».
3° Le respect de la vie d’autrui n’est-il justifié que par l’intérêt commun ?
- 550 -
[551] SUJET N° 551 - 0PTSAIDME1 - 2001 - Série TECHN. - METROPOLE - SESSION
NORMALE
Renoncer à sa liberté c’est renoncer à sa qualité d’homme, aux droits de l’humanité, même à ses
devoirs. Il n’y a nul dédommagement possible pour quiconque renonce à tout. Une telle
renonciation est incompatible avec la nature de l’homme, et c’est ôter toute moralité à ses actions
que d’ôter toute liberté à sa volonté. Enfin c’est une convention vaine et contradictoire de stipuler
(1) d’une part une autorité absolue et de l’autre une obéissance sans bornes. N’est-il pas clair
qu’on n’est engagé à rien envers celui dont on a droit de tout exiger, et cette seule condition, sans
équivalent, sans échange n’entraîne-t-elle pas la nullité de l’acte ? Car quel droit mon esclave
aurait-il contre moi, puisque tout ce qu’il a m’appartient, et que son droit étant le mien, ce droit
de moi contre moi-même est un mot qui n’a aucun sens ?
ROUSSEAU
(1) « stipuler » : affirmer.
QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée générale du texte et la structure de son argumentation.
2° Expliquez : « N’est-il pas clair qu’on n’est engagé en rien envers celui dont on a droit de tout
exiger ? »
3° En quoi toute forme d’esclavage est-elle contraire au droit ?
- 551 -
[552] SUJET N° 552 - PESNC01N - 2001 - Série ES - NOUVELLE-CALEDONIE - SESSION
NORMALE
Il n’est pas possible qu’on soit aimé de beaucoup de gens d’une amitié parfaite, pas plus qu’il
n’est possible d’aimer beaucoup de personnes à la fois. La véritable amitié est une sorte d’excès
en son genre. C’est une affection qui l’emporte sur toutes les autres, et ne s’adresse par sa nature
même qu’à un seul individu ; or il n’est pas très facile que plusieurs personnes plaisent à la fois si
vivement à la même, pas plus peut-être que ce n’est bon. Il faut aussi s’être éprouvé
mutuellement et avoir un parfait accord de caractère, ce qui est toujours fort difficile. Mais on
peut bien plaire à une foule de personnes, quand il ne s’agit que d’intérêt et de plaisir ; car il y a
toujours beaucoup de gens disposés à ces liaisons et les services qu’on échange ainsi peuvent ne
durer qu’un instant. De ces deux sortes d’amitiés, celle qui se produit par le plaisir ressemble
davantage à l’amitié véritable, quand les conditions qui la font naître sont les mêmes de part et
d’autre, et que les amis se plaisent l’un à l’autre ou se plaisent aux mêmes amusements. C’est là
ce qui forme les amitiés des jeunes gens ; car c’est surtout dans celles-là qu’il y a de la libéralité
et de la générosité de cœur. Au contraire, l’amitié par intérêt n’est guère digne que de l’âme des
marchands.
ARISTOTE
- 552 -
[553] SUJET N° 553 - PESNC01R - 2001 - Série ES - NOUVELLE-CALEDONIE - SESSION
REMPL.
Ainsi on peut bien apprendre tout ce que Newton a exposé dans son œuvre immortelle, les
Principes de la philosophie de la nature, si puissant qu’ait dû être le cerveau nécessaire pour ces
découvertes ; en revanche on ne peut apprendre à composer des poèmes d’une manière pleine
d’esprit, si précis que puissent être tous les préceptes pour l’art poétique, et si excellents qu’en
soient les modèles. La raison en est que Newton pouvait rendre parfaitement clair et déterminé
non seulement pour lui-même, mais aussi pour tout autre et pour ses successeurs, tous les
moments de la démarche qu’il dut accomplir, depuis les premiers éléments de la géométrie
jusqu’à ses découvertes les plus importantes et les plus profondes ; mais aucun Homère ou aucun
Wieland (1) ne peut montrer comment ses idées riches de poésie et toutefois en même temps
grosses de pensées surgissent et s’assemblent dans son cerveau, parce qu’il ne le sait pas luimême et aussi ne peut l’enseigner à personne. Dans le domaine scientifique ainsi, le plus
remarquable auteur de découvertes ne se distingue que par le degré de l’imitateur et de l’écolier
le plus laborieux, tandis qu’il est spécifiquement différent de celui que la nature a doué pour les
beaux-arts.
KANT
(1) Poète et romancier allemand, contemporain de Kant.
- 553 -
[554] SUJET N° 554 - 1PHTENC1 - 2001 - Série TECHN. - NOUVELLE-CALEDONIE SESSION NORMALE
Une propriété de la raison consiste à pouvoir, avec l’appui de l’imagination, créer artificiellement
des désirs, non seulement sans fondements établis sur un instinct naturel, mais même en
opposition avec lui ; ces désirs, au début, favorisent peu à peu l’éclosion de tout un essaim de
penchants superflus, et qui plus est, contraires à la nature, sous l’appellation de « sensualité » (1).
L’occasion de renier l’instinct de la nature n’a eu en soi peut-être que peu d’importance, mais le
succès de cette première tentative, le fait de s’être rendu compte que sa raison avait le pouvoir de
franchir les bornes dans lesquelles sont maintenus tous les animaux, fut, chez l’homme capital et
décisif pour la conduite de sa vie.
KANT
(1) « sensualité » : recherche du plaisir des sens pour lui-même.
QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée directrice et la structure de ce texte.
2° Expliquez :
a) « créer artificiellement des désirs » ;
b) « sa raison avait le pouvoir de franchir les bornes dans lesquelles sont maintenus tous les
animaux ».
3° En quel sens peut-on dire que la raison affranchit l’homme de la nature ?
- 554 -
[555] SUJET N° 555 - 1PHLIAS1 - 2001 - Série L - AMERIQUE DU SUD - SESSION
NORMALE
Fréquemment (...) quelques-uns se mettent à scruter des propositions avec tant de hâte qu’ils
appliquent à leur solution un esprit errant à l’aventure, avant de remarquer à quels signes ils
reconnaîtront l’objet cherché, s’il vient à se présenter. Ils ne sont pas moins niais qu’un serviteur
envoyé quelque part par son maître et qui serait si désireux d’obéir qu’il se mettrait à courir en
hâte sans avoir encore reçu d’ordre et sans savoir où on lui ordonne d’aller.
Au contraire, dans toute question, quoiqu’il doive y avoir quelque chose d’inconnu, car autrement
sa recherche serait vaine, il faut néanmoins que cet inconnu soit désigné par des conditions si
précises que nous soyons entièrement déterminés à rechercher un objet particulier plutôt qu’un
autre. C’est à l’examen de ces conditions, disons-nous, qu’il faut dès le début nous livrer, et c’est
ce qui arrivera si nous appliquons notre pénétration intellectuelle à les saisir distinctement par
intuition une à une, en recherchant avec soin quelle limitation reçoit de chacune d’elles cet
inconnu que nous cherchons. L’esprit humain, en effet, a coutume de se tromper ici de deux
façons, soit en prenant quelque chose de plus que ce qui lui a été donné pour déterminer la
question, soit au contraire en faisant quelque omission.
DESCARTES
- 555 -
[556] SUJET N° 556 - PHSCAS1 - 2001 - Série S - AMERIQUE DU SUD - SESSION
NORMALE
Les hommes sont la proie d’une si aveugle curiosité qu’ils conduisent souvent leur esprit par des
chemins inconnus, et sans aucune raison d’espérer, mais seulement pour courir leur chance d’y
trouver par hasard ce qu’ils cherchent ; comme quelqu’un qui brûlerait d’un désir si brutal de
découvrir un trésor, qu’il ne cesserait de courir les rues çà et là, cherchant si par hasard il n’en
trouverait pas un qu’un voyageur aurait perdu. C’est ainsi que travaillent presque tous les
chimistes, la plupart des géomètres, et plus d’un philosophe ; et certes je ne nie point que parfois
ils ne vagabondent avec assez de bonne fortune pour trouver quelque vérité ; je n’admets pas
pour autant qu’ils en soient plus habiles, mais seulement plus chanceux. Il vaut cependant bien
mieux ne jamais songer à chercher la vérité sur quelque objet que ce soit, que le faire sans
méthode : car il est très certain que ces recherches désordonnées et ces méditations obscures
troublent la lumière naturelle et aveuglent l’esprit ; et tous ceux qui s’habituent ainsi à marcher
dans les ténèbres affaiblissent tant leur vue que par la suite ils ne peuvent plus supporter la
lumière du jour : l’expérience aussi le confirme, puisque nous voyons très souvent ceux qui ne se
sont jamais souciés d’étudier porter des jugements bien plus solides et bien plus clairs sur ce qui
se présente à eux, que ceux qui ont passé tout leur temps dans les écoles.
DESCARTES
- 556 -
[557] SUJET N° 557 - 1PHESAS1 - 2001 - Série ES - AMERIQUE DU SUD - SESSION
NORMALE
Une œuvre géniale, qui commence par déconcerter, pourra créer peu à peu par sa seule présence
une conception de l’art et une atmosphère artistique qui permettront de la comprendre ; elle
deviendra alors rétrospectivement géniale : sinon, elle serait restée ce qu’elle était au début,
simplement déconcertante. Dans une spéculation financière, c’est le succès qui fait que l’idée
avait été bonne. Il y a quelque chose du même genre dans la création artistique, avec cette
différence que le succès, s’il finit par venir à l’œuvre qui avait d’abord choqué, tient à une
transformation du goût du public opérée par l’œuvre même ; celle-ci était donc force en même
temps que matière ; elle a imprimé un élan que l’artiste lui avait communiqué ou plutôt qui est
celui même de l’artiste, invisible et présent en elle.
BERGSON
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[558] SUJET N° 558 - PLNC01N - 2001 - Série L - NOUVELLE-CALEDONIE - SESSION
NORMALE
Un commandement ordonnant à chacun de chercher à se rendre heureux serait une sottise ; car on
n’ordonne jamais à quelqu’un ce qu’il veut déjà inévitablement de lui-même. Il ne faudrait que
lui ordonner les lignes de conduite ou, plutôt, les lui proposer, parce qu’il ne peut pas tout ce qu’il
veut. Au contraire, ordonner la moralité sous le nom de devoir est tout à fait raisonnable, car tout
le monde ne consent pas volontiers à obéir à ses préceptes, quand elle est en conflit avec des
inclinations ; et, quant aux mesures à prendre sur la façon dont on peut obéir à cette loi, on n’a
pas à les enseigner ici, car ce qu’un homme veut à cet égard, il le peut aussi.
Celui qui a perdu au jeu peut bien s’en vouloir à lui-même ainsi qu’en vouloir à son imprudence,
mais, s’il a conscience d’avoir triché (encore qu’il ait ainsi gagné), il doit se mépriser lui-même
nécessairement dès qu’il se compare avec la loi morale. Il faut donc bien que celle-ci soit autre
chose que le principe du bonheur personnel. Car, être contraint de se dire à soi-même : « Je suis
un misérable, bien que j’aie rempli ma bourse », exige un autre critère de jugement que s’il
s’agissait de s’approuver soi-même et de se dire : « Je suis un homme prudent, car j’ai enrichi ma
caisse. »
KANT
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[559] SUJET N° 559 - 01PHSCNC1 - 2001 - Série S - NOUVELLE-CALEDONIE - SESSION
NORMALE
Le mot du langage commun est à la fois trop riche (il déborde de loin le concept par son
ancienneté traditionnelle, par l’ensemble de violences et de cérémonies qui constitue sa
« mémoire », son « passé vivant ») et trop pauvre (il est défini par rapport à l’ensemble de la
langue comme détermination fixe de celle-ci et non comme possibilité souple d’exprimer le
neuf). Dans les sciences exactes, quand le neuf surgit, le mot pour le nommer est inventé
simultanément par quelques-uns et adopté rapidement par tous (...). Mais l’écrivain - bien qu’il
lui arrive d’inventer des mots - a rarement recours à ce procédé pour transmettre un savoir ou un
affect. Il préfère utiliser un mot « courant » en le chargeant d’un sens nouveau qui se surajoute
aux anciens : en gros, on dirait qu’il a fait vœu d’utiliser tout le langage commun et lui
seulement, avec tous les caractères désinformatifs qui en limitent la portée. Si l’écrivain adopte le
langage courant, ce n’est donc pas seulement en tant que le langage peut transmettre un savoir
mais aussi en tant qu’il ne le transmet pas.
SARTRE
- 559 -
[560] SUJET N° 560 - 0PHAAME1 - 2000 - Série STI AA - METROPOLE + REUNION SESSION NORMALE
Telle est la nature de l’équitable, qui est un correctif de la loi là où elle se montre insuffisante en
raison de son caractère général. Tout ne peut être réglé par la loi. En voici la raison : pour
certaines choses, on ne peut établir de loi, par conséquent, il faut un décret. En effet, pour tout ce
qui est indéterminé, la règle ne peut donner de détermination précise, au contraire de ce qui se
passe dans l’architecture à Lesbos (1), avec la règle de plomb ; cette règle, qui ne reste pas rigide,
peut épouser les formes de la pierre ; de même les décrets s’adaptent aux circonstances
particulières. On voit ainsi clairement ce qu’est l’équitable, que l’équitable est juste et qu’il est
supérieur à une certaine sorte de juste. On voit par là avec évidence ce qu’est aussi l’homme
équitable : celui qui choisit délibérément une telle attitude et la pratique ; celui qui n’est pas trop
pointilleux, au sens péjoratif, sur le juste, mais qui prend moins que son dû tout en ayant la loi de
son côté, est un homme équitable, et cette disposition est l’équité, qui est une forme de justice et
non une disposition différente.
ARISTOTE
(1) la « règle de Lesbos » sert à mesurer les courbes.
QUESTIONS :
1°
a) Quelle est la thèse retenue par Aristote ?
b) Comment l’établit-il ?
2°
a) En quoi le « caractère général » de la loi appelle-t-il un « correctif » ? Qu’apporte à l’analyse
l’image de la règle de plomb ?
b) Expliquez : « l’équitable est juste et (...) il est supérieur à une certaine sorte de juste ».
c) En quoi consiste la pratique de l’homme équitable ?
3° Peut-on appliquer la loi de manière injuste ?
- 560 -
[561] SUJET N° 561 - 0PHSCME1 - 2000 - Série S - METROPOLE + REUNION - SESSION
NORMALE
Si (...) les fourmis, par exemple, ont un langage, les signes qui composent ce langage doivent être
en nombre bien déterminé, et chacun d’eux rester invariablement attaché, une fois l’espèce
constituée, à un certain objet ou à une certaine opération. Le signe est adhérent à la chose
signifiée. Au contraire, dans une société humaine, la fabrication et l’action sont de forme
variable, et, de plus, chaque individu doit apprendre son rôle, n’y étant pas prédestiné par sa
structure. Il faut donc un langage qui permette, à tout instant, de passer de ce qu’on sait à ce
qu’on ignore. Il faut un langage dont les signes - qui ne peuvent pas être en nombre infini - soient
extensibles à une infinité de choses. Cette tendance du signe à se transporter d’un objet à un autre
est caractéristique du langage humain. On l’observe chez le petit enfant, du jour où il commence
à parler. Tout de suite, et naturellement, il étend le sens des mots qu’il apprend, profitant du
rapprochement le plus accidentel ou de la plus lointaine analogie pour détacher et transporter
ailleurs le signe qu’on avait attaché devant lui à un objet. « N’importe quoi peut désigner
n’importe quoi », tel est le principe latent du langage enfantin. On a eu tort de confondre cette
tendance avec la faculté de généraliser. Les animaux eux-mêmes généralisent, et d’ailleurs un
signe, fût-il instinctif, représente toujours, plus ou moins, un genre. Ce qui caractérise les signes
du langage humain, ce n’est pas tant leur généralité que leur mobilité. Le signe instinctif est un
signe adhérent, le signe intelligent est un signe mobile.
BERGSON
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[562] SUJET N° 562 - 0PHLIME1 - 2000 - Série L - METROPOLE - SESSION NORMALE
Quand l’enfant s’amuse à reconstituer une image en assemblant les pièces d’un jeu de patience, il
y réussit de plus en plus vite à mesure qu’il s’exerce davantage. La reconstitution était d’ailleurs
instantanée, l’enfant la trouvait toute faite, quand il ouvrait la boîte au sortir du magasin.
L’opération n’exige donc pas un temps déterminé, et même, théoriquement, elle n’exige aucun
temps. C’est que le résultat en est donné. C’est que l’image est créée déjà et que, pour l’obtenir, il
suffit d’un travail de recomposition et de réarrangement, - travail qu’on peut supposer allant de
plus en plus vite, et même infiniment vite au point d’être instantané. Mais pour l’artiste qui crée
une image en la tirant du fond de son âme, le temps n’est plus un accessoire. Ce n’est pas un
intervalle qu’on puisse allonger ou raccourcir sans en modifier le contenu. La durée de son travail
fait partie intégrante de son travail. La contracter ou la dilater serait modifier à la fois l’évolution
psychologique qui la remplit et l’invention qui en est le terme. Le temps d’invention ne fait qu’un
ici avec l’invention même. C’est le progrès d’une pensée qui change au fur et à mesure qu’elle
prend corps. Enfin c’est un processus vital, quelque chose comme la maturation d’une idée.
Le peintre est devant sa toile, les couleurs sont sur la palette, le modèle pose ; nous voyons tout
cela, et nous connaissons aussi la manière du peintre : prévoyons-nous ce qui apparaîtra sur la
toile ? Nous possédons les éléments du problème ; nous savons, d’une connaissance abstraite,
comment il sera résolu, car le portrait ressemblera sûrement au modèle et sûrement aussi à
l’artiste, mais la solution concrète apporte avec elle cet imprévisible rien qui est le tout de
l’œuvre d’art. Et c’est ce rien qui prend du temps.
BERGSON
- 562 -
[563] SUJET N° 563 - 0PHLIME3 - 2000 - Série L - METROPOLE - SESSION REMPL.
On dit volontiers : ma volonté a été déterminée par ces mobiles, circonstances, excitations et
impulsions. La formule implique d’emblée que je me sois ici comporté de façon passive. Mais, en
vérité, mon comportement n’a pas été seulement passif ; il a été actif aussi, et de façon
essentielle, car c’est ma volonté qui a assumé telles circonstances à titre de mobiles, qui les fait
valoir comme mobiles. Il n’est ici aucune place pour la relation de causalité. Les circonstances ne
jouent point le rôle de causes et ma volonté n’est pas l’effet de ces circonstances. La relation
causale implique que ce qui est contenu dans la cause s’ensuive nécessairement. Mais en tant que
réflexion, je puis dépasser toute détermination posée par les circonstances. Dans la mesure où
l’homme allègue qu’il a été entraîné par des circonstances, des excitations, etc., il entend par là
rejeter, pour ainsi dire, hors de lui-même sa propre conduite, mais ainsi il se réduit tout
simplement à l’état d’être non libre ou naturel, alors que sa conduite, en vérité, est toujours
sienne, non celle d’un autre ni l’effet de quelque chose qui existe hors de lui. Les circonstances
ou mobiles n’ont jamais sur l’homme que le pouvoir qu’il leur accorde lui-même.
HEGEL
- 563 -
[564] SUJET N° 564 - OPHLANS1 - 2000 - Série L - ANTILLES - SESSION REMPL.
Si les hommes étaient ainsi disposés par la nature qu’ils n’eussent de désir que pour ce
qu’enseigne la vraie raison, certes la société n’aurait besoin d’aucune loi, il suffirait simplement
d’éclairer les hommes par des enseignements moraux pour qu’ils fassent d’eux-mêmes et d’une
âme libre ce qui est vraiment utile. Mais tout autre est la disposition de la nature humaine ; tous
observent bien leur intérêt, mais ce n’est pas suivant l’enseignement de la droite raison ; c’est le
plus souvent entraînés par leur seul appétit de plaisir et les passions de l’âme (qui n’ont aucun
égard à l’avenir et ne tiennent compte que d’elles-mêmes) qu’ils désirent quelque objet et le
jugent utile. De là vient que nulle société ne peut subsister sans un pouvoir de commandement et
une force, et par suite sans des lois qui modèrent et contraignent l’appétit du plaisir et les
passions sans frein.
SPINOZA
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[565] SUJET N° 565 - OPHLANR1 - 2000 - Série L - ANTILLES - SESSION NORMALE
L’expérience nous présente un flux de phénomènes : si telle ou telle affirmation relative à l’un
d’eux nous permet de maîtriser ceux qui le suivront ou même simplement de les prévoir, nous
disons de cette affirmation qu’elle est vraie. Une proposition telle que « la chaleur dilate les
corps », proposition suggérée par la vue de la dilatation d’un certain corps, fait que nous
prévoyons comment d’autres corps se comporteront en présence de la chaleur ; elle nous aide à
passer d’une expérience ancienne à des expériences nouvelles ; c’est un fil conducteur, rien de
plus. La réalité coule ; nous coulons avec elle ; et nous appelons vraie toute affirmation qui, en
nous dirigeant à travers la réalité mouvante, nous donne prise sur elle et nous place dans de
meilleures conditions pour agir.
BERGSON
- 565 -
[566] SUJET N° 566 - PHLF06 - 2000 - Série L - LIBAN - SESSION NORMALE
Socrate - Est-il plus grand mal pour une cité que ce qui la divise et la rend multiple au lieu
d’une ? Est-il plus grand bien que ce qui l’unit et la rend une ?
Glaucon - Non.
Socrate - Eh bien ! la communauté de plaisir et de peine n’est-elle pas un bien dans la cité,
lorsque, autant que possible, tous les citoyens se réjouissent ou s’affligent également des mêmes
événements heureux ou malheureux ?
Glaucon - Si, très certainement.
Socrate - Et n’est-ce pas l’égoïsme de ces sentiments qui la divise, lorsque les uns éprouvent une
vive douleur, et les autres une vive joie, à l’occasion des mêmes événements publics ou
particuliers ?
Glaucon - Sans doute.
Socrate - Or, cela ne vient-il pas de ce que les citoyens ne sont point unanimes à prononcer ces
paroles : ceci me concerne, ceci ne me concerne pas, ceci m’est étranger ?
Glaucon - Sans aucun doute.
Socrate - Par conséquent, la cité dans laquelle la plupart des citoyens disent à propos des mêmes
choses : ceci me concerne, ceci ne me concerne pas, cette cité est excellemment organisée ?
Glaucon - Certainement.
Socrate - Et ne se comporte-t-elle pas, à très peu de chose près, comme un seul homme ? Je
m’explique : quand un de nos doigts reçoit quelque coup, la communauté du corps et de l’âme,
qui forme une seule organisation, à savoir celle de son principe directeur, éprouve une sensation ;
tout entière et simultanément elle souffre avec l’une de ses parties : aussi disons-nous que
l’homme a mal au doigt. Il en est de même de toute autre partie de l’homme, qu’il s’agisse du
malaise causé par la douleur, ou du mieux-être qu’entraîne le plaisir.
Glaucon - Il y a nécessité qu’il en soit ainsi dans une cité aux bonnes lois.
PLATON
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[567] SUJET N° 567 - PHLA01 - 2000 - Série L - POLYNESIE - SESSION NORMALE
Les sens, quoique nécessaires pour toutes nos connaissances actuelles, ne sont point suffisants
pour nous les donner toutes, puisque les sens ne donnent jamais que des exemples, c’est-à-dire
des vérités particulières ou individuelles. Or tous les exemples qui confirment une vérité
générale, de quelque nombre qu’ils soient, ne suffisent pas pour établir la nécessité universelle de
cette même vérité, car il ne suit point que ce qui est arrivé arrivera de même. [...] D’où il paraît
que les vérités nécessaires, telles qu’on les trouve dans les mathématiques pures et
particulièrement dans l’arithmétique et dans la géométrie, doivent avoir des principes dont la
preuve ne dépende point des exemples ni par conséquence du témoignage des sens, quoique sans
les sens on ne se serait jamais avisé d’y penser.
LEIBNIZ
- 567 -
[568] SUJET N° 568 - PHLB02 - 2000 - Série L - POLYNESIE - SESSION REMPL.
Préférer l’imaginaire, ce n’est pas seulement préférer une richesse, une beauté, un luxe en image
à la médiocrité présente malgré leur caractère irréel. C’est adopter aussi des sentiments et une
conduite « imaginaires », à cause de leur caractère imaginaire. On ne choisit pas seulement telle
ou telle image, on choisit l’état imaginaire avec tout ce qu’il comporte, on ne fuit pas seulement
le contenu du réel (pauvreté, amour déçu, échec de nos entreprises, etc.), on fuit la forme même
du réel, son caractère de présence, le genre de réaction qu’il demande de nous, la subordination
de nos conduites à l’objet, l’inépuisabilité des perceptions, leur indépendance, la façon même que
nos sentiments ont de se développer. [...] Le rêveur morbide (1) qui s’imagine être roi ne
s’accommoderait pas d’une royauté effective ; même pas d’une tyrannie où tous ses désirs
seraient exaucés. C’est que, en effet, jamais un désir n’est à la lettre exaucé du fait précisément
de l’abîme qui sépare le réel de l’imaginaire. L’objet que je désirais, on peut bien me le donner
mais c’est sur un autre plan d’existence auquel je devrai m’adapter.
SARTRE
(1) « morbide » : qui se complaît maladivement dans l’imaginaire.
- 568 -
[569] SUJET N° 569 - OPHLIJA1 - 2000 - Série L - ASIE - SESSION NORMALE
Il n’y a (...) pas d’art d’agrément. On peut fabriquer des objets qui font plaisir en liant autrement
des idées déjà prêtes et en présentant des formes déjà vues. Cette peinture ou cette parole seconde
est ce qu’on entend généralement par culture. L’artiste selon Balzac ou selon Cézanne ne se
contente pas d’être un animal cultivé, il assume la culture depuis son début et la fonde à nouveau,
il parle comme le premier homme a parlé et peint comme si l’on n’avait jamais peint.
L’expression ne peut alors pas être la traduction d’une pensée déjà claire, puisque les pensées
claires sont celles qui ont déjà été dites en nous-mêmes ou par les autres. La « conception » ne
peut pas précéder l’« exécution ». Avant l’expression, il n’y a rien qu’une fièvre vague et seule
l’œuvre faite et comprise prouvera qu’on devait trouver là quelque chose plutôt que rien. Parce
qu’il est revenu pour en prendre conscience au fonds d’expérience muette et solitaire sur lequel
sont bâtis la culture et l’échange des idées, l’artiste lance son œuvre comme un homme a lancé la
première parole, sans savoir si elle sera autre chose qu’un cri, si elle pourra se détacher du flux de
la vie individuelle où elle naît et présenter [...] l’existence indépendante d’un sens identifiable. Le
sens de ce que va dire l’artiste n’est nulle part, ni dans les choses, qui ne sont pas encore sens, ni
en lui-même, dans sa vie informulée.
MERLEAU-PONTY
- 569 -
[570] SUJET N° 570 - OPHLIIN1 - 2000 - Série L - INDE - SESSION NORMALE
A l’école, l’activité de l’enfant commence à acquérir, de façon essentielle et radicale, une
signification sérieuse, à savoir qu’elle n’est plus abandonnée à l’arbitraire et au hasard, au plaisir
et au penchant du moment ; l’enfant apprend à déterminer son agir d’après un but et d’après des
règles, il cesse de valoir à cause de sa personnalité immédiate, et commence de valoir suivant ce
qu’il fait et de s’acquérir du mérite. Dans la famille, l’enfant doit agir comme il faut dans le sens
de l’obéissance personnelle et de l’amour ; à l’école, il doit se comporter dans le sens du devoir et
d’une loi, et, pour réaliser un ordre universel, simplement formel, faire telle chose et s’abstenir de
telle autre chose qui pourrait bien autrement être permise à l’individu. Instruit au sein de la
communauté qu’il forme avec plusieurs, il apprend à tenir compte d’autrui, à faire confiance à
d’autres hommes qui lui sont tout d’abord étrangers et à avoir confiance en lui-même vis-à-vis
d’eux, et il s’engage ici dans la formation et la pratique des vertus sociales.
HEGEL
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[571] SUJET N° 571 - OPHLIG11 - 2000 - Série L - ETRANGER GROUPE 1 - SESSION
NORMALE
Bornons-nous (...) à considérer les phénomènes naturels où les causes et les effets s’enchaînent,
de l’aveu de tout le monde, d’après une nécessité rigoureuse ; alors il sera certainement vrai de
dire que le présent est gros de l’avenir, et de tout l’avenir, en ce sens que toutes les phases
subséquentes sont implicitement déterminées par la phase actuelle, sous l’action des lois
permanentes ou des décrets éternels auxquels la nature obéit ; mais on ne pourra pas dire sans
restriction que le présent est de même gros du passé, car il y a eu dans le passé des phases dont
l’état actuel n’offre plus de traces, et auxquelles l’intelligence la plus puissante ne saurait
remonter, d’après la connaissance théorique des lois permanentes et l’observation de l’état
actuel ; tandis que cela suffirait à une intelligence pourvue de facultés analogues à celles de
l’homme, quoique plus puissantes, pour lire dans l’état actuel la série de tous les phénomènes
futurs, ou du moins pour embrasser une portion de cette série d’autant plus grande que ses
facultés iraient en se perfectionnant davantage. Ainsi, quelque bizarre que l’assertion puisse
paraître au premier coup d’œil, la raison est plus apte à connaître scientifiquement l’avenir que le
passé.
COURNOT
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[572] SUJET N° 572 - PHLD04 - 2000 - Série L - AMERIQUE DU NORD - SESSION
NORMALE
Nous sommés libres quand nos actes émanent de notre personnalité entière, quand ils
l’expriment, quand ils ont avec elle cette indéfinissable ressemblance qu’on trouve parfois entre
l’œuvre et l’artiste. En vain on alléguera que nous cédons alors à l’influence toute-puissante de
notre caractère. Notre caractère, c’est encore nous ; et parce qu’on s’est plu à scinder la personne
en deux parties pour considérer tour à tour, par un effort d’abstraction, le moi qui sent ou pense et
le moi qui agit, il y aurait quelque puérilité à conclure que l’un des deux moi pèse sur l’autre. Le
même reproche s’adressera à ceux qui demandent si nous sommes libres de modifier notre
caractère. Certes, notre caractère se modifie insensiblement tous les jours, et notre liberté en
souffrirait, si ces acquisitions nouvelles venaient se greffer sur notre moi et non pas se fondre en
lui. Mais dès que cette fusion aura lieu, on devra dire que le changement survenu dans notre
caractère est bien nôtre et que nous nous le sommes approprié. En un mot, si l’on convient
d’appeler libre tout acte qui émane du moi, et du moi seulement, l’acte qui porte la marque de
notre personne est véritablement libre, car notre moi seul en revendiquera la paternité.
BERGSON
- 572 -
[573] SUJET N° 573 - OPHLRRN1 - 2000 - Série L - LA REUNION - SESSION NORMALE
Les philosophes qui ont spéculé sur la signification de la vie et sur la destinée de l’homme n’ont
pas assez remarqué que la nature a pris la peine de nous renseigner là-dessus elle-même. Elle
nous avertit par un signe précis que notre destination est atteinte. Ce signe est la joie. Je dis la
joie, je ne dis pas le plaisir. Le plaisir n’est qu’un artifice imaginé par la nature pour obtenir de
l’être vivant la conservation de la vie ; il n’indique pas la direction où la vie est lancée. Mais la
joie annonce toujours que la vie a réussi, qu’elle a gagné du terrain, qu’elle a remporté une
victoire : toute grande joie a un accent triomphal. Or, si nous tenons compte de cette indication et
si nous suivons cette nouvelle ligne de faits, nous trouvons que partout où il y a joie, il y a
création : plus riche, est la création, plus profonde est la joie. La mère qui regarde son enfant est
joyeuse, parce qu’elle a conscience de l’avoir créé, physiquement et moralement. Le commerçant
qui développe ses affaires, le chef d’usine qui voit prospérer son industrie, est-il joyeux en raison
de l’argent qu’il gagne et de la notoriété qu’il acquiert ? Richesse et considération entrent
évidemment pour beaucoup dans la satisfaction qu’il ressent, mais elles lui apportent des plaisirs
plutôt que de la joie, et ce qu’il goûte de joie vraie est le sentiment d’avoir monté une entreprise
qui marche, d’avoir appelé quelque chose à la vie.
BERGSON
- 573 -
[574] SUJET N° 574 - 00PHSCME3 - 2000 - Série S - METROPOLE + REUNION - SESSION
REMPL.
La philosophie ne peut être rapprochée de la science, en ce sens qu’elle en formerait, soit le
premier, soit le dernier échelon. C’est le produit d’une autre faculté de l’intelligence, qui, dans la
sphère de son activité, s’exerce et se perfectionne suivant un mode qui lui est propre. C’est aussi
quelque chose de moins impersonnel que la science. La science se transmet identiquement par
l’enseignement oral et dans les livres ; elle devient le patrimoine commun de tous les esprits, et
dépouille bientôt le cachet du génie qui l’a créée ou agrandie. Dans l’ordre des spéculations
philosophiques, les développements de la pensée sont seulement suscités par la pensée d’autrui ;
ils conservent toujours un caractère de personnalité qui fait que chacun est obligé de se faire sa
philosophie. La pensée philosophique est bien moins que la pensée poétique sous l’influence des
formes du langage, mais elle en dépend encore, tandis que la science se transmet sans
modification aucune d’un idiome à l’autre.
COURNOT
- 574 -
[575] SUJET N° 575 - 0PHSCAG1 - 2000 - Série S - ANTILLES - SESSION NORMALE
Toutes les sciences, et principalement celles qui renferment des questions très difficiles à
éclaircir, sont remplies d’un nombre infini d’erreurs ; et nous devons avoir pour suspects, tous ces
gros volumes que l’on compose tous les jours sur la médecine, sur la physique, sur la morale, et
principalement sur des questions particulières de ces sciences, qui sont beaucoup plus composées
(1) que les générales. On doit même juger que ces livres sont d’autant plus méprisables, qu’ils
sont mieux reçus du commun des hommes ; j’entends de ceux qui sont peu capables
d’application, et qui ne savent pas faire usage de leur esprit : parce que l’applaudissement du
peuple à quelque opinion sur une matière difficile, est une marque infaillible qu’elle est fausse, et
qu’elle n’est appuyée que sur les notions trompeuses des sens, ou sur quelques fausses lueurs de
l’imagination. Néanmoins il n’est pas impossible, qu’un homme seul puisse découvrir un très
grand nombre de vérités cachées aux siècles passés : supposé que cette personne ne manque pas
d’esprit, et qu’étant dans la solitude, éloigné autant qu’il se peut de tout ce qui pourrait le
distraire, il s’applique sérieusement à la recherche de la vérité.
MALEBRANCHE
(1) sciences « composées » : sciences dont l’objet est complexe.
- 575 -
[576] SUJET N° 576 - 0PHSCAG3 - 2000 - Série S - ANTILLES - SESSION REMPL.
Les hommes ne retirent pas d’agrément (mais au contraire un grand déplaisir) de la vie en
compagnie, là où il n’existe pas de pouvoir capable de les tenir tous en respect. Car chacun attend
que son compagnon l’estime aussi haut qu’il s’apprécie lui-même, et à chaque signe de dédain,
ou de mésestime il s’efforce naturellement, dans toute la mesure où il l’ose, d’arracher la
reconnaissance d’une valeur plus haute : à ceux qui le dédaignent, en leur nuisant, aux autres, en
leur donnant cela en exemple. De la sorte, nous pouvons trouver dans la nature humaine trois
causes principales de querelle : premièrement, la rivalité ; deuxièmement, la méfiance,
troisièmement, la fierté. La première de ces choses fait prendre l’offensive aux hommes en vue de
leur profit. La seconde, en vue de leur sécurité. La troisième, en vue de leur réputation. Dans le
premier cas, ils usent de violence pour se rendre maître de la personne d’autres hommes, de leurs
femmes, de leurs enfants, de leurs biens. Dans le second cas, pour défendre ces choses. Dans le
troisième cas, pour des bagatelles, par exemple pour un mot, un sourire, une opinion qui diffère
de la leur, ou quelque autre signe de mésestime, que celle-ci porte directement sur eux-mêmes, ou
qu’elle rejaillisse sur eux, étant adressée à leur parenté, à leurs amis, à leur nation, à leur
profession, à leur nom.
HOBBES
- 576 -
[577] SUJET N° 577 - 0PHSCG11 - 2000 - Série S - POLYNESIE - SESSION NORMALE
La vérité, je (1) le déclare en effet, la formule en est ce que j’ai écrit : « Chacun de nous est la
mesure de toutes choses, de celles qui sont comme de celles qui ne sont pas » (...) Ainsi, rappelletoi en effet (...) l’homme qui se porte mal et pour qui ce qu’il mange apparaît et est amer, tandis
que cela est et apparaît à l’opposé pour celui qui se porte bien. Or, à aucun de ces deux hommes il
ne faut attribuer un savoir supérieur à celui de l’autre : ce n’est pas possible en effet, et il ne faut
pas non plus accuser d’ignorance le malade parce qu’il en juge comme il fait, tandis qu’on
attribuerait au bien portant le savoir, parce qu’il en juge différemment. Mais ce qu’il faut, c’est
opérer sur le malade, un changement de sens opposé ; car l’autre manière d’être est meilleure.
C’est ainsi, d’autre part, que l’éducation consiste à opérer un changement qui fait passer d’une
certaine manière d’être à celle qui vaut mieux ; mais tandis que ce changement, le médecin
l’effectue au moyen de drogues, c’est par la parole que le Sophiste l’effectue.
PLATON
(1) C’est un interlocuteur de Socrate qui parle.
- 577 -
[578] SUJET N° 578 - 0PHSCPO3 - 2000 - Série S - POLYNESIE - SESSION REMPL.
Lorsque nous avons la première fois aperçu en notre enfance une figure triangulaire tracée sur le
papier, cette figure n’a pu nous apprendre comme il fallait concevoir le triangle géométrique,
parce qu’elle ne le représentait pas mieux qu’un mauvais crayon une image parfaite. Mais,
d’autant que l’idée véritable du triangle était déjà en nous, et que notre esprit la pouvait plus
aisément concevoir que la figure moins simple ou plus composée d’un triangle peint, de là vient
qu’ayant vu cette figure composée nous ne l’avons pas conçue elle-même, mais plutôt le véritable
triangle. Tout ainsi que quand nous jetons les yeux sur une carte où il y a quelques traits qui sont
tracés et arrangés de telle sorte qu’ils représentent la face d’un homme, alors cette vue n’excite
pas tant en nous l’idée de ces mêmes traits que celle d’un homme : ce qui n’arriverait pas ainsi si
la face d’un homme ne nous était connue d’ailleurs, et si nous n’étions plus accoutumés à penser
à elle que non pas à ses traits, lesquels assez souvent même nous ne saurions distinguer les uns
des autres quand nous en sommes un peu éloignés. Ainsi, certes, nous ne pourrions jamais
connaître le triangle géométrique par celui que nous voyons tracé sur le papier, si notre esprit
n’en avait eu l’idée d’ailleurs.
DESCARTES
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[579] SUJET N° 579 - PHSCRE1 - 2000 - Série S - LA REUNION - SESSION NORMALE
Ceux en qui naturellement la volonté peut le plus aisément vaincre les passions et arrêter les
mouvements du corps qui les accompagnent ont sans doute les âmes les plus fortes ; mais il y en
a qui ne peuvent éprouver leur force, parce qu’ils ne font jamais combattre leur volonté avec ses
propres armes, mais seulement avec celles que lui fournissent quelques passions pour résister à
quelques autres. Ce que je nomme ses propres armes sont des jugements fermes et déterminés
touchant la connaissance du bien et du mal, suivant lesquels elle a résolu de conduire les actions
de sa vie ; et les âmes les plus faibles de toutes sont celles dont la volonté ne se détermine point
ainsi à suivre certains jugements, mais se laisse continuellement emporter aux passions présentes,
lesquelles, étant souvent contraires les unes aux autres, la tirent tour à tour à leur parti et,
l’employant à combattre contre elle-même, mettent l’âme au plus déplorable état qu’elle puisse
être. Ainsi, lorsque la peur représente la mort comme un mal extrême et qui ne peut être évité que
par la fuite, si l’ambition, d’autre côté, représente l’infamie de cette fuite comme un mal pire que
la mort, ces deux passions agitent diversement la volonté, laquelle obéissant tantôt à l’une, tantôt
à l’autre, s’oppose continuellement à soi-même, et ainsi rend l’âme esclave et malheureuse.
DESCARTES
- 579 -
[580] SUJET N° 580 - PHSCAN1 - 2000 - Série S - AMERIQUE DU NORD - SESSION
NORMALE
La volonté étant, de sa nature, très étendue, ce nous est un avantage très grand de pouvoir agir par
son moyen, c’est-à-dire librement ; en sorte que nous soyons tellement les maîtres de nos actions,
que nous sommes dignes de louange lorsque nous les conduisons bien : car, tout ainsi qu’on ne
donne point aux machines qu’on voit se mouvoir en plusieurs façons diverses, aussi justement
qu’on saurait désirer, des louanges qui se rapportent véritablement à elles, parce que ces
machines ne représentent aucune action qu’elles ne doivent faire par le moyen de leurs ressorts,
et qu’on en donne à l’ouvrier qui les a faites, parce qu’il a eu le pouvoir et la volonté de les
composer avec tant d’artifice ; de même on doit nous attribuer quelque chose de plus, de ce que
nous choisissons ce qui est vrai, lorsque nous le distinguons d’avec le faux, par une détermination
de notre volonté, que si nous y étions déterminés et contraints par un principe étranger.
DESCARTES
- 580 -
[581] SUJET N° 581 - PHSCJA1 - 2000 - Série S - ASIE - SESSION NORMALE
Je juge de l’ordre du monde, quoique j’en ignore la fin, parce que pour juger de cet ordre il me
suffit de comparer les parties entre elles, d’étudier leurs concours, leurs rapports, d’en remarquer
le concert. J’ignore pourquoi l’univers existe, mais je ne laisse pas de voir comment il est
modifié, je ne laisse pas d’apercevoir l’intime correspondance par laquelle les êtres qui le
composent se prêtent un secours mutuel. Je suis comme un homme qui verrait pour la première
fois une montre ouverte et qui ne laisserait pas d’en admirer l’ouvrage, quoiqu’il ne connût pas
l’usage de la machine et qu’il n’eût point vu le cadran. Je ne sais, dirait-il, à quoi le tout est bon,
mais je vois que chaque pièce est faite pour les autres, j’admire l’ouvrier dans le détail de son
ouvrage, et je suis bien sûr que tous ces rouages ne marchent ainsi de concert que pour une fin
commune qu’il m’est impossible d’apercevoir.
ROUSSEAU
- 581 -
[582] SUJET N° 582 - OPHSCPO1 - 2000 - Série S - ETRANGER GROUPE 1 - SESSION
NORMALE
Pour les Politiques, on les croit plus occupés à tendre aux hommes des pièges qu’à les diriger
pour le mieux, et on les juge habiles plutôt que sages. L’expérience en effet leur a enseigné qu’il
y aura des vices aussi longtemps qu’il y aura des hommes ; ils s’appliquent donc à prévenir la
malice humaine, et cela par des moyens dont une longue expérience a fait connaître l’efficacité,
et que des hommes mus par la crainte plutôt que guidés par la raison ont coutume d’appliquer ;
agissant en cela d’une façon qui paraît contraire à la religion, surtout aux théologiens : selon ces
derniers en effet, le souverain devrait conduire les affaires publiques conformément aux règles
morales que le particulier est tenu d’observer. Il n’est pas douteux cependant que les Politiques
ne traitent dans leurs écrits de la Politique avec beaucoup plus de bonheur que les philosophes :
ayant eu l’expérience pour maîtresse, ils n’ont rien enseigné en effet qui fût inapplicable.
SPINOZA
- 582 -
[583] SUJET N° 583 - PHSCLI1 - 2000 - Série S - LIBAN - SESSION NORMALE
Que l’âme ne cherche donc pas à s’atteindre comme une absente, mais qu’elle s’applique à
discerner sa présence ! Qu’elle ne cherche pas à se connaître comme si elle était une inconnue
pour elle-même, mais qu’elle se distingue de ce qu’elle sait n’être pas elle ! Ce précepte qu’elle
reçoit, le Connais-toi toi-même, comment se souciera-t-elle de le mettre en pratique, si elle ne sait
ce que signifient le connais et le toi-même ? Dès lors qu’elle comprend ces deux mots, c’est
qu’elle se connaît aussi elle-même. Car on ne dit pas à l’âme « Connais-toi toi-même », comme
on lui dit « Connais les chérubins et les séraphins » (1) : bien qu’ils soient pour nous des absents,
nous croyons en eux, parce que la foi nous apprend que ce sont des puissances célestes. On ne lui
prescrit pas non plus de se connaître, comme on lui dirait « Connais la volonté de cet homme » :
car cette volonté ne nous est pas présente, nous n’en avons ni l’intuition, ni l’intelligence, sinon
grâce à la manifestation de signes extérieurs ; encore, ces signes, y croyons-nous plus que nous
ne les comprenons ! On ne lui dit pas non plus ces paroles comme on dirait à quelqu’un
« Regarde ton visage », ce qui ne se peut faire que dans un miroir. Car notre visage lui aussi
échappe à notre vue : il ne se trouve pas là où peut se diriger notre regard. Mais lorsqu’on dit à
l’âme « Connais-toi toi-même », dès l’instant qu’elle comprend ces paroles « toi-même » elle se
connaît ; cela, pour la simple raison qu’elle est présente à elle-même.
AUGUSTIN
(1) Les chérubins et les séraphins sont des anges.
- 583 -
[584] SUJET N° 584 - PHSCAS1 - 2000 - Série S - AMERIQUE DU SUD - SESSION
NORMALE
Si la nature humaine était constituée de telle sorte que les hommes désirent au plus haut point ce
qui leur est le plus utile, aucune science ne serait nécessaire pour instituer la concorde et la bonne
foi ; mais comme on constate qu’il en va tout autrement avec les hommes, l’Etat doit être
nécessairement institué de telle sorte que tous, aussi bien les gouvernants que les gouvernés,
qu’ils le veuillent ou ne le veuillent pas, accomplissent pourtant ce qui importe au salut commun,
c’est-à-dire que tous, spontanément, ou par la force, ou par la nécessité, soient contraints de vivre
selon les prescriptions de la Raison ; si les affaires de l’Etat sont ainsi agencées, il en résultera
que rien de ce qui concerne le salut commun ne sera totalement délégué à la bonne foi d’un
individu. Personne en effet n’est assez vigilant pour ne pas dormir parfois, et personne n’eut
jamais l’âme assez forte et intègre pour n’être pas parfois brisé ou vaincu, précisément quand la
plus grande force d’âme eût été nécessaire. Ce serait la pire sottise que d’exiger d’autrui ce que
personne ne peut s’imposer à soi-même, d’exiger que l’autre soit plus soucieux d’autrui que de
soi, qu’il ne soit pas cupide, ni envieux, ni envieux, ni ambitieux, lui qui, chaque jour, est sollicité
par toutes ces passions.
SPINOZA
- 584 -
[585] SUJET N° 585 - PHSCIN1 - 2000 - Série S - INDE - SESSION NORMALE
Les ruches des abeilles étaient aussi bien mesurées il y a mille ans qu’aujourd’hui, et chacune
d’elles forme cet hexagone aussi exactement la première fois que la dernière. Il en est de même
de tout ce que les animaux produisent par ce mouvement occulte. La nature les instruit à mesure
que la nécessité les presse ; mais cette science fragile se perd avec les besoins qu’ils en ont :
comme ils la reçoivent sans étude, ils n’ont pas le bonheur de la conserver ; et toutes les fois
qu’elle leur est donnée, elle leur est nouvelle, puisque, la nature n’ayant pour objet que de
maintenir les animaux dans un ordre de perfection bornée, elle leur inspire cette science
nécessaire, toujours égale de peur qu’ils ne tombent dans le dépérissement, et ne permet pas
qu’ils y ajoutent, de peur qu’ils ne passent les limites qu’elle leur a prescrites. Il n’en est pas de
même de l’homme, qui n’est produit que pour l’infinité. Il est dans l’ignorance au premier âge de
sa vie ; mais il s’instruit sans cesse dans son progrès : car il tire avantage non seulement de sa
propre expérience, mais encore de celle de ses prédécesseurs, parce qu’il garde toujours dans sa
mémoire les connaissances qu’il s’est une fois acquises, et que celles des anciens lui sont toujours
présentes dans les livres qu’ils en ont laissés.
PASCAL
- 585 -
[586] SUJET N° 586 - PHESPOR - 2000 - Série ES - POLYNESIE - SESSION REMPL.
Parce que le corps de l’Etat doit être conduit comme par une seule âme et [parce] que la volonté
de la Cité doit être prise pour la volonté de tous, on doit estimer que ce que la Cité a décrété est
juste et bon comme si chaque citoyen l’avait décidé. Et c’est pourquoi, même si un sujet
considère que les lois de la Cité sont injustes, il est tenu cependant de s’y soumettre. Mais on peut
objecter : n’est-il par contraire à la loi de la raison de se soumettre entièrement au jugement
d’autrui ? Par conséquent, l’état de société n’est-il pas contraire à la raison ? D’où il suivrait que
l’état de société est un état irrationnel et qu’il ne peut être institué que par des hommes privés de
raison et pas du tout par ceux qui vivent sous la conduite de la raison. Mais parce que la raison
n’enseigne rien qui soit contraire à la nature, une saine raison ne peut commander que chacun
relève de son propre droit aussi longtemps que les hommes sont soumis à leur passions Ajoutons
que la raison enseigne sans réserve de chercher la paix qu’on ne peut certes obtenir que si les lois
communes de la Cité ne sont pas transgressées. C’est pourquoi plus un homme est conduit par la
raison, c’est-à-dire, plus il est libre, plus il observera constamment les lois de la cité et suivra les
prescriptions des Puissances souveraines dont il est le sujet.
SPINOZA
- 586 -
[587] SUJET N° 587 - OPHESAN1 - 2000 - Série ES - AMERIQUE DU NORD - SESSION
NORMALE
Dire faux n’est mentir que par l’intention de tromper, et l’intention même de tromper loin d’être
toujours jointe avec celle de nuire a quelquefois un but tout contraire. Mais pour rendre un
mensonge innocent il ne suffit pas que l’intention de nuire ne soit pas expresse, il faut de plus la
certitude que l’erreur dans laquelle on jette ceux à qui l’on parle ne peut nuire à eux ni à quelque
personne en quelque façon que ce soit. Il est rare et difficile qu’on puisse avoir cette certitude ;
aussi est-il difficile et rare qu’un mensonge soit parfaitement innocent. Mentir pour son avantage
à soi-même est imposture, mentir pour nuire est calomnie ; c’est la pire espèce de mensonge.
Mentir sans profit ni préjudice de soi ni d’autrui n’est pas mentir ; ce n’est pas mensonge, c’est
fiction.
ROUSSEAU
- 587 -
[588] SUJET N° 588 - OPHESME1 - 2000 - Série ES - METROPOLE + REUNION - SESSION
NORMALE
Le penchant de l’instinct est indéterminé. Un sexe est attiré vers l’autre, voilà le mouvement de la
nature. Le choix, les préférences, l’attachement personnel sont l’ouvrage des lumières, des
préjugés, de l’habitude ; il faut du temps et des connaissances pour nous rendre capables
d’amour, on n’aime qu’après avoir jugé, on ne préfère qu’après avoir comparé. Ces jugements se
font sans qu’on s’en aperçoive, mais ils n’en sont pas moins réels. Le véritable amour, quoi qu’on
en dise, sera toujours honoré des hommes ; car, bien que ses comportements nous égarent, bien
qu’il n’exclue pas du cœur qui le sent des qualités odieuses et même qu’il en produise, il en
suppose pourtant toujours d’estimables sans lesquelles on serait hors d’état de le sentir. Ce choix
qu’on met en opposition avec la raison nous vient d’elle ; on a fait l’amour aveugle parce qu’il a
de meilleurs yeux que nous, et qu’il voit des rapports que nous ne pouvons apercevoir. Pour qui
n’aurait nulle idée de mérite ni de beauté, toute femme serait également bonne, et la première
venue serait toujours la plus aimable. Loin que l’amour vienne de la nature, il est la règle et le
frein de ses penchants.
ROUSSEAU
- 588 -
[589] SUJET N° 589 - OPHESME3 - 2000 - Série ES - METROPOLE - SESSION REMPL.
Celui qui renonce à sa liberté et l’échange pour de l’argent agit contre l’humanité. La vie ellemême ne doit être tenue en haute estime que pour autant qu’elle nous permet de vivre comme des
hommes, c’est-à-dire non pas en recherchant tous les plaisirs, mais de façon à ne pas déshonorer
notre humanité. Nous devons dans notre vie être dignes de notre humanité : tout ce qui nous en
rend indignes nous rend incapables de tout et suspend l’homme en nous. Quiconque offre son
corps à la malice d’autrui pour en retirer un profit - par exemple en se laissant rouer de coups en
échange de quelques bières - renonce du même coup à sa personne, et celui qui le paie pour cela
agit de façon aussi méprisable que lui. D’aucune façon ne pouvons-nous, sans sacrifier notre
personne, nous abandonner à autrui pour satisfaire son inclination, quand bien même nous
pourrions par là sauver de la mort nos parents et nos amis. On peut encore moins le faire pour de
l’argent. Si c’est pour satisfaire ses propres inclinations qu’on agit ainsi, cela est peut-être naturel
mais n’en contredit pas moins la vertu et la moralité ; si c’est pour l’argent ou pour quelque autre
but, on consent alors à se laisser utiliser comme une chose malgré le fait qu’on soit une personne,
et on rejette ainsi la valeur de l’humanité.
KANT
- 589 -
[590] SUJET N° 590 - PHESAG - 2000 - Série ES - ANTILLES - SESSION NORMALE
Un vrai ami ne doit jamais approuver les erreurs de son ami. Car enfin nous devrions considérer
que nous leur faisons plus de tort que nous ne pensons, lorsque nous défendons leurs opinions
sans discernement. Nos applaudissements ne font que leur enfler le cœur et les confirmer dans
leurs erreurs ; ils deviennent incorrigibles ; ils agissent et ils décident enfin comme s’ils étaient
devenus infaillibles.
D’où vient que les plus riches, les plus puissants, les plus proches, et généralement tous ceux qui
sont élevés au-dessus des autres, se croient fort souvent infaillibles, et qu’ils se comportent
comme s’ils avaient beaucoup plus de raison que ceux qui sont d’une condition vile ou médiocre,
si ce n’est parce qu’on approuve indifféremment et lâchement toutes leurs pensées ? Ainsi
l’approbation que nous donnons à nos amis, leur fait croire peu à peu qu’ils ont plus d’esprit que
les autres : ce qui les rend fiers, hardis, imprudents et capables de tomber dans les erreurs les plus
grossières sans s’en apercevoir. C’est pour cela que nos ennemis nous rendent souvent un
meilleur service, et nous éclairent beaucoup plus l’esprit par leurs oppositions, que ne font nos
amis, par leurs approbations.
MALEBRANCHE
- 590 -
[591] SUJET N° 591 - PHESAGS - 2000 - Série ES - ANTILLES - SESSION REMPL.
Il arrive parfois sans doute qu’avec le plus scrupuleux examen de nous-mêmes nous trouvons
absolument rien qui, en dehors du principe moral du devoir, ait pu être assez puissant pour nous
pousser à telle ou telle bonne action et à tel grand sacrifice ; mais de là on ne peut nullement
conclure avec certitude que réellement ce ne soit point une secrète impulsion de l’amour-propre
qui, sous le simple mirage de cette idée, ait été la vraie cause déterminante de la volonté ; c’est
que nous nous flattons volontiers en nous attribuant faussement un principe de détermination plus
noble mais en réalité nous ne pouvons jamais, même par l’examen le plus rigoureux, pénétrer
entièrement jusqu’aux mobiles secrets ; or, quant il s’agit de valeur morale, l’essentiel n’est point
dans les actions, que l’on voit, mais dans ces principes intérieurs des actions, que l’on ne voit pas.
KANT
- 591 -
[592] SUJET N° 592 - OPHESJA1 - 2000 - Série ES - ASIE - SESSION NORMALE
De même que l’on peut dire des plantes (par exemple, des pommes de terre) et des animaux
domestiques, dans la mesure où, du point de vue de leur abondance, ils constituent l’œuvre de
l’homme, qu’on est en droit de les utiliser, de les exploiter et de les consommer (de les faire
abattre), de même, semble-t-il, on pourrait dire aussi du pouvoir suprême de l’Etat, du souverain,
qu’il a le droit de mener ses sujets, qui sont, pour la plus grande part, son propre produit, à la
guerre comme à une chasse et à une bataille rangée comme à une partie de plaisir. En fait, ce
principe juridique [...] possède certes une validité en ce qui concerne les animaux, lesquels
peuvent être une propriété de l’homme, mais ne peut en revanche en aucune manière s’appliquer
à l’homme, notamment en tant que citoyen, lequel doit toujours être considéré dans l’Etat comme
un membre qui participe à l’activité législatrice (non seulement comme moyen, mais en même
temps aussi comme fin en soi) et doit donc donner son libre consentement, par l’intermédiaire de
ses représentants, non seulement à la guerre en général, mais aussi à chaque déclaration de guerre
particulière - condition limitative sous laquelle seulement l’Etat peut disposer de lui pour ce
périlleux service.
KANT
- 592 -
[593] SUJET N° 593 - 0PHESG11 - 2000 - Série ES - ETRANGER GROUPE 1 - SESSION
NORMALE
Certains fondent la peine sur la menace et pensent que si quelqu’un commet un crime malgré
cette menace, la peine doit nécessairement ‘s’ensuivre, parce que le criminel en avait
connaissance. S’ensuit-il toutefois que la menace soit conforme au droit ? La menace suppose
que l’homme n’est pas un être libre et elle veut le contraindre par la représentation d’un mal.
Mais le droit et la justice doivent avoir leur fondement dans la liberté et dans la volonté, et non
dans un état de non-liberté, auquel la menace s’applique. Cette théorie fonde la peine à la manière
d’un maître qui agite un bâton devant son chien et l’homme n’y est pas traité selon sa dignité et
sa liberté, mais comme un chien. La menace qui, en réalité, peut révolter l’homme, au point qu’il
prouve contre elle sa liberté, laisse entièrement de côté la justice.
HEGEL
- 593 -
[594] SUJET N° 594 - 0PHESLI1 - 2000 - Série ES - LIBAN - SESSION NORMALE
Les mathématiques offrent ce caractère particulier et bien remarquable, que tout s’y démontre par
le raisonnement seul, sans qu’on ait besoin de faire aucun emprunt à l’expérience, et que
néanmoins tous les résultats obtenus sont susceptibles d’être confirmés par l’expérience, dans les
limites d’exactitude que l’expérience comporte. Par là les mathématiques réunissent au caractère
de sciences rationnelles, celui de sciences positives, dans le sens que le langage moderne donne à
ce mot. On démontre en arithmétique que le produit de plusieurs nombres ne change pas, dans
quelque ordre qu’on les multiplie : or, rien de plus facile que de vérifier en toute rigueur cette
proposition générale sur tant d’exemples qu’on voudra, et d’en avoir ainsi une confirmation
expérimentale. On démontre en géométrie que la somme des trois angles d’un triangle vaut deux
angles droits : c’est ce qu’on peut vérifier en mesurant avec un rapporteur les trois angles d’un
triangle tracé sur le papier, en mesurant avec un graphomètre les trois angles d’un triangle tracé
sur le terrain, et en faisant la somme. La vérification ne sera pas absolument rigoureuse, parce
que la mesure d’une grandeur continue comporte toujours des petites erreurs : mais on s’assurera,
en multipliant les vérifications, que les différences sont tantôt dans un sens, tantôt dans l’autre et
qu’elles ont tous les caractères d’erreurs fortuites. On n’établit pas d’une autre manière les lois
expérimentales de la physique.
COURNOT
- 594 -
[595] SUJET N° 595 - PHESPO - 2000 - Série ES - POLYNESIE - SESSION NORMALE
Des lois bien faites doivent, à la vérité, déterminer elles-mêmes autant de cas qu’il se peut, en
laisser le moins possible à la décision des juges, d’abord parce qu’un ou quelques hommes de
saine intelligence et aptes à légiférer ou juger sont plus faciles à trouver qu’un grand nombre ;
ensuite parce que les lois ne se font qu’après un long examen, tandis que les jugements se
prononcent séance tenante ; aussi est-il difficile que ceux qui sont appelés à juger décident
comme il faudrait du juste et de l’utile. Mais de toutes les raisons la plus importante est que le
jugement du législateur ne porte pas sur le particulier, mais sur le futur et le général, tandis que le
membre de l’assemblée et le juge ont à prononcer immédiatement sur des cas actuels et
déterminés. Dans leur appréciation interviennent souvent amitié, haine, intérêt personnel ; aussi
ne sont-ils plus en état de se faire une idée adéquate de la vérité et leur jugement est-il obnubilé
par un sentiment égoïste de plaisir ou de peine. Il faut, nous le répétons, abandonner le moins de
questions possible à la décision souveraine du juge ; mais la nécessité veut qu’on lui laisse à
décider si la chose s’est produite ou ne s’est pas produite, si elle sera possible ou impossible ; si
elle a ou n’a pas le caractère prétendu ; car il ne se peut que le législateur prévoie ces choses.
ARISTOTE
- 595 -
[596] SUJET N° 596 - 0PHESRE1 - 2000 - Série ES - LA REUNION - SESSION NORMALE
La langue est un instrument à penser. Les esprits que nous appelons paresseux, somnolents,
inertes, sont vraisemblablement surtout incultes, et en ce sens qu’ils n’ont qu’un petit nombre de
mots et d’expressions ; et c’est un trait de vulgarité bien frappant que l’emploi d’un mot à tout
faire. Cette pauvreté est encore bien riche, comme les bavardages et les querelles le font voir ;
toutefois la précipitation du débit et le retour des mêmes mots montrent bien que ce mécanisme
n’est nullement dominé. L’expression « ne pas savoir ce qu’on dit » prend alors tout son sens. On
observera ce bavardage dans tous les genres d’ivresse et de délire. Et je ne crois même point qu’il
arrive à l’homme de déraisonner par d’autres causes : l’emportement dans le discours fait de la
folie avec des lieux communs (1). Aussi est-il vrai que le premier éclair de pensée, en tout
homme et en tout enfant, est de trouver un sens à ce qu’il dit. Si étrange que cela soit, nous
sommes dominés par la nécessité de parler sans savoir ce que nous allons dire ; et cet état [...] est
originaire en chacun ; l’enfant parle naturellement avant de penser, et il est compris des autres
bien avant qu’il se comprenne lui-même. Penser c’est donc parler à soi.
ALAIN
(1) « lieux communs » : idées reçues, clichés.
- 596 -
[597] SUJET N° 597 - 0PTSAIDME3 - 2000 - Série TECHN. - METROPOLE - SESSION
REMPL.
On décrit souvent l’état de nature comme un état parfait de l’homme, en ce qui concerne tant le
bonheur que la bonté morale. Il faut d’abord noter que l’innocence est dépourvue, comme telle,
de toute valeur morale, dans la mesure où elle est ignorance du mal et tient à l’absence des
besoins d’où peut naître la méchanceté. D’autre part, cet état est bien plutôt celui où règnent la
violence et l’injustice, précisément parce que les hommes ne s’y considèrent que du seul point de
vue de la nature. Or, de ce point de vue là, ils sont inégaux tout à la fois quant aux forces du corps
et quant aux dispositions de l’esprit, et c’est par la violence et la ruse qu’ils font valoir l’un contre
l’autre leur différence.
HEGEL
- 597 -
[598] SUJET N° 598 - 0PHAAME3 - 2000 - Série STI AA - METROPOLE - SESSION
REMPL.
Socrate : Ainsi donc celui qui pense laisser après lui un art consigné dans un livre, comme celui
qui le recueille en pensant qu’il sortira de cette écriture un enseignement clair et durable, fait
preuve d’une grande simplicité (1) [...] s’il pense que des discours écrits sont quelque chose de
plus qu’un mémento (2) qui rappelle à celui qui les connaît déjà les choses traitées dans le livre.
Phèdre (3) : C’est très juste.
Socrate : C’est que l’écriture, Phèdre, a un grave inconvénient, tout comme la peinture. Les
produits de la peinture sont comme s’ils étaient vivants ; mais pose-leur une question, ils gardent
gravement le silence. Il en est de même des discours écrits. On pourrait croire qu’ils parlent en
personnes intelligentes, mais demande-leur de t’expliquer ce qu’ils disent, ils ne répondront
qu’une chose, toujours la même. Une fois écrit, le discours roule partout et passe indifféremment
dans les mains des connaisseurs et dans celles des profanes, et il ne sait pas distinguer à qui il
faut, à qui il ne faut pas parler. S’il se voit méprisé ou injurié injustement, il a toujours besoin du
secours de son père ; car il n’est pas capable de repousser une attaque et de se défendre lui-même.
Phèdre : C’est également très juste.
PLATON
(1) « simplicité » : ici, naïveté.
(2) « mémento » : aide-mémoire.
(3) Phèdre est un interlocuteur masculin de Socrate.
QUESTIONS :
1°
a) Quelle est la thèse soutenue par Socrate ?
b) Quels sont ses arguments ?
2°
a) Quel est le sens de la comparaison de l’écriture avec la peinture ?
b) Expliquez : « il ne sait pas distinguer à qui il faut, à qui il ne faut pas parler ».
c) Pourquoi le discours écrit a-t-il « toujours besoin du secours de son père » ?
3° Les discours écrits sont-ils impropres à enseigner la vérité ?
- 598 -
[599] SUJET N° 599 - SEPT - 2000 - Série TMD - GROUPEMENTS I-IV - SESSION REMPL.
Aucune idée, parmi celles qui se réfèrent à l’ordre des faits naturels, ne tient de plus près à la
famille des idées religieuses que l’idée de progrès, et n’est plus propre à devenir le principe d’une
sorte de foi religieuse, pour ceux qui n’en ont plus d’autre. Elle a, comme la foi religieuse, la
vertu de relever les âmes et les caractères. L’idée du progrès indéfini, c’est l’idée d’une
perfection suprême, d’une loi qui domine toutes les lois particulières, d’un but éminent auquel
tous les êtres doivent concourir dans leur existence passagère. C’est donc au fond, l’idée du
divin ; et il ne faut point être surpris si, chaque fois qu’elle est spécieusement (1) invoquée en
faveur d’une cause, les esprits les plus élevés, les âmes les plus généreuses se sentent entraînés de
ce côté. Il ne faut pas non plus s’étonner que le fanatisme y trouve un aliment, et que la maxime
qui tend à corrompre toutes les religions, celle que l’excellence de la fin justifie les moyens,
corrompe aussi la religion du progrès.
COURNOT
(1) « spécieusement » : faussement.
QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée directrice de ce texte et les étapes de son argumentation.
2° Expliquez :
a) « C’est donc au fond l’idée du divin » ;
b) « La maxime qui tend à corrompre toutes les religions, celle que l’excellence de la fin justifie
les moyens. »
3° Parle-t-on correctement lorsque l’on parle de religion du progrès ?
- 599 -
[600] SUJET N° 600 - PHTREN0 - 2000 - Série TECHN. - LA REUNION - SESSION REMPL.
Eveiller l’âme : tel est, dit-on, le but final de l’art, tel est l’effet qu’il doit chercher à obtenir.
C’est de cela que nous avons à nous occuper en premier lieu. En envisageant le but final de l’art
sous ce dernier aspect, en nous demandant notamment quelle est l’action qu’il doit exercer, qu’il
peut exercer et qu’il exerce effectivement, nous constatons aussitôt que le contenu de l’art
comprend tout le contenu de l’âme et de l’esprit, que son but consiste à révéler à l’âme tout ce
qu’elle recèle d’essentiel, de grand, de sublime, de respectable et de vrai. Il nous procure
l’expérience de la vie réelle, nous transporte dans des situations que notre expérience personnelle
ne nous fait pas et ne nous fera peut-être jamais connaître : les expériences des personnes qu’il
représente, et, en même temps, grâce à la part que nous prenons à ce qui arrive à ces personnes,
nous devenons capables de ressentir plus profondément ce qui se passe en nous-mêmes.
HEGEL
- 600 -
[601] SUJET N° 601 - PHTE1N0 - 2000 - Série TECHN. - ETRANGER GROUPE 1 - SESSION
NORMALE
Les hommes sont si bien les mêmes, à toutes les époques et en tous les lieux, que l’histoire ne
nous indique rien de nouveau ni d’étrange sur ce point. Son principal usage est seulement de nous
découvrir les principes constants et universels de la nature humaine en montrant les hommes dans
toutes les diverses circonstances et situations, et en nous fournissant des matériaux d’où nous
pouvons former nos informations et nous familiariser avec les ressorts (1) réguliers de l’action et
de la conduite humaines. Ces récits de guerres, d’intrigues et de révolutions sont autant de
recueils d’expériences qui permettent au philosophe politique ou moral de fixer les principes de
sa science, de la même manière que le médecin ou le philosophe de la nature se familiarise avec
la nature des plantes, des minéraux et des autres objets extérieurs par les expériences qu’il fait sur
eux.
HUME
(1) « ressorts » : causes.
QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée générale du texte et son argumentation.
2° Expliquez :
a) « les principes constants et universels de la nature humaine ».
b) « fixer les principes de sa science ».
3° Qu’est-ce que l’histoire nous apprend sur la nature humaine ?
- 601 -
[602] SUJET N° 602 - PHIL10IND - 2000 - Série TECHN. - INDE - SESSION NORMALE
Le dernier progrès que fit la raison, achevant d’élever l’homme tout à fait au-dessus de la société
animale, ce fut qu’il comprit (obscurément encore) qu’il était proprement la fin de la nature (1),
et que rien de ce qui vit sur terre ne pouvait lui disputer ce droit. La première fois qu’il dit au
mouton : « la peau que tu portes, ce n’est pas pour toi, mais pour moi que la nature te l’a
donnée », qu’il lui retira et s’en revêtit, il découvrit un privilège, qu’il avait, en raison de sa
nature, sur tous les animaux. Et il cessa de les considérer comme ses compagnons dans la
création, pour les regarder comme des moyens et des instruments mis à la disposition de sa
volonté en vu d’atteindre les desseins (2) qu’il se propose. Cette représentation implique
(obscurément sans doute) cette contrepartie, à savoir qu’il n’avait pas le droit de traiter un autre
homme de cette façon, mais qu’il devait le considérer comme un associé participant sur un pied
d’égalité avec lui aux dons de la nature.
KANT
(1) « la fin » : le but.
(2) « les dessins » : les projets.
QUESTIONS :
1° Dégagez la thèse de l’auteur et les étapes de son argumentation.
2° Expliquez :
a) « qu’il était proprement la fin de la nature ».
b) « qu’il n’avait pas le droit de traiter un autre homme de cette façon ».
3° Doit-on considérer que, dans la nature, les être vivants ne sont que des moyens pour
l’homme ?
- 602 -
[603] SUJET N° 603 - 0PHTEPO1 - 2000 - Série TECHN. - POLYNESIE - SESSION
NORMALE
Pourquoi, dans la vie de tous les jours, les hommes disent-ils la plupart du temps la vérité ? Sûrement pas parce qu’un dieu a interdit le mensonge. Mais, premièrement, parce que c’est plus
commode ; car le mensonge réclame invention, dissimulation et mémoire. Ensuite, parce qu’il est
avantageux, quand tout se présente simplement, de parler sans détours : je veux ceci, j’ai fait cela,
et ainsi de suite ; c’est-à-dire parce que les voies de la contrainte et de l’autorité sont plus sûres
que celles de la ruse. - Mais s’il arrive qu’un enfant ait été élevé au milieu de complications
familiales, il maniera le mensonge tout aussi naturellement et dira toujours involontairement ce
qui répond à son intérêt ; sens de la vérité, répugnance pour le mensonge en tant que tel lui sont
absolument étrangers, et ainsi donc il ment en toute innocence.
NIETZSCHE
QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée directrice du texte et les étapes de son argumentation.
2° Expliquez :
a) « le mensonge réclame invention, dissimulation et mémoire. »
b) « les voies de la contrainte et de l’autorité sont plus sûres que celles de la ruse ».
3° Disons-nous la vérité par respect pour la vérité ?
- 603 -
[604] SUJET N° 604 - OPTSAIDAG1 - 2000 - Série TECHN. - ANTILLES - SESSION
NORMALE
Les exigences de la vie en une société organisée n’interdisent à personne de penser, de juger et,
par suite, de s’exprimer spontanément, à condition que chacun se contente d’exprimer ou
d’enseigner sa pensée en ne faisant appel qu’aux ressources du raisonnement et s’abstienne de
chercher appui sur la ruse, la colère, la haine ; enfin, à condition qu’il ne se flatte pas d’introduire
la moindre mesure nouvelle dans l’Etat, sous l’unique garantie de son propre vouloir. Par
exemple, admettons qu’un sujet ait montré en quoi une loi est déraisonnable et qu’il souhaite la
voir abroger. S’il prend soin, en même temps, de soumettre son opinion au jugement de la
souveraine Puissance (1) (car celle-ci est seule en position de faire et d’abroger des lois), s’il
s’abstient entre-temps de toute manifestation active d’opposition à la loi en question, il est - au
titre d’excellent citoyen - digne en tout point de la reconnaissance de la communauté. Au
contraire, si son intervention ne vise qu’à accuser les pouvoirs publics d’injustice et à les désigner
aux passions de la foule, puis, s’il s’efforce de faire abroger la loi de toute manière, ce sujet est
indubitablement un perturbateur et un rebelle.
SPINOZA
(1) « la souveraine Puissance » : le pouvoir souverain dans un Etat.
QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée générale du texte et les différentes étapes de son argumentation.
2° Expliquez les affirmations suivantes : « s’il s’abstient entre-temps de toute manifestation
active d’opposition à la loi en question ».
3° Le citoyen n’a-t-il le droit de s’opposer aux lois qu’en paroles ?
- 604 -
[605] SUJET N° 605 - 0PTSAIDAG3 - 2000 - Série TECHN. - ANTILLES - SESSION REMPL.
L’œuvre d’art vient donc de l’esprit et existe pour l’esprit, et sa supériorité consiste en ce que si
le produit naturel est un produit doué de vie, il est périssable, tandis qu’une œuvre d’art est une
œuvre qui dure. La durée présente un intérêt plus grand. Les événements arrivent, mais, aussitôt
arrivés, ils s’évanouissent ; l’œuvre d’art leur confère de la durée, les représente dans leur vérité
impérissable. L’intérêt humain, la valeur spirituelle d’un événement, d’un caractère individuel,
d’une action, dans leur évolution et leurs aboutissements, sont saisis par l’œuvre d’art qui les fait
ressortir d’une façon plus pure et transparente que dans la réalité ordinaire, non artistique. C’est
pourquoi l’œuvre d’art est supérieure à tout produit de la nature qui n’a pas effectué ce passage
par l’esprit. C’est ainsi que le sentiment et l’idée qui, en peinture, ont inspiré un paysage confère
à cette œuvre de l’esprit un rang plus élevé que celui du paysage tel qu’il existe dans la nature.
Tout ce qui est de l’esprit est supérieur à ce qui existe à l’état naturel.
HEGEL
QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée générale du texte et les étapes de son argumentation.
2° Expliquez l’affirmation suivante : « l’œuvre d’art leur confère de la durée, les représente dans
leur vérité impérissable. »
3° Quelle différence y a-t-il entre la beauté des choses naturelles et celle des œuvres d’art ?
- 605 -
[606] SUJET N° 606 - PESNCN00 - 2000 - Série ES - NOUVELLE-CALEDONIE - SESSION
NORMALE
L’homme public, puisqu’il se mêle de gouverner les autres, ne peut se plaindre d’être jugé sur ses
actes dont les autres portent la peine, ni sur l’image souvent inexacte qu’ils donnent de lui.
Comme Diderot le disait du comédien en scène, nous avançons que tout homme qui accepte de
jouer un rôle porte autour de soi un « grand fantôme » dans lequel il est désormais caché, et qu’il
est responsable de son personnage même s’il n’y reconnaît pas ce qu’il voulait être. Le politique
n’est jamais aux yeux d’autrui ce qu’il est à ses propres yeux, non seulement parce que les autres
le jugent témérairement, mais encore parce qu’ils ne sont pas lui, et que ce qui est en lui erreur ou
négligence peut être pour eux mal absolu, servitude ou mort. Acceptant, avec un rôle politique,
une chance de gloire, il accepte aussi un risque d’infamie, l’une et l’autre « imméritées ».
L’action politique est de soi impure parce qu’elle est action de l’un sur l’autre et parce qu’elle est
action à plusieurs. [...] Aucun politique ne peut se flatter d’être innocent. Gouverner, comme on
dit, c’est prévoir, et le politique ne peut s’excuser sur l’imprévu. Or il y a de l’imprévisible. Voilà
la tragédie.
MERLEAU-PONTY
- 606 -
[607] SUJET N° 607 - PLNCN00 - 2000 - Série L - NOUVELLE-CALEDONIE - SESSION
NORMALE
Ce ne sont pas nos sens qui nous trompent, mais c’est notre volonté qui nous trompe par ses
jugements précipités. Quand on voit, par exemple, de la lumière, il est très certain que l’on voit
de la lumière ; quand on, sent de la chaleur, on ne se trompe point de croire que l’on en sent, [...].
Mais on se trompe quand on juge que la chaleur que l’on sent est hors de l’âme qui la sent [...].
Les sens ne nous jetteraient donc point dans l’erreur si nous faisions bon usage de notre liberté, et
si nous ne nous servions point de leur rapport pour juger des choses avec trop de précipitation.
Mais parce qu’il est très difficile de s’en empêcher, et que nous y sommes quasi contraints à
cause de l’étroite union de notre âme avec notre corps, voici de quelle manière nous nous devons
conduire dans leur usage pour ne point tomber dans l’erreur. Nous devons observer exactement
cette règle de ne juger jamais par les sens de ce que les choses sont en elles-mêmes, mais
seulement du rapport qu’elles ont avec notre corps.
MALEBRANCHE
- 607 -
[608] SUJET N° 608 - PHSCNC1 - 2000 - Série S - NOUVELLE-CALEDONIE - SESSION
NORMALE
Une doctrine inconciliable avec la société civile, c’est que chaque fois qu’un homme agit contre
sa conscience, c’est une faute. Cette doctrine repose sur la présomption par laquelle on se fait soimême juge du bien et du mal. En effet, la conscience d’un homme et son jugement, c’est tout un.
Et la conscience, comme le jugement, peut être erronée. En conséquence, encore que celui qui
n’est pas assujetti à la loi civile commette une faute chaque fois qu’il agit contre sa conscience
(puisqu’il n’a pas d’autre règle à suivre que sa propre raison), il n’en va pas de même de celui qui
vit dans une République, car la loi est alors la conscience publique, par laquelle il a
antérieurement accepté d’être guidé. S’il n’en est pas ainsi, étant donné la diversité des
consciences privées, qui ne sont rien d’autre que des opinions privées, la République sera
nécessairement divisée, et nul ne s’aventurera à obéir au pouvoir souverain au-delà de ce qui aura
trouvé grâce à ses propres yeux.
HOBBES
- 608 -
[609] SUJET N° 609 - PLNCR00 - 2000 - Série L - NOUVELLE-CALEDONIE - SESSION
REMPL.
Les bêtes sont purement empiriques et ne font que se régler sur les exemples, car elles n’arrivent
jamais à former des propositions nécessaires, autant qu’on en peut juger ; au lieu que les hommes
sont capables des sciences démonstratives. C’est encore pour cela que la faculté que les bêtes ont
de faire des consécutions est quelque chose d’inférieur à la raison qui est dans les hommes. Les
consécutions des bêtes sont purement comme celles des simples empiriques, qui prétendent que
ce qui est arrivé quelquefois arrivera encore dans un cas où ce qui les frappe est pareil, sans être
capables de juger si les mêmes raisons subsistent. C’est par là qu’il est si aisé aux hommes
d’attraper les bêtes, et qu’il est si facile aux simples empiriques de faire des fautes. C’est de quoi
les personnes devenues habiles par l’âge et par l’expérience ne sont pas exemptes lorsqu’elles se
fient trop à leur expérience passée, comme il est arrivé à plusieurs dans les affaires civiles et
militaires, parce qu’on ne considère point assez que le monde change et que les hommes
deviennent plus habiles en trouvant mille adresses nouvelles, au lieu que les cerfs ou les lièvres
de ce temps ne deviennent point plus rusés que ceux du temps passé. Les consécutions des bêtes
ne sont qu’une ombre du raisonnement, c’est-à-dire ce ne sont que connexions d’imagination, et
que passages d’une image à une autre.
LEIBNIZ
- 609 -
[610] SUJET N° 610 - PESNCR00 - 2000 - Série ES - NOUVELLE-CALEDONIE - SESSION
REMPL.
La société, qui est la mise en commun des énergies individuelles, bénéficie des efforts de tous et
rend à tous leur effort plus facile. Elle ne peut subsister que si elle se subordonne l’individu, elle
ne peut progresser que si elle le laisse faire : exigences opposées qu’il faudrait réconcilier. Chez
l’insecte, la première condition est seule remplie. Les sociétés de fourmis et d’abeilles sont
admirablement disciplinées et unies, mais figées dans une immuable routine. Si l’individu s’y
oublie lui-même, la société oublie aussi sa destination ; l’un et l’autre, en état de somnambulisme,
font et refont indéfiniment le tour du même cercle, au lieu de marcher, droit en avant, à une
efficacité sociale plus grande et à une liberté individuelle plus complète. Seules, les sociétés
humaines tiennent fixés devant leurs yeux les deux buts à atteindre. En lutte avec elles-mêmes et
en guerre les unes avec les autres, elles cherchent visiblement, par le frottement et par le choc, à
arrondir des angles, à user des antagonismes, à éliminer des contradictions, à faire que les
volontés individuelles s’insèrent sans se déformer dans la volonté sociale et que les diverses
sociétés entrent à leur tour, sans perdre leur originalité ni leur indépendance, dans une société
plus vaste.
BERGSON
- 610 -
[611] SUJET N° 611 - PHSCNC2 - 2000 - Série S - NOUVELLE-CALEDONIE - SESSION
REMPL.
Il suffit que nous parlions d’un objet pour nous croire objectifs. Mais, par notre premier choix,
l’objet nous désigne plus que nous ne le désignons et ce que nous croyons nos pensées
fondamentales sur le monde sont souvent des confidences sur la jeunesse de notre esprit. Parfois
nous nous émerveillons devant un objet élu, nous accumulons les hypothèses et les rêveries ;
nous formons ainsi des convictions qui ont l’apparence d’un savoir. Mais la source initiale est
impure : l’évidence première n’est pas une vérité fondamentale. En fait, l’objectivité scientifique
n’est possible que si l’on a d’abord rompu avec l’objet immédiat, si l’on a refusé la séduction du
premier choix, si l’on a arrêté et contredit les pensées qui naissent de la première observation.
Toute objectivité, dûment vérifiée, dément le premier contact avec l’objet. Elle doit d’abord tout
critiquer : la sensation, le sens commun, la pratique même la plus constante, l’étymologie enfin,
car le verbe (1), qui est fait pour chanter et séduire, rencontre rarement la pensée.
BACHELARD
(1) « le verbe » : la parole.
- 611 -
[612] SUJET N° 612 - IN-L - 1999 - Série L - INDE - SESSION NORMALE
Soit un cube de bois. Que je le voie ou que je le touche, on peut dire que j’en prends une vue, ou
que je le saisis par un côté. Il y a des milliers d’aspects différents d’un même cube pour les yeux,
et aucun n’est cube. Il n’y a point de centre d’où je puisse voir le cube en sa vérité. Mais le
discours permet de construire le cube en sa vérité, d’où j’explique ensuite aisément toutes ces
apparences, et même je prouve qu’elles devaient apparaître comme elles font (...). Retenons
l’exemple facile du cube, de ce cube que nul œil n’a vu et ne verra jamais comme il est, mais par
qui seulement l’œil peut voir un cube, c’est-à-dire le reconnaître sous ses diverses apparences. Et
disons encore que, si je vois un cube, et si je comprends ce que je vois, il n’y a pas ici deux
mondes, ni deux vies ; mais c’est un seul monde et une seule vie. Le vrai cube n’est ni loin ni
près ni ailleurs ; mais c’est lui qui a toujours fait que ce monde visible est vrai et fut toujours vrai.
ALAIN
- 612 -
[613] SUJET N° 613 - PHILIAG2 - 1999 - Série L - ANTILLES - SESSION REMPL.
Mais je croyais avoir déjà donné assez de temps aux langues, et même aussi à la lecture des livres
anciens, et à leurs histoires, et à leurs fables. Car c’est quasi le même (1) de converser (2) avec
ceux des autres siècles que de voyager. Il est bon de savoir quelque chose des mœurs de divers
peuples, afin de juger des nôtres plus sainement, et que nous ne pensions pas que tout ce qui est
contre nos modes (3) soit ridicule et contre raison, ainsi qu’ont coutume de faire ceux qui n’ont
rien vu. Mais lorsqu’on emploie trop de temps à voyager, on devient enfin étranger en son pays ;
et lorsqu’on est trop curieux des choses qui se pratiquaient aux siècles passés, on demeure
ordinairement fort ignorant de celles qui se pratiquent en celui-ci. Outre que les fables font
imaginer plusieurs événements comme possibles qui ne le sont point ; et que même les histoires
les plus fidèles, si elles ne changent ni n’augmentent la valeur des choses pour les rendre plus
dignes d’être lues, au moins en omettent-elles presque toujours les plus basses et moins illustres
circonstances, d’où vient que le reste ne paraît pas tel qu’il est, et que ceux qui règlent leurs
mœurs par les exemples qu’ils en tirent sont sujets à tomber dans les extravagances des paladins
de nos romans, et à concevoir des desseins qui passent (4) leurs forces.
DESCARTES
(1) Par « quasi le même », il faut entendre « presque la même chose ».
(2) Par « converser », il faut entendre « entrer en relation ».
(3) Par « nos modes », il faut entendre « nos habitudes ».
(4) Par « passent », il faut entendre « dépassent ».
- 613 -
[614] SUJET N° 614 - N/R - 1999 - Série L - SPORTIFS HAUT NIVEAU - SESSION
NORMALE
La différence qui est entre les plus grandes âmes et celles qui sont basses et vulgaires, consiste,
principalement, en ce que les âmes vulgaires se laissent aller à leurs passions, et ne sont
heureuses ou malheureuses, que selon que les choses qui leur surviennent sont agréables ou
déplaisantes ; au lieu que les autres ont des raisonnements si forts et si puissants que, bien
qu’elles aient aussi des passions, et même souvent de plus violentes que celles du commun, leur
raison demeure néanmoins toujours la maîtresse, et fait que les afflictions (1) même les servent,
et contribuent à la parfaite félicité dont elles jouissent dès cette vie. (…). Ainsi, ressentant de la
douleur en leur corps, elles s’exercent à la supporter patiemment, et cette épreuve qu’elles font de
leur force, leur est agréable ; ainsi, voyant leurs amis en quelque grande affliction, elles
compatissent à leur mal, et font tout leur possible pour les en délivrer, et ne craignent pas même
de s’exposer à la mort pour ce sujet, s’il en est besoin. Mais, cependant, le témoignage que leur
donne leur conscience, de ce qu’elles s’acquittent en cela de leur devoir, et font une action
louable et vertueuse, les rend plus heureuses, que toute la tristesse, que leur donne la compassion,
ne les afflige.
DESCARTES
(1) « les afflictions » : littéralement, ce qui les afflige : événements malheureux qui seraient
susceptibles de les plonger dans la tristesse.
- 614 -
[615] SUJET N° 615 - N/R - 1999 - Série L - ANTILLES - SESSION NORMALE
La source première de notre connaissance est l’expérience. Pour qu’il y ait expérience, il faut,
absolument parlant, que nous ayons perçu une chose elle-même. Mais on doit, en outre,
distinguer perception et expérience. D’entrée de jeu la perception ne contient qu’un unique objet
qui est maintenant, de façon fortuite, ainsi constitué, mais qui, une autre fois, peut être autrement
constitué. Or, si je répète la perception et que, dans cette perception répétée, je remarque et
retienne fermement ce qui reste égal à soi-même en toutes ces perceptions, c’est là une
expérience. L’expérience contient avant tout des lois, c’est-à-dire une liaison entre deux
phénomènes telle que, si l’un est présent, l’autre aussi suit toujours. Mais l’expérience ne contient
que l’universalité d’un tel phénomène, non la nécessité de la corrélation. L’expérience enseigne
seulement qu’une chose est ainsi, c’est-à-dire comme elle se trouve, ou donnée, mais non encore
les fondements ou le pourquoi.
HEGEL
- 615 -
[616] SUJET N° 616 - N/R - 1999 - Série L - N/R - SESSION REMPL.
Il y a une liaison dans les perceptions des animaux qui a quelque ressemblance avec la raison ;
mais elle n’est fondée que dans la mémoire des faits, et nullement dans la connaissance des
causes. C’est ainsi qu’un chien fuit le bâton dont il a été frappé parce que la mémoire lui
représente la douleur que ce bâton lui a causée. Et les hommes en tant qu’ils sont empiriques,
c’est-à-dire dans les trois quarts de leurs actions, n’agissent que comme des bêtes ; par exemple,
on s’attend qu’il fera jour demain parce que l’on a toujours expérimenté ainsi. Il n’y a qu’un
astronome qui le prévoie par raison ; et même cette prédiction manquera enfin, quand la cause du
jour, qui n’est point éternelle, cessera. Mais le raisonnement véritable dépend des vérités
nécessaires ou éternelles ; comme sont celles de la logique, des nombres, de la géométrie, qui
font la connexion indubitable des idées et les conséquences immanquables. Les animaux où ces
conséquences ne se remarquent point sont appelés bêtes ; mais ceux qui connaissent ces vérités
nécessaires sont proprement ceux qu’on appelle animaux raisonnables.
LEIBNIZ
- 616 -
[617] SUJET N° 617 - IN2-L - 1999 - Série L - TUNISIE - SESSION NORMALE
Les animaux peuvent aussi sentir à l’extérieur les objets corporels, grâce à leurs sens, et s’en
souvenir après les avoir fixés dans leur mémoire, désirer parmi eux ceux qui leur conviennent et
éviter ceux qui leur nuisent. Mais reconnaître ceux-ci, retenir non seulement les souvenirs
amassés naturellement, mais aussi ceux confiés volontairement à la mémoire, imprimer à
nouveau en elle, par l’évocation et la pensée, ceux qui glissent peu à peu dans l’oubli (car, de
même que la pensée se forme sur ce que contient la mémoire, de même ce qui est dans la
mémoire est consolidé par la pensée) ; composer des visions imaginaires, en choisissant, et pour
ainsi dire en cousant ensemble n’importe quels souvenirs ; voir comment, en ce genre de fictions,
on peut distinguer le vraisemblable du vrai, tant dans le domaine spirituel que dans le domaine
corporel ; tous ces phénomènes et ceux du même genre, même s’ils concernent et intéressent le
sensible, et tout ce que l’âme tire des sens, font quand même appel à la raison, et ne sont pas le
partage des bêtes comme le nôtre (1).
AUGUSTIN
(1) « ne sont pas le partage des bêtes comme le nôtre » : n’appartiennent pas aux bêtes comme
aux hommes.
- 617 -
[618] SUJET N° 618 - 9PHLIME1 - 1999 - Série L - METROPOLE + REUNION - SESSION
NORMALE
Le choix n’est certainement pas la même chose que le souhait, bien qu’il en soit visiblement fort
voisin. Il n’y a pas de choix, en effet, des choses impossibles, et si on prétendait faire porter son
choix sur elles on passerait pour insensé ; au contraire, il peut y avoir souhait des choses
impossibles, par exemple de l’immortalité. D’autre part, le souhait peut porter sur des choses
qu’on ne saurait d’aucune manière mener à bonne fin par soi-même, par exemple faire que tel
acteur ou tel athlète remporte la victoire ; au contraire, le choix ne s’exerce jamais sur de pareilles
choses, mais seulement sur celles qu’on pense pouvoir produire par ses propres moyens. En
outre, le souhait porte plutôt sur la fin, et le choix sur les moyens pour parvenir à la fin : par
exemple, nous souhaitons être en bonne santé, mais nous choisissons les moyens qui nous feront
être en bonne santé ; nous pouvons dire encore que nous souhaitons d’être heureux, mais il
inexact de dire que nous choisissons de l’être : car, d’une façon générale, le choix porte, selon
toute apparence, sur les choses qui dépendent de nous.
ARISTOTE
- 618 -
[619] SUJET N° 619 - N/R - 1999 - Série L - POLYNESIE - SESSION NORMALE
En ce moment je cause avec vous, je prononce le mot « causerie ». Il est clair que ma conscience
se représente ce mot tout d’un coup (1) ; sinon, elle n’y verrait pas un mot unique, elle ne lui
attribuerait pas un sens. Pourtant, lorsque j’articule la dernière syllabe du mot, les deux premières
ont été articulées déjà ; elles sont du passé par rapport à celle-là, qui devrait alors s’appeler du
présent. Mais cette dernière syllabe « rie », je ne l’ai pas prononcée instantanément ; le temps, si
court soit-il, pendant lequel je l’ai émise, est décomposable en parties, et ces parties sont du passé
par rapport à la dernière d’entre elles, qui serait, elle, du présent définitif si elle n’était
décomposable à son tour : de sorte que vous aurez beau faire, vous ne pourrez tracer une ligne de
démarcation entre le passé et le présent, ni par conséquent entre la mémoire et la conscience. A
vrai dire, quand j’articule le mot « causerie », j’ai présents à l’esprit non seulement le
commencement, le milieu et la fin du mot, mais encore les mots qui ont précédé, mais encore tout
ce que j’ai déjà prononcé de la phrase ; sinon, j’aurais perdu le fil de mon discours. Maintenant, si
la ponctuation du discours eût été différente, ma phrase eût pu commencer plus tôt ; elle eût
englobé, par exemple, la phrase précédente, et mon « présent » se fût dilaté encore davantage
dans le passé. Poussons ce raisonnement jusqu’au bout : supposons que mon discours dure depuis
des années, depuis le premier éveil de ma conscience, qu’il se poursuive en une phrase unique, et
que ma conscience soit assez détachée de l’avenir, assez désintéressée de l’action, pour
s’employer exclusivement à embrasser le sens de la phrase : je ne chercherais pas plus
d’explication, alors, à la conservation intégrale de cette phrase que je n’en cherche à la
survivance des deux premières syllabes du mot « causerie » quand je prononce la dernière. Or, je
crois bien que notre vie intérieure tout entière est quelque chose comme une phrase unique
entamée dès le premier éveil de la conscience, phrase semée de virgules, mais nulle part coupée
par des points.
BERGSON
(1) « tout d’un coup » : d’un seul coup
- 619 -
[620] SUJET N° 620 - N/R - 1999 - Série L - LIBAN - SESSION NORMALE
Le droit ne dépend en rien de la disposition d’esprit dans laquelle un acte est accompli. Il arrive
très souvent qu’on agisse de façon correcte par simple crainte de la punition, ou parce qu’on a
peur de n’importe quelle autre conséquence désagréable, telle que perdre sa réputation ou son
crédit. Il se peut aussi qu’en agissant selon le droit on songe à la récompense qu’on obtiendra
ainsi dans une autre vie. Le droit comme tel est indépendant de ces dispositions d’esprit.
Il faut distinguer droit et morale. Le droit peut très bien permettre une action qu’interdise la
morale. Le droit, par exemple, m’autorise à disposer de mon bien de façon tout à fait
inconditionnelle, mais la morale contient des déterminations qui limitent ce droit de disposition.
Il peut sembler que la morale permette bien des actions que le droit interdit, mais la morale
n’exige pas seulement l’observation du droit à l’égard d’autrui, elle ajoute de plus au droit la
disposition d’esprit qui consiste à respecter le droit pour lui-même. C’est la morale elle-même qui
impose que, d’abord, le droit soit respecté, et que, là où cesse le domaine du droit, interviennent
des déterminations morales. Pour qu’une conduite ait une valeur morale, il est nécessaire de
discerner si cette conduite est juste ou injuste, bonne ou méchante.
HEGEL
- 620 -
[621] SUJET N° 621 - N/R - 1999 - Série L - AMERIQUE DU NORD - SESSION NORMALE
Celui dont les désirs ont atteint leur terme ne peut pas davantage vivre que celui chez qui les
sensations et les imaginations sont arrêtées. La félicité est une continuelle marche en avant du
désir, d’un objet à un autre, la saisie du premier n’étant encore que la route qui mène au second.
La cause en est que l’objet du désir de l’homme n’est pas de jouir une seule fois et pendant un
seul instant, mais de rendre à jamais sûre la route de son désir futur. Aussi les actions volontaires
et les inclinations de tous les hommes ne tendent-elles pas seulement à leur procurer, mais aussi à
leur assurer une vie satisfaite. Elles diffèrent des passions chez les divers individus, et, pour une
autre part, de la différence touchant la connaissance ou l’opinion qu’a chacun des causes qui
produisent l’effet désiré.
Aussi, je mets au premier rang, à titre d’inclination générale de toute l’humanité, un désir
perpétuel et sans trêve d’acquérir pouvoir après pouvoir, désir qui ne cesse qu’à la mort. La cause
n’en est pas toujours qu’on espère un plaisir plus intense que celui qu’on a déjà réussi à atteindre,
ou qu’on ne peut pas se contenter d’un pouvoir modéré : mais plutôt qu’on ne peut pas rendre
sûrs, sinon en en acquérant davantage, le pouvoir et les moyens dont dépend le bien-être qu’on
possède présentement.
HOBBES
- 621 -
[622] SUJET N° 622 - N/R - 1999 - Série L - AMERIQUE DU SUD - SESSION NORMALE
Concernant la partie des créatures qui est vivante, bien que dépourvue de raison, un traitement
violent et en même temps cruel des animaux est opposé au devoir de l’homme envers lui-même,
parce qu’ainsi la sympathie à l’égard de leurs souffrances se trouve émoussée en l’homme et que
cela affaiblit et peu à peu anéantit une disposition naturelle très profitable à la moralité dans la
relation avec les autres hommes. Cela est vrai quand bien même, dans ce qui est permis à
l’homme, s’inscrit le fait de tuer rapidement (d’une manière qui évite de les torturer) les animaux,
ou encore de les astreindre à un travail (ce à quoi, il est vrai, les hommes eux aussi doivent se
soumettre), à condition simplement qu’il n’excède pas leurs forces ; à l’inverse, il faut avoir en
horreur les expériences physiques qui les martyrisent pour le simple bénéfice de la spéculation,
alors que, même sans elles, le but pourrait être atteint. Même la reconnaissance pour les services
longtemps rendus par un vieux cheval ou un vieux chien (comme s’ils étaient des personnes de la
maison) appartient indirectement aux devoirs de l’homme, à savoir au devoir conçu en
considération de ces animaux, mais cette reconnaissance, envisagée directement, n’est jamais
qu’un devoir de l’homme envers lui-même.
KANT
- 622 -
[623] SUJET N° 623 - N/R - 1999 - Série L - LA REUNION - SESSION NORMALE
Qu’elle [la science moderne] ait créé la méthode expérimentale, c’est certain ; mais cela ne veut
pas dire qu’elle ait élargi de tous côtés le champ d’expériences où l’on travaillait avant elle. Bien
au contraire, elle l’a rétréci sur plus d’un point ; et c’est d’ailleurs ce qui a fait sa force. Les
anciens avaient beaucoup observé, et même expérimenté. Mais ils observaient au hasard, dans
n’importe quelle direction. En quoi consista la création de la « méthode expérimentale » ? A
prendre des procédés d’observation et d’expérimentation qu’on pratiquait déjà, et, plutôt que de
les appliquer dans toutes les directions possibles, à les faire converger sur un seul point, la
mesure, - la mesure de telle ou telle grandeur variable qu’on soupçonnait être fonction de telles
ou telles autres grandeurs variables, également à mesurer. La « loi », au sens moderne du mot, est
justement l’expression d’une relation constante entre des grandeurs qui varient. La science
moderne est donc fille des mathématiques ; elle est née le jour où l’algèbre eut acquis assez de
force et de souplesse pour enlacer la réalité et la prendre dans le filet de ses calculs.
BERGSON
- 623 -
[624] SUJET N° 624 - N/R - 1999 - Série L - ETRANGER GROUPE 1 - SESSION NORMALE
Ramener quelque chose d’inconnu à quelque chose de connu, cela soulage, rassure, satisfait, et
procure en outre un sentiment de puissance. Avec l’inconnu, c’est le danger, l’inquiétude, le
souci qui apparaissent – le premier mouvement instinctif vise à éliminer ces pénibles
dispositions. Premier principe : n’importe quelle explication vaut mieux que pas d’explication du
tout. Comme au fond il ne s’agit que d’un désir de se débarrasser d’explications angoissantes, on
ne se montre pas très exigeant sur les moyens de les chasser : la première idée par laquelle
l’inconnu se révèle connu fait tant de bien qu’on la « tient pour vraie ». La preuve du plaisir (ou
de l’efficacité) comme critère de la vérité… Ainsi, l’instinct de causalité est provoqué et excité
par le sentiment de crainte. Aussi souvent que possible le « pourquoi ? » ne doit pas tant donner
la cause pour elle-même qu’une certaine sorte de cause : une cause rassurante, qui délivre et
soulage.
NIETZSCHE
- 624 -
[625] SUJET N° 625 - N/R - 1999 - Série L - JAPON - SESSION NORMALE
La volonté qui ne se décide pas n’est pas une volonté effective. L’homme sans caractère ne
parvient jamais à se décider. La cause de l’indécision peut également résider dans une certaine
délicatesse de l’âme, laquelle sait qu’en se déterminant, elle s’engage dans la finitude, se donne
des limites en abandonne ainsi l’infinité ; mais elle ne veut pas renoncer à la totalité qu’elle a en
vue. Une telle âme est une âme morte, même si elle veut être une belle âme. Goethe dit [...] que
celui qui veut accomplir quelque chose de grand doit savoir se limiter. Ce n’est que par la
décision que l’homme entre dans la réalité effective, même s’il doit lui en coûter beaucoup.
L’inertie reste absorbée dans ses pensées et n’en veut pas sortir, car elle se ménage ainsi une
possibilité universelle. C’est pourquoi la volonté sûre d’elle-même ne va pas à sa perte en se
déterminant.
HEGEL
- 625 -
[626] SUJET N° 626 - N/R - 1999 - Série L - NOUVELLE-CALEDONIE - SESSION
NORMALE
Je change donc sans cesse. Mais ce n’est pas assez dire. Le changement est bien plus radical
qu’on ne le croirait d’abord.
Je parle en effet de chacun de mes états comme s’il formait un bloc. Je dis bien que je change,
mais le changement m’a l’air de résider dans le passage d’un état à l’état suivant : de chaque état,
pris à part, J’aime à croire qu’il reste ce qu’il est pendant tout le temps qu’il se produit. Pourtant,
un léger effort d’attention me révélerait qu’il n’y a pas d’affection, pas de représentation, pas de
volition (1) qui ne se modifie à tout moment ; si un état d’âme cessait de varier, sa durée cesserait
de couler. Prenons le plus stable des états internes, la perception visuelle d’un objet extérieur
immobile. L’objet a beau rester le même, j’ai beau le regarder du même côté, sous le même
angle, au même jour : la vision que j’ai n’en diffère pas moins de celle que je viens d’avoir,
quand ce ne serait que parce qu’elle a vieilli d’un instant. Ma mémoire est là, qui pousse quelque
chose de ce passé dans ce présent. Mon état d’âme, en avançant sur la route du temps, s’enfle
continuellement de la durée qu’il ramasse ; il fait, pour ainsi dire, boule de neige avec lui-même.
A plus forte raison en est-il ainsi des états plus profondément intérieurs, sensations, affections,
désirs, etc., qui ne correspondent pas, comme une simple perception visuelle, à un objet extérieur
invariable. Mais il est commode de ne pas faire attention à ce changement ininterrompu, et de ne
le remarquer que lorsqu’il devient assez gros pour imprimer au corps une nouvelle attitude, à
l’attention une direction nouvelle. A ce moment précis on trouve qu’on a changé d’état. La vérité
est qu’on change sans cesse, et que l’état lui-même est déjà du changement.
BERGSON
(1) « volition » : acte de vouloir.
- 626 -
[627] SUJET N° 627 - AN1-PH - 1999 - Série S - ANTILLES - SESSION NORMALE
Il faut donc qu’une œuvre d’art soit faite, terminée, et solide. Et cela va jusqu’au détail, comme
on verra, puisque ce qui n’est pas pris dans la masse ne peut pas orner. C’est pourquoi
l’improvisation sans règles n’est jamais belle ; c’est l’art de l’orateur qui parvient à fixer un
simple récit dans la masse de son discours. Disons qu’aucune conception n’est œuvre. Et c’est
l’occasion d’avertir tout artiste qu’il perd son temps à chercher parmi les simples possibles quel
serait le plus beau ; car aucun possible n’est beau ; le réel seul est beau. Faites donc et jugez
ensuite. Telle est la première condition en tout art, comme la parenté des mots artiste et artisan le
fait bien entendre ; mais une réflexion suivie sur la nature de l’imagination conduit bien plus
sûrement à cette importante idée, d’après laquelle toute méditation sans objet réel est
nécessairement stérile. Pense ton œuvre, oui, certes ; mais on ne pense que ce qui est : fais donc
ton œuvre.
ALAIN
- 627 -
[628] SUJET N° 628 - AN3-PH - 1999 - Série S - ANTILLES - SESSION REMPL.
A vrai dire, certains de ces êtres (1) n’offrent pas un aspect agréable ; mais la connaissance du
plan de la Nature en eux réserve à ceux qui peuvent saisir les causes, ceux qui ont le naturel
philosophique, des jouissances inexprimables. En vérité, il serait déraisonnable et absurde que
nous trouvions du plaisir à contempler les images de ces êtres, parce que nous y saisissons en
même temps le talent du sculpteur et du peintre, et que, les examinant en eux-mêmes, dans leur
organisation par la Nature, nous n’éprouvions pas une joie plus grande encore de cette
contemplation, au moins si nous pouvons saisir l’enchaînement des causes. Il ne faut donc pas
céder à une répugnance enfantine et nous détourner de l’étude du moindre de ces animaux. En
toutes les parties de la Nature il y a des merveilles ; on dit qu’Héraclite, à des visiteurs étrangers
qui, l’ayant trouvé se chauffant au feu de sa cuisine, hésitaient à entrer, fit cette remarque :
« Entrez, il y a des dieux aussi dans la cuisine ». Eh bien, de même, entrons sans dégoût dans
l’étude de chaque espèce animale : en chacune, il y a de la nature et de la beauté.
ARISTOTE
(1) : il s’agit des êtres vivants.
- 628 -
[629] SUJET N° 629 - PHSCL1 - 1999 - Série S - LIBAN - SESSION NORMALE
En histoire des sciences, il faut nécessairement comprendre, mais juger (1). Là est vraie plus
qu’ailleurs cette opinion : « Ce n’est que par la plus grande force du présent que doit être
interprété le passé ».
L’histoire des empires et des peuples a pour idéal, à juste titre, le récit objectif des faits ; elle
demande à l’historien de ne pas juger et si l’historien impose les valeurs de son temps à la
détermination des valeurs des temps disparus, on l’accuse, avec raison, de suivre le « mythe du
progrès ».
Mais voici une différence évidente : pour la pensée scientifique, le progrès est démontré, il est
démontrable, sa démonstration est même un élément pédagogique indispensable pour le
développement de la culture scientifique. Autrement dit, le progrès est la dynamique même de la
culture scientifique, et c’est cette dynamique que l’histoire des sciences doit écrire. Elle doit
décrire en jugeant, en valorisant, en enlevant toute possibilité à un retour vers des notions
erronées. L’histoire des sciences ne peut insister sur les erreurs du passé qu’à titre de repoussoir.
BACHELARD
(1) « il faut nécessairement comprendre, mais juger », lire : il faut nécessairement comprendre,
mais aussi juger ».
- 629 -
[630] SUJET N° 630 - PHSCIN2 - 1999 - Série S - TUNISIE - SESSION NORMALE
L’esprit a une structure variable dès l’instant où la connaissance a une histoire. En effet, l’histoire
humaine peut bien, dans ses passions, dans ses préjugés, dans tout ce qui relève des impulsions
immédiates, être un éternel recommencement ; mais il y a des pensées qui ne recommencent pas ;
ce sont les pensées qui ont été rectifiées, élargies, complétées. Elles ne retournent pas à leur aire
restreinte ou chancelante. Or l’esprit scientifique est essentiellement une rectification du savoir,
un élargissement des cadres de la connaissance. Il juge son passé historique en le condamnant. Sa
structure est la conscience de ses fautes historiques. Scientifiquement, on pense le vrai comme
rectification historique d’une longue erreur, on pense l’expérience comme rectification de
l’illusion commune et première.
BACHELARD
- 630 -
[631] SUJET N° 631 - MPS971 - 1999 - Série S - METROPOLE - SESSION NORMALE
Trop souvent nous nous représentons encore l’expérience comme destinée à nous apporter des
faits bruts : l’intelligence, s’emparant de ces faits, les rapprochant les uns des autres, s’élèverait
ainsi à des lois de plus en plus hautes. Généraliser serait donc une fonction, observer en serait une
autre. Rien de plus faux que cette conception du travail de synthèse, rien de plus dangereux pour
la science et pour la philosophie. Elle a conduit à croire qu’il y avait un intérêt scientifique à
assembler des faits pour rien, pour le plaisir, à les noter paresseusement et même passivement, en
attendant la venue d’un esprit capable de les dominer et de les soumettre à des lois. Comme si
une observation scientifique n’était pas toujours la réponse à une question, précise ou confuse !
Comme si des observations notées passivement à la suite les unes des autres étaient autre chose
que des réponses décousues à des questions posées au hasard ! Comme si le travail de
généralisation consistait à venir, après coup, trouver un sens plausible à ce discours incohérent.
BERGSON
- 631 -
[632] SUJET N° 632 - AN2-PH - 1999 - Série S - ESPAGNE - SESSION NORMALE
On introduit souvent une différence entre ce que l’homme est intérieurement et ses actes. Cette
distinction n’a aucune vérité dans l’histoire. L’homme s’identifie à la série de ses actes. On
s’imagine que l’intention peut être excellente même si les actes ne valent rien. Certes, il peut
arriver dans certains cas que l’homme dissimule ses intentions, mais c’est là une situation à part.
La vérité oblige à dire que l’extérieur ne saurait se différencier de l’intérieur. C’est surtout dans
l’histoire qu’il faut écarter les subtilités concernant des distinctions momentanées. Les peuples
valent ce que valent leurs actes. Et leurs actes traduisent leurs buts.
HEGEL
- 632 -
[633] SUJET N° 633 - MPS972 - 1999 - Série S - METROPOLE - SESSION REMPL.
Dans la vie courante, on a coutume, il est vrai, de parler de belles couleurs, d’un beau ciel, d’un
beau torrent, et encore de belles fleurs, de beaux animaux et même de beaux hommes. Nous ne
voulons pas ici nous embarquer dans la question de savoir dans quelle mesure la qualité de beauté
peut être attribuée légitimement à de tels objets et si en général le beau naturel peut être mis en
parallèle avec le beau artistique. Mais il est permis de soutenir dès maintenant que le beau
artistique est plus élevé que le beau dans la nature. Car la beauté artistique est la beauté (...) née
de l’esprit. Or autant l’esprit et ses créations sont plus élevés que la nature et ses manifestations,
autant le beau artistique est lui aussi plus élevé que la beauté de la nature. Même, abstraction faite
du contenu, une mauvaise idée, comme il nous en passe par la tête, est plus élevée que n’importe
quel produit naturel ; car en une telle idée sont présents toujours l’esprit et la liberté.
HEGEL
- 633 -
[634] SUJET N° 634 - PHSCIN1 - 1999 - Série S - INDE - SESSION NORMALE
La plupart des inventions humaines sont sujettes au changement. Elles dépendent de l’humeur et
du caprice, sont à la mode pour un temps et sombrent ensuite dans l’oubli. On peut sans doute
craindre qu’il faille placer la justice sur le même plan si l’on accorde qu’elle est une invention
humaine. Mais les deux cas sont largement différents. L’intérêt sur lequel la justice se fonde est
le plus grand que l’on puisse imaginer et il s’étend à tous les lieux et tous les temps ; il n’est pas
possible qu’une autre invention puisse le servir ; c’est un intérêt évident, qui se révèle dès la toute
première formation de la société : toutes ces causes font que les règles de justice sont constantes
et immuables, au moins aussi immuables que la nature humaine.
HUME
- 634 -
[635] SUJET N° 635 - PHSCHN1 - 1999 - Série S - SPORTIFS HAUT NIVEAU - SESSION
NORMALE
Le véritable champ du génie est celui de l’imagination, parce qu’elle est créatrice et qu’elle se
trouve moins que d’autres facultés sous la contrainte des règles ; ce qui la rend d’autant plus
capable d’originalité. La démarche mécanique de l’enseignement, en forçant à toute heure l’élève
à l’imitation, est assurément préjudiciable à la levée de germe du génie, en son originalité. Tout
art réclame cependant certaines règles mécaniques fondamentales, celle de l’adéquation de
l’œuvre à l’idée sous-jacente, c’est-à-dire la vérité dans la représentation de l’objet conçu en
pensée. Cette exigence doit être apprise avec la rigueur de l’école, elle est à la vérité un effet de
l’imitation. Quant à libérer l’imagination de cette contrainte et à laisser le talent hors du banal
procéder sans règle et s’exalter jusqu’à contredire la nature, cela pourrait bien donner une folie
originale qui ne serait tout de même pas exemplaire, et ne pourrait donc pas non plus être rangée
dans le génie.
KANT
- 635 -
[636] SUJET N° 636 - PHSCLR1 - 1999 - Série S - LA REUNION - SESSION NORMALE
Le monde sensible n’est pas un objet donné directement de toute éternité et sans cesse semblable
à lui-même, mais le produit de l’industrie et de l’état de la société, et cela en ce sens qu’il est un
produit historique, le résultat de l’activité de toute une série de générations dont chacune se
hissait sur les épaules de la précédente, perfectionnait son industrie et son commerce et modifiait
son régime social en fonction de la transformation des besoins.
Les objets de la certitude sensible la plus simple ne sont eux-mêmes donnés que par le
développement social, l’industrie et les échanges commerciaux. On sait que le cerisier, comme
presque tous les arbres fruitiers, a été transplanté sous nos latitudes par le commerce, il y a peu de
siècles seulement, et ce n’est donc que grâce à cette action d’une société déterminée à une époque
déterminée qu’il fut donnée à la certitude sensible.
MARX
- 636 -
[637] SUJET N° 637 - PHSCAN1 - 1999 - Série S - AMERIQUE DU NORD - SESSION
NORMALE
Il faut voir en quoi consiste le mensonge. Il ne suffit pas de dire quelque chose de faux pour
mentir, si par exemple on croit, ou si on a l’opinion que ce que l’on dit est vrai. Il y a d’ailleurs
une différence entre croire et avoir une opinion : parfois, celui qui croit sent qu’il ignore ce qu’il
croit, bien qu’il ne doute en rien de la chose qu’il sait ignorer, tant il y croit fermement ; celui qui,
en revanche, a une opinion, estime qu’il sait que ce qu’il ne sait pas.
Or quiconque énonce un fait que, par croyance ou opinion, il tient pour vrai, même si ce fait est
faux, ne ment pas. Il le doit à la foi qu’il a en ses paroles, et qui lui fait dire ce qu’il pense ; il le
pense comme il le dit. Bien qu’il ne mente pas, il n’est pas cependant sans faute, s’il croit des
choses à ne pas croire, ou s’il estime savoir ce qu’il ignore, quand bien même ce serait vrai. Il
prend en effet l’inconnu pour le connu.
Est donc menteur celui qui pense quelque chose en son esprit, et qui exprime autre chose dans ses
paroles, ou dans tout autre signe.
AUGUSTIN
- 637 -
[638] SUJET N° 638 - N/R - 1999 - Série S - NOUVELLE-CALEDONIE - SESSION
NORMALE
Tous ces coureurs se donnent bien de la peine. Tous ces joueurs de ballon se donnent bien de la
peine. Tous ces boxeurs se donnent bien de la peine. On lit partout que les hommes cherchent le
plaisir ; mais cela n’est pas évident ; il semble plutôt qu’ils cherchent la peine et qu’ils aiment la
peine. Le vieux Diogène (1) disait : « Ce qu’il y a de meilleur c’est la peine ». On dira là-dessus
qu’ils trouvent tous leur plaisir dans cette peine qu’ils cherchent ; mais c’est jouer sur les mots ;
c’est bonheur et non plaisir qu’il faudrait dire ; et ce sont deux choses très différentes, aussi
différentes que l’esclavage et la liberté.
On veut agir, on ne veut pas subir. Tous ces hommes qui se donnent tant de peine n’aiment sans
doute pas le travail forcé ; personne n’aime le travail forcé ; personne n’aime les maux qui
tombent ; personne n’aime sentir la nécessité. Mais aussitôt que je me donne librement de la
peine, me voilà content.
ALAIN
(1) Philosophe grec de l’Antiquité.
- 638 -
[639] SUJET N° 639 - N/R - 1999 - Série S - POLYNESIE - SESSION NORMALE
S’écoulant dans le lit assuré du bon sens, la philosophie naturelle (1) produit au mieux une
rhétorique de vérités triviales. Lui reproche-t-on l’insignifiance de ce qu’elle présente, elle assure
en réplique que le sens et le contenu sont présents dans son cœur et doivent être aussi dans le
cœur des autres ; elle a en effet, à son avis, prononcé l’ultime parole en parlant de l’innocence du
cœur et de la pureté de la conscience morale, à quoi on ne peut rien objecter, et au-delà de quoi
on ne peut rien demander. Cependant, ce qu’il fallait faire c’était ne pas laisser le meilleur au
fond du cœur, mais le tirer du puits pour l’exposer à la lumière du jour. (...) Puisque le sens
commun fait appel au sentiment, son oracle intérieur, il rompt tout contact avec qui n’est pas de
son avis, il est ainsi contraint d’expliquer qu’il n’a rien d’autre à dire à celui qui ne trouve pas et
ne sent pas en soi-même la même vérité ; en d’autres termes, il foule aux pieds la racine de
l’humanité, car la nature de l’humanité, c’est de tendre à l’accord mutuel ; son existence est
seulement dans la communauté instituée des consciences.
HEGEL
(1) « philosophie naturelle » : façon de penser du sens commun.
- 639 -
[640] SUJET N° 640 - N/R - 1999 - Série S - POLYNESIE - SESSION REMPL.
La persuasion commune du vulgaire semble être différente. La plupart en effet semblent croire
qu’ils sont libres dans la mesure où il leur est permis d’obéir à l’appétit sensuel et qu’ils
renoncent à leurs droits dans la mesure où ils sont astreins à vivre suivant les prescriptions de la
loi divine. La moralité donc et la religion, et absolument parlant tout ce qui se rapporte à la force
d’âme, ils croient que ce sont des fardeaux dont ils espèrent être déchargés après la mort pour
recevoir le prix de la servitude, c’est-à-dire de la moralité et de la religion, et ce n’est pas
seulement cet espoir, c’est aussi et principalement la crainte d’être punis d’affreux supplices
après la mort qui les induit à vivre suivant les prescriptions de la loi divine autant que leur
petitesse et leur impuissance intérieure le permettent. Et, si les hommes n’avaient pas cet espoir et
cette crainte, s’ils croyaient au contraire que les âmes périssent avec le corps et que les
malheureux, épuisés par le fardeau de la moralité, n’ont devant eux aucune vie à venir, ils
reviendraient à leur complexion (1) et voudraient tout gouverner suivant leur appétit sensuel et
obéir à la fortune plutôt qu’à eux-mêmes. Ce qui ne me paraît pas moins absurde que si
quelqu’un, parce qu’il ne croit pas pouvoir nourrir son corps de bons aliments dans l’éternité,
aimait mieux se saturer de poisons et de substances mortifères, ou parce qu’on croit que l’âme
n’est pas éternelle ou immortelle, on aimait mieux être dément et vivre sans raison ; absurdités
telles qu’elles méritent à peine d’être relevées.
SPINOZA
(1) « leur complexion » : leurs tendances naturelles.
- 640 -
[641] SUJET N° 641 - N/R - 1999 - Série S - ETRANGER GROUPE 1 - SESSION NORMALE
On demande comment un homme peut être libre, et forcé de se conformer à des volontés qui ne
sont pas les siennes. Comment les opposants sont-ils libres et soumis à des lois auxquelles ils
n’ont pas consenti ? Je réponds que la question est mal posée. Le citoyen consent à toutes les lois,
même à celles qu’on passe malgré lui, et même à celles qui le punissent quand il ose en violer
quelqu’une. La volonté constante de tous les membres de l’Etat est la volonté générale : c’est par
elle qu’ils sont citoyens et libres. Quand on propose une loi dans l’assemblée du peuple, ce qu’on
leur demande n’est pas précisément s’ils approuvent la proposition ou s’ils la rejettent, mais si
elle est conforme ou non à la volonté générale qui est la leur ; chacun en donnant son suffrage dit
son avis là-dessus, et du calcul des voix se tire la déclaration de la volonté générale. Quand donc
l’avis contraire au mien l’emporte, cela ne prouve autre chose sinon que je m’étais trompé, et que
ce que j’estimais être la volonté générale ne l’était pas. Si mon avis particulier l’eût emporté,
j’aurais fait autre chose que ce que j’avais voulu, c’est alors que je n’aurais pas été libre.
ROUSSEAU
- 641 -
[642] SUJET N° 642 - N/R - 1999 - Série S - JAPON - SESSION NORMALE
Tous ces particuliers mercenaires, que le peuple appelle sophistes et regarde comme ses rivaux,
n’enseignent pas d’autres maximes que celles que le peuple lui-même professe dans les
assemblées, et c’est là ce qu’ils appellent sagesse. On dirait un homme qui, après avoir observé
les mouvements instinctifs et les appétits d’un animal grand et robuste, par où il faut l’approcher
et par où le toucher, quand et pourquoi il s’irrite ou s’apaise, quels cris il a coutume de pousser en
chaque occasion, et quel ton de voix l’adoucit ou l’effarouche, après avoir appris tout cela par
une longue expérience, l’appellerait sagesse, et l’ayant systématisé en une sorte d’art, se mettrait
à l’enseigner, bien qu’il ne sache vraiment ce qui, de ces habitudes et de ces appétits, est beau ou
laid, bon ou mauvais, juste ou injuste ; se conformant dans l’emploi de ces termes aux instincts
du grand animal ; appelant bon ce qui le réjouit, et mauvais ce qui l’importune, sans pouvoir
légitimer autrement ces qualifications ; nommant juste et beau le nécessaire, parce qu’il n’a pas
vu et n’est point capable de montrer aux autres combien la nature du nécessaire diffère, en réalité,
de celle du bon. Un tel homme, par Zeus ! ne te semblerait-il pas un étrange éducateur ?
PLATON
- 642 -
[643] SUJET N° 643 - N/R - 1999 - Série L - JAPON - SESSION REMPL.
Rien n’est plus certain : les hommes sont en grande part gouvernés par l’intérêt, et même
lorsqu’ils portent leur préoccupation au-delà d’eux-mêmes, cela ne va pas très loin ; dans la vie
courante, il ne leur est pas habituel de regarder plus loin que leurs amis et leurs relations les plus
proches. Il n’est pas moins certain qu’il leur est impossible de servir leur intérêt d’une manière
aussi efficace qu’au moyen d’une observance universelle et inflexible des règles de justice, qui
seules leur permettent de maintenir la société et de s’empêcher de tomber dans cette condition
misérable et sauvage que l’on représente couramment comme l’état de nature. De même que
l’intérêt qu’ont tous les hommes à soutenir l’édifice de la société et à observer les règles de
justice est grand, de même il est tangible et manifeste, y compris pour ceux qui sont les plus
primitifs et les moins cultivés de la race humaine, et il est presque impossible que celui qui a fait
l’expérience de la société se méprenne sur ce point.
HUME
- 643 -
[644] SUJET N° 644 - N/R - 1999 - Série S - AMERIQUE DU SUD - SESSION NORMALE
Qu’est-ce qu’un inconscient ? C’est un homme qui ne se pose pas de question. Celui qui agit avec
vitesse et sûreté ne se pose pas de question ; il n’en a pas le temps. Celui qui suit son désir ou son
impulsion sans s’examiner soi-même n’a point non plus occasion de parler, comme Ulysse, à son
propre cœur, ni de dire Moi, ni de penser Moi. En sorte que, faute d’examen moral, il manque
aussi de cet examen contemplatif qui fait qu’on dit : « Je sais que je sais ; je sais que je désire ; je
sais que je veux ». Pour prendre conscience, il faut se diviser soi-même. Ce que les passionnés,
dans le paroxysme, ne font jamais ; ils sont tout entiers à ce qu’ils font et à ce qu’ils disent ; et par
là ils ne sont point du tout pur eux-mêmes. Cet état est rare. Autant qu’il reste de bon sens en un
homme, il reste des éclairs de penser à ce qu’il dit ou à ce qu’il fait ; c’est se méfier de soi ; c’est
guetter de soi l’erreur ou la faute. Peser, penser, c’est le même mot ; ne le ferait-on qu’un petit
moment, c’est cette chaîne de points clairs qui fait encore le souvenir. Qui s’emporte sans
scrupule aucun, sans hésitation aucune, sans jugement aucun ne sait plus ce qu’il fait, et ne saura
jamais ce qu’il a fait.
ALAIN
- 644 -
[645] SUJET N° 645 - N/R - 1999 - Série S - AMERIQUE DU SUD - SESSION REMPL.
La vérité, dit-on, consiste dans l’accord de la connaissance avec l’objet. Selon cette simple
définition de mot, ma connaissance doit donc s’accorder avec l’objet pour avoir valeur de vérité.
Or le seul moyen que j’ai de comparer l’objet avec ma connaissance c’est que je le connaisse.
Ainsi ma connaissance doit se confirmer elle-même ; mais c’est bien loin de suffire à la vérité.
Car puisque l’objet est hors de moi et que la connaissance est en moi, tout ce que je puis
apprécier c’est si ma connaissance de l’objet s’accorde avec ma connaissance de l’objet. Les
anciens appelaient diallèle un tel cercle (1) dans la définition. Et effectivement c’est cette faute
que les sceptiques n’ont cessé de reprocher aux logiciens ; ils remarquaient qu’il en est de cette
définition de la vérité comme d’un homme qui ferait une déposition au tribunal et invoquerait
comme témoin quelqu’un que personne ne connaît, mais qui voudrait être cru en affirmant que
celui qui l’invoque comme témoin est un honnête homme. Reproche absolument fondé, mais la
solution du problème en question est totalement impossible pour tout le monde. En fait la
question qui se pose est de savoir si, et dans quelle mesure il y a un critère de la vérité certain,
universel et pratiquement applicable. Car tel est le sens de la question : qu’est-ce que la vérité ?
KANT
(1) « cercle » : cercle vicieux.
- 645 -
[646] SUJET N° 646 - RAGPH - 1999 - Série ES - ANTILLES - SESSION REMPL.
Dès que le plus faible des hommes a compris qu’il peut garder son pouvoir de juger, tout pouvoir
extérieur tombe devant celui-là. Car il faut que tout pouvoir persuade. Il a des gardes, c’est donc
qu’il a persuadé ses gardes. Par un moyen ou par un autre, promesse ou menace ; si les gardes
refusent de croire, il n’y a plus de tyran. Mais les hommes croient aisément. Ils soumettent leur
jugement aux promesses et aux menaces. Nous ne le voyons que trop. Ce n’est pas peu de
dissoudre d’abord cette force politique, qui se présente à l’esprit sous les apparences d’une force
mécanique. Toute force politique agit par les esprits et sur les esprits. Les armées sont armées par
l’opinion. Dès que les citoyens refusent d’approuver et de croire, les canons et les mitrailleuses
ne peuvent plus rien.
ALAIN
- 646 -
[647] SUJET N° 647 - NAGPH - 1999 - Série ES - ANTILLES - SESSION NORMALE
Il est manifeste (...) que la cité fait partie des choses naturelles, et que l’homme est par nature un
animal politique, et que celui qui est hors cité, naturellement bien sûr et non par le hasard des
circonstances, est soit un être dégradé soit un être surhumain, et il est comme celui qui est décrié
en ces termes par Homère : « sans famille, sans loi, sans maison ». Car un tel homme est du
même coup naturellement passionné de guerre, étant comme un pion isolé dans un jeu. C’est
pourquoi il est évident que l’homme est un animal politique plus que n’importe quelle abeille et
que n’importe quel animal grégaire. Car, comme nous le disons, la nature ne fait rien en vain ; or
seul parmi les animaux l’homme a un langage. Certes la voix est le signe du douloureux et de
l’agréable, aussi la rencontre-t-on chez les animaux ; leur nature, en effet, est parvenue jusqu’au
point d’éprouver la sensation du douloureux et de l’agréable et de se les signifier mutuellement.
Mais le langage existe en vue de manifester l’avantageux et le nuisible, et par suite aussi le juste
et l’injuste. Il n’y a en effet qu’une chose qui soit propre aux hommes par rapport aux autres
animaux : le fait que seuls ils aient la perception du bien, du mal, du juste, de l’injuste et des
autres notions de ce genre. Or avoir de telles notions en commun c’est ce qui fait une famille et
une cité.
ARISTOTE
- 647 -
[648] SUJET N° 648 - PHESHN1 - 1999 - Série ES - SPORTIFS HAUT NIVEAU - SESSION
NORMALE
Devant le réel le plus complexe, si nous étions livrés à nous-mêmes, c’est du côté du pittoresque,
du pouvoir évocateur que nous chercherions la connaissance : le monde serait notre
représentation. Par contre, si nous étions livrés tout entiers à la société, c’est du côté du général,
de l’utile, du convenu, que nous chercherions la connaissance : le monde serait notre convention.
En fait, la vérité scientifique est une prédiction, mieux, une prédication. Nous appelons les esprits
à la convergence en annonçant la nouvelle scientifique, en transmettant du même coup une
pensée et une expérience, liant la pensée à l’expérience dans une vérification : le monde
scientifique est donc notre vérification.
BACHELARD
- 648 -
[649] SUJET N° 649 - RP6PH - 1999 - Série ES - POLYNESIE - SESSION REMPL.
Mais il me semble que la différence qui est entre les plus grandes âmes et celles qui sont basses et
vulgaires, consiste, principalement, en ce que les âmes vulgaires se laissent aller à leurs passions,
et ne sont heureuses ou malheureuses, que selon que les choses qui leur surviennent sont
agréables ou déplaisantes ; au lieu que les autres ont des raisonnements si forts et si puissants
que, bien qu’elles aient aussi des passions et même souvent de plus violentes que celles du
commun, leur raison demeure néanmoins toujours la maîtresse, et fait que les afflictions même
leur servent, et contribuent à la parfaite félicité dont elles jouissent dès cette vie. Car, d’une part,
se considérant comme immortelles et capables de recevoir de très grands contentements, puis,
d’autre part, considérant qu’elles sont jointes à des corps mortels et fragiles, qui sont sujets à
beaucoup d’infirmités, et qui ne peuvent manquer de périr dans peu d’années, elles font bien tout
ce qui est en leur pouvoir pour se rendre la fortune (1) favorable en cette vie, mais néanmoins
elles l’estiment si peu, au regard de l’éternité, qu’elles n’en considèrent quasi les événements que
comme nous faisons ceux des comédies. Et comme les histoires tristes et lamentables, que nous
voyons représenter sur un théâtre, nous donnent souvent autant de récréation que les gaies, bien
qu’elles tirent des larmes de nos yeux ; ainsi ces plus grandes âmes, dont je parle, ont de la
satisfaction en elles-mêmes, de toutes les choses qui leur arrivent, même les plus fâcheuses et
insupportables.
DESCARTES
(1) « la fortune » : le hasard.
- 649 -
[650] SUJET N° 650 - 9PHESLI1 - 1999 - Série ES - LIBAN - SESSION NORMALE
Est libre l’homme qui ne rencontre pas d’obstacles et qui a tout à sa disposition comme il veut.
L’homme qui peut être arrêté, contraint, entravé ou jeté malgré lui dans quelque entreprise est un
esclave. Mais quel est celui qui ne rencontre pas d’obstacles ? C’est celui qui ne désire rien qui
lui soit étranger. Et qu’est-ce qui nous est étranger ? C’est ce qu’il ne dépend pas de nous d’avoir
ou de ne pas avoir, ni d’avoir avec telle qualité dans telles conditions. Ainsi le corps nous est-il
étranger, étrangères ses parties, étrangère notre fortune ; si tu t’attaches à l’une de ces choses
comme à ton bien propre, tu subiras le châtiment que mérite celui qui convoite des choses
étrangères. Telle est la route qui conduit à la liberté, le seul moyen de nous affranchir de
l’esclavage.
EPICTETE
- 650 -
[651] SUJET N° 651 - 9PHESME3 - 1999 - Série ES - METROPOLE - SESSION REMPL.
L’idée essentielle qu’il nous faut noter est que, même si le talent et le génie de l’artiste
comportent un moment naturel (1), ce moment n’en demande pas moins essentiellement à être
formé et éduqué par la pensée, de même qu’il nécessite une réflexion sur le mode de sa
production ainsi qu’un savoir-faire exercé et assuré dans l’exécution. Car l’un des aspects
principaux de cette production est malgré tout un travail extérieur, dès lors que l’œuvre d’art a un
côté purement technique qui confine à l’artisanal, surtout en architecture et en sculpture, un peu
moins en peinture et en musique, et dans une faible mesure encore en poésie. Pour acquérir en ce
domaine un parfait savoir-faire, ce n’est pas l’inspiration qui peut être d’un quelconque secours,
mais seulement la réflexion, l’application et une pratique assidue. Or il se trouve qu’un tel savoirfaire est indispensable à l’artiste s’il veut se rendre maître du matériau extérieur et ne pas être
gêné par son âpre résistance.
HEGEL
(1) « moment naturel » : don.
- 651 -
[652] SUJET N° 652 - NP6PH - 1999 - Série ES - POLYNESIE - SESSION NORMALE
Le problème d’une constitution, fût-ce pour un peuple de démons (qu’on me pardonne ce qu’il y
a de choquant dans l’expression) n’est pas impossible à résoudre, pourvu que ce peuple soit doué
d’entendement : « une multitude d’êtres raisonnables souhaitent tous pour leur conservation des
lois universelles, quoique chacun d’eux ait un penchant secret à s’en excepter soi-même. Il s’agit
de leur donner une constitution qui enchaîne tellement leurs passions personnelles l’une par
l’autre, que, dans leur conduite extérieure, l’effet en soit aussi insensible que s’ils n’avaient pas
du tout ces dispositions hostiles ». Pourquoi ce problème serait-il insoluble ? Il n’exige pas qu’on
obtienne l’effet désiré d’une réforme morale des hommes. Il demande uniquement comment on
pourrait tirer parti du mécanisme de la nature, pour diriger tellement la contrariété des intérêts
personnels, que tous les individus, qui composent un peuple, se contraignissent eux-mêmes les
uns les autres à se ranger sous le pouvoir coercitif d’une législation, et amenassent ainsi un état
pacifique de législation.
KANT
- 652 -
[653] SUJET N° 653 - 9PHESJA1 - 1999 - Série ES - JAPON - SESSION NORMALE
Cette considération fait encore connaître qu’il y une Lumière née avec nous. Car puisque les sens
et les inductions (1) ne nous sauraient jamais apprendre des vérités tout à fait universelles, ni ce
qui est absolument nécessaire, mais seulement ce qui est, et ce qui se trouve dans des exemples
particuliers, et puisque nous connaissons cependant des vérités nécessaires et universelles des
sciences, en quoi nous sommes privilégiés au-dessus des bêtes : il s’ensuit que nous avons tiré ces
vérités en partie de ce qui est en nous. Ainsi peut-on y mener un enfant par de simples
interrogations à la manière de Socrate, sans lui rien dire, et sans le rien faire expérimenter sur la
vérité de ce qu’on lui demande. Et cela se pourrait pratiquer fort aisément dans les nombres, et
autres matières approchantes.
Je demeure cependant d’accord que, dans le présent état, les sens externes nous sont nécessaires
pour penser, et que, si nous n’en avions eu aucun, nous ne penserions pas. Mais ce qui est
nécessaire pour quelque chose, n’en fait point l’essence pour cela. L’air nous est nécessaire pour
la vie, mais notre vie est autre chose que l’air. Les sens nous fournissent de la matière pour le
raisonnement, et nous n’avons jamais des pensées si abstraites, que quelque chose de sensible ne
s’y mêle ; mais le raisonnement demande encore autre chose que ce qui est sensible.
LEIBNIZ
(1) « induction » : passage du particulier au général.
- 653 -
[654] SUJET N° 654 - 9PHESME1 - 1999 - Série ES - METROPOLE - SESSION NORMALE
Aussi longtemps que nous ne nous sentons pas dépendre de quoi que ce soit, nous nous estimons
indépendants : sophisme qui montre combien l’homme est orgueilleux et despotique. Car il admet
ici qu’en toutes circonstances il remarquerait et reconnaîtrait sa dépendance dès qu’il la subirait,
son postulat étant qu’il vit habituellement dans l’indépendance et qu’il éprouverait aussitôt une
contradiction dans ses sentiments s’il venait exceptionnellement à la perdre. - Mais si c’était
l’inverse qui était vrai, savoir qu’il constamment dans une dépendance multiforme, mais s’estime
libre quand il cesse de sentir la pression de ses chaînes du fait d’une longue accoutumance ? S’il
souffre encore, ce n’est plus que de ses chaînes nouvelles : - le « libre arbitre » ne veut
proprement rien dire d’autre que ne pas sentir ses nouvelles chaînes.
NIETZSCHE
- 654 -
[655] SUJET N° 655 - 9PHESG11 - 1999 - Série ES - ETRANGER GROUPE 1 - SESSION
NORMALE
Tant que nous aurons le corps associé à la raison dans notre recherche et que notre âme sera
contaminée par un tel mal, nous n’atteindrons jamais complètement ce que nous désirons et nous
disons que l’objet de nos désirs, c’est la vérité. Car le corps nous cause mille difficultés par la
nécessité où nous sommes de le nourrir ; qu’avec cela des maladies surviennent, nous voilà
entravés dans notre chasse au réel. Il nous remplit d’amours, de désirs, de craintes, de chimères
de toute sorte, d’innombrables sottises, si bien que, comme on dit, il nous ôte vraiment et
réellement toute possibilité de penser. Guerres, dissensions, batailles, c’est le corps seul et ses
appétits qui en sont cause ; car on ne fait la guerre que pour amasser des richesses et nous
sommes forcés d’en amasser à cause du corps, dont le service nous tient en esclavage. La
conséquence de tout cela, c’est que nous n’avons pas de loisir à consacrer à la philosophie. Mais
le pire de tout, c’est que, même s’il nous laisse quelque loisir et que nous nous mettions à
examiner quelque chose, il intervient sans cesse dans nos recherches, y jette le trouble et la
confusion et nous paralyse au point qu’il nous rend incapables de discerner la vérité.
PLATON
- 655 -
[656] SUJET N° 656 - 9PHESAN1 - 1999 - Série ES - AMERIQUE DU NORD - SESSION
NORMALE
Le cœur de l’homme est toujours droit sur tout ce qui ne se rapporte pas personnellement à lui.
Dans les querelles dont nous sommes purement spectateurs, nous prenons à l’instant le parti de la
justice, et il n’y a point d’acte de méchanceté qui ne nous donne une vive indignation, tant que
nous n’en tirons aucun profit ; mais quand notre intérêt s’y mêle, bientôt nos sentiments se
corrompent ; et c’est alors seulement que nous préférons le mal qui nous est utile, au bien que
nous fait aimer la nature. N’est-ce pas un effet nécessaire de la constitution des choses, que le
méchant tire un double avantage, de son injustice, et de la probité d’autrui ? Quel traité plus
avantageux pourrait-il faire que d’obliger le monde entier d’être juste, excepté lui seul ; en sorte
que chacun lui rendît fidèlement ce qui lui est dû, et qu’il ne rendît ce qu’il doit à personne ? Il
aime la vertu, sans doute, mais il l’aime dans les autres, parce qu’il espère en profiter ; il n’en
veut point pour lui, parce qu’elle lui serait coûteuse.
ROUSSEAU
- 656 -
[657] SUJET N° 657 - RE03RS - 1999 - Série ES - LA REUNION - SESSION NORMALE
Il y a une estime publique attachée aux différents arts (1) en raison inverse de leur utilité réelle.
Cette estime se mesure directement sur leur inutilité même, et cela doit être. Les arts les plus
utiles sont ceux qui gagnent le moins, parce que le nombre des ouvriers se proportionne au besoin
des hommes, et que le travail nécessaire à tout le monde reste forcément à un prix que le pauvre
peut payer. Au contraire, ces importants qu’on n’appelle pas artisans, mais artistes, travaillant
uniquement pour les oisifs et les riches, mettent un prix arbitraire à leurs babioles ; et, comme le
mérite de ces vains travaux n’est que dans l’opinion, leur prix même fait partie de ce mérite, et on
les estime à proportion de ce qu’ils coûtent. Le cas qu’en fait le riche ne vient pas de leur usage,
mais de ce que le pauvre ne les peut payer.
ROUSSEAU
(1) « arts » : les arts et les métiers.
- 657 -
[658] SUJET N° 658 - 430AG9905SPH - 1999 - Série TECHN. - ANTILLES - SESSION
REMPL.
Quel but l’homme poursuit-il en imitant la nature ? Celui de s’éprouver lui-même, de montrer son
habileté et de se réjouir d’avoir fabriqué quelque chose ayant une apparence naturelle. (...) Mais
cette joie et cette admiration de soi-même ne tardent pas à tourner en ennui et mécontentement, et
cela d’autant lus vite et plus facilement que l’imitation reproduit plus fidèlement le modèle
naturel. Il y a des portraits dont on a dit assez spirituellement qu’ils sont ressemblants jusqu’à la
nausée. D’une façon générale, la joie que procure une imitation réussie ne peut être qu’une joie
très relative, car dans l’imitation de la nature le contenu, la matière sont des données qu’on a que
la peine d’utiliser. L’homme devrait éprouver une joie plus grande en produisant quelque chose
qui soit bien de lui, quelque chose qui lui soit particulier et dont il puisse dire qu’il est sien. Tout
outil technique, un navire par exemple ou, plus particulièrement, un instrument scientifique doit
lui procurer plus de joie, parce que c’est sa propre œuvre, et non une imitation. Le plus mauvais
outil technique a plus de valeur à ses yeux ; il peut être fier d’avoir inventé le marteau, le clou,
parce que ce sont des inventions originales, et non imitées. L’homme montre mieux son habileté
dans des productions surgissant de l’esprit qu’en imitant la nature.
HEGEL
QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée directrice et les étapes de l’argumentation.
2° Expliquez les deux propositions suivantes :
a) « cette joie et cette admiration de soi-même ne tardent pas à tourner en ennui et
mécontentement. »
b) « L’homme devrait éprouver une joie plus grande en produisant quelque chose qui soit bien de
lui ».
3° Pourquoi les productions qui surgissent de l’esprit humain ont-elles plus de valeur que les
œuvres qui imitent la nature ?
- 658 -
[659] SUJET N° 659 - IN1-BTN - 1999 - Série TECHN. - INDE - SESSION NORMALE
La force semble être l’injustice même ; mais on parlerait mieux en disant que la force est
étrangère à la justice ; car on ne dit pas qu’un loup est injuste. Toutefois le loup raisonneur de la
fable est injuste, car il veut être approuvé ; ici se montre l’injustice, qui serait donc une prétention
d’esprit. Le loup voudrait que le mouton n’ait rien à répondre, ou tout au moins qu’un arbitre
permette ; et l’arbitre, c’est le loup lui-même. Ici les mots nous avertissent assez ; il est clair que
la justice relève du jugement, et que le succès n’y fait rien. Plaider, c’est argumenter. Rendre
justice, c’est juger. Peser des raisons, non des forces. La première justice est donc une
investigation d’esprit et un examen des raisons. Le parti pris est par lui-même injustice ; et même
celui qui se trouve favorisé, et qui de plus croit avoir raison, ne croira jamais qu’on lui a rendu
bonne justice à lui tant qu’on n’a pas fait justice à l’autre, en examinant aussi ses raisons de
bonne foi ; de bonne foi, j’entends en leur cherchant toute la force possible, ce que l’institution
des avocats réalise passablement.
ALAIN
QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée principale du texte et les différentes étapes de l’argumentation.
2° Expliquez :
a) « la force est étrangère à la justice. »
b) « le parti pris est par lui-même injustice. »
3° Le droit exige-t-il qu’aucun jugement ne soit rendu sans examen des arguments des deux
parties ?
- 659 -
[660] SUJET N° 660 - 9PHTEPO1 - 1999 - Série TECHN. - POLYNESIE - SESSION
NORMALE
On a rappelé que l’homme avait toujours inventé des machines, que l’antiquité en avait connu de
remarquable, que des dispositifs ingénieux furent imaginés bien avant l’éclosion de la science
moderne et ensuite, très souvent, indépendamment d’elle : aujourd’hui encore de simples
ouvriers, sans culture scientifique, trouvent des perfectionnements auxquels de savants ingénieurs
n’avaient pas pensé. L’invention mécanique est un don naturel. Sans doute elle a été limitée dans
ses effets tant qu’elle s’est bornée à utiliser des énergies actuelles et, en quelque sorte, visibles :
effort musculaire, force du vent ou d’une chute d’eau. La machine n’a donné tout son rendement
que du jour où l’on a su mettre à son service, par un simple déclenchement, des énergies
potentielles emmagasinées pendant des millions d’années, empruntées au soleil, disposées dans la
houille, le pétrole, etc. Mais ce jour fut celui de l’invention de la machine à vapeur, et l’on sait
qu’elle n’est pas sortie de considérations théoriques (1). Hâtons-nous d’ajouter que le progrès,
d’abord lent, s’est effectué à pas de géant lorsque la science se fut mise de la partie. Il n’en est
pas moins vrai que l’esprit d’invention mécanique, qui coule dans un lit étroit tant qu’il est laissé
à lui-même, qui s’élargit indéfiniment quand il a rencontré la science, en reste distinct et pourrait
à la rigueur s’en séparer. Tel, le Rhône entre dans le lac de Genève, paraît y mêler ses eaux, et
montre à sa sortie qu’il avait conservé son indépendance.
BERGSON
(1) Les premières machines à vapeur furent réalisées vers 1690. La théorie scientifique qui
explique leur fonctionnement date, elle, de 1824.
QUESTIONS :
1° Dégager I’idée directrice de ce texte et les étapes de son argumentation.
2°
a) Expliquez : « l’invention mécanique est un don naturel » ;
b) Que signifie l’image du fleuve à la fin du texte ?
3° Les techniques ne sont-elles qu’une application des sciences ?
- 660 -
[661] SUJET N° 661 - 9PHAAME1 - 1999 - Série STI AA - METROPOLE - SESSION
NORMALE
Qu’est-ce qu’un jugement vrai ? Nous appelons vraie l’affirmation qui concorde avec la réalité.
Mais en quoi peut consister cette concordance. Nous aimons à y voir quelque chose comme la
ressemblance du portrait au modèle : l’affirmation vraie serait celle qui copierait la réalité.
Réfléchissons-y cependant : nous verrons que c’est seulement dans des cas rares, exceptionnels,
que cette définition du vrai trouve son application. Ce qui est réel, c’est tel ou tel fait déterminé
s’accomplissant en tel ou tel point de l’espace et du temps, c’est du singulier, c’est du changeant.
Au contraire, la plupart de nos affirmations sont générales et impliquent une certaine stabilité de
leur objet. Prenons une vérité aussi voisine que possible de l’expérience, celle-ci par exemple :
« La chaleur dilate les corps ». De quoi pourrait-elle bien être la copie ? Il est possible, en un
certain sens, de copier la dilatation d’un corps déterminé, en la photographiant dans ses diverses
phases (…). Mais une vérité qui s’applique à tous les corps, sans concerner spécialement aucun
de ceux que j’ai vus, ne copie rien, ne reproduit rien.
BERGSON
QUESTIONS :
1°
a) Formulez la thèse critiquée par Bergson.
b) Quel argument lui oppose-t-il ?
2° Expliquez :
a) « ce qui est réel, c’est du singulier, c’est du changeant » ;
b) « nos affirmations sont générales et impliquent une certaine stabilité de leur objet ».
3° Faut-il renoncer à connaître ce qui est changeant ?
- 661 -
[662] SUJET N° 662 - PE1N9 - 1999 - Série TECHN. - ETRANGER GROUPE 1 - SESSION
NORMALE
L’ignorance peut être ou bien savante, scientifique, ou bien vulgaire. Celui qui voit distinctement
les limites de la connaissance, par conséquent le champ de l’ignorance, à partir d’où il commence
à s’étendre, par exemple le philosophe qui aperçoit et montre à quoi se limite notre capacité de
savoir relatif à la structure de l’or, faute de données requises à cet effet, est ignorant de façon
technique ou savante. Au contraire, celui qui est ignorant sans apercevoir les raisons des limites
de l’ignorance et sans s’en inquiéter est ignorant de façon non savante. Un tel homme ne sait
même pas qu’il ne sait rien. Car il est impossible d’avoir la représentation de son ignorance
autrement que par la science ; tout comme un aveugle ne peut se représenter l’obscurité avant
d’avoir recouvré la vue.
Ainsi la connaissance de notre ignorance suppose que nous ayons la science et du même coup
nous rend modeste, alors qu’au contraire s’imaginer savoir gonfle la vanité.
KANT
QUESTIONS :
1° Quelle est l’idée principale du texte et quelles sont les étapes de son argumentation ?
2° Expliquez : « Il est impossible d’avoir la représentation de son ignorance autrement que par la
science ».
3° Les limites de la connaissance remettent-elles en cause la possibilité d’atteindre le vrai ?
- 662 -
[663] SUJET N° 663 - 430AG9905NPH - 1999 - Série TECHN. - ANTILLES - SESSION
NORMALE
Lorsque, dans les matières qui se fondent sur l’expérience et le témoignage, nous bâtissons notre
connaissance sur l’autorité d’autrui, nous ne nous rendons ainsi coupables d’aucun préjugé ; car
dans ce genre de choses puisque nous ne pouvons faire nous-mêmes l’expérience de tout ni le
comprendre par notre propre intelligence, il faut bien que l’autorité de la personne soit le
fondement de nos jugements. - Mais lorsque nous faisons de l’autorité d’autrui le fondement de
notre assentiment à l’égard de connaissances rationnelles, alors nous admettons ces
connaissances comme simple préjugé. Car c’est de façon anonyme que valent les vérités
rationnelles ; il ne s’agit pas alors de demander : qui a dit cela ? mais bien qu’a-t-il dit ? Peu
importe si une connaissance a une noble origine ; le penchant à suivre l’autorité des grands
hommes n’en est pas moins très répandu tant à cause de la faiblesse des lumières personnelles
que par désir d’imiter ce qui nous est présenté comme grand. A quoi s’ajoute que l’autorité
personnelle sert, indirectement, à flatter notre vanité.
KANT
QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée directrice et les étapes de l’argumentation du texte.
2° Expliquez les expressions suivantes :
a) « nous ne nous rendons ainsi coupables d’aucun préjugé » ;
b) « alors nous admettons ces connaissances comme simple préjugé ».
3° A quelles conditions pouvons-nous avoir confiance en l’autorité d’autrui sans tomber dans le
préjugé ?
- 663 -
[664] SUJET N° 664 - 9PHTEPO3 - 1999 - Série TECHN. - POLYNESIE - SESSION REMPL.
Les hommes font leur propre histoire, mais ils ne la font pas de leur propre mouvement, ni dans
des conditions choisies par eux seuls, mais bien dans les conditions qu’ils trouvent directement et
qui leur sont données et transmises. La tradition de toutes les générations mortes pèse comme un
cauchemar sur le cerveau des vivants. Et même quand ils semblent occupés à se transformer, eux
et les choses, à créer quelque chose de tout à fait nouveau, c’est précisément à ces époques de
crise révolutionnaire qu’ils appellent craintivement les esprits du passé à leur rescousse, qu’ils
leur empruntent leurs noms, leurs mots d’ordre, leurs costumes, pour jouer une nouvelle scène de
l’Histoire sous ce déguisement respectable et avec ce langage d’emprunt. C’est ainsi que la
Révolution de 1789 à 1814 se drapa successivement dans le costume de la République romaine,
puis dans celui de l’Empire romain. C’est ainsi que le débutant, qui a appris une nouvelle langue
la retraduit toujours dans sa langue maternelle, mais il ne se sera approprié l’esprit de cette
nouvelle langue et ne sera en mesure de s’en servir pour créer librement, que lorsqu’il saura se
mouvoir dans celle-ci en oubliant en elle sa langue d’origine.
MARX
QUESTIONS :
1° Dégager l’idée directrice du texte et les étapes de son argumentation.
2°
a) Expliquez : « pour jouer une nouvelle scène de l’Histoire sous ce déguisement respectable et
avec ce langage d’emprunt ».
b) Que signifie la comparaison finale avec l’apprentissage d’une nouvelle langue, et qu’apporte-telle à l’argumentation ?
3° Les hommes font-ils librement leur histoire ?
- 664 -
[665] SUJET N° 665 - PHTEME3 - 1999 - Série TECHN. - METROPOLE - SESSION REMPL.
Pour connaître les hommes, il faut les voir agir. Dans le monde on les entend parler ; ils montrent
leurs discours et cachent leurs actions : mais dans l’histoire elles sont dévoilées, et on les juge sur
les faits. Leurs propos même aident à les apprécier ; car, comparant ce qu’ils font à ce qu’ils
disent, on voit à la fois ce qu’ils sont et ce qu’ils veulent paraître : plus ils se déguisent, mieux on
les connaît.
Malheureusement cette étude a ses dangers, ses inconvénients de plus d’une espèce. Il est
difficile de se mettre dans un point de vue (1) d’où l’on puisse juger ses semblables avec équité.
Un des grands vices de l’histoire est qu’elle peint beaucoup plus les hommes par leurs mauvais
côtés que par les bons ; comme elle n’est intéressante que par les révolutions, les catastrophes,
tant qu’un peuple croît et prospère dans le calme d’un paisible gouvernement, elle n’en dit rien ;
elle ne commence à en parler que quand, ne pouvant plus se suffire à lui-même, il prend part aux
affaires de ses voisins, ou les laisse prendre part aux siennes ; elle ne l’illustre que quand il est
déjà sur son déclin : toutes nos histoires commencent où elles devraient finir.
ROUSSEAU
(1) Par « se mettre dans un point de vue », il faut entendre « se placer à un point de vue ».
(2) Par « avec équité », il faut entendre « avec justice ».
QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée générale du texte et les étapes de son argumentation.
2° Expliquez :
a) « Pour connaître les hommes, il faut les voir agir » ;
b) « Il est difficile de se mettre dans un point de vue d’où l’on puisse juger ses semblables avec
équité » ;
c) « Un des grands vices de l’histoire est qu’elle peint beaucoup plus les hommes par leurs
mauvais côtés que par les bons ».
3° L’histoire nous conduit-elle à désespérer des hommes ?
- 665 -
[666] SUJET N° 666 - 9PHAAME3 - 1999 - Série STI AA - METROPOLE - SESSION
REMPL.
Les premiers mouvements naturels de l’homme étant de se mesurer avec tout ce qui l’environne,
et d’éprouver dans chaque objet qu’il aperçoit toutes les qualités sensibles qui peuvent se
rapporter à lui, sa première étude est une sorte de physique expérimentale relative à sa propre
conservation, et dont on le détourne par des études spéculatives (1) avant qu’il ait reconnu sa
place ici-bas. Tandis que ses organes délicats et flexibles peuvent s’ajuster aux corps sur lesquels
ils doivent agir, tandis que ses sens encore purs sont exempts d’illusion, c’est le temps d’exercer
les uns et les autres aux fonctions qui leur sont propres ; c’est le temps d’apprendre à connaître
les rapports sensibles que les choses ont avec nous. Comme tout ce qui entre dans l’entendement
(2) y vient par les sens, la première raison de l’homme est une raison sensitive ; c’est elle qui sert
de base à la raison intellectuelle : nos premiers maîtres de philosophie sont nos pieds, nos mains,
nos yeux. Substituer des livres à tout cela, ce n’est pas nous apprendre à raisonner, c’est nous
apprendre à nous servir de la raison d’autrui ; c’est nous apprendre à beaucoup croire, et à ne
jamais rien savoir.
ROUSSEAU
(1) « études spéculatives » : qui ne s’appuient sur aucune expérience sensible.
(2) « entendement » : ici, faculté de raisonner.
QUESTIONS :
1° Dégagez la thèse du texte et son argumentation.
2°
a) Pourquoi la perception de l’enfant constitue-t-elle, selon Rousseau, une forme de « physique
expérimentale relative à sa propre conservation » ?
b) Expliquez la distinction entre « raison sensitive » et « raison intellectuelle ».
3° La perception suffit-elle à fonder un savoir ?
- 666 -
[667] SUJET N° 667 - PHTEME1 - 1999 - Série TECHN. - METROPOLE - SESSION
NORMALE
Le seul qui fait sa volonté est celui qui n’a pas besoin pour la faire de mettre les bras d’un autre
au bout des siens (1) : d’où il suit que le premier de tous les biens n’est pas l’autorité mais la
liberté. L’homme vraiment libre ne veut que ce qu’il peut et fait ce qu’il lui plaît. [...]
La société a fait l’homme plus faible, non seulement en lui ôtant le droit qu’il avait sur ses
propres forces, mais surtout en les lui rendant insuffisantes. Voilà pourquoi ses désirs se
multiplient avec sa faiblesse, et voilà ce qui fait celle de l’enfance comparée à l’âge d’homme. Si
l’homme est un être fort et si l’enfant est un être faible, ce n’est pas parce que le premier a plus
de force absolue que le second, mais c’est parce que le premier peut naturellement se suffire à
lui-même et que l’autre ne le peut.
ROUSSEAU
(1) Par « mettre les bras d’un autre au bout des siens », il faut entendre : « solliciter l’aide
d’autrui ».
QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée générale du texte et les étapes de son argumentation.
2° Expliquez :
a) « Le premier de tous les biens n’est pas l’autorité mais la liberté » ;
b) « L’homme vraiment libre ne veut que ce qu’il peut et fait ce qu’il lui plaît » ;
c) « La société a fait l’homme plus faible ».
3° Etre libre, est-ce ne dépendre que de soi ?
- 667 -
[668] SUJET N° 668 - PHRN9 - 1999 - Série TECHN. - LA REUNION - SESSION NORMALE
Il est certain qu’il n’est personne qui n’aime mieux gouverner qu’être gouverné ; personne ne
cède volontairement le commandement à un autre. [...] Il est évident par suite que la masse de la
population ne transférerait jamais son droit à un petit nombre d’hommes ou à un seul si elle
pouvait s’accorder avec elle-même, et si les discussions qui s’engagent le plus souvent dans les
grandes assemblées n’engendraient pas des rébellions. D’après cela la masse de la population ne
transférera jamais librement à un roi que ce qu’il lui est absolument impossible de garder en son
pouvoir, c’est-à-dire le droit de mettre fin aux discussions et de prendre une décision rapide. S’il
arrive souvent en effet, qu’on élise un roi à cause de la guerre, parce que les rois font la guerre
plus efficacement, on consent à la servitude dans la paix, en admettant que la paix règne dans un
Etat où le souverain pouvoir a été confié à un seul [...], tandis qu’au contraire un Etat
démocratique a cela surtout de remarquable que sa valeur est beaucoup plus grande en temps de
paix qu’en temps de guerre.
SPINOZA
QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée centrale du texte et les principales étapes de l’argumentation.
2°
a) Pourquoi, selon Spinoza, une population se soumet-elle à un commandement ?
b) Quels sont les arguments qui permettent à Spinoza d’associer la guerre et la monarchie, la paix
et la démocratie ?
3° Y a-t-il des conditions qui légitiment qu’on renonce à sa liberté ?
- 668 -
[669] SUJET N° 669 - N/R - 1998 - Série ES - LIBAN - SESSION NORMALE
Pour le savant, la connaissance sort de l’ignorance comme la lumière sort des ténèbres. Le savant
ne voit pas que l’ignorance est un tissu d’erreurs positives, tenaces, solidaires. Il ne se rend pas
compte que les ténèbres spirituelles ont une structure et que, dans ces conditions, toute
expérience objective correcte doit toujours déterminer la correction d’une erreur subjective. Mais
on ne détruit pas les erreurs une à une facilement. Elles sont coordonnées. L’esprit scientifique ne
peut se constituer qu’en détruisant l’esprit non scientifique. Trop souvent le savant se confie (1) à
une pédagogie fractionnée alors que l’esprit scientifique devrait viser à une réforme subjective
totale. Tout réel progrès dans la pensée scientifique nécessite une conversion.
BACHELARD
(1) « se confie » : fait confiance.
- 669 -
[670] SUJET N° 670 - N/R - 1998 - Série ES - NOUVELLE-CALEDONIE - SESSION
NORMALE
Si on veut se rendre compte de l’essence grandiose de la religion, il faut se représenter ce qu’elle
entreprend d’accomplir pour les hommes. Elle les informe sur l’origine et la constitution du
monde, elle leur assure protection et un bonheur fini dans les vicissitudes de la vie, elle dirige
leurs opinions et leurs actions par des préceptes qu’elle soutient de toute son autorité. Elle remplit
donc trois fonctions. Par la première, elle satisfait le désir humain de savoir, elle fait la même
chose que ce que la science tente avec ses propres moyens, et entre ici en rivalité avec elle. C’est
à sa deuxième fonction qu’elle doit sans doute la plus grande partie de son influence. Lorsqu’elle
apaise l’angoisse des hommes devant les dangers et les vicissitudes de la vie, lorsqu’elle les
assure d’une bonne issue, lorsqu’elle leur dispense de la consolation dans le malheur, la science
ne peut rivaliser avec elle. Celle-ci enseigne, il est vrai, comment on peut éviter certains dangers,
combattre victorieusement bien des souffrances ; il serait très injuste de contester qu’elle est pour
les hommes une puissante auxiliaire, mais dans bien des situations, elle doit abandonner l’homme
à sa souffrance et ne sait lui conseiller que la soumission. C’est dans sa troisième fonction, quand
elle donne des préceptes, qu’elle édicte des interdits et des restrictions, que la religion s’éloigne le
plus de la science.
FREUD
- 670 -
[671] SUJET N° 671 - N/R - 1998 - Série ES - POLYNESIE - SESSION NORMALE
La fin dernière de l’Etat n’est pas la domination ; ce n’est pas pour tenir l’homme par la crainte et
faire qu’il appartienne à un autre que l’Etat est institué ; au contraire c’est pour libérer l’individu
de la crainte, pour qu’il vive autant que possible en sécurité, c’est-à-dire conserve, aussi bien
qu’il se pourra, sans dommage pour autrui, son droit naturel d’exister et d’agir. Non, je le répète,
la fin de l’Etat n’est pas de faire passer les hommes de la condition d’êtres raisonnables à celle de
bêtes brutes ou d’automates, mais au contraire, il est institué pour que leur âme et leur corps
s’acquittent en sûreté de toutes leurs fonctions, pour qu’eux-mêmes usent d’une Raison libre,
pour qu’ils ne luttent point de haine, de colère ou de ruse, pour qu’ils se supportent sans
malveillance les uns les autres. La fin de l’Etat est donc en réalité la liberté.
SPINOZA
- 671 -
[672] SUJET N° 672 - N/R - 1998 - Série ES - POLYNESIE - SESSION REMPL.
La liberté des opinions ne peut être sans limites. Je vois qu’on la revendique comme un droit
tantôt pour une propagande, tantôt pour une autre. Or, on comprend pourtant bien qu’il n’y a pas
de droit sans limites ; cela n’est pas possible, à moins que l’on ne se place dans l’état de liberté et
de guerre, où l’on peut bien dire que l’on se donne les droits, mais où, aussi, l’on ne possède que
ceux que l’on peut maintenir par sa propre force. Mais dès que l’on fait société avec d’autres, les
droits des uns et des autres forment un système équilibré ; il n’est pas dit du tout que tous auront
tous les droits possibles ; il est dit seulement que tous auront les mêmes droits ; et c’est cette
égalité des droits qui est sans doute la forme de la justice ; car les circonstances ne permettent
jamais d’établir un droit tout à fait sans restriction ; par exemple il n’est pas dit qu’on ne barrera
pas une rue dans l’intérêt commun ; la justice exige seulement que la rue soit barrée aux mêmes
conditions pour tout le monde. Donc je conçois bien que l’on revendique comme citoyen, et avec
toute l’énergie que l’on voudra y mettre, un droit dont on voit que les autres citoyens ont la
jouissance. Mais vouloir un droit sans limites, cela sonne mal.
ALAIN
- 672 -
[673] SUJET N° 673 - N/R - 1998 - Série ES - LA REUNION - SESSION NORMALE
Il n’est point de connaissance qui soit superflue et inutile de façon absolue et à tous égards,
encore que nous ne soyons pas toujours à même d’en apercevoir l’utilité. C’est par conséquent
une objection aussi mal avisée qu’injuste que les esprits superficiels adressent aux grands
hommes qui consacrent aux sciences des soins laborieux lorsqu’ils viennent demander : à quoi
cela sert-il ? On ne doit en aucun cas poser une telle question quand on prétend s’occuper de
science. A supposer qu’une science ne puisse apporter d’explication que sur un quelconque objet
possible, de ce seul fait son utilité serait déjà suffisante. Toute connaissance parfaite a toujours
quelque utilité possible : même si elle nous échappe jusqu’à présent, il se peut que la postérité la
découvre. Si en cultivant les sciences on n’avait jamais mesuré l’utilité qu’au profit matériel
qu’on pourrait retirer, nous n’aurions pas l’arithmétique et la géométrie. Aussi bien notre
intelligence est ainsi conformée qu’elle trouve satisfaction dans la simple connaissance et même
une satisfaction plus grande que dans l’utilité qui en résulte. L’homme y prend conscience de sa
valeur propre ; il a la sensation de ce qui se nomme : avoir l’intelligence. Les hommes qui ne
sentent pas cela doivent envier les bêtes. La valeur intrinsèque que les connaissances tiennent de
leur perfection logique est incomparable avec leur valeur extrinsèque, qu’elles tirent de leur
application.
KANT
- 673 -
[674] SUJET N° 674 - N/R - 1998 - Série ES - SPORTIFS HAUT NIVEAU - SESSION
REMPL.
L’amour de soi, qui ne regarde qu’à nous, est content quand nos vrais besoins sont satisfaits ;
mais l’amour-propre, qui se compare, n’est jamais content et ne saurait l’être, parce que ce
sentiment, en nous préférant aux autres, exige aussi que les autres nous préfèrent à eux ; ce qui
est impossible. Voilà comment les passions douces et affectueuses naissent de l’amour de soi, et
comment les passions haineuses et irascibles naissent de l’amour-propre. Ainsi, ce qui rend
l’homme essentiellement bon est d’avoir peu de besoins, et de peu se comparer aux autres ; ce qui
le rend essentiellement méchant est d’avoir beaucoup de besoins, et de tenir beaucoup à
l’opinion. Sur ce principe il est aisé de voir comment on peut diriger au bien ou au mal toutes les
passions des enfants et des hommes. Il est vrai que, ne pouvant vivre toujours seuls, ils vivront
difficilement toujours bons : cette difficulté même augmentera nécessairement avec leurs
relations.
ROUSSEAU
- 674 -
[675] SUJET N° 675 - N/R - 1998 - Série L - METROPOLE - SESSION NORMALE
On ne doit pas, sans doute, exagérer l’influence de l’intelligence sur la conduite des hommes.
Mais, certainement, la force de la démonstration a une importance très supérieure à celle qu’on
lui a supposée jusqu’ici. L’histoire de l’esprit humain prouve que cette force a souvent déterminé,
à elle seule, des changements dans lesquels elle avait à lutter contre les plus grandes forces
humaines réunies. Pour n’en citer que l’exemple le plus remarquable, c’est la seule puissance des
démonstrations positives qui a fait adopter la théorie du mouvement de la terre, qui avait à
vaincre non seulement la résistance du pouvoir théologique, encore si vigoureux à cette époque,
mais surtout l’orgueil de l’espèce humaine tout entière, appuyé sur les motifs les plus
vraisemblables qu’une idée fausse ait jamais eus en sa faveur. Des expériences aussi décisives
devraient nous éclairer sur la force prépondérante qui résulte des démonstrations véritables. C’est
principalement parce qu’il n’y en a jamais eu encore dans la politique, que les hommes d’Etat se
sont laissé entraîner dans de si grandes aberrations pratiques. Que les démonstrations paraissent,
les aberrations cesseront bientôt.
COMTE
- 675 -
[676] SUJET N° 676 - N/R - 1998 - Série L - METROPOLE - SESSION REMPL.
Il est certain qu’aucune inclination de l’esprit humain n’a à la fois une force suffisante et une
orientation appropriée pour contrebalancer l’amour du gain et changer les hommes en membres
convenables de la société, en faisant qu’ils s’interdisent les possessions d’autrui. La bienveillance
à l’égard de ceux qui nous sont étrangers est trop faible pour cette fin ; quant aux autres passions,
elles attisent plutôt cette avidité, quand nous observons que plus étendues sont nos possessions,
plus grande est notre capacité de satisfaire tous nos appétits. Il n’y a, par conséquent, aucune
passion susceptible de contrôler le penchant intéressé, si ce n’est ce penchant lui-même, par une
modification de son orientation. Or, la moindre réflexion doit nécessairement donner lieu à cette
modification, puisqu’il est évident que la passion est beaucoup mieux satisfaite quand on la
réfrène que lorsqu’on la laisse libre, et qu’en maintenant la société, nous favorisons beaucoup
plus l’acquisition de possessions qu’en nous précipitant dans la condition de solitude et
d’abandon qui est la conséquence inévitable de la violence et d’une licence universelle. Par
conséquent, la question portant sur la méchanceté ou sur la bonté de la nature humaine n’entre
pas du tout en ligne de compte dans cette autre question portant sur l’origine de la société, ni non
plus il n’y a à considérer autre chose que les degrés de sagacité ou de folie des hommes. Car, que
l’on estime vicieuse ou vertueuse la passion de l’intérêt personnel, c’est du pareil au même,
puisque c’est elle-même, seule, qui le réfrène : de sorte que, si elle est vertueuse, les hommes
deviennent sociaux grâce à leur vertu ; si elle est vicieuse, leur vice a le même effet.
HUME
- 676 -
[677] SUJET N° 677 - N/R - 1998 - Série L - AMERIQUE DU SUD - SESSION NORMALE
S’il était découvert que l’espèce humaine, considérée dans sa totalité, a avancé et a été en train de
progresser même aussi longtemps que l’on voudra, personne ne pourrait pourtant assurer que
n’intervienne désormais, à cet instant précis, en raison des dispositions physiques de notre
espèce, l’époque de son recul ; et inversement, si l’on marche à reculons et vers le pire en une
chute accélérée, on ne doit pas écarter l’espoir de pouvoir rencontrer le point d’inflexion,
précisément là où, en raison des dispositions morales de notre espèce, le cours de celle-ci se
retournerait vers le mieux. Car nous avons affaire à des êtres agissant librement, auxquels certes
se peut à l’avance dicter ce qu’ils doivent faire, mais ne se peut prédire ce qu’ils feront, et qui, du
sentiment des maux qu’ils s’infligèrent à eux-mêmes, savent, si cela empire vraiment, retirer un
motif renforcé de faire désormais mieux que ce n’était en tout cas avant cette situation.
KANT
- 677 -
[678] SUJET N° 678 - N/R - 1998 - Série L - ANTILLES - SESSION NORMALE
L’expérience paraît enseigner cependant que, dans l’intérêt de la paix et de la concorde, il
convient que tout le pouvoir appartienne à un seul. Nul Etat en effet n’est demeuré aussi
longtemps sans aucun changement notable que celui des Turcs (1) et en revanche nulles cités
n’ont été moins durables que les Cités populaires ou démocratiques, et il n’en est pas où se soient
élevées plus de séditions. Mais si la paix doit porter le nom de servitude, de barbarie et de
solitude, il n’est rien pour les hommes de si lamentable que la paix. Entre les parents et les
enfants il y a certes plus de querelles et des discussions plus âpres qu’entre maîtres et esclaves, et
cependant il n’est pas de l’intérêt de la famille ni de son gouvernement que l’autorité paternelle
se change en une domination et que les enfants soient tels que des esclaves. C’est donc la
servitude, non la paix, qui demande que tout le pouvoir soit aux mains d’un seul : ainsi que nous
l’avons déjà dit, la paix ne consiste pas dans l’absence de guerre, mais dans l’union des âmes,
c’est-à-dire dans la concorde.
SPINOZA
(1) allusion à l’Empire ottoman.
- 678 -
[679] SUJET N° 679 - N/R - 1998 - Série L - ANTILLES - SESSION REMPL.
Le corps politique, aussi bien que le corps de l’homme, commence à mourir dès sa naissance et
porte en lui-même les causes de sa destruction. Mais l’un et l’autre peut avoir une constitution
plus ou moins robuste et propre à le conserver plus ou moins longtemps. La constitution de
l’homme est l’ouvrage de la nature, celle de l’Etat est l’ouvrage de l’art. Il ne dépend pas des
hommes de prolonger leur vie, il dépend d’eux de prolonger celle de l’Etat aussi loin qu’il est
possible, en lui donnant la meilleure constitution qu’il puisse avoir. Le mieux constitué finira,
mais plus tard qu’un autre, si nul accident imprévu n’amène sa perte avant le temps.
Le principe de la vie politique est dans l’autorité souveraine. La puissance législative est le cœur
de l’Etat, la puissance exécutive en est le cerveau, qui donne le mouvement à toutes les parties.
Le cerveau peut tomber en paralysie et l’individu vivre encore. Un homme reste imbécile et vit :
mais sitôt que le cœur a cessé ses fonctions, l’animal est mort.
Ce n’est point par les lois que l’Etat subsiste, c’est par le pouvoir législatif.
ROUSSEAU
- 679 -
[680] SUJET N° 680 - N/R - 1998 - Série L - INDE - SESSION NORMALE
Un habile législateur qui entend servir l’intérêt commun et celui de la patrie plutôt que le sien
propre et celui de ses héritiers, doit employer toute son industrie pour attirer à soi tout le pouvoir.
Un esprit sage ne condamnera jamais quelqu’un pour avoir usé d’un moyen hors des règles
ordinaires pour régler une monarchie ou fonder une république. Ce qui est à désirer, c’est que si
le fait l’accuse, le résultat l’excuse ; si le résultat est bon, il est acquitté ; tel est le cas de
Romulus. Ce n’est pas la violence qui restaure, mais la violence qui ruine qu’il faut condamner.
Le législateur aura assez de sagesse et de vertu pour ne pas léguer à autrui l’autorité qu’il a prise
en main : les hommes étant plus enclins au mal qu’au bien, son successeur pourrait bien faire
mauvais usage de l’autorité dont pour sa part il aura bien usé ; d’ailleurs un seul homme est bien
capable de constituer un Etat, mais bien courte serait la durée et de l’Etat et de ses lois si
l’exécution en était remise aux mains d’un seul ; le moyen de l’assurer, c’est de la confier aux
soins et à la garde de plusieurs.
MACHIAVEL
- 680 -
[681] SUJET N° 681 - N/R - 1998 - Série L - JAPON - SESSION NORMALE
Le symbole est avant tout un signe. Mais dans la simple présentation, le rapport qui existe entre le
sens et son expression est un rapport purement arbitraire. Cette expression, cette image ou cette
chose sensible représente si peu elle-même qu’elle éveille plutôt en nous l’idée d’un contenu qui
lui est tout à fait étranger, avec lequel elle n’a, à proprement parler, rien de commun [...]. Un [...]
exemple de ces signes nous est fourni par les couleurs, employées dans les cocardes, les
drapeaux, etc., pour montrer à quelle nation appartient un individu, un navire, etc. En elle -même,
une pareille couleur ne possède aucune qualité qui lui serait commune avec ce qu’elle signifie,
c’est-à-dire avec la notion qu’elle est censée représenter. Ce n’est cependant pas à cause de cette
indifférence réciproque qui existe entre le signe et l’expression que le symbole intéresse l’art,
lequel implique, au contraire et d’une façon générale, un rapport, une parenté, une
interpénétration concrète entre signification et forme.
HEGEL
- 681 -
[682] SUJET N° 682 - N/R - 1998 - Série L - NOUVELLE-CALEDONIE - SESSION
NORMALE
Les hommes sont ainsi faits qu’ils ne supportent rien plus malaisément que de voir les opinions
qu’ils croient vraies tenues pour criminelles [...], par où il arrive qu’ils en viennent à détester les
lois, à tout oser contre les magistrats, à juger non pas honteux, mais très beau, d’émouvoir des
séditions pour une telle cause et de tenter quelle entreprise violente que ce soit. Puis donc que
telle est la nature humaine, il est évident que les lois concernant les opinions menacent non les
criminels, mais les hommes de caractère indépendant, qu’elles sont faites moins pour contenir les
méchants que pour irriter les plus honnêtes, et qu’elles ne peuvent être maintenues en
conséquence sans grand danger pour l’Etat. Ajoutons que de telles lois condamnant des opinions
sont du tout inutiles : ceux qui jugent saines les opinions condamnées ne peuvent obéir à ces lois ;
à ceux qui au contraire les rejettent comme fausses, ces lois paraîtront conférer un privilège et ils
en concevront un tel orgueil que plus tard, même le voulant, les magistrats ne pourraient les
abroger.
SPINOZA
- 682 -
[683] SUJET N° 683 - N/R - 1998 - Série L - LA REUNION - SESSION NORMALE
Nous ne nous contentons pas de la vie que nous avons en nous et en notre propre être. Nous
voulons vivre dans l’idée des autres d’une vie imaginaire, et nous nous efforçons pour cela de
paraître. Nous travaillons incessamment à embellir et conserver notre être imaginaire, et
négligeons le véritable. Et si nous avons ou la tranquillité ou la générosité ou la fidélité, nous
nous empressons de le faire savoir afin d’attacher ces vertus-là à notre autre être et les
détacherions plutôt de nous pour les joindre à l’autre. Nous serions de bon cœur poltrons pour en
acquérir la réputation d’être vaillants. Grande marque du néant de notre propre être, de n’être pas
satisfait de l’un sans l’autre, et d’échanger souvent l’un pour l’autre.
PASCAL
- 683 -
[684] SUJET N° 684 - N/R - 1998 - Série L - SPORTIFS HAUT NIVEAU - SESSION
NORMALE
Comment expliquer qu’un pianiste, qui croit mourir de peur en entrant sur la scène, soit
immédiatement guéri dès qu’il joue ? On dira qu’il ne pense plus alors à avoir peur, et c’est vrai ;
mais j’aime mieux réfléchir plus près de la peur elle-même, et comprendre que l’artiste secoue sa
peur et la défait par ces souples mouvements des doigts. Car, comme tout se tient en notre
machine, les doigts ne peuvent se délier si la poitrine ne l’est aussi ; la souplesse, comme la
raideur, envahit tout ; et, dans ce corps bien gouverné, la peur ne peut plus être. Le vrai chant et
la vraie éloquence ne rassurent pas moins, par ce travail mesuré qui est alors imposé à tous les
muscles. Chose remarquable et trop peu remarquée, ce n’est point la pensée qui nous délivre des
passions, mais c’est plutôt l’action qui nous délivre. On ne pense point comme on veut, mais
quand les actions sont assez familières, quand les muscles sont dressés et assouplis par
gymnastique, on agit comme on veut. Dans les moments d’anxiété n’essayez point de raisonner,
car votre raisonnement se tournera en pointes contre vous-même ; mais plutôt essayez ces
élévations et flexions des bras que l’on apprend maintenant dans toutes les écoles ; le résultat
vous étonnera. Ainsi le maître de philosophie vous renvoie au maître de gymnastique.
ALAIN
- 684 -
[685] SUJET N° 685 - N/R - 1998 - Série S - METROPOLE - SESSION NORMALE
Apprendre à se connaître est très difficile (...) et un très grand plaisir en même temps (quel plaisir
de se connaître !) ; mais nous ne pouvons pas nous contempler nous-mêmes à partir de nousmêmes : ce qui le prouve, ce sont les reproches que nous adressons à d’autres, sans nous rendre
compte que nous commettons les mêmes erreurs, aveuglés que nous sommes, pour beaucoup
d’entre nous, par l’indulgence et la passion qui nous empêchent de juger correctement. Par
conséquent, à la façon dont nous regardons dans un miroir quand nous voulons voir notre visage,
quand nous voulons apprendre à nous connaître, c’est en tournant nos regards vers notre ami que
nous pourrions nous découvrir, puisqu’un ami est un autre soi-même. Concluons : la
connaissance de soi est un plaisir qui n’est pas possible sans la présence de quelqu’un d’autre qui
soit notre ami ; l’homme qui se suffit à soi-même aurait donc besoin d’amitié pour apprendre à se
connaître soi-même.
ARISTOTE
- 685 -
[686] SUJET N° 686 - N/R - 1998 - Série S - METROPOLE - SESSION REMPL.
Etant donné en effet qu’il n’existe pas au monde de République où l’on ait suffisamment établi de
règles pour présider à toutes les actions et paroles des hommes (car cela serait impossible), il
s’ensuit nécessairement que dans tous les domaines d’activité que les lois ont passés sous silence,
les gens ont la liberté de faire ce que leur propre raison leur indique comme leur étant le plus
profitable. Car si nous prenons le mot de liberté dans son sens propre de liberté corporelle, c’està-dire de n’être ni enchaîné ni emprisonné, il serait tout à fait absurde, de la part des hommes, de
crier comme ils le font pour obtenir cette liberté dont ils jouissent si manifestement. D’autre part,
si nous entendons par liberté le fait d’être soustrait aux lois, il n’est pas moins absurde, de la part
des hommes, de réclamer comme ils le font cette liberté qui permettrait à tous les autres hommes
de se rendre maîtres de leurs vies. Et cependant, aussi absurde que ce soit, c’est bien ce qu’ils
réclament ; ne sachant pas que les lois sont sans pouvoir pour les protéger s’il n’est pas un glaive
entre les mains d’un homme (ou de plusieurs) pour faire exécuter ces lois. La liberté des sujets ne
réside par conséquent que dans les choses qu’en réglementant leurs actions le souverain a passées
sous silence, par exemple la liberté d’acheter, de vendre, et de conclure d’autres contrats les uns
avec les autres ; de choisir leur résidence, leur genre de nourriture, leur métier, d’éduquer leurs
enfants comme ils le jugent convenable, et ainsi de suite.
HOBBES
- 686 -
[687] SUJET N° 687 - N/R - 1998 - Série S - ETRANGER GROUPE 1 - SESSION NORMALE
L’homme est un être raisonnable, et comme tel, c’est dans la science qu’il puise l’aliment, la
nourriture qui lui conviennent : mais si étroites sont les bornes de l’entendement humain, que,
sous ce rapport, il ne peut espérer que peu de satisfaction, soit de l’étendue, soit de la certitude
des connaissances qu’il acquiert. L’homme est un être sociable autant qu’un être raisonnable :
mais il ne lui est pas toujours donné d’avoir la jouissance d’une compagnie agréable et amusante
ou de conserver lui-même son goût pour la société. L’homme est aussi un être actif ; et cette
disposition, autant que les diverses nécessités de la vie humaine, fait de lui l’esclave de ses
affaires et de ses occupations ; mais l’esprit demande qu’on lui donne un peu de relâche ; il ne
peut rester constamment tendu vers les soucis et le travail. Il semble donc que la nature ait
indiqué un genre de vie mixte comme le plus convenable à l’espèce humaine, et qu’elle nous ait
en secret exhortés à ne laisser aucun de ces penchants tirer par trop de son côté, au point de nous
rendre incapables d’autres occupations et d’autres divertissements. Abandonnez-vous à votre
passion pour la science, dit-elle, mais que votre science soit humaine, et qu’elle ait un rapport
direct avec l’action et la société. La pensée abstruse (1) et les profondes recherches, je les
interdis, et leur réserve de sévères punitions : la morne mélancolie qu’elles mènent à leur suite,
l’incertitude sans fin où elles vous plongent, et l’accueil glacé qu’on réserve à vos prétendues
découvertes, dès que vous les avez communiquées. Soyez philosophe : mais que toute votre
philosophie ne vous empêche pas de rester homme.
HUME
(1) « abstruse » : obscure.
- 687 -
[688] SUJET N° 688 - N/R - 1998 - Série S - AMERIQUE DU NORD - SESSION NORMALE
Quand se présente un objet ou un événement naturels, toute notre sagacité et toute notre
pénétration sont impuissantes à découvrir ou même à conjecturer sans expérience quel événement
en résultera ou à porter nos prévisions au-delà de l’objet immédiatement présent à la mémoire et
aux sens. Même après un cas ou une expérience unique où nous avons observé qu’un événement
en suivait un autre, nous ne sommes pas autorisés à former une règle générale ou à prédire ce qui
arrivera dans des cas analogues ; car on tiendrait justement pour une impardonnable témérité de
juger du cours entier de la nature par une expérience isolée, même précise ou certaine. Mais
quand une espèce particulière d’événements a toujours, dans tous les cas, été conjointe à une
autre, nous n’hésitons pas plus longtemps à prédire l’une à l’apparition de l’autre et à employer
ce raisonnement qui peut seul nous apporter la certitude sur une question de fait ou d’existence.
Nous appelons alors l’un des objets cause et l’autre effet. Nous supposons qu’il y a une
connexion entre eux, et un pouvoir dans l’un qui lui fait infailliblement produire l’autre et le fait
agir avec la plus grande certitude et la plus puissante nécessité.
HUME
- 688 -
[689] SUJET N° 689 - N/R - 1998 - Série S - ANTILLES - SESSION NORMALE
Pour éviter de heurter, je dois faire ici remarquer que, lorsque je nie que la justice soit une vertu
naturelle, je fais usage du mot naturel uniquement en tant qu’opposé à artificiel. Dans un autre
sens du mot, comme il n’y a pas de principe de l’esprit humain qui soit plus naturel qu’un sens de
la vertu, de même il n’y a pas de vertu plus naturelle que la justice. L’espèce humaine est une
espèce inventive et quand une invention est évidente et absolument nécessaire, on peut la dire
naturelle tout aussi justement qu’on le dit de toute chose qui procède de principes originels
immédiatement et sans l’intervention de la pensée et de la réflexion. Bien que les lois de la justice
soient artificielles, elles ne sont pas arbitraires. Et elle n’est pas impropre, l’expression qui les
appelle des lois de nature, si par naturel nous entendons ce qui est commun à une espèce, ou
même si nous en limitons le sens à ce qui est inséparable de l’espèce.
HUME
- 689 -
[690] SUJET N° 690 - N/R - 1998 - Série S - ANTILLES - SESSION REMPL.
Rien ne peut s’opposer à une impulsion passionnelle, rien ne peut retarder une impulsion
passionnelle qu’une impulsion contraire ; si cette impulsion contraire naissait parfois de la raison,
cette faculté devrait avoir une influence primitive sur la volonté et elle devrait être capable de
produire, aussi bien que d’empêcher, un acte de volition. Mais, si la raison n’a pas d’influence
primitive, il est impossible qu’elle puisse contrebalancer un principe qui a ce pouvoir ou qu’elle
puisse faire hésiter l’esprit un moment. Il apparaît ainsi que le principe, qui s’oppose à notre
passion, ne peut s’identifier à la raison et que c’est improprement qu’on l’appelle de ce nom.
Nous ne parlons ni avec rigueur ni philosophiquement lorsque nous parlons du combat de la
passion et de la raison.
HUME
- 690 -
[691] SUJET N° 691 - N/R - 1998 - Série S - AMERIQUE DU SUD - SESSION NORMALE
Comment nous comportons-nous vis-à-vis des actes d’un homme de notre entourage ? Tout
d’abord nous considérons ce qu’il en résulte pour nous, nous ne les considérons que sous ce point
de vue. Cet effet causé sur nous, nous y voyons l’intention de l’acte et pour finir nous attribuons à
cet homme comme un caractère permanent le fait d’avoir eu de telles intentions, et désormais
nous le qualifions, par exemple, d’« homme nuisible ». Triple erreur ! Triple méprise, vieille
comme le monde ! [...]. Ne faut-il pas chercher l’origine de toute morale dans ces horribles
petites conclusions : « ce qui me nuit est quelque chose de mauvais (de nuisible en soi) ; ce qui
m’est utile est quelque chose de bon (de bienfaisant et d’utile en soi), ce qui me nuit une ou
plusieurs fois est hostile en soi et foncièrement ; ce qui m’est utile une ou plusieurs fois est
amical en soi et foncièrement. » O pudenda origo (1) ! Cela ne revient-il pas à interpréter les
misérables relations occasionnelles et souvent fortuites d’un autre à nous comme si ces relations
étaient l’essence et le fond de son être, et prétendre qu’envers tout le monde et envers soi-même
il n’est capable que de relations semblables à celles dont nous avons fait une ou plusieurs fois
l’expérience ? Et derrière cette véritable folie n’y a-t-il pas la plus immodeste de toutes les
arrière-pensées : croire qu’il faut que nous soyons nous-mêmes le principe du bien puisque le
bien et le mal se mesurent d’après nous ?
NIETZSCHE
(1) « Ô honteuse origine ! » (expression latine).
- 691 -
[692] SUJET N° 692 - N/R - 1998 - Série S - INDE - SESSION NORMALE
L’universalité d’un même nom donné à plusieurs choses est cause que les hommes ont cru que
ces choses étaient universelles elles-mêmes, et ont soutenu sérieusement qu’outre Pierre, Jean et
le reste des hommes existants qui ont été ou qui seront dans le monde, il devait encore y avoir
quelque autre chose que nous appelons l’homme en général ; ils se sont trompés en prenant la
dénomination générale ou universelle pour la chose qu’elle signifie. En effet lorsque quelqu’un
demande à un peintre de lui faire la peinture d’un homme ou de l’homme en général, il ne lui
demande que de choisir tel homme dont il voudra tracer la figure, et celui-ci sera forcé de copier
un des hommes qui ont été, qui sont ou qui seront, dont aucun n’est l’homme en général. Mais
lorsque quelqu’un demande à ce peintre de lui peindre le Roi ou toute autre personne particulière,
il borne le peintre à représenter uniquement la personne dont il a fait choix. Il est donc évident
qu’il n’y a rien d’universel que les noms.
HOBBES
- 692 -
[693] SUJET N° 693 - N/R - 1998 - Série S - JAPON - SESSION NORMALE
Quand je m’y suis mis quelquefois, à considérer les diverses agitations des hommes, et les périls
et les peines où ils s’exposent, dans la cour, dans la guerre, d’où naissent tant de querelles, de
passions, d’entreprises hardies et souvent mauvaises, etc., j’ai découvert que tout le malheur des
hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos, dans une chambre.
Un homme qui a assez de bien pour vivre, s’il savait demeurer chez soi avec plaisir, n’en sortirait
pas pour aller sur la mer ou au siège d’une place. On n’achètera une charge (1) à l’armée si cher,
que parce qu’on trouverait insupportable de ne bouger de la ville ; et on ne recherche les
conversations et les divertissements des jeux que parce qu’on ne peut demeurer chez soi avec
plaisir. Mais quand j’ai pensé de plus près, et qu’après avoir trouvé la cause de tous nos
malheurs, j’ai voulu en découvrir la raison, j’ai trouvé qu’il y en a une bien effective, qui consiste
dans le malheur naturel de notre condition faible et mortelle, et si misérable, que rien ne peut
nous consoler, lorsque nous y pensons de près.
PASCAL
(1) « une charge » : une fonction (sous l’Ancien Régime, il fallait acheter le droit d’exercer
certaines fonctions).
- 693 -
[694] SUJET N° 694 - N/R - 1998 - Série S - LIBAN - SESSION NORMALE
L’histoire humaine peut bien, dans ses passions, dans ses préjugés, dans tout ce qui relève des
impulsions immédiates, être un éternel recommencement ; mais il y a des pensées qui ont été
rectifiées, élargies, complétées. Elles ne retournent pas à leur aire restreinte ou chancelante. Or
l’esprit scientifique est essentiellement une rectification du savoir, un élargissement des cadres de
la connaissance. Il juge son passé historique en le condamnant. Sa structure est la conscience de
ses fautes historiques. Scientifiquement, on pense le vrai comme rectification historique d’une
longue erreur, on pense l’expérience comme rectification de l’illusion commune et première [...].
L’essence même de la réflexion, c’est de comprendre qu’on n’avait pas compris.
BACHELARD
- 694 -
[695] SUJET N° 695 - N/R - 1998 - Série S - NOUVELLE-CALEDONIE - SESSION
NORMALE
L’adversité, la douleur, la pauvreté sont de grandes tentations menant l’homme à violer son
devoir. L’aisance, la force, la santé et la prospérité en général, qui s’opposent à cette influence,
peuvent donc aussi, semble-t-il, être considérées comme des fins qui sont en même temps des
devoirs, je veux dire celui de travailler à son propre bonheur et de ne pas s’appliquer seulement à
celui d’autrui. Mais alors ce n’est pas le bonheur qui est la fin, mais la moralité du sujet, et le
bonheur n’est que le moyen légitime d’écarter les obstacles qui s’opposent à cette fin ; aussi
personne n’a ainsi le droit d’exiger de moi le sacrifice de mes fins qui ne sont pas immorales. Ce
n’est pas directement un devoir que de chercher pour elle-même l’aisance, mais indirectement ce
peut bien en être un, à savoir écarter la misère comme étant une forte tentation à mal agir. Mais
alors ce n’est pas de mon bonheur, mais de ma moralité, que j’ai comme fin et aussi comme
devoir de conserver l’intégrité.
KANT
- 695 -
[696] SUJET N° 696 - N/R - 1998 - Série S - POLYNESIE - SESSION NORMALE
Il est, décidément, indispensable aux hommes de se donner des lois et de vivre conformément à
ces lois ; autrement, il n’y aucune différence entre eux et les animaux qui, sous tous les rapports,
sont les plus sauvages. Et voici quelle en est la raison : il n’y a absolument pas d’homme qui
naisse avec une aptitude naturelle, aussi bien à discerner par la pensée ce qui est avantageux pour
l’humanité en vue de l’organisation politique, que, une fois cela discerné, à posséder
constamment la possibilité comme la volonté de réaliser dans la pratique ce qui vaut le mieux. En
premier lieu, il est difficile en effet de reconnaître la nécessité, pour un art politique vrai, de se
préoccuper, non pas de l’intérêt individuel, mais de l’intérêt commun, car l’intérêt commun fait la
cohésion des Etats, tandis que l’intérêt individuel les désagrège brutalement ; difficile en outre de
reconnaître que l’avantage, à la fois de l’intérêt commun et de l’intérêt individuel, de tous les
deux ensemble, est que l’on mette en belle condition ce qui est d’intérêt commun, plutôt que ce
qui est d’intérêt individuel. En second lieu, à supposer que, d’aventure, on ait acquis dans les
conditions scientifiques voulues la connaissance de cette nécessité naturelle ; à supposer, en outre
de cela, que dans l’Etat, on soit investi d’une souveraineté absolue et qui n’ait point de comptes à
rendre, il ne serait jamais possible que l’on demeurât toujours fidèle à cette conviction, c’est-àdire que, tout au long de la vie, on entretînt à la place maîtresse l’intérêt commun, et l’intérêt
individuel en état de subordination à l’égard de l’intérêt commun.
PLATON
- 696 -
[697] SUJET N° 697 - N/R - 1998 - Série S - POLYNESIE - SESSION REMPL.
Le trésor de raison consciente d’elle-même qui nous appartient, qui appartient à l’époque
contemporaine, ne s’est pas produit de manière immédiate, n’est pas sorti du sol du temps
présent, mais pour lui c’est essentiellement un héritage, plus précisément le résultat du travail et,
à vrai dire, du travail de toutes les générations antérieures du genre humain. De même que les arts
de la vie extérieure, la quantité de moyens et de procédés habiles, les dispositions et les habitudes
de la vie sociale et politique sont un résultat de la réflexion, de l’invention, des besoins, de la
nécessité et du malheur, de la volonté et de la réalisation de l’histoire qui précède notre époque,
de même ce que nous sommes en fait de sciences et plus particulièrement de philosophie nous le
devons à la tradition qui enlace tout ce qui est passager et qui est par suite passé, pareille à une
chaîne sacrée, [...] et qui nous a conservé et transmis tout ce qu’a créé le temps passé.
Or, cette tradition n’est pas seulement une ménagère qui se contente de garder fidèlement ce
qu’elle a reçu et le transmet sans changement aux successeurs ; elle n’est pas une immobile statue
de pierre, mais elle est vivante et grossit comme un fleuve puissant qui s’amplifie à mesure qu’il
s’éloigne de sa source.
HEGEL
- 697 -
[698] SUJET N° 698 - N/R - 1998 - Série S - LA REUNION - SESSION NORMALE
Dans la peinture de portraits, où il s’agit de fixer les traits d’un homme, la ressemblance est
certainement un élément très important et, cependant, dans les meilleurs portraits, dans ceux
qu’on s’accorde à reconnaître comme les mieux réussis, la ressemblance n’est jamais parfaite, il
leur manque toujours quelque chose par rapport au modèle naturel. L’imperfection de cet art tient
à ce que ses représentations, malgré les efforts d’exactitude, restent toujours plus abstraites que
les objets naturels dans leur existence immédiate.
Le plus abstrait, c’est une esquisse, un dessin. Lorsqu’on emploie des couleurs, qu’on prend pour
règle la nature, on trouve toujours que quelque chose a été omis, que la représentation, l’imitation
n’est pas aussi parfaite que la formation naturelle. Or, ce qui rend ces représentations
particulièrement imparfaites, c’est le manque de spiritualité. Lorsque des tableaux de ce genre
servent à reproduire des traits humains, ils doivent avoir une expression de spiritualité qui
manque d’ailleurs à l’homme naturel, tel qu’il se présente à nous directement, sous son aspect de
tous les jours. Or, c’est ce que le naturalisme est incapable de faire, et c’est en cela que se
manifeste son impuissance. C’est l’expression de spiritualité qui doit dominer le tout.
HEGEL
- 698 -
[699] SUJET N° 699 - N/R - 1998 - Série S - SPORTIFS HAUT NIVEAU - SESSION
NORMALE
A tout prendre, les méthodes scientifiques sont un aboutissement de la recherche au moins aussi
important que n’importe quel autre de ses résultats ; car c’est sur l’intelligence de la méthode que
repose l’esprit scientifique, et tous les résultats de la science ne pourraient empêcher, si lesdites
méthodes venaient à se perdre, une recrudescence de la superstition et de l’absurdité reprenant le
dessus. Des gens intelligents peuvent bien apprendre tout ce qu’ils veulent des résultats de la
science, on n’en remarque pas moins à leur conversation, et notamment aux hypothèses qui y
paraissent, que l’esprit scientifique leur fait toujours défaut : ils n’ont pas cette méfiance
instinctive pour les aberrations de la pensée qui a pris racine dans l’âme de tout homme de
science à la suite d’un long exercice. Il leur suffit de trouver une hypothèse quelconque sur une
matière donnée, et les voilà tout feu tout flamme pour elle, s’imaginant qu’ainsi tout est dit. Avoir
une opinion, c’est bel et bien pour eux s’en faire les fanatiques et la prendre dorénavant à cœur en
guise de conviction. Y a-t-il une chose inexpliquée, ils s’échauffent pour la première fantaisie qui
leur passe par la tête et ressemble à une explication ; il en résulte continuellement, surtout dans le
domaine de la politique, les pires conséquences.
NIETZSCHE
- 699 -
[700] SUJET N° 700 - N/R - 1998 - Série TECHN. - METROPOLE - SESSION NORMALE
On pose la question de savoir si l’homme est par nature moralement bon ou mauvais. Il n’est ni
l’un ni l’autre, car l’homme par nature n’est pas du tout un être moral ; il ne devient un être moral
que lorsque sa raison s’élève jusqu’aux concepts du devoir et de la loi. On peut cependant dire
qu’il contient en lui-même à l’origine des impulsions menant à tous les vices, car il possède des
penchants et des instincts qui le poussent d’un côté, bien que la raison le pousse du côté opposé.
Il ne peut donc devenir moralement bon que par la vertu, c’est-à-dire en exerçant une contrainte
sur lui-même, bien qu’il puisse être innocent s’il est sans passion.
La plupart des vices naissent de ce que l’état de culture fait violence à la nature et cependant
notre destination en tant qu’homme est de sortir du pur état de nature où nous ne sommes que des
animaux.
KANT
QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée principale du texte et les étapes de son argumentation.
2° Expliquez ce que signifie :
a) « L’homme par nature n’est pas du tout un être moral » ;
b) « Il possède des penchants et des instincts qui le poussent d’un côté bien que la raison le
pousse du côté opposé » ;
c) « L’état de culture fait violence à la nature » ;
d) « Innocent » dans le contexte.
3° Etre moral, est-ce contrarier ou suivre sa nature ?
- 700 -
[701] SUJET N° 701 - N/R - 1998 - Série TECHN. - METROPOLE - SESSION REMPL.
Comme dans les démocraties le peuple paraît à peu près faire ce qu’il veut, on a mis la liberté
dans ces sortes de gouvernements, et on a confondu le pouvoir du peuple avec la liberté du
peuple.
Mais la liberté politique ne consiste point à faire ce que l’on veut. Dans un Etat, c’est-à-dire dans
une société où il y a des lois, la liberté ne peut consister qu’à pouvoir faire ce que l’on doit
vouloir, et à n’être point contraint de faire ce que l’on ne doit pas vouloir.
Il faut se mettre dans l’esprit ce que c’est que l’indépendance et ce que c’est que la liberté. La
liberté est le droit de faire tout ce que les lois permettent ; et si un citoyen pouvait faire ce
qu’elles défendent, il n’aurait plus de liberté, parce que les autres auraient tout de même (1) ce
pouvoir.
MONTESQUIEU
(1) « Tout de même » signifie ici : « de la même façon », « également ».
QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée principale du texte et les articulations de son exposition.
2°
a) Expliquez :
a) « On a confondu le pouvoir du peuple avec la liberté du peuple » ;
b) « La liberté ne peut consister qu’à pouvoir faire ce que l’on doit vouloir, et à n’être point
contraint de faire ce que l’on ne doit pas vouloir » ;
c) Pourquoi Montesquieu affirme-t-il que le citoyen n’aurait plus de liberté s’il pouvait faire ce
que les lois défendent ?
3° En quoi les lois sont-elles nécessaires à la liberté ?
- 701 -
[702] SUJET N° 702 - N/R - 1998 - Série TECHN. - NOUVELLE-CALEDONIE - SESSION
NORMALE
Quand je dis que tous les hommes sont égaux, c’est comme si je disais : il est raisonnable d’agir
avec tous pacifiquement, c’est-à-dire de ne point régler ses actions sur leur force, ou sur leur
intelligence, ou sur leur science, ou sur leur richesse. Et en somme je décide, quand je dis qu’ils
sont égaux, de ne point rompre la paix, de ne point mettre en pratique les règles de la guerre. Par
exemple voilà un enfant qui porte une rose ; je désire avoir cette rose. Selon les règles de la
guerre, je n’ai qu’à la prendre ; si au contraire l’enfant est entouré de gardes, je n’ai qu’à m’en
priver. Mais si j’agis selon le droit, cela veut dire que je ne tiendrai compte ni de sa force ni de la
mienne, et que je ne m’y prendrai pas autrement pour avoir cette rose, que si l’enfant était un
Goliath (1).
ALAIN
(1) Goliath : personnage de la Bible doué d’une force hors du commun.
QUESTIONS :
1° Dégagez la thèse de ce texte et les étapes de son argumentation.
2°
a) Qu’y a-t-il de commun entre « régler ses actions sur [la] force [des hommes], (…) leur
intelligence, (…) leur science, (…) leur richesse » ?
b) Quelle différence y a-t-il entre agir « selon les règles de la guerre » et agir « selon le droit » ?
3° Etablir l’égalité des droits, est-ce l’affaire de la raison ?
- 702 -
[703] SUJET N° 703 - N/R - 1998 - Série ES - METROPOLE - SESSION NORMALE
Pour parvenir à garder un autre individu en sa puissance, on peut avoir recours à différents
procédés. On peut l’avoir immobilisé par des liens, on peut lui avoir enlevé ses armes et toutes
possibilités de se défendre ou de s’enfuir. On peut aussi lui avoir inspiré une crainte extrême ou
se l’être attaché par des bienfaits, au point qu’il préfère exécuter les consignes de son maître que
les siennes propres, et vivre au gré de son maître qu’au sien propre. Lorsqu’on impose sa
puissance de la première ou de la seconde manière, on domine le corps seulement et non l’esprit
de l’individu soumis. Mais si l’on pratique la troisième ou la quatrième manière, on tient sous sa
dépendance l’esprit aussi bien que le corps de celui-ci. Du moins aussi longtemps que dure en lui
le sentiment de crainte ou d’espoir. Aussitôt que cet individu cesse de les éprouver, il redevient
indépendant. Même la capacité intérieure de juger peut tomber sous la dépendance d’un autre,
dans la mesure où un esprit peut être dupé par un autre. Il s’ensuit qu’un esprit ne jouit d’une
pleine indépendance, que s’il est capable de raisonnement correct. On ira plus loin. Comme la
puissance humaine doit être appréciée d’après la force non tant du corps que de l’esprit, les
hommes les plus indépendants sont ceux chez qui la raison s’affirme davantage et qui se laissent
davantage guider par la raison. En d’autres termes, je déclare l’homme d’autant plus en
possession d’une pleine liberté, qu’il se laisse guider par la raison.
SPINOZA
- 703 -
[704] SUJET N° 704 - N/R - 1998 - Série ES - METROPOLE - SESSION REMPL.
La loi étant un commandement, et un commandement consistant dans le fait que celui qui
commande exprime ou manifeste sa volonté par oral, par écrit, ou par quelque autre indice
adéquat, on comprendra aisément que le commandement de la République n’est loi que pour ceux
qui ont le moyen d’en prendre connaissance. Pour les faibles d’esprit, les enfants et les fous, il
n’est pas de loi, pas plus que pour les animaux. Ils ne peuvent pas davantage mériter les épithètes
de juste ou d’injuste : ils n’ont pas en effet le pouvoir de passer des conventions ni d’en
comprendre les conséquences, et par conséquent ils n’ont jamais pris sur eux d’autoriser les
actions d’un souverain (1), comme doivent le faire ceux qui se créent une République. Et de
même que ceux que la nature ou un accident a privés de la connaissance de la loi en général, tout
homme qu’un accident quelconque ne provenant pas de sa faute a privé du moyen de prendre
connaissance de quelque loi particulière est excusé s’il ne l’observe pas : à proprement parler,
cette loi n’est pas loi pour lui.
HOBBES
(1) le terme « souverain » ne désigne pas ici le monarque, mais le détenteur de l’autorité
publique.
- 704 -
[705] SUJET N° 705 - N/R - 1998 - Série ES - AMERIQUE DU NORD - SESSION NORMALE
Il ne serait pas raisonnable de croire que les peuples se sont d’abord jetés entre les bras d’un
maître absolu, sans conditions et sans retour, et que le premier moyen de pourvoir à la sûreté
commune, qu’aient imaginé des hommes fiers et indomptés, a été de se précipiter dans
l’esclavage. En effet, pourquoi se sont-ils donné des supérieurs, si ce n’est pour les défendre
contre l’oppression, et protéger leurs biens, leurs libertés et leurs vies, qui sont, pour ainsi dire,
les éléments constitutifs de leur être ? Or, dans les relations d’homme à homme, le pis qui puisse
arriver à l’un étant de se voir à la discrétion de l’autre, n’eût-il pas été contre le bon sens de
commencer par se dépouiller entre les mains d’un chef des seules choses, pour la conservation
desquelles ils avaient besoin de son secours ? Quel équivalent eût-il pu leur offrir pour la
concession d’un si beau droit ? et s’il eût osé l’exiger sous le prétexte de les défendre, n’eût-il pas
aussitôt reçu la réponse de l’apologue (1) : « Que nous fera de plus l’ennemi ? » Il est donc
incontestable, et c’est la maxime fondamentale de tout le droit politique, que les peuples se sont
donné des chefs pour défendre leur liberté, et non pour les asservir.
ROUSSEAU
(1) « apologue » : petite fable visant à illustrer une leçon morale.
- 705 -
[706] SUJET N° 706 - N/R - 1998 - Série ES - AMERIQUE DU SUD - SESSION NORMALE
L’arithmétique n’est pas plus que la géométrie une promotion naturelle d’une raison immuable.
L’arithmétique n’est pas fondée sur la raison. C’est la doctrine de la raison qui est fondée sur
l’arithmétique élémentaire. Avant de savoir compter, je ne savais guère ce qu’était la raison. En
général, l’esprit doit se plier aux conditions du savoir. Il doit créer en lui une structure
correspondant à la structure du savoir. Il doit se mobiliser autour d’articulations qui
correspondent aux dialectiques du savoir. Que serait une fonction sans des occasions de
fonctionner ? Que serait une raison sans des occasions de raisonner ? La pédagogie de la raison
doit donc profiter de toutes les occasions de raisonner. Elle doit chercher la variété des
raisonnements, ou mieux du raisonnement [...]. La raison, encore une fois, doit obéir à la science.
BACHELARD
- 706 -
[707] SUJET N° 707 - N/R - 1998 - Série ES - ANTILLES - SESSION NORMALE
L’homme sauvage, quand il a dîné, est en paix avec toute la nature, et l’ami de tous ses
semblables. S’agit-il quelquefois de disputer son repas ? Il n’en vient jamais aux coups sans avoir
auparavant comparé la difficulté de vaincre avec celle de trouver ailleurs sa subsistance et comme
l’orgueil ne se mêle pas du combat, il se termine par quelques coups de poing. Le vainqueur
mange, le vaincu va chercher fortune, et tout est pacifié, mais chez l’homme en société, ce sont
bien d’autres affaires ; il s’agit premièrement de pourvoir au nécessaire, et puis au superflu ;
ensuite viennent les délices, et puis les immenses richesses, et puis des sujets, et puis des
esclaves ; il n’a pas un moment de relâche. Ce qu’il y a de plus singulier, c’est que moins les
besoins sont naturels et pressants, plus les passions augmentent, et, qui pis est, le pouvoir de les
satisfaire ; de sorte qu’après de longues prospérités, après avoir englouti bien des trésors et désolé
bien des hommes, mon héros finira par tout égorger jusqu’à ce qu’il soit l’unique maître de
l’univers. Tel est en abrégé le tableau moral, sinon de la vie humaine, au moins des prétentions
secrètes du cœur de tout homme civilisé.
ROUSSEAU
- 707 -
[708] SUJET N° 708 - N/R - 1998 - Série ES - ANTILLES - SESSION REMPL.
Il y a un objet culturel qui va jouer un rôle essentiel dans la perception d’autrui : c’est le langage.
Dans l’expérience du dialogue, il se constitue entre autrui et moi un terrain commun, ma pensée
et la sienne ne font qu’un seul tissu, mes propos et ceux de l’interlocuteur sont appelés par l’état
de la discussion, ils s’insèrent dans une opération commune dont aucun de nous n’est le créateur.
[...] Nous sommes l’un pour l’autre collaborateurs dans une réciprocité parfaite, nos perspectives
glissent l’une dans l’autre, nous coexistons à travers un même monde. Dans le dialogue présent,
je suis libéré de moi-même, les pensées d’autrui sont bien des pensées siennes, ce n’est pas moi
qui les forme, bien que je les saisisse aussitôt nées ou que je les devance, et même, l’objection
que me fait l’interlocuteur m’arrache des pensées que je ne savais pas posséder, de sorte que si je
lui prête des pensées, il me fait penser en retour.
MERLEAU-PONTY
- 708 -
[709] SUJET N° 709 - N/R - 1998 - Série ES - ETRANGER GROUPE 1 - SESSION
NORMALE
Là où les charges publiques sont l’objet d’une bataille, ceux qui y auront été vainqueurs auront si
complètement accaparé à leur profit les affaires publiques, qu’aux vaincus ils ne laisseront même
pas la moindre part de l’autorité, ni à ces vaincus eux -mêmes, ni à leurs descendants et que, d’un
autre côté, ils se surveilleront les uns les autres dans leur vie, de peur que l’un d’entre eux,
parvenu un jour au pouvoir, ne se dresse avec le souvenir des torts qui lui ont été faits. Non, sans
nul doute, voilà ce que nous disons à présent : ce ne sont pas là des organisations politiques ; ce
ne sont pas des lois comme elles doivent être, toutes celles qui n’ont pas été instituées en vue de
l’intérêt commun de l’Etat dans son ensemble ; mais, quand elles l’ont été en vue de l’intérêt de
quelques-uns, ces gens-là, je dis que ce sont des factieux (1) et non point des citoyens, je dis que
ce qu’ils appellent leurs justes droits n’est qu’un mot vide de sens.
PLATON
(1) « factieux » : individus qui, au nom d’intérêts particuliers ou partisans, se disposent à agir
contre l’Etat.
- 709 -
[710] SUJET N° 710 - N/R - 1998 - Série ES - JAPON - SESSION NORMALE
Qu’est-ce qu’un jugement vrai ? Nous appelons vraie l’affirmation qui concorde avec la réalité.
Mais en quoi peut consister cette concordance ? Nous aimons à y voir quelque chose comme la
ressemblance du portrait au modèle : l’affirmation vraie serait celle qui copierait la réalité.
Réfléchissons-y cependant : nous verrons que c’est seulement dans des cas rares, exceptionnels,
que cette définition du vrai trouve son application. Ce qui est réel, c’est tel ou tel fait déterminé
s’accomplissant en tel ou tel point de l’espace et du temps, c’est du singulier, c’est du changeant.
Au contraire, la plupart de nos affirmations sont générales et impliquent une certaine stabilité de
leur objet. Prenons une vérité aussi voisine que possible de l’expérience, celle-ci par exemple :
« la chaleur dilate les corps ». De quoi pourrait-elle bien être la copie ? Il est possible, en un
certain sens, de copier la dilatation d’un corps déterminé à des moments déterminés, en la
photographiant dans ses diverses phases. Même, par métaphore, je puis encore dire que
l’affirmation « cette barre de fer se dilate » est la copie de ce qui se passe quand j’assiste à la
dilatation de la barre de fer. Mais une vérité qui s’applique à tous les corps, sans concerner
spécialement aucun de ceux que j’ai vus, ne copie rien, ne reproduit rien.
BERGSON
- 710 -
[711] SUJET N° 711 - N/R - 1998 - Série TECHN. - SPORTIFS HAUT NIVEAU - SESSION
NORMALE
L’Histoire est un grand miroir où l’on se voit tout entier. Un homme ne fait rien qu’un autre ne
fasse ou ne puisse faire. En faisant donc attention aux grands exemples de cruautés, de
dérèglements, d’impudicités, et de semblables crimes nous apercevons où nous peut porter la
corruption de notre cœur quand nous ne travaillons pas à la guérir. La pratique du monde
enseigne l’art de vivre ; ceux-là y excellent qui ont voyagé, et qui ont eu commerce (1) avec des
personnes de différents pays, et de différente humeur. L’Histoire supplée (2) à cette pratique du
monde, à ces pénibles voyages que peu de personnes peuvent faire. On y voit de quelle manière
les hommes ont toujours vécu. On apprend à supporter les accidents de la vie, à n’en être pas
surpris, à ne se plaindre point de son siècle, comme si nos plaintes pouvaient empêcher des maux
dont aucun âge n’a été exempt.
ROUSSEAU
(1) « commerce » : relation.
(2) « suppléer à » : remplacer.
QUESTIONS :
1° Dégagez la thèse du texte et les étapes de son argumentation.
2° Expliquez :
a) « Un homme ne fait rien qu’un autre ne fasse ou ne puisse faire » ;
b) « nous apercevons où nous peut porter la corruption de notre cœur quand nous ne travaillons
pas à la guérir » ;
c) « l’Histoire supplée à cette pratique du monde ».
3° L’Histoire nous apprend-elle à vivre ?
- 711 -
[712] SUJET N° 712 - N/R - 1998 - Série TECHN. - ETRANGER GROUPE 1 - SESSION
NORMALE
Il est absurde de supposer que l’homme qui commet des actes d’injustice ou d’intempérance (1)
ne souhaite pas être injuste ou intempérant, et si, sans avoir l’ignorance pour excuse, on
accomplit des actions qui auront pour conséquence de nous rendre injuste, c’est volontairement
qu’on sera injuste. Il ne s’en suit pas cependant qu’un simple souhait suffira pour cesser d’être
injuste et pour être juste, pas plus que ce n’est ainsi que le malade peut recouvrer la santé,
quoiqu’il puisse arriver qu’il soit malade volontairement en menant une vie intempérante et en
désobéissant à ses médecins : c’est au début qu’il lui était alors possible de ne pas être malade,
mais une fois qu’il s’est laissé aller, cela ne lui est plus possible, de même que si vous avez lâché
une pierre vous n’êtes plus capable de la rattraper, mais pourtant il dépendait de vous de la jeter
et de la lancer, car le principe de votre acte était en vous. Ainsi en est-il pour l’homme injuste ou
intempérant : au début il leur était possible de ne pas devenir tels, et c’est ce qui fait qu’ils le sont
volontairement ; et maintenant qu’ils le sont devenus, il ne leur est plus possible de ne pas l’être.
ARISTOTE
(1) « intempérance » : absence de mesure dans les désirs.
QUESTIONS :
1° Dégagez la thèse d’Aristote et l’organisation de l’argumentation.
2° Expliquez :
a) « sans avoir l’ignorance pour excuse » ;
b) « car le principe de votre acte était en vous » ;
3° L’habitude peut-elle faire perdre à l’homme sa liberté ?
- 712 -
[713] SUJET N° 713 - N/R - 1998 - Série TECHN. - ANTILLES - SESSION NORMALE
Afin de ne pas perdre courage et de ne pas succomber au dégoût, parmi des oisifs débiles (1) et
incorrigibles, ou parmi des compagnons qui ne sont actifs qu’en apparence mais en réalité
seulement agités et frétillants, l’homme d’action jette un regard en arrière et interrompt un
moment sa course, ne fût-ce que pour reprendre haleine. Mais son but est toujours un bonheur,
pas nécessairement son propre bonheur, mais celui d’une nation ou de l’humanité tout entière. Il
répugne à la résignation et il use de l’histoire comme d’un remède à la résignation. Il ne peut le
plus souvent compter sur aucune récompense, si ce n’est la gloire, c’est-à-dire le droit d’occuper
une place d’honneur dans le temple de l’histoire (2), où il pourra servir de maître, de consolateur
ou d’avertissement pour la postérité (3). Car la loi qu’il reconnaît, c’est que tout ce qui a jamais
été capable d’élargir et d’embellir la notion de « l’homme » doit rester éternellement présent, afin
de maintenir éternellement présente cette possibilité.
NIETZSCHE
(1) « débiles » : sans (véritable) énergie.
(2) « temple de l’histoire » : ce que retient l’histoire.
(3) « postérité » : les générations futures.
QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée principale du texte en analysant la valeur originale que l’auteur accorde à
l’histoire.
2°
a) Expliquez : « il use de l’histoire comme d’un remède à la résignation ».
b) Expliquez la dernière phrase.
3° A quoi l’histoire peut-elle servir ?
- 713 -
[714] SUJET N° 714 - N/R - 1998 - Série TECHN. - ANTILLES - SESSION REMPL.
Pufendorf (1) dit que, tout de même qu’on transfère son bien à autrui par des conventions et des
contrats, on peut aussi se dépouiller de sa liberté en faveur de quelqu’un. C’est là, ce me semble,
un fort mauvais raisonnement ; car premièrement le bien que j’aliène (2) me devient une chose
tout à fait étrangère, et dont l’abus m’est indifférent, mais il m’importe qu’on n’abuse point de
ma liberté, et je ne puis sans me rendre coupable du mal qu’on me forcera de faire, m’exposer à
devenir l’instrument du crime. De plus, le droit de propriété n’étant que de convention et
d’institution humaine, tout homme peut à son gré disposer de ce qu’il possède : mais il n’en est
pas de même des dons essentiels de la nature, tels que la vie et la liberté, dont il est permis à
chacun de jouir… En s’ôtant l’une on dégrade son être ; en s’ôtant l’autre on l’anéantit autant
qu’il est en soi ; et comme nul bien temporel ne peut dédommager de l’une et de l’autre, ce serait
offenser à la fois la nature et la raison que d’y renoncer à quelque prix que ce fût.
ROUSSEAU
(1) Juriste du XVIIe siècle.
(2) aliéner : donner ou vendre.
QUESTIONS :
1° Quelle est l’idée générale de ce texte et quelles sont les étapes de l’argumentation ?
2°
a) Expliquez : « le bien que j’aliène me devient une chose tout à fait étrangère et dont l’abus
m’est indifférent » ;
b) comment « puis-je me rendre coupable du mal » qu’on me forcerait de faire ?
c) qu’est-ce qu’« offenser à la fois la nature et la raison » ?
3° La liberté est-elle un bien comme un autre ?
- 714 -
[715] SUJET N° 715 - N/R - 1998 - Série TECHN. - INDE - SESSION NORMALE
Il est remarquable que le monde animal ne fasse point voir la moindre trace d’une action par
outil. Il est vrai aussi que les animaux n’ont point de monuments ni aucun genre d’écriture.
Aucun langage véritable ne lie une génération à l’autre. Ils ne reçoivent en héritage que leur
forme ; aussi n’ont-ils d’autres instruments que leurs pattes et mandibules, ou, pour mieux dire,
leur corps entier qui se fait place. Ils travaillent comme ils déchirent, mastiquent et digèrent,
réduisent en pulpe tout ce qui se laisse broyer. Au contraire, l’outil est quelque chose qui résiste,
et qui impose sa forme à la fois à l’action et à la chose faite. Par la seule faux, l’art de faucher est
transmis du père à l’enfant. L’arc veut une position des bras et de tout le corps, et ne cède point.
La scie de même ; les dents de fer modèrent l’effort et réglementent le mouvement ; c’est tout à
fait autre chose que de ronger. Tel est le premier aspect de l’outil. J’en aperçois un autre, qui est
que l’outil est comme une armure. Car le corps vivant est aisément meurtri, et la douleur
détourne ; au lieu que l’outil oppose solide à solide, ce qui fait que le jeu des muscles perce enfin
le bois, la roche, et le fer même. Le lion mord vainement l’épieu, le javelot, la flèche. Ainsi
l’homme n’est plus à corps perdu dans ses actions mais il envoie l’outil à la découverte. Si le
rocher en basculant retient la pioche ou le pic, ce n’est pas comme s’il serrait la main ou le bras.
L’homme se retrouve intact, et la faute n’est point sans remède. D’où un genre de prudence où il
n’y a point de peur. On comprend d’après ces remarques la puissance de l’outil.
ALAIN
QUESTIONS :
1° Dégagez les principales étapes de l’analyse de l’outil.
2° Expliquez les phrases :
a) « Par la seule faux, l’art de faucher est transmis du père à l’enfant » ;
b) « la faute n’est point sans remède ».
3° Dans un développement argumenté, vous examinerez en quoi il n’y a de technique
qu’humaine.
- 715 -
[716] SUJET N° 716 - N/R - 1998 - Série TECHN. - POLYNESIE - SESSION NORMALE
L’anatomiste ne devrait jamais rivaliser avec le peintre. Dans ses dissections soigneuses et ses
descriptions précises des moindres éléments du corps humain, il ne prétend pas donner à ses
représentations une attitude ou une expression gracieuse et séduisante. Il y a même quelque chose
de repoussant, ou au moins d’étriqué, dans les vues qu’il donne des choses. Il est nécessaire de
placer les objets plus à distance et de les protéger davantage du regard pour les rendre plus
séduisants pour l’œil et l’imagination. L’anatomiste, cependant, est admirablement qualifié pour
conseiller le peintre, il est même impossible d’exceller dans le second art sans l’aide du premier.
Il nous faut avoir une connaissance exacte des éléments, de leur situation et de leurs relations
avant de pouvoir dessiner avec exactitude et élégance.
HUME
QUESTIONS :
1°
a) Quelle est l’idée directrice de ce texte ?
b) quelles sont les étapes de l’argumentation ?
2° Expliquez :
a) « il ne prétend pas donner à ses représentations une attitude ou une expression gracieuse et
séduisante » ;
b) « Il est nécessaire de placer les objets plus à distance et de les protéger davantage du regard
pour les rendre plus séduisants pour l’œil et l’imagination. »
3° Faut-il être un bon observateur pour être un artiste ?
- 716 -
[717] SUJET N° 717 - N/R - 1998 - Série TECHN. - LA REUNION - SESSION NORMALE
On façonne les plantes par la culture, et les hommes par l’éducation. Si l’homme naissait grand et
fort, sa taille et sa force lui seraient inutiles jusqu’à ce qu’il eût appris à s’en servir ; elles lui
seraient préjudiciables, en empêchant les autres de songer à l’assister ; et, abandonné à lui même, il mourrait de misère avant d’avoir connu ses besoins. On se plaint de l’état de l’enfance ;
on ne voit pas que la race humaine eût péri, si l’homme n’eût commencé par être enfant.
Nous naissons faibles, nous avons besoin de force ; nous naissons dépourvus de tout, nous avons
besoin d’assistance, nous naissons stupides, nous avons besoin de jugement. Tout ce que nous
n’avons pas à notre naissance, et dont nous avons besoin étant grands, nous est donné par
l’éducation.
ROUSSEAU
QUESTIONS :
1° Quelle est la thèse de l’auteur ? Montrez comment les arguments du texte parviennent à
l’établir.
2° Expliquez les phrases suivantes :
- « On façonne les plantes par la culture, et les hommes par l’éducation » ;
- « On se plaint de l’état de l’enfance ; on ne voit pas que la race humaine eût péri, si l’homme
n’eût commencé par être enfant ».
3° Pourquoi l’homme a-t-il besoin d’éducation ?
- 717 -
[718] SUJET N° 718 - N/R - 1997 - Série ES - METROPOLE - SESSION NORMALE
A quoi vise l’art, sinon à nous montrer, dans la nature et dans l’esprit, hors de nous et en nous,
des choses qui ne frappaient pas explicitement nos sens et notre conscience ? Le poète et le
romancier qui expriment un état d’âme ne le créent certes pas de toutes pièces, ils ne seraient pas
compris de nous si nous n’observions pas en nous, jusqu’à un certain point, ce qu’ils nous disent
d’autrui. Au fur et à mesure qu’ils nous parlent, des nuances d’émotion et de pensée nous
apparaissent qui pouvaient être représentées en nous depuis longtemps, mais qui demeuraient
invisibles : telle, l’image photographique qui n’a pas encore été plongée dans le bain où elle se
révélera. Le poète est ce révélateur. Mais nulle part la fonction de l’artiste ne se montre aussi
clairement que dans celui des arts qui fait la plus large place à l’imitation, je veux dire la
peinture. Les grands peintres sont des hommes auxquels remonte une certaine vision des choses
qui est devenue ou qui deviendra la vision de tous les hommes.
BERGSON
- 718 -
[719] SUJET N° 719 - N/R - 1997 - Série ES - GROUPEMENTS II-III - SESSION NORMALE
L’effet naturel du commerce est de porter à la paix. Deux nations qui négocient ensemble se
rendent réciproquement dépendantes : si l’une a intérêt d’acheter, l’autre a intérêt de vendre, et
toutes les unions sont fondées sur des besoins mutuels.
Mais si l’esprit de commerce unit les nations, il n’unit pas de même les particuliers. Nous voyons
que dans les pays où l’on n’est affecté que de l’esprit de commerce, on trafique de toutes les
actions humaines, et de toutes les vertus morales : les plus petites choses, celles que l’humanité
demande, s’y font ou s’y donnent pour de l’argent.
L’esprit de commerce produit dans les hommes un certain sentiment de justice exacte, opposé
d’un côté au brigandage, et de l’autre à ces vertus morales qui font qu’on ne discute pas toujours
ses intérêts avec rigidité, et qu’on peut les négliger pour ceux des autres.
MONTESQUIEU
- 719 -
[720] SUJET N° 720 - N/R - 1997 - Série ES - METROPOLE - SESSION REMPL.
Je puis vouloir une éclipse, ou simplement un beau soleil qui sèche le grain, au lieu de cette
tempête grondeuse et pleureuse, je puis, à force de vouloir, espérer et croire enfin que les choses
iront comme je veux ; mais elles vont leur train. D’où je vois bien que ma prière est d’un nigaud.
Mais quand il s’agit de mes frères les hommes, ou de mes sœurs les femmes, tout change. Ce que
je crois finit souvent par être vrai. Si Je me crois haï, je serai haï ; pour l’amour de même. Si je
crois que l’enfant que j’instruis est incapable d’apprendre, cette croyance écrite dans mes regards
et dans mes discours le rendra stupide, au contraire, ma confiance et mon attente est comme un
soleil qui mûrira les fleurs et les fruits du petit bonhomme. Je prête, dites-vous, à la femme que
j’aime, des vertus qui elle n’a point, mais si elle sait que je crois en elle, elle les aura. Plus ou
moins, mais il faut essayer ; il faut croire. Le peuple, méprisé, est bientôt méprisable, estimez-le,
il s’élèvera. La défiance a fait plus d’un voleur ; une demi-confiance est comme une injure ; mais
si je savais la donner toute, qui donc me tromperait ? Il faut donner d’abord.
ALAIN
- 720 -
[721] SUJET N° 721 - N/R - 1997 - Série S - INDE - SESSION NORMALE
Lorsqu’on déclare voir l’avenir, ce que l’on voit, ce ne sont pas les événements eux-mêmes, qui
ne sont pas encore, autrement dit qui sont futurs, ce sont leurs causes ou peut-être leurs signes qui
les annoncent et qui les uns et les autres existent déjà : ils ne sont pas futurs, mais déjà présents
aux voyants et c’est grâce à eux que l’avenir est conçu par l’esprit et prédit. Ces conceptions
existent déjà, et ceux qui prédisent l’avenir les voient présentes en eux-mêmes.
Je voudrais faire appel à l’éloquence d’un exemple pris entre une foule d’autres. Je regarde
l’aurore, j’annonce le proche lever du soleil. Ce que j’ai sous les yeux est présent, ce que
j’annonce est futur : non point le soleil qui est déjà, mais son lever qui n’est pas encore. Pourtant
si je n’avais pas une image mentale de ce lever même, comme à cet instant où j’en parle, il me
serait impossible de le prédire. Mais cette aurore que j’aperçois dans le ciel n’est pas le lever du
soleil, bien qu’elle le précède, pas davantage ne l’est l’image que je porte dans mon esprit :
seulement toutes les deux sont présentes, je les vois et ainsi je puis dire d’avance ce qui va se
passer. L’avenir n’est donc pas encore ; s’il n’est pas encore, il n’est pas et s’il n’est pas, il ne
peut absolument pas se voir, mais on peut le prédire d’après les signes présents qui sont déjà et
qui se voient.
AUGUSTIN
- 721 -
[722] SUJET N° 722 - N/R - 1997 - Série S - POLYNESIE - SESSION NORMALE
Cette espérance en des temps meilleurs, sans laquelle jamais un réel désir d’accomplir quelque
chose qui aille dans le sens du bien général n’aurait enflammé le cœur humain, a aussi toujours
eu une influence sur l’activité des bons esprits. (...) Malgré le triste spectacle non pas tant des
maux d’origine naturelle qui pèsent sur le genre humain, que de ceux que les hommes s’infligent
à eux mêmes les uns les autres, l’esprit s’éclaire pourtant devant la perspective que l’avenir sera
peut-être meilleur, et il le fait certes avec une bienveillance désintéressée, étant donné que nous
serons depuis longtemps dans la tombe et ne récolterons pas les fruits de ce nous aurons nousmêmes en partie semé. Les arguments empiriques déployés contre le succès de ces résolutions
inspirées par l’espoir sont ici sans effet. Car la proposition selon laquelle ce qui jusqu’à
maintenant n’a pas encore réussi ne doit pour cette raison jamais réussir non plus, ne justifie
même pas qu’on abandonne une intention pragmatique (1) ou technique (comme par exemple les
voyages aériens avec des ballons aérostatiques), mais encore moins qu’on abandonne une
intention morale qui, dès que sa réalisation ne peut pas être démontrée impossible, devient un
devoir.
KANT
(1) « pragmatique » est à prendre au sens d’utilitaire.
- 722 -
[723] SUJET N° 723 - N/R - 1997 - Série S - SPORTIFS HAUT NIVEAU - SESSION
NORMALE
Il semble que le savoir scientifique acquis soit toujours essayé, toujours contrôlé, toujours
critiqué. Un peu de doute potentiel reste toujours en réserve dans les notions scientifiques (…).
On ne l’élimine pas par une expérience réussie. Il pourra renaître, s’actualiser quand une autre
expérience est rencontrée. Et, précisément, à la différence de la connaissance commune, la
connaissance scientifique est faite de la rencontre d’expériences nouvelles ; elle prend son
dynamisme de la provocation d’expériences qui débordent le champ d’expériences anciennes. On
n’est donc jamais sûr que ce qui fut fondamental le restera. Le dogmatisme scientifique est un
dogmatisme qui s’émousse. Il peut trancher un débat actuel et cependant être un embarras quand
l’expérience enjoint de « remettre en question » une notion. Tout savoir scientifique est ainsi
soumis à une autocritique. On ne s’instruit, dans les sciences modernes, qu’en critiquant sans
cesse son propre savoir.
BACHELARD
- 723 -
[724] SUJET N° 724 - N/R - 1997 - Série TECHN. - GROUPEMENTS I-IV - SESSION
NORMALE
N’est-ce pas ce qui fait la souveraineté de la culture musicale : rien ne pénètre davantage au fond
de l’âme que le rythme et l’harmonie, rien ne s’attache plus fortement à elle en apportant la
beauté ? Elle la rend belle, si du moins elle a été correctement pratiquée ; car, dans le contraire,
c’est l’inverse.
D’un autre côté, celui qui l’a pratiquée comme il faut est tout particulièrement sensible à
l’imperfection des œuvres mal travaillées ou mal venues ; c’est à bon droit qu’il s’en détourne
avec irritation pour accorder son approbation à celles qui sont belles ; y prenant plaisir et les
accueillant en son âme, il s’en nourrit et devient homme accompli, c’est à bon droit qu’il dénonce
la laideur et la prend en haine, tout jeune encore et avant même d’être capable de raisonner ; et
lorsque la raison lui vient, celui qui a reçu une telle culture est tout disposé à lui accorder
l’accueil empressé qu’on réserve à un parent proche.
PLATON
QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée directrice et les étapes de l’argumentation de ce texte.
2° Expliquez : « Rien ne pénètre davantage au fond de l’âme que le rythme et l’harmonie » et
« celui qui l’a pratiquée comme il faut est tout particulièrement sensible à l’imperfection des
œuvres mal travaillées ».
3° L’art rend-il l’homme meilleur ?
- 724 -
[725] SUJET N° 725 - N/R - 1997 - Série TECHN. - GROUPEMENTS II-III - SESSION
NORMALE
S’il n’y a pas d’histoire proprement dite là où les événements dérivent nécessairement et
régulièrement les uns des autres, en vertu des lois constantes par lesquelles le système est régi
(…), il n’y a pas non plus d’histoire, dans le vrai sens du mot, pour une suite d’événements qui
seraient sans aucune liaison entre eux. Ainsi les registres (1) d’une loterie publique pourraient
offrir une succession de coups singuliers, quelquefois piquants pour la curiosité, mais ne
constitueraient pas une histoire : car les coups se succèdent sans s’enchaîner, sans que les
premiers exercent aucune influence sur ceux qui les suivent, à peu prés comme dans ces annales
où les prêtres de l’Antiquité avaient soin de consigner les monstruosités et les prodiges à mesure
qu’ils venaient à leur connaissance. Tous ces événements merveilleux, sans liaison les uns avec
les autres, ne peuvent former une histoire dans le vrai sens du terme, quoiqu’ils se succèdent
suivant un certain ordre chronologique.
COURNOT
(1) « registres » : annales.
QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée directrice et les étapes de l’argumentation de ce texte.
2° Expliquez : « Il n’y a pas d’histoire là où les événements dérivent nécessairement et
régulièrement les uns des autres » et « Tous ces événements merveilleux, sans liaison les uns
avec les autres, ne peuvent former une histoire ».
3° Pourquoi la compréhension de l’histoire ne peut-elle se réduire à une simple chronologie ?
- 725 -
[726] SUJET N° 726 - N/R - 1997 - Série TECHN. - METROPOLE - SESSION REMPL.
Si dans une Cité les sujets ne prennent pas les armes parce qu’ils sont sous l’empire de la terreur,
on doit dire, non que la paix y règne, mais plutôt que la guerre n’y règne pas. La paix en effet
n’est pas la simple absence de guerre, elle est une vertu qui a son origine dans la force d’âme car
l’obéissance est une volonté constante de faire ce qui, suivant le droit de la Cité, doit être fait.
Une Cité (...) où la paix est un effet de l’inertie des sujets conduits comme un troupeau et formés
uniquement à la servitude, peut être appelée « solitude », plutôt que « Cité ».
Quand nous disons que l’Etat le meilleur est celui où les hommes vivent dans la concorde,
j’entends qu’ils vivent d’une vie proprement humaine, d’une vie qui ne se définit point par la
circulation du sang et l’accomplissement des autres fonctions communes à tous les autres
animaux.
SPINOZA
QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée directrice et les étapes de l’argumentation de ce texte.
2° Expliquez :
a) « La paix (…) n’est pas la simple absence de guerre » ;
b) « faire ce qui, suivant le droit de la Cité, doit être fait » ;
c) « ils vivent d’une vie proprement humaine ».
3° Peut-on être libre sans exercer sa citoyenneté ?
- 726 -
[727] SUJET N° 727 - N/R - 1997 - Série TECHN. - ETRANGER GROUPE 1 - SESSION
NORMALE
Les hommes ne sont naturellement ni rois, ni grands (1), ni courtisans, ni niches ; tous sont nés
nus et pauvres, tous sujets aux misères de la vie, aux chagrins, aux maux, aux besoins, aux
douleurs de toute espèce, enfin, tous sont condamnés à la mort. Voilà ce qui est vraiment de
l’homme ; voilà de quoi nul mortel n’est exempt. Commencez donc par étudier de la nature
humaine ce qui en est le plus inséparable, ce qui constitue le mieux de l’humanité. A seize ans
l’adolescent sait ce que c’est que souffrir ; car il a souffert lui-même ; mais à peine sait-il que
d’autres êtres souffrent aussi, le voir sans le sentir n’est pas le savoir, et, comme je l’ai dit cent
fois, l’enfant n’imaginant point ce que sentent les autres ne connaît de maux que les siens : mais
quand le premier développement des sens allume en lui le feu de l’imagination, il commence à se
sentir dans ses semblables, à s’émouvoir de leurs plaintes et à souffrir de leurs douleurs. C’est
alors que le triste tableau de l’humanité souffrante doit porter à son cœur le premier
attendrissement qu’il ait jamais éprouvé.
ROUSSEAU
(1) « grand » : nobles.
QUESTIONS :
1° Dégagez la thèse du texte en expliquant le lien qui unit les deux paragraphes.
2° Expliquez les passages suivants du texte :
a) « les hommes ne sont naturellement ni rois, ni grands, ni courtisans, ni riches » ;
b) « il commence à se sentir dans ses semblables ».
3° La pitié est-elle ce qui caractérise le mieux l’humanité ?
- 727 -
[728] SUJET N° 728 - N/R - 1997 - Série TECHN. - ETRANGER GROUPE 1 - SESSION
REMPL.
L’activité du génie ne paraît pas le moins du monde quelque chose de foncièrement différent de
l’activité de l’inventeur en mécanique, du savant astronome ou historien, du maître en tactique.
Toutes ces activités s’expliquent si l’on se représente des hommes dont la pensée est active dans
une direction unique, qui utilisent tout comme matière première, qui ne cessent d’observer
diligemment (1) leur vie intérieure et celle d’autrui, qui ne se lassent pas de combiner leurs
moyens. Le génie ne fait rien que d’apprendre d’abord à poser des pierres, ensuite à bâtir, que de
chercher toujours des matériaux et de travailler toujours à y mettre la forme. Toute activité de
l’homme est compliquée à miracles, non pas seulement celle du génie, mais aucune n’est un
« miracle » - D’où vient donc cette croyance qu’il n’y a de génie que chez l’artiste, l’orateur et le
philosophe ? qu’eux seuls ont une « intuition » ? Les hommes ne parlent intentionnellement de
génie que là où les effets de la grande intelligence leur sont le plus agréables et où ils ne veulent
pas d’autre part éprouver d’envie. Nommer quelqu’un « divin » c’est dire : « ici nous n’avons pas
à rivaliser ». En outre, tout ce qui est fini, parfait, excite l’étonnement, tout ce qui est en train de
se faire est déprécié. Or, personne ne peut voir dans l’œuvre de l’artiste comment elle s’est faite ;
c’est son avantage, car partout où l’on peut assister à la formation, on est un peu refroidi.
NIETZSCHE
(1) « diligemment » : avec une attention passionnée.
QUESTIONS :
1° Dégagez la thèse du texte.
2° Expliquez les passages suivants du texte :
a) « Le génie ne fait rien que d’apprendre d’abord à poser des pierres, ensuite à bâtir, que de
chercher toujours des matériaux et de travailler toujours à y mettre la forme » ;
b) « Mais aucune n’est un miracle » ;
c) « Les hommes ne parlent intentionnellement de génie que là où les effets de la grande
intelligence leur sont le plus agréables et où ils ne veulent pas d’autre part éprouver d’envie ».
3° L’activité du génie diffère-t-elle de toutes les autres comme on le pense généralement ?
- 728 -
[729] SUJET N° 729 - N/R - 1997 - Série TECHN. - ANTILLES - SESSION REMPL.
Les hommes ne sont pas nés pour devenir astronomes, ou chimistes ; pour passer toute leur vie
pendus à une lunette, ou attachés à un fourneau ; et pour tirer ensuite des conséquences assez
utiles de leurs observations laborieuses. Je veux (1) qu’un astronome ait découvert le premier des
terres, des mers, et des montagnes dans la lune ; qu’il se soit aperçu le premier des taches qui
tournent sur le soleil, et qu’il en ait exactement calculé les mouvements. Je veux qu’un chimiste
ait enfin trouvé le secret de fixer le mercure (…) : en sont-ils pour cela devenus plus sages et plus
heureux ? Ils se sont peut être fait quelques réputation dans le monde ; mais s’ils y ont pris garde,
cette réputation n’a fait qu’étendre leur servitude. Les hommes peuvent regarder l’astronomie, la
chimie, et presque toutes les autres sciences comme des divertissements d’un honnête homme (2),
mais ils ne doivent pas se laisser surprendre par leur éclat, ni les préférer à la science de
l’homme.
MALEBRANCHE
(1) « Je veux » : je veux bien, je consens, j’admets.
(2) « un honnête homme » : un homme accompli.
QUESTIONS :
1° Dégagez clairement la thèse du texte. Précisez l’argumentation de l’auteur.
2° Expliquez : « s’ils y ont pris garde, cette réputation n’a fait qu’étendre leur servitude ».
3° La recherche de la sagesse et de l’épanouissement peut-elle être indépendante de la
connaissance du monde ?
- 729 -
[730] SUJET N° 730 - N/R - 1997 - Série TECHN. - INDE - SESSION NORMALE
Résistance et obéissance, voilà les deux vertus du citoyen. Par l’obéissance, il assure l’ordre ; par
la résistance, il assure la liberté. Et il est bien clair que l’ordre et la liberté ne sont point
séparables, car le jeu des forces, c’est-à-dire la guerre privée à toute minute, n’enferme aucune
liberté ; c’est une vie animale, livrée à tous hasards. Donc les deux termes, ordre et liberté, sont
bien loin d’être opposés ; j’aime mieux dire qu’ils sont corrélatifs. La liberté ne va pas sans
l’ordre, l’ordre ne vaut rien sans la liberté. Obéir en résistant, c’est tout le secret. Ce qui détruit
l’obéissance est anarchie ; ce qui détruit la résistance est tyrannie. Ces deux maux s’appellent, car
la tyrannie employant la force contre les opinions, les opinions, en retour, emploient la force
contre la tyrannie, et, inversement, quand la résistance devient désobéissance, les pouvoirs ont
beau jeu pour écraser la résistance, et ainsi deviennent tyranniques. Dès qu’un pouvoir use de
force pour tuer la critique, il est tyrannique.
ALAIN
QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée générale du texte et précisez la structure de son argumentation.
2° Expliquez :
a) « Le jeu des forces, (...) n’enferme aucune liberté » ;
b) « Ce qui détruit l’obéissance est anarchie, ce qui détruit la résistance est tyrannie ».
3° Dans un développement progressif et argumenté, vous vous efforcerez de délimiter un droit du
citoyen à la résistance.
- 730 -
[731] SUJET N° 731 - N/R - 1997 - Série TECHN. - LA REUNION - SESSION NORMALE
Ce n’est pas pour tenir l’homme par la crainte et faire qu’il appartienne à un autre, que l’Etat est
institué ; au contraire, c’est pour libérer l’individu de la crainte, pour qu’il vive autant que
possible en sécurité, c’est-à-dire conserve aussi bien qu’il se pourra, sans dommage pour autrui,
son droit naturel d’exister et d’agir. Non, je le répète, la fin de l’Etat n’est pas de faire passer les
hommes de la condition d’êtres raisonnables à celle de bêtes brutes ou d’automates, mais au
contraire il est institué pour que leur âme et leur corps s’acquittent en sûreté de toutes leurs
fonctions, pour qu’eux-mêmes usent d’une raison libre, pour qu’ils ne luttent point de haine, de
colère ou de ruse, pour qu’ils se supportent sans malveillance les uns les autres. La fin de l’Etat
est donc en réalité la liberté.
SPINOZA
QUESTIONS :
1° Quelle est l’idée principale du texte ?
2° Expliquez :
a) « ce n’est pas pour tenir l’homme par la crainte (…) que l’Etat est institué » ;
b) « son droit naturel d’exister et d’agir » ;
c) « la fin de l’Etat ».
3° Peut-on concilier le pouvoir de l’Etat et la liberté individuelle ?
- 731 -
[732] SUJET N° 732 - N/R - 1997 - Série TECHN. - SPORTIFS HAUT NIVEAU - SESSION
REMPL.
Il existe un préjugé très répandu, d’après lequel l’art a débuté par le simple et le naturel. Ceci
peut être vrai dans une certaine mesure, car, par rapport à l’art, le grossier et le sauvage
constituent le plus simple ; les vrais débuts, tels que les conçoit l’art, sont tout autre chose. Les
débuts simples et naturels, au sens du grossier et du sauvage, n’ont rien à voir avec l’art et la
beauté, comme n’ont rien d’artistique les figures simples dessinées par les enfants, par exemple,
qui, avec quelques traits informes, tracent une figure humaine, un cheval, etc. La beauté, en tant
qu’œuvre d’art, a besoin, dès ses débuts, d’une technique élaborée, exige de nombreux essais et
un long exercice, et le simple, en tant que simplicité du beau, la grandeur idéale, est plutôt un
résultat obtenu après de nombreuses médiations qui avaient pour but d’éliminer la variété, les
exagérations, les confusions, le malaisé, sans que cette victoire se ressente des travaux
préliminaires, du travail de préparation et d’élaboration, de façon que la beauté surgisse dans
toute sa liberté, apparaisse comme faite d’une seule coulée.
HEGEL
QUESTIONS :
1°
a) Quel préjugé Hegel combat-il dans ce texte ?
b) Comment établit-il la distinction entre deux forme de « naturel » ?
c) Quelle thèse soutient-il ?
2° Expliquez :
a) « la beauté, en tant qu’œuvre d’art, a besoin, dès ses débuts, d’une technique élaborée » ;
b) « le simple (...) est plutôt un résultat obtenu après de nombreuses médiations ».
3° Y a-t-il du naturel dans l’art ?
- 732 -
[733] SUJET N° 733 - N/R - 1997 - Série ES - ETRANGER GROUPE 1 - SESSION
NORMALE
C’est une erreur de distinguer les passions en permises et défendues, pour se livrer aux premières
et se refuser aux autres. Toutes sont bonnes quand on en reste le maître ; toutes sont mauvaises
quand on s’y laisse assujettir. Ce qui nous est défendu par la nature, c’est d’étendre nos
attachements plus loin que nos forces : ce qui nous est défendu par la raison, c’est de vouloir ce
que nous ne pouvons obtenir, ce qui nous est défendu par la conscience n’est pas d’être tentés,
mais de nous laisser vaincre aux tentations. Il ne dépend pas de nous d’avoir ou de n’avoir pas de
passions, mais il dépend de nous de régner sur elles. Tous sentiments que nous dominons sont
légitimes ; tous ceux qui nous dominent sont criminels. Un homme n’est pas coupable d’aimer la
femme d’autrui, s’il tient cette passion malheureuse asservie à la loi du devoir ; il est coupable
d’aimer sa propre femme au point d’immoler tout à son amour.
ROUSSEAU
- 733 -
[734] SUJET N° 734 - N/R - 1997 - Série ES - ETRANGER GROUPE 1 - SESSION
NORMALE
Pufendorf (1) dit que, tout de même qu’on transfère son bien à autrui par des conventions et des
contrats, on peut aussi se dépouiller de sa liberté en faveur de quelqu’un. C’est là, ce me semble,
un fort mauvais raisonnement. Car, premièrement, le bien que j’aliène (2) me devient une chose
tout à fait étrangère, et dont l’abus m’est indifférent ; mais il importe qu’on n’abuse point de ma
liberté, et je ne puis, sans me rendre coupable du mal qu’on me forcera de faire, m’exposer à
devenir l’instrument du crime. De plus, le droit de propriété n’étant que de convention et
d’institution humaine, tout homme peut à son gré disposer de ce qu’il possède. Mais il n’en est
pas de même des dons essentiels de la nature, tels que la vie et la liberté, dont il est permis à
chacun de jouir, et dont il est moins douteux qu’on ait droit de se dépouiller : en s’ôtant l’un on
dégrade son être, en s’ôtant l’autre on l’anéantit autant qu’il est en soi (3) ; et, comme nul bien
temporel (4) ne peut dédommager de l’une et de l’autre, ce serait offenser à la fois la nature et la
raison que d’y renoncer, à quelque prix que ce fût.
ROUSSEAU
(1) Pufendorf : théoricien du droit.
(2) « aliéner » : au sens juridique, donner ou vendre (du latin alienus : qui appartient à un autre,
étranger).
(3) « autant qu’il est en soit » : entièrement.
(4) « temporel » : qui appartient au domaine des choses matérielles (par opposition à ce qui est
spirituel).
- 734 -
[735] SUJET N° 735 - N/R - 1997 - Série ES - ANTILLES - SESSION NORMALE
Il y a l’avenir qui se fait et l’avenir qu’on fait. L’avenir réel se compose des deux. Au sujet de
l’avenir qui se fait, comme orage ou éclipse, il ne sert à rien d’espérer, il faut savoir et observer
avec des yeux secs. Comme on essuie les verres de la lunette, ainsi il faut essuyer la buée des
passions sur les yeux. J’entends bien. Les choses du ciel, que nous ne modifions jamais, nous ont
appris la résignation et l’esprit géomètre qui sont une bonne partie de la sagesse. Mais dans les
choses terrestres, que de changements par l’homme industrieux ! Le feu, le blé, le navire, le chien
dressé, le cheval dompté, voilà des œuvres que l’homme n’aurait point faites si la science avait
tué l’espérance.
Surtout dans l’ordre humain lui-même, où la confiance fait partie des faits, je compte très mal si
je ne compte point ma propre confiance. Si Je crois que je vais tomber, je tombe, si je crois que je
ne puis rien, je ne puis rien. Si je crois que mon espérance me trompe, elle me trompe. Attention
là. Je fais le beau temps et l’orage, en moi d’abord, autour de moi aussi, dans le monde des
hommes. Car le désespoir, et l’espoir aussi, vont de l’un à l’autre plus vite que ne changent les
nuages.
ALAIN
- 735 -
[736] SUJET N° 736 - N/R - 1997 - Série ES - ANTILLES - SESSION REMPL.
Pour former l’Etat, une seule chose est nécessaire : que tout le pouvoir de décréter appartienne
soit à tous collectivement, soit à quelques-uns, soit à un seul. Puisque, en effet, le libre jugement
des hommes est extrêmement divers, que chacun pense être seul à tout savoir et qu’il est
impossible que tous soient de la même opinion et parlent d’une seule bouche, ils ne pourraient
vivre en paix si l’individu n’avait renoncé à son droit d’agir suivant le seul décret de sa pensée.
C’est donc seulement au droit d’agir par son décret qu’il a renoncé, non au droit de raisonner et
de juger ; par suite nul à la vérité ne peut, sans danger pour le droit du souverain, agir contre son
décret, mais il peut avec une entière liberté se former une opinion et juger et en conséquence
aussi parler, pourvu qu’il n’aille pas au delà de la simple parole ou de l’enseignement, et qu’il
défende son opinion par la raison seule, non par la ruse, la colère ou la haine, ni dans l’intention
de changer quoi que ce soit dans l’Etat de par l’autorité de son propre décret.
SPINOZA
- 736 -
[737] SUJET N° 737 - N/R - 1997 - Série ES - AMERIQUE DU NORD - SESSION NORMALE
Les passions, puisqu’elles peuvent se conjuguer avec la réflexion la plus calme, qu’elles ne
peuvent donc pas être irréfléchies comme les émotions et que, par conséquent, elles ne sont pas
impétueuses (1) et passagères, mais qu’elles s’enracinent et peuvent subsister en même temps que
le raisonnement, portent, on le comprend aisément, le plus grand préjudice à la liberté ; si
l’émotion est une ivresse, la passion est une maladie, qui exècre toute médication (2), et qui par là
est bien pire que tous les mouvements passagers de l’âme ; ceux-ci font naître du moins le propos
de s’améliorer, alors que la passion est un ensorcellement qui exclut toute amélioration.
KANT
(1) « impétueuses » : dont l’impulsion est violente et rapide.
(2) « exècre toute médication » : hait, déteste, repousse tout remède.
- 737 -
[738] SUJET N° 738 - N/R - 1997 - Série ES - INDE - SESSION NORMALE
Rien de plus singulier que le personnage de Hamlet (1). S’il ressemble par certains côtés à
d’autres hommes, ce n’est pas par là qu’il nous intéresse le plus. Mais il est universellement
accepté, universellement tenu pour vivant. C’est en ce sens seulement qu’il est d’une vérité
universelle. De même pour les autres produits de l’art. Chacun d’eux est singulier, mais il finira,
s’il porte la marque du génie, par être accepté de tous le monde. Pourquoi l’accepte-t-on ? Et s’il
est unique en son genre, à quel signe reconnaît-on qu’il est vrai ? Nous le reconnaissons, je crois,
à l’effort même qu’il nous amène à faire sur nous pour voir sincèrement à notre tour. La sincérité
est communicative. Ce que l’artiste a vu, nous ne le reverrons pas, sans doute, du moins pas tout
à fait de même, mais s’il a vu pour tout de bon, l’effort qu’il a fait pour écarter le voile s’impose à
notre imitation. Son œuvre est un exemple qui nous sert de leçon. Et à l’efficacité de la leçon se
mesure précisément la vérité de l’œuvre. La vérité porte donc en elle une puissance de
conviction, de conversion même, qui est la marque à laquelle elle se reconnaît. Plus grande est
l’œuvre et plus profonde la vérité entrevue, plus l’effet pourra s’en faire attendre, mais plus aussi
cet effet tendra à devenir universel.
BERGSON
(1) Hamlet : personnage principal d’une pièce de théâtre de Shakespeare.
- 738 -
[739] SUJET N° 739 - N/R - 1997 - Série ES - JAPON - SESSION NORMALE
Radicale est la différence entre la conscience de l’animal, même le plus intelligent, et la
conscience humaine. Car la conscience correspond exactement à la puissance de choix dont l’être
dispose, elle est coextensive à (1) la frange d’action possible qui entoure l’action réelle :
conscience est synonyme d’invention et de liberté. Or, chez l’animal, l’invention n’est jamais
qu’une variation sur le thème de la routine. Enfermé dans les habitudes de l’espèce, il arrivera
sans doute à les élargir par son initiative individuelle ; mais il n’échappe à l’automatisme que
pour un instant, juste le temps de créer un automatisme nouveau : les portes de sa prison se
referment aussitôt ouvertes ; en tirant sur sa chaîne, il ne réussit qu’à l’allonger. Avec l’homme,
la conscience brise la chaîne. Chez l’homme, et chez l’homme seulement, elle se libère.
BERGSON
(1) « coextensive à » : dont l’étendue coïncide avec.
- 739 -
[740] SUJET N° 740 - N/R - 1997 - Série ES - POLYNESIE - SESSION NORMALE
A un esclave, oui, Je donnerais des conseils, et s’il arrivait qu’il ne consente pas à les suivre, je
l’y contraindrais. Mais un père ou une mère, je tiens pour impie de les contraindre sauf en cas de
folie. En revanche, s’ils mènent une vie régulière, qui leur plaît à eux, mais pas à moi, il ne faut ni
les irriter en vain par des reproches ni, bien sûr, se mettre à leur service, fût-ce pour les flatter, en
leur procurant la satisfaction de désirs, alors que personnellement je n’accepterais pas de vivre en
chérissant de tels désirs. C’est donc en ayant le même état d’esprit à l’égard de la cité qui est la
sienne que doit vivre le sage. Si le régime politique de cette cité ne lui semble pas être bon, qu’il
le dise, si, en le disant, il ne doit ni parler en vain ni risquer la mort, mais qu’il n’use pas contre sa
patrie de la violence qu’entraîne un renversement du régime politique. Quand il n’est pas possible
d’assurer l’avènement du meilleur (régime politique) sans bannir et sans égorger les hommes, il
vaut mieux rester tranquille et prier pour son bien personnel et pour celui de la cité.
PLATON
- 740 -
[741] SUJET N° 741 - N/R - 1997 - Série ES - SPORTIFS HAUT NIVEAU - SESSION
NORMALE
Tu oublies encore une fois, mon ami, que la loi ne se préoccupe pas d’assurer un bonheur
exceptionnel à une classe de citoyens, mais qu’elle s’efforce de réaliser le bonheur de la cité toute
entière, en unissant les citoyens par la persuasion ou la contrainte, et en les amenant à se faire
part les uns aux autres des avantages que chaque classe peut apporter à la communauté ; et que, si
elle forme de tels hommes dans la cité, ce n’est point pour les laisser libres de se tourner du côté
qu’il leur plaît, mais pour les faire concourir à fortifier le lien de l’Etat.
PLATON
- 741 -
[742] SUJET N° 742 - N/R - 1997 - Série L - METROPOLE - SESSION NORMALE
Il me semble que l’erreur qu’on commet le plus ordinairement touchant les désirs est qu’on ne
distingue pas assez les choses qui dépendent entièrement de nous de celles qui n’en dépendent
point : car, pour celles qui ne dépendent que de nous, c’est-à-dire de notre libre arbitre, il suffit de
savoir qu’elles sont bonnes pour ne les pouvoir désirer avec trop d’ardeur, à cause que c’est
suivre la vertu que de faire les choses bonnes qui dépendent de nous, et il est certain qu’on ne
saurait avoir un désir trop ardent pour la vertu, outre que ce que nous désirons en cette façon ne
pouvant manquer de nous réussir, puisque c’est de nous seuls qu’il dépend, nous en recevons
toujours toute la satisfaction que nous en avons attendue. Mais la faute qu’on a coutume de
commettre en ceci n’est jamais qu’on désire trop, c’est seulement qu’on désire trop peu ; et le
souverain remède contre cela est de délivrer l’esprit autant qu’il se peut de toutes sortes d’autres
désirs moins utiles, puis de tâcher de connaître bien clairement et de considérer avec attention la
bonté de ce qui est à désirer.
DESCARTES
- 742 -
[743] SUJET N° 743 - N/R - 1997 - Série L - METROPOLE - SESSION NORMALE
A quoi vise l’art, sinon à nous montrer, dans la nature et dans l’esprit, hors de nous et en nous,
des choses qui ne frappaient pas explicitement nos sens et notre conscience ? Le poète et le
romancier qui expriment un état d’âme ne le créent certes pas de toutes pièces ; ils ne seraient pas
compris de nous si nous n’observions pas en nous, jusqu’à un certain point, ce qu’ils nous disent
d’autrui. Au fur et à me sure qu’ils nous parlent, des nuances d’émotion et de pensée nous
apparaissent qui pouvaient être représentées en nous depuis longtemps, mais qui demeuraient
invisibles : telle, l’image photographique qui n’a pas encore été plongée dans le bain où elle se
révélera. Le poète est ce révélateur. Mais nulle part la fonction de l’artiste ne se montre aussi
clairement que dans celui des arts qui fait la plus large place à l’imitation, je veux dire la
peinture. Les grands peintres sont des hommes auxquels remonte une certaine vision des choses
qui est devenue ou qui deviendra la vision de tous les hommes.
BERGSON
- 743 -
[744] SUJET N° 744 - N/R - 1997 - Série L - METROPOLE - SESSION REMPL.
Supposons que quelqu’un affirme, en parlant de son penchant au plaisir, qu’il lui est tout à fait
possible d’y résister quand se présentent l’objet aimé et l’occasion : si, devant la maison où il
rencontre cette occasion, une potence était dressée pour l’y attacher aussitôt qu’il aurait satisfait
sa passion, ne triompherait-il pas alors de son penchant ? On ne doit pas chercher longtemps ce
qu’il répondrait. Mais demandez-lui si, dans le cas où son prince lui ordonnerait, en le menaçant
d’une mort immédiate, de porter un faux témoignage contre un honnête homme qu’il voudrait
perdre sous un prétexte plausible, il tiendrait comme possible de vaincre son amour pour la vie, si
grand qu’il puisse être. Il n’osera peut-être assurer qu’il le ferait ou qu’il ne le ferait pas, mais il
accordera sans hésiter que cela lui est possible. Il juge donc qu’il peut faire une chose, parce qu’il
a conscience qu’il doit le faire et reconnaît ainsi sa liberté qui, sans loi morale, lui serait restée
inconnue.
KANT
- 744 -
[745] SUJET N° 745 - N/R - 1997 - Série L - ANTILLES - SESSION NORMALE
La vérité ou la fausseté, la critique et l’adéquation critique à des données évidentes, voilà autant
de thèmes banals qui déjà jouent sans cesse dans la vie pré-scientifique. La vie quotidienne, pour
ses fins variables et relatives, peut se contenter d’évidences et de vérités relatives. La science,
elle, veut des vérités valables une fois pour toutes et pour tous, définitives, et, partant, des
vérifications nouvelles et ultimes.
Si, en fait, comme elle-même doit finir par s’en convaincre, la science ne réussit pas à édifier un
système de vérités « absolues », si elle doit sans arrêt modifier les vérités acquises, elle obéit
cependant à l’idée de vérité absolue, de vérité scientifique, et elle tend par là vers un horizon
infini d’approximations qui convergent toutes vers cette idée. A l’aide de ces approximations, elle
croit pouvoir dépasser la connaissance naïve et aussi se dépasser infiniment elle-même. Elle croit
le pouvoir aussi par la fin qu’elle pose, à savoir l’universalité systématique de la connaissance.
HUSSERL
- 745 -
[746] SUJET N° 746 - N/R - 1997 - Série L - ANTILLES - SESSION REMPL.
Nul être matériel n’est actif par lui-même, et moi je le suis. On a beau me disputer cela, je le sens,
et ce sentiment qui me parle est plus fort que la raison qui le combat. J’ai un corps sur lequel les
autres agissent et qui agit sur eux ; cette action réciproque n’est pas douteuse ; mais ma volonté
est indépendante de mes sens, je consens ou je résiste, je succombe ou je suis vainqueur, et je
sens parfaitement en moi-même quand je fais ce que j’ai voulu faire, ou quand je ne fais que
céder à mes passions. J’ai toujours la puissance de vouloir, non la force d’exécuter. Quand je me
livre aux tentations, j’agis selon l’impulsion des objets externes. Quand je me reproche cette
faiblesse, je n’écoute que ma volonté, je suis esclave par mes vices, et libre par mes remords ; le
sentiment de ma liberté ne s’efface en moi que quand je me déprave, et que j’empêche enfin la
voix de l’âme de s’élever contre la loi du corps. Je ne connais la volonté que par le sentiment de
la mienne.
ROUSSEAU
- 746 -
[747] SUJET N° 747 - N/R - 1997 - Série L - ETRANGER GROUPE 1 - SESSION REMPL.
On charge les hommes, dès l’enfance, du soin de leur honneur, de leur bien, de leurs amis, et
encore du bien et de l’honneur de leurs amis. On les accable d’affaires, de l’apprentissage des
langues et d’exercices, et on leur fait entendre qu’ils ne sauraient être heureux sans que leur
santé, leur honneur, leur fortune et celle de leurs amis soient en bon état, et qu’une seule chose
qui manque les rendrait malheureux. Ainsi on leur donne des charges et des affaires qui les font
tracasser dès la pointe du jour. - Voilà, direz-vous, une étrange manière de les rendre heureux !
Que pourrait-on faire de mieux pour les rendre malheureux ? - Comment ! ce qu’on pourrait
faire ? Il ne faudrait que leur ôter tous ces soins, car alors ils se verraient, ils penseraient à ce
qu’ils sont, d’où ils viennent, où ils vont ; et ainsi on ne peut trop les occuper et les détourner, et
c’est pourquoi, après leur avoir tant préparé d’affaires, s’ils ont quelque temps de relâche, on leur
conseille, de l’employer à se divertir, à jouer, et à s’occuper toujours tout entier. Que le cœur de
l’homme est creux et plein d’ordure (1).
PASCAL
(1) « ordure » : impureté
- 747 -
[748] SUJET N° 748 - N/R - 1997 - Série L - INDE - SESSION NORMALE
La perception est exactement une anticipation de nos mouvements et de leurs effets. Et sans
doute la fin est toujours d’obtenir ou d’écarter quelque sensation, comme si je veux cueillir un
fruit ou éviter le choc d’une pierre. Bien percevoir, c’est connaître d’avance quel mouvement
j’aurai à faire pour arriver à ces fins. Celui qui perçoit bien sait d’avance ce qu’il a faire. Le
chasseur perçoit bien qu’il sait retrouver ses chiens qu’il entend, il perçoit bien qu’il sait atteindre
la perdrix qui s’envole. L’enfant perçoit mal lorsqu’il veut saisir la lune entre ses mains et ainsi
du reste. Donc ce qu’il y a de vrai ou de douteux, ou de faux dans la perception, c’est cette
évaluation, si sensible surtout à la vue dans la perspective et le relief, mais sensible aussi pour
l’ouïe et l’odorat, et même sans doute pour un toucher exercé, quand les mains d’un aveugle
palpent. Quand à la sensation elle-même, elle n’est ni douteuse, ni fausse ni par conséquent
vraie ; elle est actuelle (1) toujours dès qu’on l’a. Ainsi ce qui est faux dans la perception d’un
fantôme, ce n’est point ce que nos yeux nous font éprouver, lueur fugitive ou tache colorée, mais
bien notre anticipation. Voir un fantôme c’est supposer, d’après les impressions visuelles, qu’en
allongeant la main on toucherait quelque être animé (…). Mais pour ce que j’éprouve
actuellement, sans aucun doute je l’éprouve ; il n’y a point de science de cela puisqu’il n’y a
point d’erreur de cela.
Toute étude de ce que je ressens consiste toujours à savoir ce que cela signifie et comment cela
varie avec mes mouvements.
ALAIN
(1) « actuelle » : réelle.
- 748 -
[749] SUJET N° 749 - N/R - 1997 - Série L - JAPON - SESSION NORMALE
Il n’y a donc pas et il ne saurait y avoir de régime politique absolument préférable à tous les
autres, il y a seulement des états de civilisation plus perfectionnés les uns que les autres. Les
institutions bonnes à une époque peuvent être et sont même le plus souvent mauvaises à une
autre, et réciproquement. Ainsi, par exemple, l’esclavage, qui est aujourd’hui une monstruosité,
était certainement, à son origine, une très belle institution, puisqu’elle avait pour objet
d’empêcher le fort d’égorger le faible ; c’était un intermédiaire inévitable dans le développement
général de la civilisation.
De même, en sens inverse, la liberté, qui, dans une proportion raisonnable, est si utile à un
individu et à un peuple qui ont atteint un certain degré d’instruction et contracté quelques
habitudes de prévoyance, parce qu’elle permet le développement de leurs facultés, est très
nuisible à ceux qui n’ont pas encore rempli ces deux conditions, et qui ont indispensablement
besoin, pour eux-mêmes autant que pour les autres, d’être tenus en tutelle. Il est donc évident
qu’on ne saurait s’entendre sur la question absolue du meilleur gouvernement possible.
COMTE
- 749 -
[750] SUJET N° 750 - N/R - 1997 - Série L - POLYNESIE - SESSION REMPL.
A l’égard de l’égalité, il ne faut pas entendre par ce mot que les degrés de puissance et de
richesse soient absolument les mêmes, mais que, quant à la puissance, elle soit au-dessous de
toute violence et ne s’exerce jamais qu’en vertu du rang et des lois, et, quant à la richesse, que nul
citoyen ne soit assez opulent pour en pouvoir acheter un autre, et nul assez pauvre pour être
contraint de se vendre. Ce qui suppose, du côté des grands, modération de biens et de crédit, et du
côté des petits, modération d’avarice et de convoitise. Cette égalité, disent-ils (1), est une chimère
de spéculation qui ne peut exister dans la pratique. Mais si l’abus est inévitable, s’ensuit-il qu’il
ne faille pas au moins le régler ? C’est précisément parce que la force des choses tend toujours à
détruire l’égalité que la force de la législation doit toujours tendre à la maintenir.
ROUSSEAU
(1) « disent-ils » : dira-t-on.
- 750 -
[751] SUJET N° 751 - N/R - 1997 - Série L - SPORTIFS HAUT NIVEAU - SESSION
NORMALE
Il faut toujours remonter de l’apparence à la chose ; il n’y a point au monde de lunette ni
d’observatoire d’où l’on voit autre chose que des apparences. La perception droite, ou, si l’on
veut, la science, consiste à se faire une idée exacte de la chose, d’après laquelle idée on pourra
expliquer toutes les apparences. Par exemple, on peut penser le soleil à deux cents pas en l’air ;
on expliquera ainsi qu’il passe au-dessus des arbres et de la colline, mais on n’expliquera pas bien
que les ombres soient toutes parallèles ; on expliquera encore moins que le soleil se couche au
delà des objets les plus lointains ; on n’expliquera nullement comment deux visées vers le centre
du soleil, aux deux extrémités d’une base de cent mètres, soient comme parallèles. Et, en suivant
cette idée, on arrive peu à peu à reculer le soleil, d’abord au delà de la lune, et ensuite bien loin
au delà de la lune, d’où l’on conclura que le soleil est fort gros. Je ne vois point que le soleil est
bien plus gros que la terre, mais je pense qu’il est ainsi. Il n’y a point d’instrument qui me fera
voir cette pensée comme vraie. Cette remarque assez simple mettrait sans doute un peu d’ordre
dans ces discussions que l’on peut lire partout sur la valeur des hypothèses scientifiques. Car
ceux qui se sont instruits trop vite et qui n’ont jamais réfléchi sur des exemples simples,
voudraient qu’on leur montre la vérité comme on voit la lune grossie dans une lunette.
ALAIN
- 751 -
[752] SUJET N° 752 - N/R - 1997 - Série S - METROPOLE - SESSION NORMALE
C’est beaucoup que d’avoir fait régner l’ordre et la paix dans toutes les parties de la république ;
c’est beaucoup que l’Etat soit tranquille et la loi respectée : mais si l’on ne fait rien de plus, il y
aura dans tout cela plus d’apparence que de réalité, et le gouvernement se fera difficilement obéir
s’il se borne à l’obéissance.
S’il est bon de savoir employer les hommes tels qu’ils sont ; il vaut beaucoup mieux encore les
rendre tels qu’on a besoin qu’ils soient, l’autorité la plus absolue est celle qui pénètre jusqu’à
l’intérieur de l’homme, et ne s’exerce pas moins sur la volonté que sur les actions. Il est certain
que les peuples sont à la longue ce que le gouvernement les fait être.
Guerriers, citoyens, hommes, quand il le veut ; populace et canaille quand il lui plaît : et tout
prince qui méprise ses sujets se déshonore lui même en montrant qu’il n’a pas su les rendre
estimables.
Formez donc des hommes si vous voulez commander à des hommes : si vous voulez qu’on
obéisse aux lois, faites qu’on les aime, et que pour faire ce qu’on doit, il suffise de songer qu’on
doit le faire.
ROUSSEAU
- 752 -
[753] SUJET N° 753 - N/R - 1997 - Série S - METROPOLE - SESSION NORMALE
Il y a (...) deux vues classiques. L’une consiste à traiter l’homme comme le résultat des influences
physiques, physiologiques et sociologiques qui le détermineraient du dehors et feraient de lui une
chose entre les choses. L’autre consiste à reconnaître dans l’homme, en tant qu’il est esprit et
construit la représentation des causes mêmes qui sont censées agir sur lui, une liberté acosmique
(1). D’un côté l’homme est une partie du monde, de l’autre il est conscience constituante du
monde. Aucune de ces deux vues n’est satisfaisante. A la première on opposera toujours (...) que
si l’homme était une chose entre les choses, il ne saurait en connaître aucune, puisqu’il serait,
comme cette chaise ou comme cette table, enfermé dans ses limites, présent en un certain lieu de
l’espace et donc incapable de se les représenter tous. Il faut lui reconnaître une manière d’être très
particulière, l’être intentionnel, qui consiste à viser toutes choses et à ne demeurer en aucune.
Mais si l’on voulait conclure de là que par notre fond nous sommes esprit absolu, on rendrait
incompréhensibles nos attaches corporelles et sociales, notre insertion dans le monde, on
renoncerait à penser la condition humaine.
MERLEAU-PONTY
(1) « liberté acosmique » : qui ne dépend pas de notre « insertion dans le monde ».
- 753 -
[754] SUJET N° 754 - N/R - 1997 - Série S - METROPOLE - SESSION REMPL.
Ce qui exigeait un génie vraiment supérieur, c’était de chercher et de découvrir dans les
phénomènes les plus vulgaires, dans la chute d’une pierre, dans les balancements d’une lampe
suspendue, ce que tant de philosophes, tant de docteurs, tant de raisonneurs sur les choses divines
et humaines avaient eu sous les yeux depuis des milliers d’années, sans songer qu’il y eût là
quelque chose à chercher et à découvrir. De tout temps le genre humain avait senti le besoin de
l’observation et de l’expérience, avait vécu d’observations bien ou mal conduites, rattachées tant
bien que mal à des théories plus ou moins aventureuses : mais l’expérience précise, numérique,
quantitative, et surtout l’expérience indirecte qui utilise les relations mathématiques pour
mesurer, à l’aide de grandeurs sur lesquelles nos sens et nos instruments ont prise, d’autres
grandeurs insaisissables directement, à cause de leur extrême grandeur ou de leur extrême
petitesse, voilà ce dont les plus doctes n’avaient pas l’idée. On ne songeait pas à diriger
systématiquement l’expérience, de manière à forcer la Nature à livrer son secret, à dévoiler la loi
mathématique, simple et fondamentale, qui se dérobe à la faiblesse de nos sens ou que masque la
complication des phénomènes.
COURNOT
- 754 -
[755] SUJET N° 755 - N/R - 1997 - Série S - ANTILLES - SESSION NORMALE
La piété, ce n’est pas se montrer à tout instant couvert d’un voile et tourné vers une pierre, et
s’approcher de tous les autels ; ce n’est pas se pencher jusqu’à terre en se prosternant, et tenir la
paume de ses mains ouvertes en face des sanctuaires divins, ce n’est point inonder les autels du
sang des animaux, ou lier sans cesse des vœux à d’autres vœux ; mais c’est plutôt pouvoir tout
regarder d’un esprit que rien ne trouble. Car lorsque levant la tête, nous contemplons les espaces
célestes de ce vaste monde, et les étoiles scintillantes fixées dans les hauteurs de l’éther, et que
notre pensée se porte sur les cours du soleil et de la lune, alors une angoisse, jusque là étouffée en
notre cœur sous d’autres maux, s’éveille et commence à relever la tête : n’y aurait-il pas en face
de nous des dieux dont la puissance infinie entraîne d’un mouvement varié les astres à la blanche
lumière ? Livré au doute par l’ignorance des causes, l’esprit se demande s’il y a eu vraiment un
commencement, une naissance du monde, s’il doit y avoir une fin, et jusqu’à quand les remparts
du monde pourront supporter la fatigue de ce mouvement inquiet ; ou bien si, doués par les dieux
d’une existence éternelle, ils pourront prolonger leur course dans l’infini du temps et braver les
forces puissantes de l’éternité ?
LUCRECE
- 755 -
[756] SUJET N° 756 - N/R - 1997 - Série S - ANTILLES - SESSION REMPL.
Il y a cette différence entre les devoirs que la religion nous oblige à rendre à Dieu, et ceux que la
société demande que nous rendions aux autres hommes, que les principaux devoirs de la religion
sont intérieurs et spirituels : parce que Dieu pénètre les cœurs, et qu’absolument parlant il n’a nul
besoin de ses créatures, et que les devoirs de la société sont presque tous extérieurs. Car outre que
les hommes ne peuvent savoir nos sentiments à leur égard, si nous ne leur en donnons des
marques sensibles, ils ont tous besoin les uns des autres, soit pour la conservation de leur vie, soit
pour leur instruction particulière, soit enfin pour mille et mille secours dont ils ne peuvent se
passer.
Ainsi exiger des autres les devoirs intérieurs et spirituels, qu’on ne doit qu’à Dieu, esprit pur,
scrutateur des cœurs, seul indépendant et suffisant à lui-même, c’est un orgueil de démon. C’est
vouloir dominer sur les esprits : c’est s’attribuer la qualité de scrutateur des cœurs. C’est en un
mot exiger ce qu’on ne nous doit point.
MALEBRANCHE
- 756 -
[757] SUJET N° 757 - N/R - 1997 - Série S - AMERIQUE DU NORD - SESSION NORMALE
Que soit vrai tout ce que l’on dit tant aux autres qu’à soi-même, c’est ce qu’il est impossible de
garantir dans tous les cas, parce qu’on peut se tromper ; mais que ce soit sincère, c’est ce que l’on
peut et doit toujours garantir, parce qu’on s’en rend compte immédiatement. Dans le premier cas,
il faut, par un jugement logique de la raison, confronter l’affirmation avec l’objet ; dans le
second, à l’instant où l’on constate sa conviction, on confronte devant la conscience l’affirmation
avec le sujet. Si l’on pose l’affirmation par rapport à l’objet sans s’être assuré qu’on peut la poser
aussi par rapport au sujet, on avance autre chose que ce dont on est convaincu, on ment (...).
Les moralistes parlent d’une conscience fausse, mais ils disent une absurdité. Si une pareille
conscience existait, personne ne serait plus jamais assuré d’avoir bien agi, puisque le juge en
dernier ressort lui-même pourrait se tromper. Il m’arrive sans doute de me tromper dans le
jugement qui me fait croire que j’ai raison ; mais ce jugement procède de l’intelligence, et celle-ci
se borne, d’une manière exacte ou erronée, à juger objectivement. Mais dans ce sentiment
intime : « je crois avoir raison », ou : « je fais semblant de le croire », je ne puis absolument pas
me tromper, puisque ce jugement, ou mieux cette phrase n’est que l’expression de ce sentiment
même.
KANT
- 757 -
[758] SUJET N° 758 - N/R - 1997 - Série S - ETRANGER GROUPE 1 - SESSION NORMALE
La géométrie est très utile pour rendre l’esprit attentif aux choses dont on veut découvrir les
rapports ; mais il faut avouer qu’elle nous est quelquefois occasion d’erreur, parce que nous nous
occupons si fort des démonstrations évidentes et agréables que cette science nous fournit, que
nous ne considérons pas assez la nature (...).
On suppose, par exemple, que les planètes décrivent par leurs mouvements des cercles et des
ellipses parfaitement régulières ; ce qui n’est point vrai. On fait bien de le supposer, afin de
raisonner, et aussi parce qu’il s’en faut peu que cela ne soit vrai, mais on doit toujours se souvenir
que le principe sur lequel on raisonne est une supposition. De même, dans les mécaniques on
suppose que les roues et les leviers sont parfaitement durs et semblables à des lignes et à des
cercles mathématiques sans pesanteur et sans frottement (...).
Il ne faut donc pas s’étonner si on se trompe, puisque l’on veut raisonner sur des principes qui ne
sont point exactement connus ; et il ne faut pas s’imaginer que la géométrie soit inutile à cause
qu’elle ne nous délivre pas de toutes nos erreurs. Les suppositions établies, elle nous le fait
raisonner conséquemment. Nous rendant attentifs à ce que nous considérons, elle nous le fait
connaître évidemment. Nous reconnaissons même par elle si nos suppositions sont fausses ; car
étant toujours certains que nos raisonnements sont vrais, et l’expérience ne s’accordant point avec
eux, nous découvrons que les principes supposés sont faux, mais dans la géométrie et
l’arithmétique on ne peut n’en découvrir dans les sciences exactes (1) qui soit un peu difficile.
MALEBRANCHE
(1) « sciences exactes » : au XVIIe siècle, sciences de la nature.
- 758 -
[759] SUJET N° 759 - N/R - 1997 - Série S - ETRANGER GROUPE 1 - SESSION REMPL.
Tous les bons esprits répètent (...) qu’il n’y a de connaissances réelles que celles qui reposent sur
des faits observés. Cette maxime fondamentale est évidemment incontestable, si on l’applique,
comme il convient, à l’état viril (1) de notre intelligence. Mais en se reportant à la formation de
nos connaissances, il n’en est pas moins certain que l’esprit humain, dans son état primitif, ne
pouvait ni ne devait penser ainsi. Car, si d’un côté toute théorie positive doit nécessairement être
fondée sur des observations, il est également sensible, d’un autre côté, que, pour se livrer à
l’observation, notre esprit a besoin d’une théorie quelconque. Si, en contemplant les phénomènes,
nous ne les rattachions point immédiatement à quelques principes, non seulement il nous serait
impossible de combiner ces observations isolées, et, par conséquent, d’en tirer aucun fruit, mais
nous serions même entièrement incapables de les retenir, et, le plus souvent, les faits resteraient
inaperçus sous nos yeux.
COMTE
(1) « viril » est à prendre au sens de « développé » ou évolué ».
- 759 -
[760] SUJET N° 760 - N/R - 1996 - Série ES - METROPOLE + REUNION - SESSION REMPL.
Quand les enfants commencent à parler, ils pleurent moins. Ce progrès est naturel : un langage
est substitué à l’autre. Sitôt qu’ils peuvent dire qu’ils souffrent avec des paroles, pourquoi le
diraient-ils avec des cris, si ce n’est quand la douleur est trop vive pour que la parole puisse
l’exprimer ? S’ils continuent alors à pleurer, c’est la faute des gens qui sont autour d’eux. Dès
qu’une fois Emile (1) aura dit : J’ai mal, il faudra des douleurs biens vives pour le forcer de
pleurer.
Un autre progrès rend aux enfants la plainte moins nécessaire : c’est celui de leurs forces.
Pouvant plus par eux-mêmes, ils ont un besoin moins fréquent de recourir à autrui. Avec leur
force se développe la connaissance qui les met en état de la diriger. C’est à ce second degré que
commence proprement la vie de l’individu ; c’est alors qu’il prend la conscience de lui-même.
ROUSSEAU
(1) Emile : personnage fictif qui reçoit l’éducation prônée par Rousseau.
- 760 -
[761] SUJET N° 761 - N/R - 1996 - Série ES - GROUPEMENTS I-IV - SESSION NORMALE
Chacun a pu remarquer, au sujet des opinions communes, que chacun les subit et que personne ne
les forme. Un citoyen, même avisé et énergique quand il n’a à conduire que son propre destin, en
vient naturellement et par espèce de sagesse à rechercher quelle est l’opinion dominante au sujet
des affaires publiques. « Car se dit-il, comme je n’ai ni la prétention ni le pouvoir de gouverner à
moi tout seul, il faut que je m’attende à être conduit ; à faire ce qu’on fera, à penser ce qu’on
pensera ». Remarquez que tous raisonnent de même, et de bonne foi. Chacun a bien peut-être une
opinion ; mais c’est à peine s’il se la formule à lui-même ; il rougit à la seule pensée qu’il
pourrait être de son avis.
Le voilà donc qui honnêtement écoute les orateurs, lit les journaux, enfin se met à la recherche de
cet être fantastique que l’on appelle l’opinion publique. « La question n’est pas de savoir si je
veux ou non faire la guerre ». Il interroge donc le pays. Et tous les citoyens interrogent le pays, au
lieu de s’interroger eux-mêmes.
Les gouvernants font de même, et tout aussi naïvement. Car, sentant qu’ils ne peuvent rien tout
seuls, ils veulent savoir où ce grand corps va les mener. Et il est vrai que ce grand corps regarde à
son tour vers le gouvernement, afin de savoir ce qu’il faut penser et vouloir. Par ce jeu, il n’est
point de folle conception qui ne puisse quelque jour s’imposer à tous, sans que personne pourtant
l’ait jamais formée de lui-même et par libre réflexion. Bref, les pensées mènent tout, et personne
ne pense. D’où il résulte qu’un Etat formé d’hommes raisonnables peut penser et agir comme un
fou. Et ce mal vient originairement de ce que personne n’ose former son opinion par lui-même ni
la maintenir énergiquement, en lui d’abord, et devant les autres aussi.
ALAIN
- 761 -
[762] SUJET N° 762 - N/R - 1996 - Série ES - GROUPEMENTS II-III - SESSION NORMALE
Le souvenir du fruit défendu est ce qu’il y a de plus ancien dans la mémoire de chacun de nous,
comme dans celle de l’humanité. Nous nous en apercevrions si ce souvenir n’était recouvert par
d’autres, auxquels nous préférons nous reporter. Que n’eût pas été notre enfance si l’on avait
laissé faire ! Nous aurions volé de plaisirs en plaisirs. Mais voici qu’un obstacle surgissait, ni
visible ni tangible : une interdiction. Pourquoi obéissons-nous ? La question ne se posait guère ;
nous avions pris l’habitude d’écouter nos parents et nos maîtres. Toutefois, nous sentions bien
que c’était parce qu’ils étaient nos parents, parce qu’ils étaient nos maîtres. Donc, à nos yeux,
leur autorité leur venait moins d’eux-mêmes que de leur situation par rapport à nous. Ils
occupaient une certaine place ; c’est de là que partait, avec une force de pénétration qu’il n’aurait
pas eue s’il avait été lancé d’ailleurs, le commandement. En d’autres termes, parents et maîtres
semblaient agir par délégation. Nous ne nous en rendions pas nettement compte, mais derrière
nos parents et nos maîtres nous devinions quelque chose d’énorme ou plutôt d’indéfini, qui pesait
sur nous de toute sa masse par leur intermédiaire. Nous dirions plus tard que c’est la société.
BERGSON
- 762 -
[763] SUJET N° 763 - N/R - 1996 - Série ES - GROUPEMENTS II-III - SESSION NORMALE
L’homme est libre : sans quoi conseils, exhortations, préceptes, interdictions, récompenses et
châtiments seraient vains. Pour mettre en évidence cette liberté, on doit remarquer que certains
êtres agissent sans discernement, comme la pierre qui tombe, et il en est ainsi de tous les êtres
privés du pouvoir de connaître. D’autres, comme les animaux, agissent par un discernement, mais
qui n’est pas libre. En voyant le loup, la brebis juge bon de fuir, mais par un discernement naturel
et non libre, car ce discernement est l’expression d’un instinct naturel (…). Il en va de même pour
tout discernement chez les animaux.
Mais l’homme agit par jugement, car c’est par le pouvoir de connaître qu’il estime devoir fuir ou
poursuivre une chose. Et comme un tel jugement n’est pas l’effet d’un instinct naturel, mais un
acte qui procède de la raison, l’homme agit par un jugement libre qui le rend capable de
diversifier son action.
THOMAS D’AQUIN
- 763 -
[764] SUJET N° 764 - N/R - 1996 - Série ES - GROUPEMENTS I-IV - SESSION NORMALE
De tous les arguments qui nous persuadent que les bêtes sont dénuées de pensées, le principal, à
mon avis, est que bien que les unes soient plus parfaites que les autres dans une même espèce,
tout de même que chez les hommes, comme on peut voir chez les chevaux et chez les chiens,
dont les uns apprennent beaucoup plus aisément que d’autres ce qu’on leur enseigne ; et bien que
toutes nous signifient très facilement leurs impulsions naturelles, telles que la colère, la crainte, la
faim, ou autres états semblables, par la voix ou par d’autres mouvements du corps, jamais
cependant jusqu’à ce jour on n’a pu observer qu’aucun animal en soit venu à ce point de
perfection d’user d’un véritable langage c’est-à-dire d’exprimer soit par la voix, soit par les
gestes quelque chose qui puisse se rapporter à la seule pensée et non à l’impulsion naturelle. Ce
langage est en effet le seul signe certain d’une pensée latente dans le corps ; tous les hommes en
usent, même ceux qui sont stupides ou privés d’esprit, ceux auxquels manquent la langue et les
organes de la voix, mais aucune bête ne peut en user ; c’est pourquoi il est permis de prendre le
langage pour la vraie différence entre les hommes et les bêtes.
DESCARTES
- 764 -
[765] SUJET N° 765 - N/R - 1996 - Série ES - ETRANGER GROUPE 1 - SESSION
NORMALE
On peut alors demander : pourquoi la religion ne met-elle pas un terme à ce combat sans espoir
pour elle en déclarant franchement : « c’est exact que je ne peux pas vous donner ce qu’on
appelle d’une façon générale la vérité ; pour cela, il faut vous en tenir à la science.
Mais ce que j’ai à donner est incomparablement plus beau, plus consolant et plus exaltant que
tout ce que vous pouvez recevoir de la science. Et c’est pour cela que je vous dis que c’est vrai,
dans un autre sens plus élevé ».
La réponse est facile à trouver.
La religion ne peut pas faire cet aveu, car elle perdrait ainsi toute influence sur la masse.
L’homme commun ne connaît qu’une vérité, au sens commun du mot. Ce que serait une vérité
plus élevée ou suprême, il ne peut se le représenter. La vérité lui semble aussi peu susceptible de
gradation que la mort, et il ne peut suivre le saut du beau au vrai. Peut-être pensez-vous avec moi
qu’il fait bien ainsi.
FREUD
- 765 -
[766] SUJET N° 766 - N/R - 1996 - Série ES - AMERIQUE DU NORD - SESSION REMPL.
Les politiques grecs qui vivaient dans le gouvernement populaire ne reconnaissaient d’autre force
qui pût le soutenir que celle de la vertu. Ceux d’aujourd’hui ne nous parlent que de manufactures,
de commerce, de finances, de richesses, et de luxe même.
Lorsque cette vertu cesse, l’ambition entre dans les cœurs qui peuvent la recevoir, et l’avarice
entre dans tous. Les désirs changent d’objets ; ce qu’on aimait on ne l’aime plus ; on était libre
avec les lois, on veut être libre contre elles ; chaque citoyen est comme un esclave échappé de la
maison de son maître ; ce qui était maxime, on l’appelle rigueur ; ce qui était règle, on l’appelle
gêne ; ce qui était attention, on l’appelle crainte.
C’est la frugalité qui est l’avarice, et non pas le désir d’avoir.
Autrefois le bien des particuliers faisait le trésor public ; mais pour lors le trésor public devient le
patrimoine des particuliers.
La république est une dépouille ; et sa force n’est plus que le pouvoir de quelques citoyens et la
licence de tous.
MONTESQUIEU
- 766 -
[767] SUJET N° 767 - N/R - 1996 - Série S - GROUPEMENTS I-IV - SESSION NORMALE
En fait, le royaume de la liberté commence seulement là où l’on cesse de travailler par nécessité
et opportunité imposée de l’extérieur, il se situe donc, par nature, au-delà de la sphère de
production matérielle proprement dite. De même que l’homme primitif doit lutter contre la nature
pour pourvoir à ses besoins, se maintenir en vie et se reproduire, l’homme civilisé est forcé, lui
aussi, de le faire et de le faire quels que soient la structure de la société et le mode de la
production. Avec son développement s’étend également le domaine de la nécessité naturelle,
parce que les besoins augmentent ; mais en même temps s’élargissent les forces productives pour
les satisfaire. En ce domaine, la seule liberté possible est que l’homme social, les producteurs
associés règlent rationnellement leurs échanges avec la nature, qu’ils contrôlent ensemble au lieu
d’être dominés par sa puissance aveugle et qu’ils accomplissent ces échanges en dépensant le
minimum de force et dans les conditions les plus dignes, les plus conformes à leur nature
humaine. C’est au-delà que commence le développement des forces humaines comme fin en soi,
le véritable royaume de la liberté qui ne peut s’épanouir qu’en fondant sur l’autre royaume, sur
l’autre base, celle de la nécessité.
MARX
- 767 -
[768] SUJET N° 768 - N/R - 1996 - Série ES - AMERIQUE DU NORD + LIBAN - SESSION
NORMALE
Demander, dans un Etat libre, des gens hardis dans la guerre et timides dans la paix, c’est vouloir
des choses impossibles, et, pour règle générale, toutes les fois qu’on verra tout le monde
tranquille dans un Etat qui se donne le nom de république, on peut être assuré que la liberté n’y
est pas.
Ce qu’on appelle union dans un corps politique est une chose très équivoque : la vraie est une
union d’harmonie, qui fait que toutes les parties, quelque opposées qu’elles nous paraissent,
concourent au bien général de la Société, comme des dissonances dans la musique concourent à
l’accord total. Il peut y avoir de l’union dans un Etat où l’on ne croit voir que du trouble, c’est-àdire une harmonie d’où résulte le bonheur, qui seul est la vraie paix. Il en est comme des parties
de cet Univers, éternellement liées par l’action des unes et la réaction des autres.
Mais, dans l’accord du despotisme asiatique, c’est-à-dire de tout gouvernement qui n’est pas
modéré, il y a toujours une division réelle : le laboureur, l’homme de guerre, le négociant, le
magistrat, le noble, ne sont joints que parce que les uns oppriment les autres sans résistance, et, si
l’on y voit de l’union, ce ne sont pas des citoyens qui sont unis, mais des corps morts, ensevelis
les uns auprès des autres.
MONTESQUIEU
- 768 -
[769] SUJET N° 769 - N/R - 1996 - Série ES - AMERIQUE DU SUD - SESSION NORMALE
Les sujets doivent exécuter les ordres reçus et ne reconnaître d’autre droit que celui établi par les
proclamations de la souveraine Puissance (1). Peut-être va-t-on prétendre qu’ainsi nous faisons
des sujets des esclaves, car une opinion vulgairement répandue nomme esclave celui qui agit sur
l’ordre d’un autre, et homme libre celui qui se conduit comme il le veut. Cette manière de voir
n’est pas tout à fait conforme à la vérité. En fait, l’individu entraîné par une concupiscence (2)
personnelle au point de ne plus rien voir ni faire de ce qu’exige son intérêt authentique, est
soumis au pire des esclavages.
Au contraire, on devra proclamer libre l’individu qui choisit volontairement de guider sa vie sur
la raison. Quant à la conduite déclenchée par un commandement, il faut considérer avant tout, à
cet égard, la signification particulière de l’action. A supposer que la fin de l’action serve l’intérêt
non de l’agent, mais de celui qui commande l’action, celui qui l’accomplit n’est en effet qu’un
esclave, hors d’état de réaliser son intérêt propre. Toutefois dans toute libre République et dans
tout Etat où n’est point pris pour loi suprême le salut de la personne qui donne les ordres, mais
celui du peuple entier, l’individu docile à la souveraine Puissance ne doit pas être qualifié
d’esclave hors d’état de réaliser son intérêt propre.
SPINOZA
(1) « la souveraine Puissance » : l’autorité politique.
(2) « concupiscence » : désir.
- 769 -
[770] SUJET N° 770 - N/R - 1996 - Série ES - ANTILLES - SESSION NORMALE
La liberté individuelle peut et même doit être accordée à tous par la communauté publique. Elle
ne met en péril ni la paix intérieure, ni le droit dont dispose la souveraine Puissance ; au
contraire, elle ne saurait être supprimée sans mettre en péril la paix intérieure et nuire
considérablement à la communauté entière. Pour démontrer ma thèse, je pars du droit de nature
en l’individu. Ce droit de nature ne connaît d’autre limite que le désir et la puissance de chacun ;
nul, suivant le droit de nature, n’est obligé vivre comme il plaît à un autre, mais chacun assure, en
personne, la garantie de sa liberté. Je montre ensuite que nul n’aliène effectivement ce droit, à
moins de transférer à un autre sa puissance de se défendre. Par conséquent, une personne à qui
tous les autres hommes auraient transféré, en même temps que leur puissance de se défendre, leur
droit de vivre à leur gré, détiendrait absolument le droit de nature de tous. Autrement dit, les
personnes, disposant de l’autorité souveraine en leurs pays respectifs, jouissent du droit
d’accomplir tout ce qui est en leur pouvoir. Elles seules, désormais, sont responsables de
l’exercice du droit, comme de la liberté de qui que ce soit, et leur vouloir règle la conduite de tous
les particuliers. Néanmoins, nul ne pouvant renoncer au pouvoir de se défendre au point qu’il
cesse d’être un homme, j’en déduis que nul ne saurait perdre la totalité de son droit de nature.
SPINOZA
- 770 -
[771] SUJET N° 771 - N/R - 1996 - Série ES - ANTILLES - SESSION REMPL.
La religion, qui est fondée simplement sur la théologie, ne saurait contenir quelque chose de
moral. On n’y aura d’autres sentiments que celui de la crainte, d’une part, et l’espoir de la
récompense de l’autre, ce qui ne produira qu’un culte superstitieux. Il faut donc que la moralité
précède et que la théologie la suive, et c’est là ce qui s’appelle la religion.
La loi considérée en nous s’appelle la conscience. La conscience est proprement l’application de
nos actions à cette loi. Les reproches de la conscience resteront sans effet, si on ne les considère
pas comme les représentants de Dieu, dont le siège sublime est bien élevé au-dessus de nous,
mais qui a aussi établi en nous un tribunal. Mais d’un autre côté, quand la religion ne se joint pas
à la conscience morale, elle est aussi sans effet. Comme on l’a déjà dit, la religion, sans la
conscience morale est un culte superstitieux. On pense servir Dieu en le louant, par exemple, en
célébrant sa puissance, sa sagesse, sans songer à remplir les lois divines, sans même connaître
cette sagesse et cette puissance et sans les étudier. On cherche dans ces louanges comme un
narcotique pour sa conscience, ou comme un oreiller sur lequel on espère reposer tranquillement.
KANT
- 771 -
[772] SUJET N° 772 - N/R - 1996 - Série ES - JAPON - SESSION NORMALE
La méthode des mathématiciens dans la découverte et l’exposé des sciences - c’est-à-dire la
démonstration des conclusions par définitions, postulats, et axiomes - est la meilleure et la plus
sûre pour chercher la vérité et l’enseigner : voilà l’opinion unanime de tous ceux qui veulent
s’élever au-dessus du vulgaire. A juste titre d’ailleurs. Car on ne peut tirer une connaissance
rigoureuse et ferme de ce qu’on ne connaît pas encore que de choses déjà connues avec certitude.
Il est donc nécessaire de s’en servir comme d’un fondement stable sur lequel on puisse établir par
la suite tout l’édifice de la connaissance humaine, sans risquer qu’il s’affaisse ou s’écroule au
moindre choc. Or, que ce soit le cas des notions qui, sous le nom de définitions, postulats et
axiomes, sont fréquemment utilisées par ceux qui cultivent les mathématiques, on n’en pourra
douter si on a tant soit peu salué du seuil cette noble discipline. Car les définitions ne sont guère
que des explications très larges de termes et noms qui désignent les objets dont il sera question.
Et les postulats et les axiomes (…) sont des propositions si claires, si évidentes, que tous ceux qui
ont simplement compris correctement les mots ne peuvent que donner leur assentiment.
SPINOZA
- 772 -
[773] SUJET N° 773 - N/R - 1996 - Série ES - INDE - SESSION NORMALE
Communément on tient que la liberté consiste à pouvoir faire impunément tout ce que bon nous
semble et que la servitude est une restriction de cette liberté. Mais on le prend fort mal de ce
biais-là ; car, à ce compte, il n’y aurait personne libre dans la république, vu que les Etats doivent
maintenir la paix du genre humain par l’autorité souveraine, qui tient la bride à la volonté des
personnes privées. Voici quel est mon raisonnement sur cette matière : (…) je dis que la liberté
n’est autre chose que l’absence de tous les empêchements qui s’opposent à quelque mouvement ;
ainsi l’eau qui est enfermée dans un vase n’est pas libre, à cause que le vase l’empêche de se
répandre et, lorsqu’il se rompt, elle recouvre sa liberté. Et de cette sorte une personne jouit de
plus ou moins de liberté, suivant l’espace qu’on lui donne ; comme dans une prison étroite, la
captivité est bien plus dure qu’en un lieu vaste où les coudées sont plus franches.
HOBBES
- 773 -
[774] SUJET N° 774 - N/R - 1996 - Série ES - NOUVELLE-CALEDONIE - SESSION
NORMALE
L’état de nature, cette guerre de tous contre tous, a pour conséquence que rien ne peut être
injuste. Les notions de droit et de tort, de justice et d’injustice n’ont dans cette situation aucune
place. Là où il n’y a pas de pouvoir commun il n’y a pas de loi ; là où il n’y a pas de loi, il n’y a
pas d’injustice : force et ruse sont à la guerre les vertus cardinales. Justice et injustice
n’appartiennent pas à la liste des facultés naturelles de l’esprit ou du corps ; car dans ce cas elles
pourraient se trouver chez un homme qui serait seul au monde (au même titre que ses sens ou ses
passions). En réalité la justice et l’injustice sont des qualités qui se rapportent aux hommes en
société, non à l’homme solitaire. La même situation de guerre a aussi pour conséquence qu’il n’y
existe ni propriété (…) ni distinction du mien et du tien, mais seulement qu’à chacun appartient
ce qu’il peut s’approprier et juste aussi longtemps qu’il est capable de le garder.
HOBBES
- 774 -
[775] SUJET N° 775 - N/R - 1996 - Série ES - POLYNESIE - SESSION NORMALE
Il me semble que, quelque pénibles que soient les travaux que la société exige, on peut tout faire
avec des hommes libres.
Ce qui me fait penser ainsi, c’est qu’avant que le christianisme eût aboli en Europe la servitude
civile, on regardait les travaux des mines comme si pénibles, qu’on croyait qu’ils ne pouvaient
être faits que par des esclaves ou par des criminels. Mais on sait qu’aujourd’hui les hommes qui y
sont employés vivent heureux. On a, par de petits privilèges, encouragé cette profession ; on a
joint à l’augmentation du travail celle du gain ; et on est parvenu à leur faire aimer leur condition
plus que toute autre qu’ils eussent pu prendre.
Il n’y a point de travail si pénible qu’on ne puisse proportionner à la force de celui qui le fait,
pourvu que ce soit la raison, et non pas l’avarice, qui le règle. On peut, par la commodité des
machines que l’art invente ou applique, suppléer au travail forcé qu’ailleurs on fait faire aux
esclaves. Les mines des Turcs, dans le banat de Témeswar (1), étaient plus riches que celles de
Hongrie, et elles ne produisaient pas autant, parce qu’ils n’imaginaient jamais que les bras de
leurs esclaves.
Je ne sais si c’est l’esprit ou le cœur qui me dicte cet article-ci. Il n’y a peut-être pas de climat sur
la terre où l’on ne pût engager au travail des hommes libres. Parce que les lois étaient mal faites
on a trouvé des hommes paresseux : parce que ces hommes étaient paresseux, on les a mis dans
l’esclavage.
MONTESQUIEU
(1) « Témeswar » : Province limitrophe de la Hongrie et de la Turquie.
- 775 -
[776] SUJET N° 776 - N/R - 1996 - Série ES - POLYNESIE - SESSION REMPL.
L’art ne donne plus cette satisfaction des besoins spirituels, que des peuples et des temps révolus
cherchaient et ne trouvaient qu’en lui. Les beaux jours de l’art grec comme l’âge d’or de la fin du
Moyen Age sont passés. La culture réflexive de notre époque nous contraint, tant dans le domaine
de la volonté que dans celui du jugement, à nous en tenir à des vues universelles d’après
lesquelles nous réglons tout ce qui est particulier ; formes universelles, lois, devoirs, droits,
maximes sont les déterminations fondamentales qui commandent tout. Or le goût artistique
comme la production artistique exigent plutôt quelque chose de vivant, dans lequel l’universel ne
figure pas sous forme de loi et de maxime, mais confonde son action avec celle du sentiment et
de l’impression, de la même façon que l’imagination fait une place à l’universel et au rationnel,
en les unissant à une apparence sensible et concrète. Voilà pourquoi notre époque n’est en
général pas propice à l’art...
Dans ces circonstances l’art, ou du moins sa destination suprême, est pour nous quelque chose du
passé. De ce fait, il a perdu pour nous sa vérité et sa vie ; il est relégué dans notre représentation,
loin d’affirmer sa nécessité effective et de s’assurer une place de choix, comme il le faisait jadis.
Ce que suscite en nous une œuvre artistique de nos jours, mis à part un plaisir immédiat, c’est un
jugement, étant donné que nous soumettons à un examen critique son fond, sa forme et leur
convenance ou disconvenance réciproque.
La science de l’art est donc bien plus un besoin à notre époque que dans les temps où l’art
donnait par lui-même, en tant qu’art, pleine satisfaction. L’art nous invite à la médiation
philosophique, qui a pour but non pas de lui assurer un renouveau, mais de reconnaître
rigoureusement ce qu’il est dans son fond.
HEGEL
- 776 -
[777] SUJET N° 777 - N/R - 1996 - Série ES - LA REUNION - SESSION NORMALE
Il faut un hasard heureux, une chance exceptionnelle, pour que nous notions justement, dans la
réalité présente, ce qui aura le plus d’intérêt pour l’historien à venir. Quand cet historien
considérera notre présent à nous, il cherchera surtout l’explication de son présent à lui, et plus
particulièrement de ce que son présent contiendra de nouveau. Cette nouveauté, nous ne pouvons
en avoir aucune idée aujourd’hui, si ce doit être une création. Comment donc nous réglerionsnous aujourd’hui sur elle pour choisir parmi les faits ceux qu’il faut enregistrer, ou plutôt pour
fabriquer des faits en découpant selon cette indication la réalité présente ? Le fait capital des
temps modernes est l’avènement de la démocratie. Que dans le passé, tel qu’il fut décrit par les
contemporains, nous en trouvions des signes avant-coureurs, c’est incontestable ; mais les
indications peut-être les plus intéressantes n’auraient été notées par eux que s’ils avaient su que
l’humanité marchait dans cette direction ; or cette direction de trajet n’était pas plus marquée
alors qu’une autre, ou plutôt elle n’existait pas encore, ayant été créée par le trajet lui-même, je
veux dire par le mouvement en avant des hommes qui ont progressivement conçu et réalisé la
démocratie. Les signes avant-coureurs ne sont donc à nos yeux des signes que parce que nous
connaissons maintenant la course, parce que la course a été effectuée. Ni la course, ni la
direction, ni par conséquent son terme n’étaient donnés quand ces faits se produisaient : donc ces
faits n’étaient pas encore des signes.
BERGSON
- 777 -
[778] SUJET N° 778 - N/R - 1996 - Série ES - SPORTIFS HAUT NIVEAU - SESSION
NORMALE
Une injustice que l’on a faite à quelqu’un est beaucoup plus lourde à porter qu’une injustice que
quelqu’un d’autre vous a faite (non pas précisément pour des raisons morales, il faut le
remarquer) ; car, au fond, celui qui agit est toujours celui qui souffre, mais bien entendu
seulement quand il est accessible au remords ou bien à la certitude que, par son acte, il aura armé
la société contre lui et il se sera lui-même isolé. C’est pourquoi, abstraction faite de tout ce que
commandent la religion et la morale, on devrait, rien qu’à cause de son bonheur intérieur, donc
pour ne pas perdre son bien-être, se garder de commettre une injustice plus encore que d’en subir
une : car dans ce dernier cas, on a la consolation de la bonne conscience, de l’espoir de la
vengeance, de la pitié et de l’approbation des hommes justes, et même de la société tout entière,
laquelle craint les malfaiteurs.
NIETZSCHE
- 778 -
[779] SUJET N° 779 - N/R - 1996 - Série L - GROUPEMENTS I-IV - SESSION NORMALE
Voter, ce n’est pas précisément un des droits de l’Homme ; on vivrait très bien sans voter, si l’on
avait la sûreté, l’égalité, la liberté. Le vote n’est qu’un moyen de conserver tous ces biens.
L’expérience a fait voir cent fois qu’une élite gouvernante, qu’elle gouverne d’après l’hérédité,
ou par la science acquise, arrive très vite à priver les citoyens de toute liberté, si le peuple
n’exerce pas un pouvoir de contrôle, de blâme et enfin de renvoi. Quand je vote, je n’exerce pas
un droit, je défends tous mes droits. Il ne s’agit donc pas de savoir si mon vote est perdu ou non,
mais bien de savoir si le résultat cherché est atteint, c’est-à-dire si les pouvoirs sont contrôlés,
blâmés et enfin détrônés dès qu’ils méconnaissent les droits des citoyens.
On conçoit très bien un système politique, par exemple le plébiscite (1), où chaque citoyen votera
une fois librement, sans que ses droits soient pour cela bien gardés. Aussi je ne tiens pas tant à
choisir effectivement, et pour ma part, tel ou tel maître, qu’à être assuré que le maître n’est pas le
maître, mais seulement le serviteur du peuple. C’est dire que je ne changerai pas mes droits réels
pour un droit fictif.
ALAIN
(1) « plébiscite » : Vote par lequel un peuple abandonne le pouvoir à un homme.
- 779 -
[780] SUJET N° 780 - N/R - 1996 - Série L - GROUPEMENTS II-III - SESSION NORMALE
Supposez qu’un homme, pourtant doué des plus puissantes facultés de réflexion, soit soudain
transporté dans ce monde, il observerait immédiatement, certes, une continuelle succession
d’objets, un événement en suivant un autre ; mais il serait incapable de découvrir autre chose. Il
serait d’abord incapable, par aucun raisonnement, d’atteindre l’idée de cause et d’effet, car les
pouvoirs particuliers qui accomplissent toutes les opérations naturelles n’apparaissent jamais aux
sens ; et il n’est pas raisonnable de conclure, uniquement parce qu’un événement en précède un
autre dans un seul cas, que l’un est la cause et l’autre l’effet. Leur conjonction peut être arbitraire
et accidentelle. Il n’y a pas de raison d’inférer l’existence de l’un de l’apparition de l’autre. En un
mot, un tel homme, sans plus d’expérience, ne ferait jamais de conjecture ni de raisonnement sur
aucune question de fait ; il ne serait certain de rien d’autre que de ce qui est immédiatement
présent à sa mémoire et à ses sens.
HUME
- 780 -
[781] SUJET N° 781 - N/R - 1996 - Série L - GROUPEMENTS II-III - SESSION NORMALE
On a l’habitude de dire que l’oisiveté est la mère de tous les maux. On recommande le travail
pour empêcher le mal. Mais aussi bien la cause redoutée que le moyen recommandé vous
convaincront facilement que toute cette réflexion est d’origine plébéienne (1). L’oisiveté, en tant
qu’oisiveté, n’est nullement la mère de tous les maux, au contraire, c’est une vie vraiment divine
lorsqu’elle ne s’accompagne pas d’ennui. Elle peut faire, il est vrai, qu’on perde sa fortune, etc.,
toutefois, une nature patricienne (2) ne craint pas ces choses, mais bien de s’ennuyer. Les dieux
de l’Olympe ne s’ennuyaient pas, ils vivaient heureux en une oisiveté heureuse. Une beauté
féminine qui ne coud pas, ne file pas, ne repasse pas, ne lit pas et ne fait pas de musique est
heureuse dans son oisiveté ; car elle ne s’ennuie pas. L’oisiveté donc, loin d’être la mère du mal,
est plutôt le vrai bien. L’ennui est la mère de tous les vices, c’est lui qui doit être tenu à l’écart.
L’oisiveté n’est pas le mal et on peut dire que quiconque ne le sent pas prouve, par cela même,
qu’il ne s’est pas élevé jusqu’aux humanités. Il existe une activité intarissable qui exclut l’homme
du monde spirituel et le met au rang des animaux qui, instinctivement, doivent toujours être en
mouvement. Il y a des gens qui possèdent le don extraordinaire de transformer tout en affaire,
dont toute la vie est affaire, qui tombent amoureux et se marient, écoutent une facétie et admirent
un tour d’adresse, et tout avec le même zèle affairé qu’ils portent à leur travail de bureau.
KIERKEGAARD
(1) « plébéienne » : populaire.
(2) « patricienne » : aristocratique.
- 781 -
[782] SUJET N° 782 - N/R - 1996 - Série L - GROUPEMENTS I-IV - SESSION NORMALE
En contemplant une chute d’eau, nous croyons voir dans les innombrables ondulations,
serpentements, brisements des vagues, liberté de la volonté et caprice ; mais tout est nécessité,
chaque mouvement peut se calculer mathématiquement. Il en est de même pour les actions
humaines ; on devrait pouvoir calculer d’avance chaque action, si l’on était omniscient, et de
même chaque progrès de la connaissance, chaque erreur, chaque méchanceté. L’homme agissant
lui même est, il est vrai, dans l’illusion du libre arbitre ; si à un instant la roue du monde s’arrêtait
et qu’il y eût là une intelligence calculatrice omnisciente pour mettre à profit cette pause, elle
pourrait continuer à calculer l’avenir de chaque être jusqu’aux temps les plus éloignés et marquer
chaque trace où cette roue passera désormais. L’illusion sur soi-même de l’homme agissant, la
conviction de son libre arbitre, appartient également à ce mécanisme, qui est objet de calcul.
NIETZSCHE
- 782 -
[783] SUJET N° 783 - N/R - 1996 - Série L - METROPOLE + REUNION - SESSION REMPL.
Chacun sent bien que la force ne peut rien contre le droit ; mais beaucoup sont disposés à
reconnaître que la force peut quelque chose pour le droit. Ici se présente une difficulté qui paraît
insurmontable à beaucoup et qui les jette dans le dégoût de leur propre pensée, sur quoi compte le
politique. Ce qui égare d’abord l’esprit, c’est que les règles du droit sont souvent appliquées par
la force, avec l’approbation des spectateurs. L’arrestation, l’emprisonnement, la déportation (1),
la mort sont des exemples qui frappent. Comment nier que le droit ait besoin de la force ? (…) Je
suis bien loin de mépriser cet ordre ancien et vénérable que l’agent au carrefour représente si
bien. Et je veux remarquer d’abord ceci, c’est que l’autorité de l’agent est reconnue plutôt que
subie. Je suis pressé, le bâton levé produit en moi un mouvement d’impatience et même de
colère, mais enfin je veux cet ordre au carrefour, et non pas une lutte de force entre les voitures,
et le bâton de l’agent me rappelle cette volonté mienne, que la passion allait me faire oublier. Ce
que j’exprime en disant qu’il y a un ordre de droit entre l’agent et moi, entre les autres voyageurs
et moi, ou bien, si l’on veut dire autrement, un état de paix véritable. Si cet ordre n’est point
reconnu et voulu par moi, si je cède seulement à une force évidemment supérieure, il n’y a ni
paix ni droit, mais seulement un vainqueur, qui est l’agent, et un vaincu, qui est moi.
ALAIN
(1) L’auteur pense ici au bagne de Cayenne.
- 783 -
[784] SUJET N° 784 - N/R - 1996 - Série L - ETRANGER GROUPE 1 - SESSION NORMALE
Une énorme tuile, arrachée par le vent, tombe et assomme un passant. Nous disons que c’est un
hasard. Le dirions-nous, si la tuile s’était simplement brisée sur le sol ? Peut-être, mais c’est que
nous penserions vaguement alors à un homme qui aurait pu se trouver là, ou parce que, pour une
raison ou pour une autre, ce point spécial du trottoir nous intéressait particulièrement, de telle
sorte que la tuile semble l’avoir choisi pour y tomber. Dans les deux cas, il n’y a de hasard que
parce qu’un intérêt humain est en jeu et parce que les choses se sont passées comme si l’homme
avait été pris en considération, soit en vue de lui rendre service, soit plutôt avec l’intention de lui
nuire. Ne pensez qu’au vent arrachant la tuile, à la tuile tombant sur le trottoir, au choc de la tuile
contre le sol : vous ne voyez plus que du mécanisme, le hasard s’évanouit. Pour qu’il intervienne,
il faut que, l’effet ayant une signification humaine, cette signification rejaillisse sur la cause et la
colore, pour ainsi dire, d’humanité. Le hasard est donc le mécanisme se comportant comme s’il
avait une intention.
BERGSON
- 784 -
[785] SUJET N° 785 - N/R - 1996 - Série L - ETRANGER GROUPE 1 - SESSION REMPL.
Nous venons de parler de l’hostilité contre la civilisation, engendrée par la pression que celle-ci
exerce, par les renonciations aux instincts qu’elle exige. S’imagine-t-on toutes ses interdictions
levées, alors on pourrait s’emparer de toute femme qui vous plairait, sans hésiter, tuer son rival
ou quiconque vous barrerait le chemin, ou bien dérober à autrui, sans son assentiment, n’importe
lequel de ses biens ; que ce serait donc beau et quelle série de satisfactions nous offrirait alors la
vie ! Mais la première difficulté se laisse à la vérité vite découvrir. Mon prochain a exactement
les mêmes désirs que moi et il ne me traitera pas avec plus d’égards que je ne le traiterai moi
même. Au fond, si les entraves dues à la civilisation étaient brisées, ce n’est qu’un seul homme
qui pourrait jouir d’un bonheur illimité, un tyran, un dictateur ayant monopolisé tous les moyens
de coercition, et alors lui-même aurait raison de souhaiter que les autres observassent du moins ce
commandement culturel : tu ne tueras point.
FREUD
- 785 -
[786] SUJET N° 786 - N/R - 1996 - Série L - AMERIQUE DU NORD + LIBAN - SESSION
NORMALE
Mettez-vous à la place d’autrui, et vous serez dans le vrai point de vue pour juger ce qui est juste
ou non.
On a fait quelques objections contre cette grande règle, mais elles viennent de ce qu’on ne
l’applique point partout. On objecte par exemple qu’un criminel peut prétendre, en vertu de cette
maxime, d’être pardonné par le juge souverain, parce que le juge souhaiterait la même chose, s’il
était en pareille posture. La réponse est aisée. Il faut que le juge ne se mette pas seulement dans la
place du criminel, mais encore dans celle des autres qui sont intéressés que le crime soit puni (...).
Il en est de même de cette objection que la justice distributive demande une inégalité entre les
hommes, que dans une société on doit partager le gain à proportion de ce que chacun a conféré
(1) et qu’on doit avoir égard au mérite et au démérite. La réponse est encore aisée. Mettez-vous à
la place de tous et supposez qu’ils soient bien informés et bien éclairés. Vous recueillerez de leurs
suffrages cette conclusion qu’ils jugent convenable à leur intérêt qu’on distingue les uns des
autres. Par exemple, si dans une société de commerce le gain n’était point partagé à proportion,
l’on y entrerait point ou l’on en sortirait bientôt, ce qui est contre l’intérêt de toute la société.
LEIBNIZ
(1) « a conféré » : a mis en commun.
- 786 -
[787] SUJET N° 787 - N/R - 1996 - Série L - AMERIQUE DU SUD - SESSION NORMALE
Il n’y a de pensée que dans un homme libre, dans un homme qui n’a rien promis, qui se retire, qui
se fait solitaire, qui ne s’occupe point de plaire ni de déplaire. L’exécutant n’est point libre ; le
chef n’est point libre. Cette folle entreprise de l’union les occupe tous deux. Laisser ce qui divise,
choisir ce qui rassemble, ce n’est point penser. Ou plutôt c’est penser à s’unir et à rester unis ; ce
n’est rien penser d’autre. La loi de la puissance est une loi de fer. Toute délibération de puissance
est sur la puissance, non sur ce qu’on fera. Ce qu’on en fera ? Cela est ajourné, parce que cela
diviserait. La puissance, sur le seul pressentiment d’une pensée, frémit toute et se sent défaite.
Les pensées des autres, quelles qu’elles soient, voilà les ennemis du chef, mais ses propres
pensées ne lui sont pas moins ennemies. Dès qu’il pense, il se divise ; il se fait juge de lui même.
Penser, même tout seul, c’est donner audience, et c’est même donner force aux idées de
n’importe qui. Lèse-majesté. Toute vie politique va à devenir une vie militaire, si on la laisse
aller.
Petit ou grand parti, petit journal ou grand journal, ligne ou nation, église ou association, tous ces
êtres collectifs perdent l’esprit pour chercher l’union ; un corps fait d’une multitude d’hommes
n’a jamais qu’une toute petite tête, assez occupée d’être la tête. Un orateur quelquefois s’offre
aux contradicteurs ; mais c’est qu’alors il croit qu’il triomphera. L’idée qu’il pourrait être battu,
et, encore mieux, content d’être battu, ne lui viendra jamais.
ALAIN
- 787 -
[788] SUJET N° 788 - N/R - 1996 - Série L - ANTILLES - SESSION NORMALE
Il arrive qu’un asservissement total de l’être aimé tue l’amour de l’amant. Le but est dépassé :
l’amant se retrouve seul si l’aimé s’est transformé en automate. Ainsi l’amant ne désire-t-il pas
posséder l’aimé comme on possède une chose : il réclame un type spécial d’appropriation. Il veut
posséder une liberté comme liberté.
Mais, d’autre part, il ne saurait se satisfaire de cette forme éminente de la liberté qu’est
l’engagement libre et volontaire. Qui se contenterait d’un amour qui se donnerait comme pure
fidélité à la foi jurée ? Qui donc accepterait de s’entendre dire : « Je vous aime parce que je me
suis librement engagé à vous aimer et que je ne veux pas me dédire ; je vous aime par fidélité à
moi-même ? » Ainsi l’amant demande le serment et s’irrite du serment. Il veut être aimé par une
liberté et réclame que cette liberté comme liberté ne soit plus libre. Il veut à la fois que la liberté
de l’Autre se détermine elle-même à devenir amour - et cela, non point seulement au
commencement de l’aventure mais à chaque instant - et, à la fois, que cette liberté soit captivée
par elle-même, qu’elle se retourne sur elle-même, comme dans la folie, comme dans le rêve, pour
vouloir sa captivité. Et cette captivité doit être démission libre et enchaînée à la fois entre nos
mains. Ce n’est pas le déterminisme passionnel que nous désirons chez autrui, dans l’amour, ni
une liberté hors d’atteinte : mais c’est une liberté qui joue le déterminisme passionnel et qui se
prend à son jeu.
SARTRE
- 788 -
[789] SUJET N° 789 - N/R - 1996 - Série L - ANTILLES - SESSION REMPL.
Je me suis demandé (...) ce que le peuple entend au fond par connaissance, que cherche-t-il quand
il la demande ? Rien que ceci : ramener quelque chose d’étranger à quelque chose de connu.
Nous, philosophes, que mettons-nous de plus dans ce mot ? Le connu, c’est-à-dire les choses
auxquelles nous sommes habitués, de telle sorte que nous ne nous en étonnant plus ; nous y
mettons notre menu quotidien, une règle quelconque qui nous mène, tout ce qui nous est
familier... Eh quoi ? Notre besoin de connaître n’est-il pas justement notre besoin de familier ? Le
désir de trouver, parmi tout ce qui nous est étranger, inhabituel, énigmatique, quelque chose qui
ne nous inquiète plus ? Ne serait-ce pas l’instinct de la peur qui nous commanderait de
connaître ? Le ravissement qui accompagne l’acquisition de la connaissance ne serait-il pas la
volupté de la sécurité retrouvée ?
NIETZSCHE
- 789 -
[790] SUJET N° 790 - N/R - 1996 - Série L - JAPON - SESSION NORMALE
Concevoir qu’un fait est la raison d’un autre fait, qu’une vérité procède d’une autre vérité, ce
n’est autre chose que saisir des liens de dépendance et de subordination, c’est-à-dire saisir un
ordre entre des objets divers, et cette dépendance ne nous frappe, n’est aperçue par nous, que
parce que nous avons la faculté de comparer et de préférer un arrangement à une autre, comme
plus simple, plus régulier et par conséquent plus parfait ; en d’autres termes, parce que nous
avons l’idée de ce qui constitue la perfection de l’ordre, et parce qu’il est de l’essence de notre
nature raisonnable de croire que la nature a mis de l’ordre dans les choses, et de nous croire
d’autant plus près de la véritable explication des choses, que l’ordre dans lequel nous sommes
parvenus à les ranger nous semble mieux satisfaire aux conditions de simplicité, d’unité et
d’harmonie qui, selon notre raison, constituent la perfection de l’ordre.
COURNOT
- 790 -
[791] SUJET N° 791 - N/R - 1996 - Série L - INDE - SESSION NORMALE
Que des martyrs prouvent quelque chose quant à la vérité d’une cause, cela est si peu vrai que je
veux montrer qu’aucun martyr n’eut jamais le moindre rapport avec la vérité. Dans la façon qu’a
un martyr de jeter sa certitude à la face de l’univers s’exprime un si bas degré d’honnêteté
intellectuelle, une telle fermeture d’esprit devant la question de la vérité, que cela ne vaut jamais
la peine qu’on la réfute. La vérité n’est pas une chose que l’un posséderait et l’autre non (..). Plus
on s’avance dans les choses de l’esprit, et plus la modestie, l’absence de prétentions sur ce point
deviennent grandes : être compétent dans trois ou quatre domaines, avouer pour le reste son
ignorance...
Les martyrs furent un grand malheur dans l’histoire : ils séduisirent. Déduire qu’une cause pour
laquelle un homme accepte la mort doit bien avoir quelque chose pour elle - cette logique fut un
frein inouï pour l’examen, l’esprit critique, la prudence intellectuelle. Les martyrs ont porté
atteint à la vérité. Il suffit encore aujourd’hui d’une certaine cruauté dans la persécution pour
donner à une secte sans aucun intérêt une bonne réputation. Comment ? Que l’on donne sa vie
pour une cause, cela change-t-il quelque chose à sa valeur ? Ce fut précisément l’universelle
stupidité historique de tous les persécuteurs qui donnèrent à la cause adverse l’apparence de la
dignité.
NIETZSCHE
- 791 -
[792] SUJET N° 792 - N/R - 1996 - Série L - NOUVELLE-CALEDONIE - SESSION
NORMALE
La première fois qu’un enfant voit un bâton à moitié plongé dans l’eau, il voit un bâton brisé : la
sensation est vraie, et elle ne laisserait pas de l’être, quand même nous ne saurions point la raison
de cette apparence. Si donc vous lui demandez ce qu’il voit, il dit : un bâton brisé, et il dit vrai,
car il est très sûr qu’il a la sensation d’un bâton brisé. Mais quand, trompé par son jugement, il va
plus loin, et qu’après avoir affirmé qu’il voit un bâton brisé, il affirme encore que ce qu’il voit est
en effet un bâton brisé, alors il dit faux. Pourquoi cela ? parce qu’alors il devient plus actif, et
qu’il ne juge plus par inspection, mais par induction, en affirmant ce qu’il ne sent, savoir que le
jugement qu’il reçoit par un sens serait confirmé par un autre.
Puisque toutes nos erreurs viennent de nos jugements, il est clair que si nous n’avions jamais
besoin de juger, nous n’aurions nul besoin d’apprendre ; nous ne serions jamais dans le cas de
nous tromper ; nous serions plus heureux de notre ignorance que nous ne pouvons l’être de notre
savoir.
ROUSSEAU
- 792 -
[793] SUJET N° 793 - N/R - 1996 - Série L - POLYNESIE - SESSION NORMALE
Je pensai que les sciences des livres, au moins celles dont les raisons ne sont que probables, et qui
n’ont aucune démonstration, s’étant composées et grossies peu à peu des opinions de plusieurs
diverses personnes, ne sont point si approchantes de la vérité que les simples raisonnements que
peut faire naturellement un homme de bon sens touchant les choses qui se présentent. Et ainsi je
pensai que, pour ce que nous avons tous été enfants avant que d’être hommes, et qu’il nous a
fallu longtemps être gouvernés par nos appétits et nos précepteurs, qui étaient souvent contraires
les uns aux autres, et qui, ni les uns ni les autres, ne nous conseillaient peut-être pas toujours le
meilleur, il est presque impossible que nos jugements soient si purs ni si solides qu’ils auraient
été si nous avions eu l’usage entier de notre raison dès le point de notre naissance, et que nous
n’eussions jamais été conduits que par elle.
DESCARTES
- 793 -
[794] SUJET N° 794 - N/R - 1996 - Série L - POLYNESIE - SESSION REMPL.
Le droit ne dépend pas de l’intention qu’on a en agissant. On peut faire quelque chose avec une
excellente intention, la conduite n’est pas pour autant justifiée, mais peut être, sans qu’on y
prenne garde, contraire au droit. D’autre part, une conduite, par exemple l’affirmation de ma
propriété, peut être juridiquement tout à fait justifiée et faire place cependant à une intention
méchante, dans la mesure où il ne s’agit pas seulement pour moi de défendre mon droit, mais
bien plutôt de nuire à autrui. Sur le droit comme tel cette intention n’a aucune influence.
Le droit n’a rien à voir avec la conviction que ce que j’ai à faire soit juste ou injuste. Tel est
particulièrement le cas en ce qui concerne la punition. On tâche sans doute de persuader le
criminel qu’il est puni à bon droit. Mais qu’il en soit ou non convaincu ne change rien au droit
qu’on lui applique.
Enfin le droit ne dépend non plus en rien de la disposition d’esprit dans laquelle un acte est
accompli. Il arrive très souvent qu’on agisse de façon correcte par simple crainte de la punition,
ou parce qu’on a peur de n’importe quelle autre conséquence désagréable, telle que perdre sa
réputation ou son crédit. Il se peut aussi qu’en agissant selon le droit on songe à la récompense
qu’on obtiendra ainsi dans une autre vie. Le droit comme tel est indépendant de ces dispositions
d’esprit.
HEGEL
- 794 -
[795] SUJET N° 795 - PHSCJA1 - 1996 - Série S - JAPON - SESSION NORMALE
Pourquoi l’homme veut-il s’affliger en contemplant des aventures tragiques et lamentables, qu’il
ne voudrait pas lui-même souffrir ? Et cependant, spectateur, il veut de ce spectacle ressentir
l’affliction, et en cette affliction consiste son plaisir. Qu’est-ce là, sinon une pitoyable folie ? Car
nous sommes d’autant plus émus que nous sommes moins guéris de ces passions. Quand on
souffre soi-même, on nomme ordinairement cela misère, et quand on partage les souffrances
d’autrui, pitié. Mais quelle est cette pitié inspirée par les fictions de la scène ? Ce n’est pas à aider
autrui que le spectateur est incité, mais seulement à s’affliger, et il aime l’auteur de ces fictions
dans la mesure où elles l’affligent. Si le spectacle de ces malheurs antiques ou fabuleux ne
l’attriste pas, il se retire avec des paroles de mépris et de critique. S’il éprouve de la tristesse, il
demeure là, attentif et joyeux.
Ce sont donc les larmes et les impressions douloureuses que nous aimons. Sans doute tout
homme cherche la joie. Il ne plaît à personne d’être malheureux, mais on aime éprouver de la
pitié, et, comme la pitié ne va pas sans douleur, n’est-ce pas pour cette seule raison que la douleur
est aimée ? Ce phénomène a sa source dans l’amitié que les hommes ont les uns pour les autres.
AUGUSTIN, Confessions
- 795 -
[796] SUJET N° 796 - N/R - 1996 - Série L - LA REUNION - SESSION NORMALE
Il est donc bien certain que la pitié est un sentiment naturel, qui, modérant dans chaque individu
l’amour de soi même, concourt à la conservation mutuelle de toute l’espèce. C’est elle qui nous
porte sans réflexion au secours de ceux que nous voyons souffrir, c’est elle qui, dans l’état de
nature, tient lieu de lois, de mœurs et de vertu, avec cet avantage que nul n’est tenté de désobéir à
sa douce voix : c’est elle qui détournera tout sauvage robuste d’enlever à un faible enfant ou à un
vieillard infirme sa subsistance acquise avec peine, si lui-même espère pouvoir trouver la sienne
ailleurs : c’est elle qui, au lieu de cette maxime sublime de justice raisonnée, Fais à autrui comme
tu veux qu’on te fasse, inspire à tous les hommes cette autre maxime de bonté naturelle, bien
moins parfaite, mais plus utile peut être que la précédente : Fais ton bien avec le moindre mal
d’autrui qu’il est possible. C’est en un mot, dans ce sentiment naturel, plutôt que dans des
arguments subtils, qu’il faut chercher la cause de la répugnance que tout homme éprouverait à
mal faire, même indépendamment des maximes de l’éducation. Quoiqu’il puisse appartenir à
Socrate et aux esprits de sa trempe d’acquérir de la vertu par raison, il y a longtemps que le genre
humain ne serait plus si sa conservation n’eût dépendu que des raisonnements de ceux qui le
composent.
ROUSSEAU
- 796 -
[797] SUJET N° 797 - N/R - 1996 - Série L - SPORTIFS HAUT NIVEAU - SESSION
NORMALE
Les artistes ont quelque intérêt à ce que l’on croie à leurs intuitions subites, à leurs prétendues
inspirations ; comme si l’idée de l’œuvre d’art, du poème, la pensée fondamentale d’une
philosophie tombaient du ciel tel un rayon de la grâce. En vérité, l’imagination du bon artiste, ou
penseur, ne cesse pas de produire, du bon, du médiocre et du mauvais, mais son jugement,
extrêmement aiguisé et exercé, rejette, choisit, combine ; on voit ainsi aujourd’hui, par les
Carnets de Beethoven, qu’il a composé ses plus magnifiques mélodies petit à petit, les tirant pour
ainsi dire d’esquisses multiples. Quant à celui qui est moins sévère dans son choix et s’en remet
volontiers à sa mémoire reproductrice, il pourra le cas échéant devenir un grand improvisateur ;
mais c’est un bas niveau que celui de l’improvisation artistique au regard de l’idée choisie avec
peine et sérieux pour une œuvre. Tous les grands hommes étaient de grands travailleurs,
infatigables quand il s’agissait d’inventer, mais aussi de rejeter, de trier, de remanier, d’arranger.
NIETZSCHE
- 797 -
[798] SUJET N° 798 - N/R - 1996 - Série S - GROUPEMENTS I-IV - SESSION NORMALE
Relativement au bonheur, aucun principe universellement valable ne peut-être donné pour loi.
Car aussi bien les circonstances que l’illusion pleine de contradictions et en outre sans cesse
changeante où l’individu place son bonheur (personne ne peut lui prescrire où il doit le placer)
font que tout principe ferme est impossible et en lui-même impropre à fonder une législation. La
proposition : Salus publica suprema civitatis lex est (1) garde intacte sa valeur et son autorité,
mais le salut public qu’il faut d’abord prendre en considération est précisément cette constitution
légale qui garantit la liberté de chacun par des lois, en quoi il demeure loisible à chacun de
rechercher son bonheur dans la voie qui lui paraît la meilleure, pourvu seulement qu’il ne porte
aucune atteinte à la liberté générale, par conséquent au droit des autres cosujets.
KANT
(1) « Le salut public est la suprême loi de l’Etat. »
- 798 -
[799] SUJET N° 799 - N/R - 1996 - Série S - GROUPEMENTS II-III - SESSION NORMALE
Les coupables qui se disent forcés au crime sont aussi menteurs que méchants : comment ne
voient-ils point que la faiblesse dont ils se plaignent est leur propre ouvrage, que leur première
dépravation vient de leur volonté, qu’à force de vouloir céder à leurs tentations, ils leur cèdent
enfin malgré eux et les rendent irrésistibles ? Sans doute il ne dépend plus d’eux de n’être pas
méchants et faibles, mais il dépendit d’eux de ne le pas devenir. O que nous resterions aisément
maîtres de nous et de nos passions, même durant cette vie, si, lorsque nos habitudes ne sont point
encore acquises, lorsque notre esprit commence à s’ouvrir, nous savions l’occuper des objets
qu’il doit connaître pour apprécier ceux qu’il ne connaît pas ; si nous voulions sincèrement nous
éclairer, non pour briller aux yeux des autres, mais pour être bons et sages selon la nature, pour
nous rendre heureux en pratiquant nos devoirs ! Cette étude nous paraît ennuyeuse et pénible,
parce que nous n’y songeons que déjà corrompus par le vice, déjà livrés à nos passions. Nous
fixons nos jugements et notre estime avant de connaître le bien et le mal, et puis, rapportant tout à
cette fausse mesure, nous ne donnons à rien sa juste valeur.
ROUSSEAU
- 799 -
[800] SUJET N° 800 - N/R - 1996 - Série S - GROUPEMENTS I-IV - SESSION NORMALE
Il est extrêmement rare que les souveraines Puissances (1) donnent des ordres d’une extrême
absurdité, car, dans leur propre intérêt et afin de conserver leur pouvoir, il leur importe avant tout
de veiller au bien général et de fonder leur gouvernement sur les critères raisonnables. On sait
que le but et le principe de l’organisation en société consistent à soustraire les hommes au règne
absurde de la convoitise et à les faire avancer - autant que possible - sur la voie de la raison, de
sorte que leur vie s’écoule dans la concorde et la paix. Aussitôt donc que ce principe cesserait
d’être mis en œuvre, tout l’édifice s’écroulerait. Mais seule la souveraine Puissance a la charge
d’en assurer le maintien, tandis que les sujets doivent exécuter les ordres reçus et ne reconnaître
d’autre droit que celui établi par les proclamations de la souveraine Puissance. Peut-être va-t-on
prétendre qu’ainsi nous faisons des sujets des esclaves, car une opinion vulgairement répandue
nomme esclave celui qui agit sur l’ordre d’un autre, et homme libre celui qui se conduit comme il
veut. Cette manière de voir n’est pas tout à fait conforme à la vérité. En fait, l’individu entraîné
par une concupiscence personnelle au point de ne plus rien voir ni faire de ce qu’exige son intérêt
authentique, est soumis au pire des esclavages. Au contraire, on devra proclamer libre l’individu
qui choisit volontairement de guider sa vie sur la raison.
SPINOZA
(1) « les souveraines Puissances » : les détenteurs de l’autorité politique.
- 800 -
[801] SUJET N° 801 - N/R - 1996 - Série S - METROPOLE + LA REUNION - SESSION
REMPL.
Tant que l’homme est plongé dans la situation historique, il lui arrive de ne même pas concevoir
les défauts et les manques d’une organisation politique ou économique déterminée, non comme
on dit sottement parce qu’il en « a l’habitude », mais parce qu’il la saisit dans la plénitude d’être
et qu’il ne peut même imaginer qu’il puisse en être autrement. Car il faut ici inverser l’opinion
générale et convenir de ce que ce n’est pas la dureté d’une situation ou les souffrances qu’elle
impose qui sont motifs pour qu’on conçoive un autre état de choses où il en irait mieux pour tout
le monde, au contraire, c’est à partir du jour où l’on peut concevoir un autre état des choses
qu’une lumière neuve tombe sur nos peines et sur nos souffrances et que nous décidons qu’elles
sont insupportables. L’ouvrier de 1830 est capable de se révolter si l’on baisse les salaires, car il
conçoit facilement une situation où son misérable niveau de vie serait moins bas cependant que
celui qu’on veut lui imposer. Mais il ne se représente pas ses souffrances comme intolérables, il
s’en accommode, non par résignation, mais parce qu’il manque de la culture et de la réflexion
nécessaires pour lui faire concevoir un état social où ces souffrances n’existeraient pas. Aussi
n’agit-il pas.
SARTRE
- 801 -
[802] SUJET N° 802 - N/R - 1996 - Série S - AMERIQUE DU NORD + LIBAN - SESSION
NORMALE
On a vu des fanatiques en tous les temps, et sans doute honorables à leurs propres yeux. Ces
crimes (1) sont la suite d’une idée, religion, justice, liberté. Il y a un fond d’estime, et même
quelquefois une secrète admiration, pour des hommes qui mettent au jeu leur propre vie, et sans
espérer aucun avantage ; car nous ne sommes points fiers de faire si peu et de risquer si peu pour
ce que nous croyons juste ou vrai. Certes je découvre ici des vertus rares, qui veulent respect, et
une partie au moins de la volonté. Mais c’est à la pensée qu’il faut regarder. Cette pensée raidie,
qui se limite, qui ne voit qu’un côté, qui ne comprend point la pensée des autres, ce n’est point la
pensée (…). Il y a quelque chose de mécanique dans une pensée fanatique, car elle revient
toujours par les mêmes chemins. Elle ne cherche plus, elle n’invente plus. Le dogmatisme est
comme un délire récitant. Il y manque cette pointe de diamant, le doute, qui creuse toujours. Ces
pensées fanatiques gouvernent admirablement les peurs et les désirs, mais elles ne se gouvernent
pas elles-mêmes. Elles ne cherchent pas ces vues de plusieurs points, ces perspectives sur
l’adversaire, enfin cette libre réflexion qui ouvre les chemins de persuader, et qui détourne en
même temps de forcer. Bref il y a un emportement de pensée, et une passion de penser qui
ressemble aux autres passions.
ALAIN
(1) Le contexte indique qu’il s’agit des crimes des fanatiques.
- 802 -
[803] SUJET N° 803 - N/R - 1996 - Série S - AMERIQUE DU SUD - SESSION NORMALE
Comment l’avenir diminue-t-il ? Comment s’épuise-t-il, lui qui n’est pas encore ? Et comment le
passé s’accroît-il, lui qui n’est plus, si ce n’est parce que dans l’esprit qui a opéré ainsi, il y a ces
trois actions : l’attente, l’attention, le souvenir. Le contenu de l’attente passe par l’attention et
devient souvenir. L’avenir n’est pas encore, qui le nie ? Mais il y a déjà dans l’esprit l’attente de
l’avenir. Et le passé n’est plus rien, qui le nie ? Mais il y a encore dans l’esprit le souvenir du
passé. Et le présent, privé d’étendue, n’est qu’un point fugitif, qui le nie ? Mais elle dure
pourtant, l’attention à travers laquelle ce qui advient s’achemine à sa disparition. Ce n’est donc
pas l’avenir qui est long, lui qui n’existe pas, mais un long avenir, c’est une longue attente de
l’avenir, et il n’y a pas plus de long passé, un long passé, c’est un long souvenir du passé.
AUGUSTIN
- 803 -
[804] SUJET N° 804 - N/R - 1996 - Série S - ANTILLES - SESSION NORMALE
On a beau vouloir confondre l’indépendance et la liberté, ces deux choses sont si différentes que
même elles s’excluent mutuellement. Quand chacun fait ce qu’il lui plaît, on fait souvent ce qui
déplaît à d’autres, et cela ne s’appelle pas un Etat libre. La liberté consiste moins à faire sa
volonté qu’à n’être pas soumis à celle d’autrui ; elle consiste encore à ne pas soumettre la volonté
d’autrui à la nôtre. Quiconque est maître ne peut être libre, et régner c’est obéir. (...)
Dans la liberté commune nul n’a le droit de faire ce que la liberté d’un autre lui interdit, et la
vraie liberté n’est jamais destructive d’elle-même. Ainsi la liberté sans la justice est une véritable
contradiction ; car comme qu’on s’y prenne tout gêne dans l’exécution d’une volonté
désordonnée.
Il n’y a donc point de liberté sans lois, ni où quelqu’un est au-dessus des lois : dans l’état même
de nature l’homme n’est libre qu’à la faveur de la loi naturelle qui commande à tous. Un peuple
libre obéit, mais il ne sert pas ; il a des chefs et non pas des maîtres, il obéit aux lois, mais n’obéit
pas aux hommes.
ROUSSEAU
- 804 -
[805] SUJET N° 805 - N/R - 1996 - Série S - ANTILLES - SESSION REMPL.
N’a-t-on pas un mot qui désignerait, non une jouissance comme le mot bonheur, mais qui
cependant indiquerait une satisfaction liée à notre existence, un analogue du bonheur qui doit
nécessairement accompagner la conscience de la vertu ? Si ! ce mot existe, c’est contentement de
soi-même, qui au sens propre ne désigne jamais qu’une satisfaction négative liée à l’existence,
par laquelle on a conscience de n’avoir besoin de rien. La liberté et la conscience de la liberté,
comme conscience d’un pouvoir que nous avons de suivre, avec une intention inébranlable, la loi
morale, est l’indépendance à l’égard des penchants, du moins comme causes déterminantes
(sinon comme causes affectives) de notre désir, et en tant que je suis conscient de cette
indépendance dans l’exécution de mes maximes morales, elle est l’unique source d’un
contentement immuable, nécessairement lié avec elle, ne reposant sur aucun sentiment
particulier, et qui peut s’appeler intellectuel. Le contentement sensible (qui est ainsi appelé
improprement) qui repose sur la satisfaction des penchants, si raffinés qu’on les imagine, ne peut
jamais être adéquat à ce qu’on se représente. Car les penchants changent, croissent avec la
satisfaction qu’on leur accorde et ils laissent toujours un vide plus grand encore que celui qu’on a
cru remplir.
KANT
- 805 -
[806] SUJET N° 806 - N/R - 1996 - Série S - JAPON - SESSION NORMALE
- Maintenant considère ceci. Quel but se propose la peinture relativement à chaque objet ? Est-ce
de représenter ce qui est tel qu’il est, ou ce qui paraît tel qu’il paraît ; est-ce l’imitation de
l’apparence ou de la réalité ?
- De l’apparence dit-il.
- L’art d’imiter est donc bien éloigné du vrai, et, s’il peut tout exécuter, c’est, semble-t-il, qu’il ne
touche qu’une petite partie de chaque chose, et cette partie n’est qu’un fantôme. Nous pouvons
dire par exemple que le peintre nous peindra un cordonnier, un charpentier ou tout autre artisan
sans connaître le métier d’aucun d’eux ; il n’en fera pas moins, s’il est bon peintre, illusion aux
enfants et aux ignorants, en peignant un charpentier et en le montrant de loin, parce qu’il lui aura
donné l’apparence d’un charpentier véritable.
- Assurément.
- Mais voici, mon ami, ce qu’il faut, selon moi, penser de tout cela : quand quelqu’un vient nous
dire qu’il a rencontré un homme au courant de tous les métiers et qui connaît mieux tous les
détails de chaque art que n’importe quel spécialiste, il faut lui répondre qu’il est naïf et qu’il est
tombé sans doute sur un charlatan ou un imitateur qui lui a jeté de la poudre aux yeux, et que, s’il
l’a pris pour un savant universel, c’est qu’il n’est pas capable de distinguer la science, l’ignorance
et l’imitation.
PLATON
- 806 -
[807] SUJET N° 807 - N/R - 1996 - Série S - ETRANGER GROUPE 1 - SESSION NORMALE
Ce ne sont pas les excitations de sa nature qui éveillent en l’homme les passions, ces mouvements
désignés par un mot si juste et qui causent de si grands ravages dans ses dispositions
primitivement bonnes. Il n’a que de petits besoins, et les soucis qu’ils lui procurent laissent son
humeur calme et modérée. Il n’est pauvre (ou ne se croit tel) qu’autant qu’il a peur que les autres
hommes puissent le croire pauvre et le mépriser pour cela. L’envie, l’ambition, l’avarice, et les
inclinations haineuses qui les suivent, assaillent sa nature, en elle-même modérée, dès qu’il vit au
milieu des hommes, et il n’est même pas besoin de supposer ces hommes déjà enfoncés dans le
mal, lui donnant de mauvais exemples ; il suffit qu’ils soient là, qu’ils l’entourent dans leurs
dispositions morales et qu’ils se rendent mutuellement mauvais.
KANT
- 807 -
[808] SUJET N° 808 - N/R - 1996 - Série S - ETRANGER GROUPE 1 - SESSION REMPL.
Quant aux divers sons du langage, c’est la nature qui poussa les hommes à les émettre, et c’est le
besoin qui fit naître les noms des choses : à peu près comme nous voyons l’enfant amené, par son
incapacité même de s’exprimer avec la langue, à recourir au geste qui lui fait désigner du doigt
les objets présents. Chaque être en effet a le sentiment de l’usage qu’il peut faire de ses facultés
(...). Ainsi penser qu’alors un homme ait pu donner à chaque chose son nom, et que les autres
aient appris de lui les premiers éléments du langage, est vraiment folie. Si celui-ci a pu désigner
chaque objet par son nom, émettre les divers sons du langage, pourquoi supposer que d’autres
n’auraient pu le faire en même temps que lui ? En outre, si les autres n’avaient pas également usé
entre eux la parole, d’où la notion de son utilité lui est-elle venue ? (...) Enfin qu’y a-t-il de si
étrange que le genre humain en possession de la voix et de la langue ait désigné suivant ses
impressions diverses les objets par des noms divers ? Les troupeaux privés de la parole et même
les espèces sauvages poussent bien des cris différents suivants que la crainte, la douleur ou la joie
les pénètrent.
LUCRECE
- 808 -
[809] SUJET N° 809 - N/R - 1996 - Série S - INDE - SESSION NORMALE
Un homme peut travailler avec autant d’art qu’il le veut à se représenter une action contraire à la
loi qu’il se souvient avoir commise, comme une erreur faite sans intention, comme une simple
imprévoyance qu’on ne peut jamais entièrement éviter, par conséquent comme quelque chose où
il a été entraîné par le torrent de la nécessité naturelle, et à se déclarer ainsi innocent, il trouve
cependant que l’avocat qui parle en sa faveur ne peut réduire au silence l’accusateur qui est en lui
s’il a conscience qu’au temps où il commettait l’injustice, il était dans son bon sens, c’est-à-dire
qu’il avait l’usage de sa liberté. Quoiqu’il s’explique sa faute par quelque mauvaise habitude,
qu’il a insensiblement contractée en négligeant de faire attention à lui-même et qui est arrivée à
un tel degré de développement qu’il peut considérer la première comme une conséquence
naturelle de cette habitude, il ne peut jamais néanmoins ainsi se mettre en sûreté cotre le blâme
intérieur et le reproche qu’il se fait à lui-même. C’est là-dessus aussi que se fonde le repentir qui
se produit à l’égard d’une action accomplie depuis longtemps, chaque fois que nous nous en
souvenons.
KANT
- 809 -
[810] SUJET N° 810 - N/R - 1996 - Série S - NOUVELLE-CALEDONIE - SESSION
NORMALE
Quels que soient les immenses services rendus à l’industrie par les théories scientifiques, quoique
(...) la puissance soit nécessairement proportionnée à la connaissance, nous ne devons pas oublier
que les sciences ont, avant tout, une destination plus directe et plus élevée, celle de satisfaire au
besoin fondamental qu’éprouve notre intelligence de connaître les lois des phénomènes. Pour
sentir combien ce besoin est profond et impérieux, il suffit de penser un instant aux effets
physiologiques de l’étonnement, et de considérer que la sensation la plus terrible que nous
puissions éprouver est celle qui se produit toutes les fois qu’un phénomène nous semble
s’accomplir contradictoirement aux lois naturelles qui nous sont familières. Ce besoin de disposer
les faits dans un ordre que nous puissions concevoir (ce qui est l’objet propre de toutes les
théories scientifiques) est tellement inhérent à notre organisation (1) que, si nous ne parvenions
pas à la satisfaire par des conceptions positives, nous retournerions inévitablement aux
explications théologiques et métaphysiques auxquelles il a primitivement donné naissance.
COMTE
(1) synonyme ici de « nature »
- 810 -
[811] SUJET N° 811 - N/R - 1996 - Série S - POLYNESIE - SESSION NORMALE
Parmi tous les arts et toutes nos facultés, vous n’en trouverez aucun qui soit capable de se prendre
soi-même pour objet d’étude, aucun, par conséquent, qui soit apte à porter sur soi un jugement
d’approbation ou de désapprobation. La grammaire, jusqu’où s’étend sa capacité spéculative ?
Jusqu’à distinguer les lettres. Et la musique ? Jusqu’à distinguer la mélodie. L’une ou l’autre se
prend-elle pour objet d’étude ? Nullement. Mais si tu écris à un ami, le fait que tu dois choisir ces
lettres-ci, la grammaire te le dira. Quant à savoir s’il faut oui ou non écrire à cet ami, la
grammaire ne te le dira pas. Ainsi pour les mélodies, la musique. Mais faut-il chanter maintenant
ou jouer de la lyre, ou ne faut-il ni chanter ni jouer de la lyre, la musique ne te le dira pas. Qui
donc le dira ? La faculté qui se prend elle-même aussi bien que tout le reste comme objet d’étude.
Quelle est-elle ? La Raison. Seule, en effet, de celles que nous avons reçues, elle est capable
d’avoir conscience d’elle-même, de sa nature, de son pouvoir, de la valeur qu’elle apporte en
venant en nous, et d’avoir conscience également des autres facultés.
EPICTETE
- 811 -
[812] SUJET N° 812 - N/R - 1996 - Série S - POLYNESIE - SESSION REMPL.
La vérité, dit-on, consiste dans l’accord de la connaissance avec l’objet. Selon cette simple
définition de mot, ma connaissance doit donc s’accorder avec l’objet pour avoir valeur de vérité.
Or le seul moyen que j’ai de comparer l’objet avec ma connaissance c’est que je le connaisse.
Ainsi ma connaissance doit se confirmer elle-même, mais c’est bien loin de suffire à la vérité.
Car puisque l’objet est hors de moi et que la connaissance est en moi, tout ce que je puis
apprécier c’est si ma connaissance de l’objet s’accorde avec ma connaissance de l’objet. Les
anciens appelaient diallèle (1) un tel cercle dans la définition. Et effectivement c’est cette faute
que les sceptiques n’ont cessé de reprocher aux logiciens ; ils remarquaient qu’il en est de cette
définition de la vérité comme d’un homme qui ferait une déposition au tribunal et invoquerait
comme témoin quelqu’un que personne ne connaît, mais qui voudrait être cru en affirmant que
celui qui l’invoque comme témoin est un honnête homme. Reproche absolument fondé, mais la
solution du problème en question est totalement impossible pour tout le monde. En fait la
question qui se pose ici est de savoir si, et dans quelle mesure il y a un critère de la vérité certain,
universel et pratiquement applicable. Car tel est le sens de la question : qu’est-ce que la vérité ?
KANT
(1) « diallèle » : mot d’origine grecque utilisé par les logiciens pour désigner un cercle vicieux.
- 812 -
[813] SUJET N° 813 - N/R - 1996 - Série S - LA REUNION - SESSION NORMALE
La vie quotidienne, pour ses fins variables et relatives, peut se contenter d’évidences et de vérités
relatives. La science, elle, veut des vérités variables une fois pour toutes et pour tous, définitives,
et donc des vérifications nouvelles et ultimes. Si, en fait, comme elle-même doit finir par s’en
convaincre, la science ne réussit pas à édifier un système de vérités absolues, si elle doit sans
arrêt modifier les vérités acquises, elle obéit cependant à l’idée de vérité absolue, de vérité
scientifique, et elle tend par là vers un horizon infini d’approximations qui convergent toutes vers
cette idée. A l’aide de ces approximations, elle croit pouvoir dépasser la conscience naïve et aussi
se dépasser infiniment elle-même. Elle croit le pouvoir aussi par la fin qu’elle se pose, à savoir
l’universalité systématique de la connaissance.
HUSSERL
- 813 -
[814] SUJET N° 814 - N/R - 1996 - Série S - SPORTIFS HAUT NIVEAU - SESSION
NORMALE
- Eh quoi ! La liberté est-elle absence de la raison ?
- A Dieu ne plaise ! Folie et liberté ne vont pas ensemble.
- Mais je veux que tout arrive suivant mon idée, quelle que soit cette idée.
- Tu es fou, tu déraisonnes. Ne sais-tu pas que la liberté est une belle chose, une chose précieuse ?
Or, vouloir au petit bonheur que se produise ce qui au petit bonheur m’est venu à l’idée risque
non seulement de n’être pas beau, mais d’être même tout ce qu’il y a de plus laid. Voyons, que
faisons-nous s’il s’agit d’écrire ? Est-ce que je me propose d’écrire selon ma volonté le nom de
Dion ? Non, mais on m’apprend à vouloir l’écrire comme il doit l’être. (...) Sinon, il serait
absolument inutile d’apprendre n’importe quoi, si chacun pouvait accommoder ses connaissances
à sa volonté. Et ce serait uniquement dans le domaine le plus grave et le plus important, celui de
la liberté, qu’il me sera permis de vouloir au petit bonheur ? Nullement, mais s’instruire consiste
précisément à apprendre à vouloir chaque chose comme elle arrive.
EPICTETE
- 814 -
[815] SUJET N° 815 - N/R - 1996 - Série TECHN. - GROUPEMENTS I-IV - SESSION
NORMALE
Personne ne peut me conduire à être heureux à sa manière (c’est-à-dire à la manière dont il
conçoit le bien-être des autres hommes) ; par contre, chacun peut chercher son bonheur de la
manière qui lui paraît bonne, à condition de ne pas porter préjudice à la liberté qu’a autrui de
poursuivre une fin semblable (c’est-à-dire de ne pas porter préjudice au droit d’autrui), liberté qui
peut coexister avec la liberté de chacun grâce à une possible loi universelle. Un gouvernement
qui serait fondé sur le principe de la bienveillance envers le peuple, comme celui d’un père
envers ses enfants, c’est-à-dire un gouvernement paternaliste (...) où les sujets sont forcés de se
conduire d’une manière simplement passive, à la manière d’enfants mineurs, incapables de
distinguer ce qui leur est vraiment utile ou nuisible et qui doivent attendre simplement du
jugement d’un chef d’Etat la manière dont ils doivent être heureux et simplement de sa bonté
qu’également il le veuille, est le plus grand despotisme qu’on puisse concevoir (c’est-à-dire une
constitution qui supprime toute liberté pour les sujet qui ainsi ne possèdent aucun droit).
KANT
QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée centrale du texte et faites apparaître les étapes de l’argumentation.
2° Expliquez :
a) « liberté qui peut coexister avec la liberté de chacun grâce à une possible loi universelle » ;
b) « un gouvernement paternaliste (…) est le plus grand des despotismes ».
3° Le rôle du gouvernement est-il seulement de garantir la liberté ?
- 815 -
[816] SUJET N° 816 - N/R - 1996 - Série TECHN. - GROUPEMENTS II-III - SESSION
NORMALE
Résistance et obéissance, voilà les deux vertus (1) du citoyen. Par l’obéissance il assure l’ordre ;
par la résistance il assure la liberté. Et il est bien clair que l’ordre et la liberté ne sont point
séparables, car le jeu des forces, c’est-à-dire la guerre privée, à toute minute, n’enferme (2)
aucune liberté ; c’est une vie animale, livrée à tous les hasards. Donc les deux termes, ordre et
liberté, sont bien loin d’être opposés, j’aime mieux dire qu’ils sont corrélatifs. La liberté ne va
pas sans l’ordre, l’ordre ne vaut rien sans la liberté.
Obéir en résistant, c’est tout le secret. Ce qui détruit l’obéissance est anarchie, ce qui détruit la
résistance est tyrannie. Ces deux maux s’appellent (3), car la tyrannie employant la force contre
les opinions, les opinions, en retour, emploient la force contre la tyrannie, et inversement, quand
la résistance devient désobéissance, les pouvoirs ont beau jeu pour écraser la résistance, et ainsi
deviennent tyranniques. Dès qu’un pouvoir use de force pour tuer la critique, il est tyrannique.
ALAIN
(1) « vertus » : qualités.
(2) « n’enferme » : n’implique.
(3) « s’appellent » : s’impliquent réciproquement.
QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée directrice et les étapes de l’argumentation de ce texte.
2° Expliquez :
a) « le jeu des forces, c’est-à-dire la guerre privée, à toute minute » ;
b) « Ce qui détruit l’obéissance est anarchie, ce qui détruit la résistance est tyrannie ».
3° Diriez-vous aussi que « résistance et obéissance » sont « les deux vertus du citoyen » ?
- 816 -
[817] SUJET N° 817 - N/R - 1996 - Série TECHN. - GROUPEMENTS II-III - SESSION
NORMALE
Qu’arrive-t-il quand une de nos actions cesse d’être spontanée pour devenir automatique ? La
conscience s’en retire. Dans l’apprentissage d’un exercice, par exemple, nous commençons par
être conscients de chacun des mouvements que nous exécutons, parce qu’il vient de nous, parce
qu’il résulte d’une décision et implique un choix, puis à mesure que ces mouvements
s’enchaînent davantage entre eux et se déterminent plus mécaniquement les uns les autres, nous
dispensant ainsi de nous décider et de choisir, la conscience que nous en avons diminue et
disparaît. Quels sont, d’autre part, les moments où notre conscience atteint le plus de vivacité ?
Ne sont-ce pas les moments de crise intérieure, où nous hésitons entre deux et plusieurs partis à
prendre, où nous sentons que notre avenir sera ce que nous l’aurons fait ? Les variations
d’intensité de notre conscience semblant donc bien correspondre à la somme plus ou moins
considérable de choix ou, si vous voulez, de création, que nous distribuons sous notre conduite.
Tout porte à croire qu’il en est ainsi de la conscience en général.
BERGSON
QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée principale du texte et précisez la structure de son argumentation.
2° Expliquez :
a) « La conscience s’en retire » ;
b) « à mesure que ces mouvements s’enchaînent davantage entre eux et se déterminent plus
mécaniquement les uns les autres » ;
c) « les moments de crise intérieure où nous hésitons entre deux ou plusieurs partis à prendre, où
nous sentons que notre avenir sera ce que nous l’aurons fait ».
3° Dans une discussion argumentée et progressive, vous vous demanderez ce qui provoque l’éveil
de la conscience.
- 817 -
[818] SUJET N° 818 - N/R - 1996 - Série TECHN. - GROUPEMENTS I-IV - SESSION
NORMALE
J’aime la liberté, rien n’est plus naturel ; je suis né libre, il est permis à chacun d’aimer le
gouvernement de son pays et si nous laissons les sujets des Rois dire avec tant de bêtise et
d’impertinence du mal des Républiques, pourquoi ne nous laisseraient-ils pas dire avec tant de
justice et de raison du mal de la royauté ? Je hais la servitude comme la source de tous les maux
du genre humain. Les tyrans et leurs flatteurs crient sans cesse : peuples, portez vos fers sans
murmure car le premier des biens est le repos ; ils mentent, c’est la liberté. Dans l’esclavage, il
n’y a ni paix ni vertu. Quiconque a d’autres maîtres que les lois est un méchant.
ROUSSEAU
QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée essentielle du texte en soulignant les raisons de l’indignation de Rousseau.
2° Expliquez la phrase suivante : « Je hais la servitude comme la source de tous les maux du
genre humain ».
3° Traitez la question suivante sous la forme d’un développement argumenté : en quoi la loi estelle bon maître ?
- 818 -
[819] SUJET N° 819 - N/R - 1996 - Série TECHN. - METROPOLE + LA REUNION SESSION NORMALE
L’être le plus intelligent est celui qui est capable de bien utiliser le plus grand nombre d’outils :
or, la main semble bien être non pas un outil, mais plusieurs. Car elle est pour ainsi dire un outil
qui tient lieu des autres. C’est donc à l’être capable d’acquérir le plus grand nombre de
techniques que la nature a donné l’outil de loin le plus utile, la main.
Aussi, ceux qui disent que l’homme n’est pas bien constitué et qu’il est le moins bien partagé (1)
des animaux (parce que, dit-on, il est sans chaussures, il est nu et n’a pas d’armes pour
combattre) sont dans l’erreur. Car les autres animaux n’ont chacun qu’un seul moyen de défense
et il ne leur est pas possible de le changer pour un autre. L’homme, au contraire, possède de
nombreux moyens de défense, et il lui est toujours loisible (2) d’en changer et même d’avoir
l’arme qu’il veut et quand il veut. Car la main devient griffe, serre, corne, ou lance ou épée ou
toute autre arme ou outil. Elle peut être tout cela, parce qu’elle est capable de tout saisir et tout
tenir.
ARISTOTE
(1) « le moins bien partagé » : le moins bien pourvu.
(2) « il lui est toujours loisible » : il a toujours la possibilité de.
QUESTIONS :
1° Dégagez la thèse du texte et les principales étapes de l’argumentation.
2° Expliquez : « la main semble bien être non pas un outil mais plusieurs ».
3° Traitez la question suivante sous forme de développement argumenté : la supériorité de
l’homme consiste-t-elle dans sa capacité d’acquérir le plus grand nombre de techniques ?
- 819 -
[820] SUJET N° 820 - N/R - 1996 - Série TECHN. - ANTILLES - SESSION NORMALE
Qu’est-ce que le droit ? C’est l’égalité. Dès qu’un contrat enferme quelque inégalité, vous
soupçonnez aussitôt que ce contrat viole le droit (…).
Le droit règne là où le petit enfant qui tient son sou dans sa main et regarde avidement les objets
étalés, se trouve l’égal de la plus rusée ménagère.
On voit bien ici comment l’état de droit s’opposera au libre jeu de la force. Si nous laissons agir
les puissances, l’enfant sera certainement trompé ; même si on ne lui prend pas son sou par force
brutale, on lui fera croire sans peine qu’il doit échanger un vieux sou contre un centime neuf (1).
C’est contre l’inégalité que le droit a été inventé. Et les lois justes sont celles qui s’ingénient à
faire que (2) les hommes, les femmes, les enfants, les malades, les ignorants soient tous égaux.
Ceux qui disent, contre le droit, que l’inégalité est dans la nature des choses, disent donc des
pauvretés.
ALAIN
(1) un sou valait 5 centimes.
(2) « s’ingénient à faire que » : cherchent à obtenir que.
QUESTIONS :
1° Quelle est l’idée principale du texte ? Dégagez les étapes de l’argumentation.
2° Définissez ce qu’Alain entend par « état de droit ».
3° Traitez la question suivante sous la forme d’un développement argumenté : Pensez-vous
comme l’auteur que la recherche de l’égalité soit à l’origine du droit ?
- 820 -
[821] SUJET N° 821 - N/R - 1996 - Série TECHN. - ANTILLES - SESSION REMPL.
Progrès : changement lent, longtemps imperceptible, et qui consacre une victoire de la volonté
contre les forces extérieures. Tout progrès est de liberté. J’arrive à faire ce que je veux, par
exemple me lever matin (1), lire la musique, être poli, retenir la colère, ne pas éprouver l’envie,
parler distinctement, écrire lisiblement, etc. D’accord entre eux les hommes arrivent à sauver la
paix, à diminuer l’injustice et la misère, à instruire tous les enfants, à soigner les malades.
Au contraire on nomme évolution le changement qui nous soumet un peu plus aux forces
inhumaines en nous détournant insensiblement de nos beaux projets. Un homme qui dit : « J’ai
évolué » veut quelquefois faire entendre qu’il a avancé en sagesse ; il ne peut, la langue ne le
permet pas.
ALAIN
(1) « me lever matin » : me lever tôt.
QUESTIONS :
1° Vous dégagerez l’idée centrale du texte et les étapes de son argumentation.
2° Expliquez : « on nomme évolution le changement qui nous soumet un peu plus aux forces
inhumaines ».
3° Pourquoi les exemples d’Alain « me lever matin, lire la musique, être poli », etc., sont-ils des
manifestations de la liberté ?
4° Traitez la question suivante sous forme de développement argumenté : pensez-vous que tout
progrès favorise la réalisation de la liberté ?
- 821 -
[822] SUJET N° 822 - N/R - 1996 - Série TECHN. - ETRANGER GROUPE 1 - SESSION
NORMALE
C’est la faiblesse de l’homme qui le rend sociable, ce sont nos misères communes qui portent nos
cœurs à l’humanité : nous ne lui devrions rien si nous n’étions pas hommes. Tout attachement est
un signe d’insuffisance : si chacun de nous n’avait nul besoin des autres, il ne songerait guère à
s’unir à eux. Ainsi de notre infirmité même naît notre frêle bonheur. Un être vraiment heureux est
un être solitaire. (...).
Il suit de là que nous nous attachons à nos semblables moins par le sentiment de leurs plaisirs que
par celui de leurs peines ; car nous y voyons bien mieux l’identité de notre nature et les garants de
leur attachement pour nous. Si nos besoins communs nous unissent par intérêt, nos misères
communes nous unissent par affection. (...).
L’imagination nous met à la place du misérable plutôt qu’à celle de l’homme heureux, on sent
que l’un de ces états nous touche de plus près que l’autre. La pitié est douce, parce qu’en se
mettant à la place de celui qui souffre, on sent pourtant le plaisir de ne pas souffrir comme lui.
ROUSSEAU
QUESTIONS :
1° Expliquez quelles sont, pour Rousseau, les causes qui unissent les hommes.
2° Expliquez les expressions :
a) « Tout attachement est un signe d’insuffisance » ;
b) « nos misères communes nous unissent par affection ».
3° Dans une discussion argumentée et progressive, vous vous demanderez si l’on peut trouver
d’autres causes que la faiblesse des hommes à la nécessité de leur union.
- 822 -
[823] SUJET N° 823 - N/R - 1996 - Série TECHN. - ETRANGER GROUPE 1 - SESSION
REMPL.
Penser est une aventure. Nul ne peut dire où il débarquera, ou bien ce n’est plus penser (...). La
condition préalable de n’importe quelle idée, en n’importe qui, c’est un doute radical (...). Non
pas seulement à l’égard de ce qui est douteux, car c’est trop facile, mais, à l’égard de ce qui
ressemble le plus au vrai, car, même le vrai, la pensée le doit défaire et refaire. Si vous voulez
savoir, vous devez commencer par ne plus croire, entendez ne plus donner aux coutumes le visa
de l’esprit. Une pensée c’est un doute, mais à l’égard de la coutume, il y a plus que doute, car,
quelque force qu’ait la coutume, et même si le penseur s’y conforme, la coutume ne sera jamais
preuve.
ALAIN
QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée principale du texte en précisant la structure de son argumentation.
2° Expliquez :
a) « même le vrai, la pensée le doit défaire et refaire » ;
b) « la coutume ne sera jamais preuve ».
3° Dans une discussion progressive et argumentée, vous vous demanderez si la croyance
s’oppose toujours à la pensée.
- 823 -
[824] SUJET N° 824 - N/R - 1996 - Série TECHN. - INDE - SESSION NORMALE
Le plus pressant intérêt du chef, de même que son devoir le plus indispensable, est (...) de veiller
à l’observation des lois dont il est le ministre (1), et sur lesquelles est fondée toute son autorité.
S’il doit les faire observer aux autres, à plus forte raison doit-il les observer lui-même, (lui) qui
jouit de toute leur faveur. Car son exemple est de telle force que, quand même le peuple voudrait
bien souffrir (2) qu’il s’affranchît du joug de la loi, il devrait se garder de profiter d’une si
dangereuse prérogative, que d’autres s’efforceraient bientôt d’usurper à leur tour, et souvent à son
préjudice. Au fond, comme tous les engagements de la société sont réciproques par leur nature, il
n’est pas possible de se mettre au-dessus de la loi sans renoncer à ses avantages, et personne ne
doit rien à quiconque prétend ne rien devoir à personne.
ROUSSEAU
(1) « ministre » : (ici, au sens ancien du terme) serviteur.
(2) « souffrir » : accepter, supporter.
QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée directrice et les étapes de l’argumentation de ce texte.
2° Expliquez :
a) « S’il doit les faire observer aux autres, à plus forte raison doit-il les observer lui- même » ;
b) « les engagements de la société sont réciproques par nature ».
3° Est-ce seulement par intérêt que le chef doit obéir à la loi ?
- 824 -
[825] SUJET N° 825 - N/R - 1996 - Série TECHN. - NOUVELLE-CALEDONIE - SESSION
NORMALE
Il est vrai que, dans les démocraties, le peuple paraît faire ce qu’il veut : mais la liberté politique
ne consiste point à faire ce que l’on veut. Dans un Etat, c’est-à-dire dans une société où il y a des
lois, la liberté ne peut consister qu’à pouvoir faire ce que l’on doit vouloir, et à n’être point
contraint de faire ce que l’on ne doit point vouloir.
Il faut se mettre dans l’esprit ce que c’est que l’indépendance, et ce que c’est que la liberté. La
liberté est le droit de faire tout ce que les lois permettent : et, si un citoyen pouvait faire ce
qu’elles défendent, il n’aurait plus de liberté, parce que les autres auraient tout de même (1) ce
pouvoir.
MONTESQUIEU
(1) « tout de même » : tout autant, de la même façon.
QUESTIONS :
1° Quelle est l’idée centrale de ce texte ? Comment Montesquieu l’établit-il ?
2° Expliquez :
a) « un Etat, c’est-à-dire (...) une société où il y a des lois » ;
b) Comment comprenez-vous l’expression : « ce que l’on doit vouloir » ?
c) Comment définissez-vous « l’indépendance » ?
3° Les lois limitent-elles la liberté ?
- 825 -
[826] SUJET N° 826 - N/R - 1996 - Série TECHN. - POLYNESIE - SESSION NORMALE
L’homme ne peut devenir homme que par l’éducation. Il n’est que ce que l’éducation fait de lui.
Il faut remarquer que l’homme n’est éduqué que par des hommes et par des hommes qui ont
également été éduqués. C’est pourquoi le manque de discipline et d’instruction (que l’on
remarque) chez quelques hommes fait de ceux-ci de mauvais éducateurs pour leurs élèves. Si
seulement un être d’une nature supérieure se chargeait de notre éducation, on verrait alors ce que
l’on peut faire de l’homme. Mais comme l’éducation d’une part ne fait qu’apprendre certaines
choses aux hommes et d’autre part ne fait que développer en eux certaines qualités, il est
impossible de savoir jusqu’où vont les dispositions naturelles de l’homme. Si du moins avec
l’appui des grands de ce monde et en réunissant les forces de beaucoup d’hommes on faisait une
expérience, cela nous donnerait déjà beaucoup de lumières pour savoir jusqu’où il est possible
que l’homme s’avance.
KANT
QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée principale du texte et les étapes de son argumentation.
2° Expliquez :
a) « l’homme ne peut devenir homme que par l’éducation » ;
b) « il est impossible de savoir jusqu’où vont les dispositions naturelles ».
3° L’homme n’est-il que ce que d’autres hommes ont fait de lui ?
- 826 -
[827] SUJET N° 827 - N/R - 1996 - Série TECHN. - POLYNESIE - SESSION REMPL.
Qu’arrive-t-il quand une de nos actions cesse d’être spontanée pour devenir automatique ? La
conscience s’en retire. Dans l’apprentissage d’un exercice, par exemple, nous commençons par
être conscients de chacun des mouvements que nous exécutons, parce qu’il vient de nous, parce
qu’il résulte d’une décision et implique un choix, puis, à mesure que ces mouvements
s’enchaînent davantage entre eux et se déterminent plus mécaniquement les uns les autres, nous
dispensant ainsi de nous décider et de choisir, la conscience que nous en avons diminue et
disparaît. Quels sont, d’autre part, les moments où notre conscience atteint le plus de vivacité ?
Ne sont-ce pas les moments de crise intérieure, où nous hésitons entre deux ou plusieurs partis à
prendre, où nous sentons que notre avenir sera ce que nous l’aurons fait. Les variations
d’intensité de notre conscience semblent donc bien correspondre à la somme plus ou moins
considérable de choix ou, si vous voulez, de création, que nous distribuons sur notre conduite.
Tout porte à croire qu’il en est ainsi de la conscience en général. Si conscience signifie mémoire
et anticipation, c’est que conscience est synonyme de choix.
BERGSON
QUESTIONS :
1° Dégagez la thèse du texte et l’argumentation.
2° Expliquez :
a) « Dans l’apprentissage d’un exercice, par exemple, nous commençons par être conscients de
chacun des mouvements que nous exécutons, parce qu’il vient de nous » ;
b) « conscience est synonyme de choix ».
3° Est-ce dans l’hésitation que nous sommes le plus conscients ?
- 827 -
[828] SUJET N° 828 - N/R - 1996 - Série TECHN. - LA REUNION - SESSION NORMALE
Il semble que [...] le but de celui qui fait des lois soit d’amener les hommes à se conduire
moralement. Or n’importe quel homme peut en amener un autre à se conduire moralement. Donc
n’importe quel homme [...] peut établir la loi [...]. [Mais à ce raisonnement], il faut répondre
qu’une personne privée ne peut efficacement amener les gens à se conduire moralement, elle ne
peut que donner des conseils, et si ses conseils ne sont pas entendus, cette personne n’a aucune
force contraignante. La loi au contraire doit avoir cette force contraignante, afin d’amener avec
efficacité les gens à se conduire moralement. [...] Et ce pouvoir contraignant appartient au peuple
(ou personne publique) : c’est à lui d’infliger des peines [...], et c’est donc à lui seul qu’il revient
de faire les lois.
THOMAS D’AQUIN
QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée directrice et les étapes de l’argumentation de ce texte.
2° Expliquez :
a) « une personne privée... ne peut que donner des conseils » ;
b) « Ce pouvoir contraignant appartient au peuple (ou personne publique) ».
3° Quand les élus font des lois, diriez-vous que c’est le peuple lui-même qui les fait ?
- 828 -
[829] SUJET N° 829 - N/R - 1996 - Série TECHN. - SPORTIFS HAUT NIVEAU - SESSION
NORMALE
A quoi vise l’art, sinon à nous montrer, dans la nature et dans l’esprit, hors de nous et en nous,
des choses qui ne frappaient pas explicitement nos sens et notre conscience ? Le poète et le
romancier qui expriment un état d’âme ne le créent certes pas de toutes pièces, ils ne seraient pas
compris de nous si nous n’observions pas en nous, jusqu’à un certain point, ce qu’ils nous disent
d’autrui. Au fur et à mesure qu’ils nous parlent, des nuances d’émotions et de pensée nous
apparaissent qui pouvaient être représentées en nous depuis longtemps, mais qui demeuraient
invisibles : telle l’image photographique qui n’a pas encore été plongée dans le bain où elle se
révélera. Le poète est ce révélateur. Mais nulle part la fonction de l’artiste ne se montre aussi
clairement que dans celui des arts qui fait la plus large place à l’imitation, je veux dire la
peinture. Les grands peintres sont des hommes auxquels remonte une certaine vision des choses
qui est devenue ou qui deviendra la vision de tous les hommes.
BERGSON
QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée directrice du texte et les étapes de son argumentation.
2°
a) Analysez la comparaison qu’établit Bergson entre le rôle du « bain » dans lequel l’image
photographique est « plongée » et le rôle de « révélateur » du poète ;
b) Expliquez : « une certaine vision des choses qui est devenue ou qui deviendra la vision de tous
les hommes ».
3° Créer ou imiter : l’artiste doit-il choisir ?
- 829 -
[830] SUJET N° 830 - 12PHESAG1 - 2012 - Série ES - ANTILLES - SESSION NORMALE
Le développement individuel nous apparaît comme un produit de l’interférence entre deux
aspirations, l’aspiration au bonheur, que nous appelons habituellement « égoïste », et l’aspiration
à l’union avec les autres en une communauté, que nous disons altruiste. Ces deux désignations ne
vont guère au-delà de la surface. Dans le développement individuel, comme nous l’avons dit,
l’accent principal est le plus souvent porté sur l’aspiration égoïste, ou aspiration au bonheur,
l’autre, qu’on doit appeler « culturelle », se contentant en règle générale d’un rôle restrictif. Il en
va autrement dans le processus de culture ; là, le but de fabriquer une unité à partir d’individus
humains est de loin l’affaire principale, le but de rendre heureux existant toujours, mais rejeté à
l’arrière-plan ; on dirait presque que la création d’une grande communauté humaine réussirait le
mieux là où l’on n’aurait pas besoin de se préoccuper du bonheur de l’individu. Le processus de
développement de l’individu doit donc bien avoir ses traits particuliers, qui ne se retrouvent pas
dans le processus culturel de l’humanité ; ce n’est que dans la mesure où le premier processus a
pour but le rattachement à la communauté qu’il doit coïncider avec le second.
FREUD, Le Malaise dans la culture
- 830 -
[831] SUJET N° 831 - 12PHESG11 - 2012 - Série ES - ETRANGER GROUPE 1 - SESSION
NORMALE
Lorsque la civilisation instaura le commandement de ne pas tuer le voisin que l’on hait, qui vous
gêne ou dont on convoite le bien, ce fut manifestement dans l’intérêt de la vie des hommes en
communauté, qui sinon eût été impraticable. Car le meurtrier attirerait sur lui la vengeance des
proches de la victime et la sourde envie des autres, lesquels éprouvent intérieurement tout autant
de penchant pour une telle violence. Il ne jouirait donc pas longtemps de sa vengeance ou de son
rapt, il aurait toute chance d’être bientôt abattu à son tour. Même si une force et une prudence
extraordinaires le mettaient à l’abri d’un adversaire isolé, il ne pourrait que succomber face à
l’association de plus faibles. Si une telle association ne se constituait pas, les meurtres se
poursuivraient indéfiniment et la fin serait que les hommes s’extermineraient mutuellement. (…)
Le même danger pour tous quant à la sécurité de leur vie unit dès lors les hommes en une société
qui interdit de tuer et se réserve le droit de mettre à mort en commun celui qui enfreint cet
interdit. C’est alors la justice et le châtiment. Mais cette justification rationnelle de l’interdit du
meurtre, nous n’en faisons pas état, nous prétendons que c’est Dieu qui a prononcé l’interdit.
Ainsi, nous nous faisons fort de deviner ses intentions et nous trouvons que lui non plus ne veut
pas que les hommes s’exterminent les uns les autres. En procédant de la sorte, nous habillons
l’interdit civilisationnel d’une solennité toute particulière, mais nous risquons par là même de
faire dépendre son respect de la foi en Dieu. Si nous revenons sur cette démarche, si nous
n’attribuons plus indûment notre volonté à Dieu et si nous nous en tenons à la justification
sociale, nous aurons certes renoncé à transfigurer l’interdit civilisationnel, en revanche nous
aurons aussi évité qu’il soit mis en danger.
FREUD, L’avenir d’une illusion
- 831 -
[832] SUJET N° 832 - 12PHESIN1 - 2012 - Série ES - INDE - SESSION NORMALE
Si l’homme était forcé de se prouver à lui-même toutes les vérités dont il se sert chaque jour, il
n’en finirait point ; il s’épuiserait en démonstrations préliminaires sans avancer ; comme il n’a
pas le temps, à cause du court espace de la vie, ni la faculté, à cause des bornes de son esprit, d’en
agir ainsi, il en est réduit à tenir pour assurés une foule de faits et d’opinions qu’il n’a eu ni le
loisir ni le pouvoir d’examiner et de vérifier par lui-même, mais que de plus habiles ont trouvés
ou que la foule adopte. C’est sur ce premier fondement qu’il élève lui-même l’édifice de ses
propres pensées. Ce n’est pas sa volonté qui l’amène à procéder de cette manière ; la loi
inflexible de sa condition l’y contraint.
Il n’y a pas de si grand philosophe dans le monde qui ne croie un million de choses sur la foi
d’autrui, et qui ne suppose beaucoup plus de vérités qu’il n’en établit.
Ceci est non seulement nécessaire, mais désirable. Un homme qui entreprendrait d’examiner tout
par lui-même ne pourrait accorder que peu de temps et d’attention à chaque chose ; ce travail
tiendrait son esprit dans une agitation perpétuelle qui l’empêcherait de pénétrer profondément
dans aucune vérité et de se fixer avec solidité dans aucune certitude. Son intelligence serait tout à
la fois indépendante et débile (1). Il faut donc que, parmi les divers objets des opinions humaines,
Il fasse un choix et qu’il adopte beaucoup de croyances sans les discuter, afin d’en mieux
approfondir un petit nombre dont il s’est réservé l’examen.
Il est vrai que tout homme qui reçoit une opinion sur la parole d’autrui met son esprit en
esclavage ; mais c’est une servitude salutaire qui permet de faire un bon usage de la liberté.
TOCQUEVILLE, De la Démocratie en Amérique
(1) « débile » : affaiblie.
- 832 -
[833] SUJET N° 833 - 12PHESME1 - 2012 - Série ES - METROPOLE - SESSION NORMALE
En morale, les règles éternelles d’action ont la même vérité immuable et universelle que les
propositions en géométrie. Ni les unes ni les autres ne dépendent des circonstances, ni des
accidents, car elles sont vraies en tout temps et en tout lieu, sans limitation ni exception. « Tu ne
dois pas résister au pouvoir civil suprême » est une règle qui n’est pas moins constante ni
invariable pour tracer la conduite d’un sujet à l’égard du gouvernement, que « multiplie la
hauteur par la moitié de la base » pour mesurer la surface d’un triangle. Et de même qu’on ne
jugerait pas que cette règle mathématique perd de son universalité, parce qu’elle ne permet pas la
mesure exacte d’un champ qui n’est pas exactement un triangle, de même on ne doit pas juger
comme un argument contraire à l’universalité de la règle qui prescrit l’obéissance passive, le fait
qu’elle ne touche pas la conduite d’un homme toutes les fois qu’un gouvernement est renversé ou
que le pouvoir suprême est disputé. Il doit y avoir un triangle et vous devez vous servir de vos
sens pour le connaître, avant qu’il y ait lieu d’appliquer votre règle mathématique. Et il doit y
avoir un gouvernement civil, et vous devez savoir entre quelles mains il se trouve, avant
qu’intervienne le précepte moral. Mais, quand nous savons où est certainement le pouvoir
suprême, nous ne devons pas plus douter que nous devons nous y soumettre, que nous ne
douterions du procédé pour mesurer une figure que nous savons être un triangle.
BERKELEY, De l’Obéissance passive
- 833 -
[834] SUJET N° 834 - 12PHESMELR2 - 2012 - Série ES - METROPOLE - SESSION
NORMALE
Celui qui connaît seulement son propre argument dans une affaire en connaît peu de chose. Il est
possible que son raisonnement soit bon et que personne ne soit arrivé à le réfuter. Mais s’il est,
lui aussi, incapable de réfuter le raisonnement de la partie adverse. et s’il n’en a même pas
connaissance, il n’a aucune raison de préférer une opinion à une autre. La position rationnelle à
adopter dans son cas serait la suspension du jugement, et faute de savoir s’en contenter, soit il se
laisse conduire par l’autorité, soit il adopte, comme la majorité des gens, le parti pour lequel il
éprouve le penchant le plus fort. Il ne suffit pas non plus qu’il écoute les arguments de ses
adversaires de la bouche de ses propres maîtres, présentés à leur façon, et accompagnés de ce
qu’ils proposent comme des réfutations. Ce n’est pas comme cela que l’on rend justice aux
arguments, ou qu’on les confronte vraiment avec son propre esprit. On doit être capable de les
écouter de la bouche même des personnes qui les croient réellement, qui les défendent
sérieusement, et qui font tout leur possible pour les soutenir, Il faut les connaître sous leur forme
la plus plausible et la plus persuasive et il faut sentir toute la force de la difficulté que la véritable
conception du sujet doit affronter et résoudre ; sans quoi on ne possède jamais réellement soimême cette partie de la vérité qui affronte la difficulté et la supprime.
MILL, De la Liberté
- 834 -
[835] SUJET N° 835 - 12PHLIAG1 - 2012 - Série L - ANTILLES - SESSION NORMALE
Voyons maintenant les avantages des Etats libres. Même en supposant qu’une république soit
barbare, elle doit nécessairement déboucher, et par un processus infaillible, sur la loi, avant même
que l’humanité ait fait des progrès considérables dans les autres sciences. De la loi naît la
sécurité ; de la sécurité la curiosité ; et de la curiosité la connaissance. Les derniers pas de ce
progrès peuvent être plus accidentels, mais les premiers sont absolument nécessaires. Une
république sans lois ne peut jamais avoir de durée. Au contraire, dans un gouvernement
monarchique, la loi ne naît pas nécessairement des formes du gouvernement. La monarchie,
quand elle est absolue, contient même quelque chose de contraire à la loi. Une sagesse et une
réflexion profondes peuvent seules les réconcilier. Mais un tel degré de sagesse ne peut jamais
être espéré, avant les plus grands raffinements et perfectionnements de la raison humaine. Ces
raffinements requièrent la curiosité, la sécurité et la loi. On ne peut jamais s’attendre, par
conséquent, à ce que le premier balbutiement des arts et des sciences se produise dans les
gouvernements despotiques.
HUME, Essais esthétiques
- 835 -
[836] SUJET N° 836 - 12PHLIG11 - 2012 - Série L - ETRANGER GROUPE 1 - SESSION
NORMALE
Le droit en lui-même est impuissant ; par nature règne la force. Le problème de l’art de
gouverner, c’est d’associer la force et le droit afin qu’au moyen de la force, ce soit le droit qui
règne. Et c’est un problème difficile si l’on songe à l’égoïsme illimité logeant dans presque
chaque poitrine humaine, auquel s’ajoute le plus souvent un fonds accumulé de haine et de
méchanceté, de sorte qu’originellement l’inimitié l’emporte de beaucoup sur l’amitié. Et il ne faut
pas oublier que ce sont plusieurs millions d’individus constitués ainsi qu’il s’agit de maintenir
dans les limites de l’ordre, de la paix, du calme et de la légalité, alors qu’au départ chacun a le
droit de dire à l’autre : « Je vaux bien autant que toi ! ». Tout bien pesé, on peut être surpris qu’en
général le monde suive son cours de façon aussi paisible et tranquille, légale et ordonnée, comme
nous le voyons ; seule la machine de l’Etat produit ce résultat.
En effet, il n’y a que la force physique qui puisse avoir un effet immédiat. Constitués comme ils
le sont en général, c’est par elle seule que les hommes sont impressionnés, et pour elle seule
qu’ils ont du respect. Si pour s’en convaincre par expérience on supprimait toute contrainte et si
l’on leur demandait de la façon la plus claire et la plus persuasive d’être raisonnables, justes et
bons, mais d’agir contrairement à leurs intérêts, l’impuissance des seules forces morales
deviendrait évidente et la réponse à notre attente serait le plus souvent un rire de mépris. La force
physique est donc la seule capable de se faire respecter. Mais cette force réside originellement
dans la masse, où elle est associée à l’ignorance, à l’injustice et à la stupidité. Dans des
conditions aussi difficiles, la première tâche de l’art de gouverner est de soumettre la force
physique à l’intelligence, à la supériorité intellectuelle, et de les leur rendre utile.
SCHOPENHAUER, Parerga et Paralipomena
- 836 -
[837] SUJET N° 837 - 12PHLIME1 - 2012 - Série L - METROPOLE - SESSION NORMALE
La fin de l’Etat n’est pas de faire passer les hommes de la condition d’êtres raisonnables à celle
de bêtes brutes ou d’automates, mais au contraire il est institué pour que leur âme et leur corps
s’acquittent en sûreté de toutes leurs fonctions, pour qu’eux-mêmes usent d’une raison libre, pour
qu’ils ne luttent point de haine, de colère ou de ruse, pour qu’ils se supportent sans malveillance
les uns les autres. La fin de l’Etat est donc en réalité la liberté. [Et], pour former l’Etat, une seule
chose est nécessaire : que tout le pouvoir de décréter appartienne soit à tous collectivement, soit à
quelques-uns, soit à un seul. Puisque, en effet, le libre jugement des hommes est extrêmement
divers, que chacun pense être seul à tout savoir et qu’il est impossible que tous opinent
pareillement et parlent d’une seule bouche, ils ne pourraient vivre en paix si l’individu n’avait
renoncé à son droit d’agir suivant le seul décret de sa pensée. C’est donc seulement au droit
d’agir par son propre décret qu’il a renoncé, non au droit de raisonner et de juger ; par suite nul à
la vérité ne peut, sans danger pour le droit du souverain, agir contre son décret, mais il peut avec
une entière liberté opiner1 et juger et en conséquence aussi parler, pourvu qu’il n’aille pas audelà de la simple parole ou de l’enseignement, et qu’il défende son opinion par la raison seule,
non par la ruse, la colère ou la haine.
SPINOZA, Traité théologico-politique
- 837 -
[838] SUJET N° 838 - 12PHMDME1 - 2012 - Série TMD - METROPOLE - SESSION
NORMALE
Supposez un homme transporté pendant son sommeil dans une chambre où se trouve une
personne qu’il est impatient de voir et qu’il y soit enfermé de sorte qu’il soit hors de son pouvoir
de sortir ; il se réveille, il est heureux de se trouver en compagnie si désirée et il demeure
volontairement là, c’est-à-dire il préfère rester plutôt que s’en aller. Ma question : n’est-ce pas
rester volontairement ? Je pense que personne n’en doutera ; et pourtant, étant enfermé, il n’a
évidemment pas la liberté de ne pas rester, il n’a aucune liberté de sortir. Ainsi, la liberté n’est
pas une idée attachée à la volition (1) ou à la préférence, mais à la personne qui a le pouvoir de
faire ou d’éviter de faire selon que l’esprit choisira ou ordonnera. Notre idée de liberté a la même
extension que ce pouvoir et pas plus. Car là où une limite vient s’opposer à ce pouvoir, là où une
contrainte ôte l’indifférence ou la capacité d’agir en l’un ou l’autre sens, la liberté disparaît
aussitôt et avec elle la notion que l’on en a.
LOCKE
(1) « volition » : acte de la volonté.
QUESTIONS :
1° Formulez la thèse de ce texte et montrez comment elle est établie.
2°
a) A partir du cas imaginé par Locke, distinguez l’action volontaire de l’action libre ;
b) expliquez : « il n’a évidemment pas la liberté de ne pas rester, il n’a aucune liberté de sortir » ;
c) expliquez : « Notre idée de liberté a la même extension que ce pouvoir et pas plus ».
3° Puis-je faire ce que je veux sans pour autant être libre ?
- 838 -
[839] SUJET N° 839 - 12PHSCAG1 - 2012 - Série S - ANTILLES - SESSION NORMALE
La science, telle qu’elle existe actuellement, est en partie agréable et en partie désagréable. Elle
est agréable par la puissance qu’elle nous donne de manier notre milieu, et, pour une petite mais
importante minorité, elle est agréable parce qu’elle lui fournit des satisfactions intellectuelles.
Elle est désagréable, car, quels que soient les moyens par lesquels nous cherchons à cacher ce
fait, elle admet un déterminisme qui implique, théoriquement, le pouvoir de prédire les actions
humaines ; et, par là, elle semble diminuer la puissance de l’homme. Bien entendu, les gens
désirent garder l’aspect agréable de la science tout en rejetant son aspect désagréable ; mais
jusqu’ici ces tentatives ont échoué. Si nous insistons sur le fait que notre croyance en la causalité
et en l’induction (1) est irrationnelle, nous devons en déduire que nous ne savons pas si la science
est vraie et qu’elle peut, à chaque moment, cesser de nous donner la domination sur le milieu
pour lequel nous l’aimons. C’est d’ailleurs une alternative purement théorique ; un homme
moderne ne peut pas l’adopter dans sa vie pratique. Si, d’autre part, nous reconnaissons les
exigences de la méthode scientifique, nous devons conclure inévitablement que la causalité et
l’induction s’appliquent à la volonté humaine aussi bien qu’à n’importe quelle autre chose. Tout
cela arriva durant le XXe siècle en physique, en physiologie, et la psychologie va encore affermir
cette conclusion. Ce qui résulte de ces considérations, c’est que, malgré l’insuffisance théorique
de la justification rationnelle de la science, il n’y a pas moyen de sauvegarder le côté agréable de
la science sans en accepter le côté désagréable.
RUSSELL, Essais sceptiques
(1) « induction » : généralisation à partir de l’observation.
- 839 -
[840] SUJET N° 840 - 12PHSCG11 - 2012 - Série S - ETRANGER GROUPE 1 - SESSION
NORMALE
Nous disons que le plaisir est le principe et la fin de la vie bienheureuse. Car c’est lui que nous
avons reconnu comme le bien premier et conforme à la nature, c’est en lui que nous trouvons le
principe de tout choix et de tout refus, et c’est à lui que nous aboutissons en jugeant tout bien
d’après ce que nous sentons. Et parce que c’est là le bien premier et naturel, pour cette raison
aussi nous ne choisissons pas tout plaisir, mais il y a des cas où nous passons par-dessus de
nombreux plaisirs, lorsqu’il en découle pour nous un désagrément plus grand ; et nous regardons
beaucoup de douleurs comme valant mieux que des plaisirs quand, pour nous, un plaisir plus
grand suit, pour avoir souffert longtemps. Tout plaisir, donc, du fait qu’il a une nature appropriée
à la nôtre, est un bien : tout plaisir, cependant, ne doit pas être choisi ; de même aussi toute
douleur est un mal, mais toute douleur n’est pas telle qu’elle doive toujours être évitée.
Cependant, c’est par la comparaison et l’examen des avantages et des désavantages qu’il convient
de juger de tout cela. Car nous en usons, en certaines circonstances, avec le bien, comme s’il était
un mal, et avec le mal, inversement, comme s’il était un bien.
EPICURE, Lettre à Ménécée
- 840 -
[841] SUJET N° 842 - 12PHSCME1 - 2012 - Série S - METROPOLE - SESSION NORMALE
On façonne les plantes par la culture, et les hommes par l’éducation. Si l’homme naissait grand et
fort, sa taille et sa force lui seraient inutiles jusqu’à ce qu’il eût appris à s’en servir ; elles lui
seraient préjudiciables, en empêchant les autres de songer à l’assister ; et, abandonné à lui-même,
il mourrait de misère avant d’avoir connu ses besoins. On se plaint de l’état de l’enfance ; on ne
voit pas que la race humaine eût péri, si l’homme n’eût commencé par être enfant.
Nous naissons faibles, nous avons besoin de force ; nous naissons dépourvus de tout, nous avons
besoin d’assistance ; nous naissons stupides, nous avons besoin de jugement. Tout ce que nous
n’avons pas à notre naissance et dont nous avons besoin étant grands, nous est donné par
l’éducation.
Cette éducation nous vient de la nature, ou des hommes ou des choses. Le développement interne
de nos facultés et de nos organes est l’éducation de la nature ; l’usage qu’on nous apprend à faire
de ce développement est l’éducation des hommes ; et l’acquis de notre propre expérience sur les
objets qui nous affectent est l’éducation des choses.
Chacun de nous est donc formé par trois sortes de maîtres. Le disciple dans lequel leurs diverses
leçons se contrarient est mal élevé, et ne sera jamais d’accord avec lui-même ; celui dans lequel
elles tombent toutes sur les mêmes points, et tendent aux mêmes fins, va seul à son but et vit
conséquemment. Celui-là seul est bien élevé.
ROUSSEAU, Emile
- 841 -
[842] SUJET N° 843 - 12PHTEGR11 - 2012 - Série TECHN. - ETRANGER GROUPE 1 SESSION NORMALE
Si tous les hommes agissaient avec un égoïsme éclairé, le monde serait un paradis en
comparaison de ce qu’il est actuellement. Je ne prétends pas qu’il n’y a rien de meilleur que
l’égoïsme personnel comme motif d’agir ; mais je prétends que l’égoïsme, tout comme
l’altruisme, est meilleur quand il est éclairé que lorsqu’il ne l’est pas. Dans une communauté bien
ordonnée, il est bien rare qu’une chose nuisible aux autres soit utile à un intérêt individuel. Moins
un homme est raisonnable, et plus souvent il manquera de comprendre que ce qui fait du mal aux
autres fait aussi du mal à lui-même, car la haine et l’envie l’aveugleront. C’est pourquoi, bien que
je ne prétende pas que l’égoïsme éclairé soit la morale la plus haute, j’affirme que, s’il devenait
commun, il rendrait le monde mille fois meilleur qu’il n’est.
RUSSELL
QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée principale du texte et les étapes de l’argumentation.
2° Expliquez :
a) « l’égoïsme, tout comme l’altruisme, est meilleur quand il est éclairé que lorsqu’il ne l’est
pas » ;
b) « il est bien rare qu’une chose nuisible aux autres soit utile à un intérêt individuel ».
3° L’égoïsme peut-il rendre le monde meilleur qu’il n’est ?
- 842 -
[843] SUJET N° 844 - 12PHTEME1 - 2012 - Série TECHN. - METROPOLE - SESSION
NORMALE
Qu’est-ce qu’une bonne loi ? Par bonne loi, je n’entends pas une loi juste, car aucune loi ne peut
être injuste. La loi est faite par le pouvoir souverain, et tout ce qui est fait par ce pouvoir est sûr,
et approuvé par tout un chacun parmi le peuple. Et ce que tout homme veut, nul ne saurait le dire
injuste. Il en est des lois de la communauté politique comme des lois du jeu : ce sur quoi les
joueurs se sont mis d’accord ne saurait être une injustice pour aucun d’eux. Une bonne loi est
celle qui est à la fois nécessaire au bien du peuple et facile à comprendre.
En effet, le rôle des lois, qui ne sont que des règles revêtues d’une autorité, n’est pas d’empêcher
toute action volontaire, mais de diriger et de contenir les mouvements des gens, de manière qu’ils
ne se nuisent pas à eux-mêmes par l’impétuosité (1) de leurs désirs, leur empressement ou leur
aveuglement ; comme on dresse des haies, non pas pour arrêter les voyageurs, mais pour les
maintenir sur le chemin. C’est pourquoi une loi qui n’est pas nécessaire, c’est-à-dire qui ne
satisfait pas à ce à quoi vise une loi, n’est pas bonne.
HOBBES
(1) « impétuosité » : ardeur, fougue, violence.
QUESTIONS :
1° Formulez la thèse de ce texte et montrez comment elle est établie.
2°
a) Expliquez : « Il en est des lois de la communauté politique comme des lois du jeu ;
b) expliquez : « Une bonne loi est celle qui est à la fois nécessaire au bien du peuple et facile à
comprendre » ;
c) expliquez : « comme on dresse des haies, non pas pour arrêter les voyageurs, mais pour les
maintenir sur le chemin ».
3° Le rôle des lois est-il seulement d’empêcher les hommes de se nuire à eux-mêmes ?
- 843 -
[844] SUJET N° 845 - 12PTSTMDLR1 - 2012 - Série TECHN. - LA REUNION - SESSION
NORMALE
Tant que les hommes se contentèrent de leurs cabanes rustiques, tant qu’ils se bornèrent à coudre
leurs habits de peaux avec des épines ou des arêtes, à se parer de plumes et de coquillages, à se
peindre le corps de diverses couleurs, à perfectionner ou embellir leurs arcs et leurs flèches, à
tailler avec des pierres tranchantes quelques canots de pêcheurs ou quelques grossiers instruments
de musique ; en un mot tant qu’ils ne s’appliquèrent qu’à des ouvrages qu’un seul pouvait faire et
qu’à des arts qui n’avaient pas besoin du concours de plusieurs mains, ils vécurent libres, sains,
bons, heureux autant qu’ils pouvaient l’être par leur nature, et continuèrent à jouir entre eux des
douceurs d’un commerce indépendant : mais dès l’instant qu’un homme eut besoin du secours
d’un autre ; dès qu’on s’aperçut qu’il était utile à un seul d’avoir des provisions pour deux,
l’égalité disparut, la propriété s’introduisit, le travail devint nécessaire et les vastes forêts se
changèrent en des campagnes riantes qu’il fallut arroser de la sueur des hommes, et dans
lesquelles on vit bientôt l’esclavage et la misère germer et croître avec les moissons.
ROUSSEAU
QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée centrale du texte, puis ses différents moments.
2° Expliquez :
a) « tant qu’ils ne s’appliquèrent qu’à des ouvrages qu’un seul pouvait faire et qu’à des arts qui
n’avaient pas besoin du concours de plusieurs mains, ils vécurent libres, sains, bons, heureux
autant qu’ils pouvaient l’être par leur nature » ;
b) « dès l’instant qu’un homme eut besoin du secours d’un autre (…), l’égalité disparut, la
propriété s’introduisit, le travail devint nécessaire ».
3° Demeure-t-on libre quand on a besoin de l’aide d’autrui ?
- 844 -
[845] SUJET N° 846 - 12PHSCIN1 - 2012 - Série S - INDE - SESSION NORMALE
Quand des personnes se soumettent à l’autorité d’autres personnes, c’est pour se procurer une
certaine garantie contre la malfaisance et l’injustice des hommes, qui sont perpétuellement
poussés à violer toutes les lois de la société par leurs passions indisciplinées et leur intérêt
immédiat et présent. Mais comme cette imperfection est inhérente à la nature humaine, nous
savons qu’elle doit suivre les hommes dans tous leurs états (1) et toutes leurs conditions, et que
ceux que nous choisissons comme dirigeants ne deviennent pas aussitôt d’une nature supérieure à
celle du reste de l’humanité, sous prétexte que leur pouvoir et leur autorité le sont. Ce que nous
attendons d’eux ne dépend pas d’un changement de leur nature, mais d’un changement de leur
situation, lorsqu’ils acquièrent un intérêt plus immédiat au maintien de l’ordre et à l’exécution de
la justice. Mais, outre que cet intérêt est plus immédiat seulement pour l’exécution de la justice
par leurs sujets, et non dans les différends entre eux-mêmes et leurs sujets, outre cela, dis-je, nous
pouvons souvent attendre, à cause des irrégularités de la nature humaine, qu’ils négligent même
cet intérêt immédiat et que leurs passions les mènent dans tous les excès de la cruauté et de
l’ambition. Notre connaissance générale de la nature humaine, notre observation du passé de
l’humanité, notre expérience des temps présents, tout cela doit nous conduire à accueillir les
exceptions et nous faire conclure qu’il nous est permis de résister aux effets plus violents du
pouvoir suprême sans qu’il y ait là un crime ou une injustice.
Hume, Traité de la nature humaine
(1) « états » : fonctions sociales ou métiers.
- 845 -
[846] SUJET N° 847 - 12PHTEIN1 - 2012 - Série TECHN. - INDE - SESSION NORMALE
Il est certain que la fin d’une loi n’est pas d’abolir ou de restreindre la liberté mais de la préserver
et de l’augmenter. Ainsi, partout où vivent des êtres créés capables de lois, là où il n’y a pas de
lois il n’y a pas non plus de liberté. Car la liberté consiste à n’être pas exposé à la contrainte et à
la violence des autres ; ce qui ne peut se trouver là où il n’y a pas de loi. La liberté n’est toutefois
pas, comme on le prétend, le loisir pour tout homme de faire ce qui lui plaît – qui, en effet, serait
libre là où n’importe quel autre, d’humeur méchante (1), pourrait le soumettre ? – mais le loisir
de conduire et de disposer comme il l’entend de sa personne, de ses biens, et de tout ce qui lui
appartient, suivant les lois sous lesquelles il vit ; et par là, de n’être pas sujet à la volonté
arbitraire d’un autre mais de suivre librement la sienne propre.
LOCKE
(1) « d’humeur méchante » : se dit d’un homme de tempérament violent.
QUESTIONS :
1° Dégagez la thèse de ce texte et montrez comment elle est établie.
2°
a) Expliquez : « la liberté consiste à n’être pas exposé à la contrainte et à la violence des autres » ;
b) pourquoi la liberté ne consiste-t-elle pas pour chacun à « faire ce qui lui plaît » ?
c) expliquez : la liberté est « le loisir de conduire et de disposer comme il l’entend de sa
personne, de ses biens, et de tout ce qui lui appartient » ;
3° Les lois ont-elles pour but de préserver et d’augmenter la liberté ?
- 846 -
[847] SUJET N° 848 - 12PHESME3 - 2012 - Série ES - METROPOLE - SESSION REMPL.
Je conçois deux manières d’arriver à la félicité (1). L’une en satisfaisant ses passions et l’autre en
les modérant : par la première on jouit, par la seconde on ne désire point, et l’on serait heureux
par toutes deux s’il ne manquait à l’une cette durée et à l’autre cette vivacité qui constituent le
vrai bonheur.
Les routes pour arriver à ces deux états sont entièrement opposées, il faut donc opter, et le choix
est aisé si l’on compare les effets de l’un et de l’autre. On ne saurait nier qu’un homme qui
savoure à longs traits le plaisir et la volupté ne soit actuellement plus heureux et ne jouisse mieux
des charmes de la vie que celui qui ne désire ni ne possède point. Deux choses me semblent
pourtant rendre l’état du dernier préférable. En premier lieu : plus l’action du plaisir est vive, et
moins elle a de durée ; c’est un fait incontesté. On perd donc sur le temps ce qu’on gagne sur le
sentiment ; jusqu’ici tout serait compensé. Mais voici en quoi la chose n’est pas égale : c’est que
le goût ardent des plaisirs agit d’une telle manière sur l’imagination qu’elle reste émue, même
après l’effet du sentiment, et prolonge ainsi le désir plus loin que la possibilité de le satisfaire.
D’où je conclus que la jouissance immodérée du plaisir est pour l’avenir un principe
d’inquiétude.
Au contraire : les peines d’un homme qui, sans avoir joui, n’a que quelques désirs à combattre,
diminuent à mesure qu’il gagne du temps, et la longue tranquillité de l’âme lui donne plus de
force pour la conserver toujours. Son bonheur augmente à mesure que celui de l’autre diminue.
ROUSSEAU, Mémoire à M. De Mably
(1) « félicité » : état de celui qui est pleinement heureux.
- 847 -
[848] SUJET N° 849 - 12PHLIME3 - 2012 - Série L - METROPOLE - SESSION REMPL.
J’avoue ne pas pouvoir me faire très bien à cette expression dont usent aussi des hommes avisés :
un certain peuple (en train d’élaborer sa liberté légale (1) n’est pas mûr pour la liberté ; les serfs
d’un propriétaire terrien ne sont pas encore mûrs pour la liberté ; et de même aussi, les hommes
ne sont pas encore mûrs pour la liberté de croire. Dans une hypothèse de ce genre, la liberté ne se
produira jamais ; car on ne peut pas mûrir pour la liberté, si l’on n’a pas été mis au préalable en
liberté (il faut être libre pour pouvoir se servir utilement de ses forces dans la liberté). Les
premiers essais en seront sans doute grossiers, et liés d’ordinaire à une condition plus pénible et
plus dangereuse que lorsqu’on se trouvait encore sous les ordres, mais aussi sous la prévoyance
d’autrui ; cependant jamais on ne mûrit pour la raison autrement que grâce à ses tentatives
personnelles (qu’il faut être libre de pouvoir entreprendre). Je ne fais pas d’objection à ce que
ceux qui détiennent le pouvoir renvoient encore loin, bien loin, obligés par les circonstances, le
moment d’affranchir les hommes de ces trois chaînes. Mais, ériger en principe que la liberté ne
vaut rien d’une manière générale pour ceux qui leur sont assujettis et qu’on ait le droit de les en
écarter toujours, c’est là une atteinte aux droits régaliens (2) de la divinité elle-même qui a créé
l’homme pour la liberté. Il est plus commode évidemment de régner dans l’Etat, la famille et
l’Eglise quand on peut faire aboutir un pareil principe. Mais est-ce aussi plus juste ?
KANT, La Religion dans les limites de la simple raison
(1) « liberté légale » : liberté juridique.
(2) « droits régaliens » : droits souverains ou supérieurs.
- 848 -
[849] SUJET N° 850 - 12PHSCME3 - 2012 - Série S - METROPOLE - SESSION REMPL.
S’il est manifeste que l’homme est bien l’auteur de ses propres actions, et si nous ne pouvons pas
ramener nos actions à d’autres principes que ceux qui sont en nous, alors les actions dont les
principes sont en nous dépendent elles-mêmes de nous et sont volontaires.
En faveur de ces considérations, on peut, semble-t-il, appeler en témoignage à la fois le
comportement des individus dans leur vie privée et la pratique des législateurs eux-mêmes : on
châtie, en effet, et on oblige à réparation ceux qui commettent des actions mauvaises, à moins
qu’ils n’aient agi sous la contrainte ou par une ignorance dont ils ne sont pas eux-mêmes causes,
et, d’autre part, on honore ceux qui accomplissent de bonnes actions, et on pense ainsi encourager
ces derniers et réprimer les autres. Mais les choses qui ne dépendent pas de nous et ne sont pas
volontaires, personne n’engage à les faire, attendu qu’on perdrait son temps à nous persuader de
ne pas avoir chaud, de ne pas souffrir, de ne pas avoir faim, et ainsi de suite, puisque nous n’en
serons pas moins sujets à éprouver ces impressions. Et, en effet, nous punissons quelqu’un pour
son ignorance même, si nous le tenons pour responsable de son ignorance, comme par exemple
dans le cas d’ébriété où les pénalités des délinquants sont doublées, parce que le principe de
l’acte réside dans l’agent lui-même qui était maître de ne pas s’enivrer et qui est ainsi responsable
de son ignorance.
ARISTOTE, Ethique à icomaque
- 849 -
[850] SUJET N° 852 - 12PHTEME3 - 2012 - Série TECHN. - METROPOLE - SESSION
REMPL.
L’ETRANGER (1) : La loi ne pourra jamais tenir exactement compte de ce qui est le meilleur et
le plus juste pour tout le monde à la fois, pour y conformer ses prescriptions : car les différences
qui sont entre les individus et entre les actions et le fait qu’aucune chose humaine, pour ainsi dire,
ne reste jamais en repos, interdisent à toute science, quelle qu’elle soit, de promulguer en aucune
manière une règle simple qui s’applique à tous les cas et en tous les temps. Accordons-nous
cela ?
SOCRATE LE JEUNE : Comment s’y refuser ?
L’ETRANGER : Et cependant, nous le voyons, c’est à cette uniformité même que tend la loi,
comme un homme buté et ignorant, qui ne permet à personne de rien faire contre son ordre, ni
même de lui poser une question, lors même qu’il viendrait à quelqu’un une idée nouvelle,
préférable à ce qu’il a prescrit lui-même.
SOCRATE LE JEUNE : C’est vrai. La loi agit réellement à l’égard de chacun de nous comme tu
viens de le dire.
PLATON
(1) Ce texte reproduit un dialogue entre deux personnages, l’Etranger et Socrate le jeune.
QUESTIONS :
1° Dégagez la thèse de ce texte et montrez comment elle est établie.
2°
a) Pourquoi une règle simple ne peut-elle pas s’appliquer « à tous les cas et en tous les temps » ?
b) Pourquoi la loi est-elle ici comparée à un homme buté et ignorant ?
3° La généralité de la loi la rend-elle parfois injuste ?
- 850 -
[851] SUJET N° 853 - 12PHSCAG3 - 2012 - Série S - ANTILLES - SESSION REMPL.
Est moral, peut-on dire, tout ce qui est source de solidarité, tout ce qui force l’homme à compter
avec autrui, à régler ses mouvements sur autre chose que les impulsions de son égoïsme, et la
moralité est d’autant plus solide que ces liens sont plus nombreux et plus forts. On voit combien
il est inexact de la définir, comme on a fait souvent, par la liberté ; elle consiste bien plutôt dans
un état de dépendance. Loin qu’elle serve à émanciper l’individu, à le dégager du milieu qui
l’enveloppe, elle a, au contraire, pour fonction essentielle d’en faire la partie intégrante d’un tout
et, par conséquent, de lui enlever quelque chose de la liberté de ses mouvements. On rencontre
parfois, il est vrai, des âmes qui ne sont pas sans noblesse et qui, pourtant, trouvent intolérable
l’idée de cette dépendance. Mais c’est qu’elles n’aperçoivent pas les sources d’où découle leur
propre moralité, parce que ces sources sont trop profondes. La conscience est un mauvais juge de
ce qui se passe au fond de l’être, parce qu’elle n’y pénètre pas.
La société n’est donc pas, comme on l’a cru souvent, un évènement étranger à la morale ou qui
n’a sur elle que des répercussions secondaires ; c’en est, au contraire, la condition nécessaire. Elle
n’est pas une simple juxtaposition d’individus qui apportent, en y entrant, une moralité
intrinsèque ; mais l’homme n’est un être moral que parce qu’il vit en société, puisque la moralité
consiste à être solidaire d’un groupe et varie comme cette solidarité. Faites évanouir toute vie
sociale, et la vie morale s’évanouit du même coup, n’ayant plus d’objet où se prendre.
DURKHEIM, De la Division du travail social
- 851 -
[852] SUJET N° 854 - 12PHTEAG3 - 2012 - Série TECHN. - ANTILLES - SESSION REMPL.
Remarquez que les plaisirs n’ont guère de prise sur nous si nous ne nous disposons pas à les
goûter. Même dans les plaisirs de la table, qui doivent peu à l’esprit, il faut pourtant apporter une
attention bienveillante. Encore bien plus évidemment, quand il s’agit des plaisirs de l’esprit, il
faut vouloir les conquérir, et il serait vain de les attendre. Nul ne dira au jeu d’échecs : « Amusemoi. » C’est par une volonté suivie, exercée, entraînée, que l’on fera son plaisir. Même jouer aux
cartes suppose la volonté de s’y plaire. En sorte qu’on pourrait dire que rien au monde ne plaît de
soi. Il faut prendre beaucoup de peine pour se plaire à la géométrie, au dessin, à la musique. Et
cette liaison de la peine au plaisir se voit bien clairement dans les jeux violents. Il est étrange que
les coureurs, lutteurs et boxeurs trouvent du plaisir à toute cette peine qu’ils se donnent ; et cela
est pourtant hors de doute. Si l’on réfléchit assez sur ce paradoxe de l’homme, on ne se
représentera nullement l’homme heureux comme celui à qui tous les bonheurs sont apportés ;
mais au contraire on le pensera debout, en action et en conquête, et faisant bonheur d’une
puissance exercée.
ALAIN
QUESTIONS :
1° Formulez la thèse de ce texte et montrez comment elle est établie.
2°
a) En quoi une « volonté suivie, exercée, entraînée » fait-elle notre plaisir ?
b) Expliquez : « Il faut prendre beaucoup de peine pour se plaire à la géométrie, au dessin, à la
musique. »
c) A partir des exemples du texte, montrez en quoi le bonheur est une « puissance exercée ».
3° Le bonheur consiste-t-il dans l’effort et dans l’activité ?
- 852 -
[853] SUJET N° 855 - 12 PHESAG 3 - 2012 - Série ES - ANTILLES - SESSION REMPL.
Abandonné à lui-même, l’individu tomberait sous la dépendance des forces physiques ; s’il a pu y
échapper, s’il a pu s’affranchir, se faire une personnalité, c’est qu’il a pu se mettre à l’abri d’une
force sui generis (1), force intense, puisqu’elle résulte de la coalition de toutes les forces
individuelles, mais force intelligente et morale, capable, par conséquent, de neutraliser les
énergies inintelligentes et amorales de la nature : c’est la force collective. Permis au théoricien de
démontrer que l’homme a droit à la liberté ; mais quelle que soit la valeur de ces démonstrations,
ce qui est certain, c’est que cette liberté n’est devenue une réalité que dans et par la société.
Ainsi, vouloir la société, c’est, d’une part, vouloir quelque chose qui nous dépasse ; mais c’est en
même temps nous vouloir nous-même. Nous ne pouvons vouloir sortir de la société, sans vouloir
cesser d’être des hommes. Je ne sais si la civilisation nous a apporté plus de bonheur, et il
n’importe ; mais ce qui est certain, c’est que du moment où nous sommes civilisés, nous ne
pouvons y renoncer qu’en renonçant à nous-même. La seule question qui puisse se poser pour
l’homme est, non pas de savoir s’il peut vivre en dehors d’une société, mais dans quelle société il
veut vivre ; et je reconnais d’ailleurs très volontiers à tout individu le droit d’adopter la société de
son choix, à supposer qu’il ne soit pas retenu dans sa société natale par des devoirs préalablement
contractés. Dès lors, on s’explique sans peine comment la société, en même temps qu’elle
constitue une fin qui nous dépasse, peut nous apparaître comme bonne et désirable, puisqu’elle
tient à toutes les fibres de notre être.
DURKHEIM, Philosophie et sociologie
(1) « sui generis » : qui appartient en propre à l’être ou à la chose dont il est question.
- 853 -
[854] SUJET N° 856 - 12PHLIAS1 - 2012 - Série L - AMERIQUE DU SUD - SESSION
NORMALE
Lorsque les ennemis de la démocratie prétendent qu’un seul fait mieux ce dont il se charge que le
gouvernement de tous, il me semble qu’ils ont raison. Le gouvernement d’un seul, en supposant
de part et d’autre égalité de lumières, met plus de suite dans ses entreprises que la multitude ; il
montre plus de persévérance, plus d’idée d’ensemble, plus de perfection de détail, un
discernement plus juste dans le choix des hommes. Ceux qui nient ces choses n’ont jamais vu de
république démocratique, ou n’ont jugé que sur un petit nombre d’exemples. La démocratie, lors
même que les circonstances locales et les dispositions du peuple lui permettent de se maintenir,
ne présente pas le coup d’œil de la régularité administrative et de l’ordre méthodique dans le
gouvernement ; cela est vrai. La liberté démocratique n’exécute pas chacune de ses entreprises
avec la même perfection que le despotisme intelligent ; souvent elle les abandonne avant d’en
avoir retiré le fruit, ou en hasarde de dangereuses ; mais à la longue elle produit plus que lui ; elle
fait moins bien chaque chose, mais elle fait plus de choses. Sous son empire, ce n’est pas surtout
ce qu’exécute l’administration publique qui est grand, c’est ce qu’on exécute sans elle et en
dehors d’elle. La démocratie ne donne pas au peuple le gouvernement le plus habile, mais elle
fait ce que le gouvernement le plus habile est souvent impuissant à créer ; elle répand dans tout le
corps social une inquiète activité, une force surabondante, une énergie qui n’existent jamais sans
elle, et qui, pour peu que les circonstances soient favorables, peuvent enfanter des merveilles. Là
sont ses vrais avantages.
TOCQUEVILLE, De la Démocratie en Amérique
- 854 -
[855] SUJET N° 857 - 12PTSTMDNC1 - 2012 - Série TECHN. - NOUVELLE-CALEDONIE SESSION NORMALE
Les animaux autres que l’homme vivent (…) réduits aux images et aux souvenirs ; à peine
possèdent-ils l’expérience, tandis que le genre humain s’élève jusqu’à l’art (1) et jusqu’au
raisonnement. C’est de la mémoire que naît l’expérience chez les hommes ; en effet, de
nombreux souvenirs d’une même chose constituent finalement une expérience ; or l’expérience
paraît être presque de même nature que la science et l’art, mais en réalité, la science et l’art
viennent aux hommes par l’intermédiaire de l’expérience, car « l’expérience a créé l’art, comme
le dit Polus avec raison, et l’inexpérience, la chance ». L’art apparaît lorsque, d’une multitude de
notions expérimentales, se dégage un seul jugement universel applicable à tous les cas
semblables. En effet, former le jugement que tel remède a soulagé Callias, atteint de telle
maladie, puis Socrate, puis plusieurs autres pris individuellement, c’est le fait de l’expérience ;
mais juger que tel remède a soulagé tous les individus atteints de telle maladie, déterminée par un
concept unique (…), cela appartient à l’art.
ARISTOTE
(1) au sens où l’on peut parler de l’art du médecin.
QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée principale du texte, puis les étapes de son argumentation.
2° Expliquez :
a) « de nombreux souvenirs d’une même chose constituent finalement une expérience » ;
b) « mais juger que tel remède a soulagé tous les individus atteints de telle maladie, déterminée
par un concept unique (…), cela appartient à l’art ».
3° L’expérience seule produit-elle le savoir ?
- 855 -
[856] SUJET N° 858 - 12PHSCSNC1 - 2012 - Série S - NOUVELLE-CALEDONIE - SESSION
NORMALE
Le sage seul est libre. Qu’est-ce, en effet, que la liberté ? Le pouvoir de vivre comme on veut !
Qui donc vit comme il veut sinon celui qui suit le droit chemin, qui trouve son plaisir dans le
devoir, qui a examiné et prévu un plan de vie, qui n’obéit pas seulement aux lois par crainte, mais
qui les observe et les respecte parce qu’il juge cette attitude la plus salutaire ; celui qui ne dit rien,
ne fait rien, enfin ne pense rien que de son propre mouvement et de son propre gré, celui dont
toutes les décisions et tous les actes trouvent en lui-même leur principe et leur fin, qui ne laisse
rien prévaloir sur sa volonté et sur son jugement ; celui devant qui la Fortune (1) même, à qui
l’on attribue un très grand pouvoir, recule, s’il est vrai, comme l’a dit un sage poète, que « ce sont
ses propres mœurs qui façonnent à chacun sa fortune » ? Au sage seul échoit donc la chance de
ne rien faire malgré lui, rien à regret, rien par contrainte.
CICERON, Paradoxes des stoïciens
(1) Fortune : divinité romaine du Destin.
- 856 -
[857] SUJET N° 859 - 12PHLINC1 - 2012 - Série L - NOUVELLE-CALEDONIE - SESSION
NORMALE
Celui qui pourrait regarder à l’intérieur d’un cerveau en pleine activité, suivre le va-et-vient des
atomes et interpréter tout ce qu’ils font, celui-là saurait sans doute quelque chose de ce qui se
passe dans l’esprit, mais il n’en saurait que peu de chose. Il en connaîtrait tout juste ce qui est
exprimable en gestes, attitudes et mouvements du corps, ce que l’état d’âme contient d’action en
voie d’accomplissement, ou simplement naissante : le reste lui échapperait. Il serait, vis-à-vis des
pensées et des sentiments qui se déroulent à l’intérieur de la conscience, dans la situation du
spectateur qui voit distinctement tout ce que les acteurs font sur la scène, mais n’entend pas un
mot de ce qu’ils disent. Sans doute, le va-et-vient des acteurs, leurs gestes et leurs attitudes, ont
leur raison d’être dans la pièce qu’ils jouent ; et si nous connaissons le texte, nous pouvons
prévoir à peu près le geste ; mais la réciproque n’est pas vraie, et la connaissance des gestes ne
nous renseigne que fort peu sur la pièce, parce qu’il y a beaucoup plus dans une fine comédie que
les mouvements par lesquels on la scande. Ainsi, je crois que si notre science du mécanisme
cérébral était parfaite, et parfaite aussi notre psychologie, nous pourrions deviner ce qui se passe
dans le cerveau pour un état d’âme déterminé ; mais l’opération inverse serait impossible, parce
que nous aurions le choix, pour un même état du cerveau, entre une foule d’états d’âme
différents, également appropriés.
BERGSON, L’Energie spirituelle
- 857 -
[858] SUJET N° 860 - 12PHSCAS1 - 2012 - Série S - AMERIQUE DU NORD - SESSION
NORMALE
Je remarque ici, premièrement, qu’il y a une grande différence entre l’esprit et le corps, en ce que
le corps, de sa nature, est toujours divisible, et que l’esprit est entièrement indivisible. Car en
effet, lorsque je considère mon esprit, c’est-à-dire moi-même en tant que je suis seulement une
chose qui pense, je n’y puis distinguer aucunes parties, mais je me conçois comme une chose
seule et entière. Et quoique tout l’esprit semble être uni à tout le corps, toutefois un pied, ou un
bras, ou quelque autre partie étant séparée de mon corps, il est certain que pour cela il n’y aura
rien de retranché de mon esprit. Et les facultés de vouloir, de sentir, de concevoir, etc., ne peuvent
pas proprement être dites ses parties : car le même esprit s’emploie tout entier à vouloir, et aussi
tout entier à sentir, à concevoir, etc. Mais c’est tout le contraire dans les choses corporelles ou
étendues : car il n’y en a pas une que je ne mette aisément en pièces par ma pensée, que mon
esprit ne divise fort facilement en plusieurs parties et par conséquent que je ne connaisse être
divisible. Ce qui suffirait pour m’enseigner que l’esprit ou l’âme de l’homme est entièrement
différente du corps, si je ne l’avais déjà d’ailleurs assez appris.
DESCARTES, Méditations métaphysiques
- 858 -
[859] SUJET N° 861 - 12PHESNC1 - 2012 - Série ES - NOUVELLE-CALEDONIE - SESSION
NORMALE
Dans la mesure où toute connaissance commence par l’expérience, il suit que toute nouvelle
expérience est également le point de départ d’une nouvelle connaissance, et tout élargissement de
l’expérience est le début d’un accroissement de la connaissance. Il en résulte que toutes les
nouveautés qu’un homme rencontre lui donne l’espoir et l’occasion de connaître quelque chose
qu’il ne connaissait pas auparavant. Cet espoir et cette attente d’une nouvelle connaissance de
quelque chose de nouveau et d’étrange est la passion qu’on appelle généralement
ADMIRATION, et la même passion, en tant qu’appétit, est appelée CURIOSITÉ, c’est-à-dire
appétit de connaissance. De même que, dans les facultés de discerner, un homme quitte toute
communauté avec les bêtes par la faculté d’imposer des noms, il surmonte également leur nature
par la passion qu’est la curiosité. En effet, lorsqu’une bête voit quelque chose de nouveau ou
d’étrange pour elle, elle l’observe uniquement pour discerner si cette chose est susceptible de lui
rendre service ou de lui faire du mal, et, en fonction de cela, elle s’approche d’elle ou la fuit,
tandis qu’un homme, qui, dans la plupart des cas, se souvient de la manière dont les événements
ont été causés et ont commencé, cherche la cause et le commencement de toutes les choses qui
surviennent et qui sont nouvelles pour lui. Et de cette passion (admiration et curiosité) sont
issues, non seulement l’invention des noms, mais aussi les hypothèses sur les causes qui, pense-ton, produisent toute chose.
HOBBES, Eléments de loi
- 859 -
[860] SUJET N° 862 - 12PHESAS1 - 2012 - Série ES - AMERIQUE DU NORD - SESSION
NORMALE
On considère l’Etat comme l’antagoniste de l’individu et il semble que le premier ne puisse se
développer qu’au détriment du second. La vérité, c’est que l’Etat a été bien plutôt le libérateur de
l’individu. C’est l’Etat qui, à mesure qu’il a pris de la force, a affranchi l’individu des groupes
particuliers et locaux qui tendaient à l’absorber : famille, cité, corporation, etc. L’individualisme
a marché dans l’histoire du même pas que l’étatisme. Non pas que l’Etat ne puisse devenir
despotique et oppresseur. Comme toutes les forces de la nature, s’il n’est limité par aucune
puissance collective qui le contienne, il se développera sans mesure et deviendra à son tour une
menace pour les libertés individuelles. D’où il suit que la force sociale qui est en lui doit être
neutralisée par d’autres forces sociales qui lui fassent contrepoids. Si les groupes secondaires sont
facilement tyranniques quand leur action n’est pas modérée par celle de l’Etat, inversement celle
de l’Etat, pour rester normale, a besoin d’être modérée à son tour. Le moyen d’arriver à ce
résultat, c’est qu’il y ait dans la société, en dehors de l’Etat, quoique soumis à son influence, des
groupes plus restreints (territoriaux ou professionnels, il n’importe pour l’instant) mais fortement
constitués et doués d’une individualité et d’une autonomie suffisante pour pouvoir s’opposer aux
empiétements du pouvoir central. Ce qui libère l’individu, ce n’est pas la suppression de tout
centre régulateur, c’est leur multiplication, pourvu que ces centres multiples soient coordonnés et
subordonnés les uns aux autres.
DURKHEIM, L’Etat et la société civile
- 860 -
[861] SUJET N° 863 - 12PHSCLI1 - 2012 - Série S - LIBAN - SESSION NORMALE
On ne désire en réalité qu’une chose : le bonheur. Toute chose qu’on désire autrement qu’à titre
de moyen conduisant à quelque but éloigné, et en définitive au bonheur, est désirée comme une
partie même du bonheur et n’est pas désirée pour elle-même tant qu’elle n’est pas devenue une
partie du bonheur. Ceux qui désirent la vertu pour elle-même la désirent, soit parce que la
conscience de la posséder est un plaisir, soit parce que la conscience d’en être dépourvu est une
peine, soit pour les deux raisons réunies ; car, à vrai dire, le plaisir et la peine en ce cas existent
rarement séparés, mais se présentent presque toujours ensemble, la même personne éprouvant le
plaisir d’avoir atteint un certain degré de vertu et la peine de ne pas s’être élevé plus haut. Si elle
n’éprouvait ni ce plaisir, ni cette peine, c’est qu’elle n’aimerait pas ou ne désirerait pas la vertu,
ou la désirerait seulement pour les autres avantages qu’elle pourrait lui apporter, soit à ellemême, soit aux personnes auxquelles elle tient.
MILL, L’Utilitarisme
- 861 -
Index des notions du programme (séries générales et technologiques)
art, 3, 4, 5, 6, 12, 31, 36, 50, 64, 71, 73, 82, 88, 92, 113, 120, 129, 133, 162, 170, 175, 190, 199,
201, 202, 212, 229, 230, 257, 272, 295, 298, 315, 325, 339, 342, 346, 352, 359, 360, 368, 371,
397, 401, 407, 413, 419, 438, 446, 448, 454, 471, 482, 488, 504, 524, 528, 536, 537, 553, 557,
562, 569, 598, 600, 605, 627, 635, 642, 651, 679, 681, 696, 698, 711, 715, 716, 718, 724, 732,
738, 743, 775, 776, 797, 806, 809, 829, 836, 855
autrui, 38, 39, 45, 46, 51, 53, 54, 59, 86, 88, 108, 125, 141, 147, 165, 171, 179, 190, 211, 218,
220, 232, 235, 244, 245, 262, 263, 264, 266, 302, 304, 316, 327, 343, 362, 394, 396, 429, 453,
456, 464, 469, 498, 518, 530, 546, 550, 570, 574, 584, 586, 587, 589, 606, 620, 656, 663, 666,
667, 671, 676, 680, 695, 708, 714, 718, 728, 731, 733, 734, 743, 760, 785, 786, 788, 794, 795,
796, 804, 815, 829, 832, 844, 848, 851
bonheur, 18, 29, 37, 44, 60, 62, 76, 81, 91, 96, 100, 121, 125, 126, 130, 136, 140, 145, 150, 152,
159, 162, 187, 195, 220, 221, 244, 254, 273, 286, 307, 309, 314, 316, 319, 324, 334, 340, 382,
431, 444, 453, 469, 474, 518, 521, 544, 549, 558, 582, 585, 597, 638, 670, 695, 713, 741, 768,
778, 785, 798, 805, 814, 815, 822, 830, 847, 852, 853, 861
conscience, 5, 10, 41, 42, 61, 64, 72, 73, 74, 76, 94, 96, 98, 103, 109, 112, 113, 114, 126, 130,
131, 136, 138, 150, 173, 184, 186, 190, 195, 196, 218, 223, 233, 236, 242, 253, 255, 260, 269,
281, 289, 313, 315, 317, 336, 337, 339, 342, 343, 357, 358, 365, 377, 384, 388, 395, 400, 403,
414, 420, 424, 441, 454, 455, 470, 475, 492, 524, 532, 539, 540, 558, 569, 573, 608, 614, 619,
630, 639, 644, 673, 694, 718, 733, 739, 743, 744, 753, 757, 760, 771, 778, 805, 809, 811, 813,
817, 827, 829, 851, 857, 861
croyance, 41, 58, 67, 85, 105, 353, 356, 423, 485, 497, 637, 720, 728, 823, 839
culture, 4, 34, 104, 120, 127, 129, 177, 191, 208, 245, 332, 403, 424, 427, 439, 471, 482, 541,
550, 569, 629, 660, 700, 717, 724, 776, 801, 830, 841
démonstration, 56, 67, 158, 210, 272, 512, 541, 629, 675, 772, 793
désir, 44, 91, 96, 105, 126, 130, 139, 140, 145, 146, 149, 155, 159, 176, 179, 182, 187, 244, 250,
251, 261, 285, 290, 324, 330, 334, 364, 382, 395, 409, 427, 442, 444, 461, 471, 472, 505, 507,
518, 556, 564, 568, 621, 624, 644, 663, 670, 722, 742, 766, 769, 770, 789, 805, 847
devoir, 33, 37, 52, 102, 109, 148, 150, 222, 225, 245, 259, 270, 303, 316, 350, 373, 382, 384,
385, 406, 410, 446, 453, 469, 470, 473, 503, 532, 558, 570, 591, 614, 622, 695, 700, 722, 733,
763, 824, 856
échanges, 217, 266, 305, 477, 636, 767
esprit, 1, 5, 7, 14, 17, 18, 29, 38, 41, 43, 46, 53, 63, 66, 75, 78, 113, 115, 117, 120, 123, 128,
152, 156, 157, 158, 163, 174, 175, 176, 177, 185, 188, 190, 191, 202, 212, 214, 215, 216, 217,
218, 219, 227, 234, 235, 251, 253, 254, 262, 263, 268, 296, 299, 305, 309, 315, 320, 323, 327,
330, 339, 342, 360, 364, 368, 383, 389, 397, 399, 403, 405, 411, 416, 423, 430, 439, 441, 454,
487, 489, 490, 512, 513, 520, 525, 540, 541, 553, 555, 556, 575, 578, 590, 597, 600, 605, 611,
619, 620, 630, 631, 633, 637, 646, 658, 659, 660, 664, 669, 675, 676, 680, 687, 689, 690, 694,
699, 701, 703, 704, 706, 718, 719, 721, 722, 735, 740, 742, 743, 753, 755, 756, 758, 759, 764,
774, 775, 783, 787, 791, 794, 799, 803, 823, 825, 829, 832, 834, 838, 852, 857, 858
Etat, 15, 52, 86, 117, 119, 125, 155, 164, 165, 168, 181, 204, 207, 213, 240, 241, 246, 280, 283,
290, 295, 300, 303, 309, 310, 362, 370, 375, 378, 395, 398, 434, 449, 451, 459, 464, 466, 473,
481, 491, 499, 503, 505, 584, 586, 592, 604, 641, 668, 671, 675, 678, 679, 680, 682, 696, 701,
709, 726, 731, 736, 741, 752, 761, 768, 769, 798, 804, 815, 825, 836, 837, 848, 860
- 862 -
existence, 33, 74, 94, 104, 109, 112, 120, 130, 131, 136, 140, 154, 162, 173, 208, 214, 231, 256,
271, 276, 289, 294, 301, 330, 334, 363, 366, 378, 384, 441, 452, 461, 472, 492, 512, 515, 543,
568, 569, 599, 639, 688, 698, 755, 780, 805
expérience, 5, 23, 28, 35, 55, 82, 88, 91, 105, 116, 123, 124, 142, 157, 173, 179, 183, 199, 213,
218, 223, 250, 251, 259, 260, 261, 288, 294, 300, 331, 339, 360, 387, 388, 407, 416, 418, 449,
461, 466, 483, 537, 556, 565, 569, 582, 585, 594, 600, 609, 615, 630, 631, 642, 643, 648, 661,
663, 666, 669, 678, 688, 691, 694, 708, 710, 723, 754, 758, 779, 780, 826, 836, 841, 845, 855,
859
histoire, 4, 25, 28, 35, 43, 68, 88, 95, 107, 112, 120, 131, 137, 142, 169, 172, 202, 204, 208, 227,
291, 300, 314, 318, 321, 331, 333, 374, 399, 435, 437, 492, 504, 522, 529, 601, 629, 630, 632,
664, 665, 675, 694, 697, 711, 713, 725, 791, 860
inconscient, 388, 644
interprétation, 124, 208, 354, 399
langage, 1, 25, 112, 138, 169, 236, 268, 271, 317, 335, 372, 396, 407, 419, 420, 422, 430, 432,
441, 455, 496, 559, 561, 574, 594, 647, 664, 708, 715, 760, 764, 808
liberté, 2, 3, 10, 11, 14, 15, 24, 38, 39, 43, 45, 52, 53, 54, 59, 64, 72, 83, 87, 88, 94, 95, 99, 110,
114, 122, 123, 125, 133, 141, 146, 152, 155, 161, 164, 178, 189, 192, 197, 198, 200, 205, 215,
219, 223, 232, 235, 238, 243, 245, 249, 250, 251, 255, 262, 273, 283, 287, 295, 308, 309, 311,
336, 341, 344, 353, 365, 367, 369, 375, 378, 382, 385, 387, 400, 402, 407, 412, 416, 418, 424,
427, 433, 442, 448, 451, 458, 459, 462, 463, 465, 466, 467, 473, 479, 491, 505, 516, 517, 520,
522, 523, 530, 539, 551, 572, 589, 593, 607, 610, 633, 638, 650, 667, 668, 671, 672, 686, 701,
703, 705, 712, 714, 730, 731, 732, 734, 736, 737, 739, 744, 746, 749, 753, 763, 767, 768, 770,
773, 779, 782, 788, 798, 802, 804, 805, 809, 814, 815, 816, 818, 821, 825, 832, 837, 838, 846,
848, 851, 853, 854, 856
loi, 12, 15, 49, 54, 64, 68, 70, 77, 78, 79, 83, 97, 101, 107, 125, 135, 141, 142, 147, 149, 150,
153, 155, 167, 168, 180, 186, 192, 201, 222, 228, 232, 249, 251, 262, 274, 277, 278, 280, 295,
305, 308, 311, 318, 326, 328, 366, 380, 385, 386, 392, 396, 398, 404, 420, 429, 435, 442, 450,
451, 457, 460, 475, 505, 514, 527, 534, 540, 541, 545, 558, 560, 564, 570, 586, 599, 604, 608,
623, 640, 641, 647, 700, 704, 713, 733, 741, 744, 746, 752, 754, 769, 771, 774, 776, 787, 798,
804, 805, 809, 815, 818, 824, 828, 832, 835, 843, 846, 850, 859
matière, 23, 47, 50, 56, 61, 62, 67, 113, 153, 163, 171, 180, 194, 196, 197, 199, 208, 251, 276,
278, 286, 292, 360, 364, 377, 457, 464, 470, 496, 557, 575, 653, 658, 699, 728, 773
morale, 36, 40, 46, 64, 70, 74, 93, 109, 124, 150, 177, 178, 181, 182, 186, 195, 207, 211, 213,
216, 242, 259, 281, 292, 294, 305, 316, 318, 326, 335, 372, 373, 384, 403, 407, 414, 426, 431,
445, 540, 558, 575, 591, 597, 620, 639, 652, 691, 705, 722, 744, 771, 778, 805, 833, 842, 851,
853
perception, 1, 17, 110, 111, 124, 142, 144, 252, 268, 269, 289, 297, 313, 331, 420, 430, 457,
483, 512, 615, 626, 647, 666, 708, 748, 751
politique, 25, 27, 39, 52, 53, 65, 80, 86, 88, 99, 102, 117, 149, 163, 168, 182, 200, 209, 220, 235,
237, 246, 249, 279, 280, 291, 298, 299, 303, 306, 322, 344, 366, 378, 385, 396, 418, 421, 427,
431, 433, 442, 449, 462, 467, 481, 500, 501, 522, 534, 545, 601, 606, 646, 647, 675, 679, 696,
697, 699, 701, 705, 740, 749, 768, 769, 779, 783, 787, 800, 801, 825, 837, 843
raison, 2, 8, 12, 14, 15, 18, 24, 26, 36, 37, 42, 52, 58, 59, 64, 65, 66, 68, 70, 74, 75, 79, 80, 81,
83, 85, 86, 88, 91, 95, 98, 99, 102, 105, 106, 115, 117, 126, 128, 131, 137, 139, 143, 147, 148,
150, 151, 153, 155, 156, 162, 165, 167, 171, 172, 174, 185, 193, 195, 196, 203, 207, 215, 223,
225, 231, 241, 247, 250, 253, 254, 256, 262, 271, 272, 274, 278, 281, 282, 295, 297, 298, 308,
312, 320, 322, 328, 329, 330, 336, 338, 340, 361, 362, 363, 368, 377, 380, 381, 382, 386, 389,
- 863 -
392, 394, 396, 397, 404, 407, 409, 410, 412, 421, 422, 426, 429, 440, 441, 446, 447, 451, 456,
464, 470, 475, 487, 490, 492, 497, 499, 503, 504, 506, 509, 510, 513, 514, 520, 522, 532, 535,
543, 549, 553, 554, 556, 560, 564, 571, 573, 582, 583, 586, 588, 590, 602, 608, 609, 613, 614,
616, 617, 622, 626, 629, 640, 649, 655, 657, 659, 666, 677, 686, 690, 693, 696, 697, 700, 702,
703, 706, 714, 722, 724, 731, 733, 734, 736, 746, 757, 763, 769, 775, 780, 784, 785, 790, 792,
793, 795, 796, 800, 814, 818, 824, 834, 835, 837, 840, 848, 854, 855, 857
réel, 1, 116, 134, 137, 181, 186, 225, 314, 315, 330, 390, 430, 568, 627, 648, 655, 661, 669, 710,
722, 735
religion, 37, 40, 56, 67, 71, 109, 177, 182, 211, 292, 293, 305, 314, 330, 335, 342, 353, 372, 373,
384, 419, 431, 445, 464, 498, 531, 535, 582, 599, 640, 670, 756, 765, 771, 778, 802
société, 7, 11, 21, 25, 26, 36, 40, 51, 53, 54, 58, 59, 68, 85, 87, 88, 92, 102, 107, 109, 122, 129,
147, 149, 156, 159, 164, 165, 166, 167, 171, 172, 174, 180, 191, 192, 198, 204, 207, 209, 220,
224, 234, 235, 244, 245, 259, 266, 294, 302, 303, 304, 305, 310, 312, 318, 322, 328, 333, 335,
344, 348, 349, 350, 362, 366, 372, 373, 375, 384, 385, 386, 391, 393, 395, 406, 408, 422, 429,
439, 442, 443, 445, 446, 462, 471, 475, 480, 481, 482, 487, 498, 516, 518, 522, 536, 543, 561,
564, 586, 602, 604, 608, 610, 634, 636, 643, 648, 667, 672, 676, 687, 701, 707, 756, 762, 767,
774, 775, 778, 786, 800, 824, 825, 831, 845, 851, 853, 860
sujet, 14, 32, 46, 57, 59, 86, 95, 99, 171, 186, 189, 203, 232, 241, 246, 290, 310, 315, 330, 365,
451, 456, 469, 520, 525, 533, 586, 604, 614, 695, 735, 757, 761, 815, 833, 834, 846
technique, 56, 67, 90, 148, 199, 221, 248, 291, 346, 360, 418, 493, 494, 517, 651, 658, 662, 715,
722, 732
temps, 9, 17, 21, 35, 38, 47, 50, 51, 57, 58, 64, 70, 73, 74, 81, 85, 91, 94, 102, 106, 107, 110,
114, 120, 129, 136, 144, 153, 160, 178, 185, 188, 196, 197, 200, 212, 214, 221, 227, 231, 238,
245, 248, 261, 266, 288, 289, 293, 318, 320, 328, 334, 340, 347, 367, 374, 375, 377, 391, 392,
399, 415, 419, 441, 445, 452, 469, 472, 477, 480, 482, 486, 501, 506, 508, 526, 527, 530, 532,
534, 536, 537, 540, 553, 556, 557, 562, 588, 592, 600, 603, 604, 609, 613, 619, 622, 626, 627,
628, 629, 634, 644, 661, 666, 668, 679, 685, 695, 697, 710, 722, 735, 737, 739, 747, 754, 755,
767, 770, 776, 777, 782, 802, 808, 809, 832, 833, 845, 847, 849, 850, 853
théorie, 31, 35, 56, 67, 74, 93, 181, 234, 320, 418, 435, 483, 500, 593, 660, 675, 759
travail, 1, 4, 16, 19, 21, 32, 38, 40, 48, 54, 73, 90, 104, 132, 162, 169, 188, 195, 197, 224, 284,
332, 345, 346, 430, 438, 462, 478, 480, 501, 562, 622, 631, 638, 651, 657, 684, 687, 697, 732,
775, 781, 832, 844, 851
vérité, 5, 6, 8, 9, 13, 14, 18, 20, 23, 30, 34, 38, 46, 47, 56, 58, 67, 79, 84, 85, 98, 107, 115, 116,
137, 151, 155, 167, 179, 185, 203, 204, 229, 230, 233, 239, 252, 253, 267, 276, 283, 286, 288,
292, 314, 315, 318, 320, 327, 339, 340, 351, 362, 365, 368, 373, 379, 387, 389, 403, 411, 432,
440, 463, 470, 484, 485, 489, 495, 496, 497, 504, 510, 520, 531, 535, 537, 556, 563, 567, 575,
577, 595, 598, 603, 605, 611, 612, 624, 626, 628, 632, 635, 639, 645, 648, 653, 655, 661, 710,
736, 738, 745, 751, 765, 769, 772, 776, 785, 790, 791, 793, 797, 800, 812, 813, 832, 833, 834,
837, 860
vivant, 25, 42, 48, 61, 114, 189, 273, 300, 402, 445, 452, 453, 484, 559, 573, 715, 738, 776
- 864 -
Index des auteurs du programme
Alain, 57, 90, 111, 112, 122, 152, 243, 251, 285, 319, 345, 383, 414, 438, 450, 457, 596, 612,
627, 638, 644, 646, 659, 672, 684, 702, 715, 720, 730, 735, 748, 751, 761, 779, 783, 787, 802,
816, 820, 821, 823, 852
Arendt, 21, 32, 71, 129, 168, 208, 306, 321, 366, 424, 427, 462, 471, 480, 482
Aristote, 12, 13, 20, 139, 210, 214, 278, 329, 363, 376, 401, 409, 421, 425, 428, 494, 495, 508,
534, 538, 544, 552, 560, 595, 618, 628, 647, 685, 712, 819, 849, 855
Augustin, 30, 55, 63, 348, 583, 617, 637, 721, 795, 803
Bachelard, 134, 216, 390, 541, 611, 629, 630, 648, 669, 694, 706, 723
Bergson, 1, 10, 40, 42, 50, 61, 82, 87, 106, 109, 113, 114, 135, 137, 138, 160, 173, 177, 184,
188, 190, 196, 198, 211, 236, 255, 260, 269, 291, 305, 313, 317, 335, 357, 359, 372, 373, 374,
377, 384, 415, 430, 441, 445, 455, 557, 561, 562, 565, 572, 573, 610, 619, 623, 626, 631, 660,
661, 710, 718, 738, 739, 743, 762, 777, 784, 817, 827, 829, 857
Berkeley, 268, 270, 833
Cicéron, 68, 97, 147, 222, 302, 386, 392, 422, 856
Comte, 75, 200, 234, 239, 543, 675, 749, 759, 810
Condillac, 11, 212
Cournot, 35, 343, 437, 571, 574, 594, 599, 725, 754, 790
Descartes, 18, 81, 128, 165, 176, 193, 362, 368, 489, 490, 499, 549, 555, 556, 578, 579, 580,
613, 614, 649, 742, 764, 793, 858
Diderot, 389, 458, 470, 474
Durkheim, 70, 74, 95, 132, 195, 204, 271, 294, 349, 358, 408, 851, 853, 860
Épictète, 103, 161, 205, 287, 341, 351, 355, 380, 448, 650, 811, 814
Épicure, 347, 840
Foucault, 186
Freud, 104, 127, 221, 256, 273, 388, 440, 531, 547, 550, 670, 765, 785, 830, 831
Hegel, 3, 5, 78, 133, 189, 199, 263, 267, 300, 315, 339, 342, 346, 353, 360, 375, 454, 476, 488,
507, 524, 540, 563, 570, 593, 597, 600, 605, 615, 620, 625, 632, 633, 639, 651, 658, 681, 697,
698, 732, 776, 794
Heidegger, 48, 248
Hobbes, 24, 52, 79, 164, 183, 203, 226, 290, 322, 361, 405, 411, 473, 475, 496, 511, 527, 576,
608, 621, 686, 692, 704, 773, 774, 843, 859
Hume, 16, 41, 51, 88, 92, 123, 157, 159, 166, 213, 244, 259, 265, 266, 304, 350, 352, 385, 391,
393, 397, 406, 410, 416, 461, 512, 513, 518, 522, 525, 601, 634, 643, 676, 687, 688, 689, 690,
716, 780, 835
Husserl, 257, 379, 745, 813
Kant, 4, 64, 66, 69, 91, 98, 118, 125, 148, 150, 172, 179, 194, 225, 242, 245, 282, 316, 326, 328,
332, 336, 367, 394, 404, 412, 446, 453, 469, 493, 498, 516, 523, 530, 532, 546, 553, 554, 558,
589, 591, 592, 602, 622, 635, 645, 652, 662, 663, 673, 677, 695, 700, 722, 737, 744, 757, 771,
798, 805, 807, 809, 812, 815, 826, 848
Kierkegaard, 33, 781
Leibniz, 158, 253, 288, 364, 567, 609, 616, 653, 786
Locke, 17, 59, 76, 89, 102, 107, 141, 192, 215, 224, 232, 284, 318, 382, 395, 464, 478, 838, 846
Lucrèce, 151, 755, 808
Machiavel, 417, 466, 680
Malebranche, 14, 327, 387, 463, 510, 520, 575, 590, 607, 729, 756, 758
- 865 -
Marx, 19, 25, 314, 548, 636, 664, 767
Merleau-Ponty, 110, 142, 144, 175, 297, 420, 533, 539, 569, 606, 708, 753
Mill, 34, 43, 45, 54, 120, 124, 156, 171, 174, 209, 252, 286, 307, 320, 325, 403, 426, 487, 834,
861
Montaigne, 143, 233
Montesquieu, 31, 217, 240, 246, 279, 443, 444, 535, 545, 701, 719, 766, 768, 775, 825
ietzsche, 6, 7, 73, 163, 169, 170, 207, 301, 308, 371, 407, 419, 529, 603, 624, 654, 691, 699,
713, 728, 778, 782, 789, 791, 797
Pascal, 8, 84, 261, 272, 526, 528, 542, 585, 683, 693, 747
Platon, 47, 101, 153, 154, 230, 237, 264, 277, 298, 338, 370, 413, 434, 484, 486, 497, 502, 503,
506, 509, 537, 566, 577, 598, 642, 655, 696, 709, 724, 740, 741, 806, 850
Plotin, 60
Popper, 37, 167, 220, 333, 418, 483, 500
Rousseau, 15, 29, 44, 72, 83, 100, 108, 115, 121, 145, 187, 191, 202, 218, 219, 228, 229, 247,
249, 262, 276, 280, 281, 295, 303, 309, 311, 323, 334, 340, 378, 381, 398, 400, 429, 439, 452,
459, 504, 515, 521, 551, 581, 587, 588, 641, 656, 657, 665, 666, 667, 674, 679, 705, 707, 711,
714, 717, 727, 733, 734, 746, 750, 752, 760, 792, 796, 799, 804, 818, 822, 824, 841, 844, 847
Russell, 56, 67, 93, 116, 182, 231, 274, 292, 330, 331, 354, 356, 423, 431, 435, 485, 839, 842
Sartre, 39, 178, 197, 206, 223, 289, 402, 432, 517, 536, 559, 568, 788, 801
Schopenhauer, 2, 23, 28, 94, 96, 126, 130, 131, 136, 140, 146, 162, 181, 201, 227, 337, 365,
399, 492, 501, 836
Sénèque, 9, 27, 46, 62, 254, 258, 324, 369, 472
Spinoza, 26, 53, 65, 80, 86, 99, 105, 117, 149, 155, 235, 241, 250, 283, 296, 299, 312, 396, 433,
436, 449, 451, 467, 481, 491, 505, 514, 519, 564, 582, 584, 586, 604, 640, 668, 671, 678, 682,
703, 726, 731, 736, 769, 770, 772, 800, 837
Thomas d’Aquin, 49, 77, 456, 460, 477, 763, 828
Tocqueville, 38, 58, 85, 119, 180, 185, 238, 275, 293, 310, 344, 442, 447, 465, 479, 832, 854
Wittgenstein, 22, 468
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