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Nouvelle Héloïse (Julie ou la) de Jean-Jacques ROUSSEAU

• En écrivant ce roman par lettres dont le titre évoque les amours d'Héloïse et de son précepteur Abélard au xiie siècle, Rousseau a cherché à s'évader au pays des chimères, parmi des êtres selon (son) cœur. La genèse de ce livre est fort intéressante à étudier du point de vue des échanges entre la vie et l'œuvre de l'écrivain, car si Rousseau transpose l'aventure qu'il a vécue en 1757 avec Mme d'Houdetot (Confessions, IX), il a aussi tenté de retrouver dans la réalité la société charmante imaginée dans son roman. En outre, non content de rêver sur une passion contrariée, il a entrepris d'enseigner à ses contemporains comment vivre et aimer. • Rousseau s'est inventé un double, le roturier Saint-Preux, et en a fait le précepteur d'une jeune fille noble, Julie d'Étanges, en Suisse, au bord du Léman. Julie et Saint-Preux s'éprennent l'un de l'autre; Julie se donne même à Saint-Preux (1re partie, lettre 29); mais, au nom des conventions sociales, M. d'Étanges s'oppose à leur union (I,62-63). La cousine de Julie, Claire, qui épouse bientôt M. d'Orbe, et un Anglais ami de Saint-Preux, milord Edouard Bomston, deviennent les confidents de cette passion qui, après le mariage de Julie avec M. de Wolmar, prend la forme d'une amitié fidèle, non sans de douloureux combats. Comme le cœur de Julie semble changé par son mariage (III, 18), Saint-Preux songe à se suicider (III, 21), puis entreprend un long voyage dans l'espoir d'oublier son amour. À son retour, M. de Wolmar, à qui sa femme a fait confidence de ses égarements passés, a la générosité d'inviter l'ancien amant de celle-ci dans sa propriété de Clarens (IV, 4). Rousseau a voulu peindre dès lors une ascèse étrangère, assure-t-il, aux mœurs de son siècle. Elle n'est nullement facile. Partageant avec émotion l'existence modèle que l'on mène à Clarens, Saint-Preux connaît l'épreuve de la tentation au cours d'une promenade sur le lac Léman avec Julie (IV, 17). Julie cherche à pousser Saint-Preux vers sa cousine Claire, devenue veuve, mais souffre toujours et l'avoue à celui qu'elle n'a jamais cessé d'aimer : On étouffe de grandes passions, rarement on les épure. S'étant jetée à l'eau pour sauver l'un de ses enfants de la noyade, Julie tombe malade et meurt en quelques jours, mettant sa confiance en Dieu et son espoir en l'autre vie puisqu'elle n'a pas pu trouver le bonheur en celle-ci : La vertu qui nous sépara sur la terre nous unira dans le séjour éternel (VI, 12). Le lecteur trouvait dans ce roman le modèle de comportements nouveaux fondés sur la libération de la sensibilité. Sans doute celle-ci est-elle cause de souffrances : Ô Julie! que c'est un fatal présent du ciel qu'une âme sensible! Celui qui l'a reçu doit s'attendre à n'avoir que peine et douleur sur la terre. (I, 26); mais elle est aussi source d'exaltation et de bonheur et fait la richesse de la vie personnelle. Le problème essentiel de la vie domestique et de la vie sociale est même d'en assurer le respect et l'épanouissement, ce qui est fait dans l'utopie vertueuse de Clarens. L'intention didactique de Rousseau y est évidente; toutes les questions sont méthodiquement abordées : gestion d'un domaine, rapports des maîtres et des domestiques, décor de la maison et des jardins, éducation des enfants, religion. La Nouvelle Héloïse est ainsi un manuel moral complet. • Le livre a remporté un succès prodigieux, contribuant largement à la formation de la sensibilité romantique (Chateaubriand, René, Sénancour, Oberman, Balzac, Le Lys dans la vallée, Nerval, Sylvie).

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