NIETZSCHE : UNE GLORIFICATION NON INNOCENTE DU TRAVAIL

NIETZSCHE : UNE GLORIFICATION NON INNOCENTE DU TRAVAIL

Nietzsche s'interroge sur le sens caché des valeurs qu'on propose aux hommes. Au lieu de se demander si elles sont bonnes ou mauvaises, il cherche à mettre en évidence leur généalogie, les forces qui expliquent leur apparition et leur développement. Ainsi du travail, proposé comme idéal, dont on va jusqu'à faire une valeur sacrée : ne pourrait-ce pas être par haine de la vie, par impuissance à affronter l'insaisissable devenir de la vie ?

« Dans la glorification du “travail”, dans les infatigables discours sur la “bénédiction du travail”, je vois la même arrière-pensée que dans les louanges adressées aux actes impersonnels et utiles à tous : à savoir la peur de tout ce qui est individuel. Au fond, on sent aujourd’hui, à la vue du travail—on vise toujours sous ce nom le dur labeur du matin au soir — qu’un tel travail constitue la meilleure des polices, qu’il tient chacun en bride et s’entend à entraver puissamment le développement de la raison, des désirs, du goût de l’indépendance. Car il consume une extraordinaire quantité de force nerveuse et la soustrait à la réflexion, à la méditation, à la rêverie, aux soucis, à l’amour et à la haine, il présente constamment à la vue un but mesquin et assure des satisfactions faciles et régulières. Ainsi une société où l’on travaille dur en permanence aura davantage de sécurité : et l’on adore aujourd’hui la sécurité comme la divinité suprême... »

Nietzsche, Aurore, III, § 173.

ordre des idées

1) Définition du travail glorifié : non pas le travail en général ou le travail dans lequel le travailleur se réalise, mais l'activité pénible et incessante. 2) Jugements qu'on entend porter sur ce genre de travail. Nietzsche remarque qu'on lui accorde souvent une extrême valeur : il est glorifié, béni, presque sacralisé. 3) Critique de ces jugements. Selon l’auteur, ces jugements dissimulent d'autres jugements : — une condamnation de toute vie individuelle, c'est-à-dire libre, intelligente, riche de valeurs affectives, toutes choses qui inquiètent. — une valorisation d’un ordre social pris pour absolu, immuable, sans danger (mais destructeur d'une humanité vivante, en dernière analyse).