Databac

NIETZSCHE: LE TRAVAIL

«Celui qui est saoul du jeu et qui n'a point, par de nouveaux besoins, de raison de travailler, celui-là est pris parfois du désir d'un troisième état, qui serait au jeu ce que planer est à danser, ce que danser est à marcher…» Nietzsche, "Humain trop humain" (1878).

Si l'on considère le travail comme aliénant (c'est-à-dire qu'il soumet l'homme à autre chose que soi-même), on peut être tenté de penser que c'est dans le loisir que l'homme va pouvoir s'accomplir. Mais Marx explique que le repos octroyé au travailleur n'est en fait qu'un moyen de lui laisser le temps de reconstituer sa force de travail.
C'est pourquoi Nietzsche parle d'un «troisième état»: un état où travail et jeu se confondent. C'est, par exemple, l'état de l'artiste. Cela ne signifie pas que celui-ci ne peine pas au travail, ni qu'il ne doive pas apprendre à maîtriser de multiples techniques. Mais au lieu d'être asservie à une production utilitaire, son oeuvre, sa création, est une fin en soi, qui lui permet d'accomplir sa liberté.




Initialement professeur de grec, Nietzsche eut une existence tourmentée qui s'acheva dans la folie. Il fut l'ami et l'admirateur de Wagner et le protégé de Louis II de Bavière. Ses oeuvres principales sont La Naissance de la tragédie (1872), Ainsi parlait Zarathoustra (1883) et Par-delà le bien et le mal (1886). Nietzsche accuse la philosophie d'avoir été, depuis Socrate, inspirée par la haine de la vie. C'est, dit-il, pour mieux dévaluer le réel qu'elle a inventé un arrière-monde idéal et inaccessible. Ce monde des idées est à la fois logique et moral. Il reçoit son expression la plus parfaite dans la notion de Dieu. Le christianisme parachève cette dévalorisation de la vie, en inspirant à l'homme la honte, le remords et la nostalgie. La pensée de Nietzsche le conduit donc, par-delà la critique des métaphysiques rationalistes, à condamner en premier lieu le christianisme. Nietzsche y voit une perversion de la « volonté de puissance » qui, dans ce cas précis, au lieu d'être désir de vie, devient désir de mort. Selon lui, toutes les idéologies, et notamment la religion chrétienne, sont des ruses de la médiocrité qui essaie, en imposant de fausses valeurs, d'étendre son empire sur les hommes. Elles sont la revanche des faibles, l'expression de l'esprit de « décadence ». Il faut donc revenir à la vie, à sa beauté, à sa grandeur, voire à sa cruauté. Mais cela ne signifie nullement qu'il faille remplacer la divinisation du ciel par celle de l'histoire comme l'a fait Hegel. L'histoire, pour Nietzsche, est une illusion. Elle n'est pas le déroulement linéaire d'événements irréversibles, elle est au contraire cyclique. Un jour, tout recommencera. Contre l'idée moderne de l'histoire, Nietzsche chante le mythe de l'éternel retour. Cette loi secrète du temps fait que, malgré les apparences, le monde est éternel. La morale de Nietzsche est agressivement païenne. Elle consiste à sympathiser avec cette éternité, à accepter totalement la nature, au lieu de s'en détourner par la rêverie d'un néant divinisé. Il faut réapprendre à goûter la saveur de la vie et, au lieu de la détruire par le nihilisme métaphysique, l'enrichir sans cesse. L'idéal de Nietzsche est le « surhomme ». Ce n'est pas, contrairement à ce qu'ont prétendu les racistes, un être biologiquement différent, mais un esprit animé de l'amour du monde et de sa loi (« amor fati »). Sa meilleure incarnation est le créateur, c'est- à-dire l'artiste et le poète. On peut reprocher à Nietzsche d'avoir, par sa haine quasi pathologique des valeurs chrétiennes, préparé la voie (encore qu'involontairement) aux doctrines nazies qui firent de sa pensée une interprétation par ailleurs abusive.

Liens utiles