NATURE ET CULTURE (textes)
NATURE ET CULTURE
Grandeur et misère de l'animal humain
Platon, Hume : impuissance initiale de l’homme
La nature a écrasé l'homme d'une «quantité infinie de besoins et de nécessités» et n’a prévu, cruellement, que de «bien faibles moyens» (Hume, Traité de la nature humaine, 1739).
Sénèque:
la culture préserve la vie même du nourrisson humain
«L’homme n’est environné que de faiblesse : il n’a ni la puissance des ongles, ni celle des dents pour se faire redouter ; nu, sans défense, l'association est son bouclier» (Sénèque, Des bienfaits, IV, 18 - Ier siècle ap. J.-C.).
L’homme naît prématuré
«Les activités orientées innées chez le bébé humain, écrivait l’anthropologue John Gillin, sont si peu nombreuses et si mal adaptées à ses besoins, que si on ne prend pas soin de lui, il dépérit ou succombe aux rigueurs du climat» (Les Voies de l’homme, 1948).
Progrès cumulatifs dans l'espèce humaine
Kant : individu humain et espèce humaine
«Chez l'homme (en tant que seule créature raisonnable sur terre), les dispositions qui visent à l’usage de sa raison n’ont pas dû recevoir leur développement complet dans l’individu mais seulement dans l’espèce» (Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique, 1784).
Rousseau : la perfectibilité de l’homme
L'homme, remarque Rousseau, a la «faculté de se perfectionner», «au lieu qu’un animal est, au bout de quelques mois, ce qu’il sera toute sa vie, et son espèce, au bout de mille ans, ce quelle était la première année de ces mille ans» (Discours sur l’origine de l’inégalité, 1755).
L’homo faber
Instinct et intelligence selon Bergson
La conscience, écrira Bergson (1859-1941), a précisément sa source dans «le déficit de l'instinct», dans la distance qui existe entre les besoins humains (se nourrir, se vêtir, etc.) et les moyens donnés par la nature pour les satisfaire (L’Évolution créatrice, ch. II - 1907).
Dans l’instinct, au contraire, il n’y a nul écart entre la représentation et l’action. L’instinct trouve à sa portée l’instrument approprié, car cet instrument est l’œuvre de la nature.
Intelligence et invention mécanique
On comprend donc que l’intelligence soit essentiellement, selon Bergson, «la faculté de fabriquer des objets artificiels» (L'Évolution créatrice, ch. II - 1907). L’invention mécanique serait sa démarche naturelle : l’instrument fabriqué intelligemment ne s’obtient qu’au prix d’un effort et demeure, certes, toujours imparfait, mais, comme il est fait de matière inerte, il peut «prendre une forme quelconque, servir à n’importe quel usage», et conférer à l’être qui le manie «un nombre illimité de pouvoirs» [ibid).
En outre, il réagit sur l’être qui l’a fabriqué, en créant chez lui des besoins nouveaux et toujours plus complexes. Ainsi l’homo sapiens serait-il d’abord un homo faber (m. à m. : un «homme ouvrier»).
Tout est culturel en l'homme
Montaigne : la diversité des coutumes
«Notre principal gouvernement est entre les mains des nourrices» (Montaigne, Essais, I. 1, chap. 28 - 1580-1595). Chacun «abomine» les «mœurs étrangères» (ibid., III, 9) : bien à tort, car ce qui est «hors des gonds» de notre coutume, n’est pas nécessairement, loin s’en faut, «hors des gonds de raison» (ibid).
Michel Leiris : il n’y a pas d’homme naturel
Ni les sauvages de l’«état de nature» imaginé par les philosophes, ni même les enfants sauvages (enfants ayant vécu quelques temps en compagnie de certains animaux sauvages et ayant adopté leur mode de vie) ne nous montrent l’homme natureL Car la stupidité des enfants sauvages, ainsi que leur incapacité à progresser une fois qu’ils ont réintégré la société des humains (cf. le récit du médecin Itard sur Victor de l’Aveyron, 1801) prouvent assez, comme l’a dit M. Leiris, que «l’homme à l’état de nature est en vérité une pure vue de l’esprit» (Cinq Études d’ethnologie, 1956)
Résumé : C’est l’infériorité initiale de l’homme, c’est l’apparent délaissement dans lequel la laisse la nature, qui, paradoxalement, assure sa supériorité sur l’animal. Contraint qu'il est d'assurer ingénieusement sa simple survie, il est, pour ce faire, contraint d inventer des outils. Les diverses sociétés humaines ont forgé des institutions et des coutumes fort diverses : le barbare, écrit Lévi-Strauss, c'est... celui qui croit à la barbarie. •
Liens utiles
- CHAPITRE : NATURE ET CULTURE
- La nature peut-elle être un modèle de culture?
- « Vous m’avez donné de la boue et j’en ai fait de l’or » a écrit Baudelaire dans Bribes. A la lumière de votre connaissance du recueil, Les Fleurs du mal, vous montrerez en quoi nous pouvons appliquer cette citation à l’œuvre de Baudelaire. Vous pouvez aussi vous appuyer sur votre votre culture personnelle comme sur les textes vus dans le parcours « Alchimie poétique ».
- Dans un article de 1968 intitulé La mort de l'auteur, le critique Roland Barthes écrit: L'image de la littérature que l'on peut trouver dans la culture courante est tyranniquement centrée sur l'auteur, sa personne, son histoire, ses goûts, ses passions. En vous appuyant sur les documents fournis, les textes étudiés en classe et vos lectures (et/ou expériences) personnelles, vous discuterez ce jugement ?
- Parlant de son roman Les Misérables, Victor Hugo écrit: «... Tant qu'il y aura sur la terre ignorance et misère, des livres de la nature de celui-ci pourront ne pas être inutiles. » On sait que les intentions de l'auteur, quand il composa Les Misérables, étaient de révéler au monde la réalité de la misère et ses conséquences; vous direz, en faisant appel à votre culture personnelle, l'intérêt que présentent selon vous les oeuvres animées de semblables intentions.