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NATIONALITÉS EN URSS (politique des)

NATIONALITÉS EN URSS (politique des) Après la Révolution russe, la politique du régime soviétique en matière de nationalités consiste, en premier lieu, à tenter de reprendre les territoires devenus indépendants pendant la guerre civile (Ukraine, Géorgie, Arménie). L’occupation militaire accomplie, l’opération se fait en deux temps : d’abord on passe des alliances bilatérales, puis on prive ces nations d’une diplomatie indépendante, de leurs forces militaires autonomes - processus achevés en 1923-1924, par conséquent avant l’époque stalinienne. Pour d’autres nationalités, on procède à la liquidation violente des instances hostiles à la réunification dans le cadre de l’URSS : socialisme panislamique de Sultan Galiev, Poale Zion, etc. Au vrai, les bolcheviks n’imaginaient pas que, devenues libres grâce à la révolution, des nations pourraient renaître comme entités et ne rejoindre la République des soviets que contraintes et forcées. Lénine mettra en cause le chauvinisme grand-russe ; cependant, les responsables de la faillite de cette politique furent rarement des Russes, mais plutôt des néo-jacobins autoritaires et centralisateurs. Pour les républiques reconquises comme pour les autres, l’action du pouvoir soviétique se manifeste par une série de mesures partout identiques. On veille à ce que ne soient pas « russifiées » les instances chargées de décider du statut de ces territoires non russes, comme le Kavkom (Comité du Caucase), le Mouskom (Comité musulman) ou le comité de la publication Vie des nationalités. À l’origine le Narkomnats, Commissariat du peuple aux nationalités, est composé de non-Russes bien qu’il soit difficile de trouver des bolcheviks dans chaque nationalité. La régénération des cultures nationales, victimes de la russification tsariste, va parfois jusqu’à la résurrection, en Arménie par exemple, voire la révélation de leur identité chez certains peuples du Caucase. De la sorte, il est mis fin à un certain nombre de frustrations collectives, réelles ou latentes. En ce sens, aucun régime n’aura autant agi en faveur des cultures minoritaires, les utilisant dans l’intérêt de l’État. C’est le cas par exemple pour les Kalmouks. Cette politique sert aussi ultérieurement à dresser les uns contre les autres les peuples du Turkestan. Ainsi entrent en contradiction la vision marxiste du développement des sociétés, que la soviétisation incarne, et la pratique lénino-stalinienne concernant les ethnies et les nations. Elle se révélera un demi-siècle plus tard. La constitution de toute une constellation d’entités nationales, fédérales, étatiques, s’emboîtant les unes dans les autres comme des poupées russes (républiques fédérées, républiques autonomes, régions, territoires) permet de former une intelligentsia non russe et de lui confier sur place des fonctions para-étatiques, au moins au niveau de la représentation. Mais avec le temps, celles-ci se multiplient et s’étendent, et les effets s’en font sentir pendant la perestroïka : à Bakou, en Azerbaïdjan, la police, azérie, est hostile aux Arméniens ; à Erevan, elle est arménienne. Soviétisation et russification. L’injection d’un nombre croissant de cadres non russes dans le système institutionnel fédéral, à l’échelon pansoviétique, sera une constante politique. En témoignent, après Staline (géorgien) et Anastase Mikoyan (1895-1978, arménien), les fonctions occupées par Nikita Khrouchtchev (« ukrainien »), Édouard Chevardnadzé (géorgien), etc. Cette pénétration est lente, mais irréversible et ininterrompue. Toutefois, un retournement s’opère au sommet de l’appareil d’État soviétique, à partir du milieu des années 1920, notamment au Comité central du Parti où les Russes deviennent, proportionnellement, de plus en plus nombreux. Ce contraste aura son importance dans la disparition de l’URSS en 1991. La création d’une double nationalité, fédérale et nationale, ressentie par la majorité des non-Russes comme une promotion politique, est au contraire considérée comme une mesure vexatoire par les citoyens soviétiques appartenant à des nations sans territoire reconnu, notamment les Juifs. La liberté donnée à chacun de ces derniers de choisir sa propre nationalité reste fictive : s’ils se veulent juifs, ils ne peuvent être autre chose, s’ils se choisissent soviétiques, l’adoption d’une nationalité se heurte à l’hostilité ou à la réaction raciste des fonctionnaires de la nationalité choisie, en Ukraine et en Russie surtout. Cette situation suscitera la création du Birobidjan, en Sibérie orientale. Un district, devenu région autonome en 1934, où ne vivaient plus que 100 000 Juifs au moment du recensement de 1989. La soviétisation, par la loi, des Russes et des non-Russes égalise les statuts, et uniformise les formes de la culture politique, d’un bout à l’autre de l’URSS. Pourtant, avec la réaction stalinienne et les violences qui l’accompagnent, notamment à l’encontre des nations que la Seconde Guerre mondiale a mises en relation avec les Allemands (Tatars de Crimée, Ingouches, Allemands de la Volga, etc.), la soviétisation est ressentie, aussi bien en Ukraine que dans les pays baltes et en Moldavie, après la guerre, comme une reprise de la russification dans la mesure où les non-Russes deviennent rares dans le haut de la hiérarchie. La multiplication des lois communes à toute l’URSS mais pas nécessairement marquées du sceau de la Russie, est reçue comme telle, pour autant que l’égalisation des statuts peut être considérée comme la subversion des traits spécifiques à l’identité nationale. La baisse relative du nombre des mariages mixtes en pays d’islam, tout comme le refus de parler russe dans les pays baltes constitueront des manifestations de cette résistance. De son côté, le sentiment national russe finit par réagir à son tour à la lente colonisation des instances soviétiques (la radio, la télévision, etc.) par les nationalités, le sommet de l’État mis à part. Ce réveil du sentiment national grand-russe a ainsi été l’envers de la résistance des nationalités : il a été, en tous les cas, durant les années 1980, l’une des formes de l’opposition latente au régime.

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