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Nairobi. Fin de la décennie des femmes

Nairobi. Fin de la décennie des femmes Encadré : Existe-t-il encore des féministes? Nairobi, juillet 1985: on prend les mêmes et on recommence? A lire les comptes rendus de la presse occidentale sur la troisième (et peut-être dernière) conférence mondiale des Nations Unies sur les femmes, le constat de dix années d'effort international en leur faveur était affligeant. De Mexico (1975) à Nairobi, en passant par Copenhague (1980), la raison diplomatique l'aurait toujours emporté haut la main sur les intérêts spécifiques des femmes. Les points de blocage du dialogue Nord-Sud: la question palestinienne, l'apartheid sud-africain, le Nouvel ordre économique international, la dette, ont effectivement, comme d'habitude, dominé les débats de Nairobi. En définitive, on n'a abordé le problème de la situation des femmes que de façon marginale: en fin de scéances, dans les couloirs, en sous-commissions... Faut-il en conclure pour autant à l'échec de cette conférence et donc à l'impossibilité d'utiliser une plate-forme internationale comme outil de promotion pour les femmes? Ce serait sans doute aller un peu vite en besogne. Voilà longtemps déjà que tous les forums internationaux organisés par l'ONU s'enlisent dans les mêmes problèmes politiques, quel que soit le thème du débat. On voit mal pourquoi les gouvernements auraient renoncé à leur stratégie habituelle, uniquement pour le plaisir de "faire une fleur" aux femmes. Cet échec-là n'incombe donc pas à l'impossible définition, à l'échelle internationale, de politiques en faveur des femmes. Il n'est qu'une nouvelle manifestation de la crise d'identité de l'ONU et du degré d'enlisement du dialogue international. A y regarder de plus près, la rencontre de Nairobi a été plutôt moins catastrophique que les précédentes. A Mexico, comme à Copenhague, les déléguées avaient dû renvoyer à plus tard le règlement de points litigieux. Cette fois-ci, les participantes ont réussi à adopter, in extremis, à trois heures du matin, le texte sur les "Stratégies pour l'an 2000" qui constituait l'enjeu principal de la conférence de Nairobi. Ce genre de document international, indicatif et volontariste, n'a de valeur que celle que les gouvernements veulent bien lui accorder. Une mince victoire donc, mais tout de même un signe positif. En fait, il eût été absurde d'attendre des miracles de la lourde machine onusienne. Au bout de dix ans, on peut néanmoins conclure qu'au regard de la conjoncture internationale très défavorable et des moyens de pression de l'ONU (quasi nuls), elle a plutôt été efficace. 90% des États membres étaient dotés, en 1985, de structures officielles chargées de promouvoir les droits des femmes. La moitié ont été créées au cours de la décennie. En 1983, quatre-vingt-dix pays avaient adopté dans leur législation le principe "à travail égal, salaire égal" (plus des trois quarts, après 1975). En 1985, quarante-cinq pays, dont trente dans le tiers monde, offraient des conseils juridiques gratuits aux femmes pour les aider à connaître et défendre leurs droits, et soixante-cinq avaient ratifié la Convention pour l'élimination de toutes les formes de discrimination contre les femmes. Il faut pourtant se garder d'en tirer des conclusions trop optimistes. En 1980, le rapport préparatoire à la conférence de Copenhague lançait ces quelques statistiques, en guise de slogan: "La moitié de la population du monde accomplit les deux tiers du travail, perçoit un dixième des revenus et possède un centième des biens." Une dénonciation un peu sommaire, mais qui reste d'actualité. A bien des points de vue, la situation des femmes ne s'est guère améliorée. Elle a même parfois régressé, dans plusieurs pays islamiques notamment. D'une façon plus générale, la situation économique des femmes s'est plutôt dégradée, bien que les inégalités de salaires entre hommes et femmes tendent à diminuer (en 1975, une ouvrière de l'industrie gagnait, en moyenne - tous pays compris -, 70% du salaire masculin, pour un travail identique. Elle en touchait 73% en 1982). Au terme de la décennie des femmes, on peut dire à coup sûr que leur plus grande défaite réside dans leur impossibilité d'accéder à une participation accrue au pouvoir politique. A l'inverse, ce sont dans les domaines de la santé et de l'éducation que les progrès les plus rapides ont été accomplis. Les femmes ont incontestablement bénéficié des nouvelles orientations des politiques sanitaires dans le tiers monde en faveur de la prévention et des soins de santé dits "primaires", même si les femmes enceintes et les mères de famille nombreuse restent toujours une population très vulnérable à la maladie. Dans le domaine de l'éducation, les écarts entre sexes se sont réduits. Dans le tiers monde, les filles ne représentaient en 1975 que 37% des effectifs de l'enseignement secondaire. En 1985, elles occupaient 41% des places. Dans les pays développés, elles ont commencé à investir les filières techniques traditionnellement masculines, et l'image exclusive de la femme comme mère et épouse appartient au passé. Succédant à une période de rapides progrès et de remises en cause, la décennie 1975-1985 n'aura donc pas été une époque de grands bouleversements ou de consécration pour les femmes. Mais elle n'aura pas non plus été celle du grand recul promis par certains Cassandre. Ainsi, malgré la récession économique, et à la différence des crises précédentes, marquées par le reflux de l'emploi féminin, la participation des femmes à la population active est restée stable (aux alentours de 35% en 1985 tous pays compris). Ces dix années auront simplement été celles de la consolidation et de la préservation de certains acquis.

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