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MONTAIGNE Michel Eyquem de 1533-1592

MONTAIGNE Michel Eyquem de 1533-1592
1. Vie de Montaigne. -2. Le penseur. -3. L’écrivain. Moraliste, né au château de Montaigne, en Dordogne.
Vie de Montaigne
Ses ancêtres sont des négociants gascons anoblis. L’enfant est choyé ; son père se préoccupe d’élever son âme en toute douceur et liberté (exemple, souvent cité : l’éveil en musique). Un précepteur lui enseigne le latin dès le plus jeune âge ; il termine ses études à Bordeaux et fait son droit à Toulouse. De 1554 à 1571, il est magistrat : d’abord à Périgueux, puis au parlement de Bordeaux. C’est là qu’il connaît un jeune humaniste, magistrat comme lui, La Boétie, auteur du Discours de la servitude volontaire. Montaigne, longtemps après la mort de son ami, « chantera » littéralement ses louanges dans Les Essais, en particulier dans un chapitre du premier livre : « De l’amitié » (et il insère même, dans cette œuvre « philosophique », une suite de sonnets écrits par son ami): Quant à lui, son seul ouvrage durant sa magistrature est une traduction de la Theologia naturalis du théologien catalan Raymond Sebond ou de Sebonde (1569) ; travail entrepris pour complaire à son père, mais qui va jouer dans l’évolution de ses idées un rôle déterminant. (Elle [cette conception de la théologie] ne se sert point d'arguments obscurs qui aient besoin de profonds et longs discours, car elle n'argumente que par choses apparentes et connues à chacun par expérience.) En 1571, enfin, il « résigne » sa charge au parlement de Bordeaux pour mieux se consacrer aux lettres ; de fait il se retire sur ses terres et, pour l’essentiel, parmi ses livres (sa « librairie »). De 1580 à 1581, il voyage, en principe pour raisons de santé (il souffre de la gravelle depuis 1578) : aux eaux de Plombières et de Bade, mais aussi au Tyrol, à Venise, et à Rome où le Saint-Office examine la première édition de ses Essais, parue à Bordeaux l’année précédente. C’est alors qu’il apprend que sa ville natale l’a élu maire (1581) ; il sera réélu en 1583 pour deux ans encore, à l’expiration de son mandat. Une deuxième édition des Essais paraît, augmentée d’un troisième livre (à Paris cette fois, 1588). Une jeune admiratrice, Marie de Gournay, qu’il nomme sa «fille d'alliance », publiera après sa mort, aidée du poète Pierre de Brach, une nouvelle édition de l’œuvre (1595) ; mais c’est le texte de 1588, annoté de la main de l’auteur lui-même, qui fait encore autorité, le plus souvent, dans les éditions modernes des Essais.
Car ce livre en effet n’a pas cessé depuis quatre siècles d’être réédité ; et, plus encore, discuté : porté aux nues, ou fondamentalement remis en question (il fut en particulier mis à l’index en 1676). Bien plus, il advient que le même auteur, Pascal par exemple, en arrive à le louer et à le honnir tour à tour, selon l’humeur. Après tout, Montaigne lui-même n’est-il pas, de son propre aveu, ondoyant, divers, sujet à variations : Je ne puis assurer mon objet; il va, trouble et chancelant, d'une ivresse naturelle.
Le penseur
On s’accorde pourtant d’une façon presque générale, dans les manuels scolaires, à voir dans la pensée de notre auteur, et d’un livre à l’autre, une ligne bien définie, une sorte de trajectoire philosophique ; nous nous efforcerons donc ici d’exposer d’abord cette possible évolution de sa pensée, puis de discuter si un tel schéma rend bien un compte fidèle de Montaigne « penseur », et surtout de Montaigne écrivain. Sous l’influence de son jeune ami La Boétie, il est, au début de sa carrière, un admirateur de Sénèque, de Caton d’Utique (exemple : le chapitre 20 du premier livre : « Que philosopher c’est apprendre à mourir »). Puis, par étapes progressives, il abandonne l’austérité stoïcienne pour accéder à l’indifférence du sage (exemple : le chapitre ironique «Des cannibales», où se trouve mise en doute la supériorité du conquérant civilisé sur le sauvage ; ou encore le long plaidoyer du deuxième livre, chapitre 12: «Apologie de Raymond de Sebonde»)'; c’est en cette période de sa vie que, disciple de Pyrrhon le sceptique, il fait frapper à son effigie une médaille avec la devise Que sçay-je? Enfin, il va connaître une nouvelle mue qui fait de lui un chantre du plaisir, sinon de la volupté (exemple : chapitre 3 du troisième livre, « Des trois commerces », c’est-à-dire la lecture, l’amitié, l’amour). En résumé : stoïcisme, puis scepticisme, épicurisme enfin.
À ce compte, Montaigne serait un personnage bien ennuyeux, car qui ne voit que c’est là, pour l’homme le plus banal, la progression traditionnelle des trois âges : le pur et fougueux adolescent, prêt au sacrifice, qui, peu à peu, perd ses illusions à l’école de l’expérience, et enfin, sentant s’enfuir la jeunesse, ambitieux, se préoccupe de résultats positifs et poursuit, avec plus d’impatience et d’âpreté, la chasse au bonheur. Les choses, par chance, ne sont pas si simples avec un esprit comme Montaigne. Épicurien? il l’est dès l’entrée dans la carrière littéraire quand il abandonne sa charge en affirmant qu’il va désormais [se] faire particulièrement la cour. Sceptique? il l’est bien avant L'Apologie de Raymond de Sebonde : dès son premier travail, qui est la traduction de La Théologie naturelle, oeuvre de Raymond de Sebonde précisément. Quant au stoïcisme, il apparaît de place en place à tous les âges de sa vie ; notre homme sait même aller, s’il le faut, jusqu’à l’héroïsme, jusqu’à l’abnégation (mais sans enfler, comme il dit). Ainsi, dans le refus opposé à l’offre bien alléchante du roi Henri IV, qui l’appelle afin d’en faire son conseiller ; ou dans son activité de maire en pleine guerre de religion, jour et nuit par la ville en armes, ou hors la ville sur le port. Ce qui ne l’empêche pas de fuir cette même ville lorsque la peste fait périr ses concitoyens comme mouches en 1583. À vrai dire, Montaigne ne saurait se définir en termes de philosophie grecque ou latine : pour un homme de la Renaissance, la morale d’une société fondée sur l’esclavage ne pouvait prendre valeur exemplaire. Au surplus, il ne faut pas trop se fier à ses incessantes citations de « héros » et de « sages » : autorités anciennes, qu’il charge astucieusement d’apporter (par le simple artifice typographique de leur alternance avec son propre texte) leur caution rassurante à des idées en tout point nouvelles. Sur la politique par exemple :: critique du principe d’autorité, ou...