Montaigne, Les Essais, extrait des « Cannibales », chapitre 31
Question philosophique : Comment, dans le texte ci-dessous, Montaigne défend-il les sauvages du « Nouveau Monde » ?
La découverte du « Nouveau Monde » en 1492 et celle de populations jusque-là ignorées donnent l’occasion à Montaigne de s’interroger sur le sens du mot « barbare ».
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Montaigne, Les Essais, extrait des « Cannibales », chapitre 31, 1595 (extrait : orthographe modernisée)
Cannibale (Le) Si le mythe du « bon sauvage » participe de la nostalgie de l’âge d’or et d’une idéalisation de l’état de nature, le cannibale fait entrer l’Occident dans la réalité du monde primitif. Le cannibale n’est pas une fiction, c’est au départ un « effet de réel » : Jean de Léry en témoigne en 1557, et sa rencontre avec l’anthropophage « en la terre de Brésil » devance de quelques décennies les propos de Montaigne. C’est une « chose vue », une « merveille », digne de prendre place au cabinet des curiosités. Les cannibales sont bien des sauvages qui dévorent, au cours de repas rituels, la chair de leurs adversaires, nourris depuis quelques semaines pour l’occasion. Ils découpent les corps et les font rôtir sur une sorte de « grill » qu’ils nomment « boucan » et dont nous conservons le souvenir pour qualifier une fête joyeuse et bruyante : « Voilà donc ainsi que j’ay veu, comme les sauvages Amériquains font cuire la chair de leurs prisonniers prins en guerre : assavoir Boucaner, qui est une façon de rostir à nous incognue ». Montaigne en fait une fable : « Je pense qu’il y a plus de barbarie à manger un homme vivant qu’à le manger mort, [...] le faire rôtir par le menu, le faire mordre et meurtrir aux chiens et aux pourceaux [...] que de le rôtir et manger après qu’il est trépassé »1. Ce sera la fable du relativisme culturel : « chacun appelle barbarie ce qui n’est pas de son usage ». Dès lors le cannibale donne à l’Occident une leçon de relativisme des valeurs. Il devient peu à peu un véritable mythe, au point même de figurer sous forme d’épure anagrammatique dans le personnage de Caliban - « Canibal »? - dans la Tempête de Shakespeare.