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MONTAIGNE (vie et oeuvre)

Michel Eyquem de Montaigne naît en 1533 dans le Périgord. A vingt-quatre ans, il entame une carrière politique à Bordeaux. En 1568, la mort de son père le rend propriétaire et seigneur de Montaigne. En 1570, il a son premier enfant (il en aura cinq autres). En 1571, âgé de trente-huit ans, il prend la décision de se retirer des affaires publiques. En 1572, il commence à rédiger les "Essais", dont la première édition paraît en 1580. En 1581, il est élu maire de Bordeaux. Habile et actif, il est réélu en 1583. Il meurt le 13 septembre 1592, à l'âge de 59 ans. Peu de philosophes ont, tel Montaigne, fait voir un pareil attachement à la vérité, manifesté une pareille obstination à la chercher. C'est parce qu'il aimait trop la vérité qu'il ne s'est jamais autorisé à la trahir en l'enfermant dans une affirmation péremptoire et définitive.

VIE

Le temps de Montaigne est celui de formidables révolutions scientifiques, c'est le temps d'Ambroise Paré, le chirurgien, et de Copernic, l'astronome. C'est aussi celui de l'intolérance, du fanatisme et de huit guerres de religion.

Le magistrat bordelais
Michel Eyquem naît au château de Montaigne en Périgord, le 28 février 1533, dans une famille de riches négociants bordelais. Il apprend le latin avant le français, puis va au collège de Guyenne, à Bordeaux, étudie la philosophie et le droit. En 1554, il devient conseiller à la Cour des Aides de Périgueux. En 1557, il est conseiller au Parlement de Bordeaux, où il rencontrera Étienne de La Boétie, qui lui révèle, à la fois, le stoïcisme et le prix de l'amitié. En 1569, à la mort de son père, il hérite du nom et de la terre de Montaigne. En 1570, il vend sa charge de magistrat.

Le philosophe
En 1571, il se retire sur ses terres pour se consacrer à l'étude et à la réflexion. Dès 1572, il commence à rédiger les "Essais", qui sont publiés en 1580. En 1581, il est élu maire de Bordeaux. Il s'acquitte de sa tâche avec sérieux et compétence. En 1586, il retrouve le calme de son château et, en 1588, paraît une nouvelle édition des "Essais" grossie d'un troisième livre. Il meurt le 13 septembre 1592, au cours d'une messe dite devant lui.

OEUVRES

Montaigne est l'homme d'une seule oeuvre, plusieurs fois reprise et augmentée: les «Essais». Mais il a pris la matière de sa réflexion dans d'autres textes qui, s'ils n'ont pas été publiés comme tels de son Vitalisme, ont cependant une spécificité.

La Théologie naturelle de Raymond Sebond (1569)
Dans cette oeuvre, attaquée autant par les chrétiens que par les libertins, Raymond Sebond prétendait démontrer que Dieu peut être connu, sans le secours de la foi, par les seules Lumières de la raison. Dans ce contexte, la prise de position de Montaigne (qui traduit l'oeuvre en français pour la faire connaître) en dit long sur l'indépendance de sa pensée.

Apologie de Raymond Sebond (1576)
Le texte constituera le chapitre XII du livre II des "Essais". Dans ce plaidoyer en faveur de Raymond Sebond, Montaigne détruit les thèses qu'il prétend défendre. La raison humaine est déclarée infirme, mais ce réquisitoire n'a d'autre but que de lutter contre les dogmatismes en prêchant la tolérance.

Journal de voyage en Italie par la Suisse et l'Allemagne (1580-1581)
Il s'agit de notes prises pendant un voyage en Europe que Montaigne a entrepris pour «essayer les eaux» susceptibles de le guérir de la maladie de la pierre, mais aussi parce que «le voyager me semble un exercice profitable (…) [pour] se distraire et s'instruire». Le manuscrit ne sera édité qu'en 1774, après sa découverte par l'abbé de Prunis dans le château de Montaigne.

Essais (1580-1588)
Les "Essais" s'apparentent à des exercices spirituels par lesquels l'auteur, s'étant retiré en lui-même, s'examine en train de penser. «Je suis moi-même la matière de mon livre». Or, comme le remarquera Voltaire, en se peignant, Montaigne peint la nature humaine et ses contradictions, avec sa grandeur et ses faiblesses, avec ses craintes et ses illusions. Il donne ainsi une exemplaire leçon de tolérance.

EPOQUE

Les révolutions scientifiques
En 1543, Copernic publie son traité sur les Révolutions des orbes célestes où il démontre qu'il est plus rationnel de mesurer le mouvement des astres à partir du soleil pris comme centre plutôt que de considérer la terre comme le centre de l'univers. Il vient d'inventer l'astronomie moderne. En 1545, Ambroise Paré guérit le duc de Guise devant Boulogne. Il publie un ouvrage qui bouleverse la façon de soigner les blessés sur les champs de bataille. Il vient d'inventer la chirurgie moderne.

L'intolérance
En 1562 éclate la première guerre de religion. En 1572, le 24 août, c'est le massacre de la Saint-Barthélémy, auquel, selon la légende, Ambroise Paré n'échappe que parce que le roi Charles IX l'a caché dans sa garde robe. Montaigne vient de commencer la rédaction des "Essais" qui seront une formidable machine de guerre contre le fanatisme. Il ne verra cependant pas la fin de l'intolérance religieuse: l'édit de Nantes est du 13 avril 1598.

APPORTS

A redéfini la vérité et montré que ce qui compte, plutôt que la posséder, c'est la manière de la tenir ou de la chercher. Il nous propose une sagesse à notre mesure qui est toujours d'actualité.

Un scepticisme moderne Le scepticisme de Montaigne n'a rien d'une indifférence. L'art de réserver son jugement devient, avec lui, une puissance de nier, une puissance de douter qui sera le ressort de la pensée moderne. Sa méthode est une recherche de la vérité: on ne se débarrasse d'une vérité toute faite que pour faire valoir la vérité de l'esprit dans le travail de l'interrogation. Ainsi, en montrant l'impuissance de la Raison à atteindre le vrai, Montaigne établit que la condition de l'homme est condition d'ignorance et que dès lors, c'est non dans la science mais dans cette ignorance même qu'est le principe de la sagesse. Jouir de la vérité, c'est la chercher, car seule sa recherche convient à ce que nous sommes. Il faut devenir un homme capable de juger, plutôt que bardé de certitudes comme les sots.
Actualité/Postérité S'il est vrai, comme le dit Husserl, que la philosophie est «une tâche commune», Montaigne est le plus exemplaire des philosophes et nous montre, encore aujourd'hui, le chemin de la sagesse. Les "Essais" sont un remarquable travail sur la citation, où Montaigne intériorise ses lectures donnant ainsi naissance à une oeuvre philosophique singulière, rigoureusement pensée et profondément enracinée dans la communauté vivante des philosophes. En même temps, il nous rappelle que penser n'est jamais simple, que penser, c'est d'abord se demander ce qu'on pense, et qu'aucune pensée ne saurait être une dernière pensée.

MONTAIGNE Michel Eyquem, seigneur de. Né au château de Montaigne en Périgord, le 28 février 1533; mort à Bordeaux le 13 septembre 1592. Son grand-père Ramon Eyquem, riche exportateur de vins et de poissons salés, avait acquis la maison noble de Montaigne. Son père, Pierre Eyquem, après, avoir pris part aux guerres d’Italie et écrit un journal de son voyage (qui s’est perdu) avait épousé Antoinette de Louppes, riche descendante d’israélites portugais ou tolédans, les Lopez. Après la naissance de son fils Michel, il eut encore trois fils et trois filles, devint maire de Bordeaux et embellit son château avant de mourir en 1568. Montaigne fut placé en nourrice au village de Papessus. Des l’âge de deux ans il fut confié à un pédagogue allemand qui se faisait
appeler Horstanus, ne savait pas le français et, suivant une méthode que Pierre Eyquem, épris de nouveautés, avait rapportée d’Italie, éleva l’enfant en latin. « Nous nous latinisâmes tant qu’il en regorgea jusqu’aux villages tout autour plusieurs appellations latines qui ont pris pied par l’usage et qui existent encore. » il apprit ensuite le français comme une langue étrangère (la langue n’était d’ailleurs pas encore fixée et François Ier venait de l’introduire dans les actes publics). A l’âge de six ans il entra au collège de Guyenne, alors célèbre par ses professeurs, et y apprit surtout la poésie latine, ayant déjà quelque teinture de grec : « Nous pelotions nos déclinaisons à la manière de ceux qui, par certains jeux de tablier (échiquier) apprennent l’arithmétique et la géométrie. » Il suivit ensuite les cours de philosophie de la Faculté des Arts et, à cause des troubles de Bordeaux, alla étudier le droit à Toulouse où il avait des parents du côté maternel.
En 1554, Montaigne fut nommé conseiller à la cour des aides de Périgueux, et trois ans après au parlement de Bordeaux. C’est là qu’il fit la connaissance, comme étant un de ses collègues, d’Étienne de La Boétie avec qui il se lia d’une ardente amitié : « [La Servitude volontaire] me fut montrée, long espace [longtemps] avant que je l’eusse vu, et me donna la première connaissance de son nom, acheminant ainsi cette amitié que nous avons nourrie tant que Dieu a voulu, entre nous, si entière et si parfaite que certainement il ne s’en lit guère de pareilles, et entre nos hommes il ne s’en voit aucune trace en usage. Il faut tant de rencontres à la bâtir que c’est beaucoup si la fortune y arrive une fois en trois siècles. » Montaigne lut la traduction des Vies des hommes illustres de Plutarque par Amyot et fit en 1559 et 1561-1562 des voyages à la cour motivés par les troubles religieux qui le firent charger d’une mission par le parlement de Bordeaux. Peu après son retour, La Boétie mourut dans la maison de son beau-frère. En 1565 Montaigne épousa Françoise de la Chassagne, fille d’un de ses collègues, qui lui apporta sept mille livres tournois de dot. En 1568 la mort de son père le rendit propriétaire et seigneur de Montaigne, après partage de la succession, mais l’affligea beaucoup, et s’il continua de vivre dans le château, ce fut pour honorer la mémoire de son père qui y était attaché, de même qu’il porta un certain temps un manteau de son père : « Ce n’est point par commodité mais par délices; il me semble m’envelopper de lui. » Pour la même raison il acheva et publia en 1569 la traduction de la Théologie naturelle de Raimond de Sebonde qu’il avait entreprise à la prière du « meilleur père qui fut oncques ». Et l’année suivante il vint à Paris, ayant résigné sa charge au parlement de Bordeaux, pour y publier les poésies latines et les traductions de La Boétie en un volume, suivi presque aussitôt d’un supplément pour les œuvres de poésie française.
En 1570 Montaigne eut son premier enfant, suivi de cinq autres — tous moururent en bas âge sauf une fille, Léonor, qui se maria avec François de la Tour. C’est en 1571 que Montaigne prend la décision de se retirer et explique cette décision dans une inscription latine placée dans sa bibliothèque, qui peut être ainsi traduite : « L’an du Christ 1571, âgé de trente-huit ans, la veille des calendes de mars, anniversaire de sa naissance, Michel de Montaigne, las depuis longtemps déjà de sa servitude du Parlement et des charges publiques, en pleine force encore, se retira dans le sein des doctes vierges, où, en repos et sécurité, il passera les jours qui lui restent à vivre. Puisse le destin lui permettre de parfaire cette habitation, des douces retraites de ses ancêtres, qu’il a consacrées à sa liberté, à sa tranquillité, à ses loisirs ! » Une autre inscription dit à peu près : « Privé de l’ami le plus doux, le plus cher et le plus intime, et tel que notre siècle n’en a vu de meilleur, de plus docte, de plus agréable et de plus parfait, Michel de Montaigne, voulant consacrer le souvenir de ce mutuel amour par un témoignage unique de sa reconnaissance, et ne pouvant le faire de manière qui l’exprimât mieux, a voué à cette mémoire ce studieux appareil dont il fait ses délices. »
Montaigne ne pourra cependant échapper aux honneurs ni se soustraire aux charges ni s’abstenir de voyager. Charles IX, la même année, le fit gentilhomme ordinaire de la chambre du roi. De 1572 à 1574 la guerre civile éclatant après la Saint-Barthélemy et l’insurrection de La Rochelle, Montaigne dut rejoindre le duc de Montpensier, chef de l’armée catholique, en Poitou, et lui servir de messager auprès du parlement de Bordeaux. En 1572 pourtant, entouré de livres, particulièrement des Œuvres morales de Plutarque dont la traduction par Amyot venait de paraître, il avait commencé d’écrire les Essais dont le livre I est consacré surtout aux affaires militaires et politiques. En 1575, après avoir lu les Esquisses pyrrhoniennes du sceptique grec Sextus Empiricus dans l’édition latine donnée en 1562 par Henri Estienne, il fit frapper une médaille
représentant d’un côté ses armes entourées du collier de Saint-Michel et de l’autre une balance aux plateaux horizontaux avec la date (1576), son âge (quarante-deux ans) et la devise pyrrhonienne : (je suspends mon jugement). Cette même année il écrivit une partie de l'Apologie de Raimond de Sebonde — Essais. Les années suivantes, il fut fait gentilhomme de la chambre de Henri de Navarre, cependant que l’atteignirent diverses infirmités (pierre, goutte, rhumatismes) qui ne le quitteront plus désormais; néanmoins il composa la plus grande partie du livre II d’abord; puis, après une lecture attentive de César, de Bodin et surtout encore de Sénèque et de Plutarque, il écrivit les chapitres 26 et 31 du livre I, les chapitres 10 (en partie), 17 et 37 du livre II et 1’Avis au lecteur. La première édition des Essais parut en deux tomes à Bordeaux, chez Simon Millanges.
Aussitôt après, Montaigne partit pour un long voyage dont le but principal était le rétablissement de sa santé. Il passa à Paris, Meaux, Bar-le-Duc, Domrémy, prit les eaux à Plombières; puis à Thann, Mulhouse, Bâle, Baden où il prit également les eaux; Munich, Innsbruck, Vérone, Padoue, Venise où il s’arrêta une semaine; Ferrare, Florence, enfin Rome où il séjourna six mois, fut fait « citoyen romain », eut une audience de Grégoire XIII. Il revint par Florence et Pise, séjourna trois semaines aux bains de Lucques où il apprit son élection comme maire de Bordeaux pour deux ans, ce qui hâta son retour à la fin de 1581 — date à laquelle parut la deuxième édition de la Théologie naturelle de Raimond de Sebonde.
C’est en 1582 que parut la deuxième édition des Essais (livres I et II) avec corrections et additions, à Bordeaux, chez le même éditeur, mais en un seul volume in-8. Cependant l’auteur était absorbé par sa fonction et les affaires politiques. La cour de justice de Guyenne lui fit connaître des personnages importants, entre autres de Thou qui dépeint Montaigne comme un « homme franc, ennemi de toute contrainte et qui n’était entré dans aucune cabale, d’ailleurs fort instruit de nos affaires, principalement de celles de la Guyenne qu’il connaît à fond ». Puis Henri de Navarre, héritier du trône, vint passer deux jours au château de Montaigne. Entretemps, son hôte avait été réélu pour deux ans maire de Bordeaux. Il entreprit de concilier les vues de Henri de Navarre — en correspondant aussi avec la maîtresse de celui-ci, la « Belle Corisande » — et celles du maréchal de Matignon, gouverneur de la Guyenne au nom d’Henri III; et il défendit Bordeaux contre les Ligueurs. Un mois avant le terme de ses fonctions de maire la peste éclata dans la ville. Montaigne qui en était absent n’y rentra pas et essaya par des déplacements continuels de soustraire sa famille à la contagion.
L’influence de Montaigne écrivain s’étendait. Pierre Charron se déclara son disciple, en 1586; deux ans après, ce fut Mlle de Gournay. A cette époque se place la lecture des historiens comme Quinte-Curce, Tacite, et la composition du livre III des Essais ainsi que la correspondance avec Juste Lipse. La quatrième édition parut en 1588 à Paris. En s’y rendant, Montaigne fut attaqué et dévalisé par des Ligueurs masqués, mais on lui rendit ses habits, son argent et ses papiers. M1Ie de Gournay lui fit connaître, à son arrivée à Paris, « l’estime qu’elle faisait de sa personne et de ses livres » et le lendemain Montaigne alla lui rendre visite; dans le courant de l’été il passa plusieurs semaines à Gournay-sur-Aronde, en Picardie, dans la famille de sa « fille d’alliance ». Auparavant il avait accompagné Henri III dans sa retraite à Chartres et a Rouen après la « journée des barricades » ; et pour ce fait il fut retenu prisonnier à Paris à son retour mais immédiatement remis en liberté par le duc de Guise. A l’automne de la même année il assista, sans y participer, aux États Généraux de Blois où se trouvaient de Thou et Pasquier. Revenu chez lui, Montaigne se remit à la lecture et à l’étude d’auteurs anciens comme Hérodote, Tite-Live et Tacite, saint Augustin — La Cité de Dieu —, Aristote — Ethique à Nicomaque —, Cicéron, Diogène Laërce; il ne s’intéressait plus à la poésie; en revanche il parcourait de plus en plus les livres de voyages qui décrivaient les mœurs des pays lointains. Les additions apportées aux Essais en font un livre de confessions et de confidences qui révèlent l’auteur de plus en plus à lui-même. En 1590 Montaigne écrivit à Henri IV une lettre importante qui éclaire ses idées politiques. Et le nouveau roi, qui était toujours resté en relations amicales avec l’écrivain, puisque quatre ans auparavant encore il était allé dîner chez lui, lui offrit de venir auprès de lui, proposition qui fut déclinée.
Le 13 septembre 1592, à l’âge de 59 ans, Montaigne mourut au cours d’une messe dite devant lui et fut enterré dans l’église des Feuillants à Bordeaux. Sa succession fut évaluée à soixante mille livres de terres et trente mille livres de créances. En 1595 parut une édition définitive des Essais chez Langelier par Mlle de Gournay qui transcrivit, avec l’aide de la veuve de Montaigne et de Pierre de Brach, l’exemplaire qu’avait annoté Montaigne. Désormais jusqu’en 1629 rééditions et traductions se succédèrent, puis, sous l’influence de Port-Royal et de Malebranche et malgré l’avis favorable de La Bruyère, Montaigne passa de mode. A partir de 1724, date de l’édition Coste, les réimpressions reprirent. En 1774 fut publié le Journal de voyage en Italie par la Suisse et l'Allemagne découvert par l’abbé de Prunis dans le château de Montaigne et édité avec une préface et des notes par Meusnier de Querlon. En 1802 une édition parue chez Didot, grâce à Naigeon, modifia, d’après l’exemplaire autographe de Bordeaux, le texte qui avait été établi dans l’édition de Mlle de Gournay. Mais c’est seulement en 1906 que commença l’« édition municipale » décidée par la Ville de Bordeaux. Le renouveau d’intérêt pour Montaigne au XIXe siècle est dû surtout à Sainte-Beuve dont les deux premiers volumes du Port-Royal datent de 1840-1842.
Le jugement qui a été porté sur Montaigne varie naturellement selon les générations et les caractères. Il devrait être unanimement favorable puisque chacun peut trouver dans les Essais des pages qui vont dans le sens de ses opinions. C’est ainsi que Montaigne peut être considéré comme croyant ou incroyant, rationaliste ou sceptique, stoïcien ou épicurien, conservateur ou révolutionnaire. Il y a des auteurs utilisables plus que d’autres, et Montaigne fait partie des premiers. Il n’a été rejeté a priori que par ceux qui, comme les jansénistes, n’admettaient pas que l’on pût avoir des opinions flottantes ou prenant l’apparence de l’inexactitude. Les autres ont tiré parti de Montaigne et ce dernier s’y prêtait. Cependant, sous le foisonnement des idées, l’on peut très impartialement découvrir les tendances fondamentales de l’auteur et sous sa complaisance universelle sa ligne personnelle : c’est celle d’un sceptique, bien entendu, mais pas forcément d’un incroyant. D’ailleurs il appartient à une époque où l’atmosphère religieuse est telle, comme l’a marqué Lucien Febvre dans son livre sur La Religion de Rabelais, que tous les esprits sont imprégnés des dogmes chrétiens, comme au XVIIIe siècle de la religion « naturelle », au XIXe de l’idée de progrès; il suit les sceptiques anciens qui recommandent d’adopter les croyances et usages de l’époque où l’on vit; enfin l’incertitude de la raison humaine sert d’argument en faveur de la révélation faite par Dieu, comme il arrive à la même époque à beaucoup de sceptiques (par exemple Henri Estienne et Gentien Hervet, traducteurs de Sextus) — alors que plus tard les arguments de ceux qui doutent serviront contre la foi et en faveur de la raison. C’est pourquoi Gide, qui ressemble par ailleurs à Montaigne par l’intérêt passionné qu’il prend à lui-même, par le désir qu’il a de ne rien fonder que sur l’humain, le trop humain, ne donne qu’une idée approximative de celui qu’il salue comme son modèle, et il faudrait ajouter à l'Essai sur Montaigne de Gide l'Entretien avec M. de Saci sur Epictète et Montaigne de Pascal où celui-ci parle de « ce doute de soi » et de « cette ignorance qui s’ignore ». Il y a plus qu’un acquiescement même sincère chez Montaigne; une sorte de consentement spontané à l'ordre de la nature et à celui de la foi, par-delà tout raisonnement : « C’est une absolue perfection, et comme divine, de savoir jouir de son être. »




Essayiste et écrivain français (1533-1592).

• Grand écrivain, Michel Eyquem de Montaigne est aussi un grand philosophe, en raison non pas tant de l’art de vivre qu’il défend -largement emprunté aux sagesses antiques - que de l’analyse pénétrante qu’il fait de « l’humaine condition » à partir de l’examen de son propre moi. • Sceptique (« Que sais-je ? » était sa devise), Montaigne dénonce la vanité de notre raison, qui échoue à nous faire connaître le vrai, le juste et le bien. Face à la diversité des croyances et des coutumes, l’homme doit donc fuir tout dogmatisme et se montrer tolérant. • Le tragique de la condition humaine réside dans l’insécurité et l’incertitude de notre existence : hantés par la crainte de la mort, nous sommes jetés dans un monde où tout n’est qu’apparences changeantes et fuyantes, « coulant et roulant sans cesse ». • Pour atteindre malgré tout le bonheur, entendu ici comme un accord complice avec la nature, l’homme doit apprendre à se gouverner et à jouir avec loyauté du temps qui lui est imparti. Ainsi, par la « préméditation » (ou pensée constante) de la mort, il peut faire tomber son masque effroyable et la voir telle qu’elle est, c’est-à-dire comme « le saut du mal être au non-être ». Principales œuvres : Essais (1580, 1588 et 1595).

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