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Monique Wittig

Monique Wittig a publié son premier roman en 1964 et participe activement aux mouvements féministes. Depuis L ’Opoponax Monique Wittig poursuit une double recherche : dire les différences : celles de l’enfance, de la féminité, du saphisme, et inventer, parler le langage de ces différences. Ce qu’elle exclut d’entrée de jeu, c’est l’écriture codifiée, apprise, transmise par une littérature dont toutes les références sont masculines, où le « je » sous son apparence neutre, asexuée, adopte toujours les formes du discours masculin. Par « masculin » elle désigne le mâle adulte, maître du langage et des institutions. Le petit garçon qui au début de L’Opoponax se promène dans la cour en disant « qui veut voir ma quéquète ? » parle encore le langage de la spontanéité, celui de l’enfance. Ce roman a pour fonction moins de raconter des histoires d’enfant, encore moins de peindre l’enfance de l’extérieur, que de retrouver le langage neuf, inventif, imagé, non encore plié aux moules de la rationalisation et de la morale ni traversé par l’hypocrisie liée à la séparation, à la guerre des sexes (le sexe est encore pris dans un grand jeu lié à l’éveil de la curiosité), qui est le langage de l’enfance, celui par quoi l’enfance exprime sa relation directe au monde et à elle-même. Des Guérillères à Brouillon pour un dictionnaire des amantes, Monique Wittig fait plus que l’inventaire du monde féminin, monde clos sur lui-même avec la célébration du corps lesbien et de l’aventure des Amazones («au commencement, s’il y a jamais eu un commencement, toutes les amantes s’appelaient des amazones »)., mais ouvert sur l’expérience gourmande des choses, des plaisirs et des fables, elle affirme son autonomie, sa singularité : Les Guérillères content symboliquement sa rébellion, sa guerre d’indépendance contre le monde masculin. Surtout elle veut donner à la féminité une langue telle qu’un texte puisse apparaître immédiatement comme féminin. A cette distinction participent dans Les Guérillères l'emploi du féminin pluriel comme signe d’une communauté de sexe, et dans Le Corps lesbien les barres qui traversent tous les pronoms à la première personne (j/e, m/on, m/a, m/oi...) et qui autant que la découverte jusqu’à l’ivresse et l’épuisement du corps et de ses secrets, signent, scellent la féminité. Et après la langue, c’est tout le savoir et l’imaginaire de la féminité que Monique Wittig met en ordre dans Brouillon pour un dictionnaire des amantes.


WITTIG Monique 1935 Romancière, née à Dannemarie, Haut-Rhin. Son premier roman, L’Opoponax, prix Médicis 1964, a laissé une forte impression : par son écriture (ainsi, le parti pris d’employer partout le pronom personnel on) et aussi par son décor. Plus encore, par son sujet : l’enfant (et vu, par l’auteur, non pas en tant que mère, mais pour lui-même), enfin par son parler libéré, cynique à l’occasion ; son mode de pensée prérationnel (et ce, bien au-delà de l’âge dit de raison). Elle observe cet esprit au nom (et au profit) de sa recherche sur la femme. Qui sera, dès lors, son sujet unique. Résolument féministe (Les Guérillères, 1969, montent en ligne pour la guerre de la libération, la « décolonisation » de leur sexe), elle ne se laisse pas intimider par la pieuse mise en garde de l’homme, selon quoi le féminisme, au degré « militant », tuera la féminité : l’amour « patriarcal » ou bien la mort de l’amour. Sa réponse est simple : Le Corps lesbien (1973) ; or ce roman, qui chante la fête des corps plus unis que jamais, est aussi une fête du langage (un couple ainsi conçu n’a que faire du pluriel et il ne pense pas nous, notre, mais «j/e », « m/ a »...). La femme doit chercher - et elle découvrira - sa pensée propre, profonde, vraie ; le timbre et les inflexions naturelles de sa voix, ses mots à elle (Brouillon pour un dictionnaire des amantes, 1976). Le plaisir et les jeux (ainsi considérés) du corps lesbien sont, bien sûr, savoureux en eux-mêmes, joyeux ; une fin en soi ; mais aussi un moyen : comment la femme pourrait-elle, autrement, poursuivre la quête de son âme? De son « identité » ? Car ce n’est pas ailleurs qu’elle en trouvera la clé, nous dit Monique Wittig : pas chez l’homme, à coup sûr.