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MOLIERE Jean-Baptiste Poquelin, dit

MOLIERE Jean-Baptiste Poquelin, dit 1622-1673

On a tout dit et tout écrit sur Molière, son enfance au contact des bateleurs de Pont-Neuf, sa décision de devenir comédien, ses tournées, ses débuts d’auteur (L’Etourdi ou les Contretemps en 1655), le succès enfin, les cabales et sa mort à peine sorti de scène. Ce qu’il n’est pas inutile de répéter, c’est qu’il est le plus grand poète comique français et que ses grandes pièces (celles en vers notamment: L’Ecole des Femmes, L’Avare, Don Juan, Les Précieuses ridicules, Tartuffe, etc...) outre leur force comique mais aussi dramatique, prouvent un génie poétique hors du commun.

Jean-Baptiste Poquelin, fils d'un tapissier honoraire du roi, bourgeois aisé, est baptisé le 15 janvier 1622. Il est éduqué chez les jésuites dans le meilleur collège de France avant d'entreprendre des études de droit et de se préparer à recueillir la charge de son père. Mais il rencontre Madeleine Béjart. Elle a 30 ans, il en a 20. Avec elle il fonde en 1643 la troupe de l'Illustre-Théâtre et renonce à la succession paternelle. Responsable de la troupe, il prend le nom de Molière en août 1644 et part pour la province où il tournera treize années, jouant des tragédies, composant des comédies aujourd'hui perdues, et apprendra les ressorts du théâtre et de la nature humaine. En 1658, sous le patronage du frère du roi, il donne devant Louis XIV Nicomède, une tragédie qui ennuie le souverain, et Le Docteur amoureux, une comédie qui le fait rire aux éclats. Sa Majesté autorise la troupe à s'installer à Paris, où elle joue des tragédies de Corneille qui remportent moins de succès que les comédies écrites par Molière : ainsi Les Précieuses ridicules (1659) sont-elles un triomphe. Suivent Sganarelle (où Molière s'inspire de la commedia dell'arte) puis L'École des maris, L'Amour médecin... Sa troupe s'est installée salle du Palais-Royal, l'actuelle Comédie-Française. En 1662, il épouse Armande Béjart, la fille de Madeleine. Pour elle, il écrira ses plus beaux rôles féminins. Ses succès, notamment avec L'École des femmes (1662), font des envieux. On l'accuse d'obscénité, on l'attaque sur sa vie privée. La réplique du roi, qui pensionne Molière, est cinglante : il décide d'être le parrain de Louis, fils de Molière et d'Armande Béjart, en février 1664. La Cour se tait, puisque Molière a la faveur du roi, qu'il amuse. Mais le roi vieillit et se rapproche du parti dévot. Il retire, devant le mécontentement de la Cour, son soutien à Molière et interdit Tartuffe en 1664. Triste symbole : Louis, le petit filleul royal, meurt la même année. La pièce Dom Juan, l'année suivante, doit être retirée de l'affiche avant que le roi ne l'ait vue. Molière tombe malade et écrit, rendu amer par ces épreuves. Le Misanthrope (1666). En 1667, il parvient à faire rejouer Tartuffe. La pièce est aussitôt interdite. L'archevêque de Paris menace d'excommunication ceux qui représenteront, liront ou écouteront la pièce. Le roi, le 5 février 1669, l'autorise pourtant : c'est un triomphe. Mais Molière, usé par les tracas, les cabales injustes et les ennuis de santé reste profondément blessé. Sa vie conjugale est un échec. Armande lui est infidèle. Sa troupe ne lui témoigne pas toujours l'affection et les égards qu'il mérite. Il pardonne. Nouveaux triomphes, en 1670 avec Le Bourgeois gentilhomme, en 1672 avec Les Femmes savantes. Molière le saltimbanque devient riche : il a une écurie, se déplace en chaise à porteurs... Mais la mort guette : c'est d'abord Madeleine Béjart, la vieille maîtresse,-mère d'Armande, complice de ses débuts qui s'en va. Puis Pierre, un fils qui ne vit qu'un mois. Écarté de la Cour par Lulli, rongé par la maladie (sans doute la tuberculose), Molière monte Le Malade imaginaire. Le public, qui lui est resté fidèle, accourt le 17 février 1673. Bien qu'épuisé, Molière refuse d'annuler la représentation. À la fin du spectacle, il est pris de convulsions. Transporté chez lui, il y meurt dans la nuit, Armande à son chevet. L'Église, qui ne lui a jamais pardonné, refuse qu'il soit enterré dans un cimetière chrétien. Il faut que Louis XIV intervienne pour que le plus grand auteur comique de la littérature française soit enfin inhumé dans un endroit réservé aux non-baptisés. Molière a su mettre en relief les caractères profonds de la nature humaine. Il recherchait d'abord l'effet scénique, mais, à la situation comique, il savait ajouter la vérité de la vie et la fantaisie poétique, avec, toujours, une grande sûreté d'écriture.

MOLIÈRE (Jean-Baptiste Poquelin, dit). Comédien et auteur dramatique, le plus grand poète comique français, né et mort à Paris (15 janvier 1622 — 17 février 1673). Fils d’un riche tapissier du quartier des Halles, Jean-Baptiste Poquelin perdit sa mère, Marie Cressé, à l’âge de dix ans. Un prompt remariage laissa son père veuf pour la seconde fois en 1636. Poquelin père avait acheté une charge de tapissier de la cour qui donnait droit au titre de valet de chambre du Roi, et comptait en assurer la survivance à son fils. Aussi lui fit-il faire de solides études au collège, récemment ouvert par les jésuites dans le quartier Latin, dit Collège de Clermont. Il y manifesta des dispositions pour les lettres et la philosophie, avec une tendance indépendante qui le fit fréquenter le cercle peu orthodoxe de Gassendi. Il semble qu’il ait poussé ses études jusqu’à une licence en droit. Mais bientôt, il déçoit l’ambition paternelle, renonce à la survivance projetée, et se jette dans le théâtre, profession alors très décriée. Il s’est lié avec une famille de comédiens, les Béjart, sans doute par amour pour l’aînée, Madeleine, brillante et déjà connue, et il s’associe à eux, en 1643, pour fonder une troupe : « L’Illustre Théâtre », dont les débuts parisiens se soldent, à la fin de 1645, par un échec définitif. Les embarras financiers de la troupe ont conduit Molière (il a pris ce nom dès 1644) jusqu’à la prison pour dettes, pendant vingt-quatre heures. Avec Madeleine, qui est sa maîtresse et la vraie directrice de la troupe, il décide d’entraîner leurs camarades à travers la province. Leur existence errante, d’abord précaire, puis assez rapidement plus prospère, va durer treize ans, pendant lesquels Molière va mûrir sa triple expérience d’acteur, de chef de troupe, et d’auteur. Il essaie sa verve, en demi-improvisation, sur des canevas passe-partout, développant les personnages qui lui sont le plus favorables : les philosophes à l’éloquence parodique, les jaloux remuants, les docteurs improvisés — v. La Jalousie du barbouillé , Le Médecin volant — sans renoncer encore aux héros tragiques, objets de ses premières rêves, et prend conscience de ses vrais dons d’acteur, et des effets comiques qu’il en peut tirer. Son succès grandissant, son intelligence et sa culture lui donnent la suprématie sur ses camarades, et lui valent toutes les responsabilités d’un directeur, avec les incessants débats qu’elles comportent, au-dedans et au-dehors. On trouve trace de son passage un peu partout en France (sauf dans les provinces picardes où l’on se battait alors). Nantes, Bordeaux, Angoulême, Toulouse, Grenoble comptent parmi ses étapes. Mais il semble avoir fait de durables séjours à Lyon où il risqua ses débuts de véritable écrivain avec une adaptation en cinq actes en vers de l'Inavvertito italien : L’Étourdi ou les contretemps en 1655. A Pézenas, où le prince de Conti l’accueille à deux reprises, il donne en 1656 sa seconde comédie, Le Dépit amoureux , et déjà s’y mêlent, au canevas italien original, des types dont les noms et la verve sont nettement français. Enfin, en 1658, après un passage à Rouen, sa réputation d’excellent acteur comique a gagné Paris. Il obtient que sa troupe soit dévolue au jeune duc d’Anjou, frère du Roi, et débute au Louvre devant les deux princes et toute la cour, le 24 octobre. L’interprétation de Nicomède — toujours l’ambition tragique — ne lui est pas favorable. Mais il sauve tout par son brio et son invention dans une petite farce : Le Docteur amoureux. Le Roi permet son installation dans une dépendance du Louvre, la salle du Petit-Bourbon, où la troupe de Molière alternera avec la troupe, déjà installée, des Comédiens-Italiens de l’illustre Scaramouche. Gêné par une voix inégale qu’avaient encore malmenée ses essais dans la tragédie, mais prompt d’humeur et de mouvement, avec un visage mobile et le goût de l’animation scénique, Molière se sentait peu de chances dans le style puissamment oratoire des comédiens officiels de l’Hôtel de Bourgogne. Par contre, la vivacité italienne le conquit, et le fit pendant quelque temps disciple de Scaramouche, au point de copier trait pour trait sa « tête » et ses jeux de physionomie. Ses débuts à Paris — et sa réussite éclatante — furent avant tout ceux d’un amuseur dont le style plaît parce qu’il rompt avec la routine. Le Louis XIV qui l’agrée, et dont il dépend plus réellement que de son frère, a tout juste vingt ans. Une génération nouvelle, autour de lui, va affirmer ses goûts, en opposition plus ou moins nuancée avec ceux de la génération précédente, et d’autant plus nettement que le Roi va consolider et développer son gouvernement personnel. De cette vogue subite de Molière, les recettes de l’Hôtel de Bourgogne pâtissent : la querelle de boutique est déjà née entre les deux troupes. Molière mettra le feu aux poudres avec les épigrammes qu’il leur décochera dans les Précieuses Ridicules (1659). Il surgit à Paris avec l’imprudente combativité d’un auteur-directeur d’avant-garde, travaillant pour un public jeune. Le piquant de la situation est qu’il a trente-sept ans, et qu’il sait à fond ses trois métiers d’acteur, de directeur et d’écrivain. Le favori des jeunes possède, sous son humeur impétueuse, un jugement grave et un esprit mûr, le farceur cache un philosophe, le débutant est un maître. Il soutient et justifie son succès en 1660 avec Sganarelle ou le cocu imaginaire , et le développe en 1661 avec L’Ecole des maris . Aussi est-ce lui — et non les comédiens officiels — que Fouquet appelle au château de Vaux, pour la fête dont il veut éblouir le Roi. Commande somptueuse, mais presque inexécutable, de trois actes en vers, coupés de ballets : Les Fâcheux , qui seront écrits, appris, répétés et joués en quinze jours. Confiant dans le prestige de ses récents succès, Molière a essayé, au Petit-Bourbon, d’aborder le genre noble, avec une comédie héroïque : Don Garde de Navarre ou le prince jaloux . Doubleéchec d’auteur et d’interprète : il lui faut revenir au franc comique. Ce n’est pas de gaieté de cœur. Il épouse, à l’automne 1662, une soi-disant sœur de Madeleine Béjart — peut-être une fille non avouée. La disproportion d’âge et le caractère pour le moins frivole de la jeune Armande vaudront à Molière bien des chagrins domestiques, et fourniront à ses ennemis de cruelles armes contre lui. A la fin de cette même année, reprenant, approfondissant et enrichissant les personnages de L’Ecole des maris, il donne son premier grand chef-d’œuvre : L’Ecole des femmes. Succès considérable, sanctionné par l’adhésion enthousiaste du jeune Boileau — il a tout juste vingt-cinq ans — qui ne cessera plus de le soutenir et de combattre à ses côtés. Mais ce même succès provoque une cabale hostile dont le centre est la troupe de l’Hôtel de Bourgogne, mobilisant ses auteurs, ses protecteurs de cour, et ses colporteurs de perfidies. Aux accusations de scurrilité et de gauloiserie, Molière riposte par la Critique de l’Ecole des femmes, dès le début 1663. Ses ennemis redoublent, dénoncent le sermon d’Arnolphe comme une offense à la religion, puis s’attaquent à sa vie privée : Monfleury, comédien de l’Hôtel de Bourgogne, présente un mémoire au Roi signalant que Molière vient d’épouser la fille de son ancienne maîtresse, et cela en termes assez ambigus pour laisser place au soupçon d’inceste... « Mais Monfleury n’est point écouté à la cour», écrira Racine en relatant l’incident. En effet, en octobre 1663, le Roi convie pour la première fois la cour à séjourner une semaine au château de Versailles, dont les aménagements et agrandissements ont été entrepris deux ans plus tôt. Et Molière aura loisir — et sans doute mandat — de s’y affirmer publiquement comme protégé du Roi, puisqu’il produira pendant les fêtes cet Impromptu de Versailles où il redoublera de violence contre ses détracteurs. Quand naîtra — en 1664 —le premier enfant de ce mariage que l’on veut scandaleux, il sera filleul du Roi. Et après le divertissement du Mariage forcé pour les jours gras au Louvre, ce sera, en mai, l’immense entreprise des Plaisirs de l’île enchantée , à Versailles de nouveau. Des à-propos, des cavalcades d’apparat sur animaux exotiques, une grande pièce à divertissements : La Princesse d’Elide . Molière et ses comédiens, Lulli et ses instruments, Vigarani et ses machinistes doivent pourvoir à tout. Au cœur de ce somptueux tourbillon — et aussi au cœur du château — Molière risque la plus dangereuse bataille de sa vie : Tartuffe . Il y a été encouragé, et peut-être incité, par le Roi lui-même. Le très puissant Parti austère et ultramontain animé par invisible Compagnie du Saint-Sacrement, et que l’opinion désignait sous le nom de Cabale des Dévots, avait causé plus d’un déboire jadis à Molière en proscrivant, ici ou là, les spectacles; et, plus récemment, les insinuations parties de l’Hôtel de Bourgogne avaient trouvé dans la Cabale un écho retentissant et un solide appui. Ses intrigants et ses arrivistes faisaient plus d’éclat que ses saints (car elle eut des saints) et prêtaient le flanc à la satire. Parallèlement, elle avait gêné le Roi, non seulement dans ses plaisirs, mais dans plus d’une affaire politique importante. L’indignation de Molière se trouvait ainsi utile au gouvernement. Le Roi, enchanté de la lecture préalable qu’il lui fit, quelques semaines avant les fêtes, lui donna carte blanche. La Compagnie, avertie de ce premier succès, mobilisa toutes ses forces, et fut assez habile et assez redoutable pour effrayer le Roi, dès le lendemain des fêtes, sur les conséquences d’une représentation publique. Le Roi dut céder et laisser pratiquement interdire une pièce qu’il avait auparavant encouragée. Déception angoissée de Molière : non seulement cet apparent désaveu diminuait son autorité dans la polémique, mais, privé de cette nouveauté, son théâtre risquait de péricliter. En vain multiplie-t-il démarches, tentatives et placets; en vain ses protecteurs, Condé, Henriette d’Angleterre, belle-sœur du Roi, le convient-ils à de brillantes lectures de la pièce. Le Roi, malgré sans doute sa volonté intime, devra louvoyer pendant cinq ans, tout en lui prodiguant d’ostensibles témoignages de bienveillance. Molière enfiévré hausse le ton : la trame du Don Juan ou le festin de pierre qu’il donne en hâte en 1665, est comme trouée, en deux endroits, par de terribles diatribes contre l’hypocrisie et la cabale. Redoublement de scandale. La bataille a son écho dans Le Misanthrope (1666). Le « franc scélérat », adversaire d’Alceste, c’est encore l’Hypocrite, et la dangereuse prude Arsinoé en est la réplique féminine. Quant au procès que plaide Alceste, c’est celui même de Molière devant l’opinion, c’est la requête toujours vaine de jouer Tartuffe. La bataille durera jusqu’en 1669 — jusqu’au moment où Colbert aura enfin réussi à abattre et disperser la Compagnie du Saint-Sacrement. La représentation de Tartuffe, enfin autorisée, sera la manifestation publique de cette victoire politique secrète. Mais la lutte aura miné les forces de Molière : en avril 1667 il est tombé dangereusement malade — un mal de poitrine qui semble avoir été une pleurésie et qui l’a tenu plusieurs mois loin de la scène. Après le ravissant Amphitryon , il ne donnera plus, jusqu’à la veille de sa mort, que des œuvres rapidement écrites, où cependant la griffe magistrale s’inscrit à maint endroit : George Dandin pour Versailles et L’Avare (1668); Monsieur de Pourceaugnac (1669) pour Chambord; Le Bourgeois gentilhomme (1670), encore pour Chambord; le premier acte de Psyché (1671) que Corneille dut achever. Ses amis ont voulu le persuader de se ménager, de se consacrer uniquement à sa tâche d’auteur, d’abandonner ce métier de comédien qui le déconsidère socialement, et qui, physiquement, altère sa santé déjà compromise. Il s’est récrié : « Vous n’y songez pas... Il y a un honneur pour moi à ne pas quitter... » Encore un chef-d’œuvre accompli : Les Femmes savantes (1672). Les tristesses se multiplient autour de lui. Des trois enfants que lui a donnés Armande à travers ruptures et réconciliations, deux sont morts; Madeleine Béjart, demeurée fidèle et vaillante amie, meurt aussi cette même année; Lulli, son collaborateur des comédies-ballets depuis Le Mariage forcé, se prépare à confisquer à son seul profit la faveur royale. Enfin la maladie pulmonaire s’est installée avec sa fièvre, son amaigrissement, sa toux — et même les crachements de sang. Après Les Fourberies de Scapin (1671), brillant retour aux canevas italiens de ses débuts, il songe à préparer la comédie-ballet que la cour réclame ordinairement pour le Carnaval. Il se méfie de ses forces déclinantes : comment tricher pour conduire la pièce et lui donner son mouvement, ainsi qu'il fait toujours, et ne pas s’exposer aux changements de costumes harassants (Pourceaugnac, Le Bourgeois gentilhomme) ni aux courses épuisantes ? Il jouera tel qu’il est, dans son fauteuil, en pantoufles et houppelande, sans justaucorps galonné, sans perruque étouffante. Simple et géniale tricherie : le malade vrai sera un Malade imaginaire (1673)... La pièce est montée brillamment. Lulli défaillant, on commande la partition à Charpentier; on fait des costumes somptueux, on augmente le luminaire, on engage des musiciens, des danseurs, des laquais supplémentaires pour le service de scène. La gratification de la Cour amortira une grande partie de ces frais, comme de coutume... Le temps passe... Le Roi, circonvenu par Lulli, ne demande pas à Molière son divertissement annuel. On ne peut compter que sur les représentations de la ville pour équilibrer ces lourdes dépenses. Et Molière est atteint d’un redoublement de son mal. Le matin de la troisième représentation, ses proches, effrayés de son état, le conjurent de faire relâche. Il répond selon la solidarité du théâtre : « Vous n’y pensez pas... Il y a cinquante pauvres gens qui attendent après la recette pour vivre... » Il joue; une convulsion tord son visage pendant la cérémonie bouffonne, on le ramène en hâte chez lui — où quelques heures plus tard, une violente hémoptysie l’emporte. Il s’est tué pour assurer la recette : il est mort en comédien, comme il a vécu. On sait le drame de ses obsèques. L’Église — quand elle jugeait devoir être sévère — exigeait la renonciation au métier d’acteur pour accorder les sacrements et l’enterrement religieux. Par une série de malentendus obscurs, où il n’est pas impossible que la rancune contre l’auteur de Tartuffe ait eu sa part, la servante ne put ramener un prêtre qu’à sa troisième démarche à Saint-Eustache, et il arriva trop tard. Il fallut qu’Armande allât se jeter aux pieds du Roi, accompagnée du curé d’Auteuil, et qu’on invoquât le témoignage des deux religieuses quêteuses de carême que Molière hébergeait à ce moment, et qui l’avaient assisté jusqu’à la fin. Le Roi imposa un minimum d’enterrement chrétien qui, même discret et presque furtif, manqua causer de bizarres remous dans la foule qu’Armande calma par une distribution d’argent. Quand le cimetière Saint-Joseph, rue Montmartre, fut désaffecté, à la Révolution, on voulut sauver les restes de Molière. Mais les précisions d’emplacement étaient contradictoires, et il est très peu probable que les ossements qui sont actuellement au Père-Lachaise, non plus que la mâchoire qui fut alors donnée à la Comédie-Française, soient authentiquement ceux du grand homme. Son œuvre demeure trop vivante, et d’un rayonnement universel trop assuré pour qu’aucun commentaire relatif à telle ou telle de ses pièces apparaisse ici nécessaire. On a essayé simplement d’y esquisser la carrière de Molière, homme de combat dont l’inspiration fut sans cesse nourrie des pâtures diverses offertes ou imposées par l’actualité, et aussi des exigences particulières à ce métier de comédien qu’il ne voulut jamais abandonner.

MOLIÈRE, Jean-Baptiste Poquelin, dit (Paris, 1622-id., 1673). Auteur dramatique. À la fois auteur, acteur, metteur en scène et directeur de troupe, Molière, protégé par Louis XIV, rénova les lois du genre classique. Ses personnages, observés avec une liberté et une hardiesse impitoyables, sont restés des archétypes, vivant désormais hors de leur temps. Fils d'un tapissier ordinaire du roi, il fit des études de droit avant de se consacrer entièrement à sa passion du théâtre. Il créa avec une famille de comédiens, les Béjart, la troupe de l'« Illustre Théâtre » (1643) et prit sur scène le nom de Molière. Durant 15 ans (1643-1658), il parcourut la province à la tête de sa troupe, rejointe par des comédiens ambulants et fit jouer sous la protection de personnages éminents comme le duc d'Épernon et le prince de Conti, ses premières comédies d'inspiration italienne. Rentré à Paris, soutenu par Monsieur, frère du roi, Molière installa sa troupe au Palais-Royal et connut d'emblée la gloire, donnant pour le public de Paris et les divertissements de la cour de nombreuses pièces en vers ou en prose. Malgré la protection de Louis XIV, il dut faire face à de nombreuses attaques (jalousie des comédiens de l'Hôtel de Bourgogne, hostilité du parti des dévots). Molière mourut sur scène après la quatrième représentation du Malade imaginaire. On peut citer parmi les 30 comédies qu'il écrivit : Les Précieuses ridicules (1659), L'École des femmes (1662), Dom Juan (1665), Le Misanthrope, Le Médecin malgré lui (1666), L'Avare (1668), Tartuffe (1669), Le Bourgeois gentilhomme (1670), Les Fourberies de Scapin (1671), Les Femmes savantes (1672) et Le Malade imaginaire (1673). Louis XIV, en hommage posthume à Molière, avait ordonné la fusion de la troupe de Molière avec celle de l'Hôtel de Bourgogne, créant la Comédie-Française, la « Maison de Molière ». Voir Classicisme.



XVIIe siècle

. ♦ « Que tu ris agréablement / Que tu badines savamment... / Ta muse avec utilité / Dit plaisamment la vérité : / Chacun profite à ton école, / Tout en est beau, tout en est bon. / Et ta plus burlesque parole / Est souvent un docte sermon. » Boileau, 1663. ♦ « Étudiez la cour et connaissez la ville; / L'une et l'autre est toujours en modèles fertile. / C'est par là que Molière illustrant ses écrits / Peut-être de son art eût remporté le prix, / Si, moins ami du peuple, en ses doctes peintures, / II n 'eût point fait souvent grimacer ses figures, / Quitté, pour le bouffon, l'agréable et le fin, / Et sans honte à Térence allié Tabarin. / Dans ce sac ridicule où Scapin s'enveloppe, / Je ne reconnais plus l'auteur du Misanthrope. » Boileau, 1674. ♦ « Molière a pris les anciens pour modèles; inimitable à ceux qu'il a imités s'ils vivaient encore. » Saint-Évremond. ♦ « Il n’a pas manqué à Molière que d'éviter le jargon et le barbarisme et d'écrire purement : quel feu, quelle naïveté, quelle source de la bonne plaisanterie, quelle imitation des mœurs, quelles images, et quel fléau du ridicule... » La Bruyere. ♦ « La postérité saura peut-être la fin de ce poète-comédien qui, en jouant son Malade imaginaire..., reçut la dernière atteinte de la maladie dont il mourut peu d'heures après, et passa des plaisanteries du théâtre parmi lesquelles il rendit presque le dernier soupir, au tribunal de celui qui dit : Malheur à vous qui riez, car vous pleurerez. » Bossuet. XVIIIe siècle ♦ « Il faut avouer que Molière a tiré la comédie du chaos, ainsi que Corneille en a tiré la tragédie; et que les Français ont été supérieurs en ce point à tous les peuples de la terre. Molière avait d’ailleurs une autre sorte de mérite, que ni Corneille, ni Racine, ni Boileau, ni La Fontaine, n'avaient pas : il était philosophe, et il l'était dans la théorie et dans la pratique. » Voltaire. ♦ « Molière est le plus parfait auteur comique dont les ouvrages nous soient connus : mais qui peut disconvenir... que le théâtre de ce même Molière, des talents duquel je suis l’admirateur plus que personne, ne soit une école de vices et de mauvaises mœurs, plus dangereuse que les livres mêmes où l'on fait profession de les enseigner?» J.-J, Rousseau. XIXe siècle ♦ « Un homme inimitable... » Napoléon. ♦ « Molière est inférieur à Aristophane... La comédie de Molière est trop imbibée de satire pour me donner souvent la sensation du rire gai, si je puis parler ainsi. » Stendhal. ♦ « L’observation donne Sedaine. L'observation plus l’imagination, donne Molière. L’observation plus l'imagination, plus l’intuition, donne Shakespeare. » Victor Hugo. ♦ « S’il était possible de corriger entièrement les hommes en les faisant rougir de leurs ridicules, de leurs défauts et de leurs vices, quelle société parfaite n’eût pas fondée ce législateur sublime. » Honoré de Balzac. ♦ « Aimer Molière..., j'entends l'aimer sincèrement et de tout son cœur, c 'est, savez-vous ? avoir une garantie de soi contre bien des défauts, bien des travers et des vices d’esprit. » Sainte-Beuve. ♦ « Dans la comédie moderne..., une foule de productions comiques tombent dans la simple plaisanterie prosaïque, et même prennent un ton âcre et repoussant. Molière, en particulier, dans celles de ses fines comédies qui ne sont nullement des farces, est dans ce cas. Le prosaïque, ici, consiste en ce que les personnages prennent leur but au sérieux avec une sorte d'âpreté. Ils le poursuivent avec toute l’ardeur de ce sérieux. Aussi lorsqu'à la fin, ils sont déçus ou déconfits par leur faute, ils ne peuvent rire comme les autres, libres et satisfaits. Ils sont simplement les objets d'un rire étranger, ou la plupart du temps maltraités. » Hegel. XXe siècle ♦ « Le Molière aigu, le Molière oppressé, le profond Molière que nous rejoignons à travers les comédies, les ballets et les farces, relève le défi de Pascal. Il ose parier contre Pascal. Ce n'est pas qu’il nie le surnaturel; mais il refuse d’en être occupé et trouve comique l’homme qui a souci de son âme... Molière ne veut connaître que son instinct, un instinct que bride seulement la peur du ridicule. C’est cela qu’il appelle la nature. » François Mauriac. ♦ « Molière a écrit un ballet dont le titre illustre sa vision de la vie : le Ballet des incompatibles... » Ramon Fernandez.

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