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MICHELET (JULES)

MICHELET (JULES)
Historien et écrivain français né à Paris en 1798, il enseigne à l'École normale supérieure. Après la révolution de 1830, il est chef de la section historique aux Archives (1831) puis suppléant de Guizot à la Sorbonne (1834) et professeur au Collège de France. Il est déjà l'auteur des Tableaux chronologiques d'histoire de France (1825), d'un Précis d'histoire moderne (1826) et d'une Histoire romaine (1831). Aux approches de la révolution de 1848, sous l'influence de Quinet, il s'attaque aux tendances réactionnaires de Guizot et aux idées ultramontaines de Montalembert et de Veuillot. Paraissent l'Étude sur les jésuites (1843), Le Prêtre, la femme, la famille (1844), Le Livre du peuple (1846). En 1847, il écrit son Histoire de la Révolution française. Le coup d'État de 1851 le chasse de sa chaire du Collège de France et lui fait perdre sa place aux Archives : il a refusé de prêter serment au pouvoir impérial. Il achève alors sa grande Histoire de France commencée en 1833 et publie L'Oiseau (1856), L'Insecte (1857), L'Amour (1858), La Femme (1859), La Mer (1861), La Sorcière (1862), livre saisi en France. Il meurt à Hyères en 1874. Son corps est ramené à Paris le 27 mai 1876.
MICHELET Jules. Historien et écrivain français. Né à Paris le 21 août-1798, mort à Hyères le 9 février 1874. La petite enfance de Michelet, l’état d’esprit de ceux qui l’entourèrent marquèrent de manière ineffaçable toute sa vie. Le lieu même de sa naissance semble un symbole : Jules Michelet est né dans le chœur d’une église désaffectée pendant la Révolution. C est là que vivait et travaillait son père issu d’une famille d’artisans de Laon, Furcy Michelet, voltairien et républicain, employé à l’imprimerie Nationale pendant la Terreur, plus tard établi à son compte, bientôt ruiné par les lois sur la presse de l’Empire. Bien que la misère régnât dans son foyer, Furcy Michelet tenait à ce que son fils reçût une éducation complète. Pour ce faire, il fallait que l’enfant aidât son père dans sa profession, en même temps qu’il poursuivait le cours de ses études. Son initiateur fut un obscur maître de pension, nommé Melot, lui aussi jacobin, fidèle à ses convictions au point de porter encore le costume qui était de mode sous la Terreur. De ses premières années, Michelet a gardé toute sa vie un très vif souvenir; jamais il n’a oublié qu’il était du peuple et sorti de ce milieu de petites gens qui gardaient, imprimé en eux, le respect religieux de ce grand élan généreux et fraternel, malgré ses conséquences parfois sanglantes, auquel ils avaient participé de toute leur âme. Plus tard, il se situera lui-même comme un trait d’union entre ces deux bouleversements qui devaient transformer le monde, l’un qui appartenait déjà au passé, l’autre qui commençait à peine : « Je suis né au milieu de la grande révolution territoriale et j’aurai vu poindre la grande révolution industrielle. Né sous la terreur de Babeuf, je vois avant ma mort celle de l’internationale. » A douze ans, l’enfant entre au lycée Charlemagne, à dix-huit il est trois fois lauréat au Concours général, à dix-neuf il passe avec succès le baccalauréat ès lettres, à vingt il est licencié, l’année suivante docteur ès lettres. Pour sujets de thèses, il choisit les Vies des hommes illustres de Plutarque (thèse française) et De percipienda infinitate secundum Lockium (thèse latine). Désireux d’aider sa famille, ou tout au moins de se suffire à lui-même Michelet avait renoncé à entrer à l’Êcole Normale où son succès était assuré pour accepter une place de répétiteur dans une petite pension parisienne. Agrégé en 1821, il obtient une place de suppléant au lycée Charlemagne et l’année suivante est chargé d’enseigner l’histoire au collège Sainte-Barbe. Désormais son avenir semble assuré; il se marie en 1824 avec Pauline Rousseau de sept ans plus âgée que lui et qu’il fréquentait déjà depuis plusieurs années. Cette union trop inégale fut malheureuse. Michelet délaisse bientôt sa femme qui lui a donné deux enfants : Adèle, laquelle épousera Alfred Dumesnil, le confident épistolaire de Michelet, son « autre soi-même » ; Charles, qui causera à son père des soucis sans nombre. Pauline Rousseau s’adonnera plus tard à la boisson et mourra tuberculeuse en 1839. Mais déjà Michelet se consacre entièrement à ses travaux historiques et à l’enseignement. Coup sur coup, il publie les Tableaux synchroniques de l'Histoire moderne (1824), le Tableau chronologique de l'Histoire moderne (1453-1789) en 1825, un Précis de l'histoire moderne, enfin les Principes de la philosophie de l'histoire, traduction libre de la Scienza nuova de Vico, dont il est en France l’introducteur. En 1827, Michelet quitte le collège Sainte-Barbe pour l’Êcole Préparatoire créée en 1826 et destinée à remplacer l’Êcole Normale supprimée quelques années plus tôt. La renommée dont jouit déjà le jeune professeur s’étend jusqu’à la cour de Charles X. Convoqué aux Tuileries, Michelet s’y voit chargé de l’éducation de la fille de la duchesse de Berry. Cette éducation princière ne durera guère. Deux ans plus tard éclate la révolution de 1830 qui fait lever un immense espoir bientôt déçu dans le cœur de Michelet. Au milieu de Paris soulevé, l’historien respire cette odeur qu’il aime et se sent participer à cette tradition révolutionnaire à laquelle il se rattache. C’est alors qu’il prend conscience de la France « comme une âme et une personne » et qu’il conçoit l’idée de son Histoire de France qui devra être une histoire de la lutte de son peuple contre tout despotisme. Si 1830 déçoit Michelet, il y gagne un nouvel avancement. Professeur de la princesse Clémentine, fille de Louis-Philippe en 1830, il est, en 1831, nommé chef de la section historique aux Archives Nationales, poste qu’il conservera jusqu’en 1852 et qui le met en contact direct avec les documents historiques qu'il classe et étudie. Dans sa carrière universitaire le pas franchi n’est pas moindre : en 1831, il est maître de conférences à la Faculté des Lettres où, en 1834, il sera appelé à suppléer Guizot. Désormais, les cours publics mettent le jeune professeur en contact avec un auditoire qui ne cessera de s’accroître avec sa nomination au Collège de France et son élection à l’institut, en 1838. Parvenu à une situation enviable, Michelet jouit d’une certaine aisance; de plus il sait, malgré ses occupations multiples, donner beaucoup de temps à son travail personnel. Après avoir consacré quelques années à la rédaction de travaux universitaires qui serviront de préparation à son œuvre véritable : L’Histoire romaine (1831) en deux volumes et le Précis de l'Histoire de France jusqu’à la Révolution (1833), il passe à l’exposé, dans ['Introduction à l'histoire universelle (1831), des grands principes qui orienteront les synthèses futures. Dès cette époque, la conception historique de Michelet s’oppose à celle de son grand contemporain Augustin Thierry; bien mieux elle s’édifie en fonction de cette opposition. Dans l'Histoire de la conquête de l’Angleterre (1825) et surtout dans les Lettres sur l'histoire de France (1827), Thierry avait cru découvrir la clé de l’histoire de la France et de l’Angleterre dans la rivalité de deux races, l’une conquérante, l’autre conquise. Michelet, pénétré des idées de Vico, estime cette vue sommaire et incomplète. La conquête dans l’un et l’autre cas est un accident historique, c’est la terre et le rapport de l’homme avec elle qui a fait la France ce qu’elle est, une et diverse. Contre le déterminisme trop étroit de Thierry, Michelet se fait le défenseur du "principe de la force vive, de l’humanité qui se crée". La France ne peut résulter du développement historique d’une situation de fait fortuite. Sans doute la différence de race a joué aux temps barbares un rôle déterminant, mais ce facteur est bientôt passé au second plan, et plus on avance dans le temps, moins l’explication donnée par Thierry est valable. Ce qui compte en fait, « c’est le puissant travail de soi sur soi, où la F rance par son progrès propre va transformant tous ses éléments bruts ». C’est en tant qu’organisme vivant ou personne qu’il faut la retrouver et l’étudier. L’histoire de France est une biographie. La vie de la France doit être étudiée comme on se penche sur la vie d’une personne qui vous est chère; cette vie, si l’on veut faire œuvre valable, il faut la revivre en soi-même. C’est cette méthode, presque une méthode poétique, qui conduira et orientera toute l’œuvre de Michelet et qui lui donnera sa grandeur et sa résonance unique — sans doute, elle sera à l’origine de bien des erreurs d’appréciation et d’interprétation; sans doute, lorsque Michelet s’abandonnera vers la fin de sa vie à une espèce de délire prophétique, risquera-t-elle de le faire tomber dans l’imprécation, dans la grandiloquence et le verbalisme, c’est cependant grâce à cette méthode personnelle et inimitable que l’œuvre de Michelet doit de rester vivante au milieu de chefs-d’œuvre admirables qui, eux, sont morts. C’est ce mode d’appréhension intuitive, cette sympathie agissante qu’il met en œuvre lorsqu’il entreprend sa monumentale Histoire de France . Fort heureusement, Michelet a compris la leçon d’Augustin Thierry : une histoire ne peut reposer que sur des documents contemporains, sur des pièces d’archives. Un grand nombre d’entre eux étaient désormais à sa disposition, la plupart étaient restés inédits. Michelet sut en profiter. Il avait, en dépouillant cette documentation, en traçant les grandes lignes de la synthèse qu’il préparait, le sentiment exaltant de recréer de toutes pièces un monde, de s’identifier avec cette obscure conscience collective qu’il amenait au jour et dont il se faisait l’interprète. De 1833 à 1843, l'Histoire de France est le fil conducteur de sa vie. Mais l'Histoire de France n’a pas été au cours de ces dix ans son occupation exclusive; des travaux annexes qui deviendront de plus en plus des compléments à l’œuvre principale paraissent dans cette période. A côté des traductions : Mémoires de Luther (1835), réédition des œuvres choisies de Vico (1835), il faut signaler particulièrement : les Origines du droit français, cherchées dans les symboles et formules du droit universel (1837) et un recueil de documents, le Procès des templiers, dont le tome Ier paraît en 1841, le tome II suivra seulement en 1850. En marge de ces travaux, la renommée de l’homme public s’étend; en 1838, Michelet se voit conférer la chaire d'Histoire et de Morale au Collège de France; la même année il est élu membre de l’institut. Une foule enthousiaste suit ses cours qui, insensiblement, prennent un tour polémique; représentant des idées libérales et humanitaires, Michelet se trouve conduit à faire pièce à la politique conservatrice et ultramontaine de Guizot, aux idées de Veuillot et de Montalembert et à se rapprocher de Mickiewicz et de Quinet avec qui il publie Des jésuites en 1843. Ce n’est pas seulement en France que son prestige grandit mais à l’étranger : on publie à Bruxelles une édition de ses Œuvres, les premiers volumes de son Histoire de France a New York. Veuf depuis 1839, Michelet connaît une période de vie sentimentale intense et déchirante, tout occupée par sa liaison avec Mme Dumesnil qui meurt dans ses bras en 1842. Nous connaissons assez bien, grâce à son disciple et futur gendre Dumesnil, l’emploi du temps de Michelet à cette époque : lever à six heures du matin, hiver comme été, jusqu’à onze heures il écrit, puis il se rend aux Archives d’où il rentre à trois heures, le reste de la journée est occupée par des promenades, des visites, des causeries avec ses amis, ses admirateurs, ses élèves qu’il reçoit très libéralement. Vers 1841, commence à apparaître dans l’évolution de ses travaux un tournant décisif. Dès cette année, Michelet commence à réunir des matériaux sur la Révolution. Il n’est encore parvenu cependant qu’au règne de Louis XI. Les approches déjà perceptibles de la Révolution de 1848 et surtout les exigences internes de son Histoire de France lui font interrompre son œuvre. Une visite à Reims, à la cathédrale du Sacre, le convainc qu’avant « d’entrer par Louis XI aux siècles monarchiques », il lui faut retrouver le peuple dans l’acte même où il s’affirme, la Révolution; les temps de monarchie absolue lui apparaissent comme la lente préparation de la crise qui la fera sombrer et il s’adresse à lui-même cet avertissement : « Je ne comprendrai pas les siècles monarchiques, si d’abord, avant tout, je n’établis en moi l’âme et la foi du peuple. » Toutefois ce n’est qu’en 1845 que cette préoccupation commence à se manifester directement dans son enseignement avec le cours sur Les Préliminaires, l’esprit et la portée de la Révolution, professé au Collège de France et dans son œuvre, sinon avec Le Prêtre, la femme, la famille (1845), du moins avec Le Peuple (1846). Ces deux ouvrages sont les premiers de cette série de « cours d’éducation nationale » que Michelet poursuivra presque jusqu’à sa mort, commentaires en marge de son œuvre principale, destinés à un public très vaste, remplis d’idées généreuses, d’élans lyriques, teintes de prophétisme et d’utopie qui lui valurent dans l’immédiat plus de gloire encore que son œuvre historique et grâce auxquels Michelet joua un rôle très important dans l’évolution de l’opinion publique de son temps. Mais Le Peuple laissait supposer qu’il traiterait bientôt de ce sujet sur lequel il ne pouvait plus attendre de se pencher et de s’expliquer, la Révolution. Et effectivement, il abandonne tous autres travaux pour se plonger dans la lecture des mémoires et des journaux révolutionnaires. Bien qu’il se rende compte que ses connaissances sur la fin de l’Ancien Régime sont insuffisantes, il saute par-dessus les obstacles. Il est sûr de ne pas se tromper sur l’interprétation des événements, n’a-t-il pas, en quelque manière, la Révolution dans le sang ? N’est-il pas la voix même de ce peuple dont il entreprend moins de raconter l’histoire que de revivre la vie ? C’est dans la hâte et presque la précipitation qu’il remet, chapitre par chapitre, à l’éditeur le premier volume de l'Histoire de la Révolution française qui paraît en librairie le 8 février 1847, et s’arrête après les journées d’octobre 1789. Aussitôt corrigées les épreuves du premier volume, il reprend sa course, c’est qu’« il faut aller vite»; au début il pense consacrer un seul volume à la période qui s’étend d’octobre 89 au 10 août 92, mais, à son insu, son discours s’amplifie et grossit; en fait, le tome II qui paraît le 10 novembre 1847 s’arrête à la fuite de Varennes (juin 91). Au début de l’année 1848, Michelet s’interrompt et procède à un examen de conscience. Le travail acharné des deux dernières années ne le satisfait guère et surtout il se sent seul, depuis la mort de Mme Dumesnil qui a laissé un grand vide dans sa vie; il a perdu son père, sa fille s’est mariée, son fils ne lui cause que des soucis. Or, c’est précisément à cette époque qu’entre en scène Athénaïs Mialaret, jeune institutrice française qui avait demandé à Michelet de lui servir de guide spirituel. Ils se sont écrit et, en novembre 1848, elle se présente chez Michelet. Elle a trente ans de moins que lui, aussitôt naît entre eux une singulière passion. Michelet travaille encore mais il avoue qu’il a « une peine infinie » à rassembler ses esprits. Le 12 mars 1849, il épouse Mlle Mialaret, qui exercera sur l’évolution de son œuvre, sinon historique du moins poétique, une influence considérable, et à ce temps de folie amoureuse dont sa correspondance nous conserve l’écho, succède celui plus serein de l’amour conjugal. Michelet se remet à écrire et de nouveau s’enthousiasme, se passionne; lorsqu’il arrive à la Convention, il a le sentiment de voir cette assemblée, d’assister à ses séances, de connaître intimement les hommes qui la composent mais il prévoit qu’il ne sortira de cette époque effrayante et attirante que « tout roussi par ce monde en flammes ». Au début de 1848. Michelet avait dû interrompre son cours au Collège de France, suspendu par décision ministérielle; la Révolution de février lui fit retrouver son auditoire, mais l’avènement de Napoléon III aura des effets plus durables. Dès le début de 1852, Michelet se voit privé de sa chaire, puis, comme il refuse de prêter serment à 1 empereur, de son poste aux Archives. Désormais, c’est dans la gêne que vit l’historien; installé à Nantes, il y travaille dans la paix aux chapitres consacrés à la Terreur. Le 1er août 1853, il a terminé le dernier volume de l'Histoire de la Révolution, son œuvre la plus personnelle. L'Histoire fut assez mal accueillie des critiques. Gustave Planche et Louis Blanc dont l'Histoire de la Révolution française paraissait dans le même temps, mais qui étaient loin d’avoir à portée la documentation dont disposait Michelet, relevaient dans leurs articles quantités d’erreurs matérielles. Cependant l'Histoire, peu à peu, conquit la jeunesse universitaire; les élans de Michelet, ses idées étaient faits pour lui plaire. Ce n’est toutefois que beaucoup plus tard que ce livre atteignit son véritable public, le peuple, lorsque après la mort de Michelet il fut publié en éditions populaires. La publication de la Révolution française n’avait pas interrompu ce vaste « cours d’éducation nationale » dont la réalisation lui tenait à cœur. Après Le Peuple (1846) c’est à ceux qui ne lui ménageaient pas leur admiration et leur ferveur que Michelet consacre le livre qu’il publie en 1848, L'Etudiant. Puis il revient à la publication des pièces du Procès des templiers dont il donne le deuxième tome en 1800. A partir des notes prises pour l'Histoire de la Révolution, il compose deux ouvrages en marge : Les Femmes de la Révolution et Les Soldats de la Révolution (1854). A partir de 1855, de retour à Paris, où il vit rue d’Assas, Michelet reprend enfin l'Histoire de France dont la publication était interrompue depuis 1843 mais qu’il poursuivra jusqu’à 1869, date de l’édition complète. La différence de ton entre la première et la deuxième partie est sensible. Michelet, après 1853, subit une attraction irrésistible, celle de la Révolution; c’est désormais en fonction d’elle qu’il écrit l’histoire des siècles monarchiques, et ses conclusions ainsi gauchies ne sont pas toutes indiscutables. S’intercalant dans la publication de cette œuvre majeure, une nouvelle série lyrique, « poème de la nature » en quatre chants : L'Oiseau (1856), L'Insecte (1857), La Mer (1861), La Montagne (1868), fait entendre un son nouveau. Sans doute, l’amour de Michelet pour la nature avait toujours été vif, mais des circonstances nouvelles le font émerger au premier plan de sa vie et de ses préoccupations : le long séjour qu’il fit en Bretagne après la venue au pouvoir de Napoléon III et surtout l’influence de sa nouvelle inspiratrice, Athénaïs Mialaret; mi-descriptifs, mi-lyriques, ces ouvrages, dont la valeur scientifique demeure assez mince, contiennent, outre de forts beaux passages, l’exposé d’une philosophie humanitaire, généreuse et panthéiste, proche parfois du bouddhisme, mais qui n’évite pas toujours la sensiblerie. Ce « poème de la nature » se situe assez curieusement entre Bernardin de Saint-Pierre, Barrés et Maeterlinck. Avec L'Amour (1858), La Femme (1859), l’ombre portée par Athénaïs Mialaret sur son œuvre semble croître encore, la femme idéale, l’épouse qu’il y célèbre avec une ferveur naïve et un peu irritante, c’est la sienne et l’on reconnaît un peu trop les idées et le vocabulaire des lettres qu’il lui écrivit avant leur mariage. Enfin Michelet complète son « cours d’éducation sociale » avec deux livres de polémique démocratique et anticléricale, La Sorcière (1862) et La Bible de l’humanité (1864). Les dernières années de sa vie, Michelet les passe dans une relative aisance; sa santé assez fragile — mais beaucoup moins qu’il aimait à le dire — est le prétexte à d’assez longs voyages avec sa femme en Italie, en Suisse et dans le midi de la France. La défaite française de 1870 dicte à son patriotisme une brochure, La France devant l'Europe (1871), où il proteste contre l’annexion de l’Alsace-Lorraine à l’empire allemand. Malgré son âge, Michelet n’a pas perdu le goût des grandes entreprises; en 1871, il commence la publication de l'Histoire du XIXe siècle qui comprendra trois volumes. Lorsqu’il meurt, le 9 février 1874, Michelet laisse de nombreux manuscrits; sa veuve entendit continuer l’œuvre inachevée; elle donna au public successivement : Le Banquet ou un hiver en Italie, Ma jeunesse , Mon journal, Rome, Sur les chemins de l'Europe ,qui contiennent sans doute des pages authentiques mais qui ont certainement été complétées, corrigées et recomposées par Mme Michelet. Malgré les faiblesses de cette œuvre considérable, souvent hâtive, souvent déformée par des idées prophétiques qui dépassent largement le cadre historique quand elles ne le mettent pas en péril, la tentative de « résurrection intégrale du passé » dont il a poursuivi toute sa vie la réalisation est une des réussites les plus étonnantes de l’historiographie. Seulement la méthode tout intuitive de Michelet, cause de son succès, le faisait côtoyer des dangers dont il n’a pas su toujours — surtout dans la seconde partie de sa vie — se préserver; il lui suffisait de se trouver désaccordé d’avec son sujet, son personnage pour quitter la voie droite et s’enfoncer dans le taillis des suppositions, des synthèses non justifiées, du prophétisme. Il n’empêche que l’œuvre de Michelet a survécu et survivra, non seulement parce qu’elle est une investigation sympathique de l’histoire, et, en ce sens, unique, mais à cause de ses admirables qualités non historiques. Le style de Michelet est celui d’un grand poète en prose, l’un des plus grands poètes romantiques qu’ait comptés la France du XIXe siècle.