métaphore
La métaphore est un trope, c’est-à-dire une figure de type microstructural. Comme c’est le plus important de tous les tropes, et l’une des plus considérables de toutes les figures, aussi bien dans l’histoire que dans la pratique actuelle, on va d’abord essayer d’en voir un premier crayon, avant d’entrer dans l’analyse systématique de son fonctionnement. Soit la phrase suivante, extraite d’un grand pamphlet de Bernanos : Je laisse souffler les dindons, et j’ajoute : la politique de Léon XIII... a ruiné le moral français. Il est certain que dindons ne signifie pas /dindons/ ; il faut traduire ; après un effort de réflexion, on aboutira à une expression nouvelle, plus longue, moins aisée, mais aussi plus compréhensible, du genre : « des personnes aussi bêtes et aussi méchantes que des dindons». Il y a métaphore sur dindons-, et cette métaphore peut même être qualifiée d’absolue. Il est maintenant possible de décrire le mécanisme sémantique de cette figure, et d’en distinguer les divers états possibles. On va prendre un autre exemple. La structure de base de ce trope est en réalité la figure que l’on appelle la comparaison.
Soit la phrase suivante :
État 1. Ce garçon est agile comme un singe. Le terme garçon est le comparé, agile est la qualité attribuée, comme est l’outil, singe est le comparant. L’agilité est une qualité qui appartient en propre aux singes, dans l’univers culturel qui est le nôtre, plutôt qu’aux garçons ; le comparant développe donc normalement le sens de la qualité attribuée, puisque celle-ci lui appartient communément. En revanche, elle ne relève pas avec le même degré d’évidence et d’essentialité du sens global et général du comparé : ici, un garçon; d’où l’utilité de l’expansion par l’outil comparatif, qui sert d’explication. Cependant, l’agilité du garçon ne peut pas être strictement l’agilité d’un singe : ce n’est qu’une façon détournée de parler, sans quoi il y aurait changement ontologique, ou fantastique, du garçon en singe. C’est cette différence, ce glissement, ce transfert, cette modification sémantiques là qui définissent exactement la comparaison-figure. On traduira donc : «ce garçon est vraiment très agile ».
Passons à l’état suivant.
État 2. Ce garçon est un singe agile. Ce garçon a une agilité de singe. On constate la disparition de l’outil comparatif : on est sorti de la structure de comparaison. Par un moyen grammatical approprié (attribut ou complément d’objet direct), il y a assimilation du comparé au comparant ; or, c’est du comparé qu’il s’agit évidemment (un garçon), et non pas du comparant (un singe). Le terme comparant n’a donc plus pour sens son signifié habituel (/singe/), mais renvoie effectivement, du point de vue de la portée de sa désignation, au signifié du comparé (/garçon/), sans quoi, encore une fois, on serait en pleine littérature fantastique ou d’horreur. On a donc trope : c’est la métaphore; on l’appelle quelquefois, en ce cas, métaphore in prœsentia, dans la mesure où les deux termes pivots, le comparant et le comparé, sont l’un et l’autre indiqués. La qualité attribuée (agile) est également marquée dans cette phase : elle subit la même transformation sémantique que dans l’état 1, et se transfère, superlativement, sur la désignation du comparé.
État 3. Ce garçon est un vrai singe. On a toujours une métaphore in prœsentia, avec toutes les manipulations sémantiques précédemment décrites; mais on n’a plus l’indication de la qualité attribuée : le récepteur tout seul (auditeur ou lecteur) doit faire tout le travail d’interprétation que l’on vient d’analyser (extraire des valeurs habituellement associées à singe l’idée d’agilité, la modifier et la transférer sur garçon, et enlever à singe le sens de /singe/, pour le faire désigner forcément /garçon/).
État 4. Un vrai singe agile parut alors à nos yeux. On retrouve l’indication de la qualité attribuée. Il est vrai qu’on en a bien besoin, car la modification essentielle entre les états 3 et 4 est la disparition de la mention explicite du comparé (le garçon) : on n’a plus, pour le désigner, que le comparant, qui doit donc à lui seul faire comprendre un nouveau sens par rapport au sien propre, qu’il a perdu depuis l’état 2. C’est la métaphore in absentia, dans laquelle un seul terme, le comparant, est marqué dans le discours, où il faut le charger de la totalité du rôle d’indication du comparé ; le travail du récepteur est encore plus grand.
On peut concevoir un état 5 : État 5. Les grands-parents éblouis virent bondir un vrai singe. Toujours une métaphore in absentia, mais cette fois absolue, car on n’a même pas l’indication de la qualité attribuée : un seul mot, le comparant, doit faire l’objet de tout un travail interprétatif compliqué et méthodique, qui récapitule la totalité des opérations sémantiques précédemment énumérées et décrites. On se retrouve à l’état de la métaphore extraite de la citation de Bernanos. Il est certain que l’on est aussi à une limite de compréhensibilité. Cette question du seuil de compréhensibilité détermine les variétés de métaphore : plus une métaphore est banale, répétée, connue, comme dans les clichés, plus elle est aisée à interpréter; plus elle est originale, rare, nouvelle, plus grand est le risque que personne n’en comprenne rien, surtout en dehors d’un contexte clarifiant. On a donc des formes syntaxiques diverses de la métaphore, qui sont autant d’aides ou de signaux à la compréhension. Ainsi, dans ce renard d’avocat a encore réussi à escamoter le fond de l’affaire, c’est par la présence du prédéterminant démonstratif ce que l’on interprète correctement, c’est-à-dire métaphoriquement, la construction renard d’avocat au sens d’/avocat rusé comme un renard/, ce qui veut dire en fait «avocat très rusé». Dans des séquences plus difficiles, on a la présence de certains mots qui, au cours de la phrase ou de l’ensemble de phrases, orientent vers l’interprétation figurée. Par un apparent paradoxe, dans le développement de notre exemple explicatif, c’est le mot vrai qui a été utilisé chaque fois que l’expression était ou trop bizarre ou trop ambiguë, pour signaler une particularité dans l’interprétation, alerter le récepteur et l’orienter vers le sens métaphorique. Les métaphores peuvent se présenter étalées dans le cours de la phrase, ou d’un texte entier, le comparant se démultipliant, en quelque sorte, en plusieurs mots : c’est ce que l’on appelle une métaphore continuée. Ainsi, dans ces vers d’Apollinaire :
Au tournant d’une rue brûlant
De tous les feux de ses façades
Plaies du brouillard sanguinolent
Où se lamentaient les façades
On admettra que ce dont il s’agit, c’est l’impression d’une couleur plus ou moins rouge due à la fois aux réverbères et aux fenêtres (au long d’une rue dont les façades sont en briques) ; mais tout ce que l’on vient d’écrire d’impression... fenêtres) est absent de cette strophe de la Chanson du mal aimé. Le comparé n’est pas du tout exprimé ; en revanche, on a brûlant-feux-plaies-sanguinolent-façades, autant de termes qui véhiculent la même idée, /rouge/. On peut même distinguer et détailler : les deux premiers mots cités connotent simplement l’idée de /clarté-lumière/, et les deux suivants plus spécialement celle de /sang/. La métaphore est donc doublement continuée, sur deux réseaux, chacun se limitant, à travers deux termes chaque fois, à une seule idée. En fait, si l’on regarde de près le second réseau, au sens de /sang/, on se rend compte qu’il est continué, sans la moindre autre valeur sémantique, au-delà, jusqu’à se lamentaient, avec le seul nuancement de l’idée de /douleur/. La métaphore enfin n’est pas toujours achevée, ce qui est un moyen de renouveler des tours plus ou moins clichés. Si l’on reprend l’exemple d’Apollinaire, il n’est pas difficile de concevoir que le comparant sous-jacent, non complètement exprimé, surtout pour le second réseau, est celui d’un corps humain gigantesque et martyrisé. Or ce comparant-là, fantastique et fascinant, n’est pas textuellement développé : il n’apparaît concrètement que sous la forme de quelques mots qui l’indiquent fragmentairement.
La métaphore est donc un trope puissant et de grand usage. Les rhétoriciens ont tous recommandé de s’en servir judicieusement, en l’appropriant aux différents niveaux de style, dont elle peut être un élément caractéristique (notamment par sa présence abondante dans le style et dans les genres élevés). Ils ont aussi recommandé que les métaphores fussent naturelles, c’est-à-dire point tirées de trop loin, et donc raisonnablement compréhensibles. Cette figure, à vue générale, constitue la base des principales images : elle est ainsi le constituant majeur de certains discours descriptifs, ou satiriques, dont elle peut renforcer le pittoresque ou le mordant par sa puissance de raccourci et sa force de suggestion. Elle est souvent mêlée à d’autres figures. Elle est à là source de tous les développements poétiques modernes.
=> Figure, trope, microstructurale; comparaison, similitude, métonymie, allégorie; cliché, image; description; style, genre, niveau, élevé, naturel.
METAPHORE nom fém. - Figure de style qui consiste à substituer un mot à un autre en se fondant sur un rapport de ressemblance existant entre les deux termes. ETYM. : du grec metaphora - « transport de sens » d’un mot propre à un mot figuré. Formé avec meta - « en changeant » et un dérivé de pherein = « porter ». La métaphore se distingue de la comparaison en ceci qu’elle n’explicite pas le rapport établi entre les termes. Comparaison : « il est stupide comme un âne », « il est têtu comme une bourrique ». Métaphore : « c’est un âne », « c’est une bourrique ». La comparaison distingue le comparant, le comparé et le terme de comparaison. Avec la métaphore, un seul élément subsiste - le comparant - et c’est au lecteur lui-même de percevoir le comparé auquel il renvoie. D’où la force de la métaphore, mais aussi sa difficulté. On donnera cet exemple de métaphore filée (métaphore se développant dans un texte sous forme de plusieurs images liées entre elles) : « Si ma tête, fournaise où mon esprit s’allume, Jette le vers d’airain qui bouillonne et qui fùme Dans le rythme profond, moule mystérieux D’où sort la strophe ouvrant ses ailes dans les cieux. » Victor Hugo, Les Feuilles d'automne Dans Le Temps retrouvé, Marcel Proust insiste sur l’importance de la métaphore dans le processus de la création littéraire. Il écrit : « On peut faire se succéder indéfiniment dans une description les objets qui figuraient dans le lieu décrit, la vérité ne commencera qu'au moment où l'écrivain prendra deux objets différents, posera leur rapport, analogue dans le monde de l'art à celui qu'est le rapport unique de la loi causale dans le monde de la science, et les enfermera dans les anneaux nécessaires d'un beau style ; même, ainsi que la vie, quand, en rapprochant une qualité commune à deux sensations, il dégagera leur essence commune en les réunissant l'une et l'autre pour les soustraire aux contingences du temps, dans une métaphore. » —► Analogie — Comparaison — Surréalisme