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MERLEAU-PONTY: Le philosophe de l’action

« Le philosophe de l’action est peut-être le plus éloigné de l’action : parler de l’action, même avec rigueur et profondeur, c’est déclarer qu’on ne veut pas agir, et Machiavel est tout le contraire d’un machiavélique : puisqu’il décrit les ruses du pouvoir, puisque, comme on l’a dit, il « vend la mèche ». Le séducteur ou le politique, qui vivent dans la dialectique et en ont le sens ou l’instinct, ne s’en servent que pour la cacher. C’est le philosophe qui explique que, dialectiquement, un opposant, dans des conditions données, devient l’équivalent d’un traître. Ce langage-là est juste le contraire de celui des pouvoirs ; les pouvoirs, eux, coupent les prémisses et disent plus brièvement : il n’y a là que des criminels. Les manichéens (1) qui se heurtent dans l’action s’entendent mieux entre eux qu’avec le philosophe : il y a entre eux complicité, chacun est la raison d’être de l’autre. Le philosophe est un étranger dans cette mêlée fraternelle. Même s’il n’a jamais trahi, on sent, à sa manière d’être fidèle, qu’il pourrait trahir, il ne prend pas part comme les autres, il manque à son assentiment quelque chose de massif et de charnel... Il n’est pas tout à fait un être réel. Cette différence existe. Mais est-ce bien celle du philosophe et de l’homme ? C’est plutôt, dans l’homme même, la différence de celui qui comprend et de celui qui choisit, et tout homme à cet égard est divisé comme le philosophe. »

MERLEAU-PONTY

(1) Ceux qui pensent qu’entre les extrêmes il n’y a pas de milieu.

DIRECTIONS DE RECHERCHE

• En quoi peut-on soutenir que « parler de l’action... c’est déclarer qu’on ne veut pas agir » ? En quoi le langage « des pouvoirs » est-il juste le contraire de celui du « philosophe » qui explique que, dialectiquement, un opposant, dans des conditions données, devient l'équivalent d’un traître ? • En quoi y a-t-il « complicité » entre les manichéens qui se heurtent dans l’action ? • En quoi (et pour qui ?) « le philosophe » «n’est pas tout à fait un être réel » ? • En quoi peut-il apparaître que la différence entre la philosophie et l'homme est la même que celle « entre celui qui comprend et celui qui choisit » ? • Ce texte est-il une réflexion sur ce qu’est la philosophie ? Sur ce qu’est la philosophie de l’action ? Sur le philosophe de l’action et l’homme d’action ? Ou ce texte est-il une tentative de penser — à partir de l’écart philosophe de l’action et homme d’action — une particularité essentielle de l’homme ? • Apprécier l’intérêt philosophique de ce texte. • Que signifie < dialectique > ici ? • Quelles « prémisses » « coupent les pouvoirs » ?

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