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MÉRIMÉE Prosper 1803-1870

MÉRIMÉE Prosper 1803-1870
Romancier et nouvelliste, né à Paris. Son père est secrétaire de L’École des beaux-arts et lui-même sera, dès l’âge de trente et un ans, inspecteur des Monuments historiques. Par métier, et par plaisir plus encore, il voyagera toute sa vie : Corse, Italie, Grèce, Asie Mineure ; Espagne surtout (il y fera la connaissance en 1830 d’Eugénie de Montijo, future impératrice). Stendhal, dont il est le cadet - de près de vingt années - et à qui le liera une longue camaraderie, va être son modèle (quoiqu’il rien ait rien dit dans le très cordial mais très peu loyal article nécrologique intitulé H.B.) : il lui doit, en particulier, cet insolent refus de toute extériorisation. Attitude fort périlleuse, à l’époque du romantisme triomphant. On le lui fit bien voir. Ses premiers chefs-d’œuvre sont deux délicieuses mystifications ': en 1825, Le Théâtre de Clara Gazul, prétendument traduit de l’espagnol (et qui contient, entre autres perles, L’Occasion et Le Carosse du saint sacrement) puis en 1827 La Guzla (nom oriental du luth), qui est - en outre - l’anagramme de « Gazai », et se présente cette fois comme un recueil de ballades illyriennes, transcrites en prose française par Mérimée. Ces deux réussites, sur le plan littéraire, ainsi que Mateo Falcone (1829, le premier de ses chefs-d’œuvre inspirés par la Corse), sont des échecs sur le plan « commercial » : l’heure n’est pas à la concision, mais à l’abandon, c’est-à-dire à Hugo, à Musset, à Lamartine. Suivent, sans guère rencontrer d’autre réaction que l’habituel « succès d’estime » : L'Enlèvement de la redoute (1829), œuvre limite dans le genre « bref », qu’il a créé ; puis Le Vase étrusque (en 1830 ; l’année d'Hernani, de Victor Hugo).
Mérimée est déjà tout entier dans ce Vase étrusque ; analyse objective (en apparence) qui tourne, à mesure que se poursuit l’histoire, au récit fantastique (mais en apparence également): le héros du récit soupçonne ce vase, exactement comme on soupçonnerait un être humain, d’avoir été offert à sa maîtresse par un amant inconnu. Si bien qu’un simple objet, « accusé » injustement, va peu à peu désagréger la vie de deux êtres, unis cependant par le bonheur le plus solide. Mérimée a trouvé sa voie : la « nouvelle » qui, en fait, est un conte. Formule décidément trop ambiguë, dont la recette magique ne pourra être retrouvée que cent ans après (par le Jouhandeau de Chaminadour et le Supervielle du Voleur d'enfants ; chacun d’eux dans un esprit très personnel, au surplus). Quatre réussites parfaites jalonnent cette grande période, créatrice : La Vénus d'Ille, Colomba, Arsène Guillot, Carmen (1837, 1840, 1844, 1847). Suit une longue période improductive de vingt années environ. Mais vers 1848 cet esprit curieux découvre la littérature russe, et la fait découvrir aux Français par ses traductions (Gogol, Pouchkine, Tourgueniev). Dès 1853, Eugénie de Montijo, devenue impératrice, invite son ami de jeunesse à la nouvelle cour — très futile, et très vulgaire aussi - dont il sera le plus brillant animateur, car le pessimisme de Mérimée met sur le même pied le sens de l’honneur de sa jeune héroïne Colomba, vengeresse implacable, et les mornes pantalonnades (voire : caleçonnades) des Tuileries. Du moins, lorsque s’écroulera l’Empire de Louis-Napoléon, Mérimée intercédera-t-il, et non sans courage, auprès des républicains (20 août 1870) en faveur de son amie l’impératrice déchue. Il meurt trois jours plus tard. Dans les derniers temps de sa vie, il avait composé Lokis (1869), conte étrange, ainsi résumé par l’auteur lui-même dans une lettre à Jenny Daquin (qui donne un curieux aperçu de son style, dans les rapports amicaux et quotidiens) : Une grande dame de Lithuanie, étant à la chasse, a eu le malheur d'être prise et emportée par un ours dépourvu de sensibilité, de quoi elle est restée folle; ce qui ne l'a pas empêchée de donner le jour à un garçon bien constitué qui grandit et devient charmant ; seulement il a des humeurs noires et des bizarreries inexplicables. On le marie, et la première nuit de ses noces, il mange sa femme toute crue. Ce ton bouffon ne doit pas nous abuser : il s’agit en fait de l’une des œuvres les plus fortes, les plus riches de Mérimée, lequel nous donne là, in extremis, après ce long et inexplicable silence, un nouveau chef-d’œuvre.
« Contours extrêmement nets et secs », écrit Stendhal à propos de son ami. Ces deux mots résument en effet tout Mérimée. Net : c’est-à-dire propre, chirurgicalement propre. Et sec, aussi. Encore faut-il bien s’entendre sur ce dernier mot ; sec dans le sens de : tout en nerfs. Si Mérimée nous atteint, c’est parce qu’il tape dur; mais lui-même n’est pas touché. En outre, il prémédite ses effets. Il en calcule la portée, l’angle de chute ; et s’il nous a atteint par l’« émotion », c’est pour lui mauvais signe : il a donc tiré trop court, car il ne visait rien de moins que la commotion, la puissance quantitative de choc, le traumatisme. Esthétique résolument opposée à celle de toute notre littérature traditionnelle ; qu’elle soit romantique (« Vive le mélodrame où Margot a pleuré », selon Musset) ou classique (selon Boileau : « Pour me tirer des pleurs il faut que vous pleuriez »). Mérimée, quant à lui, et dès l’âge le plus tendre (comme son héros Saint-Clair dans Le Vase étrusque} était fier, ambitieux [...] et il se fit une étude de supprimer tous les dehors de ce qu’il regardait comme une faiblesse déshonorante. Il atteignit son but, mais sa victoire lui coûta cher [...] Il obtint la triste réputation d’insensible. Et encore, cet aveu qu’il semble nous faire, furtivement (dans un article du National) sous prétexte de décrire Lord Byron: Il avait cette faculté qui distingue le poète, c’est qu’au milieu des moments les plus impétueux de la passion, il pouvait s’observer et faire sur lui-même une étude, que, plus tard, il savait mettre en oeuvre. On notera que ce cœur prétendument sec ne s’est intéressé qu’aux êtres les plus tourmentés, excessifs, instinctifs. Primitifs, presque : Colomba, la vierge vindicative ; ou Michel Szémioth, l’homme-ours lituanien. Ou encore José, l’assassin navarrais (sans autre rapport que le nom avec le suave ténor du livret d’opéra-comique dû à Meilhac et Halévy), ainsi que sa romi Carmen, qu’il nomme mon enfant et qu’il exécute selon les règles du métier - rituellement, dirait-on - lorsqu’elle tombe amoureuse d’un autre homme : Elle tira de son doigt une bague que je lui avais donnée, et la rejeta dans les broussailles, Je la frappai deux fois. C’était le couteau du Borgne que j’avais pris, ayant cassé le mien. Elle tomba au second coup, sans crier. Ce besoin de simplicité, de netteté, est plus visible encore dans les contes ouvertement irréels. Prenons, par exemple, La Vénus d’Ille. Il semble ici que le conteur s’évertue à gagner, d’abord, notre confiance par mille petits détails familiers qui situent en pleine vraisemblance les personnages : l’archéologue, M. de Peyrehorade, « ami » de Mérimée ; puis Mérimée lui-même, présent au milieu de ce récit (et dans ses habituelles fonctions d’inspecteur des Monuments historiques). Ainsi l’auteur entend-il nous mettre mieux à notre aise, en pays de connaissance, au milieu de ce village d’ille (Pyrénées-Orientales). Puis, voici l’insignifiant et ridicule «jeune premier» de cette histoire, Alphonse de Peyrehorade, fils de l’archéologue ; récemment marié, sans amour, avec une jeune fille dont il convoitait la dot. Survient cette partie de paume, jouée contre des Espagnols un peu tricheurs près d’une statue de Vénus, récente trouvaille de l’archéologue. Tous les menus faits du récit seront, de même, volontairement « simples » ; et jusqu’au geste, banal et commode, du jeune marié, qui, pour ne pas être gêné en jouant par sa bague toute neuve, la passe par plaisanterie au doigt de cette statue qui se dresse à côté de lui. Lorsque plus tard il affirmera n’avoir pu, alors que le soir tombait, la retirer du doigt de la statue de Vénus, on ne le croira pas. Puis lorsqu’on le trouve mort, le lendemain, dans son lit, on ne croira pas davantage la jeune veuve en larmes, qui dit avoir vu la Vénus rejoindre, avant elle, son mari dans l’alcôve et l’étouffer. Un Espagnol arrêté sera mis hors de cause. - Ainsi le lecteur, au sortir de cette histoire, ne laisse pas de s’étonner d’une sorte de trouble qui subsiste en lui ; trouble sans cause aucune, pourtant, puisque Mérimée vient de lui suggérer deux explications rationnelles possibles : 1° l’Espagnol (malgré son alibi) ; 2° la jeune fille elle-même, qui, épousée par calcul sordide, n’éprouve que haine à la vue de son pitoyable époux, et que dégoût à l’idée de la nuit de noces. Or, le tour de force que réussit à tout coup le conteur Mérimée, c’est précisément que nous sortions de son récit (celui-ci et bien d’autres encore, Le Vase étrusque, Lokis, etc.) profondément bouleversé : comme si, chaque fois, nous adoptions l’autre explication, celle que Mérimée fait semblant de vouloir écarter : l’intervention d’une puissance surnaturelle (homologue, chez lui, de la Fatalité dans les tragédies anciennes).
Même parti pris de feinte simplicité dans la forme : phrases brèves, adjectifs rares. Même souci de rassurer le lecteur dès le début, par de doctes et placides notes de bas de page, ou quelque introduction volontairement prosaïque, et imperturbable de dignité, qui tend à faire passer le récit imaginaire pour une étude (ethnologique, anthropologique, philologique), agrémentée - nous dit-il en s’excusant - d’un « exemple à l’appui » : bref témoignage, ou confession d’un inconnu que l’auteur, au hasard d’un voyage ou d’une rencontre d’auberge, se borne à « transcrire » scrupuleusement. Et dès lors, le poète Mérimée peut s’adonner, quand il lui prend envie, aux développements pathétiques, voire lyriques, sans la moindre pudeur : il écrit sous la dictée. Le cas le plus typique - et nous le citerons partiellement pour conclure - est le « vocero » de Colomba ; longue et poignante baïlata, comme disent les Corses, improvisée par la jeune vocératrice (et cette tirade est aussi belle, aussi irréelle, aussi peu authentiquement corse, aussi réussie sur le plan de l’art proprement dit, que l’étaient déjà, tout au début de sa carrière, dans le recueil intitulé La Guzla, les ballades ïllyriennes prétendument «traduites» par Mérimée):... L'épervier se réveillera, - il déploiera ses ailes, il lavera son bec dans le sang! - Et toi, Charles-Baptiste! que tes amis t'adressent leur dernier adieu ; - Leurs larmes ont assez coulé. -La pauvre orpheline seule ne te pleurera pas - [...] Mais elle a recueilli ton sang, - ce sang noble et innocent ; - elle l'a répandu sur Pietranera [... ] - Et Pietranera restera marquée, -jusqu'à ce qu'un sang coupable - ait effacé la trace du sang innocent.

■ Œuvres - En poche: Carmen et Les Âmes du purgatoire (Garnier-Flammarion). - Colomba (id.). - La Vénus d'Ille [et autres nouvelles] (id.). -Autres : Théâtre de Clara Gazul. Romans et nouvelles, éd. par J. Mallion et P. Salomon (Bibl. de la Pléiade). ■ Critique - A. de Luppé, Mérimée (Albin Michel, 1945). - P. Léon, Mérimée et son temps (PUF, 1962). - J. Austin, Prosper Mérimée, écrivain, archéologue, homme politique (Perrin, 1983).

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