mémoire
La mémoire est souvent considérée comme une des cinq parties de la rhétorique. Elle est en effet indispensable à l’interprétation du discours. Quintilien va même jusqu’à dire qu’un orateur qui serait entièrement dépourvu de mémoire devrait abandonner le métier. Il faut dire que le discours doit être prononcé par cœur, quitte à donner l’impression qu’on l’improvise : c’est le seul moyen de produire le feu nécessaire à l’efficace de son action. À quoi sert la mémoire? Dans l’improvisation, elle permet de dresser devant les yeux de son esprit la suite, et même la fin, exactes des propos que l’on va tenir, pour qu’ils aient l’air précis, cohérents, organisés, fermes et rigoureusement adaptés à l’objet en cause : c’est elle qui fait donc disposer du panorama complet de tout ce qui est utile à la cause. Dans les autres situations, qui sont les plus normales et les plus nombreuses, elle sert à assurer une prononciation naturelle, fluente, douce, suivie et bien liée du discours ; elle favorise ainsi une action correcte et bien reçue, qui évite à l’orateur de donner l’impression fâcheuse de s’appliquer à rechercher ses mots et ses phrases, voire d’être paniqué, ou, pire, de sombrer dans la confusion du bafouillement ou du silence. Elle rend aussi possible, alors, l’attention à des éléments extérieurs non forcément prévus dans la préparation, comme des circonstances adventices ou des interventions diverses. Elle confère, en somme, une grande assurance à celui qui parle, de l’aisance, et surtout une liberté de comportement qui seule le rend vraiment opérationnel. Mais il ne faut pas non plus être esclave de sa mémoire : la liberté que l’on acquiert d’elle doit conduire à pouvoir s’affranchir de ce que l’on a préparé, en fonction justement de ce dont elle nous permet d’être tranquillement influencé, dans le cours de la situation. Qu’est-ce que la mémoire? Selon Quintilien, la plus commune opinion est qu’elle se forme surtout par le moyen de certaines traces qui demeurent imprimées dans le cerveau, à peu près comme la figure de nos bagues s’imprime sur de la cire. [...] N’est-il pas étonnant que de vieilles idées presque effacées se réveillent et se présentent à nous tout à coup ? non seulement quand nous prenons peine à les rappeler, mais quelquefois aussi d’elles-mêmes ; non seulement en veillant, mais bien plus encore en dormant ? [...] N’est-ce pas aussi une bizarrerie bien surprenante, que nos idées les plus récentes s’effacent, et que nous conservions les plus anciennes? [...] Cependant, on ne connaîtrait pas la force et le pouvoir de cette divine faculté, si l'éloquence ne les avait mis dans tout leur jour; car c’est dans un discours oratoire que la mémoire brille particulièrement, conservant l’ordre, je ne dis pas seulement des choses, mais même des mots. [...] Dans les actions de la plus longue durée, la patience manque plutôt à celui qui écoute que la mémoire à celui qui parle. Cela même est une preuve qu ’il y entre de l’art [...] avec des préceptes et de la pratique nous faisons ce nous ne ferions pas, si nous n’avions ni l’un ni l’autre. Comment acquérir une mémoire suffisamment puissante et docile ? Il existe évidemment des arts de mémoire. Le modèle le plus ancien, rapporté par Quintilien sans y adhérer, est celui de Simonide. Les orateurs choisissent un lieu extrêmement spacieux et remarquable par une grande variété, comme par exemple une grande maison distribuée en plusieurs appartements. Ils en observent tous les endroits, particulièrement ceux qui frappent le plus les yeux, ils les étudient et se les mettent bien dans l’esprit, afin que la pensée puisse les parcourir sans peine et en un moment. Pour se souvenir de ce qu’ils ont ou mis sur le papier ou arrangé dans leur tête, ils se font eux-mêmes un autre signe, qui sert à les en avertir. Ce signe est ou une chose prise de la matière qu ’ils ont à traiter, comme de la navigation, de la guerre, etc. ou bien seulement un mot, qui, lorsque les choses leur échappent, les y fait revenir aussitôt. Ils disposent donc ainsi leurs lieux et leurs signes, affectant le premier point de leur discours, si vous voulez, au vestibule de la maison, le second au salon, et ainsi du reste. Car ils parcourent la galerie, les fenêtres, tous les endroits qui donnent du jour, et ne laissent non seulement ni salle, ni chambre, mais même ni meubles de ceux qui sont à la vue auxquels ils n’attachent quelque idée, en suivant toujours un certain ordre. Cela fait, quand ils veulent rappeler leur mémoire, ils passent en revue tous ces lieux, ils reprennent en chacun ce qu’ils y ont placé. L’image du lieu même, ou celle qu’ils s’y sont faite est un signe qui les avertit. Quelque quantité de choses qu’ils aient à réciter, ils ne sont point embarrassés, parce que toutes leurs idées se suivent, et sont comme enchaînées les unes aux autres. Ils n’ont précisément qu’à bien s’imprimer ces lieux dans l’esprit. Il est donc question d’avoir un nombre de lieux, soit qu’ils soient réels, ou purement imaginés, et un nombre d’images, ou de signes, que l’on peut imaginer aussi à sa fantaisie. Par images ou signes, on entend des enseignes qui servent à marquer les choses que nous voulons retenir. Si l’on a voulu donner un assez large extrait de ce genre de développement, c’est qu’il constitue un échantillon emblématique tout à fait significatif du modèle de l’art de mémoire, qui va régner jusqu’à la Renaissance à travers toute la culture rhétorique européenne et méditerranéenne. On remarquera le rôle extraordinairement positif et actif joué par l’imagination contrôlée. Mais Quintilien trouve la méthode à la fois lourde et peu sûre, peu appropriée à toutes les situations. On préfère donc, pratiquement, recourir à des exercices plus maîtrisables. En voici les principaux. On apprend par morceaux les discours longs, en choisissant des unités elles-mêmes de plus en plus longues. On se fait de petites marques sur le papier pour frapper l’attention au cours de l’énoncé du discours, ce qui est un bon moyen matériel de figurer les grands repères. On se servira surtout de la mémoire visuelle, en apprenant sur le papier sur lequel on a écrit, pour lire imaginativement ses propres lignes. On a intérêt à essayer d’apprendre en prononçant à haute voix ce que l’on étudie, ou du moins à voix modérée, comme (Lun murmure. On peut aussi tenter l’apprentissage en écoutant la lecture à voix haute du texte par une autre personne. Il faut repasser les endroits fuyants, et travailler en bonne santé, sans être guetté par le sommeil, ni accablé de préoccupations, ni alourdi par une digestion difficile. Il importe que le discours ait été bien divisé, et que le style en soit beau : cela facilite la mémorisation (de même qu’en règle générale, il est plus aisé de se rappeler des vers que de la prose). Le plus grand art pour la mémoire et le vrai secret, c’est le travail et l’exercice. Beaucoup apprendre, beaucoup méditer, et tous les jours s’il est possible, voilà ce qui fait incomparablement plus que tout le reste. Il convient de se fixer impérativement une dose de texte, de plus en plus longue au départ, à apprendre par cœur tous les jours, en commençant par de la poésie pour arriver jusqu’à des textes juridiques. En cas de difficultés, qui seront d’autant plus rares et légères qu’on aura plus longuement et plus massivement exercé la mémoire, on songera qu’une nuit forme souvent un bon remède revigorant. Ce n ’est donc pas sans raison que la mémoire est appelée le trésor de l’éloquence.
=> Éloquence, orateur, oratoire, partie, action, prononciation ; cause, division, style; imagination, improvisation.
MÉMOIRE (n. f.) 1. — Faculté de se souvenir ; ensemble des fonctions psychiques par lesquelles nous pouvons nous représenter le passé comme passé ; Bergson distingue la mémoire-habitude qui naît de la répétition d’une action et s’inscrit dans le corps, de la mémoire-souvenir qui, coextensive à la conscience, en retient tous les états au fur et à mesure qu’ils se produisent. 2. — Faculté gén. de conserver de l’information. 3. — Au sens concret, désigne tout ce qui est capable de conserver de l’information, et, en part., les organes des ordinateurs ayant cette fonction.
MEMOIRE nom masc. — Écrit récapitulatif faisant le point sur une question judiciaire, financière ou scientifique. ÉTYM. : du latin memoria.
MEMOIRES nom masc. (toujours au pluriel) - Ouvrage dans lequel un individu relate sa vie et les événements dont il a été le contemporain. On distingue quelquefois les mémoires de l’autobiographie ou de la confession en cela que les mémoires seraient moins centrés sur le moi de l’auteur et davantage sur les événements historiques qu’il a pu traverser ou auxquels il a pu participer. Ainsi les Mémoires (1717) du cardinal de Retz tout entiers consacrés à la participation de celui-ci à la Fronde et, dans une moindre mesure, les Mémoires d'outre-tombe (1849-1850) de Chateaubriand. Souvent, la distinction est cependant artificielle. Flaubert, par exemple, dans sa jeunesse a écrit un ouvrage intitulé les Mémoires d'un fou qui relève très largement de la confession romancée. Mauriac est l’auteur de Mémoires intérieurs, et l’adjectif utilisé correspond bien au désir de montrer qu’on s’écarte du sens traditionnel. Chateaubriand montre bien l’imbrication entre destinée individuelle et évolution politique quand il écrit : « Je représenterai dans ma propre personne, représentée dans mes Mémoires, l'épopée de mon temps. »
—► Autobiographie — Journal
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