Max Weber: Éthique de conviction, éthique de responsabilité
Max Weber est célèbre pour avoir expliqué la naissance du capitalisme dans l'Europe du XVIIe siècle par l'influence de la morale calviniste. Sociologue intéressé par les questions touchant le pouvoir (légitimité, violence), il a aussi porté sa réflexion sur le problème du fondement des valeurs.
Problématique
Les actions humaines sont-elles entièrement justifiables par la raison ou n'y a-t-il pas toujours en elles une part d'irrationalité ? Pour la morale de la responsabilité, l'homme doit pouvoir rendre compte de ses actes en fonction de la fin qu'il poursuit, alors que pour la morale de la conviction, ses actes sont déterminés par la croyance en des valeurs.
Enjeux
Le choix moral est, pour Weber, toujours tragique, car on ne peut à la fois être moral et efficace. Ou l'on est efficace et l'on se donne tous les moyens de parvenir à ses fins, ou l'on est moral et l'on reste en dehors du réel. En posant cette aporie, Max Weber énonce clairement le problème du fondement des valeurs.
Éthique de conviction, éthique de responsabilité
Nous en arrivons ainsi au problème décisif. Il est indispensable que nous nous rendions clairement compte du fait suivant : toute activité orientée selon l'éthique peut être subordonnée à deux maximes totalement opposées. Elle peut s'orienter selon l'éthique de la responsabilité, ou selon l'éthique de la conviction. Cela ne veut pas dire que l'éthique de conviction est identique à l'absence de responsabilité et l'éthique de responsabilité à l'absence de conviction. Il n'en est évidemment pas question. Toutefois il y a une opposition abyssale entre l'attitude de celui qui agit selon les maximes de l'éthique de conviction - dans un langage religieux nous dirions : "Le chrétien fait son devoir et en ce qui concerne le résultat de l'action il s'en remet à Dieu"- et l'attitude de celui qui agit selon l'éthique de responsabilité qui dit : "Nous devons répondre des conséquences prévisibles de nos actes". Vous perdrez votre temps à exposer, de la façon la plus persuasive possible, à un syndicaliste convaincu de la vérité de l'éthique de conviction que son action n'aura d'autre effet que celui d'accroître les chances de la réaction, de retarder l'ascension de sa classe et de l'asservir davantage, il ne vous croira pas. Lorsque les conséquences d'un acte fait par pure conviction sont fâcheuses, le partisan de cette éthique n'attribuera pas la responsabilité à l'agent, mais au monde, à la sottise des hommes ou encore à la volonté de Dieu qui a créé les hommes ainsi. Au contraire le partisan de l'éthique de responsabilité comptera justement avec les défaillances communes de l'homme (car, comme le disait fort justement Fichte, on n'a pas le droit de présupposer la bonté et la perfection de l'homme) et il estimera ne pas pouvoir se décharger sur les autres des conséquences de sa propre action pour autant qu'il aura pu les prévoir. Il dira donc : "Ces conséquences sont imputables à ma propre action". Le partisan de l'éthique de conviction ne se sentira "responsable" que de la nécessité de veiller sur la flamme de la pure doctrine afin qu'elle ne s'éteigne pas, par exemple sur la flamme qui anime la protestation contre l'injustice sociale. Ses actes qui ne peuvent et ne doivent avoir qu'une valeur exemplaire mais qui, considérés du point de vue du but éventuel, sont totalement irrationnels, ne peuvent avoir que cette seule fin : ranimer perpétuellement la flamme de sa conviction.