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Maurice Blanchot

Né le 22 décembre 1907 à Quain (Saône-et-Loire). Après des études universitaires, Maurice Blanchot fait l’expérience du journalisme, collaborant au Journal des débats (1933), à Combat (1936), l’insurgé (1937) et à Aux écoutes (1938). De 1941 à 1944, il donnera aussi une chronique littéraire au Journal des débats. Bien que sa jeunesse l’ait porté vers la « Jeune Droite », il refuse en 1940 de collaborer avec l’occupant, se retirant peu à peu de la vie publique, exil intérieur dont il ne sortira qu’à deux reprises, en 1960, pour signer le Manifeste des 121 et en 1968, pour participer à Comité, organe du Comité des écrivains et des étudiants, révélant ainsi une évolution politique diamétralement opposée. Les grandes étapes de son œuvre sont : 1941, première version de Thomas l’Obscur, dont la deuxième paraîtra en 1950 ; 1955, parution de l’Espace littéraire ; 1959, le Livre à venir ; 1962, son dernier grand récit, l’Attente, l’Oubli ; enfin, trois livres « théoriques », l’Entretien infini, l’Amitié, le Pas au-delà (de 1969 à 1973) qui vont sceller l’influence grandissante et déterminante de Blanchot sur la jeune littérature et la nouvelle critique. L’œuvre de Maurice Blanchot, essentielle pour comprendre ce qui se passe aujourd’hui en littérature, a longtemps été (et est encore) qualifiée d’obscure. Non qu’elle participe d’un hermétisme complaisant ou d’une opacité purement négative, — on peut même dire le contraire, tant le discours blanchotien paraît dans sa rigueur, son exigence, sa tension, « méthodique et d’allure essentiellement cartésienne » (Georges Poulet). Le paradoxe, dont se nourrit toute son écriture, tient à une œuvre qui échappe à la simplification linéaire de l’analyse. Nous avons affaire à un « ressassement éternel », une répétition qui s’échappe à elle-même, qui exclut la glose dans la mesure où elle est toujours, dans un rapport fiction-critique incessant, glose d’elle-même. Comment dans cette tentation des limites qui fascine Blanchot, et son lecteur avec, substituer une parole seconde ou tierce qui deviendrait, de fait, plus absente encore que celle dont elle tenterait de cerner l’expérience indicible, incitable ? Plus Blanchot se parle et plus cette parole paraît absente, obscure, s’échapper de lui comme elle nous échappe à nous, envoûtés que nous sommes par le silence qui l’origine et lui succède inévitablement. Aucun des livres de Blanchot n’est « racontable », perdus qu’ils sont dans l’anonymat d’un narrateur « neutre », « en creux ». Cette absence vient de ce que l’écriture est, pour Blanchot, un acte aussi vain que nécessaire. « L’écrivain se trouve dans cette situation comique de n'avoir rien à écrire, de n'avoir aucun moyen de l’écrire, et d’être contraint par une nécessité extrême de toujours l’écrire. » Que ce soit Thomas l’Obscur, ou l'Espace littéraire, tout — individu ou écriture — tend vers la disparition, l’anéantissement. Le néant, cher à Georges Bataille avec qui Blanchot a vécu un « entretien infini » et une « amitié » réciproque, le néant est au cœur du langage, englobe le langage. Les mots ne peuvent que traduire cet inexprimable, gageure, défi d’où l’écrivain impuissant est irrémédiablement, radicalement exclu. « Pour que je puisse dire : cette femme, il faut que d’une manière ou d’une autre, je lui retire sa réalité d’os et de chair, la rende absente et l’anéantisse. Le mot me donne l’être, mais il me le donne privé d’être. Il est l’absence de cet être, son néant. » Blanchot se trouve tout enfermé/libéré par une dialectique affirmation/négation qui est à l’origine de toutes les interrogations de la modernité sur l’écriture et la fonction de l’écrivain. A cet égard, l’influence de Mallarmé, conjuguée à celle d’Hegel et d’Heidegger, a été déterminante. Blanchot lui a consacré un chapitre important de son Livre à venir. On ne peut que citer : « C’est à la fois dans le sens de la plus grande dispersion et dans le sens d’une tension capable de rassembler l’infinie diversité, par la découverte de structures complexes, qu’Un coup de dés oriente l’avenir du livre. L’esprit, dit Mallarmé après Hegel, est «. dispersion volatile ». Le livre qui recueille l’esprit recueille donc un pouvoir extrême d’éclatement, une inquiétude sans limite et que le livre ne peut contenir qui exclut de lui tout contenu, tout sens limité, défini et complet. Mouvement de diaspora qui ne doit jamais être réprimé, mais préservé et accueilli comme tel dans l’espace qui se projette à partir de lui et auquel ce mouvement ne fait que répondre, réponse à un vide indéfiniment multiplié où la dispersion prend forme et apparence d’unité. » Ces lignes sur Mallarmé, est-il besoin de le dire, suivent au plus près la démarche de Blanchot lui-même. Dans ses récits, l’écriture semble s’effacer au fur et à mesure qu’elle progresse. Et ce, dès les premiers romans (Thomas l’Obscur, première version, le Très-Haut, Aminadab) que, y voyant quelque épigone de Kafka, Sartre a qualifié sans doute trop vite de fantastiques dans son article de Situations I. Anne et Thomas appartiennent déjà au mythe d’Orphée et Eurydice tel qu’il sera développé dans l’Espace littéraire. Après la mort d’Anne, dans la deuxième version de Thomas l’Obscur, Thomas dit : « Je pense, donc je ne suis pas. » La littérature appartient à l’espace de la mort. Et cet espace est inenglobable. L’œuvre est toujours transgression. Et dans un incessant mouvement paradoxal, ce qui nie affirme une « existence sans l’être ». « Dans la parole meurt ce qui donne vie à la parole ; la parole est la vie de cette mort, elle est « la vie qui porte la mort et se maintient en elle » (la Part du feu). Tout se passe comme si la littérature excluait l’écrivain d’elle-même, comme si elle était sa conscience sans lui. Dans un texte inédit publié par la revue Gramma dans un numéro consacré à Blanchot, Georges Bataille nous éclaire sur cette situation de l’écrivain. Il est « placé comme une vérité entre des vivants et des morts. Et Blanchot peut dire de lui-même que, s’il parle, c’est la mort qui parle en lui. En fait, la littérature est pour lui semblable à la flamme dans la lampe : ce que la flamme consume est la vie, mais la flamme est vie dans la mesure où elle est mort, dans la mesure où justement elle meurt, comme la flamme épuise la vie en brûlant. » Michel Foucault, lui, dans son article intitulé significativement la Pensée du dehors (in Critique de juin 1966), voit dans « la percée vers un langage d’où le sujet est exclu, la mise au jour d’une incompatibilité peut-être sans recours entre l’apparition du langage en son être et la conscience de soi en son identité », l’une des expériences fondamentales qui traversent la culture occidentale aujourd’hui. Blanchot participe d’un mouvement général de défiance par rapport à la parole littéraire, d’où toujours, chez lui, ce besoin de prendre de la distance quant à sa paternité. Un livre procède d’une relation mouvante, un jeu entre l’articulé et l’inarticulé. Et dès qu’ils sont écrits, Blanchot tient ses textes pour posthumes, presque anonymes. Démarche critique de l’Entretien infini, mais aussi morcellement de la fiction dans l’Attente, l’Oubli qu’annonçait les références obsessionnelles à l’éternité et à la dispersion à la fin de Au moment voulu (« Et cependant, bien que le cercle déjà m’entraîne, et même s’il me fallait l’écrire éternellement, je l’écrirais pour effacer l’éternel : Maintenant, la fin. »), de Celui qui ne m’accompagnait pas (« Toute la force du jour dut se tendre, s’élever vers cette fin, et peut-être répondit-il aussitôt, mais quand la fin arrivai après l’éparpillement de quelques secondes, tout avait déjà disparu, disparu avec le jour. »), ou de l’Arrêt de mort (« ... et, à elle, je dis éternellement : « Viens », et éternellement, elle est là. »). Pour Blanchot, la littérature est pouvoir de contestation, « contestation du pouvoir établi, contestation de ce qui est (et du fait d’être), contestation du langage et des formes du langage littéraire, enfin contestation d’elle-même comme pouvoir. » La littérature travaille contre les limites. Au terme d’un itinéraire aussi absolu, d’une ascèse aussi rigoureuse, que reste-t-il ? N’est-il pas symptomatique que le dernier récit publié par Maurice Blanchot, la Folie du jour, qui est une réédition, « une répétition » d’Un récit publié en 1949 dans une revue, s’achève sur ces mots : « Un récit ? Non, pas de récit ; plus jamais. » Que reste-t-il donc ? Sinon, le Pas au-delà...


BLANCHOT Maurice. Écrivain français. Né le 22 décembre 1907 à Quain, en Saône-et-Loire. Après des études universitaires, il commence une carrière de journaliste au Journal des débats (1933), à Combat (1936), à L’Insurgé (1937), aux Ecoutes (1938). De 1941 a 1944, il tient la chronique littéraire du Journal des débats. Bien que, dans sa jeunesse, il ait incliné vers la « jeune droite », il refuse pendant la guerre de collaborer avec le régime vichyste, et se retire progressivement de toute vie publique. C’est le début d’un long exil intérieur où Blanchot se consacre à son œuvre et à sa réflexion sur la littérature. Il signe néanmoins en 1960 le « Manifeste des 121 » et, en mai 1968, entre au Comité des écrivains et des étudiants. L’œuvre de Maurice Blanchot, peu connue du grand public, bénéficie, à l’égal de celle de Georges Bataille ou de Pierre Klossowski, d’une autorité considérable dans le monde intellectuel. Cette œuvre, qu’il faut classer — selon des critères que la pensée de cet auteur, il est vrai, remet en cause — en « romans » et en « essais », est d’un accès difficile, et requiert une lecture exigeante. L’œuvre romanesque, moins connue que l’œuvre « critique », comprend une série de « romans » et de « récits » qui, comme tous les grands exemples du genre au XXe siècle, sont inclassables. Thomas l’Obscur (1941), Aminadab (1942), Le Très-Haut (1948), Le Dernier (1947, L’Arrêt de mort (1948), Le Ressasse-ment éternel (1951), Au moment voulu (1951), Celui qui ne m’accompagnait pas (1953), Le Dernier homme (1957), L’Attente, l’oubli (1962), La Folie du jour (1973) témoignent dune évolution romanesque qui va vers toujours plus de dépouillement et de nudité; parti d’un roman que Sartre — assurément à tort — a pu qualifier de « fantastique », Thomas l’obscur, Blanchot élimine peu à peu, par un patient travail d’écriture, tout ce qui, dans sa prose, se rattachait encore à des formes traditionnelles (personnages, intrigues, histoire, décor, etc.). Néanmoins, le sens profond de cette évolution romanesque, visant à obtenir un texte de plus en plus « neutre », de plus en plus anonyme et exsangue, ne peut s’éclairer que par la réflexion que Blanchot a menée dans une longue série d’articles, articles régulièrement rassemblés en essais : Faux pas (1943), Lautréamont et Sade (1949), La Part du feu (1949), L’Espace littéraire (1955), La Bête de Lascaux (1959), Le Livre à venir (1959), L’Entretien infini (1969), L’Amitié (1971) et Le Pas au-delà (1973). Signalons d’ailleurs que dans les trois derniers ouvrages cités la « forme critique » et la « forme romanesque » finissent par se rejoindre. Blanchot n’est pas à proprement parler un « critique » ou un « théoricien »; encore moins peut-on le considérer comme un philosophe. C’est un homme qui s’interroge sur l’écriture, ou la littérature, en tant que « scène » d’une expérience humaine essentielle. Tous ses romans, tous ses récits, mais aussi tous ses articles tournent autour de cette question : qu’est-ce qu’écrire ? Qu’est-ce que cette « force » qui constitue la littérature ? Ou — pour employer son langage (un langage qui possède une cohérence et une vigueur propres) — qu’est-ce que l’« espace littéraire » ? Pour correspondre — plutôt que répondre — à cette question, Blanchot a interrogé les œuvres majeures de la littérature contemporaine — de Mallarmé à Artaud, de Kafka à Bataille, etc. La réponse est à la fois personnelle et universelle : écrire, c’est chercher ce point, ce moment où quelque chose comme une « œuvre » deviendrait possible, c’est « entrer dans l’affirmation de la solitude où menace la fascination ». La littérature est pour ainsi dire le « négatif » de l’expérience « diurne » du monde : dans cette dernière, l’homme produit, travaille, construit, vit dans le projet et le temps créateur. La littérature a ceci de fascinant et d’essentiel qu’elle est la « contestation » absolue : « Contestation du pouvoir établi, contestation de ce qui est (et du fait d’être), contestation du langage et des formes du langage littéraire, enfin contestation d’elle-même comme pouvoir. » Une telle contestation, on le voit, est par essence « subversive » : mais elle ne se cristallise jamais en « projet subversif » (comme dans la Révolution). Elle est la part de ce que Bataille a appelé « la négativité sans emploi », ou ce que Blanchot appelle encore plus fortement « le ruissellement du Dehors éternel ». Dans ses derniers écrits, Blanchot avance encore plus loin dans cette interrogation, et — influencé par Emmanuel Lévinas — s’engage dans une réflexion sur l’« inconnu » et l’« autre ». L’« autre » n’est pas mon « alter ego », mais l’« inconnu » radical. Cette expérience de l’altérité — qui ne cède à aucun humanisme facile — est fortement exprimée dans des ouvrages comme L’Amitié et Le Pas au-delà. Elle signale le point extrême d’une réflexion marquée à la fois par sa rigueur et par un goût de la fascination que tout lecteur de Blanchot a pu à son tour éprouver.

BLANCHOT Maurice 1907 Romancier, conteur et essayiste, né dans la Saône-et-Loire. Longtemps ignoré, ce dont il semblait se soucier fort peu, Blanchot a mené de front son œuvre de théoricien (Comment la littérature est-elle possible, 1942 ; L’Espace littéraire, 1955 ; Le Livre à venir, 1959) et de praticien des modes nouveaux - « moyens techniques » et « thèmes » - proposés par lui sur le plan de la création romanesque : Aminadab (1942), Thomas l'obscur (1941 et 1950), Le Très-Haut (1948), etc. Mais c’est peut-être dans le genre, plus ambigu et tout à la fois plus dense, du récit (L’Arrêt de mort, 1948 ; Celui qui ne m’accompagnait pas, 1953) qu’il réalise le mieux son dessein : donner à la forme du roman un statut identique à celui dont a bénéficié de tout temps le poème. C’est-à-dire aussi souverainement libre que le poème vis-à-vis de la réalité ; aussi strictement lié vis-à-vis du langage. Comme en témoignent encore les textes brefs plus tard rassemblés dans L’Entretien infini (1969) et Fragmentaires (1971), le pessimisme fondamental ainsi que la volonté de transgresser l’ordre établi en matière de littérature, proclamés par Blanchot de longue date (et déjà dans son essai sur Lautréamont et Sade, 1949), s’accordent avec la sensibilité de nombreux écrivains de la jeune génération.

♦ « L'œuvre de Maurice Blanchot est d'une importance majeure, pas seulement parce qu'elle est celle d'un écrivain au langage admirable, d'un analyste qui sut porter la « critique » à une profondeur jusqu’alors jamais atteinte, mais parce qu'il a libéré l’art de l'esclavage du naturalisme et de la psychologie, en instituant un mode nouveau, qui n 'est ni roman, ni récit, ni essai, « genre » qui ne porte pas de nom, mais qui amène à chercher, à écrire selon une dimension nouvelle : celle du Neutre, dimension encore peu explorée, encore qu’elle le fût jadis par Héraclite, et qui amènera un jour à répondre de manière entièrement nouvelle à la question : « Qu 'est-ce que penser ? ». Roger Laporte.